HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME SECOND

 

APPENDICE

 

 

N° 3. — ARBITRAGES DE LA COMMISSION DU Luxembourg.

 

MÉCANICIENS

Extrait du MONITEUR du 26 mars 1848.

Ce matin, à huit heures, a eu lieu, au Luxembourg, sous la présidence de M. Louis Blanc, une réunion d'ouvriers, représentant les ateliers de MM. Derosne et Cail. Là, en présence de ce dernier, on a discuté longuement sur le système provisoire à adopter pour la reprise immédiate des travaux, ainsi que sur un système qui peut être définitif. Après avoir envisagé la question sous tous ses, aspects, la réunion a adopté, quant au système provisoire, le projet suivant :

 

SYSTÈME PROVISOIRE À ÉTABLIR

1° Les ouvriers mécaniciens de l'atelier Derosne et Cail forment entre eux une association basée sur ce principe adopté dès à présent, que, s'il arrivait que la masse des travaux à exécuter né fût pas en rapport avec le nombre des travailleurs, elle sera répartie de manière à ce qu'aucun d'eux ne soit privé de travail, c'est-à-dire de pain.

Les ouvriers eux-mêmes détermineront lequel de ces deux systèmes il convient de choisir :

Ou bien égalité dans la répartition des salaires et du bénéfice à la fois ;

Ou bien égalité dans la répartition du bénéfice seulement.

2° La somme des salaires, actuellement payée aux ouvriers mécaniciens, ne sera pas changée ; seulement, l'entrepreneur s'engage à y ajouter, sous forme de bénéfices, un onzième du prix des façons, calculé sur la moyenne des prix de chaque pièce, depuis le commencement de la commande jusqu'à ce jour, à condition, toutefois, que cela sera possible ; ce qui sera examiné par le commissaire délégué à cet effet et auquel seront adjoints une commission nommée par les ouvriers et un ingénieur.

3° Le commissaire, la commission nommée par les ouvriers et l'ingénieur auront à s'occuper, par mission spéciale, de jeter les bases du système définitif à adopter, en partant de ce principe, qu'il est de la plus haute importance de sortir du provisoire le plus promptement possible.

M. Vidal est nommé commissaire aux fins ci-dessus sur la désignation même des ouvriers présents.

25 mars 1848.

CH. DEROSNE ET CAIL, DREVET, LALOYE, COLLIN.

Le maire du 1er arrondissement,

A. DURAND SAINT-AMAND.

Approuvé :

LOUIS BLANC,

membre du gouvernement provisoire, président de la Commission de gouvernement pour les travailleurs.

 

Extrait du MONITEUR du 29 mars 1848.

Nous nous empressons d'annoncer que, par suite de l'intervention de la Commission de gouvernement pour les travailleurs, le travail a complètement et immédiatement repris dans les ateliers de MM. Derosne et Cail, constructeurs de machines qui occupent un si grand nombre d'ouvriers. Des demandes d'arbitrage sont adressées de toutes parts à M. Louis Blanc par les travailleurs et les patrons. Les demandes sont toujours accueillies avec empressement et plaisir, et de cette mutuelle confiance sert presque toujours la conciliation. Les ateliers sont aussitôt rouverts. C'est ainsi que, par le bon, le noble esprit de tous, se réalise chaque jour ce mot, prononcé dès le premier jour, l'ordre dans la liberté.

 

PAPIERS PEINTS

Extrait du MONITEUR du 2 avril 1848.

Loin d'user de son influence pour dicter des lois aux patrons ou entrepreneurs, la Commission du Luxembourg ne s'en sert que pour résoudre les difficultés par des arrangements amiables. Les chefs d'ateliers savent mieux que personne si la Commission procède par l'arbitraire ; mieux que personne ils sont en état d'apprécier les services que la Commission a déjà rendus à l'industrie, et beaucoup d'entre eux sont bien convaincus que l'intervention conciliatrice de cette Commission est aujourd'hui une des garanties les plus efficaces de la tranquillité de la capitale.

Chaque jour amène une conciliation nouvelle. Hier, la Commission a mis fin au différend qui existait entre les patrons et les ouvriers de l'industrie des papiers peints, et, aujourd'hui, le travail a repris dans tous les ateliers de Paris. Nous donnons ici le texte de la convention qui a été signée, séance tenante, entre les six délégués représentant les intérêts opposés, et nous signalons un curieux incident qui fait le plus grand honneur à la générosité des deux parties.

Quand il s'est agi de la nomination du président du comité des douze, un délégué des ouvriers a proposé de choisir ce président parmi les patrons et de le faire désigner par les représentants des ouvriers. Les délégués des fabricants, à leur tour, ne voulant pas que la majorité fût acquise aux patrons, ont aussitôt repoussé cette offre délicate, en demandant que le président fût pris parmi les personnes complètement désintéressées. Alors les ouvriers et les maîtres ont spontanément déféré la présidence au secrétaire même de la Commission, qui s'est récusé, tout en exprimant ses remercîments sincères pour ce témoignage de confiance, et qui a lui-même proposé de laisser au comité le soin de désigner le président. Il a seulement consenti à ce que la Commission intervînt pour déterminer le choix, dans le cas où les parties ne pourraient parvenir à s'entendre.

Voici le procès-verbal de cette séance :

Entre les délégués des patrons et ouvriers de l'industrie des papiers peints, réunis au Luxembourg le 31 mars 1848, sous la présidence du secrétaire général de la Commission de gouvernement pour les travailleurs, il a été amiablement convenu, à la satisfaction de toutes les parties :

Il sera nommé une commission chargée de préparer les bases d'une conciliation à opérer entre les ouvriers et les patrons.

Cette commission sera composée de six délégués des patrons et de six délégués des ouvriers. Cette commission choisira, en dehors de son sein, un président qui aura droit de vote pour départager les avis et amener une décision.

Si la commission des ouvriers et des patrons ne peut s'entendre pour le choix du président, le président sera désigné par la commission du Luxembourg, ainsi que les délégués présents l'ont demandé.

La commission des douze membres, dont il vient d'être parlé, préparera les bases d'un tarif pour les prix des façons et des salaires, et aura à proposer toutes les mesures qu'elle jugera avantageuses dans l'intérêt des patrons et des ouvriers.

Sa mission spéciale sera d'amener la conciliation amiable de tous les intérêts différents, et de mettre fin à tous les dissentiments qui existent aujourd'hui entre les patrons et les ouvriers.

Approuvé par les six délégués présents.

(Suivent les six signatures.)

 

PAVEURS

[Extrait du MONITEUR du 2 avril 1848.]

Aujourd'hui même, une autre conciliation a eu lieu (devant la Commission du Luxembourg) entre les maîtres et les ouvriers paveurs, représentés par les délégués.

Les maitres paveurs avaient écrit à la Commission qu'ils acceptaient d'avance tout ce qu'elle croirait devoir faire. Mais la Commission n'a point voulu user de ce plein pouvoir donné par écrit. Elle a appelé les délégués des deux parties, qui se sont entendus à l'amiable et qui ont signé d'un commun accord le traité dont ils ont eux-mêmes précisé les termes et les conditions.

 

Lettre des entrepreneurs du pavé de Paris.

Paris, 31 mars 1848.

Aux citoyens de la Commission des travailleurs.

Citoyens, par suite de plusieurs communications que quelques-uns d'entre nous ont eu l'honneur d'avoir aujourd'hui avec vous, sur la convocation qui nous a été adressée, nous nous sommes assemblés, et, après avoir délibéré sur la question qui divise les ouvriers paveurs et nous, nous avons résolu de nous en référer à votre arbitrage.

En conséquence, citoyens, nous déclarons nous en rapporter, pour le prix des journées des ouvriers, à ceux que dans votre sagesse vous voudrez bien fixer.

Nous avons l'honneur, etc.

Les cinq entrepreneurs du pavé de Paris.

LESIEUR, TERWAAGNE, FRANCASTEL, GUÉRIN, JAROUX.

 

Convention entre les maîtres et les ouvriers paveurs.

Entre les délégués des maîtres et des ouvriers paveurs réunis au Luxembourg le 1er avril 1848, sous la présidence du secrétaire général de la Commission de gouvernement pour les travailleurs, a été convenu ce qui suit, à la satisfaction de toutes les parties :

A dater du 1er avril 1848, le prix des salaires sera fixé comme suit :

Pour les compagnons de relevé à bout, 4 fr. 50 c. au minimum, — Pour les compagnons de repiquage, 3 fr. 75 c. au minimum. — Pour les garçons paveurs, 2 fr. 50 c. au minimum.

Approuvé par toutes les parties intéressées.

NOLLE, SERINGUIN, FRANCASTEL, JAROUX.

 

LES DÉBARDEURS

Convention entre les débardeurs et les marchands de bois de la rive gauche.

Entre les délégués des marchands de bois de la rive gauche (port des Invalides), d'une part, et les représentants des ouvriers débardeurs du même port, d'autre parti tous réunis au Luxembourg, le 1er mai 1848, sous la présidence du secrétaire général de la Commission de gouvernement pour les travailleurs, a été amiablement convenu ce qui suit :

Les travaux seront payés, savoir ;

Pour un train de Bourgogne brossé : 90,00 fr.

Pour un train de traverses : 58,00 fr.

Pour un train lavé (3 journées de lavage) : 38, 00 fr.

Pour un train lavé (2 journées de lavage) : 28,00 fr.

Pour un train de Marne brossé, 12 coupons : 96,00 fr.

12 coupons de bois de Marne, tiré et lavé : 33,00 fr.

12 coupons de bois de Marne, bois blanc : 39,00 fr.

Un train de Brinon, brossé : 108,00 fr.

Un train de Brinon, canal de Bourgogne : 108,00 fr.

Bois neuf, pour débardage au crochet, triage compris, ou pour rinçage, à la volonté du marchand ; par corde : 1,00 fr.

Débardage des cotrets, le petit mille : 2,50 fr.

Débardage margotins : 2,25 fr.

Approuvé et signé par toutes les parties.

Signé : BROSSONNEAU, CHÂTELAIN, BILLARD, VITU, ALEXANDRE.

 

ENTREPRENEURS ET COCHERS DE PLACE.

RÈGLEMENT ENTRE LES ENTREPRENEURS ET COCHERS.

Par devant la Commission des travailleurs, il a été convenu entre les entrepreneurs et les cochers de voitures de place de Paris, à la date du 13 avril, savoir :

ART. 1er. La journée sera désormais maintenue à 3 francs avec les pourboires et sans aucuns frais.

ART. 2. Considérant que le travail au quart ou à la planche est reconnu comme marchandage, et doit être aboli dans quelque maison que ce soit, l'entrepreneur ne devra pas employer de cocher autrement qu'à la journée de 3 francs.

ART. 3. Aucune amende, quelle qu'elle soit, ne pourra être infligée au cocher ; mais, dans le cas où ce dernier se serait amusé avec sa voiture, il serait responsable envers son entrepreneur de la journée au terme moyen, plus 2 francs.

ART. 4. Il ne sera pas fait payer de limonière, lorsque le cheval du cocher se sera abattu et en aura occasionné la casse.

ART. 5. En cas d'avarie, le cocher devra prendre des témoins et l'entrepreneur se charger de faire les démarches en cas de procédure, Cependant, si le cocher ne pouvait atteindre l'auteur du dégât et qu'il puisse prouver qu'il n'y a pas de sa faute, la perte sera partagée entre l'entrepreneur et le cocher.

ART. 6. Aucun entrepreneur ne pourra rendre responsable un cocher des maladies ou accidents survenus aux chevaux pendant le travail. Cependant, dans le cas où un accident causé à un cheval serait grave, il en serait référé devant les délégués.

ART. 7. Que les cochers soient payés tous les jours.

ART. 8. Que pour le tarif après minuit, il appartienne aux cochers : — fiacre, coupé, cabriolet, 50 cent, par heure ; — fiacre, 25 cent, par course ; — coupé et cabriolet, 15 cent, par course.

ART. 9. Lorsqu'un entrepreneur voudra renvoyer un cocher, il pourra le faire immédiatement. Un cocher qui voudra sortir de chez un entrepreneur sera tenu de prévenir quatre jours d'avance.

ART. 10. Tout cocher qui désirerait se reposer sera tenu de prévenir l'entrepreneur à six heures du matin en été, à sept heures en hiver. Si, à ce moment, il ne pouvait être remplacé, il serait tenu de sortir sa voiture, sauf le cas de maladie constatée.

ART. 11, Les entrepreneurs s'engagent à payer, à raison de 5 p. 100, l'intérêt du cautionnement déposé en numéraire par le cocher.

ART. 12. Ne pouvant admettre aucune amende, quelle qu'elle soit, le cocher pris pour infraction dans sa recette sera renvoyé par l'entrepreneur, sans pouvoir forcer ce dernier à lui donner un certificat. Si, cependant, le cocher prétendait être pris à faux, il serait jugé par les trois délégués des cochers et les trois délégués des entrepreneurs, et en présence de l'accusateur.

Délégués des loueurs :

Délégués des cochers :

MICHARD,

RONDINEAU,

VARIN,

BOISGONTIER,

RIEUSSEC,

DUTRON.

 

MARÉCHAUX

Lettre des délégués des maîtres maréchaux au président de la Commission.

Citoyen, des différends se sont élevés entre les maîtres maréchaux qui ferrent les chevaux des services publics et des ouvriers qui ne travaillent pas dans ces entreprises et qui se sont présentés au nom de leur corporation. Nous désirons que ces différends soient soumis à votre appréciation en présence des délégués des ouvriers maréchaux : nous vous prions donc de nous convoquer avec ces délégués et de nous entendre contradictoirement le plus promptement possible, car ces ouvriers menacent ceux qui sont employés dans les entreprises de les empêcher de travailler.

Salut et fraternité.

MATHIOT, BISSE, VILLATE,

Délégués des maîtres maréchaux.

Ce 7 avril 1848.

 

PLOMBIERS-ZINGUEURS

Convention entre les maîtres et les ouvriers.

Entre les délégués des ouvriers plombiers-zingueurs, d'une part, et MM. Fontaine, Seiffert, Renaudot, Letalec et Marie jeune, d'autre part, tous réunis au Luxembourg, sous la présidence du secrétaire général de la Commission de gouvernement pour les travailleurs, a été amiablement convenu d'un commun accord, entre toutes les parties intéressées :

Art. 1er. La durée de la journée reste fixée comme précédemment, savoir : du jour au jour en hiver, et, en été, à dix heures de travail effectif.

Art. 2. Le prix de la. journée, tant d'hiver que d'été est fixé, au minimum, à 5 francs pour les compagnons et à 3 francs pour les garçons.

Art. 3. Les heures de nuit seront payées double.

Art. 4. Il est interdit à tout compagnon de faire des heures en dehors de la journée.

Art. 5. Il est accordé 1 franc par jour de déplacement aux compagnons et garçons, quand ils iront travailler hors des murs d'enceinte.

Art. 6. Le marchandage, même individuel, est interdit.

Art. 7. La paye se fera tons les quinze jours au plus tard.

Art. 8. Chaque patron ne pourra avoir qu'un apprenti.

Art. 9. Les apprentis, après une année de travail, seront payés comme compagnons.

Art. 10. Il est expressément défendu aux patrons d'embaucher un compagnon se présentant chez eux, comme il est défendu aux compagnons d'aller s'embaucher chez les patrons.

Art. 11. Tout compagnon et tout garçon ne peuvent être embauchés qu'à la grève (lieu d'embauchage), les patrons ayant la faculté d'embaucher tel ou tel compagnon, soit individuellement, soit par lettre ou par l'intermédiaire d'un camarade.

Art. 12. Les patrons sont instamment priés de faire connaître, à la grève, les plaintes qu'ils auraient à faire contre les compagnons ou garçons, pour qu'il soit fait droit à leurs réclamations.

Art. 13. Tous compagnons de grève, étant porteur d'une carte, ne peuvent être embauchés que sur la présentation de cette carte.

Art. 14. Tous patrons ou compagnons sont instamment priés de signaler à la grève les infractions au présent règlement.

Art. 15. A partir du 1er avril 1848, la grève est et demeure fixée chez M. Durand, marchand de vins, rue Quincampoix, n° 69.

Signé : SEIFFERT, RENAUDOT, BERTRAND, MARIE, FONTAINE, LEMOINE, LETALEC.

 

SCIEURS DE PIERRES

Convention entre les délégués des ouvriers scieurs de pierre et la chambre des entrepreneurs de maçonnerie.

Les soussignés, membres de la chambre des entrepreneurs de maçonnerie de la ville de Paris et du département de la Seine, commis à l'effet ci-après par l'assemblée générale du 13 courant, d'une part, et les soussignés délégués des ouvriers scieurs de pierre du département de la Seine, d'autre part ;

Vu la demande adressée à la chambre par lesdits ouvriers délégués, et tendante à fixer le prix du sciage de pierre ;

Vu le décret du Gouvernement provisoire qui fixe à dix heures la journée de travail ;

Considérant que le moyen d'éviter des grèves, qui sont toujours contraires aux intérêts communs, est, en effet, la fixation du prix du sciage ;

Considérant, en outre, qu'il est essentiel de faire disparaître l'abus ou la gêne qui se produit fréquemment dans les chantiers, et qui consiste, pour le scieur de pierre, à abandonner un trait de sciage avant qu'il soit achevé ;

Par toutes ces causes, les soussignés ont, dans les limites de leurs pouvoirs respectifs, arrêté pour l'avenir le prix du mètre superficiel du sciage de la pierre ainsi qu'il suit...

Ici vient le tarif de la coupe des différentes qualités de pierre, puis un règlement qui se termine ainsi :

Les articles dont les prix ne sont pas portés, ainsi que toutes les qualités de pierre non énumérées, seront l'objet d'une fixation de prix entre la chambre et les délégués.

Les entrepreneurs promettent leur concours et celui de leurs appareilleurs, pour faire en sorte qu'il n'entra dans leurs chantiers que des scieurs de pierre munis du livret de leur corporation et portant le cachet de la chambre syndicale.

Fait en quatre originaux, à la chambre syndicale, aujourd'hui, 29 avril 1848, dont un pour les membres de la chambre, un pour les délégués scieurs de pierre, un troisième pour être déposé à la Commission des travailleurs, au Luxembourg, et le quatrième pour être déposé aux prud'hommes.

(Suivent les signatures.)