HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME PREMIER

 

PRÉFACE DE 1862.

 

 

Le livre qu'on va lire a été, pendant dix-huit ans, l'occupation, le charme et le tourment de ma vie.

Ainsi que tant d'autres, j'aurais, peut-être, pu me concilier la faveur du plus grand nombre, en paraissant adorer ce que le monde adore et en vilipendant tous ceux qu'il a vilipendés. J'aurais pu courtiser avec profit, par un étalage d'admirations banales et de haines toutes faites, ce que certains appellent la conscience publique. Mais ce qui gouverne mes pensées et commande à ma parole, ce n'est pas votre conscience ou la leur : c'est la mienne. A qui aime la vérité d'un amour digne d'elle, qu'importe l'opposition de la terre entière, si sur un point donné, la terre entière se trompe ou ment ? Un honnête homme n'a peur que de lui-même.

J'ai été élevé par des parents royalistes. L'horreur de la Révolution est le premier sentiment fort qui m'ait agité.

Pour porterie deuil et embrasser le culte des victimes, je n'avais nul besoin de sortir de ma propre famille, car mon grand-père fut guillotiné pendant la Révolution, et mon père eût été guillotiné comme lui, s'il n'eût réussi à s'évader de prison la veille du jour où il devait passer en jugement.

Ce n'est donc pas sans quelque peine que je suis parvenu à me faire une âme capable de rendre hommage aux grandes choses de la Révolution et à ses grands hommes. Maudire les crimes qui l'ont souillée n'exigeait certes de moi aucun effort.

Je plains quiconque, en lisant ce livre, n'y reconnaîtrait pas l'accent d'une voix sincère et les palpitations d'un cœur affamé de justice.

 

LOUIS BLANC.