L'ACROPOLE D'ATHÈNES

 

CHAPITRE XI. — ENCEINTE DE DIANE DE BRAURONIA.

 

 

L'enceinte consacrée à Diane Brauronia est bornée, au nord, par la muraille qui vient d'être décrite, à l'ouest par le mur pélasgique, au sud par le mur de Cimon, à l'est par une quatrième muraille semblable à celle du nord ; c'est-à-dire que le rocher, tant qu'il existe, est taillé perpendiculairement ; lorsqu'il cesse, des assises reposent sur sa surface aplanie comme sur un soubassement, et s'élèvent jusqu'à la hauteur voulue. Quelques-unes sont encore en place.

On monte au plateau sur lequel était le temple par huit marches très douces, également taillées dans le rocher et bordées jadis par une haie de statues et de stèles, dont les traces sont profondément creusées.

A l'entrée était un enfant en bronze tenant un vase d'eau lustrale, ouvrage de Lycius, fils de Myron. Myron lui-même avait fait Persée tenant la tête de Méduse. Je remarque d'abord que ces deux statues, d'une même école, représentant toutes les deux des personnages qui portent quelque chose à la main, semblent se faire pendant, et se prêter, par conséquent, à la décoration des deux côtés d'une entrée. En outre le vase d'eau lustrale que tenait la statue de Lycius n'était pas un ornement sans objet, mais il devait être placé sur le seuil du sanctuaire pour que chacun s'y purifiât en passant. C'est ainsi que, dans nos temples modernes, le vase qui contient l'eau bénite est souvent soutenu par un ange.

On appelle la déesse Brauronia, dit Pausanias, à cause du dème de Brauron, où se trouve l'antique image de bois qui vint, à ce qu'on rapporte, de Tauride. Le temple n'existe plus, et le sol véritable de l'Acropole n'a pas encore été assez dégagé pour qu'on en marque la place avec certitude. Voici cependant quelques indications.

Le niveau de l'enceinte n'est point partout égal ; la partie occidentale, la plus voisine des Propylées, va sensiblement en pente ; le rocher brut y apparaît çà et là ; on n'y découvre aucune substruction d'édifice. Ce n'est point de ce côté évidemment qu'il faut diriger ses recherches. La partie orientale, au contraire, présente une surface exactement aplanie. Le rocher est taillé sur une longueur d'au moins vingt-cinq pas. C'est à cette plate-forme que conduit immédiatement l'escalier de huit marches. Aujourd'hui, elle est coupée par deux murs à hauteur d'appui dans lesquels sont encastrés, comme les cubes d'une mosaïque, tous les caissons qui proviennent, soit des Propylées, soit des différents temples. Cet étalage assez malheureusement situé n'empêche point cependant de reconnaître que la surface du rocher ne conserve aucune trace de la préparation qu'exige l'assiette d'un édifice. Mais plus loin, lorsque cesse le petit musée, on aperçoit une large rainure, dans laquelle s'ajuste bientôt un rang d'assises de tuf, qui se dirige vers le midi. D'autres pierres semblables sont dispersées aux environs : les restes de constructions modernes et les terres qui recouvrent en cet endroit le sol antique, empêchent d'en voir davantage. Mais s'il est impossible, avec si peu de données, de restaurer le plan du temple, elles suffisent pour en indiquer l'emplacement. Il était, si je ne me trompe, voisin du mur de Cimon, et occupait l'angle sud-est de la grande enceinte.

Un autre point, plus intéressant encore, serait de découvrir, parmi les fragments entassés vers la région occidentale de l'Acropole, quelques restes du temple de Diane. Il n'a pu être si complètement anéanti qu'un seul chapiteau, un seul tambour de colonne, ne soit demeuré gisant à terre. J'ai toujours été frappé de l'existence de huit fragments de colonnes ioniques, dont le travail et le style annoncent encore une belle époque de l'art. Il y en a trois auprès du mur pélasgique, deux auprès du plateau du  temple, trois autres un peu plus haut, vers le Parthénon. Leur longueur est, en moyenne, d'un mètre quarante-cinq centimètres. Leur diamètre est semblable, en tenant compte toutefois du renflement du galbe qui le fait varier de cinquante-cinq à cinquante-sept centimètres, et ce n'est pas la preuve la moins concluante de leur noble origine.

D'autre part, si l'on examine attentivement une série de chapiteaux ioniques entassés sur le mur oriental du péribole de Diane, on en remarquera deux, qui ressemblent aux chapiteaux de l'Érechthéion, sans avoir la même élégance dans les courbes, la même pureté de moulures, la même finesse de sentiment. Le tailloir est orné d'un rang d'oves ; le tore est formé également par un entrelacs ; les coussinets portent des rangs de perles : mais le travail du marbre est moins parfait. La largeur du tailloir est de quatre-vingt-deux centimètres, proportion en rapport, si j'en crois encore la règle, avec le diamètre des colonnes dont je parlais il y a un instant ; un peu plus forte cependant que la proportion de l'Érechthéion.

Enfin, en montant vers le Parthénon, on découvre parmi des fragments grecs, romains, byzantins, turcs, encastrés pêle-mêle dans un quatrième mur, de charmants ornements ioniques, sculptés avec délicatesse, qui, par leur style, ont avec les chapiteaux un air de famille. Je citerai particulièrement des rais de cœur, trop petits pour avoir appartenu à l'Érechthéion. Ces différents morceaux, trouvés à des endroits différents, quoique dans la même région, se rattachent-ils à un même temple ? Ce temple était-il celui de Diane ?

Pour moï, je me permettrai seulement ici d'émettre le vœu qu'on rapproche quelque jour ces éléments dispersés, qu'un des architectes de l'Académie de Rome les analyse, pendant son séjour à Athènes, avec cette science et ce goût qui ont conduit ses prédécesseurs à de si beaux résultats ; et, si son jugement justifie mes pressentiments, qu'on relève à leur place ces deux ou trois colonnes oubliées aujourd'hui et dédaignées. L'Acropole s'embellira d'une nouvelle ruine, et le voyageur ne cherchera pas en vain les traces du temple de Diane. Ce ne serait pas non plus une étude stérile pour l'art que de comparer à l'Érechthéion un monument postérieur de peu d'années, comme l'indique le caractère des fragments. L'histoire est loin de contredire cette supposition, puisqu'elle nous apprend que la statue de la déesse était l'œuvre de Praxitèle.

Dans l'enceinte consacrée à Diane, on a trouvé des débris d'animaux en marbre. Il en est un assez curieux, non par sa beauté, mais par sa conservation : c'est un petit ours assez gentiment assis. Les chasseurs consacraient aussi leurs offrandes, pour se recommander à la protection de la déesse, ou la remercier de les avoir sauvés du danger. C'est ce qu'atteste un petit bas-relief où l'on voit un cavalier courir sus à un sanglier.

Immédiatement après le temple de Diane, Pausanias cite le cheval Durien, colosse en bronze fait à l'imitation du cheval de Troie. On voyait même sortir de ses flancs Teucer, Ménesthée et les deux fils de Thésée. En choisissant ces héros, les artistes avaient plutôt songé à flatter l'orgueil athénien qu'à suivre fidèlement le récit des poètes. Le piédestal du colosse existe encore et à peu de distance, en effet, du temple de Diane. Deux des grands blocs de marbre pentélique qui le composaient sont restés ; par un heureux hasard, ce sont ceux précisément sur lesquels l'inscription est gravée. Elle est ainsi conçue : Chérédème, fils d'Évangélus de Cœlé, m'a consacré. On y lit, de plus, la signature du sculpteur, qui s'appelait Strongylion. On citait de lui, dans l'antiquité, une Amazone dont les jambes étaient si belles qu'on l'avait nommée Eucnémon. Néron la faisait porter à sa suite dans ses voyages.

Les statues qui suivent le cheval Durien, dit Pausanias, sont celles d'Épicharinus, vainqueur à la course armée : elle est de Critias. — Ou plutôt de Critios et de Nésiotès, pouvons-nous ajouter ; car le piédestal d'Épicharinus existe encore, et on y lit le nom de ce dernier sculpteur, que nous rencontrons pour la troisième fois dans l'Acropole. Auprès de ces statues étaient encore celles d'Hermolycus le Pancratiaste — qu'il ne faut pas confondre avec le fils de Diitréphès — et de Phormion, bon général, qui, avant de conduire les Athéniens à la guerre, exigeait qu'ils payassent ses dettes, et ils les payaient.

Il y avait quelque part dans l'Acropole un bélier gigantesque qui prêtait aux plaisanteries des poètes comiques. Comme Platon le compare au cheval Durien, ces deux colosses n'étaient-ils pas dans le même lieu ? Tout l'espace qui entoure le cheval Durien est couvert d'énormes fragments des Propylées lancés au loin par l'explosion, de piédestaux où se voient encore les empreintes des pieds et le bronze du scellement, de morceaux de marbre qui n'ont plus de forme ni de nom. On remarquera cependant des demi-colonnes en marbre de l'Hymette, sans cannelures, d'une dimension assez forte et qui servaient de base à quelque offrande.

A droite, près de l'angle rentrant des Propylées et contre le mur pélasgique, on voit une statue sans piédestal et hors de place qu'on a simplement redressée. Elle est en marbre de Paros et représente une femme debout, plus grande que nature, contre laquelle se presse un enfant nu. La tête et les bras de la femme sont brisés ; mais il est facile de reconnaître que le bras droit, allongé le long du corps retenait l'enfant, tandis que le bras gauche, replié sur lui-même, disposait, par un geste familier aux matrones romaines, les plis du voile qui couvrait la tête. Le bas de ce voile tombait sur les épaules : c'est ce qui en indique l'existence, bien que la tête ait disparu. Le mérite de cette sculpture est très contestable. Malgré une certaine largeur dans la chute de la tunique qui semble copiée sur les Cariatides de l'Érechthéion, l'exécution a quelque chose de grossier, et le torse présente des défauts de tout genre : il manque non-seulement d'étude, mais de proportion. C'est le travail, ou d'une époque de décadence, ou d'un artiste médiocre. Quant au sujet de ce groupe, on y reconnaît soit Pandrose et Érechthée,. soit la Paix avec Plutus enfant. Auprès de la statue, on a trouvé un autre fragment de sculpture. Ce sont deux seins, dont l'un est découvert, d'une opulence de formes exagérée par l'isolement, et qui disparaissait sans doute dans l'ensemble.

Les fouilles ont encore découvert, vers l'extrémité de la terrasse de Diane Brauronia, différents piédestaux, qui portent des noms de femmes, mais que leur dimension ne permet pas de rapprocher des sculptures dont je viens de parler. Sur l'un, on lit le nom de Phidostrate, prêtresse d'Aglaure ; sur l'autre, le nom de Stratonice, prêtresse de Minerve Poliade, fille de Nicandre, du dème de Collyte. Enfin, un bas-relief découvert dans le même endroit n'appartient point à l'enceinte de Diane Brauronia. Il représente ce sujet, tant de fois répété en tête des inscriptions honorifiques : Minerve tenant la Victoire dans sa main et appuyant à terre son bouclier, le serpent Érechthée se dressant devant la déesse. Quand une inscription a trait à l'administration des revenus sacrés, à une récompense décernée par un décret, quelque fonction qui se rattache au culte, on voit souvent apparaître ce sujet, comme aujourd'hui les vignettes en tête de nos imprimés. Il y en a une foule dans le musée de la Pinacothèque, et, sous le bas-relief dont il est ici question, le mot d'archonte est, en effet, le premier que l'on distingue. Il est vraisemblable que les marbres de ce genre étaient placés dans un lieu particulièrement consacré à Minerve.

Si l'on remonte du bas de la terrasse jusqu'à la plate-forme de roche taillée qui sert d'avenue au temple, on aperçoit près de la voie principale deux petites colonnes adossées au mur oriental. Elles ont été trouvées à peu de distance, brisées en plusieurs morceaux. On les a relevées, et, par une fâcheuse inspiration, on leur a donné des bases byzantines. Or, ces colonnes sont tout à fait archaïques, d'un travail assez grossier, terminées par une façon de chapiteau à peine équarri. On comprend combien paraissent singulières les hases sur lesquelles on les a exhaussées. On les a scellées exactement sur le rocher, et l'herbe, en croissant tout autour, leur donne une apparence d'antiquité. Sur ces deux colonnes, qui portaient de petites statues, sont gravés en caractères archaïques les noms des donataires. Sur le chapiteau de l'une, c'est Timothée l'Anaphlystien ; dans la longueur de l'autre sont écrites deux lignes verticales, d'une époque plus ancienne encore et voisine des guerres médiques : Éortios et Opsiades ont consacré cette offrande à Minerve.

Je ne parle point d'une table en marbre qui se trouve auprès de ces stèles : bien qu'elle soit décorée d'un quadrige et de deux couronnes, c'est une simple inscription, et non un monument d'art. De l'autre côté, il y a une inscription d'époque romaine en l'honneur de Thémistocle, fils de Thémistocle. On voit plus loin cinq fragments de draperie, qui n'ont rien de remarquable : un d'eux appartient à une statue de femme colossale.

Pour aller de la terrasse de Diane sur la terrasse supérieure, il faut regagner la route des Propylées au Parthénon. Le mur qui sépare ces deux niveaux n'est nulle part interrompu par un passage ou par un escalier. En passant d'une enceinte à l'autre, on rencontrait le groupe de Minerve frappant le silène Marsyas parce qu'il a ramassé les flûtes qu'elle avait jetées pour qu'on ne s'en servit jamais.