LES JOURNÉES DU GRAND ROI

 

CHAPITRE PREMIER — À L’AURORE DU RÈGNE.

 

 

Le 26 août 1660 la reine Marie-Thérèse, quittant Vincennes où elle était arrivée depuis deux mois, fit son entrée à Paris, cérémonie peut-être unique dans les annales des fêtes nationales.

Paris offrait un spectacle inouï ; ses habitants et les foules venues des extrémités du royaume s’étaient mis en frais pour fêter l’arrivée de leur gracieuse souveraine. Partout sur le parcours du cortège se dressaient des arcs de triomphe ornés de guirlandes, de tableaux, d’emblèmes, d’allégories ; les rues, les balcons, étaient tendus des plus précieuses tapisseries. Le sol était couvert de roses, de jasmins, d’œillets, de myrtes, de bleuets, de mille autres fleurs effeuillées, les carrosses roulaient sans bruit sur la molle épaisseur de ce tapis parfumé.

En tête du cortège venait le train du Cardinal composé de soixante-douze mulets couverts de velours cramoisi brodé d’or et d’argent et de onze carrosses à six chevaux. La Maison de Monsieur qui suivait parut, par comparaison, de petite magnificence. La Maison du Roi était vraiment royale. Les brigades des mousquetaires étaient distinguées par des plumes de diverses couleurs. Les pages de la chambre portaient des casaques couleur de feu chamarrées d’or. Les maréchaux de France précédaient le Roi devant lequel on portait un dais de brocart. Le Roi saluait avec sa bonne grâce et sa majesté habituelles. Le char de la Reine, attelé de six chevaux danois gris perle, n’était qu’or et argent ; le dais était entouré de fleurs de jasmins et de guirlandes d’olivier emblèmes de l’Amour et de la Paix. Tout ce qui devait être de fer et jusqu’aux roues était de vermeil doré. La robe brodée d’or et d’argent de la Reine disparaissait sous un ruissellement de perles et de diamants. La couleur des cheveux argentés de la Reine, dit Mme de Motteville, le blanc et l’incarnat de son teint, qui convenait au bleu de ses yeux, lui donnait un éclat infini. Les peuples furent ravis de la voir et, transportés de joie et d’amour, ils lui donnaient mille et mille bénédictions.

Selon un ancien et gracieux usage, derrière le char de la Reine venaient des oiseliers portant dans des cages dorées des oiseaux aux vives couleurs à qui ils donnaient la volée à chaque arrêt du cortège.

A l’extrémité du faubourg Saint-Antoine on avait dressé une sorte de trône surmonté d’un baldaquin en taffetas bleu semé de fleurs de lis d’or avec cordons et franges d’or. Quatre hauts piliers supportaient cette sorte de salle royale où l’on accédait par vingt marches recouvertes d’un riche tapis. C’est là que Leurs Majestés reçurent du prévôt de la ville, suivis des échevins, les clefs d’argent ciselées de Paris et les soumissions, les hommages, et entendirent les harangues des cours souveraines et de tous les corps de l’Etat. C’est de là qu’ils partirent pour se rendre au Louvre.

Paris n’avait jamais déployé de telles magnificences. Chaque corps de métier fit, pour se distinguer, des dépenses extraordinaires. Les tailleurs, montés à cheval avec épée, baudrier, écharpes, avaient des pourpoints de brocart à fond blanc, des hauts-de-chausses gris chamarrés de grandes dentelles d’argent, des chapeaux chargés de plumes et d’aigrettes, les plus beaux points de Gênes et les plus riches broderies. Les marchands en gros de soie et de dentelles portaient des costumes ornés de dentelles d’or, d’argent et de rubans.

Le cortège fit plusieurs haltes. La Reine entra à Notre-Dame et s’agenouilla avec ferveur devant la Vierge en argent, don du vœu de Louis XIII. Un solennel Te Deum d’actions de grâces fut ensuite chanté.

L’obélisque qui décorait la place Dauphine avait plus de cent pieds de haut. Chaque arc de triomphe avait ses musiciens : les hautbois, les musettes, les violons y faisaient entendre les plus belles mélodies de Lulli, de Guédron et de Ducaurroy. La ville était toute retentissante de décharges d’artillerie, de sonneries de cloches, d’acclamations. La foule dansait autour des orchestres en plein air ou se précipitait vers les carrosses d’où l’on lançait une pluie de pièces d’argent. Le populaire se disputait saucissons et cervelas dressés en pyramides sur les tables près des fontaines de vin où l’on buvait ferme à la santé de Leurs Majestés.

Parti de Vincennes à sept heures du matin, le couple royal arriva à six heures du soir au Louvre où l’attendait la Reine- mère. Les réjouissances publiques se terminèrent par une splendide féerie de nuit. Un feu d’artifice fut tiré d’un vaisseau, sur la Seine, devant le Louvre, en présence de Leurs Majestés. Tout Paris y assista.

***

D’un balcon, la jeune veuve de Scarron, en vêtements de deuil, assistait au défilé du cortège ; elle en décrit les splendeurs dans une lettre à une amie : Je fus toute yeux pendant dix ou douze heures de suite... Le Roi saluait tout le monde avec une grâce, une majesté surprenantes... Qui eût pu prévoir que ce roi magnifique épouserait un jour la veuve du poète burlesque Scarron ! Les poètes et les musiciens célébrèrent à l’envi la pompe royale et les jeunes époux. La Fontaine écrira à Fouquet : Ce jour-là le soleil fut assez matineux Pour nous laisser mieux voir ce pompeux équipage.

Après avoir parlé du char qui paraissait d’or massif, il esquisse ce portrait de la Reine :

Ces merveilles étaient de fort beaux cheveux blonds,

Une vive blancheur, les plus beaux yeux du monde,

Et d’autres appas sans seconds

D’une personne sans seconde.

Racine, à ses débuts, écrivait La Nymphe de la Seine à la louange des jeunes époux :

Elle est digne de lui comme il est digne d’elle.

Des Reines et des Rois, chacun est le plus grand.

Et jamais conquête si belle

Ne mérita les vœux d’un si grand conquérant.