HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME QUATRIÈME

LIVRE QUATRIÈME

 

CHAPITRE IV. — SERMENT CIVIQUE.

 

 

L'Assemblée au manège des Tuileries. — Qualifications injurieuses. — Le serf du Jura. — Dispositions des membres du côté droit. — Tristesse habituelle de la reine. — Sentiments de Louis XVI à cette époque. — Sa lettre au grand maître de Malte. — Conseils de Necker. — Séance royale du 4 février ; discours du roi ; immense enthousiasme ; serment civique prêté par l'Assemblée et par les tribunes ; quatre membres refusent ; le vicomte de Mirabeau brise son épée. — Bailly sur le perron de l'Hôtel de Ville. — Tout Paris prête le serment civique ; la province suit. — Réjouissances extraordinaires. — Serment du duc de Chartres ; le duc d'Orléans envoie le sien, de Londres. — Sombre langage de Loustalot. — Cazalès propose en vain de donner la dictature à Louis XVI pour trois mois. — Avertissements sinistres.

 

L'Assemblée n'avait siégé que vingt jours[1] dans la salle de l'Archevêché, et, au commencement de l'année 1790, elle se trouvait installée depuis près de deux mois au manège des Tuileries, à l'endroit où se croisent les rues de Rivoli et de Castiglione : nouveau laboratoire, champ de bataille nouveau, où allaient se produire les mêmes difficultés et se heurter les mêmes colères.

Rien de plus effrayant que la tâche qui se présentait à accomplir. Il fallait mener à fin l'immense opération des provinces changées en départements ; il fallait échapper à la banqueroute par quelque procédé de finance qui fût un coup de génie ; il fallait prendre, sur l'administration des biens du clergé, sur leur emploi, sur la substitution d'un salaire à la dîme, sur les rapports à établir désormais entre l'Église et l'État, une décision, d'où risquait de sortir un incendie ; il fallait organiser la justice, il fallait compléter la constitution. Et au prix de quelles luttes la Révolution n'avait-elle pas mis l'achèvement de ces travaux ! Car, aux Tuileries, comme à l'Archevêché, comme à Versailles, il y avait un côté droit, un côté gauche, c'est-à-dire faisant face à l'armée de l'avenir, la mesurant des yeux, la menaçant du geste, l'armée violente du passé.

L'emplacement de la salle où, en quittant l'Archevêché, la représentation nationale vint s'établir, était auparavant un manège : cette circonstance fournit aux divers partis formés dans l'Assemblée les dénominations injurieuses dont les haines avaient besoin. Le grand nombre de prêtres, d'évêques et autres personnes vêtues de noir, qui remplissaient le côté droit de la salle, fit appliquer le nom de noirs (chevaux noirs) aux habitués de ce côté. Ils ripostèrent en appelant leurs adversaires les bais ; mais cette qualification ne prenant point faveur, ils la remplacèrent par celle d'enragés, nom qu'on donnait à Paris aux chevaux de louage, dont on se servait communément pour les voyages de Versailles, afin d'éviter les frais de poste royale[2]. Les contre-révolutionnaires furent aussi qualifiés de faction verte, sans doute par allusion à la livrée du comte d'Artois, ou bien à l'espérance dont on les croyait animés de parvenir à tout bouleverser un jour[3].

Ces dénominations, bonnes d'ailleurs à connaître pour l'intelligence des écrits du temps, n'auraient pas d'autre importance historique, si elles ne servaient à caractériser les animosités qui s'en emparèrent ; animosités profondes, dont le moindre incident suffisait pour provoquer l'explosion. Que de fois, en effet, la discussion toucha au pugilat ! Un jour que le côté gauche était très-animé, et le côté droit fort tranquille, l'abbé de Montesquiou, alors au fauteuil, observa que l'Assemblée ressemblait à ces malheureux peuples de l'Indoustan, qui voient à leur droite le soleil, et à leur gauche la tempête[4] ; mais les accusations de ce genre, que de fois les noirs les encoururent à leur tour !

Il y eut cependant des heures d'inspiration héroïque où, l'esprit nouveau domptant toute révolte, et emportant les âmes au plus haut des régions, au-dessous desquelles s'amoncèlent les nuages, l'Assemblée se montra unanime dans la sérénité, unanime dans l'émotion, et vraiment grande.

Telle avait été la séance du 25 octobre 1789[5], alors que fut introduit, au milieu des représentants du peuple français, un pauvre paysan qui avait été serf pendant près d'un demi-siècle, sous Louis XIV, qui, depuis, avait encore passé quatre-vingts ans dans le servage, et qui, maintenant âgé de cent vingt et un ans, voulait, avant de mourir, remercier de sa liberté reconquise Dieu et la France. Ce doyen du genre humain était venu à Paris du fond du Jura à l'âge de dix-huit ans. Quel changement il y voyait, à son second voyage, un siècle après ! La petite auberge qui l'avait reçu était un hôtel magnifique, et la rue obscure d'autrefois se trouvait être un des plus beaux quartiers de la ville... : insignifiantes métamorphoses, en comparaison de celles qu'une puissance inconnue avait opérées dans l'intelligence et dans le cœur des hommes ! L'habitant du Jura était serf alors, serf d'un prêtre ; aujourd'hui, il était libre ! Lorsqu'il entra dans la salle où siégeaient ceux qu'on lui avait désignés comme les pères de la patrie, l'Assemblée nationale se sentit saisie de cet auguste respect que les Lacédémoniens portaient à la vieillesse, et elle se leva tout entière. Le centenaire s'avança d'un pas chancelant, mais guidé, soutenu par ses petits-neveux, et par une jeune fille, son Antigone. On le fit asseoir dans un fauteuil vis-à-vis du bureau du président, et on le pria de se couvrir. Il ne parla point ; seulement, de grosses larmes coulaient le long de ses joues flétries. Soyez heureux, lui dit le président, du spectacle de la patrie devenue libre ! Il n'y eut qu'une pensée, ce jour-là, dans l'Assemblée nationale, pensée d'attendrissement, de générosité, d'espérance. Mais hélas ! dès le lendemain, les nobles portaient de nouveau la main à la garde de leur épée pour la restitution de leurs privilèges, et les prêtres, dépouillés de leurs serfs, recommençaient à gémir ?

Et à la cour aussi on gémissait. Un jour qu'on prononçait devant le Dauphin ces mots : Heureuse comme une reine, le jeune prince s'écria vivement : Maman ne peut pas être heureuse, elle pleure toujours[6]. Au fond, de tous les représentants du passé, le seul qui eût été capable, s'il fût resté son maître, d'une résignation raisonnée et sincère, c'était Louis XVI. Le 18 novembre 1789, dans une lettre, qui n'était pas destinée à être rendue publique, il écrivait au grand maître de l'ordre de Malte :

Mon cousin,

Dans des siècles pieux, la France généreuse avait comblé de ses bienfaits l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Le monde chrétien en reconnut l'utilité ; il lui plut encore d'accorder à vos chevaliers tous les privilèges dont ils ont conservé les prérogatives jusqu'à présent. Les rois mes aïeux sanctionnèrent la volonté des fondateurs et le droit des titulaires. Des circonstances impérieuses ont amené un changement dans l'ordre politique de la France. Les chevaliers de la langue française imiteront sans doute l'exemple que je leur donne. Ce n'est pas lorsque tous les ordres de l'État font des sacrifices, qu'ils resteront en arrière. Je laisse à votre sagesse, mon cousin, de prendre les mesures qui peuvent coïncider avec les travaux de l'Assemblée nationale. Sur ce, je prie Dieu, mon cousin, qu'il vous ait en sa sainte garde.

LOUIS[7].

 

Cette lettre ne s'accorde guère, on le voit, avec celle que Louis XVI, après les décrets du mois d'août, écrivait à l'archevêque d'Arles et dans laquelle il annonçait sa ferme résolution de ne point laisser porter atteinte aux privilèges des premiers ordres. Mais ces contradictions, à si peu de temps d'intervalle, n'ont rien de surprenant de la part d'un prince qui, tantôt subjugué par la reine, tantôt gagné à l'influence de Necker, plus conforme à ses dispositions personnelles, ne fut jamais faux, qu'à force de n'être pas lui. Or, au commencement de 1790, l'homme dont les conseils trouvaient le plus aisément le chemin de son cœur, c'était Necker.

Au milieu de l'ébranlement général, celui-ci considérait l'attachement de la nation à la personne du roi comme un point de ralliement, comme un moyen de sauvegarder la monarchie ; et c'est à ce sujet qu'il a lui-même écrit quelque part : Quel objet de méditation pour les princes ! Quel encouragement pour eux à la vertu ! La tempête grossit, les eaux s'élèvent, et leur caractère, semblable à l'arc-en-ciel, rappelle à l'espérance ![8] Il s'attacha donc à persuader à Louis XVI, et il n'y eut pas de peine, que lui, le roi, pouvait seul, par une manifestation éclatante de ses sentiments politiques, faire tomber une défiance qui retardait les travaux de l'Assemblée, entretenait dans Paris les plus dangereuses colères, et éclatait en ravages dans les provinces. N'assurait-on pas d'une voix unanime que le calme se rétablirait si le roi s'expliquait, s'il laissait lire au fond de son cœur, s'il réunissait les opinions, s'il entraînait à la confiance par l'autorité de son exemple ?[9] Ainsi parlait le ministre. Le roi souscrivit à tout, et Necker composa pour lui un discours où il exprimait, dans une forme de nature à adoucir les âmes, les sentiments les plus populaires.

Afin de mieux ménager l'effet à produire, il avait été convenu qu'on garderait le silence sur la démarche projetée : le 4 février, à l'ouverture de la séance, le président reçut, au moment où l'on s'y attendait le moins, un billet de la part du roi : Je préviens M. le président de l'Assemblée nationale que je compte m'y rendre vers midi ; je désire être reçu sans cérémonie[10].

Des applaudissements se firent entendre de toutes parts, et une députation fut envoyée sur-le-champ au-devant du roi.

Une housse de velours violet, semée de fleurs de lys d'or, transforma en une espèce de trône le fauteuil du président, auquel on ne réserva qu'une chaise, et qui, en attendant le roi, présida debout. Bientôt, précédé de quelques pages, et accompagné de ses ministres, Louis XVI arrive en simple habit noir[11]. A son aspect, la salle retentit d'acclamations ; après quoi, chacun se tint dans l'attitude du respect. Lui, comme s'il n'eût pas voulu demeurer en reste de politesse, il affecta de ne point s'asseoir, et, le chapeau à la main[12], il prononça le discours que Necker avait composé.

Dans ce discours, après quelques allusions douloureuses aux déchirements de la France, en gestation de tant de choses nouvelles, il était rendu hommage aux grands travaux qu'avait accomplis déjà l'Assemblée, et notamment à ceux de l'organisation départementale. Les tentatives qui pourraient être faites désormais pour ébranler la constitution, étaient représentées comme dirigées du même coup contre le peuple et contre le roi. On invoquait, avec une sorte de gravité timide, cet esprit de justice qui sert de sauvegarde à la propriété, et le sentiment qui rappelle à une nation l'ancienneté, la continuité des services d'une race honorée ; mais, ce qui avait été conquis sur l'ignorance ou les fautes du passé, on n'hésitait pas à le consacrer ; et d'autres conquêtes, pourvu qu'elles n'eussent rien de trop violent et de précipité, on paraissait les envisager sans effroi. Sans doute, disait Louis XVI, ceux qui ont abandonné de grands privilèges pécuniaires, ceux qui ne formeront plus, comme autrefois, un ordre politique dans l'État, se trouvent soumis à des sacrifices dont je connais toute l'importance ; mais, j'en ai la persuasion, ils auront assez de générosité pour chercher un dédommagement dans tous les bienfaits publics, dont l'établissement des assemblées nationales présente l'avantage. J'aurais bien aussi des pertes à compter, si, au milieu des plus grands intérêts de l'État, je m'arrêtais à des calculs personnels ; mais je trouve une compensation qui me suffit, une compensation pleine et entière, dans l'accroissement du bonheur de la nation, et c'est du fond du cœur que j'exprime ici ce sentiment. Je défendrai donc, je maintiendrai la liberté constitutionnelle, dont le vœu général, d'accord avec le mien, a consacré les principes. Je ferai davantage, et, d'accord avec la reine, qui partage tous mes sentiments, je préparerai de bonne heure l'esprit et le cœur de mon fils au nouvel ordre de choses que les circonstances ont amené. Je l'habituerai, dès ses premiers ans, à être heureux du bonheur des Français[13]

Immense fut l'enthousiasme de cet inflammable peuple de France, et, tout d'abord, de l'Assemblée. On aperçut Barère, fondant en larmes, on l'entendit qui disait : Ah ! quel bon roi ! Oui, il faut lui élever un trône d'or et de diamants[14]. Seuls, dans le côté droit, les fanatiques paraissaient consternés, ce qui écarte tout soupçon, écrivit Camille[15].

A peine Louis XVI était-il sorti, que le vieux Goupil de Préfeln proposa à l'Assemblée de s'enchaîner au maintien de la constitution par un serment solennel. La motion est à l'instant adoptée, au milieu des plus vifs transports. Quiconque refusera, s'écrie Camus, ne peut rester membre de l'Assemblée[16]. Le président Bureau de Puzy monte le premier à la tribune et jure d'être fidèle à la nation, au roi, à la loi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée et acceptée par le roi. Chacun s'empresse de l'imiter. Du haut des tribunes publiques, profondément agitées, un papier tombe, où était tracée la formule du serment, et, les yeux de l'Assemblée se portant de ce côté, voilà que les spectateurs, d'un commun élan, se lèvent tous, et à leur tour, s'écrient : Je jure !

Quelques députés seulement refusèrent : Bergasse, de Challouié, de Boinville, de Belbœuf, et le fougueux vicomte de Mirabeau. Ce dernier, même, sortant de la salle, tira son épée, la brisa sur ses genoux, et dit : Lorsque le roi brise son sceptre, ses serviteurs doivent briser leur épée[17]. Maury avait juré : il répondit au vicomte, qui lui en faisait des reproches :

Le parjure est vertu quand le serment fut crime[18].

L'application eut son effet, ajoute Weber[19], qui rapporte ces circonstances et qui était présent à la scène ; car les membres que j'ai cités rentrèrent bientôt dans le sein de l'Assemblée, à l'exception de Bergasse...

La protestation de ce dernier était conçue en ces termes[20] : J'obéis à la loi, quand elle est sage, comme j'obéis à ma raison. Je m'y soumets, quand elle ne l'est pas, comme je me soumets à la nécessité ; mais je ne jure de maintenir que ce qui est juste, et si, par hasard, ce qui m'a paru juste un jour, m'est démontré injuste le lendemain, je le renverse comme je l'avais maintenu.

Une députation avait été nommée pour aller présenter au roi une adresse de remercîments : elle revint rendre compte de sa mission dans la même séance : Nous avons rencontré, dit Target, la famille royale qui venait au-devant de Sa Majesté. La reine nous a adressé ces paroles précieuses : Je partage tous les sentiments du roi, et je m'unis de cœur et d'esprit à la démarche que son amour pour son peuple vient de lui dicter. Voici mon fils ; je l'entretiendrai sans cesse des vertus du meilleur des pères, et je lui apprendrai de bonne heure à respecter la liberté publique, dont j'espère qu'il sera le plus ferme soutien[21].

Le soir même, la Commune suivit l'exemple de l'Assemblée. Sur la demande de Danton[22], Bailly parut au haut du grand escalier de l'Hôtel de Ville, pour y lire à la foule qui couvrait la Grève la formule du serment. Alors, au bruit des tambours, à la lueur des flambeaux qui tout à coup inondèrent la place de lumière, des milliers de mains se levèrent, et le cri je jure ! retentit si énergique, si puissant, qu'il arriva, d'échos en échos, jusqu'aux extrémités de Paris, frémissant de joie. Le feu avait pris à toutes les âmes ; tous les districts, l'un après l'autre, répétèrent le serment civique ; les écoliers en firent de même. C'était, sur les places publiques, aux acclamations des citoyens qui remplissaient les fenêtres, que s'accomplissait, dans une forme digne des républiques de l'antiquité, cet acte de foi et hommage à une idée, à l'idée nouvelle. Paris revêtit ses habits de fête ; il y eut illumination à l'Hôtel de Ville, et le discours où Louis XVI semblait s'être donné définitivement à la Révolution fut gravé en lettres d'or sur une table d'airain[23].

Le prince de Conti, d'abord émigré, était revenu : il prêta le serment civique dans son district, celui des Jacobins. De son côté, le jeune duc de Chartres, le même qui devait être roi sous le nom de Louis-Philippe, s'empressa de faire acte de citoyen. Le président du district qui comprenait le Palais-Royal, lui ayant présenté le registre où s'écrivaient les serments, il raya sur le registre ses titres et dignités inscrits à l'avance en face de son nom, mit à la place le mot citoyen, et signa. Son père se trouvait alors en Angleterre, il envoya de là son serment[24].

La lettre du duc d'Orléans contenait un passage qui mérite d'être rapporté :

J'ai suivi les travaux de l'Assemblée avec d'autant plus d'intérêt que j'ai eu le bonheur de trouver toujours mon vœu particulier conforme au vœu général, exprimé par ses décrets. Je partage également les sentiments d'amour et de respect qu'a inspirés à l'Assemblée la démarche vraiment royale et paternelle de Sa Majesté, quand, sans autre cortège que ses vertus, sans autre motif que son amour pour son peuple, elle est venue se réunir aux représentants de la nation, pour affermir et pour presser, s'il est possible, l'heureuse régénération qui assure à jamais la gloire et le bonheur de la France.

 

Les contre-révolutionnaires paraissaient consternés, et cela même ajouta un degré de vivacité de plus aux transports de l'opinion. Des actions de grâce à l'Être suprême ayant été votées, le corps législatif, les Trois cents, Bailly en tête, Lafayette et les soixante bataillons de la milice nationale, se rendirent processionnellement à Notre-Dame La cavalerie ouvrait la marche, que bordaient de nombreux détachements formant la haie. Aussitôt que les représentants de la nation entrèrent dans le temple, des airs guerriers en éveillèrent tous les échos et le bruit du canon en ébranla les voûtes. Un autel de forme antique avait été dressé pour la cérémonie. Un religieux de Saint-Victor, alors président de la Commune, s'en approcha, et à peine eut-il prononcé] les paroles sacrées, que des milliers de mains se levèrent. Les drapeaux étaient balancés dans les airs, les grenadiers agitaient leurs épées au-dessus de leurs têtes. Tout à coup, ainsi que cela était arrivé dans une autre circonstance, le soleil, voilé jusqu'à ce moment, perça la nue ; alluma les vitraux, fit resplendir l'église. N'était-ce pas Dieu qui se montrait, Dieu lui-même ? Et, rapidement crédule, comme on l'est dans les émotions fortes, le peuple répondit à l'augure par des cris passionnés[25].

Ô inflexible génie des ruines ! Ô fatalité ! Encore trois ans, rien que trois ans, et Louis XVI aura cessé de vivre… Mais quoi ! déjà, déjà, n'entendons-nous pas des grondements sourds ? Comme elle saisit et glace le cœur, au milieu de tant d'allègres cantiques et de clameurs pleines d'espoir, cette voix rude de Loustalot, disant[26] : Pourquoi une fête ? Le roi avait rempli un devoir. Il n'était pas flatteur pour lui de remercier le ciel de ce qu'il avait fait une belle action, ni consolant pour le peuple d'attacher tant d'importance à un devoir rempli. Si l'on eût chanté un hymne à Jupiter, à chaque belle action de Titus, qui regardait comme perdu le jour où il n'en avait pas fait une, le préfet de Rome eût bientôt épuisé le trésor public.

Et Camille Desmoulins, que disait-il dans le même temps, lorsque, à propos du meurtre de quelques commis à Béziers et des troubles des provinces, Cazalès demandait en vain pour le roi la dictature, une dictature de trois mois ? Camille Desmoulins faisait profession de foi républicaine en ces termes : Peut-on trouver mauvais que je sois de ces Romains qui gémissent quand Antoine, aux Lupercales, impose le diadème à César ? Je fais sur la royauté la même profession de foi que le docteur Richard Price, et nous nous donnons la main par-dessus les mers qui nous séparent[27]. Puis, allant jusqu'à nier que le roi dût nommer les fonctionnaires subalternes, il ajoutait : Je ne connais qu'Adam, dont une côte ait fait un autre quasi-Adam. Encore n'était-ce pas lui qui s'était tiré cette côte, et il dormait quand se fit le miracle... Le peuple est le potier, le roi n'est que le premier vase : est-ce qu'un vase en peut faire un autre ?... On allume un flambeau à un autre ; mais si le feu se communique de lui-même, il peut tout embraser[28].

Combien il vous fut aisé d'éteindre les illuminations de l'Hôtel de Ville et d'emporter les chants du Te Deum, souffles orageux !

 

 

 



[1] Mémoires de Weber, t. II, chap. IV.

[2] Histoire de la Révolution par deux Amis de la liberté, t. III, chap. XIII.

[3] Règne de Louis XVI, t. VI, chap. XXIII.

[4] Règne de Louis XVI, t. VI, chap. XXIII.

[5] Voyez, indépendamment du Moniteur, le Règne de Louis XVI, t. VI, chap. XXIII.

[6] Mémoires de Weber, t. II, chap. IV, p. 8. Collection Berville et Barrière.

[7] Political and confidential correspondence of Lewis the Sixteenth, with observations on each letter, by Helen Maria Williams, vol. I, p. 260. London, 1801.

[8] Sur l'administration de M. Necker, par lui-même, p. 209 et 210. Paris, 1791.

[9] Sur l'administration de M. Necker, par lui-même, p. 210. Paris, 1791.

[10] Moniteur, séance du 4 février 1790.

[11] Révolutions de France et de Bradant, n° 12.

[12] Révolutions de France et de Bradant, n° 12.

[13] Moniteur, séance du 4 février 1790.

[14] Mémoires de Weber, t. II, chap. IV. — L'auteur était présent : il déclare avoir vu et entendu ce qu'il rapporte.

[15] Révolutions de France et de Brabant, n° 12.

[16] Mémoires de Ferrières, t. I, liv. V.

[17] Mémoires de Weber, t. II, chap. IV.

[18] Mémoires de Weber, t. II, chap. IV.

[19] Mémoires de Weber, t. II, chap. IV.

[20] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. V, chap. VIII.

[21] Séance du 4 février 1790.

[22] Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. IV, p. 445.

[23] Sur l'administration de M. Necker, par lui-même, p. 206.

[24] Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. V, p. 360.

[25] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. IV, chap. VIII.

[26] Révolutions de Paris, n° 32.

[27] Révolutions de France et de Brabant, n° 11.

[28] Révolutions de France et de Brabant, n° 11.