HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME DEUXIÈME

LIVRE PREMIER

 

CHAPITRE VIII. — L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

 

 

Ouverture des états généraux. — Aspect de Versailles. — L'assemblée. — Attitude de Necker. — Incidents tragiques. — Marie-Antoinette et Barnave. — Luttes sur la vérification en commun ; rôles respectifs des communes, du clergé, de la noblesse. — Le parti Malouet. — Robespierre, ses défiances. — Sieyès et Bailly dans la salle des états. — Les gentilshommes campagnards à la cour. — Marche lente et grave des communes ; leurs victoires successives. — Spectacle sinistre à Paris. — Les communes se constituent en assemblée. — Mirabeau chez Necker. — Les curés se réunissent aux communes. — Les communes prennent le nom d'Assemblée nationale. — Double el étrange rôle de Mirabeau. — Frayeurs superstitieuses de Marie-Antoinette. — Necker à Marly. — Séance du jeu de paume ; pourquoi Mounier proposa le serment. — La noblesse abandonne Louis XVI et se tourne vers Marie-Antoinette. — Le parti de la reine. — Le clergé se réunit aux communes. — Projet de Necker rejeté. — Séance du 23 juin ; véritable caractère de cette séance. — Scène de folle ivresse à la cour. — Emeute dans Versailles. — Le club Breton. — La noblesse se rend dans l'Assemblée. — Triomphe définitif de la bourgeoisie.

 

Le 4 mai 1789, le soleil se leva radieux sur la ville de Louis XIV. La France, était à Paris ; Paris était à Versailles. Les états généraux devant s'ouvrir le lendemain, il avait été décidé que par une fête nationale et religieuse, que par de communes prières ; on se préparerait à ce solennel événement. La journée fut resplendissante, l'appareil déployé fut sans égal. Mais ce qui faisait la grandeur du spectacle, ce n'étaient ni les rues inondées de foule et de lumière, ni l'étincelant rideau des baïonnettes, ni les têtes de femmes se pressant aux croisées, ni les riches draperies flottant aux balcons, ni la voix grave du prêtre et le son des cloches montant vers le ciel à travers les fanfares, le roulement des tambours et le commandement des capitaines… non : la véritable, l'imposante nouveauté, c'était le langage qui se parlait dans toute la ville ; c'était l'altération des visages, la fierté des regards, l'orgueil inusité des attitudes, la fièvre des âmes ; c'était la virile et puissante inquiétude d'un peuple que visitait la liberté.

Il y avait, du reste, au fond de l'émotion universelle mille sentiments divers : espérances, regrets, mélancoliques retours, justes colères, ambitions, terreurs, aspirations héroïques et brûlantes. Les uns saluaient de leurs cris l'image de la, patrie sauvée. Une fête aujourd'hui, disaient les autres, et le combat demain.

A l'heure indiquée, les députés des trois ordres partirent de l'église paroissiale de Notre-Dame pour se rendre processionnellement à l'église de Saint-Louis ; et la multitude se précipita sur le passage du cortège. En ce moment deux femmes, madame de Staël et madame de Montmorin, s'entretenaient à une fenêtre. Or, comme la fille de Necker laissait éclater sa joie : Vous avez tort de vous réjouir, lui dit madame de Montmorin, il arrivera de ceci de grands désastres à la France et à nous[1]. Madame de Staël ne put s'empêcher de tressaillir, et, plus tard, elle eut à se rappeler cette circonstance, madame de Montmorin étant morte sur l'échafaud. La procession passa. Les récollets et le clergé de Versailles ouvraient la marche, ayant au milieu d'eux la musique de la chapelle du roi. Suivaient les députés des communes[2]. Ils étaient vêtus de simples manteaux noirs ; mais à la fermeté de leur pas, à leur contenance calme et forte, on voyait assez qu'ils portaient la fortune de la bourgeoisie. Parmi eux on remarquait le député Gérard, figure énergique et franche, front hâlé, cœur d'homme libre sous une veste de paysan breton[3] : il semblait être là pour représenter plus particulièrement le peuple. Venaient ensuite les députés de la noblesse, étalant le luxe de leurs broderies, de leurs plumes blanches, de leurs dentelles ; puis, injurieusement séparés des évêques en rochet et en camail, les plébéiens de l'Église, les curés. Le roi et la reine accompagnaient le saint sacrement qui brillait aux mains de l'archevêque de Paris sous un dais magnifique, dont les comtes de Provence et d'Artois, les ducs d'Angoulême et de Berri tenaient les cordons[4].

De longues et encourageantes clameurs accueillirent l'ordre des communes, parce qu'il était la Révolution ; le duc d'Orléans, parce qu'il affectait de se tenir à distance de la noblesse et qu'il se mêlait aux derniers rangs du tiers ; les tribuns connus ou désignés, parce qu'ils étaient vainqueurs ; le roi parce qu'il était vaincu. Quant à la reine, nul salut populaire ne l'annonça, nul cri d'amour ne la suivit. Et elle, tout émue, mais attentive à couvrir sa douleur, elle s'essayait à braver par des airs dédaigneux la muette insulte, quand on la vit tout à coup pâlir et chanceler[5]. La princesse de Lamballe fut obligée de la soutenir. Marie-Antoinette avait entendu retentir à ses oreilles le cri Orléans à jamais ![6] et saisi, dit-on, dans les yeux de la duchesse d'Orléans, l'éclair du triomphe[7].

Cependant, vers quelles hauteurs ou vers quel abîme ces graves personnages étaient-ils attirés ? Quel emploi ferait-on de la force, une fois conquise, et jusqu'où faudrait-il pousser cette grande aventure ? Mirabeau lui-même l'ignorait, lui qu'on apercevait de partout et qui remplissait la fête, lui qui s'avançait respirant à pleins poumons les orages de l'air, portant avec, insolence son indigne renommée, commandant l'admiration, excitant la surprise, faisant peur. Pour des hommes qui la plupart étaient, ainsi que Mounier et Malouet, passionnément raisonnables[8], il ne pouvait être question de couvrir le sol de ruines. Un seul, dans ce cortège, un seul pressentait alors[9], illuminé qu'il était par sa conviction, les conséquences suprêmes. Or celui-là se trouvait parmi les plus obscurs ; il était de ceux dont les passants demandaient le nom ; et, son maintien rigide écartant tout propos familier, il marchait retiré en lui et comme distrait de l'agitation environnante par le silence de ses pensées.

Arrivés à Saint-Louis, les trois ordres prirent place dans la nef. Le roi et la reine s'assirent sous un dais de velours violet, parsemé de fleurs de lis d'or ; et un chœur de voix mélodieuses ayant chanté l'hymne O salutaris hostia, l'évêque de Nancy parut en chaire. On espérait des paroles vivantes et animées : on écouta d'un cœur impatient une harangue, amplification trop complaisante de cette idée[10] : La religion est la force des États. Un trait, néanmoins, fit sensation. L'orateur s'étant écrié, après une vive peinture des violences du régime fiscal et de la misère des campagnes : Et c'est sous le nom d'un bon roi, d'un monarque juste, sensible, que ces misérables exacteurs exercent leurs barbaries ! des applaudissements éclatèrent de toutes parts[11], malgré l'étiquette, qui ne voulait pas qu'on applaudît en présence du roi, même au spectacle[12]. Mais l'heure était déjà passée des usages vains et des serviles, respects.

Le 5 mai 1789, s'ouvrirent, dans l'avenue du château, les portes de la salle des Menus, vaste enceinte rectangulaire, ornée de deux rangs de colonnes d'ordre ionique et pouvant contenir plus de deux mille spectateurs[13]. Le plafond, percé en ovale, laissait venir le jour à travers un rideau de taffetas blanc. Au fond de la salle, sur une estrade magnifiquement décorée et sous un baldaquin à franges d'or étaient le trône, le fauteuil de la reine, les tabourets des princesses. Au bas de l'estrade, un banc pour les secrétaires d'État, et, devant eux, une table couverte d'un tapis de velours violet. On avait rangé à droite les banquettes destinées au clergé ; à gauche, celles de la noblesse, en face du trône celles des communes. Louis XVI s'était plu à ces arrangements. Lui-même il avait présidé à la disposition des tapis de la Savonnerie et des tentures qui devaient tempérer la clarté du jour. Car, à la veille de tels événements, la pensée de ce roi était aux décorations[14] ou bien encore à étudier, en se récitant le discours d'ouverture, les intonations de sa voix[15].

Une vulgaire insulte adressée au troisième ordre marqua la première assemblée de la Révolution. Introduits par une porte de derrière qu'abritait un hangar[16], les députés des communes furent retenus à l'entrée durant plusieurs heures ; et, tandis qu'après s'être longtemps fait attendre, la royauté, l'Église, la noblesse passaient par la grande porte, eux, resserrés, entassés dans un étroit espace, ils offraient le spectacle d'une bourse de marchands[17].

Entre neuf et dix heures, le marquis de Brézé et deux maîtres des cérémonies commencèrent à placer les députés suivant l'ordre de leurs bailliages. Deux heures se perdirent dans les formalités du cérémonial.

Des gradins en amphithéâtre avaient été réservés à des spectateurs respectueux, à des femmes élégamment parées, public choisi que remplacerait bientôt un public hurlant et souverain. Cependant, conseillers d'État, gouverneurs, lieutenants généraux des provinces venaient successivement se ranger au milieu de l'enceinte du parquet. A côté des ministres de robe et des ministres d'épée on distinguait M. Necker, le seul de tous ces personnages qui se trouvât en habit de ville[18]. Il fut vivement applaudi. Le duc d'Orléans le fut deux fois, et lorsqu'il entra confondu avec les députés de Crespy en Valois, et lorsqu'on le vit insister pour faire prendre le pas sur lui au curé de sa députation[19]. Mais, à l'aspect du comte de Mirabeau, des murmures s'élevèrent[20]. Lui, d'un air méprisant, dominateur, et la tête rejetée en arrière, il traversa la salle en homme qui connaissait la puissance de ses vices. Lorsque, suivi de la reine, des princes et des princesses, le roi parut, toute l'assemblée se leva et se répandit en acclamations. Louis XVI était revêtu du grand manteau royal ; il portait un chapeau à plumes dont la ganse étincelait de diamants et dont le bouton était le Pitt[21]. Il fut d'abord attendri de l'accueil qu'il recevait ; mais quand tous furent redevenus silencieux, immobiles, et qu'en face de lui il aperçut les visages fermes et sévères de ceux des communes[22], il se troubla. On entendit Mirabeau dire à ses voisins, en montrant le roi, que tant de splendeur environnait : Voilà la victime[23]. La reine, de son côté, était tremblante et pâle.

Ayant levé son chapeau et s'étant recouvert, Messieurs, dit Louis XVI, ce jour que mon cœur attendait depuis longtemps est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentants de la nation à laquelle je me fais gloire de commander. Un long intervalle s'était écoulé depuis les dernières tenues des états généraux, et quoique la convocation de ces assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle source de bonheur. Exiger d'un roi qu'il pousse lui-même à ces commotions par où les royautés périssent, c'est trop demander à la nature humaine : en exprimant quelques craintes sur l'inquiétude générale des esprits et le désir exagéré d'innovations, Louis XVI était dans son rôle. Son tort ici ne pouvait être que celui de sa situation et de son principe. Il ajouta, du reste, qu'on devait espérer de ses sentiments tout ce que le plus tendre intérêt au bonheur public était de nature à inspirer, tout ce qu'il était permis d'attendre d'un souverain, le premier ami de ses peuples. On remarqua que, pendant le discours de Louis XVI, la reine, très-simplement vêtue ce jour-là se tint debout, dans l'attitude de l'émotion et du respect[24].

Le roi ayant cessé de parler, les députés du clergé de la noblesse se couvrirent. Aussitôt, les communes les imitèrent, et l'on put juger ainsi combien l'on était loin du temps où les représentants du tiers se mettaient à genoux devant le prince[25]. Pour calmer l'agitation née de cette légitime et menaçante nouveauté, Louis XIVI dut se découvrir lui-même.

Le garde des sceaux Barentin prit alors la parole, et dans un discours dont la première partie était consacrée à des flatteries sans dignité, il rappela les circonstances qui avaient amené la convocation des états généraux. On ne l'entendit point à cause de la faiblesse de son organe, et son langage, d'ailleurs, n'était pas fait pour entraîne l'approbation de l'assemblée. Toutefois, il prononça des paroles que l'histoire doit recueillir, parce qu'elles témoignent de l'influence universellement exercée par la philosophie du dix-huitième siècle : Les vices et l'inutilité méritent seuls le mépris des hommes, et toutes les professions utiles sont honorables, soit qu'on remplisse les fonctions sacrées du ministère des autels, soit qu'on se voue à la défense de la patrie dans la carrière périlleuse des combatssoit qu'on soumette à son crédit aux spéculations d'un génie actif, prévoyant, calculateur les richesses et l'industrie des divers peuples de la terre, soit qu'en exerçant cette profession, mise enfin à sa place dans l'opinion des vrais sages, on féconde les champs par la culture, ce premier des arts auquel tient l'existe de l'espèce humaine ; tous les citoyens, quelle que soit leur condition, ne sont-ils pas les membres d'une même famille ? Si l'amour de l'ordre et la nécessité assignèrent des rangs qu'il est indispensable de maintenir dans un monarchie, l'estime et la reconnaissance n'admettent pas ces distinctions et ne séparent point des professions que la nature réunit par les besoins mutuels des hommes[26].

Aux derniers états généraux, l'orateur de la noblesse avait osé dire, avec approbation de la cour : Il y a autant de différence entre nous et le tiers comme entre le maître et le valet[27]. Maintenant, le garde des sceaux Barentin semblait mettre, dans l'estime et la reconnaissance publique, le laboureur à côté du gentilhomme.

Cependant Necker s'était levé, et l'assemblée était devenue attentive. Il exposa d'abord avec gravité, mais beaucoup trop longuement, la situation des finances ; les détails du déficit, dont il porta le chiffre à cinquante-six millions ; les efforts tentés déjà les mesures à prendre, les ressources à mettre en action, les forces administratives à féconder. En termes nobles et expressifs, il rassura les esprits sur le danger d'une banqueroute. Il plaça en tête des réformes que les états généraux devaient accomplir l'égale répartition des charges publiques, demandant qu'on abolît pour toujours jusqu'au nom des impôts qui conserveraient les vestiges d'une désunion dont il était si pressant d'effacer la mémoire[28]. Mais quoi ! n'avait-on convoqué la nation si solennellement que pour lui donner des chiffres à discuter ? C'est ce que Necker n'eut garde de prétendre. Ce serait considérer, dit-il, les états généraux d'une manière bien limitée, que de les voir seulement sous le rapport de la finance, du crédit, de l'intérêt de l'argent. On aime à le dire, on aime à le penser, ils doivent servir à tout, ces états généraux ; ils doivent appartenir aux temps présents, aux temps à venir. Et, s'élevant peu à peu jusqu'à ces hauteurs où le génie de la France lui paraissait se confondre avec le génie même de l'humanité : Un jour viendra peut-être, messieurs, s'écria-t-il, où vous étendrez plus loin votre intérêt ; un jour viendra peut-être où, associant à vos délibérations les députés des colonies, vous jetterez un regard de compassion sur ce malheureux peuple dont on a fait tranquillement un barbare objet de trafic ; sur ces hommes semblables à nous par la pensée et surtout par la faculté de souffrir ; sur ces hommes cependant que, sans pitié pour leurs douloureuses plaintes, nous accumulons, nous entassons au fond d'un vaisseau pour aller ensuite à pleines voiles les présenter aux chaînes qui les attendent[29]. Quant à la question, si importante alors, de savoir si l'on voterait par ordre ou par tête, Necker ne l'abordait qu'en tremblant et semblait plus occupé de la tourner que de la résoudre. N'était-il pas convenable de laisser au moins les deux premiers ordres décider, séparément, l'abandon de leurs privilèges pécuniaires ? Pourquoi leur enlever l'honneur de cette renonciation volontaire et généreuse ? Car enfin, de pareils actes de justice n'étaient pas communs, et l'histoire n'en présentait pas d'exemple[30]. Une fois ce sacrifice accompli, les ombrages des uns dissipés, les plaintes des autres apaisées ou éteintes, on arriverait sans doute à comprendre que certains objets veulent être soumis à une délibération séparée, et qu'il en est, au contraire, à l'égard desquels la délibération en commun est préférable.

Ainsi parla Necker.

On s'était attendu au programme d'une révolution ; et Necker présentait un mémoire. On avait espéré que franchement, énergiquement, au nom du peuple, au nom du roi, il prescrirait la délibération en commun, et il venait proposer qu'on s'en rapportât, d'abord, à la bonne volonté des deux premiers ordres. Les députés des communes se montrèrent surpris et presque irrités. Ils reprochèrent au ministre le dogmatisme de son langage, condamné par la timidité de ses vues ; l'indiscrète exagération de ses ménagements ; d'avoir laissé indécise une question qu'il fallait trancher, et de n'avoir point posé les bases d'une constitution nouvelle. Mirabeau fit de son journal l'écho des plus vives colères. Il nia le génie financier du ministre en ces termes : Voilà nos ressources hypothéquées sur la foi et sur l'espérance, à condition que nous ferons la charité[31]. Et relevant le tour vulgaire de ses sarcasmes par l'invective, incriminant la confiance de Necker en la générosité des nobles et des prêtres, il poussa ce cri que Versailles, que Paris répétèrent : Il n'y a pas de générosité à être juste[32].

Qu'y avait-il de fondé en de tels reproches ?

Faire une constitution, Necker l'aurait dû sans doute, si, placé dans l'isolement de la toute-puissance, il eût été seul responsable de l'avenir. Mais la nation venait de monter en scène ; à elle désormais de pourvoir à son destin. Là ne fut donc point le tort de Necker.

Son vrai tort, ce fut de n'avoir pas décidé, par voie d'initiative, que les trois ordres vérifieraient leurs pouvoirs en commun et formeraient, dès l'origine, une même assemblée. Que craignait-il ? l'opinion publique le soutenait. Porté par le cours naturel des idées et des choses, il eût aisément triomphé des résistances de la cour, et prévenu de la sorte entre les trois ordres une scission que chacun prévoyait. Mais il manqua de résolution, précisément lorsque, plus que jamais, elle était nécessaire. Ses amis le pressaient de décréter l'union, au lieu de l'implorer il s'y refusa en montrant la cour ; MM. de Saint-Priest et de Nivernais, ses collègues, voulaient la vérification préalable par le garde des sceaux[33] : il s'y refusa en montrant le peuple. Il eut peur d'échouer s'il s'engageait. Ce fut sa vanité qui lui défendit l'audace ; sa personnalité s'enveloppa de modération ; et il ne fut point homme d'État, pour avoir trop désiré de le paraître.

Oh ! certes, si les nobles, si les prêtres n'avaient pas été aveugles au point de transformer en droits les abus dont ils jouissaient, il y aurait eu quelque habileté et quelque grandeur à charger de la destruction du privilège les privilégiés eux-mêmes, à les intéresser moralement au succès de leurs propres adversaires, à leur créer cette alternative enfin, ou d'honorer leur défaite, ou de l'avilir. Mais, de la part des deux premiers ordres, le sacrifice des abus du passé ne pouvait être, — on le verra plus tard, — que l'effet d'une ivresse passagère, en attendant l'empire de la justice.

Étranges accidents de l'histoire ! il avait été arrêté, à la cour, qu'on s'occuperait de disposer quatre salles : trois pour les trois ordres, une pour les réunions d'apparat. Gardons, s'étaient dit les ministres, gardons que les communes ne s'établissent dans l'enceinte consacrée à la séance d'ouverture. Où serait le centre apparent de la représentation nationale, là en seraient bientôt, aux yeux du peuple, et le cœur et la vie. Ne laissons pas les communes remplir la demeure des états, en devenir l'image. Les salles, furent désignées, M. de Saint-Priest s'étant chargé de ce soin. Mais, une des salles était un manège, que l'administration des écuries ne voulut point céder[34] ; la combinaison manqua. Ainsi, la royauté se trouvait réduite à mettre au nombre de ses chances de salut l'acquisition d'un manège ; et cette royauté qui avait tant abusé des ressources du pouvoir absolu, la voilà qui maintenant s'arrêtait devant un refus de l'administration des écuries !

Le 6 mai, de grand matin, on lisait dans Versailles le placard suivant : DE PAR LE ROI. — Sa Majesté ayant fait connaître aux députés des trois ordres l'intention où elle était qu'ils s'assemblassent aujourd'hui 6 mai, les députés sont avertis que le local destiné à les recevoir sera prêt à neuf heures du matin.

L'ordre serait-il exécuté ? les privilégiés consentiraient-ils à se réunir aux communes, pour procéder avec elles à l'opération préliminaire, celle de la vérification des pouvoirs ? Immense question, et qu'on jugeait décisive ! Car la vérification des pouvoirs conduisait invinciblement, si elle avait lieu en commun, au vote par tête ; et le vote par tète c'était, grâce au doublement du tiers, le triomphe certain de la Révolution.

Les membres des communes se rendent au lieu indiqué. Ils attendent. Le clergé, la noblesse ne paraissent pas. Alors, dans cette réunion d'hommes rassemblés de lieux divers, encore inconnus l'un à l'autre, tous libres, tous égaux, tous menacés, une vive agitation se manifeste. Les cris se mêlent, les propositions se croisent[35]. Les plus ardents déclarent que, sans tenir compte d'une dissidence sacrilège, il faut se constituer en Assemblée nationale. Quelques-uns demandent que les voies de la conciliation soient tentées. Mais se constituer en assemblée nationale, c'était tout précipiter. Nommer une députation, c'était imprudemment reconnaître la distinction des ordres. Cependant, des voix graves se sont élevées ; elles recommandent la patience, vertu des forts ; et l'on entend retentir ce mot que Necker avait prononcé la veille : Ne soyons pas envieux du temps. Peu à peu l'effervescence tombe, le tumulte s'apaise. On décide que, la vérification des pouvoirs n'étant pas faite, les communes se considéreront comme une simple agrégation d'individus présentés pour les états généraux ; et l'on pousse le respect du principe jusqu'à refuser d'ouvrir des lettres remises dans la salle, à l'adresse du tiers état[36]. Il était deux heures et demie, lorsqu'une émouvante nouvelle se répand : l'ordre du clergé et celui de la noblesse venaient de se prononcer pour la vérification séparée des pouvoirs, le premier à la majorité de cent trente-trois contre cent quatorze, le second à la majorité de cent quatre-vingt-huit contre quarante-sept[37]. C'était la lutte qui commençait. Quelle en serait l'issue ? Bien résolue à ne pas fléchir, l'assemblée des communes s'ajourna au lendemain, qui la revit en effet rendue à son poste, inébranlable dans son droit, et pleine de calme, de puissance, de majesté.

Au château, l'on se partageait entre l'inquiétude et la colère. Le soir de la procession des états généraux, Marie-Antoinette étant rentrée le désespoir sur le visage, sa douleur, trop longtemps contenue, s'était échappée en de tels transports que ses bracelets rompirent[38]. Durant plusieurs heures elle fut en proie à d'effrayantes convulsions, et, pour l'aider à respirer, les dames de service durent couper ses robes. Ce même soir, un jeune député du tiers, Barnave, qui allait s'annoncer avec beaucoup d'éclat et que les grâces de la reine avaient touché, lui fit offrir ses services par la princesse de Lamballe, promettant un appui dévoué si l'on savait se résigner à une monarchie constitutionnelle. Marie-Antoinette interrompit la princesse et s'emporta[39]. Elle croyait toujours les voir, ces visages sombres qu'une fête lui avait montrés ; et ce cri d'Orléans à jamais ! dont on lui avait réservé l'injure, elle l'entendait encore dans ses souvenirs. Laisserait-on le péril s'accroître, laisserait-on se réaliser la menace ? Il se tint chez madame de Polignac d'ardents conciliabules où meneurs de la noblesse et meneurs du clergé vinrent s'encourager à la résistance. Le lien moral que les journaux nouaient entre Versailles et Paris était un premier obstacle à écarter : on n'hésita point ; un arrêté du conseil supprima la feuille des États généraux, dont un seul numéro avait paru, et fit défense d'en publier la suite. Violence tardive ! Mirabeau redoubla d'audace ; sous le titre de Lettres à mes commettants, il continua l'œuvre commencée ; l'Hôtel de Ville de Paris protesta[40] ; l'opinion publique défendit ce qui était son royaume : la cour recula d'effroi. Il y avait, au surplus, bien d'autres moniteurs que les feuilles publiques ! Chaque parole partie de la salle des états était prolongée par les échos du Palais-Royal, des clubs, des faubourgs ; et, de Versailles à Paris, les routes se couvraient de nouvellistes volontaires, qui allaient et venaient sans cesse, conducteurs haletants de l'électricité révolutionnaire.

L'altitude prise par les membres des communes leur interdisait les démarches de nature à constater la division des ordres. Aussi s'étaient-ils abstenus soigneusement de tout ce qui aurait pu donner à leur réunion le caractère d'une chambre constituée. Ils autorisèrent néanmoins douze d'entre eux à se rendre auprès des nobles et des prêtres, mais en qualité d'intermédiaires bénévoles seulement et non comme députés[41].

Quelque incertain que fût le sens de cette ouverture, le clergé la reçut avec joie. Alarmés des sympathies secrètes qui faisaient pencher tant d'honnêtes curés vers la cause populaire, les princes de l'Église tremblaient d'être sans armée s'ils risquaient le combat. De sorte que le rôle de médiateurs se trouva convenir à la fois et à leurs fonctions sacerdotales et à leur habileté. Le clergé ne se borna donc point à nommer des commissaires conciliateurs, il pressa la noblesse d'en faire autant, et, par suite de ces instances, une députation de gentilshommes se présentait, le 15 mai, aux communes[42]. Mais quel fut l'étonnement de l'assemblée, quelle fut son indignation, lorsque après avoir dit : Messieurs, nous avons l'honneur de vous apporter les arrêtés pris par l'ordre de la noblesse ; vous y verrez le désir qu'il a d'entretenir l'union fraternelle[43], le duc de Praslin lut à haute et impérative voix une série d'arrêtés portant que la noblesse avait jugé à propos de vérifier séparément ses pouvoirs ; qu'elle s'était constituée en chambre particulière ; que, si elle avait consenti à élire des commissaires conciliateurs, c'était sur l'invitation du clergé et par pure déférence. On se récria de tous côtés sur ce qu'une communication pareille avait d'offensant. Quoi ! la noblesse paraissait faire grâce aux autres ordres, en voulant bien descendre à se concerter avec eux ! Et elle venait dérisoirement parler d'union fraternelle, lorsque elle-même énumérait les actes qui tendaient à rendre l'union impossible ! Mirabeau s'emporta en railleries amères. Puisque les nobles avaient eu le droit de vérifier leurs pouvoirs séparément, de se constituer à part, qui les empêchait d'aller en avant, de faire une constitution, de régler les finances, de promulguer des lois ? Vingt-quatre millions d'hommes valaient-ils qu'on les comptât ? Les nobles n'étaient-ils pas la France ?[44] Et ici Mirabeau ne faisait qu'exprimer les sentiments qui, à la lecture des arrêtés de la noblesse, s'étaient emparés de l'assemblée des communes. Elle se contint toutefois ; et son doyen répondit d'un ton grave à la députation des nobles[45] : Nous ne sommes pas constitués. Nous nous occuperons des moyens de conciliation qu'on nous propose.

Toute révolution trouve, à son début, des hommes qui la servent débile encore et médiocre, mais qui cherchent à l'entraver aussitôt qu'elle se fortifie, qu'elle s'agrandit, qu'elle menace de devenir sublime. De ces hommes furent Mounier et Malouet. Le premier déjà s'interrogeait avec anxiété sur les suites. Le second essaya, dès lors, de glacer le mouvement. Effrayé du calme indomptable des communes, effrayé des airs hautains de la noblesse, Malouet ne craignit pas d'inviter la force à prendre l'attitude suppliante de la faiblesse. Il rédigea un projet de déclaration où il était dit : ... Nous devons et désirons ardemment nous réunir à nos codéputés du clergé et de la noblesse. Nous espérons de leur patriotisme et de toutes les obligations qui leur sont communes avec nous, qu'ils ne différeront pas plus longtemps de mettre en activité l'assemblée nationale. Nous en sommes d'autant plus impatients, que nous sommes affligés de n'avoir pu rendre encore au roi, par une députation des états généraux, les remercîments respectueux, les vœux et les hommages de la nation. Nous déclarons formellement être dans l'intention de respecter et n'avoir aucun droit d'attaquer les propriétés et les prérogatives honorifiques du clergé et de la noblesse[46]... Quel accueil les communes feraient-elles à un projet où le niveau des sentiments et du langage était à ce point abaissé ? Malouet eut des doutes à cet égard ; car, avant de risquer sa motion, il crut devoir consulter un personnage qui ne faisait point encore partie de la représentation nationale, mais qui avait la main dans les événements et qu'une mélancolie sauvage, une énergie concentrée, une parole sentencieuse et sobre conduisaient au rôle de la profondeur. Ce personnage, c'était le fameux abbé Sieyès. Il applaudit au respect de Malouet pour les propriétés des deux premiers ordres, mais il lui conseilla de se taire sur les prérogatives honorifiques. Auriez-vous donc, s'écria Malouet surpris, le dessein de détruire la noblesse ?Oui, certainement. — Et vos moyens ?Nous en trouverons. Il faut au moins placer des jalons. Ce que nous ne pourrons faire, nos successeurs l'exécuteront[47]. Ainsi, détruire la noblesse eût été l'affaire de la génération à venir : et voilà ce que pensait alors, ce que disait Sieyès, l'homme aux combinaisons sûres, le calculateur vanté !

Malouet présenta sa motion aux communes, qui la rejetèrent.

Il fallait pourtant prendre un parti. Le clergé, la noblesse avaient élu des commissaires conciliateurs : il s'agissait de savoir si, à leur tour, les communes en désigneraient. C'est ce que proposa, le 14 mai, Rabaut Saint-Étienne, ministre protestant de Nîmes, à condition néanmoins qu'on ne se départirait pas des principes de l'opinion par tête et de l'indivisibilité des états généraux[48]. Mais tant de réserve parut une humiliation ou un péril à Le Chapelier, député de Rennes. Il n'y avait plus, suivant lui, qu'à faire énergiquement, péremptoirement, la déclaration suivante : Les députés des communes ne reconnaîtront pour représentants légaux que ceux dont les pouvoirs auront été examinés par des commissaires nommés en assemblée générale... chaque député ne pouvant recevoir que d'elle seule la sanction qui le constitue membre des états généraux[49]. C'était couper court aux tergiversations, et si l'appel à l'unité n'était pas entendu, jeter le gant du combat. L'assemblée s'agite, elle se partage. Un petit nombre se range autour de Le Chapelier ; la plupart sont pour Rabaut Saint-Etienne. Un député d'Arras, Maximilien Robespierre, se lève alors, et, désespérant de voir adopter la vigoureuse motion de son collègue de Rennes, il adjure l'assemblée de s'abstenir du moins à l'égard des nobles d'une démarche dont triompherait leur orgueil, et de ne s'adresser qu'à l'ordre où se trouvaient, à côté de prélats superbes, les modestes et populaires confesseurs de l'Évangile[50]. Robespierre avait rédigé son projet : il demande qu'on en délibère. Mais son influence était si bornée, sa voix avait si peu d'empire, qu'on dédaigna d'opiner sur l'avis qu'il venait d'ouvrir[51]. La motion de Robespierre était donc étouffée, quand Mirabeau s'en empara et en fit le texte d'un discours brûlant que résumaient ces mots : Envoyez au clergé, messieurs, et n'envoyez point à la noblesse ; car la noblesse ordonne et le clergé[52]. Le 18 mai, après quatre jours de débats, l'opinion de Rabaut Saint-Étienne l'emportait[53]. Une commission, dont il fit lui-même partie, fut aussitôt, nommée : on y trouvait Barnave, on y cherchait Mirabeau.

Les conférences commencèrent donc. Et les députés de la noblesse choisirent ce moment pour annoncer qu'ils renonçaient à leurs privilèges. Mais, de leur part, c'était moins un élan qu'un calcul. Bien résolus à ne rien céder sur la question décisive du vote en commun, ils voulaient couvrir de l'éclat d'un sacrifice patriotique ce qu'avait de périlleux leur isolement obstiné. Il est juste d'ajouter que ce sacrifice était commandé à beaucoup d'entre eux par leurs cahiers mêmes[54], et qu'il répondait aux sentiments généreux de la minorité des gentilshommes. Les conférences furent de courte durée : on ne put s'entendre ; et le 26 mai, sur la proposition du duc de Villequier[55], la chambre de la noblesse rompit brusquement les négociations. La lutte s'envenimait.

De leur côté, les communes n'étaient pas sans ressentir comme un sourd ébranlement de passions contraires. Observateur encore obscur des hommes et des choses, déjà Robespierre cherchait à deviner les transfuges, et il les marquait en silence au fond de son cœur. Dans les lettres qu'il écrivait aux plus intimes confidents de ses pensées, il signalait déjà les desseins de Malouet, artisan dangereux du triomphe exclusif de la bourgeoisie, et il se réjouissait du déclin des réputations qui n'étaient pas une force pour le peuple : celle de Target et de Mounier par exemple. Mirabeau, il le craignait peu ; lui sachant un caractère capable de ces défaillances où le génie perd toute autorité sinon tout éclat. Il y aurait des divisions, certainement ; des trahisons, peut-être. Mais Robespierre se rassurait en apercevant autour de lui plus de cent citoyens disposés à mourir pour la patrie[56].

Du reste, les dissidences au sein des communes n'avaient alors rien que de très-vague, et elles n'empêchaient pas le tiers de croître, à l'égard de la noblesse, en confiance et en fierté. Tout le servait d'ailleurs. L'amour de la concorde lui donnait pour auxiliaires, dans la chambre du clergé, des prêtres tels que les curés Ballard, Jallet, Dillon, Grégoire. Le sentiment de la justice uni au goût de la popularité lui valait pour soutiens, dans la chambre des nobles, une minorité où figuraient le duc d'Orléans, Alexandre et Charles de Lameth, Lafayette, le marquis de Castellane, le comte de Crillon, le comte de Montmorency. Parmi les femmes de la cour, plusieurs, et des plus spirituelles, des plus influentes, faisaient d'un essai de patriotisme l'occupation de leurs loisirs ; on citait[57] mesdames de Staël, de Coigny, de Castellane, d'Aiguillon, de Luynes, comme assistant aux séances des communes, donnant des dîners politiques, parlant constitution, inspirant des brochures, et entretenant l'ardeur plébéienne. Enfin, Paris achevait de nommer ses représentants : secours impatiemment attendu. Et en effet, ce fut le 25 mai[58] qu'on vit entrer dans la salle des états les vingt députés nouveaux que la capitale envoyait. Or, parmi eux, l'abbé Sieyès et Bailly. Le premier arrivait sombre, taciturne et résolu. Le second fut saisi, en abordant la salle des états, d'une émotion mêlée d'embarras et de respect. Portant l'habit noir, le manteau, la chevelure longue, la cravate, costume d'étiquette que beaucoup déjà commençaient à abandonner, Bailly s'avança d'un air timide, regrettant un peu son importance de l'Hôtel de Ville, et semblable, il l'a confessé naïvement lui-même[59], à un fils de famille qui, de la maison paternelle, où il était l'objet de mille soins, passe tout à coup dans le grand monde, où l'on ne prend pas garde à lui. Mais il avait des vertus qu'on allait bientôt saluer en sa personne : de la modération, de la fermeté. C'étaient les vertus de l'heure présente.

Les communes ne pouvaient donc fléchir. Mais à leur patient, à leur inébranlable vouloir la noblesse opposait les violences de l'orgueil irrité. Elle suivait avec un emportement hautain la route que lui traçaient le long des abîmes d'Esprémesnil, Lacqueille, Bouthillier et un jeune capitaine de cavalerie, anobli depuis vingt-cinq ans[60], l'impétueux Cazalès. Les plus après, c'étaient précisément les gentils hommes campagnards, parce que la rouille de leurs préjugés natifs ne s'était point perdue au contact des grandes villes, et que la cour tenait en réserve, pour séduire leur inexpérience, une foule de riens vantés : un sourire familier du comte d'Artois, un semblant de confidence, l'honneur de paraître au coucher du monarque, la faveur d'être admis au jeu de la reine[61]. A vous la gloire de sauver la monarchie ! leur disait-on ; et on les enivrait d'imprudence.

Seul, par conséquent, le clergé offrait prise à une dernière tentative de conciliation. Car les dignitaires de l'Église s'efforçaient en vain de faire descendre Dieu dans leur querelle ; beaucoup de curés se rappelaient que leur Christ était fils d'un charpentier, ils se sentaient enfants du peuple.

Aussi les communes prirent-elles le parti, avant d'en venir aux ressources de la puissance, d'adresser au clergé une invitation fraternelle, suprême. Et ce fut vraiment un beau spectacle, quand, le 27 mai, Target, suivi de quelques-uns de ses collègues, alla dire aux prêtres rassemblés : Nous vous adjurons, au nom du Dieu de paix, de vous réunir à nous. Ce n'était plus, cette fois, à l'appui d'une misérable vanité de caste qu'on invoquait le Seigneur : on prenait à témoin l'Être en qui réside l'unité de la famille humaine. Les humbles desservants des églises de village furent attendris ; des larmes coulèrent ; un cri se fit entendre : Partons à l'instant même. Mais les prélats de cour objectèrent la nécessité d'agir gravement, de réfléchir ; et, sous l'inspiration de leur menteuse sagesse, l'ordre répondit[62] : La proposition de MM. des communes exige un sérieux examen : le clergé va s'en occuper. Les communes attendirent jusqu'au soir : elles attendirent inutilement.

Alors fut ourdie la plus criminelle des intrigues. Pour prévenir l'alliance des communes et des curés, les meneurs du parti contre-révolutionnaire entourent Louis XVI ; ils l'encouragent à intervenir ; ils lui conseillent d'ordonner là reprise des conférences entre les commissaires des trois ordres, mais en présence du garde des sceaux et de commissaires nommés par le gouvernement. C'était recommencer une expérience qui n'avait abouti qu'à aigrir les âmes ; c'était, sous couleur de conciliation, raviver la discorde[63]. Louis XVI se rendit, soit complicité, soit faiblesse ; et une lettre dans laquelle il exprimait son désir fut remise aux trois ordres.

L'obéissance du clergé fut prompte et sans réserve. Mais, pour que les conférences qui allaient être reprises fussent nécessairement stériles, les agitateurs de la noblesse s'étudièrent à l'engager par- une décision irrévocable[64]. Le veto respectif des trois ordres l'un sur l'autre n'était-il pas le palladium de la liberté, une garantie de la paix, une sauvegarde pour le trône ? Voilà ce que développèrent avec une insistance passionnée d'Entraigues, Bouthillier, Cazalès ; et ils pressèrent les nobles de prendre un parti énergique, décisif. La majorité les suivit, et on déclara que la délibération par ordre et la faculté d'empêcher, qui appartenait divisément à chacun d'eux, étaient constitutives de la monarchie[65]. Mais aussitôt plusieurs gentilshommes protestèrent. Le comte de Montmorency, le chevalier de Mantelle, le baron d'Haranbure, le duc de Luynes, le marquis de Lancosme, s'élevèrent contre un arrêté, contraire, disaient-ils, aux sentiments conciliateurs manifestés dans la lettre du roi. MM. Cypierre et Sinety se rejetèrent sur leur mandat, qui prescrivait l'opinion par tête. Le marquis de Castellane déclara que tous ses vœux étaient pour la réunion. Le comte de Grillon dit qu'il pensait avoir été député aux états généraux, dans le but de donner une constitution à la France, chose impossible si l'on admettait le veto d'un des ordres sur l'autre. Le duc d'Orléans, le comte de Croix, le comte Charles de Lameth s'étonnèrent d'un arrêté qui condamnait des commissaires conciliateurs à ne rien concilier[66]... Vaines protestations ! la majorité passa outre.

L'arrêté de la noblesse rendait d'avance et bien évidemment illusoires les conférences nouvelles. Cependant, les communes consentirent à les reprendre, par déférence au désir de Sa Majesté[67]. Elles élurent Bailly président sous le nom de doyen, et décidèrent qu'une députation solennelle irait présenter au roi les hommages respectueux de ses fidèles communes, les assurances de leur zèle, de leur amour pour sa personne sacrée et la famille royale, et les sentiments de la vive reconnaissance dont elles étaient pénétrées pour les tendres sollicitudes de Sa Majesté sur les besoins de son peuple[68]. Ainsi s'exprimaient les communes le 29 mai 1789, trois ans et huit mois avant la tragédie du 21 janvier.

Or, tandis qu'elles enveloppaient leur pensée dans les formules du servilisme ancien, la cour ne songeait qu'à les humilier. Quand Bailly alla demander au garde des sceaux Barentin que la députation des communes fût admise auprès du roi, le ministre ne craignit pas d'avouer qu'il y avait à cela une difficulté grave. Pouvait-on souffrir que l'orateur du tiers parlât au roi sans se mettre à genoux ? Au moins fallait-il qu'une attitude plus soumise servît à marquer, à l'égard des deux premiers ordres, l'infériorité du troisième. Ce n'est pas, ajouta le garde des sceaux, qu'on veuille insister sur un vieil usage qui blesse le tiers état et que le roi n'a pas l'intention d'exiger. Cependant, si le roi le voulait ?... — Et si vingt-cinq millions d'hommes ne le veulent pas ? interrompit froidement Bailly[69]. Bailly en était à sa seconde demande d'audience, et, la veille du jour où cette scène avait lieu, Louis XVI avait perdu son fils aîné. De là mille bruits odieux, mensongers, que la haine des courtisans se plut à répandre. On raconta que Bailly avait voulu forcer la porte du roi ; qu'il avait troublé par une obstination cruelle la plus inviolable des douleurs ; que Louis XVI en avait été réduit à s'écrier : Il n'y a donc point de pères dans cette chambre du tiers ![70] Le Dauphin que la mort venait d'enlever était un frêle enfant, caduc et triste avant l'âge. Les jours dorés de Trianon avaient fui sans retour. Frappée comme mère, menacée comme reine, Marie-Antoinette tomba dans une mélancolie profonde, et ce fut alors que ses cheveux blanchirent[71].

La situation se prolongeait ; elle ne paraissait pas se développer. La reprise des conférences avait eu le résultat prévu : de vains débats, un redoublement d'aigreur, une irritation qui couvait la guerre. Necker proposa aux trois ordres de vérifier séparément les pouvoirs et de se donner communication réciproque du résultat, sauf, en cas de dissentiment, à recourir au roi. Mais dans ce prétendu plan de conciliation, les uns ne virent qu'une atteinte il leur fierté, les autres qu'un piège. Tout en y accédant, la noblesse déclara s'en référer à ses précédents arrêtés ; et les communes prirent texte de cette imprudente restriction pour refuser, en rejetant sur les nobles le tort du refus[72].

Il était temps de vaincre. Paris grondait. Contemplée d'un peu loin, la marche lente et grave des communes ressemblait trop à l'immobilité. Le peuple soutirait, d'ailleurs ; le pain était cher ; et si la bourgeoisie n'avait à demander aux états généraux que la liberté, le peuple avait à leur demander le droit de vivre. Lorsque, le 19 mai, les fruitières orangères et autres dames de la halle étaient allées à l'Hôtel de Ville complimenter les électeurs, elles n'avaient pas manqué de leur crier : Pensez au peuple, messieurs ! Et qu'avaient répondu les électeurs ? Que c'était précisément des intérêts populaires qu'on s'occuperait aux états généraux, et que les dames de la halle avaient dans l'assemblée du tiers état des défenseurs, des amis, des frères[73]. Et pourtant, les pauvres continuaient à se lamenter ; le pain continuait à être cher. Nul doute que la conduite des communes ne fût savamment calculée, aussi ferme que sage, telle enfin que les circonstances l'exigeaient : avant d'aviser à féconder la victoire, il fallait vaincre. Mais la passion ne compte pas les obstacles, et la faim n'attend pas. D'autant qu'un arrêt venait d'être prononcé, dont la bourgeoisie ne s'inquiéta nullement, et qui fit sur le peuple une impression sinistre. Des hommes arrêtés dans une récente émeute qu'avait excitée une question de salaire, furent condamnés, par délibération du conseil, jugement prévôtal et en dernier ressort, à une peine faite pour parler vivement à l'imagination de la multitude. Placés sous la garde du bourreau, ils furent conduits à travers la ville, pieds nus, en chemise, la corde au cou et portant sur la poitrine un écriteau infamant, jusqu'à la principale porte de la cathédrale de Paris. Et là ils durent confesser, à genoux, une torche ardente de cire jaune à la main, le crime de la misère changée en fureur[74].

Les meneurs de l'ordre du clergé résolurent de tirer parti de ces sombres circonstances. Ils annoncèrent bruyamment qu'ils allaient s'occuper de la cherté des grains, et ils invitèrent ceux du tiers à prendre souci, à leur tour, des douleurs publiques. Les communes comprirent ce que la démarche avait d'insidieux : elles répondirent qu'aviser à adoucir les souffrances du peuple était un devoir, mais que la question voulait être résolue dans la salle commune.

Encore un semblable échange d'artifices, et la limite qui existe entre la prudence et la dignité se trouvait dépassée : Sieyès frappa le grand coup. Le 10 juin, l'assemblée, instruite d'avance, se tenait dans une attente solennelle. Sieyès se lève au milieu d'un profond silence, il propose d'adresser aux deux autres ordres une dernière sommation, en les prévenant que l'appel des bailliages aurait lieu dans une heure et qu'il serait donné défaut contre les non-comparants. On met aux voix la proposition, après en avoir mitigé l'âpre formule[75] ; on l'adopte. C'était la Révolution même.

Et le soir de cette journée féconde, Mirabeau montait mystérieusement l'escalier de Necker[76], la tête perdue en d'étranges pensées. Empêcherait-il le fleuve de déborder, lui que le démon familier de Caius Gracchus agitait ? Laisserait-il la royauté périr, lui à qui le régime des cours permettait de vivre éperdu dans le vice ? S'il avait besoin de la place publique pour son génie, il avait besoin de la monarchie pour la corruption de son cœur. Ainsi combattu, plein de violence, plein d'épouvante, et succombant enfin aux contradictions de sa nature puissante et misérable, il s'était amoindri jusqu'à solliciter un entretien secret de ce ministre genevois contre lequel il épuisait, la veille encore, toutes les imprécations de la haine, toutes les formes du mépris. Necker reçut avec une froideur insultante[77] celui qu'on appelait à la cour le comte plébéien. Voyons, lui dit-il d'une voix impérieuse et brève, quelles sont vos propositions ? Chez Mirabeau, l'étonnement ne fut jamais que de la colère : il s'emporta, il sortit, se promettant d'attirer Necker à la tribune et de l'y écraser.

Le 13 juin, l'Assemblée s'occupait de la vérification des pouvoirs, lorsqu'à l'appel de la sénéchaussée du Poitou, trois curés se présentent : Lecesve, Ballard, Jallet[78]. Ce fut un véritable et touchant délire. On les entoure, on les remercié au nom du peuple, on leur serre les mains, on les embrasse. Mais on délibère encore, s'écrie une voix, on délibère dans la chambre du clergé. — Je ne mets pas, moi, dit le curé Ballard, ma conscience en délibération[79]. Le lendemain et le surlendemain, les communes recevaient, au milieu des plus vifs transports, d'autres prêtres qu'amenaient la Révolution et sa fortune. L'abbé Grégoire parut. L'abbé Marolles dit en entrant : Me voici, messieurs ; mais, depuis l'ouverture des états généraux, mon cœur était au milieu de vous[80]. D'unanimes acclamations accueillirent cet aveu d'une désertion sainte. Quelques-uns applaudissaient en pleurant.

C'en est fait, tout se précipite. Dans une séance précédente[81], Malouet avait paru craindre la présence de la multitude, et il s'était attiré ces foudroyantes paroles de Volney : Il n'y a pas d'étrangers ici, il n'y a que des frères. Le 15 juin ; la salle des états se remplit de spectateurs ; les jours du forum se levaient ; et ce fut sous les regards, sous la garde, aux applaudissements d'un peuple immense, que les communes procédèrent à la constitution définitive de l'assemblée. Mais d'abord, quel nom lui donner ? Sieyès proposa celui-ci : Assemblée des représentants connus et vérifiés de la nation. Mirabeau prit la parole. Il se disait tourmenté de la fièvre ; et la fièvre, en effet, brillait dans ses yeux. Le tremblement de son corps, ses joues affaissées, sa lèvre plus relevée que d'habitude trahissaient en lui les ravages d'une longue émotion ; et, avant qu'il eût ouvert la bouche, il semblait qu'on eût entendu le souffle des passions contraires qui gonflaient sa poitrine. Il fut provocateur, étonnant de contradictions, véhément, insolent, sublime. Il repoussait la motion de Sieyès, la déclarant trop hardie, la trouvant presque factieuse, et il demandait qu'on adoptât ces mots : Représentants du peuple. Non, jamais la parole humaine ne traduisit d'une manière aussi poignante et avec tant de splendeur les combats d'une âme troublée. On vit cet orateur des rois, cet orateur de la multitude insulter et glorifier le peuple tour à tour. Il commença par l'insulte. S'il voulait qu'on s'appelât peuple, c'était parce qu'il importait d'être soi, et de ne pas nier le clergé, de ne pas nier la noblesse, de ne pas aller se heurter imprudemment au veto royal, veto nécessaire et sacré. Puis, répondant à ceux qui puisaient leur audace dans l'appui promis ou offert par les auxiliaires d'en bas, il montrait le peuple ignorant ses droits, ignorant la liberté, usant ses forces à souffrir et prêt à vendre la constitution pour du pain[82]. Ce langage, si outrageant et si injuste, ne dévoilait que trop le but de Mirabeau. Substituer au titre de communes une artificieuse variante, arrêter l'absorption de la noblesse et du clergé, par la majorité de la société française, maintenir à moitié la distinction des ordres, voilà donc où l'on prétend en venir avec ces mots représentants du peuple ? Comptons les têtes, s'écria noblement Target ; non les fortunes[83]. Et Thouret fit ressortir le danger d'une dénomination qui, interprétée dans son sens le plus restreint, paraîtrait consacrer les iniques distinctions qu'il s'agissait de détruire[84]. Alors, irrité, hors de lui, honteux de son rôle de courtisan, et ramené par la colère au vrai rôle de son génie, Mirabeau. reprit, au risque d'une inconséquence héroïque : Oui, si ce nom de peuple n'était pas le nôtre, il faudrait le choisir entre tous, l'envisager comme la plus précieuse occasion de servir ce peuple qui existe, qui est tout, ce peuple que nous représentons, dont nous défendons les droits, de qui nous avons reçu les nôtres, et dont on semble rougir que nous empruntions les titres. Ah ! mon âme s'élève !Les amis de la liberté s'appelleront les remontrants en Amérique, les pâtres en Suisse, les gueux dans les Pays-Bas. Ils se pareront des injures de leurs ennemis[85]. Le contempteur de la multitude avait disparu : c'était le tribun qui parlait. Mais, d'un seul bond, il était passé du château à la place publique sans s'arrêter à la place intermédiaire où la bourgeoisie voulait asseoir son camp. La plupart furent saisis d'effroi ; et apercevant, dans le lointain le fantôme de cette puissance nouvelle, inattendue, vers laquelle Mirabeau venait d'étendre la main, ils éclatèrent en murmures[86].

La dénomination qui, évidemment, devait le mieux convenir à une pareille assemblée, c'était celle qui, indéterminée, élastique, pourrait se resserrer jusqu'à ne signifier que les communes ou s'étendre jusqu'à signifier la nation[87], celle qui plusieurs fois déjà s'était produite, celle que proposa le député Legrand : Assemblée nationale[88]. En vain, soutenu par Rabaut-Saint-Étienne et Barnave, Mounier essaya-t-il d'entraîner les communes à se constituer en Assemblée légitime des représentants de la majeure partie de la nation, agissant en l'absence de la mineure partie, on rejeta tout d'une voix ce titre démesurément long et qui conservait la trace de l'opposition des ordres. Il fallait voter, cependant : grande épreuve, et terrible ! Car on venait — d'apprendre qu'il se faisait à Versailles un bruit inusité d'armes et de chevaux ; que l'ordre avait été envoyé à des troupes allemandes de se mettre en mouvement ; que beaucoup de nobles, rendus furieux par l'excès du péril, parlaient de s'en rapporter à la fortune de l'épée. N'avait-il pas été question d'arrêter le duc d'Orléans[89], de lui faire son procès, d'envelopper dans l'appareil de sa ruine ses complices en révolution, d'épouvanter les esprits ? L'appel nominal commence. Et aussitôt s'élèvent mille clameurs confuses. Les uns se récrient contre cette marche précipitée, haletante.

Les autres, et à leur tête les Bretons, race indomptable, veulent qu'on se décide à l'instant même ; qu'on ne laisse pas aux ennemis de la nation le temps de se reconnaître ; et que, si la cour osait frapper, elle ait à frapper, non pas une réunion d'hommes indécise et éperdue, mais une assemblée assise dans son droit, noblement et à jamais compromise, figurant le peuple, étant la loi. Le tumulte devint formidable. Toute la salle était debout. Ici le groupe des temporiseurs formant la minorité, là celui des impatients, et, pour les séparer, une longue table[90]. Ainsi placés face à face, ils échangeaient d'amers discours, ils se menaçaient du geste. Ce n'était plus l'énergie calme et réglée des jours précédents. Mirabeau et Barère venaient d'ouvrir d'orageuses perspectives, le premier en faisant penser au peuple, le second en laissant échapper, au sujet des états généraux, ces paroles profondes : Vous êtes appelés à recommencer l'histoire[91]. Les Mounier, les Malouet, ceux qui n'entendaient pas pousser au delà du triomphe de la bourgeoisie, eurent donc à s'émouvoir en sens inverse. Devant eux étaient la noblesse, le clergé, le château, mais derrière eux Paris mugissant et ses faubourgs. Alors retentit l'accusation encourue par quiconque s'arrête au milieu d'une société qui marche. Le mot trahison fut prononcé[92]. Un inconnu s'élança des tribunes et courut porter la main sur Malouet[93]. Le parti des modérés redoublait de violences et de clameurs. La lassitude eut enfin raison de tant d'emportement. Mais beaucoup de membres s'étaient déjà retirés ; il faisait nuit : on dut renvoyer la décision au lendemain.

Le lendemain, 17 juin, l'assemblée, à la majorité de quatre cent quatre-vingt-onze voix contre quatre-vingt-dix, prenait le titre d'Assemblée nationale ; et, le 19 juin, rendue à des pensées plus sereines, elle établissait avec autant de force que de sagesse les bases de son pouvoir souverain. Pour se ménager une arme contre la cour, elle déclara illégaux les impôts jusqu'alors perçus, décidant néanmoins qu'ils seraient levés tant qu'elle serait réunie, mais cesseraient de l'être si on venait à la dissoudre. Pour rassurer les créanciers de l'État, elle les mit sous la garde de l'honneur de la nation française. Pour se concilier le peuple, elle promit de consacrer ses premiers moments à l'examen des causes de la disette[94].

A cette nouvelle, ce fut parmi le peuple un frémissement de joie, et, partout, une émotion puissante. Dans la chambre de la noblesse, où d'Esprémesnil demandait à grands cris la dissolution des états généraux, le duc d'Orléans proposa la réunion ; mais la gravité des circonstances l'accablant, il se troubla et s'évanouit[95]. Dans la chambre du clergé, la sensation fut aussi vive et moins stérile : les curés emportèrent, d'enthousiasme, la délibération en commun ; et la reconnaissance populaire, qui les attendait au passage, n'oublia pas de leur prodiguer ses bruyantes faveurs[96].

Pendant ce temps, le château était en proie au vertige : Prenant la colère pour de la vigueur et se trompant de courage, les meneurs du comité Polignac n'opposaient qu'un emportement frivole à la constance de l'Assemblée et à ses hardiesses suivies. Quant à la reine, elle avait perdu la confiance que le bonheur inspire, elle ne pouvait avoir encore la force que donne presque toujours aux femmes l'extrême péril, et elle passait douloureusement par toutes les alternatives de la faiblesse, tantôt impétueuse et intraitable, tantôt superstitieuse et tremblante à ce point que, comme d'un présage affreux, elle s'alarmait d'une bougie éteinte[97]. De son côté, le plus jeune des frères du roi se répandait en menaces, et semblait déjà s'essayer aux violences qui rendirent la vieillesse de Charles X si fatale à sa maison.

Ainsi pressé, qu'allait faire le gouvernement ? Necker fut d'avis qu'il fallait agir, et promptement, et avec éclat. Sa grande ambition eût été, sans rompre néanmoins avec les deux premiers ordres, de placer le roi à la tête du parti populaire[98]. Laisserait-on aux communes seules la charge et l'honneur de la liberté reconquise ? Dans sa popularité, il y avait, selon Necker, une part qui devait composer le lot du monarque[99] et qu'on devait revendiquer en son nom. Il conseilla, conséquemment, d'ordonner la réunion des ordres, mais d'une manière solennelle, du haut de la monarchie, en des termes qui fussent de nature à rehausser le prix de l'intervention royale et à sauver la noblesse de l'humiliation de fléchir devant le tiers.

Ce n'était point là certes, une politique de tribun. Ce désir d'accaparer l'enthousiasme au profit du trône, ce respect pour les prétentions d'une vanité injuste accusaient en Necker des préoccupations que le génie de la démocratie désavoue et des illusions qu'il condamne. Mais il convient d'observer que Necker était ministre d'un roi jusqu'alors absolu ; qu'une cour furieuse l'entourait ; qu'il avait à compter avec des répugnances opiniâtres et des obstacles sans nombre ; que son rôle, au conseil, était de préparer la transformation de la monarchie, non de la détruire ; et qu'il dut craindre naturellement de faire crouler l'édifice entier s'il en ébranlait trop vivement les deux principales colonnes : la noblesse et le clergé. Ce qu'il est équitable de lui reprocher, c'est donc uniquement d'avoir gardé le pouvoir à des conditions qui ne lui permettaient pas d'oser le bien. Mais les avances de l'opinion l'avaient enivré. Il se crut follement capable de concilier les contraires ; d'imposer à la cour des sacrifices, au clergé de la modestie, aux nobles de la résignation, et au peuple en mouvement une marche timide. La tempête à déchaîner l'eût rempli d'effroi : la tempête à conduire et à contenir ne découragea point son orgueil.

Louis XVI était à Marly. Necker s'y transporta, en compagnie de deux ministres, MM. de Saint-Priest et de La Luzerne ; et ce fut en voiture, chemin faisant, qu'il leur communiqua le projet sur lequel il allait provoquer la délibération du conseil : tant il y avait de précipitation et d'imprévu en ces heures de trouble[100] ! D'après le plan de Necker, le roi aurait, en séance royale, sommé les trois ordres de se réunir ; et, donnant à leurs travaux l'initiative royale pour point de départ, il aurait lui-même posé comme bases de la régénération attendue : la délibération en commun des trois ordres sur toute question d'intérêt général ; le droit reconnu aux états de modifier la constitution du royaume, pourvu que la législature restât composée au moins de deux chambres ; l'abolition des privilèges pécuniaires en matière d'impôt ; l'admissibilité de tous les citoyens aux emplois militaires et civils[101]. Humble programme, et marqué à l'empreinte du génie de l'Angleterre ! Et pourtant, il fut .trouvé, à la cour, d'une audace effrayante. Necker en avait donné communication aux comtes de Provence et d'Artois, qui, à leur tour, en avaient parlé à Marie-Antoinette. Necker ne fut pas plutôt arrivé à Marly, que la reine le fit prier de passer chez elle. Il obéit, trouve Marie-Antoinette vivement agitée et les deux frères du roi l'animant de leurs conseils. On le conjura de renoncer à son dessein, d'anéantir son plan : il demeura inébranlable[102]. Le conseil s'ouvre donc. Les idées du principal ministre sont livrées à la discussion, Louis XVI se rend, déjà l'on adopte... Mais tout à coup un officier de service paraît, il s'approche du roi, lui parle à voix basse. Le roi sortit. C'est la reine qui l'envoie chercher, dit aussitôt à Necker M. de Montmorin ; et il ne se trompait pas[103]. La délibération fut ajournée. Toutefois, comme l'image d'un pompeux déploiement de forces souriait aux courtisans, on décida que la séance royale aurait lieu, et elle fut fixée au 22 juin. Puis, sous prétexte que des préparatifs étaient nécessaires, mais en réalité pour suspendre des travaux qu'elle redoutait, la faction fit fermer la salle des états.

Le 20 juin, — et à l'écrire, cette date impérissable, qui ne se sentirait ému jusqu'au fond de l'âme ? — le 20 juin 1789, à Versailles, par une journée pluvieuse et triste, on vit un groupe d'hommes errant à travers la ville et paraissant en peine d'un gîte. Leur nom ? L'Assemblée nationale. Leur but ? Faire un peuple libre. Faibles comme nombre et simples de maintien, ils avaient cependant le front dominateur, le regard fier. Et, en marchant, ils s'entretenaient de la cour ; de sa puérile insolence ; du temple de la loi fermé ; des soldats qu'ils venaient de rencontrer veillant autour de l'inviolable enceinte ; de la séance royale notifiée à des représentants du peuple par de vulgaires affiches, par le cri des hérauts, par la rumeur publique, ainsi qu'on eût fait d'un spectacle ; ils parlaient de reprendre l'œuvre interrompue, de la reprendre à l'instant, au risque d'une lutte terrible, au prix de la vie, en quelque lieu que ce pût être, et, si un édifice leur manquait pour cela... comme Luther après Worms : sous le ciel. Ils passèrent devant des portes qui restèrent closes. Mais une salle s'ouvrit enfin ; et ce n'était qu'un jeu de paume. Là nul ornement vain, des murailles nues, des chaises, une table, des bancs. Rien qui servît à masquer la majesté de la nation. Le peuple était accouru : il entoure, plein d'inquiétude et de respect, l'asile sacré. Les uns pénètrent dans les galeries ; d'autres s'attachent aux fenêtres. Un député octogénaire s'avança, malade, épuisé ; on le soutenait[104]. La délibération commence. Ils se rappellent les détails sinistres de la matinée, l'odieuse consigne donnée aux sentinelles, et que, devant la salle des états, les députés se pressant à la grille, ce cri a été entendu : Prenez les armes[105]. Le sort en est donc jeté ! Il faut se préparer à un jeu sanglant. Où transportera-t-on la patrie ? Paris nous appelle, s'écrient les plus animés ; parlons ! Alors — et pourquoi a-t-on craint de le dire ? — il y en eut qui s'effrayèrent, moins sans doute à l'idée d'un massacre possible sur un grand chemin qu'à celle de Paris soulevé, et de la fureur populaire atteignant en un jour sa limite extrême. Or, par un de ces coups éclatants où se reconnaît la volonté qui mène les empires, ce fut le moins fervent des serviteurs de la Révolution, ce fut Mounier qui proposa le serment du jeu de paume. Et il le proposa, il l'a déclaré lui-même[106], sans en pressentir la portée, par modération, en vue de l'autorité royale à sauver, pour détourner de leurs projets les audacieux, pour occuper et déjouer leurs transports ! Les membres de l'Assemblée nationale, disait l'arrêté que Mounier rédigea, prêteront le serment solennel de ne se séparer jamais jusqu'à ce que la constitution du royaume et la régénération de l'ordre public soient établies et affermies sur des bases solides[107]. Bailly donne lecture de cette formule. En qualité de président, il réclame pour lui l'honneur de jurer le premier. Et tous les bras se lèvent, et un cri s'échappe de toutes les bouches, cri spontané, irrésistible, immense. Elle est devant nous cette scène dont la Constituante confia au pinceau de David l'héroïque procès-verbal, et qui fut la gloire de nos pères. Les voilà tous. Celui qui, debout sur une table, domine l'assemblée, aussi calme, aussi impassible que la loi, c'est Bailly. Celui qui, les vêtements en désordre, le regard tourné vers le président, tient une plume et se dispose à écrire, c'est le rédacteur du Point du jour, Bertrand Barère. Robespierre appuie violemment ses deux mains sur sa poitrine, comme s'il avait deux cœurs pour la liberté[108]. Une exaltation commune éclate, quoique diversement exprimée, dans l'attitude de Pétion, de Garat, de Le Chapelier, de Thouret, de Guillotin, de l'impétueux Dubois-Crancé, de l'élégant Barnave. Le corps roidi, la tête haute, Mirabeau frappe du pied la terre. Sieyès, isolé au milieu de la foule de ses collègues et assis au centre de leur mouvement, ne fait aucun geste, ne regarde personne : il prête serment dans son intelligence. Le lendemain lui apparaissait peut-être. Et qui sait, en effet, si ces hommes réunis ne se diviseront pas bientôt en juges et en condamnés ? Qui sait si au fond de la formule de serment que Bailly prononce n'est point enveloppé son arrêt de mort ? A la garde de Dieu ! En attendant, leurs âmes se cherchent, leurs espérances se confondent ; et le chartreux dom Gerle, le protestant Rabaut Saint-Etienne, le curé philosophe d'Emberménil se tiennent embrassés.

Un seul protesta, et ajouta ainsi à la grandeur du spectacle. Car, à braver seul l'indignation d'une assemblée entière et à défendre contre un enthousiasme aussi puissant ses croyances désespérées, il ne saurait y avoir un médiocre courage. Plus tard, Mounier, qui avait proposé le serment, se fit l'apologiste de Martin, d'Auch[109], qui refusa de le prêter. On mit sur le registre de la délibération le nom de ce dernier et, à la suite, le mot opposant. De sorte que cette noble journée se termina par un hommage rendu aux droits de la conscience humaine et par une vengeance vraiment digne de la liberté.

Tant de sagesse et de vigueur aurait dû, ce semble, amener la cour à mettre quelque gravité dans ses colères : il n'en fut rien ; et, comme s'il eût suffi d'insulter au péril pour l'éviter, on se plut aux airs fanfarons. Depuis quelque temps, il s'était formé autour de la reine un parti qui affectait de placer en elle toutes les espérances de la noblesse et le salut de la France chevaleresque. Ce parti se composait de la jeune aristocratie d'épée et s'appuyait sur un certain nombre de prélats fanatiques. Il embrassait les castels, les demeures épiscopales, les couvents, les chaires, le confessionnal. Il n'appelait plus Marie-Antoinette que l'intrépide fille de Marie-Thérèse ; et sur des espèces d'autels que les fidèles dressaient dans l'intérieur de leurs maisons, vous eussiez trouvé le buste de la reine et cherché vainement le buste du roi[110]. Quelques-uns, avec un mépris qu'ils se donnaient à peine soin de dissimuler, accusaient la molle condescendance de Louis XVI, ses irrésolutions, son penchant à prêter l'oreille aux acclamations de la rue, son habitude de reculer. Était-ce bien là un roi-gentilhomme ? Que n'allait-il à Rambouillet s'occuper d'horlogerie, laissant aux mains plus viriles de la reine et le sceptre et le glaive ? Car c'était trop de patience : il fallait enfin balayer cette cohue révolutionnaire. Et si le peuple remuait, on avait des soldats ; et si les régiments français s'avisaient de désobéir, on avait les régiments étrangers : ceux qu'on soldait, ceux qu'on, pouvait, au besoin, appeler d'Allemagne. Il ferait beau voir un ramas de séditieux en haillons tenir tête aux kainserlites, aux dragons de la Tour, à la cavalerie hongroise, aux chasseurs tyroliens, et ne pas trembler, rien qu'à la vue de leurs longues moustaches enduites de suif ! A ces ridicules propos[111] la faction féodale joignait des bravades en action qui affligeaient les gentilshommes de la bonne cause et faisaient rougir la partie grave de la noblesse. Alors s'amassa ce trésor d'humiliations téméraires qu'on destinait au duc d'Orléans ; alors fut préparée contre Mirabeau cette guerre toute composée de cartels qu'il se bornait à écrire sur ses tablettes[112], remettant les petits combats au lendemain de la grande bataille, et trop orgueilleux, trop sûr de lui, pour se croire obligé à la preuve du courage.

Ainsi, d'un côté, la religion du droit, une prudence fière, de la mesure dans l'audace ; de l'autre, mainte illusion sacrilège et d'aveugles mépris. Il ne faut donc pas s'étonner si le comte d'Artois crut étouffer les suites du serment du jeu de paume en faisant retenir la salle, et si l'on renvoya la séance royale au 23 juin, afin que, durant tout un jour, les communes jetées sur le pavé de la ville, offrissent le spectacle d'un attroupement défendu. Mais, selon le mot de madame de Staël, c'était opposer des jouets à des armes ; et ces vulgaires insultes de la cour eurent cela de remarquable que chacune d'elles fournit à la nation le sujet d'un nouveau triomphe. Les princes pouvaient bien profaner par le scandale de leurs amusements la place où la Révolution venait de camper ; mais pouvaient-ils fermer la maison commune, le palais du peuple, l'église ? On enlevait une salle de jeu à la patrie errante : elle entra dans un temple.

Le 22 juin, les représentants occupèrent l'église de Saint-Louis, que le curé Jacob, quoique attaché à la cour, n'avait osé leur refuser. Soudain, les portes du chœur s'ouvrent, et l'on voit paraître, gravement émue, l'assemblée des prêtres. Ils s'avancent et, prenant la parole, l'archevêque de Vienne annonce que le clergé vient se soumettre à la vérification commune. La religion et la patrie semblaient se réconcilier : l'attendrissement fut général et profond. Ces plébéiens, jusqu'alors si hautains, s'empressèrent de céder respectueusement aux hommes du sacerdoce les places d'honneur : déférence que Barère, dans le Point du jour, blâma en ces termes : Sont-ce là les représentants qui veulent détruire les distinctions ?[113] Mais ici la déférence du tiers, c'était la courtoisie du patriotisme, c'était la modestie de la victoire. Deux nobles, le marquis de Blacons et le comte Antoine d'Agoust, se présentèrent : ils furent accueillis comme des frères impatiemment attendus. Sur les cent quarante-huit membres du clergé réunis à la famille nationale, on comptait cent trente-quatre curés, cinq prélats, deux grands vicaires, six chanoines, un abbé commendataire. Imprimons cette liste, dirent ceux des communes ; et, les yeux mouillés de larmes, Bailly s'écria : Il faut l'imprimer en lettres d'or.

La mer montait, montait toujours ; l'invincible Révolution gagnait les hauteurs. Et sur l'étroite cime que le flot atteignait en grondant, la cour souriait et menaçait à la fois ! Necker, naguère encore si présomptueux, était tombé dans un découragement amer et subit. Un jour, il avait suffi d'un jour pour lui prouver que, doué d'une force intérieure et immense, le mouvement pouvait engloutir quiconque aurait la prétention de le conduire. Débilité de la nature humaine ! Necker était l'auteur du livre le plus audacieux peut-être qu'eut enfanté le XVIIIe siècle ; il avait creusé aussi avant que Jean-Jacques les causes de la misère, les origines de l'iniquité ; et voilà qu'à la vue de cette société qui s'ébranlait, son âme commençait à être remplie de tristesse. Il s'essayait sans doute à conserver une figure sereine, et sa réserve habituelle l'aidait à cacher l'accablement de ses pensées[114]. Mais, dans le secret des confidences intimes, il pleurait les désastres prévus, il pleurait le rêve de son orgueil si rapidement évanoui.

Et, d'autre part, dénaturer ses idées, les amoindrir, de manière à en composer une déclaration de séance royale et presque de lit de justice, telle était alors l'occupation de ce conseil dont il s'était cru un instant le souffle et la vie. Le projet primitif de Necker contenait une injonction formelle aux trois ordres de se réunir pour délibérer en commun sur les affaires générales : à cette disposition impérative on substitua une sorte de prière adressée à la noblesse et au clergé, en arrêtant que d'ailleurs la distinction des trois ordres serait maintenue. Le projet primitif de Necker attribuait à l'assemblée le droit de pousser la Révolution jusqu'à l'établissement d'une charte imitée de l'anglais : on se hâta d'excepter de toute délibération commune la forme de constitution à donner aux prochains états généraux. Le projet primitif de Necker abolissait en termes décisifs tous les privilèges pécuniaires : on résolut de s'en remettre sur ce point au bon vouloir des nobles et des prêtres, sauf à sanctionner .royalement leur générosité. Modifications insensées, dangereuses, qui tendaient à remplacer un essai d'initiative par un défi adressé à l'esprit nouveau ! Mais, pour les combattre, MM. de Montmorin, de Fourqueux, de La Luzerne, de Saint-Priest s'unirent vainement à Necker : ils eurent contre eux le garde des sceaux Barentin, le ministre de la guerre Puységur, Villedeuil, ministre de l'intérieur, quatre conseillers d'État dont on avait invoqué le secours, et enfin les princes. Un trait dira ce qu'était capable de produire un conseil ainsi composé. Lorsqu'on en vint à la question de savoir si l'on admettrait tous les citoyens aux emplois militaires par rang de services et de mérite, le comte d'Artois protesta vivement, attendu que le roi était maître de ses grâces[115]. Le langage de Louis XIV avait survécu à sa puissance ; et, pour le continuer, ses pales successeurs avaient besoin d'ignorer cent ans d'histoire. Necker prévit bien les conséquences[116]. Mais quelle conduite allait être la sienne ? S'abstiendrait-il de paraître à la séance royale ? Ou bien, mettant sa popularité au hasard, irait-il couvrir de sa présence un monarque asservi à des conseillers funestes ?

Dans la nuit du 22 au 23, Bailly fut réveillé en sursaut par un cri qui venait de la rue. Étonné, il se lève : on l'appelait. Trois inconnus, se disant députés, demandent à être admis, et ils apprennent au doyen des communes que Necker désapprouve les mesures prises ; qu'il n'assistera pas à la séance du lendemain ; que son renvoi paraît inévitable[117]. Les inconnus qui avec tant d'empressement, et à cette heure suspecte, couraient témoigner de leur sollicitude pour le tiers, c'étaient trois grands seigneurs : le duc d'Aiguillon, le comte Mathieu de Montmorency et le futur successeur de Kléber, le baron de Menou.

Le 23 juin, Versailles se hérissa de baïonnettes. Rien de plus sinistre que l'aspect général de la ville. Des rumeurs très-vagues encore, mais à cause de cela même effrayantes, s'étaient répandues. Çà et là des groupes inquiets qui, violemment dispersés par les soldats, allaient se reformer ailleurs et se grossissaient de minute en minute. Pas de clameurs inutiles ; partout la menace du silence. Le ciel était couvert de nuages. Comme au 5 mai, les membres de l'Assemblée nationale, l'ordre qui alors était le peuple, avaient été condamnés à une attente humiliante ; et tandis que la noblesse et le clergé entraient fastueusement dans la salle des états, par la porte principale, celle de l'avenue ; tandis que, précédée et suivie de la fauconnerie, des pages, des écuyers, des quatre compagnies des gardes du corps, la voiture du roi roulait sur le pavé ; ceux que la cour appelait en raillant Messieurs du tiers, stationnaient devant une espèce de porte de service, et se pressaient, pour éviter la pluie, sous une galerie étroite à moitié pleine d'étrangers à petits manteaux, imitant le costume des députés[118]. Les communes entrèrent enfin, mais trouvant les deux autres ordres déjà placés, elles s'assirent muettes et irritées. Le siège destiné à Necker était vide.

Louis XVI commença en ces termes : Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j'avais pris la résolution de vous rassembler ; et il se plaignit aigrement des divisions survenues. Puis, le garde des sceaux étant allé vers le trône et s'étant mis à genoux, le roi donna ordre à l'assemblée de se couvrir. Seuls, les nobles désobéirent[119] ; et, conservant en sens inverse, puisqu'il le fallait, les distinctions frivoles où s'attachait leur orgueil, ils restèrent tête nue devant des plébéiens qui se couvraient.

Le garde des sceaux lut une première déclaration qui cassait les arrêtés des communes, interdisait les mandats impératifs, et maintenait la délibération par ordre. Une seconde déclaration, résumé des bienfaits que le roi voulait bien accorder à son peuple, annonçait le vole des impôts ; l'abolition de la corvée, de la mainmorte, du droit de franc-fief ; la restriction du droit de chasse ; la substitution d'un enrôlement régulier au tirage de la milice ; la suppression du mot taille ; l'organisation des états provinciaux. Rien, du reste, sur le renouvellement organique de la constitution du royaume, sur la participation des états généraux au pouvoir législatif. On permettait aux états de chercher les moyens de concilier la liberté de la presse avec le respect de aux mœurs, à la religion, à l'honneur des citoyens, et la liberté individuelle avec l'intérêt des familles ou la sûreté de l'Etat. On se montrait disposé à sanctionner la destruction des privilèges pécuniaires, s'il plaisait aux privilégiés d'en faire le sacrifice. Au nombre des propriétés absolument et à jamais inviolables, on mettait les dîmes, cens, rentes, droits et devoirs seigneuriaux et féodaux[120]. À la lecture de ce dernier article, quelques nobles ne rougirent pas d'éclater en égoïstes transports, prouvant ainsi qu'ils avaient trop d'orgueil pour leur avarice ou trop d'avarice pour leur orgueil[121].

Les communes restaient immobiles, silencieuses : Louis XVI parut interdit. Recueillant néanmoins ses forces, et, par une exagération factice d'énergie, se trompant lui-même, il répéta durement les dures et folles expressions dont son rôle était composé : C'est moi jusqu'à présent qui fais tout pour le bonheur de mes peuples, et il est rare, peut-être, que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits. Il ordonna d'un ton sec à l'assemblée de se séparer, et, suivi de la noblesse, suivi de plusieurs prélats, il sortit.

Alors se passa une scène qui vit au fond de tous les souvenirs, mais à laquelle des historiens modernes ont ajouté des traits qui en altèrent la physionomie et la portée. Jusque-là les communes n'avaient eu affaire directement qu'à l'aristocratie du sacerdoce et à l'aristocratie de l'épée : maintenant, c'était la royauté en personne qui semblait descendre dans la lice. Or, la bourgeoisie voulait bien renverser la noblesse, réduire le clergé, mais le régime de la royauté sans despotisme lui convenait : elle sentait, on le verra bientôt, qu'elle aurait besoin du trône. contre Je peuple. Aussi, lorsque, après la sortie du roi, le grand maître des cérémonies, M. de Brézé, dit au doyen des communes, qui étaient demeurées à leur place : Monsieur, vous avez entendu l'ordre du roi, il y eut un instant d'incertitude, de morne stupeur[122] ; et, n'osant résister en face à l'envoyé du monarque, Bailly dit à ses voisins : Je crois que la nation assemblée ne peut pas recevoir d'ordre[123]. Mais, en ce moment décisif, Mirabeau s'avance ; il usurpe glorieusement les fonctions de Bailly, qui s'en étonne et s'en afflige[124] ; sans affectation de dédain, sans violence, mais avec beaucoup de calme au contraire et une fermeté réfléchie, il adresse à M. de Brézé ces fières paroles : Je vous déclare que si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer la force, car nous ne quitterons nos places que par la puissance de la baïonnette[125]. On cria : Tel est le vœu de l'Assemblée. Le marquis de Brézé alla rendre compte de sa mission à Louis XVI. Et, raffermie dans la conscience de son droit, l'Assemblée se mit à délibérer. Avec une grave énergie, le janséniste Camus demanda la confirmation des arrêtés précédents. Ajoutez, dirent les curés fidèles à la cause des communes, ajoutez que la délibération a lieu en notre présence[126]. Et Sieyès laissa tomber ces paroles demeurées si célèbres : Vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier. La cour voulant à tout prix interrompre la séance, des manœuvres entrèrent[127], le marteau à la main, pour détacher les tentures et le baldaquin à franges d'or, pour enlever le trône. Spectacle inattendu où personne encore ne voyait une prophétie vivante. Pourtant, c'était bien là l'image du peuple apparaissant à son tour sur la scène et emportant la monarchie ! On essaya aussi de l'intimidation. Les gardes du corps qui, après avoir accompagné le roi jusqu'à son palais, s'étaient mis en route pour Saint-Germain, avaient reçu ordre, à Rocquencourt, de tourner bride… ils arrivaient au galop. Mais, au moment où ils atteignaient les portes de la salle, l'Assemblée s'élevait à une prudence pleine de majesté, et, sur la motion de Mirabeau, elle assurait sa victoire en se déclarant inviolable.

Or, tel était l'aveuglement de la noblesse que, pendant ce temps, elle courait au château remercier ses prétendus sauveurs. La première visite fut pour le comte d'Artois, qui la reçut avec beaucoup de courtoisie et d'abandon. On avait aussi des remercîments à adresser au comte de Provence ; mais, retiré en sa dissimulation, ce prince n'eut garde de se prêter à des hommages qui étaient ceux de la présomption abusée[128]. Après la séance royale, on avait vu Louis XVI retomber dans une morne apathie, et lorsqu'on était venu lui annoncer les résistances de l'Assemblée, des paroles pleines de découragement avaient témoigné de la fatigue de son âme. Les nobles l'oublièrent, ils n'oublièrent pas la reine. Elle était au salon de jeu. On s'y présente. Et, le sourire à la bouche, le regard étincelant, la reine tendait aux gentilshommes l'enfant royal, disant : Je le donne à la noblesse[129]. Elle le donnait à la mort.

Du reste, l'illusion fut bien vite dissipée. Car cette scène de folle ivresse n'était pas encore finie, que déjà la clameur populaire portait au cœur de Marie-Antoinette un nom qui la fit tressaillir. Necker l'avait mortellement offensée en condamnant par son absence la séance royale[130], et c'était vers ce même Necker que montaient alors, unanimes, formidables, les vœux de la multitude. Elle inondait les cours du château ; et tout bientôt retentit de cris tumultueux, de menaces, d'insultes. Le mot aristocrâne fut lancé, expression à la fois burlesque et sinistre qui, dans le langage des haines populaires, indiquait les opinions aristocratiques du comte d'Artois et sa tête mise à prix[131]. La cour n'était pas encore familiarisée avec les insurrections : elle trembla. Il fallut envoyer chercher Necker qui, ayant donné sa démission, se trouvait entouré d'une foule de visiteurs ou furieux ou consternés. Pour le garder ministre, pour continuer à le subir, la reine dut employer la prière[132]. Il promit de ne pas abandonner cette monarchie qui suppliait ; et, comme il regagnait sa demeure en traversant à pied les cours du château, un homme alla tomber à genoux devant lui, pendant que de toutes parts on criait : Restez-vous ?[133] A bout d'attendrissement, d'orgueil, il répondit par des sanglots. Le soir, on alluma des feux de joie, et des hommes violents parcoururent la ville en agitant des torches.

La vieille France était décidément vaincue ; mais elle ne voulait ni accepter ni s'avouer sa défaite. Le comte de Clermont-Tonnerre et Lally-Tollendal ayant proposé à la chambre de la noblesse de se réunir au tiers, il y eut parmi tous ces gentilshommes assemblés un long frémissement de colère. De patriotiques paroles furent néanmoins entendues. J'ai treize mille livres de rentes, dit M. de Montcalm : j'en sacrifierais la moitié pour obtenir cette réunion tant désirée ; et mes six enfants ne me désavoueront pas[134]. Mais ces sentiments étaient loin d'être ceux du grand nombre. D'Esprémesnil adjura ses collègues de se serrer autour de la monarchie, que des factieux brûlaient de détruire ; et, la discussion s'enflammant, le duc de Caylus s'élança de sa place la main sur la garde de son épée[135]. Cazalès criait à la minorité : Vous réunir au tiers ? vous n'oserez pas ! Ils répondirent en se rendant, le 25 juin, à la salle des états au milieu d'un immense concours de peuple. Ils étaient quarante-sept : les comtes de Montmorency, de Clermont-Tonnerre, de Lally-Tollendal, de Lusignan, de Castellane, de Crillon, le vicomte de Toulongeon, le marquis de La Tour-Maubourg, les ducs de La Rochefoucauld et de Luynes, etc. Le duc d'Orléans s'avançait à leur tête dans sa voiture. A son approche, la foule qui entourait la salle se répandit en acclamations. Et lui, se penchant à la portière : Mes amis, disait-il, point de bruit maintenant. Je veux votre bonheur ; je vais m'en occuper : vous applaudirez ce soir, si vous voulez[136]. L'Assemblée lui déféra la présidence après Bailly : il refusa.

Donc, chaque jour, à toute heure, un nouvel éclair venait illuminer les profondeurs de l'abîme ouvert à quelques pas du château. Mais, chez certains nobles, l'obstination dans l'aveuglement était si absolue, qu'on put citer ce mot caractéristique d'un homme de la cour : Que je plains les quarante-sept ! voilà des familles déshonorées et auxquelles personne ne voudra s'allier[137].

Cependant Paris fermentait. Une députation vint apporter à l'Assemblée nationale les félicitations et les encouragements de l'Hôtel de Ville ; on reçut du Palais-Royal une adresse couverte de signatures, qui respirait la guerre ; on apprit que les gardes françaises avaient fait un pas vers la révolte ; et Le Chapelier, Glaizen, députés de Bretagne, Mirabeau, Sieyès, Pétion, Barnave, fondèrent à Versailles ce club Breton qui, transporté à Paris, allait être bientôt le club des Jacobins[138]. Tout concourait donc à augmenter l'énergie du mouvement, et il n'est pas besoin de recourir à l'hypothèse d'un complot pour expliquer l'émeute au sein de laquelle M. de Juigné, archevêque de Paris, faillit alors périr. Ce prélat avait mis à retarder la réunion de l'ordre du clergé aux communes une opiniâtreté fanatique : on éclata contre lui. Comme il traversait la ville, la foule reconnaît sa voiture, et, frémissante, elle se précipite. L'archevêque se réfugie dans l'hôtel de la Mission. Le peuple irrité vient se heurter aux portes ; un siège commence. En cet instant parut M. de Colbert, évêque de Rodez, un des cinq prélats qui s'étaient réunis à l'Assemblée nationale. Aussitôt les plus furieux s'apaisent, ils entourent l'évêque, le comblent de bénédictions, et, l'élevant sur leurs épaules[139], l'appelant leur ami, ils lui décernent le triomphe improvisé par leur reconnaissance. M. de Juigné n'osa résister davantage : le 26 juin, il faisait sa soumission. Les mêmes hommes qui l'avaient insulté la veille l'attendaient au passage et le couvrirent d'applaudissements. Il entra dans l'Assemblée, précédé par l'archevêque de Bordeaux, qui lui servait d'introducteur ou, plutôt, de caution. Restait la majorité de la noblesse à réduire.

Tout à coup le château se remplit d'alarmes. On raconte, on répète — et la source de ces bruits reste ignorée — que le plan d'un vaste massacre a été conçu ; que cent mille rebelles sont en marche. Interrogé, Necker s'abstint de dissiper des terreurs qu'il jugeait utiles ; et le duc de Luxembourg, président de l'ordre de la noblesse, fut mandé à la hâte. Quand il arriva, la famille loyale se trouvait réunie autour de Louis XVI ; les princes avaient l'effroi peint sur le visage ; la reine pleurait[140]. Monsieur de Luxembourg, dit Louis XVI, je prie l'ordre de la noblesse de se réunir aux deux autres ; si ce n'est pas assez de prier, je veux. Et il lui remit une lettre pour les dissidents.

Nous l'avons observé déjà et la suite de ce récit en fournira des indices tragiques : la partie passionnée de la noblesse en était venue à ne plus regarder Louis XVI comme son vrai roi. Désespérée de voir en des mains si tremblantes le destin du parti féodal, elle se rejetait impétueusement, et vers le comte d'Artois que son défaut de lumières poussait à tout confier aux hasards de l'audace, et vers la reine qu'on savait sujette à des accablements mélancoliques et à de subites épouvantes, mais capable, en revanche, d'applaudir aux résolutions extrêmes. Aussi les ordres de Louis XVI n'eurent-ils rien de décisif pour la chambre de la noblesse. Devait-on souffrir que le royaume demeurât à la merci du roi ? Pourquoi, s'il était nécessaire, ne défendrait-on pas contre le monarque… la monarchie ? Voilà ce que Cazalès, dans l'ardeur d'une conviction indomptée, ne craignit pas de laisser entendre. Mais l'assemblée avait reçu une missive nouvelle qui disait les jours du roi menacés. Tous se levèrent, et la réunion fut décidée. Seulement, la lettre qui se faisait obéir cette fois était du comte d'Artois, elle n'était pas de Louis XVI !

Il y eut des protestations ultérieures. Beaucoup demandèrent qu'il leur fût donné acte de leurs efforts pour faire prévaloir, conformément à leurs cahiers, la délibération par ordre. Et, chose remarquable ! au bas de la protestation qui fut rédigée en ce sens, on lut le nom du marquis de Lafayette[141] ! Mais qu'importaient les réserves ?

Ainsi fut amenée, le 27 juin, la réconciliation des nobles avec les communes, réconciliation au fond de laquelle germait l'implacable ressentiment de la défaite, et dont le mensonge ne paraissait que trop à l'attitude contrainte des derniers venus, au nuage étendu sur leur front et à leur morne silence.

Quoi qu'il en soit, l'heureuse nouvelle ne se fut pas plutôt répandue, que la joie populaire éclata sous mille formes. Mais c'était vers le nouveau pouvoir que se tournaient tous les regards. La royauté n'était plus au palais de Louis XVI, elle était à la salle des états. Les soldats eux-mêmes le crurent ; et tandis que les gardes du roi refusaient de faire dans les cours du château de Versailles la ronde accoutumée[142], deux d'entre eux se rendaient déguisés à l'Assemblée nationale pour remettre au président, comme au vrai monarque, une plainte contre leur colonel. Ils furent reconnus, on les arrêta ; mais, la foule accourant et les protégeant de ses cris, on dut les rendre aussitôt à la liberté[143]. On eût dit, du reste, que le peuple s'étudiait à adoucir aux dominateurs anciens l'amertume de leur défaite ; car ses acclamations allèrent chercher, cette fois, non-seulement Louis XVI, mais la reine et le comte d'Artois lui-même. Des invitations tumultueuses et répétées appelèrent à un balcon Marie-Antoinette ; et si son cœur se sentit ému de ces hommages immérités, l'émotion fut son châtiment. On illumina Versailles.

A Paris, il n'y eut pas un moindre ébranlement des âmes. Placards, estampes, gravures, allégories, tout servit à exprimer l'allégresse causée par la réunion des trois ordres. Un triangle la figura sur chaque place, dans chaque rue ; on vit des cadrans de montre avec l'épée, la crosse, le râteau ; et IV plus XII égalant XVI, Louis XVI fut déclaré valoir à lui seul, s'il se résignait, Henri IV et Louis XII[144]. Saillies familières au génie français et qui n'empêchaient pas les manifestations violentes ! L'autorité militaire s'en effraya au point que quatre compagnies des gardes françaises eurent ordre de charger leurs fusils à cartouches. Elles désobéirent, forcèrent leurs casernes, parcoururent la capitale en criant : Vive le tiers état ! Nous sommes les soldats de la nation ! et, suivis d'une multitude immense, plus de cent gardes arrivèrent au Palais-Royal demandant à y fraterniser avec le peuple et portant de grandes coupes remplies de vin[145]. Versailles avait embrasé Paris, Paris embrasa la France.

Elle apparaissait donc triomphante sur les cimes de l'État, cette assemblée de plébéiens naguère obscurs. Le 10 juin, elle s'était affirmée ; le 17, elle avait pris le nom d'Assemblée nationale ; le 20, elle avait prêté l'héroïque serment du jeu de paume ; le 22, elle avait conquis le clergé ; le 23, elle s'était déclarée souveraine ; le 27, elle avait dompté la noblesse. Et maintenant les malentendus vont venir, hélas ! Maintenant, nous aurons à raconter qu'entre la bourgeoisie et le peuple. Mais reposons-nous un instant dans l'impression de l'imposant triomphe, et que des paroles amères, trop tôt prononcées, ne troublent pas cette auguste fête de nos souvenirs. Oui, nous pouvons le dire sans réserve, et avec émotion, avec orgueil : jusqu'à ce jour du moins, la bourgeoisie fut la Révolution, elle fut le peuple.

 

 

 



[1] Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française, chap. XVI, p. 187.

[2] Car le mot de tiers état est ici proscrit comme un monument de l'ancienne servitude. Lettre manuscrite de Robespierre, du 24 mai 1789.

[3] Hist. de la Révolution par deux amis de la liberté, t. I, chap. VIII, p.189.

[4] Nougaret, Hist. du règne de Louis XVI, t. VI, p. 133 et 134.

[5] Montgaillard, t. II, chap. IV. — Madame Campan, t. II, chap. XIII, p. 57.

[6] Mémoires relatifs à la famille royale de France pendant la Révolution (publiés d'après le journal, les lettres et les entretiens de la princesse de Lamballe), t. I, p. 341.

[7] Montgaillard, t. II, chap. IV.

[8] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française.

[9] Premières lettres manuscrites de Robespierre.

[10] Mirabeau, Journal des états généraux, n° 1. — Ce numéro et le suivant sont extrêmement, rares.

[11] Mirabeau, Journal des états généraux, n° 1.

[12] Toulongeon, t. I, p. 40.

[13] Correspondance de Grimm, mai 1789.

[14] Toulongeon, t. I, p. 57.

[15] Madame Campan, t. II, chap. XIII, p. 57.

[16] Rabaut-Saint-Étienne, Précis historique, p. 72. — Montgaillard, t. II, p. 6.

[17] Mirabeau, Journal des états généraux, n° 2.

[18] Correspondance de Grimm, mai 1789.

[19] Correspondance de Grimm, mai 1789.

[20] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, t. I, p. 188. — Correspondance de Grimm, mai 1789.

[21] Correspondance de Grimm.

[22] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, t. I. p. 189.

[23] Mémoires de Weber, t. I, chap. iv, p. 335. — Weber assistait à la séance.

[24] Mémoires de Weber, t. I, chap. III, p. 326. Collection Berville et Barrière.

[25] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, t. I, chap. XVI, p. 188.

[26] Moniteur, séance du 5 mai 1789.

[27] Florimond Rapine, Assemblée des trois états en l'an 1614.

[28] Moniteur, séance du 5 mai 1789.

[29] Moniteur, séance du 5 mai 1789.

[30] Moniteur, séance du 5 mai 1789.

[31] Mirabeau, Journal des états généraux, n° 2.

[32] Mirabeau, Journal des états généraux, n° 2.

[33] Lettres et instructions de Louis XVIII au comte de Saint-Priest, p. XCV de la Notice sur le comte de Saint-Priest, par M. de Barante. Paris, 1845.

[34] Notice sur M. le comte de Saint-Priest, par M. de Barante, p. XCIV des Lettres et instructions de Louis XVIII, etc.

[35] Seconde lettre du comte de Mirabeau à ses commettants, postscriptum.

[36] Hist. de la Révolution par deux amis de la liberté. — Première lettre du comte de Mirabeau à ses commettants.

[37] Extrait des registres des délibérations de MM. les députés composant la noblesse aux états généraux.

[38] Mémoires relatifs à la famille royale de France pendant la Révolution, t. I, p. 341.

[39] Mémoires relatifs à la famille royale de France pendant la Révolution, t. I, p. 343.

[40] Mémoires de Bailly, t. I, p. 39.

[41] Séances des députés des communes, p. 11, à la suite du Procès-verbal des conférences pour la vérification des pouvoirs.

[42] Séances des députés des communes, p. 21.

[43] Séances des députés des communes, p. 21.

[44] Troisième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants.

[45] Séances des députés des communes, p. 24.

[46] Voyez le projet tout entier dans la Quatrième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants.

[47] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 139.

[48] Séances des députés des communes, p. 26 et 27.

[49] Séances des députés des communes, p. 28.

[50] Lettre manuscrite de Robespierre, du 24 mai 1789.

[51] Lettre manuscrite de Robespierre, du 24 mai 1789.

[52] Voyez ce discours dans la Quatrième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants.

[53] Séances des députés des communes, p. 33.

[54] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 127.

[55] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 52.

[56] Lettre manuscrite de Robespierre, du 24 mai 1789.

[57] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 40.

[58] Mémoires de Bailly, t. I, p. 71.

[59] Ibid., t. I, p. 72.

[60] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, t. I, chap. XVII, p. 199.

[61] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 35.

[62] Séances des députés des communes, p. 56.

[63] Un écrivain royaliste, Beaulieu, en convient lui-même, Essais historiques, t. I, p.155.

[64] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 158.

[65] Séances des députés des communes, p. 62.

[66] Beaulieu, t. I, p. 161.

[67] Mémoires de Bailly, t. I, p. 85.

[68] Séances des députés des communes, p. 69.

[69] Mémoires de Bailly, p. 104.

[70] Voyez, en les rapprochant, les Mémoires de Bailly, t. I, p. 102 et 103, et les Mémoires de Weber, t. I, p. 342 et 343.

[71] Mémoires de Weber, p. 341.

[72] Rabaut Saint-Etienne, Précis historique, p. 77.

[73] Mémoires de Bailly, t. I, p. 65.

[74] Extrait des Registres du greffe de la prévôté et maréchaussée générale de l'Ile-de-France, à la date du 18 mai 1789.

[75] Voyez les Séances des députés des communes, p. 144 et suiv.

[76] Beaulieu, t. I, p. 140 et 141 ; récit de Malouet, extrait du tome III de la collection de ses opinions.

[77] D'après le récit de Malouet, auquel Mirabeau s'était adressé pour obtenir audience.

[78] Mémoires de Bailly, t. I, p. 141.

[79] Hist. de la Révolution par deux amis de la liberté, t. I, chap. X.

[80] Moniteur, séance du 15 juin.

[81] Dans celle du 28 mai.

[82] Moniteur, séance du lundi matin, 15 juin 1789.

[83] Moniteur, séance du lundi 15 juin, au soir.

[84] Moniteur, séance du lundi 15 juin, au soir.

[85] Moniteur, suite de la séance du 16 juin, au soir.

[86] Moniteur, suite de la séance du 16 juin, au soir.

[87] Là était, suivant Bailly, le grand mérite du titre Assemblée nationale. Or Bailly, qui présidait alors les communes, en représentait fort bien les sentiments et l'esprit. Voyez ses Mémoires, t. t, p. 148.

[88] Le Point du jour, journal de Barère, n° 1.

[89] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 206 et 207.

[90] Mémoires de Bailly, t. I, p. 153.

[91] Le Point du jour, journal de Barère, n° 1.

[92] Mémoires de Bailly, t. I, p. 152.

[93] Droz, t. II, liv. VIII, p. 213.

[94] Le Point du jour, n° 1. — Mémoires de Bailly, t. I, p. 108 et suiv.

[95] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 53.

[96] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 54.

[97] Mémoires de madame Campan, t. II, p. 38.

[98] Mounier, De l'influence attribuée aux philosophes sur la Révolution française, p. 88.

[99] Necker, De la Révolution française, t. I, 1re partie, sect. IV, p. 188.

[100] Voyez dans les Lettres et instructions de Louis XVIII, la Notice sur M. le comte de Saint-Priest, p. XCVI.

[101] Necker, De la Révolution française, t. I, sect. IV, p. 195.

[102] De Barante, Notice sur M. le comte de Saint-Priest, p. XCVI.

[103] Notice sur M. le comte de Saint-Priest, p. XCVII. — Necker, De la Révolution française, sect. v, p. 209.

[104] Précis historique, par Rabaut Saint-Étienne, p. 86.

[105] Mémoires de Bailly, t. I, p. 185.

[106] Mounier, Recherches sur les causes qui ont empêché les Français d'être libres, p. 296 ; — De l'influence attribuée aux philosophes sur la Révolution française, p. 99.

[107] Douzième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants. Le Point du jour, n° 3.

[108] Mot de David expliquant son tableau.

[109] Mounier, De l'influence, etc., p. 100.

[110] Manuscrit de M. Sauquaire-Souligné.

[111] Manuscrit de M. Sauquaire-Souligné.

[112] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, t. I, p. 203.

[113] Le Point du jour, n° 5, p. 32.

[114] Voyez, dans les Lettres et instructions de Louis XVIII, la Notice sur M. le comte de Saint-Priest, p. c.

[115] De Barante, Notice sur M. le comte de Saint-Priest, p. XCVIII.

[116] Voyez Necker, De la Révolution française, sect. IV. p. 223.

[117] Mémoires de Bailly, t. I, p. 205.

[118] Mémoires de Bailly, t. II, p. 207.

[119] Mémoires de Bailly, t. I, p. 210.

[120] Moniteur, séance du 25 juin 1789.

[121] Treizième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants.

[122] Que Mirabeau reprocha au tiers état, ajoute M. Lucas Montigny, Mémoires de Mirabeau, t. VI, p. 88, 1835.

[123] On a dit et répété que j'avais fait cette réponse à M. de Brézé. Je respectais trop le roi pour faire une pareille réponse (à M. de Brézé). Mémoires de Bailly, t. I, p. 214.

[124] Mémoires de Bailly, t. I, p. 215.

[125] Telle est la vraie réponse de Mirabeau : et c'est ainsi qu'il la rapporte lui-même dans son journal (Treizième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants). Le discours : Où sont les ennemis de la nation ? Catilina est-il à nos portes ? etc. ; la fameuse phrase : Allez, dire à votre maître ; le rapprochement antithétique de la puissance du peuple et de la puissance des baïonnettes, tout cela doit être rangé parmi les erreurs historiques. Il n'en est trace ni dans le Moniteur, ni dans les Mémoires de Bailly, qui était présent ; ni dans le Point du jour de Barère, qui était aussi présent ; ni enfin dans le compte rendu, très-circonstancié, que Mirabeau lui-même a fait de la séance. Et de semblables altérations valent qu'on les relève, parce qu'elles donnent une idée complètement fausse des dispositions de la bourgeoisie et, en particulier, de celles de Mirabeau.

[126] Le Point du jour, n° 7.

[127] Mémoires de Ferrières, t. I, p 59.

[128] Mémoires de Ferrières, t. I. p. 60.

[129] Mémoires de Ferrières, t. I. p. 61.

[130] Mémoires de madame Campan, chap. XIV, p. 45.

[131] Challamel, Histoire-Musée de la République, p. 26.

[132] Mémoires de Weber, t. I, p. 365.

[133] Moniteur, du 24 au 27 juin.

[134] Le Point du jour, n° 9.

[135] Droz, Hist. du règne de Louis XVI, p. 251.

[136] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 257.

[137] Rabaut Saint-Étienne, Précis historique, p. 32.

[138] Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, t. V. p. 100.

[139] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 277.

[140] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 66.

[141] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 267.

[142] Lettre à M. le marquis de Luchet. Paris, 25 juillet 1789.

[143] Lettre à M. le marquis de Luchet. Paris, 25 juillet 1789.

[144] Challamel, Histoire-Musée de la République française, p. 26.

[145] Lettre à M. le marquis de Luchet.