HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME PREMIER

 

CHAPITRE CINQUIÈME. — LA RÉPUBLIQUE UNIVERSELLEMENT RECONNUE

 

 

Élan de sympathie qui accueillit partout en France la Révolution de février. — Députations et adresses, de toutes les classes de la population an Gouvernement provisoire. — Mandement de l'archevêque de Paris. — Déclaration de l'Univers religieux. — Adhésions spontanées lu Conseil d'Etat, de l'Université, de la Cour des comptes, de la Cour de cassation, des chefs de l'armée, etc. — Offres de service du maréchal Bugeaud et du général Changarnier. — M. de la Rochejaquelein au Luxembourg. — Circulaire électorale de M. de Montalembert. — Témoignage d'admiration de M. de Falloux pour le peuple de Paris. — Lettre de Louis Bonaparte au Gouvernement provisoire. — Obsèques des morts de Février. — Caractère imposant de cette cérémonie. — Récit du Moniteur — Le prétendu gouvernement de surprise acclamé librement par tous les partis — La République déclarée impossible en France. — Fausseté de cette assertion, au point de vue historique et philosophique. — Parallèle entre l'esprit anglais et l'esprit français.

 

Paris était sans un seul soldat, sans un sergent de ville. Le Gouvernement provisoire n'avait aucun moyen d'imposer l'obéissance : ni artillerie, ni baïonnettes ; pas de garde, pas même un corps organisé d'adhérents. Les masses armées, qui, par intervalles, remplissaient les rues et les places publiques, ne constituaient point une force permanente, bien moins encore une force dont le gouvernement pût disposer, soit pour combattre une révolte, soit pour étouffer une protestation. En outre, la liberté illimitée de la presse avait été, dès la première heure, reconnue, et chacun pouvait exprimer librement sa pensée[1].

Eh bien, en l'absence de toute contrainte, les adhésions arrivèrent en foule. Ouvriers de toute corporation, marchands de toute classe, fonctionnaires publics de tout degré, députations de la magistrature, députations du clergé, se succédèrent sans interruption à l'hôtel de ville. Les adresses de félicitations ne se pouvaient compter. On voyait à toute heure sur la place de Grève, comme un courant de processions précédées de bannières, et pas une minute ne se passait que quelque présent en argent ne fût apporté. Jamais les impôts ne furent payés avec autant d'empressement que dans les premiers jours de la Révolution de février. Des femmes de la plus haute aristocratie, la comtesse de Lamoignon, la comtesse de Chantenay, la comtesse de Brincourt, la marquise de Lagrange, la duchesse de Maillé, et bien d'autres, se firent un joint d'honneur d'inscrire leurs noms sur les listes de souscription en faveur des blessés.

Le 24 février même, dans la soirée, monseigneur Affre, archevêque de Paris, parlant au nom du-clergé, rendit foi et hommage à la République, et ordonna aux curés de son diocèse de chanter dans leurs églises Domine salvum fac populum, au lieu de Domine salvum fac regem. Son mandement commençait ainsi :

En présence du grand événement dont la capitale vient d être le théâtre, notre premier mouvement a été de pleurer sur le sort des victimes que la mort a frappées d'une manière si imprévue ; nous les pleurons tous, parce qu'ils sont nos frères ; nous les pleurons, parce que nous avons appris une fois de plus tout ce qu'il y a dans le cœur du peuple de Paris de désintéressement, de respect pour la propriété et de sentiments généreux[2].

Et, peu de jours après, le père Lacordaire — faisant allusion aux ouvriers, qui, dans l'ardeur de la lutte, avaient respectueusement porté à Saint-Roch le Christ de la chapelle des Tuileries — s'écriait du haut de la chaire de Notre-Dame :

Vous démontrer Dieu ! mais vous auriez le droit de m'appeler parricide et sacrilège ! Si j'osais entreprendre de vous démontrer Dieu, mais les portes de cette cathédrale s'ouvriraient d'elles-mêmes et vous montreraient ce peuple, superbe en sa colère, portant Dieu jusqu'à son autel, au milieu du respect et des adorations !

A son tour, le journal ultramontain, l'Univers, publiait la déclaration suivante :

Dieu parle par la voix des événements. La Révolution de 1848 est une notification de la Providence. Ce ne sont pas les conspirations qui peuvent de la sorte bouleverser de fond en comble et en si peu de temps les sociétés humaines. Qui songe aujourd'hui en France à défendre la monarchie ? qui peut y songer ? La France croyait encore être monarchique et elle était déjà républicaine. La monarchie n'a plus aujourd'hui de partisans. Il n'y aura pas de meilleurs et de plus sincères républicains que les catholiques français.

 

Les membres du Conseil d'État choisirent M. de Cormenin pour exprimer leurs sentiments d'admiration à l'égard de ce qu'ils appelaient cette grande et sublime révolution.

M. Géruzez, au nom de l'université de Paris, vint saluer cette révolution qui, dit-il, était accomplie pour le salut de l'humanité, et devait être baptisée l'impérissable République !

Tous les corps judiciaires, les uns après les autres, accoururent à l'hôtel de ville, pour ajouter à la force de leurs serments officiels par des protestations volontaires et enthousiastes.

Ce fut moi qui, le 29 février, reçus l'adhésion de la Cour des comptes ; et je n'ai point oublié avec quels élans de sympathie presque juvénile les vieux magistrats accueillirent cette phrase de ma courte réponse :

La devise de la République ne sera plus Liberté, Ordre public ; ces deux choses sont inséparables. Ce que nous devons avoir désormais, c'est l'ORDRE DANS LA LIBERTÉ[3].

A leur tour, le 3 mars, les membres de la Cour de cassation se rendirent à l'hôtel de ville, où, par l'organe de leur premier président, M. Portalis, ils déclarèrent solennellement que le Gouvernement provisoire était le centre autour duquel il était du devoir de tous de se rallier. M. Portails termina ainsi :

Nous avons foi en votre sagesse, en votre patriotisme, en votre fermeté : ce que vous avez fait jusqu'ici nous répond de ce que vous ferez. La nation vous secondera[4].

Les chefs de l'armée vinrent, à l'envi les uns des autres, offrir leurs services à la République, notamment les maréchaux Soult, Sébastiani, Gérard, les généraux Oudinot, Laffitte, Baraguay-d'Hilliers, etc.

Les lettres où ces importants personnages jurèrent fidélité à la République rempliraient un gros volume. Je me contenterai de citer les suivantes ; les choix que j'ai faits peuvent se passer de commentaires.

Au ministre de la guerre.

Monsieur le ministre,

Les événements qui viennent de s'accomplir, le besoin d'union générale pour assurer l'ordre à l'intérieur, et l'indépendance à l'extérieur, me font un devoir de mettre mon épée au service du gouvernement qui vient d'être institué.

J'ai toujours considéré comme le plus saint des devoirs la défense du territoire, de la patrie.

Je vous prie de m'accuser réception de cette déclaration, et de recevoir l'assurance de ma haute considération.

Duc D'ISLY.

 

Cette lettre est plus que toute autre significative ; car elle émanait de ce même- maréchal Bugeaud qui, sous Louis-Philippe, s'était couvert, tache indélébile, du sang des républicains.

Cette adhésion fut bientôt suivie de celle du général Changarnier.

Voici sa lettre :

Au ministre de la guerre

Monsieur le ministre,

Je prie le gouvernement républicain d'utiliser mon dévouement à la France.

Je sollicite le commandement de la frontière la plus menacée. L'habitude de manier les troupes, la confiance qu'elles m'accordent, une expérience éclairée par des études sérieuses, l'amour passionné de la gloire, la volonté et l'habitude de vaincre, me permettent sans doute de remplir avec succès tous les devoirs qui pourront m'être imposés.

Dans ce que j'ose dire de moi, ne cherchez pas l'expression, d'une vanité puérile, mais l'expression du désir ardent de dévouer toutes mes facultés au service de la patrie.

CHANGARNIER.

 

A propos du général. Changarnier, voici un fait qui mérita, je crois, d'être mentionné. Le, général avait dans le Conseil un très-chaud partisan, M..Marrast, et un adversaire décidé, moi. Ce n'est pas que je me sentisse porté à déprécier ses actions d'éclat ; personne, au contraire, sous ce rapport, ne lui avait rendu plus complète justice que je ne l'avais fait dans mon Histoire de dix ans. Mais je le croyais décidément hostile à la République ; et une. chose me confirmait dans cette croyance : j'avais appris, que. la proclamation de la République lui avait arraché une exclamation, très-militaire sans doute dans sa crudité, mais très-expressive, trop expressive même pour trouver place ici. Je tenais le fait de bonne source, un de mes amis ayant été présent quand la scène se passa. C'est pourquoi, lorsque M. Marrast mentionna, dans le Conseil, le nom du général Changarnier, je m'opposai à ce qu'on lui confiât un pouvoir dont, à la première occasion, il eût pu se servir pour faire pencher la balance : en faveur du parti opposé. J'ai tout lieu de penser que M. Marrast ne se crut pas obligé au secret ; car, sans perdre de temps, le général Changarnier vint me voir au Luxembourg, protesta qu'on l'avait peint sous de fausses couleurs, et n'oublia rien de ce qui pouvait me prouver qu'il était prêt à servir fidèlement La République. A la même époque, dans le même lieu, M. de la Rochejaquelein me rendit aussi une visite, qu'une singulière circonstance a gravée dans mon souvenir. Au moment où on l'annonça, une nombreuse députation d'ouvriers attendait à la porte. Je fis signe qu'on fit entrer M., de la Rochejaquelein, mais seulement pour lui dire, de vive voix, combien je regrettais d'être forcé de remettre l'entrevue qu'il me demandait. IL était dans un état véritable de ravissement, et je crois qu'il était tout à fait sincère. N'importe ! n'importe ! s'écria-t-il précipitamment, je n'ai rien de particulier à vous dire ; je désirais seulement vous faire connaître les sentiments dont tant de merveilles remplissent mon cœur. Ah ! que c'est beau ! que c'est beau ! Et, après m'avoir serré dans ses bras, il sortit.

Je n'insisterai pas sur les déclarations publiques de MM. Dupin et Baroche. La façon de procéder de ces messieurs, en pareil cas, est de notoriété publique. Mais il ne peut pas être sans intérêt pour les lecteurs de savoir quel était, alors, le langage tenu par des hommes tels que M. de Montalembert et M. de Falloux, deux des chefs du parti légitimiste.

M. de Montalembert, s'adressant aux électeurs du département du Doubs, regrettait, en ces termes, de n'avoir pas été de bonne heure initié à la science du socialisme :

Dans l'ordre politique, je n'ai eu qu'un seul drapeau, la liberté en tout et pour tous. J'ai réclamé la liberté d'enseignement, la liberté de l'association, comme la base et la garantie de toutes les autres libertés. J'ai peut-être à me reprocher d'avoir partagé, non pas l'indifférence, mais l'ignorance de la plupart des hommes politiques sur plusieurs des questions sociales et économiques qui occupent aujourd'hui une si grande et si juste place dans les préoccupations du pays. Si la vie politique m'était ouverte par le suffrage de mes concitoyens, je travaillerais de bonne foi et sans la moindre arrière-pensée à fonder la constitution de la République.

 

M. de Falloux, dans une lettre, expression de ses sentiments les plus intimes, rendait en ces termes justice à ceux que lord Normanby traite de ruffians :

Je ne puis, du reste, terminer ce griffonnage sans consigner ici, ce qui n'étonnera que ceux de nos amis éloignés du théâtre des événements, mon admiration — je souligne le mot — pour le peuple de Paris. Sa bravoure a été quelque chose d'héroïque, ses instincts d'une générosité, d'une délicatesse qui surpasse celle de beaucoup de corps politiques qui ont dominé la France depuis soixante ans. On peut dire que les combattants, les armes à la main, dans la double ivresse du danger et du triomphe, ont donné tous les exemples sur lesquels n'ont plus qu'à se régler aujourd'hui les hommes de sang-froid. Us ont donné ' à leur victoire un caractère sacré ; unissons-nous à eux pour que rien désormais ne le dénature ou ne l'égaré.

 

Et Louis Bonaparte ! Arrivé à Paris le 28, il protestait ainsi qu'il suit de son dévouement au Gouvernement provisoire :

Messieurs,

Le peuple de Paris ayant détruit par son héroïsme les derniers vestiges de l'invasion étrangère, j'accours de l'exil pour me ranger sous le drapeau de la République qu'on vient de proclamer.

Sans autre ambition que celle de servir mon pays, je viens annoncer mon arrivée aux membres du Gouvernement provisoire, et les assurer de mon dévouement à la cause qu'ils représentent, comme de ma sympathie pour leurs personnes.

Recevez, Messieurs, l'assurance de ces sentiments.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

 

A cette époque, le décret de bannissement qui frappait la famille de l'empereur n'avait pas été annulé. Mais le Gouvernement provisoire avait adopté une politique trop généreuse pour se prévaloir d'une loi si injuste. J'ignore s'il est vrai, comme on l'a dit, que certains membres du Gouvernement firent savoir officieusement à Louis Bonaparte qu'ils craignaient que sa présence ne pût donner lieu à quelques désordres ; mais je n'ai pas le moindre souvenir qu'une démarche de ce genre ait fait l'objet d'une décision prise dans le Conseil, ou même ait été jamais mise en discussion. L'occasion, du reste, ne s'en présenta pas ; car la présence de Louis Bonaparte à Paris fut à peine remarquée alors. Il s'aperçut bientôt que le mieux pour lui était de se retirer, et il retourna à Londres Mais sa lettre restera comme un témoignage éternel de la réalité de ce pouvoir irrésistible qui força tous les mardis à s'incliner devant la République.

Dira-t-on que tant de professions de dévouement et de fidélité, venant de quartiers si divers, manquaient toutes également de sincérité ? Mais, en supposant cela vrai, quelle preuve plus convaincante pourrait-on donner de la prodigieuse force morale du gouvernement nouveau ? Si l'idée de sa durée n'eût pas si bien pris possession des esprits, tous les hommes jouissant de quelque notoriété auraient-ils ainsi consenti à briguer ses faveurs ? se seraient-ils gratuitement jetés dans le parjure et l'hypocrisie, pour se mettre dans les bonnes grâces d'un pouvoir sans vitalité ? Je ne nierai point qu'il n'y ait en France des hommes pour qui la force est le droit, et qui ne jurèrent jamais fidélité qu'à... leurs traitements ; mais les personnes de ce caractère sont justement les dernières qu'un gouvernement mal assuré puisse se flatter d'amener à lui. Quel que soit donc le sens qu'il plaise aux détracteurs de la République de donner aux élans de sympathie qui accueillirent partout la Révolution de février, ces élans eux-mêmes seraient absolument inexplicables, si la République n'eût pas été généralement regardée comme une institution pleine de vie.

Mais la supposition que je viens d'examiner est-elle admissible ? Je n'hésite pas à rendre à, mon pays la justice de dire, : non ! Que, même alors, le succès ait eu ses adorateurs, cela est certain ; mais je nie qu'il n'y ait eu que mensonge au fond du mouvement immense dont nous fûmes témoins à l'hôtel de ville. Dans l'entraînement général, beaucoup furent sincères, plus sincères qu'ils ne seraient peut-être disposés à l'avouer aujourd'hui. La magnanimité du peuple de février-subjugua moralement ses plus déterminés détracteurs. En voyant combien désintéressés et généreux étaient les hommes qu'on Leur avait représentés comme des barbares lancés à la, curée de la civilisation, plusieurs, M. de Falloux, par exemple, et l'archevêque de Paris, se sentirent le cœur touché, et ne purent retenir un cri d'admiration. Il y en eut qui, n'ayant jamais cru jusqu'alors l'a République possible, devinrent tout à coup républicains.. Les orgueilleux furent alors frappés, pour la première fois, de tout ce que des haillons peuvent cacher de véritable noblesse. Il y eut une heureuse recrudescence du sentiment de l'honneur collectif, et le ton de la vie publique dans toutes les classes s'éleva prodigieusement.

Il y parut assez le 24 février, à cette inauguration de la République, que saluèrent, sur la place de la Bastille, les libres acclamations de tout Paris, et, d'une manière plus saisissante encore, le 4 mars, aux obsèques des citoyens morts dans la lutte. La cérémonie eut lieu au milieu d'un concours immense dans l'église de la Madeleine, et aucun de ceux qui assistèrent au service funèbre n'oubliera l'attitude touchante du peuple en ce jour de deuil. L'église, tendue de noir, était éclairée par quinze torches funéraires. Un grand catafalque, sur Les côtés duquel on lisait l'inscription : Morts pour la patrie ! avait été érigé entre la nef et le chœur. Là, sans autre signe distinctif qu'une écharpe tricolore, lés membres du Gouvernement provisoire. ; autour d'eux, la municipalité de Paris, les maires des douze districts, les familles des victimes, les officiers généraux de l'armée et de la marine, l'École polytechnique, lès Ecoles de droit et de médecine ; les députations des instituts scientifiques et littéraires ; celles des corporations d'ouvriers ; celles de la Cour de cassation, de la Cour d'appel, de la Cour des comptes, du Conseil d'État, et des tribunaux ; en un mot, tout ce qui représente la société française.

A une heure et demie, le service funèbre étant achevé, le cortège quitta l'église, et se dirigea vers la place de la Bastille, à travers une double ligne de gardes nationaux, qui s'étendait de la place de la Madeleine à la colonne de Juillet. Point de vaine pompe, point d'équipages somptueux, point de foule de laquais, point de cavaliers caracolant, l'épée à la main, autour de carrosses royaux. Les membres du Gouvernement provisoire, à pied, au milieu de leurs concitoyens, marchaient sans autre garde que l'amour et le respect du peuple.

A quatre heures et demie, les cercueils furent déposés dans.les tombeaux sous la colonne de Juillet, du haut de laquelle tombait un long crêpe, parsemé de larmes d'argent. Et, après des discours dans lesquels MM. Crémieux et Garnier-Pagès exprimèrent les sentiments qui agitaient tous les cœurs, le peuple se retira, silencieux et recueilli.

Le passage suivant du Moniteur présente un tableau fidèle de cette imposante cérémonie.

Hier, c'était l'ivresse du triomphe ; aujourd'hui, c'est le calme dans la force. Une foule qui ne peut se compter que par centaines de mille attendait sans bruit et en bon ordre la pompe des funérailles. Tout Paris était dans les rues ou aux fenêtres. Des travailleurs de toutes les professions étaient venus se ranger, non plus, comme au moyen âge, tous la bannière de la superstition, mais sous les drapeaux intelligents de la fraternité républicaine, attendant impatiemment le Gouvernement provisoire, qui, après la famille des victimes, semblait représenter leur famille adoptive, la France entière. Qui ne connaîtrait pas la merveilleuse intelligence de la population de Paris, pourrait s'étonner que, spontanément et sans mot dire, trois ou quatre cent mille hommes aient obéi à un même sentiment et gardé partout la même attitude. Dans cette innombrable multitude, personne ne s'attendait aux clameurs que soulèvent d'ordinaire les pouvoirs victorieux. Les Parisiens, avec ce sentiment exquis des convenances qui n'est chez eux qu'un instinct naturel, ont tous compris qu'en présence de tant de cercueils, le calme d'une conviction forte devait remplacer les fougueux élans d'un lendemain de victoire. À toutes les fenêtres, sur les balcons, sur les boulevards, on voyait les femmes agiter leurs mouchoirs et saluer de la main ; on voyait les citoyens se découvrir quand passait le Gouvernement provisoire ; mais partout l'émotion était contenue, l'attitude était grave. Le faisceau d'armes n'était pas surmonté cette fois de la hache consulaire. L'image terrible avait disparu, en vertu du décret sublime qui abolit la peine de mort. La hache des guerres civiles avait fait place à la lance, qui ne doit jamais se tourner que contre l'ennemi. De sorte que le souvenir même des temps héroïques était effacé par cette Révolution, qui dépasse toutes les autres, en ajoutant la générosité moderne à la grandeur antique. Il n'appartenait qu'à une république, à la République française, de provoquer cet enthousiasme contenu, réglé et formidable, que les courtisans des monarchies n'ont jamais connu. Le silence, qu'on appelait naguère la leçon des rois, était aujourd'hui, pour la première fois, la forme éloquente des sympathies de tout un peuple[5].

 

Que faut-il de plus pour prouver que c'est pure folie que d'appeler la République de 1848, une république de surprise ! Si, comme lord Normanby n'a pas honte de le dire, la dictature des membres du Gouvernement provisoire avait été, pour tous ou pour quelques-uns, le résultat d'un escamotage, la France, pour n'avoir pas châtié sur-le-champ une tentative aussi monstrueuse, aussi insensée, mériterait d'être regardée comme la dernière des nations, et les personnages les plus éminents de France devraient être marqués à jamais du sceau de l'infamie, pour avoir plié le genou devant des fantômes d'usurpateurs. Et si, d'un autre côté, le peuple français eût été aussi violemment et universellement opposé à la République que le prétendent les politiques de l'école de lord Normanby, ceux-là auraient été vraiment au-dessus du niveau de l'humanité, qui, sans trésors, sans soldats, sans police, sans rien qui ressemblât à une force organisée, surent maintenir leur pouvoir aussi longtemps qu'ils le jugèrent convenable, établirent une nouvelle forme de gouvernement, proclamèrent de nouveaux principes, installèrent de nouveaux fonctionnaires, pacifièrent le peuple, tinrent l'armée en respect, donnèrent à leurs volontés force de loi, promulguèrent des décrets qui ne furent jamais désobéis, et méritèrent de voir, après leur abdication volontaire, leurs services reconnus en ces termes, par l'Assemblée nationale, appelée à juger leur conduite : L'Assemblée national décrète : Le Gouvernement provisoire a bien mérité de la patrie !

Donc, prétendre que la République de 1848 fut un gouvernement de surprise, ce n'est pas seulement méconnaître les faits établis et-le caractère bien connu au peuple français ; c'est encore donner un démenti ridicule à toutes les lois de la probabilité.

Ceci m'amène à réfuter une opinion qui pourrait bien, si l'on n'y prenait garde, relâcher, dans l'avenir, ces liens d'amitié qu'il est si désirable de maintenir entre l'Angleterre et la France.

On a tant répété, dans ce pays-ci, que les institutions républicaines ne conviennent point à la nation française, que le mot est presque devenu proverbial. Tout en croyant que c'est là une profonde erreur, je dois avouer que l'opinion des Anglais à ce sujet est basée sur des circonstances qui, si on les examine superficiellement, semblent justifier une telle conclusion.

En premier lieu, on a toujours fait croire aux Anglais que la République française de 1792-1793 ne fut qu'une course échevelée vers le despotisme à travers l'anarchie.

En second lieu, on peut soutenir que la République de 1848-1852 n'a été, après tout, qu'une tentative manquée.

Troisièmement, enfin, les étrangers, qui n'ont qu'une connaissance superficielle du peuple français et des causes secrètes qui ont amené les vicissitudes historiques de la France, sont naturellement portés à refuser un tempérament républicain à un peuple qu'ils voient, à l'heure qu'il est, gouverné par un empereur.

Il faut, pour qu'on s'en rende bien compte, mettre ces faits dans leur vrai jour.

Et d'abord, on doit reconnaître que la Révolution française de 1792-1793 n'ayant été qu'une lutte gigantesque entre le vieux monde et un monde complètement nouveau, la-grandeur même de cette lutte, tout en épuisant la nation au point de la jeter haletante aux bras d'un despote militaire, rendit impossible, tant qu'elle dura, l'établissement définitif d'une forme quelconque de gouvernement. Il importe de.ne pas perdre de vue que la constitution de 1793 ne fut jamais appliquée, ses auteurs ayant décrété l'ajournement jusqu'à la paix de sa mise en vigueur — ce qui prouve que le violent régime auquel les républicains furent alors forcés d'avoir recours, ne fut jamais regardé, même par eux, comme une forme de gouvernement régulière.

Quant à la République de février.1848, elle tomba, parce que ceux à qui elle confia le pouvoir se trouvèrent être ses plus mortels ennemis. Et ce ne -fut là le résultat d'aucun vice fondamental inhérent aux nouvelles institutions ; tout le mal vint d'une combinaison accidentelle de trahisons et de fautes dont ce livre même est destiné à montrer l'enchaînement. Quand la majorité de la dernière assemblée législative reniait son mandat, répudiait son origine, s'étudiait à miner la République par toutes sortes de moyens, s'épuisait en malédictions contre les conséquences les plus directes de la foi républicaine, persécutait tout républicain sincère, réduisait les instituteurs primaires à la mendicité, exaspérait de gaieté de cœur les ouvriers, désarmait le peuple, et, en haine de la République, abolissait le suffrage universel, que faisait-elle autre chose que.de rassembler les matériaux da pouvoir dont Louis Bonaparte, le 2 décembre, se-servit pour l'écraser elle-même ?

L'opinion anglaise que je combats ne repose donc, en réalité, sur aucun fondement historique ; et, si 1'on.se place à un point de vue philosophique, elle est bien plus insoutenable encore.

Pour ma part, je suis prêt, à reconnaître, que les institutions politiques d'un peuple doivent s'adapter à son caractère ; et c'est justement pourquoi je pense que les institutions républicaines conviennent au peuple français.

Les Anglais, sont imbus de l'idée que leurs-amis de L'autre côté de la Manche sont immodérément amoureux des choses à spectacle. — Et dans quel pays du monde m'en va-t-il pas de la sorte ? — Je ne le nierai point. Mais, quand les Parisiens se pressent dans.les rues pour voir passer quelques hauts personnages suivis d'un cortège pompeux de carrosses dorés et de cavaliers, ce qui caractérise leur curiosité, c'est un penchant décidé à rire des livrées, quelles qu'elles soient, et à tourner en ridicule les riches dehors qui ne recouvrent rien ! Et puis, les républicains français n'ont point pour idéal, que je sache, une république coulée dans le moule de Sparte ; ils n'ont point fait pacte avec le brouet noir ; les progrès de la civilisation, considérée sous ses plus brillants aspects, sont fort de leur goût ; comme Camille Desmoulins, ils veulent que la République tienne à la France la promesse de la poule au pot pour tout le monde ; comme le charmant auteur du Vieux Cordelier, ils croient que la liberté n'est pas la misère et peut se passer d'habits percés au coude. Le peuple français est un peuple artiste, qui aime les arts, qui se plaît aux grands spectacles, que les fêtes attirent : soit. Eh ! qu'y a-t-il donc en tout cela qui soit incompatible avec des institutions républicaines, telles que les comporte le développement de la civilisation moderne ? Il est vrai que la République s'accommoderait mal de ce faste de quelques-uns qui n'est qu'une insulte à la pauvreté du plus grand nombre ; il est vrai qu'elle n'aurait que faire de cette pompe imbécile au moyen de laquelle on éblouit les peuples enfants. Mais ceux-là calomnient la France, qui lui supposent le culte des livrées. Il serait bien étrange que, dans un pays où le prestige de la royauté a été battu en brèche par tant de révolutions, le peuple préférât l'étalage insolent de la puissance d'un seul aux imposantes manifestations de sa propre souveraineté !

Autre objection à réfuter.

Dans un admirable article, écrit en réponse à lord Brougham, au sujet de la Révolution de février, un profond penseur, M. John Stuart Mill, dit :

L'habitude générale et la façon de procéder de l'esprit anglais est le compromis... Les Anglais ne se croiraient jamais en sûreté s'ils ne vivaient à l'ombre de quelque fiction conventionnelle. Or, la royauté constitutionnelle est précisément un arrangement de cette espèce. Il est de son essence que le souverain, souverain de nom, ne gouverne point, ne doive point gouverner, ne soit pas fait pour gouverner ; et ce qui fut originairement un compromis entre les amis de la liberté populaire et les partisans de la monarchie absolue a fini par s'établir à l'état de sentiment sincère dans l'âme de la nation, — qui se croirait offensée, et même menacée clans ses libertés, si un roi ou une reine prenait au gouvernement une part plus grande que celle qui consiste à sanctionner formellement les actes du parlement, et à nommer au ministère, ou, plutôt, comme ministres, les personnes que la majorité du parlement a indiquées. Et ce peuple serait, sans affectation, profondément choqué, si un acte considérable du gouvernement ne passait point, quel qu'il fût, pour l'acte et le mandat de la personne qui est sur le trône[6].

 

Il en est tout autrement du peuple français ; et, en m'exprimant ainsi, je n'entends pas censurer le moins du monde la façon de procéder de l'esprit anglais ; loin de là ! Le goût des Anglais pour les compromis est le résultat de ce génie pratique et patient, auquel ils doivent le calme de leur vie politique Sans vouloir faire aucune comparaison défavorable à l'une ou à l'autre de ces deux grandes nations, qu'il me soit permis de dire que l'habitude de l'esprit français est la marche logique, en droite ligne. Les Français ne se soumettront jamais volontiers à un système qui se donnerait pour autre chose que ce qu'il est réellement. La façon de penser et de sentir qui leur est propre les conduit irrésistiblement à croire que, si le rôle de la royauté se réduit à l'acte mécanique de l'enregistrement des lois, un zéro ferait aussi bien, et serait moins dispendieux. De là l'impossibilité d'implanter, de l'autre côté de la Manche, cette subtile distinction : Le roi règne et ne gouverne pas. Un roi qui voudrait se conformer à cette maxime n'aurait pas un mois de vie dans l'estime publique. Mais quoi ! serait-il possible de trouver en France un roi pareil ? J'en doute fort. Ai-je besoin de rappeler au lecteur avec quelle persévérance pleine de ruse Louis-Philippe s'efforça de briser les liens de la théorie constitutionnelle ? Et pourtant, qui mieux que lui semblait fait pour une position qui exige un talent médiocre, peu d'orgueil, une ambition sans idéal, et une certaine dose de bon sens ?

Mais le peuple français est un peuple si léger ! disent volontiers les Anglais. Encore une erreur ! Et, toutefois, comme cette erreur trouve une sorte de sanction dans des apparences vraiment trompeuses, ce n'est qu'à la suite d'un examen sévère qu'on l'a peut découvrir. Le fait est que la rectitude est ici prise pour la légèreté. Les Français ont une tendance marquée a conformer leur conduite à-ce principe, qui, tout vrai qu'il est en mathématiques, n'en est pas moins dangereux en politique, — que la ligne droite est la plus courte. En conséquence, les prémisses une fois admises, ils vont droit à la conclusion logique, prêts à briser tons les obstacles qui se trouvent sur leur chemin, s'il n'y a pas, pour les éviter, de meilleur moyen que d'en faire le tour. De sorte que, chaque fois que l'idée nouvelle dont ils poursuivent le triomphe est combattue avec succès par une ligue puissante d'intérêts anciens et de préjugés invétérés, la lutte aboutît à une retraite, non d'intention, mais de fait. Et tous les esprits superficiels de croire que cette nation, qui avançait naguère si vite, a soudain abandonné ses principes, a perdu sa voie. Il n'en est rien. Elle s'y attache, au contraire, avec plus de ténacité que jamais, et regagne, par des routes souterraines, le terrain perdu, jusqu'à ce qu'enfin elle brise l'obstacle d'un coup, et, cela fait, s'élance, avec un redoublement de vigueur, toujours en droite ligne, vers la station prochaine. L'histoire de nos révolutions successives, durant le siècle dernier, nous offre de cette marche de frappants exemples, car il n'en est pas une qui n'ait été la conséquence immédiate et logique de la précédente, quoique l'intervalle entre les deux ait été, presque toujours, marqué par un abandon apparent des conquêtes antérieures. Il est clair qu'à un pareil peuple, ce qu'il faut, c'est un système d'institutions assez élastiques pour se prêter aux mouvements continus de l'opinion publique. Et tel est l'avantage que présentent les institutions républicaines. Substituez-leur ce qu'il y a d'inflexible dans le principe monarchique, vous opposez à un fleuve paisible une digue qui, tôt ou tard, le changera en torrent.

On objectera, peut être, que, sous une monarchie constitutionnelle qui admet la liberté de la presse et ouvre carrière à la discussion, l'avantage résultant de l'élasticité des institutions républicaines se retrouve. Jusqu'à un certain point, d'accord ; mais je viens d'expliquer que la monarchie constitutionnelle repose sur une idée de compromis tout à fait inconciliable avec la nature de l'esprit français ; et si, à cette considération philosophique, j'ajoute les arguments politiques qui se tirent de la nature même des choses, j'aurai complété la démonstration.

Lorsque, sous le monarque français Henri III, on alla dire au duc de Guise que le roi voulait sa mort, il répondit : Nul n'oserait. Le roi osa, et le duc fut assassiné. Était-ce là, de la part du monarque, une preuve de force ? Tout au contraire : c'était le sentiment de sa faiblesse qui faisait de lui un lâche et un assassin. Maintenant, quelle fut la conduite de la reine Anne, lorsqu'elle voulut se débarrasser de Marlborough ? Elle se contenta de lui écrire qu'elle le renvoyait. Le rapprochement de ces deux faits montre qu'en Angleterre, la royauté, même resserrée dans ses limites constitutionnelles, a plus de pouvoir que n'en avait la royauté en France, au temps où, théoriquement, la royauté en France était absolue. La monarchie constitutionnelle, chez les Anglais, dit Delolme, est un bon navire, auquel le parlement peut à son gré retirer les eaux. Soit : et qu'importe ? La royauté n'a jamais été, en Angleterre, ce qu'elle est condamnée à être en France : un pouvoir solitaire- au sommet d'une société que l'amour de l'égalité agite. La reine, ici, emprunte sa force aussi bien que-son éclat, de l'aristocratie qui l'entoure, aristocratie intéressée, avant tout, au maintien du trône, parce que le premier anneau de la hiérarchie une fois touché, l'a chaîne entière entrerait en vibration.

De plus, la royauté, en Angleterre, a un point d'appui considérable dans le respect : universel pour les distinctions de classe. Un étranger qui étudie les Anglais s'étonne de les trouver à la fois si fiers et si humbles, si indépendants et si soumis, si amoureux des-formes de la liberté et si attachés aux prérogatives de l'aristocratie. Dans ce pays singulier, le langage de la presse est agressif, audacieux, sans frein ; et, néanmoins, les rangs y sont comme étiquetés. L'orgueil individuel, chez les Anglais, est développé au plus haut point ; et cependant, avec quel soin ils observent les lois de la préséance ! La reine veut-elle franchir les portes de la Cité, elle en demandera la permission au maire ; et cependant, le culte de l'étiquette hiérarchique se pratique ici dans la cuisine presque aussi religieusement que dans le salon.

Ainsi, deux sentiments se partagent la nation anglaise : un vif amour de la liberté, et un profond respect de. la hiérarchie ; phénomène, au surplus, dont son histoire explique les causes. Des deux races, la race saxonne et la race normande, que la conquête mit en présence, aucune n'ayant pu absorber l'autre, le résultat dut être un compromis entre deux principes : la race vaincue fut obligée, pour sa défense, d'établir un vigoureux système de garanties, et la race victorieuse fut obligée, pour se maintenir, de veiller d'un œil jaloux à l'inviolabilité de ses privilèges.

Rien de semblable en France, où n'existe aucune des conditions indispensables à une monarchie. Montesquieu, par exemple, pose ceci comme un axiome politique : Pas de monarque, pas de noblesse ; pas de noblesse, pas de monarque. Or, en France, la noblesse n'est plus, et ne saurait revivre. Suivant Montesquieu, la monarchie est impossible, sans loi de primogéniture : or, où trouver aujourd'hui en France une loi pareille, et comment l'y établir ?

Je conclus :

En Angleterre, la royauté confond ses racines avec celles de la nation, en compagnie de laquelle elle s'est développée normalement et sous l'empire des mêmes nécessités.

En France, pas une des traditions où la royauté se pourrait appuyer qui n'ait été détruite.

En Angleterre, une aristocratie puissante prête à la couronne son lustre et sa force.

En France, plus de noblesse existante, plus de noblesse possible.

En Angleterre, le principe de l'hérédité de la couronne est en harmonie avec celui des substitutions.

En France, le principe qui divise le sol jusqu'à le pulvériser laisse l'hérédité monarchique sans point d'appui social.

En Angleterre, le respect de la hiérarchie est universellement répandu.

En France, la passion de l'égalité est désormais indestructible.

Il serait donc contraire, et aux résultats de l'observation, et aux lois de la logique, de prétendre que la monarchie constitutionnelle convient à la France parce qu'elle peut convenir à l'Angleterre[7].

Et bien vainement considérerait-on comme de quelque poids dans ce débat les dix-sept ans du règne de Louis-Philippe : sous Louis-Philippe la monarchie constitutionnelle n'eut jamais d'autre valeur que celle d'un expédient ; et lui-même le savait bien. Habile à entretenir au sein de la bourgeoisie la peur des secousses qu'une révolution entraîne, son gouvernement ne vécut que de cette peur.

Pour ce qui est d'une monarchie absolue, comment croire un seul instant qu'elle fût définitivement acceptée par la France ? Une monarchie absolue serait la chose la plus impossible à concevoir, dans le développement historique des principes de 89.

Ce serait un pouvoir de nature aristocratique, né de la bourgeoisie, par qui a été brisée la chaîne des distinctions héréditaires.

Ce serait un pouvoir exclusivement conservateur, né de la bourgeoisie, qui a ouvert à l'ambition humaine une carrière sans bornes.

Ce serait un pouvoir de tradition, né de la bourgeoisie, oui a bafoué toutes les traditions anciennes.

Ce serait un pouvoir omnipotent, né de la bourgeoisie, qui a laissé tomber dans le sang l'omnipotence de Louis XVI, et châtié par un exil éternel celle de Charles X.

Ce serait, en un mot, le plus inexplicable, le plus monstrueux des pouvoirs, puisque sa nature démentirait de tout point son origine, et son origine, sa nature.

A compte, le roi serait comme un protestant fait pape.

Ainsi donc, lorsque, le 24 février 1848, les membres du Gouvernement provisoire prirent sur eux la responsabilité d'un changement de gouvernement, leur décision n'eut rien de commun avec les entraînements d'un enthousiasme juvénile ; elle vint d'une appréciation réfléchie et pratique, non seulement des nécessités de la situation, mais des vrais besoins et des vraies tendances de la France. Comment en douter ? comment le nier de bonne foi ? La République, à peine proclamée, ne fut-elle pas universellement et spontanément reconnue ?

 

 

 



[1] On verra, dans le chapitre suivant, jusqu'où alla cette liberté.

[2] D'où l'on peut conclure que l'archevêque de Paris ne partageait pas tout à fait les opinions de lord Normanby, qui, dans son livre, appelle ces mêmes hommes ruffians.

[3] Voyez le Moniteur du 1er mars 1848.

[4] Voyez le Moniteur du 4 mars 1848.

[5] Voyez le Moniteur du 5 mars 1848.

[6] Westminster and Foreign Quarterly Review, for april 1843.

[7] Tout ceci, je l'ai développé au long dans le premier chapitre de ce livre.