HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME PREMIER

 

PREMIER AVIS AU LECTEUR.

 

 

La Révolution française a été une grande bataille où se trouvèrent engagés tous les intérêts, toutes les idées, toutes les passions qui peuvent tourmenter l'esprit ou agiter le cœur des hommes. Or, comme cette bataille, au fond, dure encore, il ne faut pas s'étonner si son histoire n'a été écrite jusqu'ici qu'au point de vue du combat, c'est-à-dire au point de vue de la ruse ou de la fureur. De là un entassement d'erreurs et de mensonges qui épouvante de plus en plus l'écrivain sincère, à mesure qu'il descend et s'enfonce dans les profondeurs de ce formidable sujet.

Aussi, pour quiconque vise au triomphe du parti qui doit survivre à tous les autres, celui de la vérité, prétendre écrire l'histoire de la Révolution française, c'est s'imposer la tâche, non-seulement de raconter les faits, mais d'évoquer devant le lecteur, pris pour juge, les témoins de ces faits, et là de les interroger un à un, de les confronter, de peser leurs témoignages, d'éclaircir leurs contradictions, de rectifier leurs souvenirs.

Supposez en effet que, sans citer ses autorités, sans indiquer ses sources, et sans se donner la peine de discuter les points douteux ou volontairement obscurcis, un historien vienne tout simplement ajouter un récit de plus aux récits déjà si nombreux qui ont été faits de la Révolution française, qu'en résultera-t-il ? Il n'aura fait qu'augmenter, pour le public, le nombre des relations contradictoires ; il n'aura fait qu'ajouter à la confusion qui naît de l'extrême variété des aspects ; au lieu d'avoir allumé un flambeau, il aura élargi la sphère des ténèbres.

J'ai donc cru de mon devoir d'éclairer par l'analyse historique, du moins autant que me le permettait mon cadre, le tableau des événements que j'avais à traiter. Seulement, pour ne pas interrompre la marche du récit et éviter d'en suspendre l'intérêt, j'ai eu soin de placer à la fin des chapitres les plus importants la dissertation qui s'y rattache. Ou je me trompe fort, ou cette méthode tout en donnant à mon livre un caractère absolument nouveau, est de nature à en accroître la valeur aux yeux de ceux qui apportent dans l'étude du passé un esprit sérieux et une âme sincère.

Il s'est trouvé que le British Museum possédait, relativement à la Révolution française, deux magnifiques collections, et, ce qui est le point essentiel pour un historien, deux collections cataloguées par ordre de matières. Quelques chiffres pris au hasard suffiront pour en faire apprécier l'importance et la richesse.

En relations contemporaines, brochures pour ou contre, discours, rapports, pamphlets, satires, chansons, statistiques, portraits, procès-verbaux, proclamations, placards, etc., etc., le catalogue comprend : sur la seule affaire du Collier, 3 énormes dossiers ; sur les Parlements, 6 ; sur les États généraux, 75 ; sur la Noblesse, 5 ; sur le Clergé, 86, sur les Travaux publics pendant la Révolution, 7 ; sur le Commerce pendant la Révolution, 3 ; sur l'Agriculture pendant la Révolution, 2 ; sur les Clubs, 29 ; sur les Fêtes civiques, 9 ; sur la Police des cultes, 62 ; sur les Poids et mesures, 1 ; sur les Sciences pendant la Révolution, 5 ; sur la Garde nationale, 5 ; sur les Sections de Paris, 5 ; sur l'Éducation, 9 ; sur la Philosophie, 16 ; sur les Monuments publics, 3 ; sur les Émigrés, 28 ; sur les Colonies, 45 ; sur la Mendicité et les Hospices, 4 ; sur les Prisons, 5 ; sur Robespierre, 12 ; sur Camille Desmoulins, 13 ; sur Brissot, 5 ; sur Marat, 15 ; sur Babœuf, 10. et ainsi de suite.

Inutile d'ajouter qu'à chaque événement notable de la Révolution correspond une masse de documents proportionnés à son importance. C'est ainsi, par exemple, que l'ensemble des pièces diverses relatives aux affaires d'Avignon va du n° 591 au n° 599.

Il est curieux de remarquer que, dans cette terrible époque, la gaieté française se démentit si peu, que les Facéties donnent le chiffre de 64 !

Quant aux histoires proprement dites, la collection s'étend du n° 1208 au n° 1540 ; et, pour ce qui est des journaux, ils abondent ; Actes des Apôtres, Thermomètre du jour, Mercure national, Sabbats jacobites, Semaines civiques, Journal des Amis, Journal du Diable, Chronique de Paris, Point du jour, Hérault national, Défenseur du Peuple, Ami des Patriotes, Journal d'économie politique, Semaine politique, Bouche de fer, Voix du peuple, Feuille du jour, Fouet national, Journal des Jacobins, Journal de la Montagne, Trompette du père Duchesne, Bulletin décadaire, Orateur plébéien, Nouvelliste universel, Spectateur, Observateur, Journal Pié, etc., etc. Que de productions à consulter utilement, sans compter les feuilles si connues de Camille Desmoulins, de Prudhomme, de Marat, de Fréron !

Je m'arrête. Ce que je viens de dire donnera une idée suffisante des ressources mises à ma disposition. Si j'en ai tiré parti, c'est ce dont il appartient à mes lecteurs de décider. Et certes, je n'ai rien négligé pour mettre ceux d'entre eux qui en auraient le loisir, en état de recommencer mon travail, car je ne leur demande pas de croire aveuglément à mes assertions, mais de les vérifier.