LE MONT-SAINT-MICHEL

 

PAR CHARLES-HENRI BESNARD

Architecte en chef des Monuments historiques.

PARIS - HENRI LAURENS - 1911.

 

 

AVANT-PROPOS.

I. — LA BAIE DU MONT-SAINT-MICHEL.

II. — HISTOIRE.

III. — DESCRIPTION DE L'ABBAYE. 

IV. — LES REMPARTS.

V. — LA VILLE.

 

AVANT-PROPOS

Décrire, en peu de mots, le Mont-Saint-Michel est une tâche bien malaisée.

Nous n'avons pas ici l'ambition d'étudier, même superficiellement, les édifices que les siècles ont accumulés sur le célèbre rocher ; à peine effleurerons-nous ce sujet si vaste, nous efforçant simplement de rendre plus attrayante une visite de la Merveille de l'Occident.

Ce lieu dont l'existence fut si intimement liée à la vie nationale de la France, a joué à travers les siècles un rôle si important, a été le théâtre de tant d'événements divers que, vouloir conter son histoire serait sortir du cadre et de l'esprit de cette monographie.

Nous renvoyons donc le lecteur curieux au magnifique ouvrage de M. Paul Gout. Il trouvera dans ce livre l'étude du Mont-Saint-Michel traitée avec tous les développements qu'elle comporte.

L'auteur, architecte en chef du gouvernement, chargé de la délicate mission de restaurer les monuments du Mont-Saint-Michel, a pu, grâce à sa fonction, disséquer les édifices confiés à ses soins et leur arracher ainsi le secret de leur existence. Ayant l'honneur, depuis six ans, de collaborer à ses travaux nous ne saurons être ici que l'écho lointain de ses doctrines ; nous nous reporterons sans cesse à son ouvrage.

Sans narrer tout au long l'histoire de l'abbaye-forteresse et de la ville qui s'étend à ses pieds, nous en donnerons cependant un court résumé. Il est, en effet, indispensable, pour bien comprendre les édifices du passé, de connaître, ne fut-ce que superficiellement, les raisons. qui les ont fait bâtir et les principaux événements dont ils furent le théâtre.

L'étude des monuments nous retiendra plus longuement : nous nous efforcerons de faire ressortir les trois grandes phases de développement de l'abbaye, celles qui correspondent aux principales campagnes de construction et à un état complet du monastère. Le lecteur verra que du mélange à première vue inextricable des édifices se juxtaposant en apparence sans méthode, on peut dégager trois états complets et presque intacts.

D'abord, c'est la primitive abbaye, édifice carolingien dont il subsiste des restes importants et insoupçonnés jusqu'en 1908 ; noyau autour duquel viennent se grouper les constructions des siècles suivants.

Puis c'est l'abbaye romane. Elle nous fournit un exemple presque unique d'un monastère avant les transformations grandioses qui furent le résultat de la splendide éclosion de l'art et de la pensée du moyen âge. Le XIIIe siècle, ici, a respecté presque intégralement les constructions des époques antérieures et les édifices extraordinaires qu'il élève répondent à un programme grandiose dont l'achèvement sera l'œuvre des siècles suivants. Survint la guerre de Cent ans et la résistance héroïque des défenseurs du Mont-Saint-Michel donna naissance à un ensemble de fortifications présentant un des plus beaux spécimens de l'art militaire du moyen âge.

La fin de la période gothique marque l'apogée du monastère, alors complet et parfait dans toutes ses parties. Mais là décadence va commencer et l'institution de la commende est fatale à la communauté. Peu à peu, les diverses salles changent de destination, des bâtiments entiers sont défigurés au point de devenir méconnaissables. La Révolution transformant le vieux monastère en une immense geôle, achève l'œuvre de destruction.

En 1873, le Mont-Saint-Michel est classé parmi les monuments historiques : l'Administration des Beaux-Arts fait entreprendre d'importants travaux d'entretien et de déblaiement. Peu à peu, la vieille abbaye se dégage des constructions parasites ; l'archéologue peut enfin entrevoir les dispositions anciennes et ce sera un grand honneur pour M. Gout d'avoir réussi à mettre en lumière l'état de l'abbaye à l'époque de chacune des grandes évolutions de son histoire. Et il est vraiment bien intéressant de constater comment les états successifs de cet établissement monastique répondaient de la façon la plus absolue aux exigences de la règle bénédictine.

Aussi allons-nous le suivre dans les trois grandes étapes d'un développement au début bien modeste puis enfin grandiose.

 

 

I. — LA BAIE DU MONT-SAINT-MICHEL.

 

Sur l'immensité grise des grèves aux reflets d'argent, le Mont-Saint-Michel détache sa silhouette imprévue et altière. Le voyageur qui l'aborde au nord, le soir, lorsque le soleil couchant embrase toute l'abbaye de lueurs d'incendie, peut retrouver encore l'impression profonde que devait ressentir les pèlerins qui ; en foule, venaient au XVe siècle faire leurs dévotions au Mont-Saint-Michel-au péril-de-la-mer.

Hélas ! si l'on n'y met bon ordre cette dénomination ne s'expliquera bientôt plus, et les touristes en franchissant la porte de la ville après avoir entrevu, au lieu de la mer, un mince filet d'eau coulant mélancoliquement en de longs serpentins dans le lit du Couesnon, se demanderont pourquoi ce qualificatif, et rechercheront en vain le danger qui jadis avait tant effrayé les pèlerins.

Dans un temps qui n'est guère éloigné, entreprendre la traversée des grèves était pour le voyageur inexpérimenté, entreprise hasardeuse et grosse de dangers. Outre la terrible menace de la marée montante, qui, dans ces parages, s'avance avec une rapidité inconnue ailleurs, les rivières : la Sée, la Sélune et le Couesnon surtout, vagabondaient sans cesse, laissant dans leurs déplacements des étendues de sables en apparence inoffensives, mais en réalité traîtresses : les lises. Malheur à l'imprudent qui s'aventurait insouciant sur ces lises ; le sol sans consistance à ces endroits s'enfonçait sous ses pas et subitement il disparaissait happé par la grève.

A présent, ce danger est en quelque sorte chimérique, les ingénieurs ont construit sur le sable une immense levée, qualifiée par eux du nom de digue insubmersible, qui permet d'arriver sans danger jusqu'à la ville.

Mais ce serait s'abuser profondément que de supposer cette digue établie dans le seul but de faciliter aux touristes l'accès du Mont-Saint-Michel. Simple prétexte cela ; en réalité elle fait partie utile de tout un système de mesures prises en vue de précipiter le colmatage d'une grande partie de la baie.

Depuis le VIIIe siècle, date de l'envahissement de la côte normande par les flots de l'océan, la mer n'a cessé de déposer le long du rivage, un limon appelé tangue : résidu de roches granitiques, de débris de coquillages et de végétaux marins. Très riche en iode, en phosphate et en azote, cette tangue fut, dès le moyen âge, utilisée par les riverains qui s'efforcèrent de retenir à leur profit ce précieux engrais. Les tentatives faites, jusqu'à nos jours, pour réaliser des emprises sur la mer avaient toutes plus ou moins échoué, et la montagne de l'Archange semblait défier les travaux des hommes.

Mais, notre époque d'utilitarisme où la science de l'ingénieur aidée des capitaux des grandes sociétés financières, dispose de puissants moyens, devait réussir dans cette entreprise, rémunératrice sans doute, mais profondément déplorable.

En 1856, la société Mosselmann et Donon, obtenait la concession de 2.800 hectares de terres à conquérir sur la mer. Elle entreprit aussitôt une série de travaux d'endiguement en vue de créer, dans la baie, un nouveau régime hydrographique plus favorable au colmatage.

La digue insubmersible et la longue digue de Roche Torin furent établies pour maintenir et détourner les cours du Couesnon, de la Sée et de la Sélune.

Bientôt, à la faveur de ces travaux, la tangue se déposa sur les grèves dans des proportions inconnues jusqu'alors et, d'année en année, on put se rendre compte des progrès inquiétants de l'exhaussement du sol.

Dès 1881, l'administration des Beaux-Arts s'éleva avec énergie contre ces mesures néfastes et surtout contre la digue insubmersible alors en cours d'achèvement, mais rien ne put triompher des résistances de la puissante société des Polders de l'Ouest ; et depuis bientôt trente ans cette longue chaussée déshonore le site splendide au milieu duquel s'élève le Mont-Saint-Michel.

Un tracé malheureux rend encore plus odieuse la digue insubmersible. Le projet primitif la faisait aboutir tangentiellement au rocher, mais, les ingénieurs des Ponts et Chaussées préférèrent la faire buter brutalement contre le rempart avec la préméditation évidente de l'éventrer.

Depuis deux ans, l'opinion publique s'est émue de la gravité de la situation, et les Chambres ont voté des motions invitant le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour assurer l'insularité du Mont-Saint-Michel. Mais il faut que ces mesures palliatives interviennent de suite ; dans quelques années il sera trop tard, l'œuvre des vandales sera consommée. Le célèbre rocher se verrait alors délaissé des artistes, abandonné par tous les amis des grands spectacles de la nature.

Le Mont-Saint-Michel ne doit pas seulement sa célébrité aux magnifiques constructions témoins de sa grandeur passée ; son site est unique au inonde et la vision d'un coucher de soleil dans la baie est un spectacle inoubliable. Il faut, à tout prix, conserver dans son intégrité et dans son cadre la merveille de l'Occident.

 

II. — HISTOIRE.

 

En l'année 708, l'évêque d'Avranches, Aubert, exerçait sa vigilance pastorale sur une vaste région forestière disparue depuis sous les flots de la mer envahissante.

Quelle était l'étendue de cette forêt de Scissy et à la suite de, quels phénomènes géographiques fut-elle anéantie ? Ce sont des questions très controversées et trop complexes pour être abordées ici. Il suffit de retenir qu'à cette époque les deux rochers connus de nos jours sous les noms du Mont-Saint-Michel et de Tombelaine, s'élevaient au milieu des bocages d'une forêt riche et verdoyante.

De pieux ermites avaient trouvé sous ses ombrages la paix et le repos favorables à leur recueillement. Aussi, sur le Mont-Tombe, avaient-ils élevé deux oratoires dédiés, l'un à saint Étienne, l'autre à saint Symphorien.

La légende veut que pendant le cours de cette même année 708, l'Archange Saint-Michel apparut à l'évêque Aubert en lui ordonnant d'aller au Mont-Tombe fonder un sanctuaire en son honneur. Après quelques hésitations, le saint évêque, enfin convaincu, se rendit à l'endroit indiqué par la révélation. Il trouva conformément aux paroles de l'Archange, un espace de rocher resté exempt de l'humidité déposée partout ailleurs par la rosée du matin. Ceci semble indiquer la présence d'une cavité de la montagne soustraite à la pluie par sa forme même.

Aidé par ses pieux compagnons, saint Aubert se mit en mesure d'élever la chapelle demandée par le prince de la milice céleste. Il fallut déblayer la place et la chose ne se fit pas sans quelque difficulté ; des roches éboulées durent être déplacées ; ce fut le pied du petit Bain, enfant encore au berceau, qui opéra ce miracle de faire rouler au bas de la montagne les pierres encombrantes.

L'oratoire construit, son fondateur voulut l'enrichir de précieuses reliques ; aussi, envoya-t-il des clercs en quérir au Mont-Gargan. Ces messagers fidèles mirent un an à faire le voyage et leur stupéfaction dut être grande en voyant, au lieu du rocher perdu au milieu de la forêt qu'ils pensaient retrouver, la montagne de l'Archange s'élever triomphante au milieu des flots.

Saint Aubert institua un collège de douze chanoines pour veiller à la garde du sanctuaire, et, comme pour leurs besoins, ces religieux manquaient d'eau, il fit, par ses prières, jaillir une source désignée depuis sous le nom de fontaine Saint-Aubert. Longtemps elle suffit à pourvoir d'eau potable l'abbaye entière.

Fuyant l'invasion des pirates du Nord, les populations voisines vinrent, à la fin du ixe siècle, se réfugier au Mont-Saint-Michel où elles fondèrent une petite ville.

Ici, nous quittons la légende, et c'est à présent à travers l'histoire que nous allons suivre les fastes de la montagne de l'Archange.

 

Depuis plus de 250 ans que la garde des reliques avait été confiée à un collège de chanoines l'austérité première de ces religieux s'était bien relâchée, leur conduite était devenue sujet de scandale.

Le duc de Normandie, Richard Ier, jugeant impossible de tolérer plus longtemps ces gardiens indignes de ce sanctuaire vénéré, les somma de revenir à une vie plus austère. Devant leur refus de reprendre une existence plus conforme à leurs devoirs ; le duc Richard, de concert avec le pape Jean XIII, décida de chasser ces chanoines aux mœurs dissolues. En 966, il établit au Mont-Saint-Michel, trente moines bénédictins venus de l'abbaye de Saint-Wandrille et choisis parmi les plus dignes de veiller au précieux dépôt.

Tel fut le début de l'abbaye qui devait bientôt devenir un des plus puissants monastères de France.

Maynard Ier fut choisi pour abbé par les religieux. Il s'efforça aussitôt d'organiser la vie de son couvent conformément à la règle de Saint-Benoît, qu'il avait rapportée de son monastère de Fontenelle. L'existence en commun étant la première condition de l'organisation monacale, il fallut construire des bâtiments pour loger les religieux ; en attendant l'achèvement des travaux, ils s'installèrent isolément dans les cellules des chanoines.

La mort empêcha Maynard Ier d'achever son œuvre. Les religieux élevèrent en 991 son neveu, Maynard II, à la dignité abbatiale. Le monastère prospérait sous une sage administration, lorsqu'un terrible incendie vint, en 992, détruire, en partie, la petite église.

La générosité du duc permit aux moines de réparer le désastre et même d'agrandir leur couvent. Le sinistre, toutefois, dut se borner à l'anéantissement des charpentes, et l'on voit mal les dommages que les flammes eussent pu causer à des constructions dont les  murs ont près de deux mètres d'épaisseur.

Les travaux furent donc certainement limités à la simple réfection des toitures.

Hildebert Ier succéda à Maynard II. Sa prélature est marquée par l'établissement d'une croix au milieu des grèves en commémoration d'un miracle. Cette croix, de dimension colossale, était située à égale distance du Mont-Saint-Michel et de la pointe du Mouet ; elle reposait sur un soubassement de 4 mètres carrés élevé au milieu d'une chaussée en pierre de Io mètres de largeur et d'une longueur de 200 mètres.

Cet édifice tombant en ruine dut être réparé en 1249. Peu à peu, il disparut enseveli sous les sables. On put le revoir en 1868, une grande marée d'équinoxe ayant mis à découvert les fondations.

Avec la prélature d'Hildebert II commence la construction de l'abbaye romane.

Le duc Richard II vint en fou au Mont-Saint-Michel Caire bénir son mariage avec Judi th de Bretagne.

La fastueuse cour de ce prince n'ayant pu trouver place tout entière dans la petite église abbatiale, Richard résolut de doter le monastère d'une basilique digne d'un lieu si renommé. Hildebert conçut alors le projet grandiose de construire la nouvelle église abbatiale au niveau du sommet du rocher. Il fallait, pour cela, établir une plate-forme dans des conditions particulièrement hardies : sans hésiter, on se mit de suite à l'œuvre. La crypte orientale était à peine achevée quand Hildebert II mourut (1023).

Ses successeurs s'employèrent à continuer son œuvre et à mener à bien cette audacieuse conception. Les travaux se poursuivirent d'une façon continue, mais forcément lente. En 1058, on élevait seulement les arcs doubleaux du clocher. Mais, la construction de l'église nécessitait la démolition des lieux réguliers de l'abbaye carolingienne. Pour les remplacer, Ranulphe de Bayeux, construisit à la fin du me siècle, des bâtiments conventuels accolés au bas côté Nord de l'église. C'étaient : l'aumônerie, aujourd'hui galerie de l'Aquilon ; le cloître ou promenoir des moines, avec ses annexes : le réfectoire et la cuisine ; enfin, au niveau de l'église, le dortoir et l'infirmerie.

L'église était à peine achevée, lorsqu'en 1103, pendant une nuit où les moines étaient dans le chœur à chanter matines, tout le bas côté Nord s'écroula, ensevelissant sous ses décombres, le dortoir, où, par miracle, dit-on, personne ne se trouvait.

Roger Ier, chapelain du duc Guillaume avait succédé dans la dignité abbatiale à Radulphe de Bayeux. Il commença à relever la nef de ses ruines et, en même temps, s'occupa de rebâtir le promenoir et le dortoir anéantis.

On travaillait à cette reconstruction, lorsque la foudre, le 25 avril 1112, vint incendier tous les bâtiments au Nord.

Roger II avait succédé, en 1106, au chapelain de Guillaume le bâtard ; il poussa activement les travaux et, sous son habile administration, le promenoir des moines fut voûté et le dortoir rétabli dans son intégrité. En même temps, afin de loger dignement les religieux, il fit construire de vastes bâtiments contre le croisillon Nord de l'église. Le XIIIe siècle en élevant la merveille fit disparaître les derniers vestiges de ces bâtiments.

Bernard du Bec, reçut la crosse abbatiale en 1131 : il ne s'occupa. pas seulement de continuer les travaux entrepris par ses prédécesseurs, il fit élever, en outre, un clocher de pierre sur la croisée des transepts. Les fouilles exécutées par M. Gout, en 1909, ont amené la découverte de deux pièces de monnaie d'Edon de Penthièvre, placées dans un coffret au milieu de la croisée. Ces pièces donnent la date de la construction de ce clocher[1].

Bernard en outre décora les fenêtres de vitraux peints ; quelques fragments en furent retrouvés lors des fouilles de 1875.

Robert de Torigny, ou Robert du Mont, fut, élu abbé au libre choix de ses frères en l'année 1154. Sous la direction de ce moine, au génie puissant, la prospérité de l'abbaye reçut une vive impulsion. Il augmenta considérablement les biens du monastère où l'étude fut mise en honneur. Les épaves de la magnifique bibliothèque du Mont-Saint-Michel recueillies au commencement du XIXe siècle par là bibliothèque d'Avranches nous permettent de juger du haut degré de culture atteint par les compagnons de Robert de Torigny.

Si Robert, savant et érudit, sut développer dans son monastère l'amour des lettres, il ne négligea rien pour y accroître l'importance du temporel ; il porta à soixante le nombre des religieux et fit exécuter des travaux d'agrandissement considérables. L'entrée de l'abbaye modifiée permit d'obtenir un isolement plus complet des lieux réguliers pour éviter le contact trop direct avec les étrangers. Au-dessus il plaça l'officialité et son propre appartement où fut reçu Henri II Plantagenet. Voulant couronner son œuvre d'une façon grandiose, il fit élever en avant de la façade de l'église, deux tours reliées par un porche.

Le monastère présentait alors un plan complet. Cet ensemble fut altéré par les siècles suivants, mais les transformations postérieures ne l'ont pas suffisamment défiguré pour que nous ne puissions nous faire une idée exacte de l'abbaye romane, monastère déjà important où le programme bénédictin est suivi dans tous ses détails.

Martin de Furmendi, succédant à Robert, eut une prélature paternelle et les religieux vivaient en paix. A sa mort, il fut enterré à côté de son prédécesseur, contre la tour sud de l'église. Les deux cercueils retrouvés et ouverts en 1875 contenaient chacun une crosse de plomb et un disque du même métal portant gravé le nom du corps déposé dans le tombeau.

En 1203, une catastrophe vint soudainement jeter la consternation parmi les religieux : un incendie, dû, cette fois, à la main des hommes, réduisit en cendres une partie des bâtiments conventuels. Allié de Philippe Auguste, en guerre avec le duc de Normandie déclaré félon pour avoir assassiné son neveu Arthur, Guy de Thouars vint mettre le siège devant le Mont-Saint-Michel. Les religieux tenaient pour Jean Sans-Terre, la politique montoise étant anglaise de tradition. Venu pour convaincre et rattacher l'abbaye à son parti Guy de Thouars ne sut qu'assiéger une place que sa position défendait d'elle-même ; impuissants devant l'abbaye, désespérant de s'en emparer, les bretons se retirèrent en se vengeant sur le bourg sans défense : ils l'incendièrent. Malheureusement, les flammes gagnèrent l'abbaye et détruisirent une grande partie des constructions au Nord.

Ce fut l'œuvre de l'abbé Jourdain de réparer ce désastre. Philippe Auguste, fort marri des dégâts causés par ses trop zélés partisans, aida puissamment les religieux de ses dons généreux. Sa munificence leur permit de construire le bâtiment Est de la merveille. Les successeurs de Jourdain : Raoul des Iles et Thomas des Chambres, non seulement continuèrent l'œuvre colossale commencée, mais encore abandonnant l'idée première de restaurer les constructions de Roger II, échappées en partie aux flammes, les firent démolir et élevèrent le bâtiment Ouest de la merveille. Raoul de Villedieu acheva en 1228 cette conception audacieuse. Les magnifiques salles qui la composent comprenaient une partie des lieux réguliers : l'aumônerie et le cellier venant remplacer la salle de l'Aquilon, de dimension exiguë pour les nouveaux besoins ; les moines trouvaient au premier étage le chauffoir ou salle de travail, et l'abbé, à cette époque fastueuse, pouvait offrir une brillante hospitalité dans la salle des hôtes. Enfin un magnifique réfectoire et un cloître d'un goût exquis venaient offrir aux religieux des salles spacieuses où la vie monacale pouvait se développer tout à son aise.

La reconstruction de ces diverses parties de l'abbaye devait fatalement entraîner la transformation du monastère tout entier, les nouveaux logis n'étant plus en rapport avec les parties anciennes, Richard Turstin (1236) n'hésita pas à construire, à l'entrée nouvelle de l'abbaye qu'il transporta dès lors à l'Est, la magnifique salle de l'officialité. Les biens de l'abbaye étant considérables, il fallait des locaux importants pour contenir les services administratifs de son immense fortune ; à cette fin, Richard fit élever la procure et ses annexes.

Enfin, voulant rivaliser de luxe avec les évêques d'Avranches, il abandonna la vieille coutume d'habiter avec les moines : au-dessus de la procure il se fit construire un magnifique logis digne d'un prélat puissant.

Prévoyant, il établit les premières défenses en avant de l'abbaye.

La foudre, allumant un nouvel incendie en 1300, vint ruiner complètement le clocher. Mais la générosité de Philippe le Bel, venu en pèlerinage au Mont en 1311, permit à l'abbé Guillaume du Château, de réparer promptement le désastre. L'abbaye puissamment riche continuait à développer et à étendre ses bâtiments : de chaque nouvelle catastrophe naissait une nouvelle splendeur.

Guillaume établit aux pieds des bâtiments abbatiaux de grands magasins qu'on a désignés sous le nom de fanils, et qu'il entoura de fortifications. Les soins de cet abbé se portèrent également sur la ville, où il étendit les travaux de défenses commencés par son prédécesseur.

Le bourg, d'ailleurs, était fort petit, et l'incendie de 1300 avait réduit en cendres un grand nombre de ses maisons. Elles étaient, à cette époque, groupées entre l'abbaye et la petite église paroissiale près de laquelle se trouvait l'entrée du village. Les fortifications de Guillaume durent se borner à quelques travaux de peu d'importance.

Ces mesures de précautions allaient, hélas ! être bientôt justifiées par les débuts de la guerre de Cent ans.

Il semble que chacun, dès lors, pressentait le fléau qui allait s'abattre sur la France. Si l'abbé Nicolas le Vitrier, après avoir réparé les dégâts causés par un nouvel incendie en 135o, fit quelques travaux somptuaires. en enrichissant l'église abbatiale de magnifiques verrières, il prit grand soin des remparts, leur entretien était de plus en plus justifié par l'approche des Anglais que la courte prélature de Geoffroy de Servon (1363-1386) vit s'installer à l'Ile de Tombelaine[2].

Pierre Le Roy, prenant la crosse abbatiale en 1386, s'efforça de multiplier les fortifications en avant de l'entrée de l'abbaye. Il flanqua la salle de l'officialité à l'Ouest par une tour carrée qui reçut le vocable de tour Perrine, et à l'Est par un châtelet admirablement conçu pour défendre la porte du monastère ; puis il établit, en avant, une barbacane où venait aboutir un grand degré, lui-même fortifié et dominé par la tour Claudine. L'abbaye étant ainsi mise à l'abri d'un coup de main, la sollicitude de l'abbé s'étendit sur la ville ; pour la protéger, il remania complètement les remparts de Guillaume du Château.

Mais la prélature de Pierre Le Roy ne brille pas seulement comme une ère de constructions militaires. Savant et lettré, l'abbé du Mont-Saint-Michel fut une des plus grandes figures du commencement du XVe siècle : il ramena les moines à une plus juste observation de la règle de Saint-Benoît et remit l'étude en honneur dans le couvent. La Bibliothèque d'Avranches témoigne de l'heureux résultat de ses efforts.

Pierre Le Roy mourut à Bologne en chargeant son chapelain et compagnon de voyage, Robert Jolivet, de remettre aux religieux un legs de 4.000 écus d'or. Ce dernier, avant de quitter l'Italie, eut soin de se faire délivrer par le pape des bulles lui conférant la succession de Pierre Le Roy. Mais, astucieux, il revint au Mont et se fit élire canoniquement avant d'exhiber le parchemin pontifical.

Étrange figure, à vrai dire, que celle de cet abbé. A peine élu, il s'empresse d'abandonner son monastère pour venir s'installer à Paris, sous le prétexte d'étudier à la Faculté des Décrets. Cependant, la position des Anglais dans l'Avranchain était devenue assez inquiétante. Ils avaient transformé Tombelaine en une véritable place forte et leurs incursions étaient si audacieuses, que les religieux mandèrent à leur abbé investi de la capitainerie du Mont de venir au plus vite rejoindre son poste.

Robert Jolivet accourut et s'efforça de mettre la ville en état de défense. Il s'y employa merveilleusement et étendit les fortifications de façon à englober dans la même enceinte l'ancien village et le faubourg installé à sa porte. Voulant éviter que la prise de la fontaine Saint-Aubert entraînât la capitulation de la place privée dès lors de son alimentation en eau potable, il fit, en 1417, construire une énorme citerne-filtre contre le chevet de l'église abbatiale. La garnison fut confiée au commandement de Jean d'Harcourt.

Il semblerait qu'après le traité de Troyes, il eut jugé la cause de la royauté française à jamais perdue, et pensant trouver avantage à reconnaître de suite la domination du vainqueur, il crut de bonne politique de s'incliner devant sa puissance ; du moins, c'est la thèse qu'il faut admettre pour expliquer la conduite de Robert.

Sans cause apparente, l'abbé du Mont-Saint-Michel devint subitement l'ami et le conseiller du roi d'Angleterre et son lieutenant en Normandie.

Robert Jolivet fut alors l'ennemi le plus acharné de la forteresse si bien préparée par lui à la résistance. Après s'être fait donner par Henri VI tous les biens de l'abbaye il s'efforce de reconquérir son monastère, indiquant lui-même les points faibles de la défense. Une suprême flétrissure devait entacher sa mémoire : celle d'avoir assisté ail procès de condamnation de Jeanne d'Arc sans songer à élever la voix pour la défendre.

Elles étaient très sûres, les fortifications élevées par l'abbé félon, et Louis d'Estouteville, commandant la place depuis le départ de Jean d'Harcourt, s'efforça de les rendre encore plus formidables.

En 1420 la lutte devint des plus dures. Les Anglais triomphant de toute part serraient de près l'abbaye-forteresse ; espérant réduire la place par la famine, un siège en règle fut entrepris. Le courage et la résistance des Montois fut héroïque et Louis d'Estouteville, secondé par 119 chevaliers réfugiés dans la ville, parvint à repousser tous les assauts.

La garnison fit une très heureuse sortie en 1427 et repoussa l'ennemi avec de grosses pertes. En se retirant précipitamment devant cette poignée de héros, les Anglais durent abandonner toute leur artillerie. Les Montois traînèrent les pièces jusque dans la ville. Les deux bombardes, actuellement placées dans l'avancée, sont les témoins glorieux de cette brillante journée et rappellent au visiteur la plus belle page de l'histoire militaire du Mont-Saint-Michel.

Louis d'Estouteville ne se laissa pas griser par ce triomphe et s'occupa activement à renforcer les fortifications. Les progrès de l'artillerie ayant augmenté les moyens d'attaque, un remaniement des remparts s'imposait. Le sagace capitaine montois doubla une partie des courtines en leur donnant une surépaisseur du côté de la ville. Puis fit pratiquer de grandes canonnières et renforcer les flanquements. Pour rendre l'approche de la ville encore plus inaccessible, il établit en avant la barbacane ou boulevard, conception défensive admirable dans ses dispositions. Ayant la forme d'un éperon, elle forçait l'ennemi d'établir ses batteries en un point dominé par les fortifications construites sur le rocher à pic.

La bataille de Formigny (1450) en chassant les Anglais de la Normandie vint enfin dégager le Mont-Saint-Michel de sa ceinture d'ennemis.

La guerre contre les Anglais avait détourné l'attention des religieux au dehors de l'Abbaye. Une grave catastrophe pourtant s'était produite : le 10 novembre 1421 le chœur de l'église s'était écroulé. Jean Gonault, chargé par intérim du gouvernement du monastère, s'était contenté de faire boucher l'arc triomphal de la croisée pour clore l'église. Il ne pouvait être question à cette époque de travaux plus importants.

Le cardinal Guillaume d'Estouteville, frère du vaillant défenseur de la forteresse, fut nommé abbé de par la volonté du roi. Une bulle pontificale confirma cette nomination en 1446. Si l'opulent prélat ne résida pas au Mont, il s'occupa du moins de rendre au monastère son ancienne prospérité. Profitant de son très grand crédit, il répandit partout le culte de saint Michel et sut obtenir du pape des bulles d'indulgences pour les pèlerins généreux. Les dons affluèrent aussitôt.

D'ailleurs, chose curieuse, les pèlerinages pendant le plus fort de la guerre de cent ans étaient à peine venus en moins grand nombre. Les Anglais délivraient contre espèces des sauf-conduits à tous ceux qui, dans un but pieux, se rendaient à la montagne de l'Archange.

Des ressources considérables naissaient de ces pèlerinages, elles permirent en 1448 d'entreprendre la reconstruction du chœur écroulé. Le projet de Guillaume d'Estouteville était vaste, ce prélat magnifique ne songeait rien moins qu'à reconstruire l'église tout entière. Les travaux se poursuivirent rapidement : Louis XI venant au Mont en 1470 put voir le chœur élevé jusqu'à la hauteur du triforium. Il avait l'année précédente fondé l'ordre des Chevaliers de Saint-Michel et avait fixé l'abbaye Montoise comme lieu de réunion du Chapitre, mais ces assises n'y furent jamais tenues.

La fin de la guerre de cent ans avait marqué une recrudescence des pèlerinages et de longues processions traversaient la France, se dirigeant vers le rocher de l'Archange. Un ralentissement se produisit dans la ferveur populaire vers la fin du XVe siècle[3]. Les pèlerins plus rares, les ressources qui naissaient de leur présence diminuèrent dans des proportions importantes.

Cependant la prospérité de l'abbaye n'avait pas encore eu trop à souffrir de l'institution de la commende, et l'abbé Guillaume de Lamps poursuivit l'achèvement du chœur. Il dut reconstruire le clocher, un nouvel incendie ayant encore une fois anéanti un ouvrage aussi exposé au feu du ciel.

Contre le bas côté Sud, vis-à-vis du nouveau logis abbatial qu'il se faisait construire, Guillaume fit exécuter une charmante citerne à l'usage de la cuisine de l'abbé. Enfin il remania le Saut Gautier qu'il couronna d'une galerie aujourd'hui disparue Son frère, Jean de Lamps, lui succéda en 1513 ; il eut l'honneur de faire sculpter ses armoiries sur la clef de voûte du chœur de l'Église achevé par ses soins.

L'ère des travaux était terminée, du moins pour l'abbaye. Les abbés commendataires successeurs de Jean de Lamps ne songèrent plus qu'à jouir de leur bénéfice sans s'occuper de l'entretien des bâtiments du monastère.

La ville reçut quelques fortifications complémentaires. En 153o, Gabriel du Puy, lieutenant pour le roi de la place du Mont-Saint-Michel, fit construire en un point très faible de la défense à l'angle Ouest des Fanils, la grosse tour Gabriel aménagée pour utiliser une artillerie puissante. Cinquante ans plus tard le talus de couronnement fut établi par le marquis de la Chesnay Vaulonet conformément au système employé par ce capitaine au château de Fougères où l'on en peut encore voir une partie intacte sur la porte Saint-Sulpice.

Devant la barbacane de la ville, Gabriel du Puy construisit également l'Avancée avec le petit corps de garde des bourgeois. Les fortifications étaient ainsi complètes ; on y travailla encore au XVIIe siècle en transformant la tour Denis en batterie barbette.

L'abbaye gothique avait atteint à la mort de Jean de Lamps un splendide développement et présentait dans chacune de ses parties des dispositions grandioses. Les siècles suivants ne seront plus que des siècles de décadence et amèneront peu à peu la mutilation du monastère médiéval. Sous l'influence des moines de Saint-Maur une renaissance littéraire va se produire, mais l'ère des constructions magnifiques est close et ceux qui vont venir habiter la merveille n'en comprendront pas la beauté.

Les guerres de religion causèrent de grands tracas aux religieux. Ils avaient dès 1576 embrassé le parti de la ligue : aussi l'abbaye devint-elle la proie convoitée des huguenots. L'Avranchin souffrait particulièrement des guerres civiles, les Montgommery installés dans leur château de Ducey avaient un poste très fort dans Pontorson et de là menaçaient sans cesse le Mont-Saint-Michel.

Après la signature de l'édit de Nantes l'abbaye connut le repos ; mais le contact des soldats avait singulièrement altéré l'austérité des religieux, aussi en 1622 le cardinal de Bérulle, chargé de gouverner l'abbaye pour le compte de l'abbé commendataire Henri de Lorraine alors âgé de cinq ans, dut-il introduire dans le monastère la réforme de saint Maur.

Les bénédictins de Saint-Benoît demeurèrent dans l'abbaye de concert avec les nouveaux venus. Ceux-ci s'installèrent dans les logis abbatiaux en attendant d'avoir remis en état les bâtiments conventuels dont les toitures tombaient en ruines.

Abandonnant l'ancien dortoir transformé en salle de récréation, ils établirent leurs cellules dans le réfectoire. Ce travail fut l'occasion de mutilations navrantes. Les nouveaux religieux commencèrent par diviser en deux étages la magnifique salle, puis, jugeant trop étroites les fenêtres, sans hésiter ils les élargirent en brisant les colonnettes et les chapiteaux. Sans réfléchir aux conséquences très graves que cette fantaisie pouvait avoir, ils établirent un jardin sur l'aire du cloître, chargeant ainsi les voûtes de la salle des chevaliers.

La salle des hôtes fut divisée en deux parties : l'une servit de réfectoire, et la seconde de cuisine. La jolie chapelle Sainte-Madeleine fut coupée par un plancher, l'étage inférieur fut affecté à la buanderie, celui du dessus devint un logement pour les hôtes. Le porche de la Merveille fut complètement défiguré par un escalier montant aux anciennes cuisines transformées en chauffoir, et surélevées d'un étage afin de loger la bibliothèque.

Le vandalisme des bénédictins de l'ordre de Saint-Maur n'hésita pas à démolir l'absidiole du croisillon Nord pour y placer un escalier. De leur temps le splendide logis abbatial de Richard Turstin fut divisé par des planchers et des cloisons dissimulant les grandioses dispositions du XIIIe siècle. Partout où leur attention venait à se porter naissait une construction résultant d'une conception mesquine et sans ampleur.

Le mauvais goût avait succédé aux qualités gracieuses et spirituelles de l'architecture du moyen âge. En 1780 trois des travées de la nef et la façade romane menaçant ruine, on résolut de les détruire. Cette solution éminemment simple permit aux religieux de faire élever sur la plate-forme occidentale l'horrible façade qui déshonore aujourd'hui l'abbaye montoise.

Pourtant ces mêmes moines étaient des hommes cultivés et savants. En relation directe et constante avec l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, ils suivaient les traditions des Dom Luc d'Achery et des Dom Mabillon. Un moine profès : Dom Jean Huynes écrivit une chronique, source inépuisable, base de toute étude historique sur le Mont-Saint-Michel. Dom Thomas le Roy, plus curieux, voulut connaître les auteurs des bâtiments qu'il était chargé de faire visiter aux étrangers ; il reprit l'histoire de Dom Jean Huynes et s'efforça de compléter les passages traitant des édifices. Son ouvrage est pour l'archéologue un document des plus précieux. Dom Louis de Camps et Dom Étienne Jobard se signalèrent également par leurs travaux.

La lutte contre les jésuites avait épuisé l'énergie des bénédictins. Peu à peu le zèle des religieux du Mont-Saint-Michel se ralentissait et la Révolution trouva l'abbaye en pleine décadence. Le pillage des immenses richesses accumulées par les siècles de foi commença : le trésor fut dispersé, les châsses fondues, les reliques profanées. Les cloches elles-mêmes ne furent pas épargnées : on les descendit, et les habitants de Beauvoir et de Genets s'en emparèrent pour leurs églises. Les parchemins du chartrier furent brûlés, quelques manuscrits seuils échappèrent au désastre, ils forment à présent le fonds le plus riche de la bibliothèque d'Avranches.

L'abbaye fut alors transformée en prison, on y incarcéra 300 prêtres réfractaires à la constitution républicaine. L'empire en fit une maison de force ; le gouvernement de juillet y enferma les détenus politiques.

Cette nouvelle affectation de l'abbaye n'alla pas sans amener des modifications profondes dans divers locaux de l'ancien monastère et les directeurs des prisons voulant disposer les lieux suivant les besoins du régime pénitentiaire, continuèrent dignement l'œuvre de mutilation commencée par les moines de la congrégation de Saint-Maur. Les grandes salles de la Merveille furent coupées par des planchers, puis on établit des métiers de tisserands. L'église elle-même fut divisée en deux étages où des ateliers de fabrication de chapeaux de paille furent installés. Seul le chœur fut respecté et réservé à l'exercice du culte. Les bâtiments abbatiaux divisés par des cloisons en étroites et tristes cellules servirent de prison pour les détenus politiques. Les bâtiments mal entretenus menaçaient ruine de toutes parts. Les cons : trustions à l'Ouest présentaient un état inquiétant. En 1817, l'hôtellerie du XIIe siècle, appropriée en prison des femmes, s'écroula. En 1834, un incendie ayant pris naissance dans l'atelier des chapeaux, gagna le comble de la nef de l'église et le détruisit complètement.

Un décret impérial, le 20 octobre 1863, en supprimant la maison de détention, vint arrêter l'œuvre d'anéantissement poursuivie pendant trois siècles. En 1865, l'abbaye du Mont-Saint-Michel fut rendue au culte et les religieux de Saint-Edme de Pontigny s'y installèrent. Enfin, le 20 avri11874, un décret présidentiel classait l'abbaye et les remparts parmi les monuments historiques.

 

La Restauration. — Dès l'année 1872, l'architecte M. Edouard Corroyer chargé d'étudier un projet de restauration entreprit l'exécution des travaux les plus urgents. Il restaura le cloître et commença les réparations qu'exigeait l'état lamentable du réfectoire qui fut achevé en 1890 par M. Victor Petitgrand qui reprit ensuite en sous-œuvre les piliers de la croisée et construisit la tour et la flèche, terminée par une statue de saint Michel due au talent de Fremiet. M. Paul Gout prit, en 1898, la direction des travaux, il s'efforça d'abandonner la méthode de reconstruction employée jusqu'alors, pour ne plus faire que des travaux de consolidation. Il restaura ainsi le chœur gothique, les transepts et la nef. Puis les nombreuses fouilles exécutées par lui, de 1906 à 1909, ayant révélé maintes dispositions très curieuses, M. Gout s'employa à les mettre en lumière ; c'est ainsi qu'il fut amené à restaurer une jolie citerne du XVIe siècle, le dortoir du XIe, et une série de grandes galeries de communication, qu'il avait dégagées. Il s'était, en outre, occupé de faciliter l'accès de l'abbaye en rétablissant le grand degré. Le lecteur trouvera dans le magnifique ouvrage où M. Paul Gout a consigné le résultat de ses recherches, tout un programme de restauration que mon éminent maître propose à la Commission des Monuments historiques, pour faire renaître aux yeux des archéologues la vision des splendeurs architecturales du Mont-Saint-Michel.

 

III. — DESCRIPTION DE L'ABBAYE.

 

I. — L'ABBAYE CAROLINGIENNE

De l'oratoire primitif élevé par saint Aubert, sur les indications de l'Archange, il ne reste plus rien. D'après les auteurs du Gallia Christiana, ce sanctuaire était de forme circulaire et pouvait contenir une centaine de personnes. Son emplacement a été l'objet de bien des controverses : les historiographes montois affirmaient que la chapelle de Notre-Darne-Sous-Terre s'élevait à l'endroit même où saint Aubert avait officié ; niais où placer cette chapelle de Notre-Dame-Sous-Terre Dom Thomas Leroy, s'exprimant d'une façon fort peu claire, il était malaisé avec son seul secours de préciser un point plus spécialement qu'un autre. Il indiquait bien tin escalier descendant de la nef à cette église souterraine, mais cet accès était bouché. Les textes seuls se trouvaient impuissants pour renseigner les curieux et les archéologues.

M. Paul Gout, en dégageant des maçonneries qui masquaient d'antiques constructions du Xe siècle, est parvenu enfin à percer ce mystère.

Sous la grande plate-forme de l'Ouest, englobée au milieu d'édifices postérieurs, une église carolingienne est apparue, sinon absolument intacte, du moins parfaitement lisible. C'est un simple rectangle de huit mètres sur neuf, divisé en deux galeries dans sa largeur par deux arcades retombant sur un pilier central.

Les murs latéraux ont une épaisseur formidable de 1m,80. Au Nord, une seule ouverture permettait à la lumière de pénétrer, tandis qu'au midi, deux fenêtres et une porte donnaient un accès et du jour à cet oratoire.

La maçonnerie est en moellons ; les arcs et les voûtes des ouvertures sont en briques plates reliées par un mortier offrant des joints aussi épais que la brique elle-même.

Les arcs retombent, suivant le mode carolingien, sur un sommier de pierre ; en dessous, est une moulure saillante ayant servi à maintenir les pièces de bois lors du cintrage de l'arc.

Les piédroits des fenêtres sont composés d'assises de pierre et de briques irrégulièrement alternées.

Vers l'Ouest, le mur de la façade fut complètement éventré au XIe siècle ; malgré cela, du côté Nord, on peut voir à demi bouchée une baie qui permet de déduire facilement la disposition primitive du pignon dans sa partie haute.

Mais le chevet de cette petite église doit attirer plus spécialement l'attention, il est tout à fait particulier au Mont-Saint-Michel et résulte de la situation même de la construction adossée à un rocher en pente.

Le chevet de l'église carolingienne n'apparaît pas à première vue, un grand mur construit vers 1780, pour maintenir l'odieuse façade néo-grecque, le dissimule à l'attention des archéologues. Il faut passer de l'autre côté de ce voile de pierre pour saisir la physionomie de cette abside.

Les figures de l'ouvrage de M. Paul Gout permettent d'en saisir la disposition. Au niveau du sol de l'église proprement dite, chaque nef se termine par une sorte de niche où était placé l'autel, de chaque côté, un banc est ménagé dans une légère excavation ; au-dessus, se trouve une tribune plus profonde où l'on déposait les reliques. Les deux salles du haut communiquent par un étroit passage.

De la tribune Nord, un escalier permettait de monter à l'abbaye située à un niveau supérieur. On descendait dans l'église au moyen d'un degré en bois appliqué contre le mur Nord.

Aucun doute n'est possible sur la date de cette construction et l'examen attentif révèle un édifice de la première moitié du Xe siècle. C'est ce sanctuaire que le duc Richard Ier confia à la vigilance de Maynard et de ses douze religieux en les installant au Mont-Saint-Michel en 966.

Toutefois, nous savons qu'un incendie vint anéantir, en 992, la charpente de l'église. On pourrait se demander de quelle charpente il est question dans le vieux manuscrit, car l'église actuelle est voûtée. Mais, en examinant le départ des berceaux, on peut y remarquer deux retraites, la plus basse est précisément celle où reposait la charpente incendiée en 992. La retraite supérieure est le départ d'une voûte faite en 996, lorsque les moines, voulant empêcher le retour d'un pareil désastre se décidèrent à couvrir de pierre leur petite basilique.

Les deux berceaux actuels sont l'œuvre de Roger Ier ; cet abbé les fit exécuter après l'écroulement du bas côté nord de l'église en 1103. La chute des travées imprudemment établies sur les voûtes de 996 les avait complètement écrasées. Instruit par une cruelle expérience, on imagina de doubler les piles de l'église souterraine, puis, sur ces nouveaux appuis, on banda une voûte renforcée par des arcs doubleaux. C'est dans cet état que se présente actuellement la petite église carolingienne.

L'impossibilité d'élever les bâtiments conventuels au même niveau que le sanctuaire, donna naissance à la disposition tout à fait exceptionnelle de ces constructions. On les établit sur une plate-forme disposée au sommet du rocher ; il s'en suivit que le monastère domina l'église.

Cette abbaye formait un quadrilatère de 25 mètres sur 12 et prolongeait en plan l'église primitive. Un corps de bâtiment évidemment ajouté après coup, continuait à l'est le monastère mais avec une largeur de 9m,50 seulement sur une longueur qui n'a pu être déterminée, les constructions postérieures ayant tronqué les restes de ce bâtiment. Ces deux constructions étaient réunies par une porte ; dans l'épaisseur de son tableau on a retrouvé trois marches indiquant une dénivellation de 0m,45 entre le sol de ces deux bâtiments. Cette adjonction doit être celle faite en 996, lorsque, réparant les dégâts causés par l'incendie de 992, les moines agrandirent leur couvent.

Dire quelle était la disposition exacte des lieux, est chose assez malaisée. Cependant, les fouilles ont permis de découvrir au Sud, l'entrée du monastère ; et une partie de dallage, retrouvée en avant du bâtiment Ouest, autorise à présumer de l'existence d'une terrasse de ce côté.

A la campagne de construction de 996 on doit faire remonter également le grand escalier mettant actuellement en communication le bas côté sud de l'église abbatiale avec la galerie nord-sud. Cet escalier, a été très remanié au XIe siècle d'abord, puis au XIIe, mais les parements des murs font partie des travaux exécutés, grâce à la générosité du duc Richard Ier. Escalier de défense, il permettait, en outre, de monter d'une plate-forme établie au niveau de la petite église, jusqu'à l'entrée même de l'abbaye.

Les vestiges de cette primitive construction ne permettent pas d'en déduire les divisions des bâtiments et l'on ne peut se faire une idée même approximative de la façon dont les religieux avaient pu organiser leur existence dans ce premier monastère. Les textes affirment qu'à cette époque, une au moins des cellules des chanoines avait été conservée ; ce fait semble indiquer une observation toute relative de la règle de Saint-Benoît. L'abbaye carolingienne ne répondait donc pas au programme bénédictin dans toute sa rigueur.

 

II. - L'ABBAYE ROMANE.

La nef et les transepts. — La grandiose conception d'Hildebert nécessitait l'établissement d'un plateau au niveau des bâtiments conventuels de l'abbaye primitive.

Les travaux commencés en 1023, consistèrent en la construction de la crypte du chœur et de deux chapelles souterraines, soubassements des futurs transepts. Du chevet roman, il ne subsiste plus que le départ d'une voûte d'arête située sous le sol du collatéral Sud, dans une sorte de caveau découvert en 1909. La chapelle Saint-Martin qui se trouve sous le croisillon Sud conserve son aspect primitif ; l'ampleur de la voûte est très impressionnante. Un jour timide y pénètre par d'étroites fenêtres aux ébrasements profonds. Elle était en communication avec la crypte absidale au moyen d'un passage encore existant quoique légèrement remanié au XVe siècle. Un large escalier à vis permet de monter de cette chapelle jusqu'à l'église haute.

La chapelle des trente cierges lui est symétrique sous le croisillon Nord. Cette dernière fut remaniée au mite siècle : si les dispositions générales remontent bien à la construction primitive, les voûtes, en revanche, furent 'retouchées lors des travaux de la Merveille ; les haies furent élargies ; au devant, un arc fut bandé pour supporter les maçonneries supérieures. De très intéressants fragments de peintures décoratives[4] peuvent se voir sur le large doubleau central. Deux couches sont superposées, l'une date du XIIe siècle, la seconde du XIIIe. Un escalier à vis bouché au XVe siècle, permettait de monter à l'église. Un second degré est disposé très singulièrement à droite de l'entrée de cette chapelle : établi vers 1023 pour correspondre avec l'église haute et le dortoir, il fut délaissé et bouché lorsqu'on refit le bas côté Nord. Une étrange conception, à vrai dire, est celle de cet escalier supportant à faux sur sa voûte, le poids du mur de l'église ; disposition singulière qu'on retrouve ailleurs sous le mur extérieur du bas côté Sud.

La difficulté d'implantation, résultat de la déclivité exceptionnelle des lieux, a donné naissance aux irrégularités présentées en plan par les transepts, et à une déformation de la croisée.

Il ne faudrait pas croire, toutefois, que la forme bizarre du croisillon Nord est le résultat d'une erreur dans le tracé. En effet, le grand pignon du fond date du XIIIe siècle.

L'oculus situé au-dessus des fenêtres du transept sud a été remanié au XVe siècle, mais l'ensemble conserve la disposition primitive.

A l'Est, les absidioles du transept sont voûtées en cul-de-four, et éclairées par une fenêtre dont l'archivolte moulurée retombe sur des chapiteaux fort bien sculptés.

La nef devait, avant 1780, présenter le plus beau caractère. Les trois travées démolies à cette époque, l'ont un peu trop écourtée ; telle qu'elle est actuellement, son intérêt est grand pour l'archéologue. Nous examinerons d'abord le côté Sud, le seul subsistant de la campagne de construction commencée en 1023, le côté Nord ayant été reconstruit à la suite de l'écroulement de 1103. On est d'abord surpris de la précocité de cette conception, mais les textes sont parfaitement formels à son égard, aucun doute ne peut être élevé sur l'époque de la construction ; la nef fut commencée dans la première moitié du XIe siècle.

La largeur de 8m,50 n'est pas bien considérable, mais la structure est très légère et bien conçue.

Les piles sont carrées et cantonnées de quatre colonnes engagées. Au-dessus du tailloir un pilastre part et la colonne fixée sur lui monte jusqu'au mur goutterot, recevant à ce niveau l'extrémité de l'entrait. Le pilastre se termine par un grand arc franchissant l'espace d'une travée.

Les arcs doubleaux sont en plein cintre, ils forment en quelque sorte deux archivoltes superposées, l'arc supérieur ayant une légère saillie sur l'arc inférieur. Mais ils ne sont pas en pierre de taille dans toute leur épaisseur, ils présentent un parement du côté de la nef, un autre vers le collatéral, l'intervalle entre ces deux arcs de tête est rempli d'une mauvaise maçonnerie sans cohésion.

Au-dessus de ces arcs, règne une tribune du plus bel effet ; l'architecture en est puissante : deux arcades divisées elles-mêmes en deux ouvertures géminées. Un petit appareil en losange occupe le tympan entre l'archivolte supérieure et des baies inférieures.

Les fenêtres éclairant directement la nef sont placées au-dessus de cette tribune, elles ne répandent qu'une lumière timide sur la charpente lambrissée rétablie récemment.

Le bas côté est voûté d'arêtes, et renforcé par des doubleaux plein cintre ayant pris sous la charge une déformation leur donnant l'aspect d'arcs en anse de panier. La porte du 'mie siècle qui donne accès au saut Gautier remplace une porte établie à cet endroit dès le XIe siècle.

Si, après cet examen, les yeux se portent alors sur le côté Nord de la nef, des différences très nettes apparaissent. Le collatéral ne ressemble que par ses grandes lignes à celui du Sud, le mur de la nef lui-même est différent.

Les piliers cantonnés sont plus forts, leur section est de 1m,52 au carré au lieu de 1m,42 ; les colonnes sont plus grosses, partant plus saillantes, puis les arcs sont légèrement brisés. La maçonnerie est en bel appareil de pierre se liant parfaitement.

Plus de diminution de l'épaisseur du mur au-dessus du bandeau prolongeant le tailloir des chapiteaux ; plus de grands arcs de décharge montant jusqu'à l'arase du mur : une maçonnerie offrant un parement sur un même nu.

Les dispositions de la tribune quoique paraissant semblables à celles du Sud présentent de notables différences. A l'examen, on reconnaît sans peine un souci constant d'assurer à la construction une plus grande solidité. Puis les murs extérieurs du bas côté sont plus épais que ceux du Midi ; et de gros contreforts viennent contrebuter la poussée des arcs doubleaux ; ceux-ci sont nettement des arcs brisés attestant chez le constructeur la préoccupation d'éviter la poussée.

Mais, chose étrange, la technique de l'architecte du XIe siècle est plus hardie et plus savante ; il semble être moins audacieux, le maître de l'œuvre, auteur de la reconstruction de 1103 ; sans doute, la crainte d'un nouvel écroulement est-elle pour beaucoup dans sa timidité relative.

La porte du bas côté Nord donne accès sur une terrasse nouvellement dégagée de constructions modernes. On peut remarquer contre le mur extérieur du bas côté, un solin, trace d'un bâtiment projeté ou exécuté au XIIIe siècle. Un autre solin est visible sur le mur occidental du transept, mais il ne remonte qu'au début du XIIe siècle et fait partie de tout un programme dont le grand pignon percé de trois baies, mitoyen du cloître, est le témoin le plus probant. Sans aucun doute une toiture venait buter contre cette maçonnerie et allait retrouver contre le mur de l'église le solin établi sous Roger II, déterminant ainsi un espace couvert servant à la communication entre l'église et le cloître.

On remarque un escalier très raide disposé contre le croisillon Nord. Etabli dans un but de résistance suprême, ce degré est contemporain des travaux de remaniement faits en cet endroit au mue siècle pour augmenter la superficie du cloître.

 

Dortoir. — Le côté Ouest de cette plate-forme est fermé par la façade du dortoir des moines. Construit au XIe siècle, il dut être refait à la suite de l'éboulement de 1103. Une petite porte permet d'y pénétrer ; de chaque côté, une étroite fenêtre, sorte de meurtrière communique un jour discret. A trois mètres du sol, le pignon se retraite singulièrement sur le nu du mur inférieur. Cette partie horizontale de 0m,25 de profondeur est la trace du chêneau de la salle, autrefois couverte, servant de passage entre l'église et le cloître. Enfin, une haute baie, dont l'arc plein cintre a subi de nombreuses déformations, est percée dans l'axe du pignon.

En pénétrant dans le dortoir, on est surpris de sa petitesse. Si sa largeur est la même qu'au premier jour, en revanche, la longueur n'est plus guère que le tiers de celle de la construction du XIe siècle. La démolition, en 1780, des trois travées Ouest de la façade de l'église, a, en même temps, entraîné celle d'une grande partie de ce dortoir dont la longueur de ce côté, était égale à celle de la nef. Ainsi donc, nous nous trouvons en présence d'une longue salle tronquée et fermée du côté Ouest par un pignon, construit vers 1780 par les moines de la congrégation de Saint-Maur. Le mur Nord est percé d'une série de fenêtres accolées deux à deux, mais postérieures à la construction primitive, elles datent du mue siècle, époque où l'on remania l'éclairage du dortoir pour remédier à l'obscurité qui devait résulter de la hauteur des bâtiments projetés en prolongement de la Merveille.

La hauteur du sol est faite pour étonner : il est visiblement exhaussé, nous verrons tout à l'heure qu'il fut modifié au XIIe siècle, lors de la transformation des voûtes du promenoir.

 

Infirmerie. — Contre le dortoir, en communication directe, on remarque une petite salle : c'est l'infirmerie du XIe siècle. Elle aussi est plus courte qu'autrefois ; mais ici, c'est à l'Est que lors de la construction du cloître au mn° siècle on vint empiéter sur elle.

Le pignon est percé de trois petites baies du XIe siècle, placées en triangle, tandis que trois ouvertures se voient dans le murNord. Elles viennent s'appuyer sur le sol, témoignant ainsi de la surélévation du dallage primitif. Elles font voir également combien cette salle fut modifiée ; ces ébrasements des fenêtres conservent la trace de nombreux remaniements.

 

Promenoir. — Après avoir de nouveau traversé le dortoir et descendu l'escalier longeant le bas côté Nord, on entre, en tournant à gauche dans le promenoir des moines, ou cloître du XIe siècle. Ce cloître est très sombre, très impressionnant par les effets de la lumière qui se joue sous ses voûtes. C'est une longue salle rectangulaire divisée en deux nefs de largeur sensiblement égale. Sa structure a subi bien des modifications. Il est probable, que dans la conception de Ranulphe, il était simplement couvert par un plancher dont les poutres maîtresses étaient soulagées par quelques poteaux. Puis, au XIe siècle, on construisit des voûtes d'arêtes, soutenues par de larges arcs doubleaux en tous points semblables à ceux de l'Aquilon : le départ de ces arcs se distingue encore bien dans les murs du promenoir. On peut remarquer à chaque retombée des nervures, un bandeau d'environ 0m,60 de large et de 0m,15 d'épaisseur épousant une forme demi-torique. Cette même moulure se retrouve placée dans les mêmes conditions dans la salle de l'Aquilon.

Le maladroit arrangement des voûtes, dont les ogives pénètrent étrangement dans les murs, s'explique par leur établissement dans le vide résultant de la suppression des gros doubleaux romans. A quel abbé faut-il attribuer les voûtes actuelles : est-ce à Roger II ou bien à Bernard du Bec ? Les textes, malheureusement, sont peu précis à leur endroit. Elles sont certainement un des plus anciens témoins de l'architecture gothique en Normandie.

 

Cuisine. — Le mur nord de cet ancien cloître est percé de deux portes : l'une donne accès dans une cuisine, aujourd'hui parfaitement méconnaissable à la suite des travaux faits au XIIIe et au XVIIe siècle, époque où dé grands arcs furent bandés afin de soutenir le sol de l'infirmerie. Près de la porte, on remarque un petit escalier qui descendait au cellier du XIe siècle. Cette cuisine communiquait à l'Ouest avec le réfectoire complètement écroulé aujourd'hui : il n'en reste plus que la porte d'entrée donnant dans le promenoir.

Le voisinage du réfectoire et de la cuisine avait nécessité dans le promenoir une disposition tout à fait spéciale de l'éclairage. Suivant le système employé dans le dortoir, les fenêtres avaient été placées très haut, afin de prendre jour au-dessus du chêneau. Le bâtiment voisin était couvert par un comble à deux versants, celui du Sud venait former une noue contre le promenoir. Les deux travées extrêmes de ce dernier, étant exemptes de construction latérale, eurent de plus grandes baies. Les dernières t'ouilles ont permis d'en retrouver deux accolées suivant le mode adopté au dortoir.

 

Passage fortifié. — La disposition la plus curieuse que l'archéologue puisse relever dans le promenoir, est celui d'un passage fortifié établi dans l'épaisseur du mur extérieur.

Cette étroite galerie de 0m,70 de largeur mettait en communication les différentes salles de l'abbaye romane. Eclairée par meurtrières, son exiguïté était telle et son tracé si compliqué, qu'un ennemi audacieux maître d'une partie du monastère devait fatalement être pris à revers ou bien s'égarer dans ce long boyau. Dans ce cas il y était pour ainsi dire emprisonné sitôt aventuré dans ses détours.

Cette ingénieuse défense ne subsiste plus qu'en partie. On en retrouve deux tronçons, l'un donnant dans la salle des chevaliers et adossé aux cuisines du me siècle ; l'autre partie débouche dans le promenoir, on peut suivre cette dernière pendant une vingtaine de mètres. Mais ce dispositif ingénieux n'allait pas sans de graves inconvénients de construction. Les murs ainsi affamés manquaient de la résistance suffisante pour s'opposer à la poussée des voûtes ; aussi, au XIIe siècle, on dut renforcer le mur extérieur au moyen d'un arc dont la fonction de raidissement a sauvé de la ruine cette construction chancelante.

Un mot des chapiteaux de ce promenoir. Le caractère de leur feuillage permet de leur assigner une date antérieure à la construction des voûtes actuelles, et le profil de leur tailloir surprendrait si l'on n'y découvrait une retaille postérieure.

La porte Ouest de cette antique salle donne accès au grand escalier : l'escalier Nord-Sud.

Deux états se manifestent ici, un premier remontant au XIe siècle et représenté par les emmarchements rétablis par la restauration, puis, une profonde modification faite au XIIe siècle par Robert de Torigny qui est en quelque sorte inscrite sur les murs latéraux.

C'est l'ancien escalier d'accès au monastère. En le descendant, on trouve d'abord, à droite, une porte. On pénètre alors dans de tristes pièces : les deux premières construites au XIe siècle. Les autres furent ajoutées par l'abbé Robert.

 

Officialité. — Ces salles, à l'aspect si froid et si austère, n'ont pas d'intérêt pour l'architecte ; en revanche, elles évoquent de nombreux souvenirs.

Établies au-dessus de l'entrée de l'abbaye XIe, elles comprenaient l'officialité et la procure, salles réservées à l'abbé. C'est dans ce logis dont l'aspect seul fait frissonner que l'abbé Robert de Torigny offrit l'hospitalité à Henri II d'Angleterre, duc de Normandie.

C'est cet endroit que Louis XI, venu au Mont, dans un sombre dessein, jugea propice pour l'installation d'une cage de fer. La pièce la plus voisine du grand escalier contenait cet instrument de supplice ; l'arc doubleau de la voûte porte encore le crochet qui maintenait suspendue cette cage oscillant sous chaque mouvement des malheureux qu'on lui confiait.

La porte donnant sur l'escalier Nord-Sud avait été bouchée et le seul accès de cette salle était l'étroit couloir conduisant à l'infirmerie construite par Robert de Torigny et aujourd'hui écroulée.

En reprenant le grand escalier, on trouve, à gauche, deux portes : la première permet d'entrer dans la chapelle de Notre-Dame-sous-Terre, ancienne église carolingienne modifiée aux XIe et XIIe siècles ; la seconde, dans un étrange passage coudé dont la destination primitive est mal établie. Ici, au XIIe siècle, était une citerne ; on puisait l'eau par un conduit visible encore dans la voûte. La margelle de ce puits était située dans l'église même, tout contre le bas côté Sud. Les deux extrémités du passage avaient été bouchées lors de cette affectation de ce couloir en citerne.

D'ailleurs, Robert de Torigny avait également condamné la grande porte d'entrée de la chapelle de Notre-Dame-sous-Terre. Il avait, dans cette grande galerie Nord-Sud, installé un plancher a un niveau, figuré actuellement par un trait blanc peint sur les murs. Une simple trémie avait été ménagée pour permettre aux personnes venant de l'extérieur, de monter à l'officialité. Le plancher placé à mi-hauteur facilitait aux moines la communication entre leur promenoir au Nord et l'infirmerie au Midi.

En laissant à droite la porte d'entrée du monastère dont l'ébrasement est renforcé par d'épaisses maçonneries ayant pour but d'augmenter la force des murs pour leur permettre de supporter le poids de la tour Sud, nous trouvons à gauche un grand escalier : c'est celui dont les religieux empruntaient au x° siècle les emmarchements pour gagner leurs bâtiments conventuels. Les murs seuls sont les témoins de cette ancienne disposition et encore furent-ils remaniés aux XIe et XIIe siècles.

Cet escalier donne accès dans le bas côté Sud de l'église. Au XIe siècle, les marches étaient plus hautes et moins profondes ; une série de paliers permettait de séjourner au niveau des meurtrières jumelles. Le degré actuel est la reproduction de celui du XIIe siècle et l'on peut remarquer que le nez de certaines marches dépasse le niveau de l'appui des meurtrières défigurées au XIIe siècle.

La construction par Robert de Torigny de la chapelle voisine avait ôté à cet escalier tout caractère défensif, aussi les meurtrières furent-elles transformées en fenêtres. La première, en bas, servit de porte pour pénétrer dans la chapelle Saint-Étienne ; une autre, la dernière, en haut de l'escalier, permettait de monter à un ossuaire aménagé par cet abbé.

 

Chapelle Saint-Étienne. — La petite chapelle Saint-Étienne fut l'objet d'importantes transformations lorsqu'au XIIIe siècle, Raoul de Villedieu jugea bon de lui donner sa gracieuse voûte d'ogives. Au XIe siècle, le seul mur extérieur de l'escalier fortifié s'élevait en cet endroit, flanquant une entrée de l'abbaye que nous retrouverons dans le vestibule sous la chapelle Saint-Étienne.

Dès le XIIe siècle, Robert de Torigny avait fait construire cette chapelle. Sur une haute voûte en berceau, il avait fait établir un sol, plus haut de 1m,10 que le sol actuel, et il avait couvert cet espace d'un comble à deux pentes : l'une reposait sur le mur extérieur. Pour recevoir la charpente et le chêneau de l'autre versant, contre l'escalier fortifié du XIe siècle, il fit établir trois grands arcs en segment de cercle venant reposer sur deux piles appliquées contre le mur ancien. Au-dessus, une moulure saillante en forme de gorge recevait la sablière ; et le départ du berceau lambrissé formant le plafond de cette chapelle.

Les maçonneries collées contre le mur de l'escalier existent de nos jours ; elles ménagent l'ouverture des anciennes meurtrières dont la seule fonction depuis le XIIe siècle consiste à éclairer l'escalier.

Au début du XIIIe siècle, la chapelle Saint-Étienne reçut une décoration peinte[5] dont il subsiste des fragments dans l'arcade centrale et dans le passage donnant à l'Ouest accès à l'infirmerie.

Vers 1228, Raoul de Villedieu, en supprimant la charpente et en la remplaçant par des voûtes sur croisée d'ogives, respecta les peintures. Pour recevoir la retombée des nervures, il fit disposer des petits culs-de-lampe, celui du milieu tombait mal sous l'arcature centrale, aussi réunit-il les deux piles voisines par un arc dont la clef reçoit les fines moulures de la voûte. En même temps, il fit baisser le sol aux dépens de la salle inférieure qui, manquant de ce fait de hauteur, perdit sa destination.

 

Ossuaire. — La porte du fond vers l'Est nous fait passer de cette chapelle réservée aux infirmes dans le cimetière. Ici l'œuvre destructrice des siècles et des générations a si bien agi qu'il est à peu près impossible d'y retrouver les dispositions primitives. C'est un quadrilatère divisé en quatre nefs par un quillage de piliers. Dans la travée, aujourd'hui encombrée par la grande roue du poulain ayant servi à hisser les provisions de l'administration pénitentiaire, les dernières fouilles ont montré l'existence d'un escalier montant d'un vestibule situé sous la chapelle Saint-Étienne et accédant au niveau du sol actuel ; de là, l'escalier faisant plusieurs révolutions, rejoignait le palier du degré fortifié montant à l'église abbatiale. Mais les voûtes étaient autres, les voûtes rampantes, datent du XVe siècle, Guillaume de Lamps les fit construire pour supporter le grand degré abbatial. Au XIIe siècle, quatre grands berceaux semblables à celui subsistant dans la nef la plus à l'Ouest, couvraient tout cet espace. De grandes fenêtres en plein cintre au profond ébrasement éclairaient cette salle, une dans chaque nef, et trois dans le mur occidental : on peut encor voir en partie deux de celles-ci, elles furent bouchées au XIIe par Robert de Torigny lorsqu'il divisa la hauteur de la dernière nef à l'Ouest pour établir un ossuaire.

Une porte donnait accès à l'Est, sur une terrasse servant de cimetière pour les moines. De ce cimetière il ne reste rien, les travaux de Guillaume de Lamps en ayant fait disparaître les derniers vestiges.

Si de la chapelle Saint-Étienne on descend par le petit escalier, dans la salle voûtée située immédiatement au-dessous, on pénètre dans l'ancien vestibule où les pèlerins se formaient en procession pour gravir les emmarchements aboutissant à l'église haute. Ce vestibule, nous l'avons vu plus haut, eut sa voûte baissée au XIIIe siècle, si bien que l'escalier dont le départ était à l'Est, devint impraticable, aussi le boucha-t-on.

 

Hôtellerie. — A l'Ouest, une porte permet de descendre un escalier jusqu'à la plate-forme où se trouvait l'hôtellerie qui s'est écroulée en 1817. Seules, les ruines peuvent nous donner une vague idée de l'ampleur de cette salle réservée aux hôtes. Un jambage à l'Est, nous permet de reconstituer par la pensée les grandes haies chargées d'éclairer cette vaste pièce, et l'arrangement de la voûte en berceau brisé, aperçu dans un angle, nous fait comprendre la disposition vicieuse adoptée par le constructeur du mie siècle, et nous ne nous étonnons plus de la ruine de son œuvre. Une porte permet de descendre dans le sous-sol de cette hôtellerie : là était établi le poulain ; les provisions étaient hissées sur un plan incliné au moyen d'un treuil formé par une grande roue se manœuvrant d'une façon analogue à celle établie par l'administration pénitentiaire sous le Saut-Gautier. Du plan incliné XIIe il ne reste rien.

Une seconde porte, à l'extrémité Ouest de la plate-forme, conduit à un escalier à vis dont les marches ont disparu : il permettait de gagner l'entrée de l'abbaye. Plus loin, un vidoir servait à rejeter les déchets des repas servis aux étrangers.

Il faudrait remonter par l'escalier à vis pour rejoindre l'entrée abbatiale ; vu son état nous emprunterons un passage récent situé au milieu de la plate-forme.

 

Entrée de l'abbaye. — A gauche, une fois sorti de ce passage, on se trouve dans une sorte d'avant-salle sur laquelle s'ouvrent des cachots : ceux de l'Ouest, appelés les deux jumeaux, furent installés lors des agrandissements faits par Robert de Torigny. On ne pénétrait dans ces cachots, sombres in-pace, que par des ouvertures carrées, sortes de trappes situées dans le sol de la pièce au-dessus où logeait le portier. Le passage actuel ne remonte qu'à l'époque où l'administration pénitentiaire installa dans cet endroit humide des cellules de punition. Vis-à-vis de ces cachots on en montre un autre, établi à la même époque, où Barbès fut enfermé. Un grand escalier part du sol des cachots et aboutit à une porte en tiers-point : c'est l'entrée même de l'abbaye au XIIe siècle.

Mais au XIe siècle les bâtiments ne s'étendaient pas au delà du mur où se trouve aujourd'hui percée la porte des deux jumeaux. A cette époque, la vue pouvait, de cette entrée, s'étendre tout à l'entour et embrasser un horizon immense.

Si la porte de l'abbaye était placée à cet endroit, l'entrée proprement dite se trouvait plus en avant. De la galerie ; dite des cachots, en tournant à gauche, on suit un large couloir aboutissant à une porte aujourd'hui couverte par un linteau, autrefois par un arc plein cintre, car on en voit nettement la trace dans la maçonnerie. C'est en cet endroit qu'était placée la première porte du monastère montois. Elle devait avoir grand air : le grand arc à droite était à cette époque complètement à jour : la maçonnerie de remplissage du fond ne remonte qu'au XVe siècle.

 

Aumônerie (Aquilon). — A gauche le pèlerin trouvait l'aumônerie, connue de nos jours sous le nom de salle de l'Aquilon, où il pouvait se reposer et au besoin coucher. Construite vers la fin du XIe siècle cette salle aujourd'hui rectangulaire, avait primitivement la forme d'un L. Les voûtes d'arêtes sont soutenues par d'épais doubleaux brisés, mais, chose curieuse, la voûte plus souple que ses soutiens n'a pas éprouvée de tassements, alors que le poids même des arcs les a décollés de la voûte. Les chapiteaux des lourdes colonnes ont un galbe très robuste et leur profil est très mâle. Seule la colonne engagée est plus fine et plus svelte.

Dans l'angle Nord-Est, on remarque une trompe, elle supporte le passage fortifié dont nous avons parlé plus haut et qui aboutissait à une porte débouchant dans la partie de l'Aquilon aujourd'hui ruinée.

Ainsi, autour de la chapelle carolingienne, des constructions romanes étaient venues se grouper et le monastère présentait à la fin du XIIe siècle un plan complet :

Près de l'entrée, l'aumônerie (salle de l'Aquilon) servant de refuge aux pèlerins indigents. Puis au-dessus, suivant la coutume, l'officialité et le logement de l'abbé ; l'hôtellerie ou salle des hôtes. Ensuite les bâtiments conventuels : cloître, réfectoire, cuisine, dortoir et quelques salles détruites par l'incendie de 1203, contenant sans doute le scriptorium et la salle capitulaire.

Enfin, couronnant le rocher, la basilique d'Hildebert dans toute son audacieuse grandeur.

 

III. - L'ABBAYE GOTHIQUE.

L'incendie allumé en 1203 par les bretons de Guy de Thouars fut le point de départ des constructions gigantesques dont nous nous étonnons encore. L'ampleur avec laquelle on entreprit de rebâtir les bâtiments sinistrés, devait amener la reconstruction totale de l'abbaye pour mettre les anciens logements en harmonie avec les salles immenses de la Merveille.

Nous laisserons pour le moment l'étude de la barbacane du châtelet pour la traiter ensuite avec celle des remparts.

 

Châtelet. — L'entrée actuelle de l'abbaye est protégée par un magnifique châtelet, jolie conception terminée en 1393. Deux tourelles semblables aux bombardes en usage à cette époque se dressant sur leur culasse flanquent une porte fermée par une herse. Les assises alternées de granit gris et rose donnent à cette construction un aspect précieux et original. Un crénelage aux merlons très bas couronne cet ensemble à la fois imposant et gracieux. Trois mâchicoulis sont disposés entre les deux tours, prêts à déverser sur l'assaillant une pluie mortelle. Farouche est l'aspect de l'escalier à la pente rapide qui permet de monter jusqu'à la porte d'entrée du monastère, couvert d'une voûte rampante en berceau surbaissé, il mérite bien son nom de gouffre. La lumière y pénètre par une seule ouverture ménagée très haut vers le ciel entre le châtelet et le bâtiment de belle-chaise ou de l'officialité. Par cette ouverture les défenseurs pouvaient laisser choir des projectiles pesants pour écraser quiconque eût essayé d'enfoncer la porte de l'abbaye.

A gauche, une petite excavation est réservée dans l'épaisseur du mur pour abriter un guetteur.

 

Belle-Chaise (officialité). — Le recul manque pour examiner la façade et la porte du bâtiment de l'officialité, élevé en 1257 par l'abbé Richard Turstin. La construction du châtelet le masque complètement de ce côté. La porte aux gracieuses proportions avec ses trois archivoltes retombant sur des colonnes était bien digne du monastère qu'elle fermait.

Large, elle se termine en haut par un arc surbaissé offrant un angle arrondi caractéristique ici des ouvertures du XIIIe siècle. Au-dessus, le tympan est orné de trois niches : la statue de saint Benoît était autrefois placée dans celle du milieu.

Passé cette porte on se trouve dans une grande salle dont le premier aspect déroute : c'est la salle des gardes. Son sol suit la déclivité du rocher, elle est de ce fait coupée en deux. Au XIIIe siècle, l'abbé Richard Turstin l'avait fait construire sur un plan rectangulaire, mais le XVe siècle en élevant le nouveau chevet de l'église empiéta sur sa superficie : en établissant un soubassement de forme triangulaire, il défigura  en partie cette intéressante salle.

Du côté de l'Est une grande baie surmontée d'un oculus répand la lumière ; tout près dans le mur Sud, une cheminée au profil nerveux fut installée à la fin du XIVe siècle, plus loin une petite porte donne accès à un escalier montant au greffe, puis un arc bandé franchit un large passage : c'est l'escalier abbatial.

En face deux ouvertures donnent accès dans la cour de la Merveille, l'une est étroite tandis que la seconde, plus large, est close par une porte à deux vantaux. La voûte ou plutôt les voûtes de cette salle doivent attirer l'attention : profitant de la différence de niveau entre les deux parties de la pièce, le constructeur la divisa par un large et puissant arc doubleau. Dans la partie Ouest, la plus élevée, le sol de la salle supérieure repose directement sur la voûte, tandis que clans l'autre partie une petite pièce qui forme entresol était réservée au greffe, on y accédait au moyen de l'escalier dont nous avons vu la porte près de la cheminée. Après avoir traversé le greffe, le plaideur pouvait par un autre escalier ménagé dans l'épaisseur du mur opposé, monter jusqu'à l'officialité.

Le nom de Belle-chaise qui lui fut donné et dont la dénomination s'étendit par la suite à tout le bâtiment venait de l'admiration professée par les vassaux pour le siège superbe où l'abbé prenait place pour rendre la justice.

Cette magnifique salle aujourd'hui si délabrée fut singulièrement réduite à la suite de la construction du chœur en 1450. Les contreforts aux socles moulurés sont là 'pour montrer les projets de l'architecte du XVe siècle, et son intention bien arrêtée de démolir tout le beau vaisseau. Bien éclairée par de grandes fenêtres dont les ébrasements sont occupés par des bancs, cette belle salle était couverte par une charpente lambrissée. Un pignon était disposé fort ingénieusement portant sur les arcs formant encorbellement qui encadrent si bien les petites fenêtres de la face Sud. Une décoration peinte sur un enduit de chaux achevait de faire de l'officialité une pièce large, spacieuse et riche.

En revenant à la salle des gardes, on peut jeter un coup d'œil dans le corps de garde installé au XVe siècle par Pierre Le Roy sous la tour Perrine.

Mais devant le pèlerin, le grand escalier abbatial offrait sa perspective si profondément impressionnante. En le gravissant et laissant à gauche les bâtiments abbatiaux l'œil peut se promener à loisir sur le magnifique chevet et admirer le dispositif si brillant des chapelles rayonnantes. Un pont fortifié du XVe siècle franchit le grand degré, reliant les bâtiments de l'abbé à l'église basse. Son crénelage a disparu, mais la trace en est très nettement inscrite contre le mur de l'église. Des mâchicoulis portés sur des corbeaux gracieusement profilés et reliés par des arcs trilobés, complétaient la défense, barrant ainsi la route aux audacieux, maîtres de la salle des gardes.

L'escalier interrompu par de longs paliers monte toujours, côtoyant le croisillon sud ou plutôt la chapelle Saint-Martin, puis une jolie citerne construite au début du XVIe siècle. Elle est surmontée d'une série d'arcatures tréflées du plus gracieux effet, reposant sur un socle renforcé par d'élégants contreforts.

Le Saint-Gautier est une terrasse qui s'étend devant le portail de l'église. Son aspect actuel est celui du XVIe siècle, le bâtiment de l'aumônier en moins. De là, l'œil embrasse les côtes de la Bretagne et de Normandie : l'emplacement était admirablement choisi et favorable aux longues rêveries ; aussi, l'abbé Guillaume de Lamps le couvrit-il en partie d'une galerie à jour lui permettant de passer à couvert de ses appartements à l'église ; il ne subsiste plus rien de cette conception, à peine, peut-on sur le garde-corps du Saint-Gautier relever les traces des piliers démolis. En se retournant, l'église romane apparaît ; on peut voir un portail du mite siècle, dont le tympan a perdu sa sculpture. La balustrade qui règne au bas des combles est encore une œuvre du mite siècle : à cette époque, on remania tous les chéneaux et l'on établit au bas des toitures un passage protégé par ce riche garde-corps.

 

Chœur de l'Église. Le chœur de l'église est une des œuvres les plus parfaites du XVe siècle. Elle joint à une science profonde de la construction une élégance incomparable ; la finesse de la mouluration n'y est surpassée que par une exécution d'une sûreté prodigieuse.

La rudesse du granit a bien servi les artistes auteurs de cette conception remarquable, reculant devant la richesse que leur eut procuré la sculpture difficile à exécuter dans une matière aussi dure, et se contentant de quelques timides bandeaux, ils ont cherché leur effet dans l'harmonie des lignes. Les remplages des fenêtres ont un tracé très pur. Quelques détails exquis sont disséminés ça et là : dans le chœur même, c'est une crédence accolée à un pilier du rond-point, ailleurs ce sont deux petites niches placées dans des chapelles. Au XVIe siècle, une clôture en pierre blanche de Caen fermait le chœur. Un dessin conservé au cabinet des estampes et les trois fragments de sculpture placés sous les chapelles absidales nous donnent une idée assez précise de cette décoration assez pauvre ; car, si les rinceaux sont élégants, les bas-reliefs sont d'une médiocre facture.

Le triforium demande une attention toute spéciale, sa conception est originale et fort curieuse. Si la claire-voie intérieure est intéressante par ses proportions et son tracé, l'ingénieuse disposition adoptée par l'architecte pour passer d'une travée à l'autre est tout à fait remarquable : ici, au lieu de traverser la pile de l'église et de l'affaiblir comme le moyen âge a fait partout ailleurs où il a établi une galerie ininterrompue, le constructeur a imaginé de faire contourner extérieurement ce point résistant afin de lui laisser toute sa force ; il a profité du tas de charge formé par les reins des voûtes du déambulatoire pour porter le mur extérieur du triforium. Au-dessus une petite frise de coquilles donne une note de sculpture, puis les fenêtres hautes s'élèvent veuves de leurs vitraux. Les éléments de leurs remplages se lient avec le triforium et l'ensemble produit un séduisant effet de lumière.

Vu des terrasses couvrant les chapelles, le chœur est superbe, et la clôture du triforium par son tracé sinueux produit des effets d'ombre et de lumière très saisissants. Les arcs-boutants, très robustes quoique légers reposent sur des contreforts ajourés. La disposition des arcs-boutants dans les deux premières travées montre l'idée arrêtée sous la volonté du maître de l'œuvre, de reconstruire toute la basilique dans le même style. Un arc-boutant est adroitement utilisé, il supporte un escalier permettant d'accéder au comble du chœur. Son garde-corps ajouré lui a fait donner le surnom d'escalier de dentelle : elle règne partout en haut des murs goutterots, cette dentelle, riche d'aspect, un peu haute peut-être.

En descendant dans l'église, l'attention est attirée par deux petites portes de la Renaissance situées vis-à-vis l'une de l'autre, dans la première travée du déambulatoire. On y voit de charmants détails : elles s'ouvraient dans des sacristies. La porte du bas côté nord de la nef donne accès à un passage du XIIe siècle singulièrement remanié au XIe. Le cloître s'ouvre à l'extrémité de la plate-forme actuelle.

 

Cloître. — Ce cloître bâti entre 1225 et 1228 remplace l'ancien promenoir des moines. Entre ces deux lieux de repos et de récréation l'antithèse est complète. Autant le promenoir était triste et froid, autant le cloître était gai et ensoleillé.

Chef-d'œuvre de finesse et de légèreté, il étonne par son charme même, et c'est une vraie surprise de trouver sur ce rude rocher une œuvre d'apparence si légère et si fragile.

Pourtant, elle est savante la structure du cloître, si sa légèreté est réelle, sa fragilité n'est qu'apparente. La disposition en quinconce des arcades, d'aspect si pittoresque, n'est en réalité qu'un artifice de construction pour assurer au mur une grande résistance au renversement. La légèreté était de commande, car cette galerie pèse sur les voûtes de la salle des chevaliers. La sculpture, d'une variété extrême, y conserve son caractère normand, tandis que l'influence anglaise se décèle dans les chapiteaux en granit tourné. Çà et là quelques traces de couleurs montrent qu'autrefois des peintures aux tons vifs rehaussaient les lignes d'architecture.

Dans la galerie Ouest : une porte entre deux ouvertures donne dans le vide : c'est la porte qui devait permettre l'accès de la salle capitulaire commencée par l'abbé Richard Turstin, mais cette salle ne fut jamais exécutée, les soubassements seuls furent construits, encore ont-ils complètement disparu ; puis, c'est l'entrée du chartrier, petite construction accolée après coup. De petites baies très étroites donnent une vue sur le Nord, les moines, peu-soucieux de recevoir l'air glacé, avaient eu soin d'éviter les grandes ouvertures de ce côté.

La galerie Est, conduit, à gauche, ail réfectoire où nous reviendrons tout à l'heure ; puis, une porte s'ouvre sur les cuisines.

Enfin, devant soi, une disposition fixe l'attention : c'est le lavatorium. Ici, l'on renouvelait chaque jeudi la cérémonie du lavement des pieds.

Entre les contreforts du transept de l'église, on a établi des bancs sur deux rangs superposés ; des arcades supportant le chemin de ronde qui domine le cloître, encadrent ce lavatorium ; un écoulement a été réservé pour vider l'eau ayant servi à la cérémonie.

La balustrade dont une partie a été nouvellement rétablie sur le faîtage sud du cloître, régnait partout, entourant de sa riche claire-voie les galeries de l'Ouest et du Nord. Ce n'était pas là un simple ornement, des indices relevés contre les contreforts du transept montrent que l'on se trouve en présence d'un dispositif tendant à faciliter une défense suprême.

La porte du réfectoire s'ouvre en face d'un tympan sculpté figurant un Christ en croix, mutilé à la Révolution.

 

Réfectoire. — Une surprise attend le visiteur à son entrée dans ce joli vaisseau ; il y règne une lumière diffuse et très douce, la salle entière est baignée clans une atmosphère lumineuse très agréable, et cependant l'œil ne perçoit d'autre fenêtre que deux baies percées clans le pignon oriental. En pénétrant plus avant, le phénomène s'explique. Ici encore, le problème imposé à l'architecte par la situation exceptionnelle de la salle a reçu une solution aussi ingénieuse qu'élégante. Ayant à porter une charpente dont la charge devait reposer uniformément sur les murs goutterots, l'architecte recula devant les conséquences qu'eut entraîné la construction de grandes verrières dont il eut fallu maintenir la poussée par des contreforts puissants, peu faciles à élever à pareille hauteur. Il s'arrêta au parti de bâtir des murs épais et résistants, puis il les perça d'étroites fenêtres, sortes de meurtrières également espacées ; à l'extérieur, il établit au-dessus de chaque baie une série d'encorbellements évitant ainsi toute poussée possible ; le mur conservait de la sorte toute la force d'un mur plein.

Mais avec quelle rare élégance il sut réaliser sa conception ! Les étroites fenêtres s'ouvrent dans de profonds ébrasements dont l'angle aigu se termine par une colonnette recevant la retombée d'un arc. La salle se trouve ainsi bordée d'une série d'arcatures, d'un effet extrêmement riche. Avec quelle souplesse le programme est suivi ! Voulant établir une chaire de lecteur, il ménagea au midi une excavation, prenant la largeur de deux baies, et très simplement cet habile artiste sut tirer un parti décoratif de cette obligation.

 

Cuisines. — Une porte percée dans le mur sud, permet d'entrer dans les anciennes cuisines : nous avons vu comment, à la suite des modifications opérées par les moines de Saint-Maur, cette pièce, fut transformée en chauffoir ; la restauration de M. Victor Petitgrand ne put rétablir les dispositions du XIIIe siècle. A présent il ne reste plus rien permettant de faire comprendre la destination primitive de cette construction. Cependant, un tambour placé dans l'angle nord-ouest surprend ; à l'examen, on s'aperçoit que le puits vertical aboutissant actuellement dans le réfectoire avait son issue de ce côté. Dans les murs, on peut remarquer deux trous ayant certainement servi à placer une pièce de bois horizontalement ; on se trouve en présence d'un intéressant monte-charge. Partant du sol de la salle basse de la Merveille, cette cheminée de trente mètres de haut permettait de hisser les provisions au moyen d'une poulie fixée sur la pièce de bois horizontale encastrée dans les murs à deux mètres du sol : ainsi, cette cuisine peu accessible, s'approvisionnait assez facilement.

Une porte donne une issue sur le cloître. On pouvait, par ce passage, y transporter, l'hiver, l'eau chaude devant servir à la cérémonie du lavement des pieds.

 

Porche de la Merveille. — Un escalier part de ces vestiges des anciennes cuisines et descend au niveau du sol d'un porche du XIIIe siècle. Les modifications profondes nécessitées par la construction de cet escalier ont ôté au porche de la Merveille tout son caractère. Avant les travaux des moines de Saint-Maur, ces quatre arcades en tiers-point s'ouvraient librement, laissant la lumière pénétrer ici tout à l'aise. Un degré descend à la salle des hôtes. Les voûtes d'arêtes surprendraient si l'on oubliait la charge que le constructeur voulait leur faire porter : les cuisines avec leur mobilier, offraient un poids jugé sans doute trop considérable pour le laisser poser sur des voûtes d'ogives. Les voûtes romanes plus massives semblèrent sans doute plus aptes à supporter un poids important.

Des peintures brillantes devaient orner les voûtes et les murs, donnant à cette construction réservée aux étrangers un aspect de richesse.

Ce porche était fort bien placé, et les visiteurs venant de la salle des gardes arrivaient directement sous ses arcades après avoir monté l'escalier accolé à la citerne de l'abside. .

Installée en 1417, cette citerne témoigne de l'esprit inventif des hommes du moyen âge. C'est un vaste réservoir de huit mètres de profondeur, moitié creusé à même le rocher, moitié établi en maçonnerie et combinée de manière à servir de filtre.

Le chevet gothique domine cette construction, et même la pile d'un contrefort porte à faux sur une série d'encorbellements dégageant la citerne. On se trouve ici au niveau de l'église basse on l'on pénètre par une porte située vis-à-vis du porche de le Merveille.

 

Église basse (crypte des gros piliers). — L'architecture du moyen âge n'a rien produit de plus puissant, n'a jamais exécuté une œuvre plus parfaite : c'est l'expression admirable d'un art sûr de lui, arrivé à son apogée. Elle lui sied à merveille cette dénomination de crypte des gros piliers qui lui a été donnée par la voix populaire. Un quillage d'énormes fûts supporte la voûte même de la crypte, puis, les piliers du chœur et se termine au-dessus du chêneau du comble par de fins pinacles. La mouluration des nervures est savante et les formes molles des piliers se marient admirablement aux angles vifs et aux gorges des arcs ; les effets de lumière sont saisissants et l'ensemble produit une impression de force et de grâce profondément émouvante.

Commencée en 1446, elle était achevée en 1446. Le granit des Iles Chausey fut seul employé pour le gros œuvre et l'on reste confondu en songeant à la prodigieuse activité des constructeurs de cette crypte.

Le plan est le même que celui du chœur de l'église haute, toutefois, les deux premières chapelles du Sud sont remplacées par une citerne, tandis qu'au Nord, l'emplacement correspondant est occupé par une citerne moitié plus petite et par l'entrée de la crypte. Partout ailleurs, ce sont des chapelles rayonnantes, exactement semblables à celles qu'elles supportent. La chapelle située dans le prolongement de l'axe du chœur est également plus profonde d'une travée.

Une porte, percée dans le mur de soutènement à l'Est, dans le déambulatoire méridional, permet d'utiliser l'ancien passage du XIe siècle, et de gagner la chapelle Saint-Martin (crypte sous le transept sud). Dans la première chapelle du même côté, s'ouvre une porte sur un escalier à vis, montant l'église haute et même le comble du chœur en empruntant dans le haut l'escalier de dentelle.

Deux baies où sont disposés des bancs encadrent une autre porte donnant accès sur le petit pont fortifié du XVe siècle, permettant en franchissant le grand escalier de rejoindre les bâtiments abbatiaux. La chapelle contiguë communique avec la salle de l'officialité. Au nord, les fenêtres sont rares et un jour plus blafard éclaire la crypte. Au milieu du rond-point, on remarque deux colonnes jumelles qui semblent grêles à côté des gros piliers voisins ; elles supportent simplement le sol du chœur de l'église ; ainsi s'explique leur faible diamètre.

 

Salle des hôtes. — Après avoir traversé à nouveau le porche de la Merveille, on entre dans la salle des hôtes, vaisseau à deux nefs, d'une rare élégance : ici, l'abbé recevait magnifiquement les étrangers de distinction, et leur offrait un repas. Nulle salle à manger est plus gracieuse.

A gauche, deux cheminées aux manteaux immenses occupent toute la largeur de la salle ; là, on faisait griller les belles pièces de venaison, nobles et grands seigneurs pouvaient en surveiller la cuisson. Des tapisseries, suspendues à une poutre formant soffite, séparaient en deux la grande salle de festin ; la partie proche de ces cheminées colossales : une travée et demie, servait de cuisine, tout le reste était affecté à la salle à manger.

Les proportions de ce double vaisseau sont des plus heureuses, la mouluration très fine. Sur d'élégantes colonnes, des chapiteaux élancés où la flore est spirituellement interprétée, reçoivent la retombée des doubleaux et des arêtiers, tandis que contre les murs, des piles saillantes sont cantonnées de colonnettes en nombre égal à celui des nervures de la voûte.

Les remplissages de celles-ci sont en lamelle de schiste comme, d'ailleurs ceux de toutes les voûtes du Mont-Saint-Michel. Dans chaque travée, une grande baie donne une belle lumière, autrefois tamisée par des vitraux, dans la partie supérieure. Une fenêtre au Nord ne descend pas jusqu'au sol ; des latrines, adroitement dissimulées occupent à cet endroit la partie basse du mur extérieur.

Sur le mur opposé on remarque la trace d'un manteau de cheminée : celle-ci n'avait d'autre destination que de chauffer la salle.

A côté, une porte invitait les étrangers à pénétrer dans une jolie chapelle dédiée à sainte Madeleine ; on y disait les prières avant le repas. Sa voûte est légère et de même style que celle de la salle des hôtes. Le remplage de la grande baie orientale est du plus pur XIIIe. Ici, nulle sculpture, la décoration trouvait son expression dans des peintures murales.

Si dans l'aspect lamentable où nous la voyons aujourd'hui, la salle des hôtes nous apparaît encore comme un chef-d'œuvre d'élégance, quel effet devait-elle produire au mite siècle, lorsque les fenêtres étaient garnies de leurs vitraux, les murs, de lambris et de fresques, le sol recouvert d'un carrelage de terre cuite émaillée ?

On a retrouvé des fragments importants de ce brillant tapis ; ce sont des carreaux de 0m,10 de côté divisés en quatre parties où s'alternaient des fleurs de lys et des tours de Castille : le dessin en ocre jaune se détache sur un fond noir ou d'ocre rouge suivant les carreaux[6].

Certes, la richesse d'une pareille salle devait être extrême ; grandes et magnifiques, devaient être les réceptions qui s'y déroulaient. Mais elle est isolée, et sans communication directe avec les lieux réguliers : elle était exclusivement réservée aux étrangers et indépendante du monastère proprement dit. Nous allons suivre une galerie traversant la salle des Chevaliers, mais ce passage était dissimulé derrière des tapisseries, il aboutit à un palier d'où un escalier conduit directement à la porte du XIIe siècle ouverte dans le bas côté Nord de l'église.

Vis-à-vis du promenoir dont on admire la perspective, une petite salle du =le siècle, appelle l'attention. Cet endroit sert de vestibule à la chapelle des trente cierges — crypte du XIe siècle située sous le croisillon nord — ; deux arcs forment le fond de la salle, l'un, plein cintre, date du XIIe siècle, l'autre, rampant, fut exécuté au XIIIe siècle, avec les claveaux d'un arc plein cintre, situé auparavant à cet endroit et en tout point semblable à celui subsistant encore à côté. On se trouve là en présence d'un pont permettant. au mie siècle de passer de la porte de l'église clans les bâtiments de Roger II. où étaient placés le scriptorium et la salle capitulaire. La transformation de l'arc plein cintre en arc rampant eut pour but d'élargir un passage afin d'accéder plus facilement à la chapelle des trente cierges, chapelle qui jouait clans la vie monacale un rôle très important.

Le vestibule actuel est connu sous le nom de cachot du diable, ce surnom vient de l'effet de coloration produit dans cette petite pièce par la réfraction des tuiles rouges du cloître. Une colonne centrale reçoit la retombée des voûtes et l'on est surpris d'un tel souci de l'art dans un endroit aussi négligeable.

 

Salle des Chevaliers. — Mais rien ne doit étonner des artistes qui ont conçu la salle des Chevaliers. Cet espace d'une superficie considérable, est couvert par des voûtes retombant sur un quillage de colonnes. Rien ici ne rappelle la grâce et la légèreté si admirable de la salle des hôtes : des proportions plus lourdes, des moulures plus larges, des colonnes plus épaisses. L'architecte est un praticien consommé, ce n'est pas l'artiste fin et délicat qui a conçu la salle voisine. Ici, l'école normande s'accuse davantage. La salle d'ailleurs, par sa destination, se prêtait moins à la recherche d'un luxe fastueux. Les religieux y travaillaient, c'est dans cette salle qu'ils étudiaient les Pères de l'Église et les auteurs profanes : aussi, toutes les commodités furent-elles réunies en cet endroit.

Deux grandes cheminées permettaient aux moines de venir réchauffer leurs membres engourdis ; des latrines disposées avec une habileté extrême entre les contreforts extérieurs, donnaient tout le confortable nécessaire au séjour prolongé qu'on devait faire dans cette pièce. Les copistes pouvaient y travailler à l'aise, éclairés par la grande verrière de l'Ouest et par les nombreuses baies du Nord. Cette salle était en réalité le chauffoir.

La souplesse de la voûte gothique permettait seule de couvrir un plan aussi irrégulier ; maints arrangements sont très adroits : la retombée des nervures de la voûte sur le manteau des cheminées est particulièrement gracieuse.

Il n'est pas sans intérêt de constater à cette époque le maintien du couloir fortifié du XIe siècle subsistant encore à l'Ouest, il avait conservé son utilité au point de vue défensif ; en outre, il conduisait à d'anciennes latrines à nouveau utilisées.

Une porte dans le mur oriental permettait aux religieux d'accéder directement à l'étage inférieur du chartrier, simple salle carrée voûtée et reliée par un escalier à vis à la salle supérieure. Cet escalier, établi antérieurement à la construction du chartrier lui-même, conserve ses dispositions primitives, et se termine en pyramide tronquée.

Ainsi, le chauffoir : salle des chevaliers était en communication immédiate avec le précieux dépôt des archives de l'abbaye.

 

Cellier. — Un escalier à vis partant de la salle des Chevaliers descend jusqu'au sol du cellier, long rectangle de largeur moindre que la salle supérieure, et divisé en trois nefs d'inégale largeur. Sans admettre un changement de parti dans les projets primitifs du constructeur, on ne peut expliquer l'étrange disposition des piles soutenant les voûtes d'arêtes de cette salle.

Des contreforts intérieurs font de la nef septentrionale, un étroit passage dont la voûte est d'une acuité extrême, fort maladroitement disposée d'ailleurs pour résister aux effets de la poussée oblique de la grande voûte centrale.

Le projet primitif était conçu tout autrement : les murs extérieurs de remplissage, au lieu de se trouver à leur emplacement actuel, devaient être plus en arrière, au nu des piles contreforts, laissant celles-ci saillir extérieurement, puis une suite de colonnes dans son axe aurait divisé le cellier en deux nefs égales : le pilastre situé contre la porte de l'aumônerie est un témoin de ce projet abandonné. Les travaux étaient déjà très avancés lorsque le maitre de l'œuvre imagina le plan de la salle des chevaliers : pour porter les colonnes à l'emplacement où il désirait les mettre, il n'hésita pas à remanier le cellier et à lui donner son aspect actuel si inattendu.

De longues et étroites baies aujourd'hui mutilées éclairent cette salle, où la pénombre était une condition essentielle. Sous la fenêtre de la deuxième travée une porte est percée. Là, se trouvait le poulain permettant de hisser les provisions nécessaires à l'alimentation du monastère. Il communiquait avec un escalier fortifié qui, partant de la fontaine Saint-Aubert, aboutissait près des soubassements du chartrier. Plus loin, à l'emplacement d'une baie, des latrines avaient été ménagées entre deux contreforts. A l'Ouest une porte permet de descendre dans les jardins en terrasse, qui occupent la place des bâtiments du chapitre projeté.

 

L'Aumônerie. — L'aumônerie, quoique contiguë au cellier, communiquait avec ce dernier par une double porte formidablement barricadée. Sans doute, craignait-on une surprise analogue à celle qui a fait donner le nom de Montgommery aux deux salles basses de la Merveille. C'est une longue salle à deux nefs égales : des colonnes aux chapiteaux simplement moulurés aux tailloirs carrés, sans sculpture, portent une voûte d'arêtes romane. Contrairement au système adopté dans les autres salles au XIIIe siècle, ces bases reposent sur des dais carrés. Des fenêtres de 0m,70 de largeur, divisées dans leur hauteur par un meneau horizontal éclairent cette pièce ou les pèlerins recevaient quelque nourriture et un gîte provisoire. Dans l'ébrasement de deux fenêtres au Nord, des vidoirs sont réservés afin de rejeter les détritus résultant du genre d'occupation de la salle. L'angle Nord-Est contient un escalier dont la première marche est placée à un mètre au-dessus du sol de l'aumônerie : établi dans un but défensif, il monte jusqu'au chéneau du réfectoire du comble. Une ouverture percée dans l'angle sud-est permet d'accéder au monte-charge que nous avons vu déboucher dans la cuisine.

Il est curieux d'observer le principe admis par les architectes de la Merveille dans leur conception des voûtes. Au rez-de-chaussée, leur préférence s'attache aux voûtes d'arêtes romanes, tandis qu'au-dessus ils employèrent le système si ingénieux de la voûte sur croisée d'ogives.

L'admiration de tous devant l'œuvre colossale, constituée par les six grandes salles que nous venons de décrire lui a donné le surnom bien justifié de : la Merveille. C'est en effet une conception puissante et audacieuse ; vue des grèves, son aspect majestueux force l'admiration et pourtant rien n'y est disposé qui ne fasse partie intégrante de la construction, rien n'y est superfétation, placé là pour le simple plaisir de l'œil. Un court espace de 25 ans a suffi pour élever ce gigantesque amoncellement de pierre.

Un observateur attentif ne sera pas sans remarquer une unité dans le bâtiment Est de la Merveille qui n'existe pas dans la partie occidentale. Le changement de parti relevé plus haut dans la description du cellier apparaît ici écrit dans toute la construction. L'aumônerie, la salle des hôtes et le réfectoire furent exécutés suivant un plan préconçu et suivi jusqu'au bout sans aucun changement. L'étude extérieure du cellier, de la salle des Chevaliers et du cloître, montre au contraire une suite de tâtonnements d'un maître de l'œuvre s'efforçant de tirer le meilleur parti possible de la situation et de la déclivité du rocher.

En sortant de la salle de l'aumônerie on se trouve dans une cour fermée à l'Est par un mur percé de baies. C'est là un projet de Pierre Le Roy abandonné par ses successeurs. Les infirmeries eussent été fort bien placées en cet endroit, la guerre de Cent ans fit abandonner cette idée. Contre la Merveille. la tourelle d'un escalier octogonal se termine par un joli couronnement dû au même Pierre Le Roy, c'est la tour des corbins. Partant de la cour de la Merveille elle donne accès sur le haut du châtelet puis débouche dans le chéneau Sud du comble du réfectoire.

Mais les abbés du XIIIe siècle avaient abrogé à leur profit les règlements de saint Benoît qui les faisait cohabiter avec les religieux ; grands seigneurs, possesseurs pour l'abbaye de fiefs immenses dont ils s'attribuaient volontiers les revenus, ils voulurent avoir un logis digne de leur opulence, indépendant, bien distinct du monastère et leur assurant une parfaite liberté.

De la salle des-gardes où nous nous trouvons à nouveau, le grand degré monte longeant à gauche les bâtiments abbatiaux. Tout d'abord il nous conduit à la procure et à ses dépendances. La porte — la troisième dans l'escalier — s'ouvre à gauche, quelque marche permettent de descendre dans une grande salle coupée actuellement par des cloisons rendant l'étude très malaisée.

 

Procure et logis de l'abbé. — Nous sommes dans le rez-de-chaussée du bâtiment abbatial élevé vers 1260 par l'abbé Richard Turstin. C'est un quadrilatère voûté d'arêtes et formant deux nefs séparées par deux piliers octogones aux chapiteaux retaillés postérieurement. Contre les murs des colonnes engagées ou bien de larges culs-de-lampe sculptés reçoivent les reins des voûtes. Trois fenêtres aujourd'hui élargies et très défigurées, éclairent cette salle en prenant le jour dans le mur méridional ; les bancs de ces baies ont disparu.

Une cheminée, presque complètement démolie devait rendre habitable ce logis et de petites armoires permettaient au procureur d'abriter les parchemins dont il était dépositaire. Près de la cheminée est une charmante petite crédence trilobée. En face des latrines disposées dans l'épaisseur du mur achevaient de permettre de longs séjours dans cette salle ; belle si l'on rétablit par la pensée, le 'carrelage, les lambris et les peintures qui devaient orner les voûtes et le haut des murs. Ici le procureur discutait avec les vassaux et au besoin exécutait les arrêts rendus par l'abbé qui avait droit de haute, moyenne et basse justice. Ce rôle de geôlier lui était d'ailleurs aisé : dans la salle même, sous ses pieds, une trappe permettait de descendre dans un sous-sol transformé en prison ; un mur de refend limitait un étroit espace servant de cachot, fermé par une double porte. Des meurtrières donnaient le jour et l'air nécessaire à la vie du prisonnier.

Le bâtiment situé entre le logis abbatial et Belle chaise, construit au milieu siècle fut surélevé au XIVe. Les pièces d'habitation sont actuellement bien défigurées. L'administration pénitentiaire avait établi ici les cellules des détenus politiques. Ces sombres logements avaient reçu le surnom de petit exil, l'appellation de grand exil avait été réservée au bâtiment abbatial.

Le chéneau de ce bâtiment sur le versant Sud est très intéressant, on y trouve la marque du soin jaloux et de l'étude des moindres détails, expression du clair génie des architectes du moyen âge.

Un escalier commun permet de monter au sommet de la tour Perrine ; du chemin de ronde crénelé la vue est charmante : le bâtiment abbatial se silhouette magnifiquement, l'entrée de la ville, les grèves et la lointaine Bretagne forment un ensemble admirable que seule l'affreuse digue insubmersible vient inopportunément déparer.

Par une série d'escaliers, difficiles à trouver par Une personne peu initiée au plan des bâtiments. on retrouve l'escalier abbatial. Il nous le faut gravir à nouveau et en laissant à gauche la porte de la procure, monter encore quelques marches pour arriver à une porte en plein cintre surbaissé, et largement chanfreinée : c'est l'entrée même du logis abbatial. Avant de monter l'escalier à vis, un coup d'œil jeté sur le mur extérieur permet de remarquer une longue rainure verticale située près de la porte, et une trace de départ de voûte en arrachement dans les maçonneries à quelques mètres au-dessus du sol. Ce sont là les vestiges d'un pont fortifié construit au mue siècle pour faire communiquer le logis abbatial avec l'église basse, la crypte romane existait encore ; sa ruine en 1423 rendit ce pont inutile, il fut démoli et au XVe siècle on lui substitua le petit pont si gracieux situé à quelque 20 mètres de là. Si la construction du XIIIe siècle n'avait peut-être pas cette élégance, elle était plus forte sans contredit, une herse, dont la rainure subsiste, est là pour témoigner de la prudence extrême des habitants du rocher.

On pénètre alors dans les appartements privés de l'abbé. Ici, il faut au visiteur un grand effort d'imagination pour comprendre les dispositions anciennes. Le XVIIIe siècle avait déjà organisé des prisons dans cc bâtiment, celles établies au XIXe siècle achevèrent de le défigurer complètement. Nous ne pouvons dans le cadre restreint de cette monographie donner toutes les explications  et tous les dessins que comporterait la description détaillée de cette habitation fastueuse, aussi renvoyons-nous le lecteur à la belle étude de M. Paul Gout. Sommairement nous allons nous efforcer de donner une idée d'ensemble du logis de Richard Turstin.

L'obstacle principal qui contrarie les investigations de l'archéologue, réside dans la multiplicité des planchers. Ce bâtiment, le rez-de-chaussée mis à part, comportait primitivement trois étages ; aujourd'hui il y a quatre planchers.

Le premier étage, établi sur les voûtes mêmes de la procure, ne comportait qu'une salle servant de salle à manger. Reportons de suite en imagination le plafond à quelques mètres plus haut, supprimons les cloisons construites au XVIIIe siècle et la pièce apparaît dans toute sa grandeur. Du côté de la mer deux fenêtres prenaient un beau jour éclairant cette salle. Des bancs étaient réservés clans ces baies, de là le regard s'étendait sur les grèves. Dans l'épaisseur du mur oriental, des latrines sont ménagées : tout contre une crédence avec un écoulement d'eau. Enfin, du même côté, une porte percée au XIVe siècle donne sur un escalier montant dans le bâtiment voisin surélevé par Pierre Le Roy.

Une porte dans cet escalier permet, en franchissant le degré abbatial sur le petit pont fortifié du XVe siècle, d'accéder directement à la crypte des gros piliers. Le mur Nord de la salle à manger est percé de deux baies en tous points semblables à celle du Midi. Enfin contre la paroi occidentale, des corbeaux et un foyer révèlent l'emplacement d'une cheminée complètement démolie.

A côté, une porte et un escalier offrent une communication avec la cuisine que nous verrons tout à l'heure. Puis, nous retrouvons l'escalier à vis ; en le gravissant à nouveau on laisse à droite des latrines précédées d'une antichambre : une porte sur des appartements primitivement réservés au cuisinier ; une troisième ouverture condamnée : elle donnait accès sur le pont fortifié du XIIIe siècle ; enfin une dernière porte : c'est l'antichambre précédant le salon de l'abbé. Mais il nous faut encore monter quelques marches pour gagner le plancher actuel placé à plus d'un mètre au-dessus du sol ancien.

Ici encore des cloisons parasites gênent l'observation. Des trois baies qui prenaient jour sur l'escalier abbatial, il n'en subsiste qu'une, les autres sont complètement mutilées.

Une porte dans le mur oriental fait communiquer par l'intermédiaire de l'escalier du XIVe siècle les bâtiments de Pierre le Roy avec le salon de l'abbé. La beauté et l'élégance de cette pièce se laissent deviner par la très belle fenêtre à croisillon récemment découverte dans le mur oriental. Joli exemple d'un art exquis, elle date de la seconde moitié du XIIIe siècle. Les jambages inférieurs du tableau ont des feuillures indiquant un châssis ouvrant, tandis qu'au-dessus du croisillon horizontal, une feuillure marque la place d'un vitrail fixe, enfin des vantaux de menuiserie pleine permettaient d'obtenir une clôture absolue. Dans le meneau vertical des saillies ont été ménagées pour recevoir le verrou de fermeture. Le haut de la fenêtre est découpé suivant deux arcades geminées et ornées de trilobes. Un ébrasement profond, garni de bancs de pierre achève de donner à cette croisée un très beau caractère. Mais elle n'était pas la seule baie de ce genre percée dans le salon abbatial, deux autres fenêtres exactement semblables s'ouvraient dans le mur du côté du Midi : il n'en subsiste que la trace précieuse consistant pour chacune d'elles en un jambage complet et la moitié de l'arrière-voussure. Les restes d'une grande cheminée sont très nettement visibles dans le mur occidental. Ainsi se composait cette salle magnifique, splendide spécimen de l'architecture civile du XIIIe siècle. Tout ce bâtiment d'une conception si grandiose était dignement couronné par un superbe comble lambrissé servant de chambre à coucher.

L'étage supérieur, élevé par les moines de Saint-Maur, rend absolument méconnaissable cette disposition, mais, si on monte jusqu'au comble hideux établi par ces religieux sans goût, on est surpris de retrouver tout un pignon intact percé d'une jolie fenêtre trilobée ; un solin encore en partie en place permet de tracer sur le papier d'une façon très certaine le comble primitif. On arrive ainsi à voir qu'en avant de ce comble, du côté de la mer, une terrasse bordée du riche garde-corps que nous avons rencontré partout, permettait à l'abbé de rêver tout à son aise devant le spectacle inoubliable du soleil se couchant là-bas dans les grèves et éclairant de tons bleus et violets les côtes de la Bretagne et de la Normandie.

Mais ces salles vastes et spacieuses avaient un grave inconvénient. Difficiles à chauffer, mal closes, elles offraient un logement froid où le veut de la mer pénétrait trop facilement. Plus raffiné, Guillaume de Lamps abandonna ce bâtiment trop grand et se fit construire un nouveau logis plus réduit et plus intime.

Situé près du saut Gautier, il était relié au bâtiment de Richard Turstin par une longue et étroite construction dont le rez-de-chaussée élevé par ce prélat contenait les cuisines.

Nous avons vu de quelle façon elles étaient reliées à la salle à manger ; une cave voûtée, établie postérieurement par Pierre Le Roy, a surélevé le sol d'environ 0m,50. Un escalier à vis permet de descendre dans le sous-sol. Un second escalier découvert en 1909 dans l'angle Nord-Ouest, montait à l'étage supérieur, logement du cuisinier. Primitivement étage sous comble lambrissé, il fut surélevé au XIVe siècle alors que Pierre le Roy construisait les bâtiments contigus à l'Ouest ; pour y accéder il établit dans l'épaisseur du mur un escalier à vis récemment mis à jour. Au-dessus était le logement du prieur. Les appartements de Guillaume de Lamps se composaient de trois salles superposées, de mêmes dimensions et réunies entre elles par un escalier contenu dans une tourelle demi-octogonale d'une hardiesse extrême. Cet escalier partait de la petite chapelle Sainte-Catherine ou des degrés élevée en 1283 et transformée et surélevée au XIVe siècle par Pierre Le Roy. Le parloir de l'abbé situé au niveau du saut Gautier possède une sortie directe sur cette plate-forme, nous avons vu qu'une galerie couverte le reliait à l'église. Ce parloir a conservé toute sa décoration : c'est un lambris de bois formé de panneaux à serviette couvrant toute la hauteur de la pièce ; très simple, ce parti décoratif est très riche d'aspect, il offre dans les ébrasements des baies veuves de leurs croisillons de pierre, des combinaisons de menuiserie charmantes.

Les pièces situées à la suite étaient également réservées à l'abbé. Un petit pont de bois restauré en 1894 lui permettait de se rendre de plain-pied dans le croisillon Sud.

Le développement atteint par les constructions abbatiales est considérable, elles se dressent majestueusement sur le rocher. Par malheur, l'œuvre destructive des bénédictins de Saint-Maur s'est manifestée dans cette partie de l'abbaye d'une façon trop efficace. Nous avons vu combien à l'intérieur le logis de Richard Turstin avait durement subi l'empreinte de leur vandalisme ; à l'extérieur, leur funeste intervention fut aussi néfaste.

Les belles fenêtres ont été bouchées impitoyablement et remplacées par des trous informes et navrants. Seules, les quatre grandes arcades qui encadraient les croisées du XIIIe siècle subsistent encore, seulement, au lieu d'être couronnées par la balustrade traditionnelle, jolie transition entre la maçonnerie et le ciel, elles supportent le lourd étage construit par les derniers religieux.

C'est une solution constructive bien intéressante que cette disposition d'arcatures reportant la charge du sommet du mur sur des points forts et s'amortissant, tantôt sur des colonnes, reposant sur des culs-de-lampe, tantôt sur des contreforts. Par ce moyen ingénieux, le constructeur a su raidir un mur dont la hauteur était bien faite pour inquiéter. Dans le petit bâtiment construit par Pierre Le Roy et contigu de la tourelle d'escalier en encorbellement du XVIe siècle, le même procédé de raidissement fut employé par les architectes du XIVe siècle ; ainsi, chez ces artistes, la technique la plus sûre se joignait au goût le plus délicat.

Quels furent les auteurs de ces hardies constructions ? A quels maîtres de l'œuvre doit-on attribuer l'honneur de ces conceptions dont l'audace déroute ? Les recherches faites en ce sens sont restées vaines. Il faut espérer qu'un jour, quelque parchemin, provenant des comptes de l'abbaye, échappé aux mains des pillards de la Révolution, viendra éclairer la science et nous permettre enfin de savoir à quel architecte de génie nous devons la Merveille.

 

IV. — LES REMPARTS.

Le châtelet est protégé par une série de défenses avancées. Une cour entourée d'un rempart crénelé forme une barbacane construite au XIVe siècle. Deux portes permettent d'y pénétrer, celle du Midi s'ouvre sur un court escalier et consiste plutôt en une grande poterne qu'en une entrée véritable ; une excavation située à gauche permettait au guetteur de s'abriter et au besoin de se chauffer. Au contraire, la porte Nord est une barrière opposée à quiconque suivait la route normale pour arriver à l'abbaye. Les portes de la barbacane étaient fermées au moyen d'un vantail pivotant sur un axe et se rabattant extérieurement : ce genre de porte bavole offrait l'avantage de résister victorieusement à une poussée effectuée du dehors.

Un escalier de quatre mètres de large aboutissait à l'entrée septentrionale de la barbacane, c'était le grand degré : il ne subsistait plus qu'en partie, la restauration l'a complété. Sans doute, une sorte de petit fortin était établi à son départ ; à mi-hauteur, une porte bavole venait intercepter la montée ; il existe encore un jambage de cette porte et la niche abritant le veilleur ; enfin, l'escalier aboutissait à la barbacane du châtelet.

Tout ce grand degré extérieur fort commode pour les pèlerins, était bien dangereux pour les assaillants ; nous venons de voir une succession de portes s'opposant au passage des ennemis, niais pour ces derniers un autre grave désavantage les menaçait : ils étaient en effet dominés par un rempart flanquant complètement le degré et par la tour Claudine où un corps de garde était posté.

Construite au XIIIe, siècle, remaniée au XVe et au XVIe, elle avait une importance stratégique considérable, non seulement elle commandait le grand degré mais encore elle surveillait le petit bois au pied de la Merveille. Une poterne s'ouvrait à cet endroit défendue par l'échauguette située sur la tour. Son parapet percé de meurtrières est du XVe siècle tandis que les canonnières de la plate-forme sont l'œuvre de Louis d'Estouteville, remaniée extérieurement par Gabriel du Puy.

A l'intérieur, deux salles voûtées sont superposées. Celle au rez-de-chaussée est percée de canonnières et des cheminées d'aération ont été ménagées dans la voûte. La salle inférieure servait de magasin de poudre.

Le rempart descend de la tour Claudine jusqu'à l'échauguette Nord et se retourne à angle droit pour rejoindre la tour Nord.

Celle-ci, construite au XIVe siècle eut son crénelage refait au XVe, lorsque Robert Jolivet exhaussant les remparts les couronna de mâchicoulis. L'intérieur fut profondément modifié pendant la guerre de Cent ans afin de maintenir la défense en mesure de résister victorieusement aux attaques. D'ailleurs, sa situation même rendait inexpugnable la tour Nord et vraiment son aspect sur le haut du rocher est bien fait pour décourager toute tentative contre elle.

Faisant à nouveau un angle droit, le rempart descend en suivant la pente de la montagne jusqu'à la tour Boucle, et ce n'est pas la partie la moins pittoresque des fortifications que ces courtines qui, par ressauts successifs, atteignent enfin les grèves.

La tour Boucle, autrefois tour de la Reine, est un éperon très fort venant flanquer la base du rocher au point où les remparts cessent d'être en pente pour former horizontalement l'enceinte de la ville. Construite pour l'emploi de l'artillerie à feu, cette tour est une exception au Mont-Saint-Michel, elle présente un intéressant exemple de l'architecture militaire sous Charles VII.

Tout contre la tour Boucle une poterne était disposée, défendue par un mâchicoulis plus bas et par la tour Cholet, transformée en demi-lune. Près de cette tour peu saillante où Robert Jolivet avait pratiqué l'entrée de la ville, on voit dans le rempart un bas-relief représentant un lion assis tenant les armoiries de cet abbé.

Puis les courtines se développent, flanquées successivement : de la tour Basse, ancienne tour circulaire, transformée au XVIIe siècle en batterie barbette. De la tour Béatrix, aujourd'hui tour de la Liberté, qui a conservé plus complètement sa silhouette, on y lit distinctement l'appui de la toiture dont elle était recouverte, ainsi, d'ailleurs, que toutes les tours de l'enceinte fortifiée.

La tour de l'Arcade, ou tour neuve, témoigne d'une construction hâtive. Elle fut élevée rapidement, presque sous les yeux de l'ennemi, et fait partie d'un système de défense comprenant la tourelle du guet et la maison de l'arcade. Enfin, par un court rempart, elle est reliée à la tour du Roi et à la porte de la ville.

La porte du Roi est une belle construction du XVe siècle, elle comporte, à rez-de-chaussée, une large porte en tiers-point fermée par deux vantaux doublés d'une herse encore en partie engagée dans ses rainures et protégée en outre par un pont-levis se rabattant sur un fossé aujourd'hui comblé. Une poterne défendue par un autre pont-levis et une simple porte de bois est située à sa gauche. Eu arrière, une sorte de salle formant corps de garde, fermée du côté de l'intérieur de la ville par une, seconde porte appelée : porte Notre-Dame. Au-dessus, une chambre réservée au capitaine de la place porte le nom de logis du Roi et prend jour sur l'intérieur de la ville, laissant du côté extérieur le mur sans autre ouverture que celles par où passaient les bras de levier supportant les ponts-levis.

Mais, dans un grand cadre, bordé en haut par un mâchicoulis, deux anges tenaient un écusson où étaient sculptées les armes de France, le tout repose sur une frise ondée où se jouent des poissons : ce sont les armes de la ville.

Hélas ! l'affluence des visiteurs, en favorisant le développement des hôtels, a contribué au spectacle navrant présenté par les constructions qui défigurent le boulevard ; ingénieuse conception de Louis d'Estouteville, il était disposé pour éviter la possibilité d'un coup de main. Une porte en plein cintre flanquée d'une seconde plus petite pour les piétons, permet d'entrer dans ce boulevard percé de meurtrières, couronné par un large chemin de ronde sans mâchicoulis et conçu en vue d'utiliser une petite artillerie.

Un corps de garde était situé près de la porte et tout contre la demi-lune qui, s'appuyant d'un côté sur le rocher, enfilait toute la face Ouest du boulevard. Cette fortification était admirablement disposée pour empêcher un assaillant de se servir utilement de son artillerie : il était obligé, pour battre la porte, d'établir ses batteries tout contre le rocher, c'est-à-dire sous le feu plongeant des défenseurs postés sur la terrasse de la Pilette.

Ces précautions ne semblèrent pas encore suffi-sautes à Gabriel du Puy ; craignant encore une attaque inopinée, il imagina d'établir une défense plus avancée. Celle-ci fut disposée suivant un triangle présentant un angle obtus à sa rencontre avec le boulevard. Une porte bavole en fermait l'entrée. A côté, une poterne était dominée par le corps de garde des Bourgeois. Enfin, vis-à-vis de l'entrée, une terrasse crénelée permettait aux défenseurs abrités de recevoir l'ennemi par un feu de mousqueterie bien nourri.

Ainsi, les obstacles avaient été accumulés et la ville était à l'abri d'un coup de main.

Les magasins de l'abbaye ou fanils, avaient reçu une défense au XIIIe siècle, mais la tour des Fanils, aujourd'hui démolie était peu solide, aussi Gabriel du Puy établit-il en avant de l'entrée une solide avancée, puis, vers l'ouest il construisit une tour puissante : la tour Gabriel. Aménagée pour l'artillerie, elle présente des dispositions spéciales. Le rez-de-chaussée et le premier étage sont couverts par une voûte annulaire reposant sur un pilier excentré, afin de laisser, du côté de l'attaque une place plus grande : ce pilier est creux et forme cheminée afin de recueillir la fumée s'échappant en énorme quantité après chaque coup de canon.

Les embrasures sont évasées à l'intérieur et, extérieurement présentent une étroite fente horizontale. Le mur, ici, n'est plus affaibli par de grandes niches comme à l'époque de Louis d'Estouteville, il conserve à la tour Gabriel toute son épaisseur et toute sa résistance.

Une poterne est située au pied de la tour, dissimulée contre le rocher ; elle était fermée par une grille et par une herse.

La plate-forme supérieure est bordée par un parapet en forme de talus très épais, il ne reste plus trace des embrasures de canon. Elles étaient certainement en tous points, semblables à celles que l'on peut voir au château de Fougères.

Vers le nord, au XIVe sicle, Pierre Le Roy avait établi une sorte de fortin, très visible de la tour Gabriel. C'est une défense saillante, placée sur un rocher très escarpé. De hauts contreforts viennent le maintenir ; chose singulière, l'un d'entre eux est creux.

Plus loin, l'abbaye montoise possédait un point très fort et une défense très précieuse : c'était une tour enveloppant la fontaine Saint-Aubert et reliée à l'abbaye par un degré fortifié. De cette intéressante construction, il ne reste plus grand'chose : quelques pans de murs permettent de voir la largeur de l'escalier et l'épaisseur des murs ; une maçonnerie à peu près complètement écroulée est le seul témoin de la tour.

C'était la clef de la forteresse puisque cette fontaine était la seule ressource d'eau potable des défenseurs du Mont ; aussi, sentant combien précaire était cette situation, Robert Jolivet, fit, en 1417, construire, pour toute éventualité, la citerne de l'abside.

 

V. — LA VILLE.

Depuis cinquante ans, la ville du Mont-Saint Michel a perdu à peu près toutes les vieilles constructions qui en faisaient le charme. Des maisons de briques ont remplacé les spirituels pans de bois des hôtelleries du moyen âge. Nous avons vu le Boulevard complètement méconnaissable et rendu parfaitement invisible par l'envahissement des hôtels modernes. Nous ne dirons rien des immeubles établis sur la terrasse de la Pilette, ni de la construction voisine, singulière caricature de l'art gothique. C'est le résultat des besoins nouveaux paraît-il et nous devons le subir.

Passé la Porte du Roi, la charmante maison de l'arcade s'offre aux yeux des visiteurs avec son encorbellement hardi, flanquée de la tourelle du guet. Plus loin, c'est l'hôtellerie de la lycorne, établie avec désinvolture au-dessus de la rue, de jolis épis de plomb terminent les lucarnes et l'essente de bois de châtaignier donne à cette pittoresque construction un aspect exquis.

C'est ensuite, à gauche, l'hôtellerie de la sirène : les pans de bois ont disparu sous un enduit, mais les poutres moulurées sont encore visibles et vénérables.

Toujours en montant la rue, on trouve çà et là quelques épaves du passé :

A gauche, c'est une ravissante construction du XVIe siècle qui nous montre une loge de marchand d'images : deux arcades de granit supportent la façade. En face est le cheval blanc dont le revêtement de chaux cache la menuiserie.

Toujours en montant cette rue, qui' malgré de trop nombreuses mutilations reste si pittoresque on arrive à l'église paroissiale. De la construction du XIe siècle, il ne reste rien que des piliers remaniés au XVe siècle. C'est une église à deux nefs inégales, séparées par deux arcades. Dans le fond, vers l'Ouest, une tribune a été établie à mi-hauteur sur le rocher en pente. L'abside du XVe siècle remaniée au XVIe est placée au-dessus d'une venelle et repose sur un passage voûté en berceau brisé ; elle est à trois pans et ne présente rien de bien spécial pour l'archéologue. Une tour carrée, couverte par une toiture à deux pentes achève l'ensemble de ce petit édifice.

Intérieurement plusieurs dalles funéraires peuvent retenir l'attention, entre autres celles de Vincent Rogierie, maçon auteur de la tour de l'église abbatiale, que l'on a démolie pour lui substituer le clocher actuel.

Une peinture du XVIe siècle est située dans l'ébrasement de gauche de la fenêtre placée à l'extrémité de la nef méridionale. Elle représente Marie-Magdeleine aux pieds du Christ ; sur un phylactère on peut encore lire noli me tangere.

Deux statues de la fin du XVe siècle sont près de cette fenêtre. L'une représente sainte Anne et la Vierge, l'autre une Vierge debout tenant l'enfant Jésus dans ses bras.

Enfin dans le mur Sud une gisante est placée dans un enfeu, c'est un beau morceau de sculpture du XVe siècle. Malheureusement la figure a été mutilée à la révolution.

Des fonts baptismaux du XIIIe siècle sont placés dans le bas de l'église.

A la sacristie, on peut voir une très belle tête de Christ du XVIe siècle, elle provient d'une piéta donnée par l'abbé André Laure à l'église abbatiale. Une croix du XVe siècle est située au milieu du cimetière à côté de l'église paroissiale.

En reprenant la rue, on passe devant une maison où l'on prétend que Thiphaine Raguenel, femme de Bertrand du Guesclin résida pendant quelque temps ; nous croyons plutôt que l'épouse du célèbre capitaine habita une autre maison située sur l'ancien rempart près de la tour Boucle, on peut voir sur une porte de ce logis les armoiries du connétable.

Puis à gauche, toujours en suivant la rue, une arcade du XIe siècle est le seul témoin d'un couvent de femmes établi à cette époque. Il y a quelques années on pouvait encore relever les traces des murs extérieurs et des piles de la chapelle Sainte-Catherine, elle était situé sur la terrasse au-dessus de la porte aujourd'hui bouchée.

Enfin près de la porte Sud de la barbacane du Châtelet se voit encore la Truie qui file, loge de marchand d'images et de souvenirs. C'est une longue maison composée d'un seul rez-de-chaussée formé d'une suite d'arcades. Là se vendaient les insignes de pèlerins et des petites ampoules de plomb, que l'on remplissait du sable des grèves.

Quelques jolis exemples de ces bibelots, souvenirs de la ferveur de nos ancêtres ont été recueillis par le musée de Cluny.

 

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Cf. P. Gout, Le Mont-Saint-Michel, t. II, p. 406.

[2] Cf. Paul Gout, Le Mont-Saint-Michel, t. II, p. 75.

[3] On trouvera une curieuse étude sur les pèlerinages dans Paul Gout, Le Mont-Saint-Michel, t. I, Appendice II, p. 325.

[4] Voir Paul Gout, Le Mont Saint-Michel, t. I, pl. VII.

[5] Voir Paul Gout, Le Mont-Saint-Michel, t. I, pl. VIII.

[6] Voir Paul Gout, Le Mont-Saint-Michel, t. I, pl. VIII.