LOUIS XVII, SA VIE, SON AGONIE, SA MORT

CAPTIVITÉ DE LA FAMILLE ROYALE AU TEMPLE

TOME SECOND

 

LIVRE VINGTIÈME. — MARIE-THÉRÈSE SORT DU TEMPLE.

 

 

Récit de Gomin sur la fille de Louis XVI. — Réclamions et pétitions pour la mise en liberté de Marie-Thérèse ; revirement dans l'opinion publique. — On améliore le sort de la Princesse. - Négociation de l'Autriche pour obtenir la remise de Madame Royale. - Délibération dans le sein de la Convention. — Loi rendue. — Notes échangées. — Madame de Chanterenne au Temple. — La Princesse apprend la mort de tous ses parents. — Promenades au jardin. — La chèvre du Temple. — Témoignages de sympathie1 ; M. et madame Hue. — Journée de Madame au Temple. — Mesdames de Tourzel.. — Madame de Mackau. — Contre-coup du 13 vendémiaire au Temple. — Condamnation à mort de Lemaître. — Interrogatoire de Marie-Thérèse. — Ordres sévères. — Les négociations avec l’Autriche se poursuivent. - M. Carletti. — Arrêté du Directoire exécutif au sujet de l'échange de Marie-Thérèse contre les prisonniers de l'Autriche. — M. Benezech au Temple. — Le Directoire décide que Madame voyagera incognito. — Préparatifs au départ. — Conversation de M. Benezech avec M. Hue. — Madame sort du Temple. — Madame de Soucy ; M. Méchain et Gomin. — Itinéraire de Marie-Thérèse écrit par elle-même, — Madame à Huningue. — L'hôtel du Corbeau. — Dernières négociations. — M. Bacher et le baron de Degelmann. — Adieux de Madame à Huningue ; ses paroles en quittant la France. — M. Reber. — Le prince de Gavre. — L'échange. — Passage de Marie-Thérèse à Basle. — Son arrivée à Vienne. — Présents de l'Empereur aux autorités suisses. — Présents de Madame Royale à Gomin.

 

Après la mort de Madame Elisabeth, Marie-Thérèse continua d'occuper, au troisième étage de la tour, l'appartement qui avait été celui de sa mère et de sa tante. Rien n'avait été changé à sa chambre, dont nous avons donné la description tome Ier, livre VI.

Le soir de mon arrivée au Temple, m'a dit Gomin, Laurent me conduisit voir les prisonniers. Je ne dirai pas ce que j'éprouvai en montant pour la première fois cet escalier coupé par tant de guichets. Arrivé au second étage, devant une porte de fer : Ici est le frère, me dit Laurent : c'était l'appartement de leur père. Après cette visi4e, nous montâmes au troisième, et nous nous trouvâmes également devant une porte de fer : Ici est la sœur : c'était l'appartement de leur mère. Nous entrâmes. Madame était assise sur le canapé adossé à la fenêtre, et paraissait occupée de couture ou de broderie. Elle ne leva pas les yeux. Laurent me présenta comme son collègue : elle ne répondit pas un mot.

Je saluai profondément en me retirant, et j'ai su depuis que cette dérogation aux usages du lieu m'avait fait tout d'abord remarquer par la Princesse. Les jours suivants, lorsque je la revis, je me tins vis-à-vis d'elle dans un respectueux silence, et je ne sache pas lui avoir jamais adressé le premier la parole. Pendant les deux ou trois premiers jours de mon installation, elle ne me parla pas non plus ; mais je crus voir qu'elle m'examinait avec attention ; et témoin, plus tard, de la merveilleuse aptitude qu'elle a montrée à deviner les sentiments politiques de certains commissaires, je ne doute pas que son regard n'ait pénétré vite dans mon cœur et n'y ait surpris mes sentiments. Une démarche que je hasardai me concilia tout à fait ses bonnes grâces. Comme je sortais toujours le dernier de son appartement, ayant pris l'habitude de fermer moi-même la porte, je remis un matin, pendant que Laurent et le commissaire civil étaient déjà sur l'escalier et avaient le dos tourné, je remis à Madame du papier et un crayon, en la priant de m'écrire ce qu'elle désirait. Elle me répondit la première fois : - Des chemises et des allumettes.

Par ce moyen je parvins à lui rendre quelques services. Les temps devenus moins rigoureux, le crayon devint moins indispensable. La Princesse ne me parlait point devant les commissaires, de crainte de me rendre suspect ; mais lorsque je me retirais après eux, elle se mettait rapidement derrière la porte et me disait quelques mots. C'est ainsi que j'appris qu'elle n'avait plus ni bas ni chaussures ; Laurent et moi nous ne nous en étions pas aperçus, Madame ayant toujours soin de tenir sa robe baissée de manière à cacher ses pieds. L'occasion de pourvoir à ce dénuement me parut favorable le jour même : nous avions pour commissaire civil un homme dont j'avais déjà remarqué les sentiments honnêtes ; c'était Armand — limonadier, tenant sur le boulevard du Temple le café qui portait son nom —. Nous nous entendîmes avec lui, mon collègue et moi, pour adresser notre requête au comité de sûreté générale. On fit droit à notre double demande : un paquet contenant une douzaine de paires de bas nous fut envoyé, et une personne vint avec une corbeille remplie de chaussures de chez le cordonnier dont le magasin était situé près de Sainte-Elisabeth ; Madame en choisit une paire ; à ma prière, elle en prit une seconde. Plus tard, lorsque Lasne me fut adjoint, nous eûmes un peu plus de liberté. Il nous fut permis de montrer plus d'égaras et de déférence à la Princesse ; mais on comprend tout ce que notre rôle exigeait de réserve et de prudence ; nos bonnes dispositions étaient forcément subordonnées aux sentiments que nous supposions aux commissaires. Parmi eux se rencontraient de braves gens, mais aussi des hommes d'un cynisme odieux, qui se permettaient de tutoyer la Princesse et de lui adresser des paroles grossières.

Madame m'a raconté que l'un d'eux lui avait demandé : As-tu de l’eau ?Je n'en sais rien. — Et qui doit le savoir ? Vas-y voir. Madame habituellement ne répondait pas : elle était toujours à sa place, calme et silencieuse, et souvent son air imposant arrêta l’injure sur les lèvres des municipaux. Quelques-uns d'entre eux profilaient de tous les incidents pour aggraver sa situation. C'est ainsi qu'un jour ils décidèrent qu'on lui retirerait le briquet à l'aide duquel plie se procurait deux choses si précieuses pour un captif, le feu et la lumière[1].

Un de ses souvenirs les plus pénibles, c'était celui des rondes nocturnes que les commissaires faisaient dans la tour. Le bruit sinistre des verrons, les voix menaçantes qui exigeaient qu'au milieu de la nuit la porte de sa chambre s'ouvrît, lui avaient laissé de douloureuses impressions. Ce fut après une de ces visites que, Payant aucune oreille amie à laquelle elle pût confier ses sentiments, elle les exprima dans des vers qui n'ont qu'un mérite, celui de montrer quelle sérénité exempte de toute amertume la jeune captive conservait au milieu de ses épreuves.

Madame ne savait rien des événements qui lui avaient enlevé la plus chère partie de sa famille. Le jeune frère dont les derniers soupirs n'étaient point parvenus jusqu'à elle était souvent l'objet de ses questions. Les réponses vagues qu'elle recevait n'étaient point faites pour la rassurer entièrement. Pourvu qu'on en fasse un honnête homme, dit-elle un jour, c'est tout ce que je demande.

Du reste la santé de Madame n'avait pas souffert de sa longue captivité. Son physique, comme son âme, s'était développé sous le souffle du malheur. Sa taille était avantageuse ; ses traits, extrêmement délicats dans l'enfance, avaient pris un beau caractère : ses yeux étaient grands ; ses cheveux, de blonds qu'ils avaient été, étaient devenus châtains. Quoique les femmes, comme les hommes, fussent alors à la Titus ; elle les avait conservés longs ; elle les portait sans poudre et noués par derrière. Sa mise était une robe de soie puce, seul vêtement 'qu'elle possédât ; sa coiffure, un fichu attaché par un nœud sur le devant et formant rosette. Ce négligé était rehaussé par l'éclat d'une jeunesse dans sa fleur, à laquelle le malheur donnait un air de gravité inexprimable.

 

Ces paroles de Gomin suppléent au modeste silence que la fille de Louis XVI aimait à garder sur elle-même. Madame Royale, dit très-bien le marquis de Pastoret[2], a écrit en quelques pages les souvenirs de sa captivité, et ces quelques pages égalent tout ce qu'il y a de pieux et de touchant dans les actes de l'Église. Orpheline déjà, déjà-peut-être dévouée à là mort, elle ne dit des autres que ce qu'elle ne peut taire ; elle excuse ou néglige tout ce qui se rapporte à elle, et si quelquefois l'indignation de son cœur parle plus haut que sa volonté même, c'est quand il s'agit des misères de sa prière ou du mortel dépérissement dont son frère fut victime. Cet admirable écrit, nous devons bien le rappeler, elle avait seize ans quand elle le traça d'une main timide, à l'insu de ses geôliers, sans feu, sans lumière, presque sans sommeil.

Harmand (de la Meuse) raconte que, lors de la visite qu'il fit au Temple le 9 ventôse an III (27 février 1795), il trouva Madame assise en un fauteuil dans l'embrasure d'une fenêtre élevée de plusieurs pieds au-dessus de sa tête. La Princesse tricotait : ses mains paraissaient enflées par le froid. Madame, lui dit-il, pourquoi, par le froid excessif qu'il fait, êtes-vous si éloignée de votre feu ?C'est que je ne vois pas clair auprès de la cheminée. — Mais, Madame, en faisant un grand feu, la chambre au moins serait chauffée, et vous éprouveriez moins de froid sous cette croisée. — On ne me donne pas de bois[3]. L’envoyé du comité de sûreté générale ajoute qu'ayant touché un fort beau piano à queue placé dans l'angle de la chambre, à côté du lit, il dit à Madame que ce piano ne lui paraissait pas d'accord, et que, si elle le désirait, il enverrait quelqu'un pour l'accorder. Non, Monsieur, ce piano n'est pas à moi, c'est celui de la Reine. Je n'y ai pas touché, et je n'y toucherai pas. — Êtes-vous contente de votre lit ?Oui. — Et du linge, Madame ?Il y a plusieurs semaines qu'on ne m'en a donné[4].

Déjà, quelque temps avant la mort de Louis XVII, des réclamations s'étaient élevées en faveur du fils et de la fille de Louis XVI. Un mot pour deux individus auxquels personne ne pense et auxquels il faut penser une fois, tel était le titre d'une brochure[5] que recherchaient avidement les cœurs généreux.

Charette, comme nous l'avons dit, avait signé, le 17 janvier, dans le petit château de la Jaunaie, près de Nantes, un traité dont les clauses secrètes stipulaient la remise entre ses mains du jeune Roi et de la Princesse sa sœur. Le gouvernement républicain avfit feint d'acquiescer à ces conditions, en demandant seulement que la remise des enfants de Louis XVI ne fût effectuée que le 13 juin 1795 !...

Le traité de la Jaunaie ne pouvait être et n'avait été qu'une trêve dont s'était jouée la déloyauté du gouvernement révolutionnaire.

La presse revendiqua l'honneur de reprendre l'œuvre inachevée de Charette. MM. de Beaulieu et Michaud — celui-ci sous le nom de M. d'Albins — avaient publié quelques écrits sur les traitements auxquels les malheureux enfants de Louis XVI étaient en butte, et ces écrits, répandus partout, avaient produit une douloureuse impression. Ces honorables écrivains firent un nouvel appel au sentiment public en faveur de ce qui restait encore du sang de Louis XVI ; l'un, dans un Mémoire adressé à la nation[6], et l'autre dans une brochure intitulée Opinion d'un Français[7], excitèrent de nombreuses sympathies auxquelles la fin si lamentable de Louis XVII ajoutait un intérêt puissant. La réaction qui se faisait dans l'opinion publique se manifesta par un acte important : le 30 prairial an III (18 juin 1795), dix jours après la mort du Dauphin, une députation de la ville d'Orléans vint à la barre de la Convention réclamer la mise en liberté de Marie-Thérèse-Charlotte de Bourbon[8].

Les paroles prononcées par cette dépuration trouvaient de nombreux échos : l'opinion à Paris leur prêta un concours décisif. Le 25 prairial an III (13 juin 1795), le Comité de sûreté générale arrête que les commissaires préposés à la garde des enfants de Louis Capet lui feront passer incessamment l'état, de tous les objets qui pourraient être nécessaires à la fille de Louis Capet pour son vêtement et son entretien, ainsi que leurs observations sur la nourriture qui lui est fournie, pour y être ensuite pourvu, s'il y a lieu.

Un autre arrêté,, ayant même date, porte 1° qu'il sera placé auprès de la fille de Louis Capet une femme pour lui servir de compagnie ; 2° que la commission administrative de police lui grés entera sous vingt-quatre heures le nom de trois femmes recommandables par leurs vertus morales et républicaines, pour être, par le Comité, désigné une d'elles ; 3° enfin qu'après cette désignation, les commissaires attachés à la garde du Temple recevront cette citoyenne dans ladite maison et lui procureront un libre et entier accès auprès de la fille de Louis Capet.

La commission administrative répondit que, malgré toute la diligence qu'elle y mettrait, il lui serait impossible de satisfaire au vœu de l'arrêté avant le 28 du même mois.. les renseignements qu'elle fournit sur les trois concurrentes fixèrent le choix du comité de sûreté générale sur la citoyenne Madeleine-Élisabeth-Renée-Hilaire La Rochette, femme du citoyen Bocquet de Chanterenne, demeurant à Paris, rue des Rosiers, n° 24, section des Droits de l'Homme[9]. L'arrêté qui hi désigne, pour servir de compagnie à la fille de Louis Capet ajopte qu'il lui sera fourni la 'nourriture et le logement ; qu'il sera pourvu à son indemnité par un arrêté' du Comité de sûreté générale, et qu'elle ne sortira du Temple que pour affaires indispensables[10].

On le voit, la pitié publique avait élevé la voix assez haut pour qu’elle arrivât au pouvoir : elle fut entendue aussi dans l'enceinte du Temple. Se sentant secondés au dehors, les gardiens de la tour adressèrent au comité de sûreté générale différents rapports réclamant pour la fille de Louis Capet une nourriture meilleure, des vêtements plus convenables, et quelques livres indiqués par elle-même. Ce comité, par décision du 2 messidor an III (20 juin 1795), chargea la commission des secours publics de faire droit à ces différentes requêtes, et, de plus, de lui rendre compte tous les mois de ce qu'elle aurait fait en exécution du présent arrêté[11]. Instruit de cette décision, Liénard fit une note de tous les objets réclamés pour le service de Marie-Thérèse, et s'empressa de la porter à la commission des secours. Cette note ne fut trouvée ni assez détaillée ni assez complète ; et elle n'était pas d'ailleurs signée des commissaires préposés à la garde du Temple[12]. La lettre que nous reçu à ce sujet le 5 messidor (23 Juin 1795), de M. Bernicau, président de cette commission, parut, me dit Gomin, nous indiquer, aussi bien que les paroles rapportées par Liénard, que nous pouvions nous permettre de donner quelque étendue à nos réclamations. Il était de notre devoir de consulter la Princesse ; mais comme elle mettait toujours la plus grande réserve dans l'expression de ses désirs, nous crûmes pouvoir doubler le nombre des objets qu'elle demandait pour sa toilette. Sa satisfaction et son étonnement furent grands quand elle vit qu'on lui accordait au-delà de ses espérances et, sans doute, de ses désirs[13]. La propreté, sinon le luxe, venait habiter sa demeure.

La garde du Temple fut réduite à quelque hommes, et les comités civils des sections de Paris furent dispensés d'y envoyer chaque jour un de leurs membres[14]. Madame de Chanterenne ayant représenté aux gardiens que la fille de Louis XVI étant indisposée, il était nécessaire, pour sa santé, qu'elle prît l'air dans l'enceinte où est située la tour, Gomin et Lasne, en transmettant cette réclamation aux membres du comité de sûreté générale, eurent soin de leur faire observer qu'il n’y avait plus de sentinelles dans cette enceinte, où eux-mêmes se tenaient continuellement, et qu'elle était entourée de murs de trente-six pieds de haut. Cette requête fut accueillie.

Madame Hue, qui ignorait la nomination de madame de Chanterenne, sollicitait auprès du comité de sûreté générale factorisation d'entrer au Temple[15]. Cet honneur ne pouvait lui être accordé ; rendons-lui l'hommage qui dépend de nous, en faisant connaître un acte de dévouement, sympathique à tout le monde, mais qui, sous un tel nom, n'étonnera personne.

L'Autriche avait entamé des négociations avec la Convention pour obtenir que Madame, qui avait des liens de famille si étroits avec la maison impériale, lui fût remise. Le ministère autrichien proposait une somme de deux millions pour sa rançon. Cette offre fut rejetée par les comités de salut public et de sûreté générale, qui, d'une part, pour n'avoir pas l'air d'obéir complètement à l'opinion publique, et, de l'autre, pour conserver un caractère révolutionnaire à la mesure vers laquelle ils se sentaient poussés, crurent devoir mettre une toute autre condition à l'élargissement de Marie-Thérèse-Charlotte. Le 12 messidor an III (30 juin 1795), Treilhard, au nom de ces comités, s'exprima ainsi à la tribune de la Convention :

... Les triomphes du peuple français, l'espoir de tous les hommes éclairés, l'opinion du monde entier, sanctionnent la République... il serait insensé de douter de son affermissement. Le moment est donc venu où il peut convenir de fixer vos regards sur la fille du dernier Roi des Français. Un devoir impérieux, la sûreté de l'Etat, vous prescrivit la réclusion de cette famille. Aujourd'hui vous êtes trop forts pour que cette mesure de rigueur soit encore indispensable... Vos comités vous proposent de faire servir un acte d'humanité à la réparation d'une grande injustice. La plus odieuse et la plus noire des trahisons a livré des représentants du peuple et un ministre de la République à une puissance ennemie ; cette même puissance, par la violation du droit des nations, a fait arrêter des citoyens.revêtus du caractère le plus sacré, celui d’ambassadeurs. Dans cet échange, nous nous désistons d'un droit pour faire cesser une injustice. Ce sera au gouvernement de vienne à bien réfléchir sur ces considérations, il optera entre son attachement aux liens du sang et le désir de prolonger une vengeance odieuse et inutile.

Nous n'avons pas pensé que cet objet dût devenir celui d'une négociation ; il suffira que vous vous expliquiez, et tes généraux français seront chargés de transmettre votre déclaration aux généraux des armées autrichiennes[16].

 

Un projet de décret, conforme à ce discours, fut présenté par le rapporteur, et adopté séance tenante[17].

Pichegru, chef de l'armée du Haut-Rhin, fut chargé de communiquer au général autrichien Stein une proposition d'échange jusque-là sans exemple dans les annales de la diplomatie. L'Empereur, qui dans d'autres temps l'aurait regardée comme inadmissible, l'accueillit par affection pour sa jeune cousine, en y ajoutant l'offre d'étendre l'échange aux prisonniers de guerre des deux pays[18].

Les premières ouvertures de cette négociation se firent à Basle, au mois d'août, la marche en fut longue et embarrassée.

Pendant toute la durée de la Convention, la loi du 12 messidor demeura sans exécution. Il était réservé au gouvernement qui lui succéda, en vertu de la nouvelle constitution qui instituait le Directoire et les deux conseils, de conduire cette affaire à son dénouent.

Cependant, les témoignages de sympathie publique se multipliaient en faveur de Marie-Thérèse. La commune de Dreux avait suivi l'élan de la ville d'Orléans, en envoyant à la Convention nationale des commissaires chargés de réclamer la liberté de la prisonnière du Temple. Si ces différentes démarches n'aboutirent point à un résultat immédiat, elles eurent du moins pour effet d'adoucir le sort de la jeune orpheline. Déjà depuis quelque temps on permettait à ses gardiens de la laisser descendre dans le jardin. Gomin lui fit hommage d'un petit chien que Laurent lui avait laissé. C'était, me raconta-t-il, un faux épagneul, roux et de fort laid de figure ; son nom était aussi vulgaire que toute sa personne : il s'appelait Coco ; mais sa douceur et son naturel affectionné rachetaient toutes ses disgrâces, et Coco eut le privilège de distraire quelquefois sa maîtresse de ses cruels souvenirs. Il lui tenait compagnie dans sa solitude, et il la suivait au jardin. La captivité de Madame n'avait plus rien de sévère.

La Princesse avait trouvé dans madame de Chanterenne une compagne pleine d'une respectueuse sympathie pour ses malheurs, et d'un sincère dévouement pour sa personne. Marie-Thérèse avait connu la mort de son père, mais elle ignorait le sort de sa mère et-de sa tante ; elle croyait son frère encore malade. Madame de Chanterenne se chargea de la douloureuse mission de lui faire connaître toute l'étendue de ses malheurs. Les cruelles incertitudes, les doutes affreux, les soupçons terribles allaient cesser dans le cœur de la pauvre jeune fille, qui, jusqu'alors, avait interrogé vainement tous ceux qu'elle avait vus. Elle avait enfin rencontré une femme compatissante qui venait lui dire toute la vérité. Madame n'a plus de parents !Et mon frère ?Plus de frère !Et ma tante ?Plus de tante !Eh quoi ! Elisabeth aussi ? qu'ont-ils pu lui reprocher ? Quelques détails furent donnés au milieu des larmes et des sanglots. Madame apprit ainsi d'un seul coup le martyre de tous les siens. Toutes les plaies de son cœur ne furent plus qu'une seule plaie ; toutes ses douleurs se réunirent dans une seule douleur. L'histoire du Temple se résuma dans son âme, et le dernier cri de la Passion lui échappa : Tout est consommé !

Marie-Thérèse savait maintenant qu'elle était seule sur la terre. Celle qui venait d'avoir le courage de lui apprendre son isolement se croyait récompensée par l'honneur de partager sa captivité et ses peinés..Une douloureuse confidence est un lien. Madame de Chanterenne fit tout au monde pour rendre ses soins agréables à la jeune Princesse. Elle sut lui plaire par sa conversation, la distraire par ses talents, la touche par son affection.

Le 3 thermidor an III (21 juillet 1795), le général Menou représenta que la garde de cinquante hommes ordonnée chaque jour au Temple était beaucoup trop nombreuse, et que quinze hommes suffisaient pour le service de cette maison. Le comité de sûreté générale prit, le jour même, un arrêté conforme à cet avis, et en confia l'exécution au général Menou.

Le 10 thermidor (28 juillet), c'est-à-dire cinq semaines après son entrée au Temple, madame de Chanterenne adressa fa lettre suivante au comité de sûreté générale :

Citoyens représentants,

J'ai différé jusqu'à présent à correspondre avec vous, pour acquérir, par le temps, les moyens de vous donner des notions justes de ma conduite avec la fille de Louis Capet, près de laquelle le comité m'a placée. Dès les premiers instants de mon séjour ici je me-suis flattée du succès de mes soins, aujourd'hui j'ose assurer qu'il passe mes espérances, je le dois à l'heureux naturel de ma compagne. Pour peu que je la seconde, je n'ai qu'à applaudir : les vertus les plus estimables ont chez elle devancé l'âge ; ses qualités aimables et ses talents ne demandent qu'à être développés et exercés ; elle joint à une touchante sensibilité de cœur la fermeté et l'énergie de l'âme : une politesse douce et franche/quelquefois même un peu de gaieté, ont pris la place de l'extérieur sérieux et contraint dont elle s'était fait habitude. Elle ne manque de rien de ce qui peut lui être utile ; la vigilante attention de ses gardiens pourvoit à tout. Sa santé est parfaite depuis qu'elle prend plus d'exercice, et que des occupations variées la distraient de pensées tristes ; enfin, citoyens représentants, je n'ai qu'à me louer du poste que j'occupe, et à vous remercier de m'avoir mise à portée de vous donner des preuves de mon zèle à répondre à la confiance dont vous m'avez honorée.

Vous avez vu, citoyens représentants, par l'un des derniers rapports des commissaires du Temple, que je suis sortie avant-hier quelques heures pour mes affaires. Je continuerai à ne m'absenter que rarement, étant surtout jalouse de répondre à vos vues et intentions.

Salut et fraternité,

Hilaire CHANTERENNE.

 

Les sentiments que madame de Chanterenne avait apportés au Temple y devinrent contagieux. En ouvrant les portes de la fatale enceinte, madame de Chanterenne y avait fait pénétrer l'air de justice et de bienveillance qui circulait déjà dans les rues, et tout le monde le respira. Quand Lasne et Gomin faisaient à la porte de Marie-Thérèse un tour de clef pour la fermer, ils en faisaient deux pour l'ouvrir, et Madame pouvait descendre. Pendant les deux derniers mois elle put se promener librement dans le jardin. Il y avait un arbre sur lequel les gardiens mettaient tantôt des poires, tantôt des abricots, tantôt des pêches. Voici un arbre de bon rapport, dit un jour la Princesse à Gomin. Faites bien mes compliments au jardinier. Les commissaires municipaux eux-mêmes ne se présentaient devant la fille de Louis XVI que le chapeau à la main. Emue d'un tel changement, Marie-Thérèse remit un matin à sa compagne des vers qu'elle venait d'écrire. Bien qu'ils fussent plus particulièrement adressés à madame de Chanterenne, chacun en prit sa part au Temple : ils furent sur toutes les lèvres, ils demeurèrent dans toutes les mémoires. Lasne, dans ses vieux jours, me les a lui-même dictés, sans aucune omission, avant que, par testament, Gomin m'en eût légué le manuscrit original qu'il avait obtenu de la Princesse :

Dans ce triste séjour d'horreur,

Trop souvent prête à s'exhaler

La vertu qui plaît à mon cœur

Par les pleurs qu'il voyait couler.

Me paraissait toujours bannie ;

Il finit d'être inexorable

Le ciel a retenu ma vie

À cette vertu, douce, aimable ;

Il fait qu'enfin je peux la voir

Cette vertu qui parc l'homme,

Triompher d'un triste devoir ;

Qui console les malheureux,

Elle apaise et calme mon âme,

Qui change l'horreur de ces lieux,

L'échauffe de sa douce flamme,

Qui revient dans cette contrée,

Et me console en ce séjour

Pour être à jamais adorée ;

Par la clarté d'un nouveau jour.

Qui près de moi dans ces moments

Elle fuyait loin de ma vue,

Revient adoucir mes tourment !

Ce moment-ti me l'a rendue.

Elle vit dans la tour du Temple ;

Le ciel m'en fait maintenant jouir.

Tout à l'envi suit son exemple ;

Tout ici me la fait sentir.

Sensibilité, c'est son nom.

Chaque chose me la rappelle,

Elle règne dans ma prison,

Te n'y vois plus de cœur rebelle ;

De mon cœur elle fait le charme ;

Enfin elle vit près de moi.

Il ne voit plus aucune alarme

Tout en reçoit la douce loi.

Depuis qu'il ne voit près de lui

Faudra-t-il donc que je la nomme,

Qu'âmes sensibles pour appui.

Marie-Thérèse avait trouvé dans madame de Chanterenne une compagne d'une vive sensibilité plutôt que d'un ferme caractère ; Madame la traita avec d'autant plus d'égards qu'elle se sentait la plus forte. En effet, la nouvelle habitante du Temple était délicate au physique comme au moral : elle eut plusieurs attaques de nerfs ; on vit souvent Madame la soutenir par le bras dans les promenades qu'elles faisaient ensemble dans le jardin. Près d'elles on apercevait souvent une jolie chèvre jaspée, vive comme une gazelle, qui, par ses bonds, sa pétulance et ses caprices, animait la solitude du jardin ; c'était, un présent de madame de Chanterenne. Le gentil petit animal, dont Lasne et Gomin voulurent également prendre soin, éleva une sorte de rivalité entre les deux gardiens. La chèvre était très-familière avec Gomin ; elle venait à lui, et lui témoignait son attachement, tandis qu'elle poursuivait Lasne et cherchait à le frapper de toutes les forces de son front. Celui-ci s'en amusa d'abord, mais il en conçut quelque dépit lorsqu'il vit que Madame avait remarqué les instincts et les antipathies de la chèvre. Il prit dès lors, me dit Gomin, le pauvre animal en horreur, et c'est en vain que Liénard et moi nous le plaisantâmes à ce sujet. Vous faites semblant d'être irrité, lui dit un jour Liénard ; mais il n'en est rien. C'est une fable ; je vous assure que si La Fontaine vivait encore, il en ferait une nouvelle à votre intention, intitulée la Chèvre et l'Âne[19].

Dès que la nouvelle se fut répandue que Marie-Thérèse se promenait librement dans le jardin, M. Hue s'empressa de louer une chambre dans la Rotonde, cette maison voisine de la tour, dont nous avons parlé dans la description du Temple, et qui, de tous les édifices d'alentour, était le point le plus rapproché qui dominât l'enclos. Des fenêtres de cette chambre, située au plus haut étage, on pouvait voir Madame Royale et être vu d'elle. C'était dans cette mansarde que le fidèle serviteur du Roi montait chaque jour, par l'escalier n° 4, pour apercevoir la fille de son maître. Madame Hue, qui était très- bonne musicienne, s'y rendait aussi avec madame Duguerre, artiste de Louvois, qu'elle accompagnait sur la harpe, à l'heure des promenades de la Princesse[20].

Ces témoignages de sympathie tendaient à se propager. Le 24, thermidor an III (11 août 1795), les gardiens du Temple écrivirent au comité de sûreté générale :

Citoyens représentants,

Nous avons observé, aujourd'hui, que des croisées de la rue de la Corderie, qui ont vue sur le jardin, on a chanté une romance ; ayant cru nous apercevoir que l'on répétait cette romance à la vue.de la jeune détenue, nous avons dirigé sa promenade d'un autre côté.

Salut et fraternité.

GOMIN, LASNE.

 

Quatre jours après (le 28 thermidor, 15 août), jour de la fêle de Marie-Thérèse, la musique de la mansarde de la Rotonde ne pouvait manquer de se faire entendre. Madame parut dans le jardin et s'y promena longtemps, afin de témoigner à ses amis combien elle était sensible à la marque d'intérêt qu'ils lui donnaient. Mais ses larmes coulèrent aux souvenirs que cet anniversaire lui rappelait. Je marchais, me dit Gomin, à une certaine distance derrière elle et derrière madame de Chanterenne, et je saisissais peu leur conversation ; mais en nous croisant, à un détour du jardin, je vis Madame essuyer ses yeux. La musique et surtout la présence de Madame avaient éveillé l'attention du voisinage, bien des personnes se mettaient aux fenêtres de la rue de la Corderie. Cette particularité fut portée aux oreilles du comité de sûreté générale ; le surlendemain j'y fus mandé. On donne des concerts !Citoyens, c'est une actrice qui répète ses rôles. — L'affaire en resta là.

Le gouvernement avait fait aussi prévenir indirectement M. Hue qu'il excusait l'hommage rendu au malheur, mais qu'il fallait mettre un terme à cette manifestation. Le 25 août, comme au jour de l'Assomption, Madame descendit au jardin ; elle pensait sans doute que la démonstration qui avait eu lieu fe jour de Notre-Dame se renouvellerait le jour de la Saint-Louis, mais le concert n'eut point lieu. Elle en parut inquiète. Craignant qu'elle ne l'attribuât à quelque événement fâcheux, Lasne lui fit dire par madame de Chanterenne que rien d'alarmant ne s'était passé, mais que les circonstances et les ordres du comité de sûreté générale n'avaient pas permis qu'on lui donnât un concert ce jour-là. Malgré ce contre-temps, les visites de M. Hue à la Rotonde n'en étaient pas moins fréquentes. Il indiqua à Madame, par un de ces signaux autrefois convenus et qu'elle se rappela, qu'il était chargé d'une lettre pour elle ; cette lettre était de Louis XVIII. M. Hue la fit parvenir dans la tour ; Marie-Thérèse lui envoya sa réponse, qu'il transmit au Roi.

A cette époque, une femme, âgée de trente-cinq à quarante ans, présumée fille légitimée de Louis-François de Bourbon-Conti, prince du sang, se présenta au Temple pour voir Madame, dont elle se disait cousine : elle était munie de l'autorisation officielle du comité de sûreté générale, dans lequel acte elle figurait sous le nom de Stéphanie-Louise de Bourbon ; et les portes de la tour lui furent ouvertes[21]. Marie-Thérèse ne l'avait jamais vue, et, tout en recevant une personne qu'elle pouvait croire, en effet, lui appartenir par les liens du sang, elle mit dans ses courts entretiens avec elle la réserve qu'elle conservait habituellement avec tous ceux qu'elle ne connaissait pas.

Depuis l'arrivée de madame de Chanterenne, Madame fut non pas plus occupée que par le passé — car la jeune Princesse ne restait jamais oisive —, mais ses occupations furent plus variées et ses chagrins plus distraits, sinon moins présents. Elle passait habituellement la matinée à écrire ; dans l'après-midi elle lisait, brodait, dessinait. Outre les livres qui lui avaient été fournis, elle en demanda plusieurs autres que l'on mit à sa disposition, les ouvrages de Racine et de Boileau, les lettres de madame de Sévigné et de madame de Maintenon. Ensevelie sous les débris du trône, elle voulait voir encore quelque chose des beaux siècles de la monarchie ; elle se retirait dans le passé pour trouver un horizon de prospérité et de grandeur. Hélas !ses illusions finissaient avec sa lecture. Quelquefois elle descendait au jardin le crayon à la main, pour tracer l'image de la tour où elle avait tant souffert. Soir et matin elle faisait sa prière. C'étaient là tous les actes de piété auxquels elle pût se livrer dans sa prison. Elle paraissait très-sensible à l'attachement qu'on ne cessait de lui témoigner et au bien-être qui succédait pour elle à tant de privations. Madame, m'a raconté Gomin, avait paru si heureuse de quitter la vieille robe de soie puce qui la couvrait à peine, et qu'elle ne cessait de raccommoder depuis le régime de Robespierre ! Maintenant sa mise était très-convenable : le matin, dans sa chambre, elle était en redingote de basin blanc ; toute la journée en robe de nankin ; le dimanche, elle se mettait en robe de linon, et toutes les fêtes solennelles elle se parait d'une robe de soie verte. Sa belle chevelure, si abondante que les femmes à la mode de l'époque prétendaient qu'elle portait perruque, flottait, comme par le passé, dans un aimable négligé, retenue avec grâce par un ruban, et quelquefois par un fichu attaché sur le devant de la tête.

Cependant madame de Tourzel s'occupait d'une négociation moins importante que celle dont nous avons parlé plus haut, mais qui l'intéressait bien vivement ; il s'agissait d'obtenir pour elle et pour sa fille la permission de voir Madame Royale. Elle adressa, à cet effet, une demande au comité de sûreté générale, en la recommandant à la bienveillance de Gauthier (de l'Ain), un de ses membres, qu'elle connaissait[22]. Une décision de ce comité, en date du 16 fructidor (mercredi 2 septembre 1795), leur accorda cette faveur trois fois par décade. L'ampliation de cet arrêté leur fut remise le lendemain dans la matinée.

Je demandai à Gauthier (de l'Ain), raconte madame de Tourzel dans ses Mémoires inédits, si Madame avait connaissance de toutes les pertes qu'elle avait faites. Il me dit n'en savoir rien, et nous eûmes tout le long du chemin, depuis le comité — qui se tenait à l'hôtel de Brionne — jusqu'au Temple, l'inquiétude d'avoir peut-être à lui apprendre qu'elle avait perdu ce qu'elle avait de plus cher au monde.

En arrivant au Temple, je remis ma permission aux deux gardiens de Madame, et je demandai à voir madame de Chanterenne en particulier. Elle me dit que Madame était instruite de tous ses malheurs, et qu'elle nous attendait. La Princesse vint à notre rencontre, nous embrassa tendrement et nous conduisit dans sa chambre, où nous confondîmes nos larmes sur tous les objets de ses regrets. Elle ne cessa de nous en parler, et nous fit le récit le plus déchirant du moment où elle se sépara du Roi son père, dont elle était si tendrement aimée.

A son entrée au Temple, nous avions laissé Madame faible et délicate, et en la revoyant après trois ans de malheurs sans exemple, nous fûmes bien étonnées de la trouver belle, grande, forte et douée de cet air de noblesse qui fait le caractère de sa figure. Nous fûmes frappées, Pauline et moi, de retrouver en elle des traits du Roi, de la Reine et même de Madame Elisabeth. Le ciel ; qui la destinait à être le modèle de ce courage qui, sans rien ôter à la sensibilité, rend cependant capable de grandes actions, ne permit pas qu'elle succombât sous le poids de tant de malheurs. Madame en parlait avec une douceur angélique, et nous ne lui vîmes jamais un seul sentiment d'aigreur contre les auteurs de tous ses maux. Digne fille de Louis XVI, elle plaignait les Français, et ne cessait d'aimer ce pays où elle était si malheureuse. Sur ce que je lui disais que je désirais sa sortie de France pour la voir délivrée de son affreuse captivité, elle me répondit avec l'accent de la douleur : J’éprouve encore de la consolation en habitant un pays où reposent les cendres de ce que j'ai de plus cher au monde. Puis elle ajouta, fondant en larmes et du ton le plus déchirant : J'aurais été plus heureuse de partager le sort de mes parents que d'être condamnée à les pleurer.

Madame nous parla avec attendrissement du jeune Roi son frère, et des mauvais traitements qu'il essuyait journellement. Le barbare Simon le maltraitait pour l'obliger à chanter la Carmagnole et d'autres chansons détestables, de manière que les Princesses pussent l'entendre. Quoique le jeune Roi eût le vin en horreur, Simon le forçait d'en boire quand il voulait l'enivrer. C'est ce qui lui arriva le jour où il lui fit dire, devant Madame et Madame Elisabeth[23], les horreurs dont il fut question dans le procès de notre malheureuse Reine. A la fin de cette scène atroce, le malheureux petit Prince, commençant à se désenivrer, s'approcha de sa sœur et lui prit la main pour la baiser. L'affreux Simon, qui s'en aperçut, lui envia cette légère - consolation, et l'emporta sur-le-champ, laissant les Princesses dans la consternation de ce dont elles venaient d'être témoins.

Je ne pus m'empêcher de demander à Madame comment, avec tant de sensibilité et dans une si affreuse solitude, elle avait pu supporter tant de malheurs.

Rien de si touchant que sa réponse, que je ne puis m'empêcher de transcrire : Sans la religion c'eût été impossible : elle fut mon unique ressource, et me procura les seules consolations dont mon cœur pût être susceptible. J'avais conservé les livres de piété de ma tante Élisabeth, je les lisais, je repassais ses avis dans mon esprit, je cherchais à ne pas m en écarter et à les suivre exactement. En m'embrassant pour la dernière fois, et m’excitant au courage et à la résignation, elle me recommanda positivement de demander que l'on mît une femme auprès de moi. Quoique je préférasse infiniment ma solitude à la campagne que l'on m’eût donnée alors, mon respect pour les volontés de ma tante ne me permit pas d'hésiter. On me refusa ; et j’avoue que j'en fus bien aise. Ma tante ne prévoyait que trop le malheur auquel j'étais destinée, et m'avait accoutumée à me servir seule et à n'avoir besoin de personne. Elle avait arrangé ma vie de manière à en employer toutes les heures. Le soin de ma chambre, la prière, la lecture, le travail, tout était classé. Elle m avait habituée à faire mon lit seule, à me coiffer, me lacer, m'habiller, et n'avait, de plus, rien négligé de ce qui pouvait entretenir ma santé. Elle me faisait jeter de l'eau pour rafraîchir l'air de ma chambre, et avait exigé, en outre, que je marchasse avec une grande vitesse pendant une heure, la montre à la main, afin de remplacer l'exercice qui me manquait.

Ces détails, si intéressants à tenir de la bouche même de Madame, nous faisaient fondre en larmes. Nous admirions le courage de Madame Elisabeth, et cette prévoyance qui s'étendait à tout ce qui pouvait être utile à Madame. Cette sainte Princesse fut la consolation de son auguste famille, et nommément de la Reine, qui, moins pieuse qu'elle en entrant au Temple, eut le bonheur d'imiter cet ange de vertu. Non contente de s'occuper de ce qui lui était cher, elle employa encore ses derniers moments à préparer à paraître devant Dieu les personnes condamnées à partager son sort, et exerça la charité la plus héroïque, jusqu'à l'instant où elle alla recevoir les récompenses promises à une vertu aussi éclatante et aussi éprouvée que l'avait été celle de cette vertueuse et sainte Princesse.

Madame, depuis sa séparation de sa tante, passa près de quinze mois seule, livrée à sa douleur et aux plus tristes réflexions, n'ayant d'autres livres de lecture que les Voyages de La Harpe, qu'elle lut et relut plusieurs fois ; manquant de tout, ne demandant rien, et raccommodant elle-même jusqu'à ses bas et ses souliers. Elle fut visitée quelquefois par les commissaires de la Convention. Ses réponses furent si courtes et si laconiques, qu'ils ne prolongeaient pas leurs visites. Il semblait que le ciel eût imprimé sur elle le sceau de sa protection, car ils éprouvaient tous un sentiment de respect dont aucun ne s'écarta un seul instant.

Malgré tout son courage, Madame nous avoua qu'elle était si fatiguée de sa profonde solitude qu'elle se disait à elle-même : Si l'on finit par mettre auprès de moi une personne qui ne soit pas un monstre, je sens que je ne pourrai m'empêcher de l'aimer...

Je demandai un jour à Madame si elle n'avait jamais été malade pendant le temps de sa profonde solitude. Ma personne m'occupait si peu, répondit-elle, que j'y ai fait peu d'attention. Ce fut alors qu'elle nous raconta un évanouissement qu'elle avait un jour éprouvé, en ajoutant des réflexions si touchantes sur le peu de cas qu'elle faisait de la vie, qu'on ne pouvait l'entendre sans être profondément ému...

Madame nous offrit un jour de nous mener dans l'appartement du Roi : elle y entra suivie de Pauline, avec un saint respect. La perte du jeune Roi était encore si récente, que je ne me sentis pas le courage de revoir un lieu où il avait tant souffert, et je priai Madame de me permettre de ne pas l'y accompagner. Il n'en fut pas de même des appartements de la petite tour, et je fus bien aise de n'avoir pas eu la même faiblesse. Après avoir revu les lieux que Pauline et moi avions quittés avec tant de regret, Madame nous mena à la bibliothèque, et nous y passâmes l'après-midi. Elle se mit à causer avec Pauline, et me dit : Si vous avez la curiosité de feuilleter le registre qui est sur cette table, vous y verrez le compte rendu par les commissaires depuis notre entrée au Temple. Je ne me fis pas prier, et je me mis sur-le-champ à feuilleter et à examiner ce registre. J'y vis, jour par jour, les comptes rendus à la Convention sur les augustes prisonniers, et ils ne me confirmèrent que trop qu'on ne pouvait raisonnablement conserver le plus léger espoir sur la vie du jeune Roi. Comme je craignais que le temps ne me manquât, je ne m'attachai d'abord qu'à examiner ce qui regardait ce prince ; j'y vis tous les progrès de sa maladie, les détails de ses derniers moments, et même ceux qui concernaient sa sépulture. Quand j'eus fini cette triste lecture, et que je commençai à reprendre ce qui concernait la famille royale, Gomin entra dans la bibliothèque, et, me voyant le registre entre les mains, il s'emporta violemment, me reprocha très-aigrement l'imprudence de ma conduite, et me menaça de s'en plaindre. Madame, avec sa bonté ordinaire, s'avoua coupable de m'avoir donné le registre, et lui dit qu'il lui ferait de la peine de pousser la chose plus loin. La peur de se compromettre lui tournait la tête, et il appela son confrère Lasne pour savoir s'il pouvait accéder à ce que Madame désirait. Lasne lui conseilla de ne rien faire qui pût lui causer de la peine, et de se contenter de me faire promettre de ne dire à personne que j'eusse vu le registre, et rien de ce qu'il pouvait contenir.

Je n'ai jamais conçu comment Gomin avait été si affligé de me voir lire au registre, qui n'était qu'à son avantage, puisqu'il prouvait évidemment qu'il n'avait rien négligé pour procurer au jeune Prince les secours qui lui ont été si constamment refusés.

 

Madame la baronne de Mackau ayant appris l'autorisation que mesdames de Tourzel avaient obtenue d'entrer au Temple, se livra à l'espoir que pareille faveur ne serait peut-être pas refusée à elle-même, ancienne sous-gouvernante de Madame. Elle écrivit la lettre que nous copions textuellement :

La citoyenne Mackau aux représentants du peuple composant le comité de sûreté générale.

Citoyens,

Tant que la destinée des enfants retenus au Temple était liée à la politique, j'ai commandé le silence aux sentiments qu'inspirent les soins de l'éducation ; actuellement que la Convention paraît très-disposée à adoucir le sort de l'enfant qui reste, en mettant auprès d'elle des personnes capables de contribuer à sa consolation, je crois devoir mettre sous les yeux du comité les titres que j'ai près d'elle ; je l'ai élevée depuis le moment de sa naissance ; vers l'âge de sept ans elle a été confiée particulièrement à moi, et à ma belle-sœur, la citoyenne Soucy, pour sa première éducation, l'une et l'autre en qualité de sous-gouvernante ; mais au commencement de 1789, elle m'a été remise entre les mains uniquement, sous Tunique dépendance des auteurs de ses jours, et n'ayant de compte à rendre qu'à eux de tout ce qui intéressait son éducation, sa santé, et ne la quittant pas d'un moment, ce qui a duré jusqu'au 10 août, époque de notre séparation. J'ose croire que personne n'est plus sûr des vœux de l'orpheline pour notre réunion, d'après l'attachement que mes soins et ma tendresse lui avaient inspiré pour moi ; et plus à même de répondre par ce sentiment aux vœux de l'humanité à cet égard ; plus fondée aussi à inspirer confiance par une conduite et une résignation qui ne s'est pas démentie un seul instant au milieu de l'indigence où j'ai été réduite et des dangers que j'ai courus, laquelle conduite m'a mérité — j'ai lieu de croire — les égards même des comités révolutionnaires.

Laissée à Paris lors du voyage de Varennes — que j'ignorais parfaitement —, et au moment d'être massacrée à cette époque, je n'ai dû la vie qu'au zèle et à l'activité de la garde nationale du quartier Saint-Jacques, où je m'étais retirée ; exposée au même danger le 3 septembre à la Force, où j'ai été jugée et sauvée par le peuple, il ne manque à ma vie que de consacrer encore de mes derniers instants à une enfant qui a été le principe et la cause innocente de mes maux et de mes pertes. J'ai été fort incommodée, mais j'espère être en état, sous peu de jours, d'aller savoir la réponse et les ordres du comité.

Salut et fraternité.

A Vitry-sur-Seine, 18 messidor, l'an IIIe de la République.

Veuve MACKAU.

 

Le baron de Mackau, muni de cette lettre, mit tout en œuvre pour procurer à sa mère une faveur qu'il savait devoir lui être si précieuse. Il s'adressa à ce sujet à Rewbell, l'un des cinq directeurs, et son compatriote, qui se prêta volontiers à favoriser la réalisation de ses désirs. M. de Mackau se hâta de remettre à sa mère l'autorisation écrite qu'il venait de recevoir (le 24 fructidor an III, 10 septembre 1795), et, sans explication aucune, lui laissa le plaisir de la lire. Mon fils, s'écria-t-elle en l'embrassant avec attendrissement, mon fils, je suis heureuse et je vous le dois ! Sans perdre de temps, elle se rend au Temple. Madame, prévenue de son arrivée, cède à l'impatience de la voir, et se trouve dans ses bras avant qu'elle ait franchi la cour.

Madame de Mackau, m'a dit Gomin, qui était fort âgée, et dont une détention très-longue avait considérablement altéré la santé, paraissait souffrante et avait de la peine à se soutenir. Elle veut s'excuser de n'avoir pu arriver jusqu'à la tour avant que la Princesse en fût descendue. — Comment, s'écrie Madame avec l'accent du cœur, comment aurais-je pu différer d'une seconde le plaisir de vous embrasser ? — C'est juste, répond madame de Mackau avec un sourire reconnaissant ; Madame a descendu les marches bien plus vite que je n'aurais pu les monter. — Il y a trois ans un mois et un jour que je n'ai eu le bonheur de vous voir ! s'écrie encore la Princesse en embrassant sa gouvernante ; puis elle prend son bras, le passe dans le sien avec une grâce affectueuse, et l'aide ainsi à marcher. Madame de Mackau avait à la main un grand chapeau blanc, elle veut s'en servir pour se garantir du soleil, qui l'incommode beaucoup ; Madame s'empare de ce chapeau, l'élève en l'air de la main qu'elle a libre, et le tient en opposition au soleil, afin que madame de Mackau n'en souffre pas. — Madame est trop bonne pour moi, dit madame de Mackau. — Vous avez été pour moi bien meilleure, répond Madame ; je ne pourrai jamais vous rendre qu'une faible partie des soins que vous avez eus pour moi dans mon enfance !

En parlant ainsi, on avait déjà fait quelques pas ; resté en arrière avec Lasne, et nous tenant par respect à quelque distance, je ne pus en entendre davantage. Madame conduit la respectable visiteuse au fond du jardin et l'y fait asseoir sur une chaise ; mais soit que madame de Mackau se trouve indisposée et ne puisse rester au grand air, soit que les témoins qui se trouvent, quoique éloignés, à cette première entrevue, gênent les épanchements de confiance que Madame veut avoir avec sa gouvernante, nous la voyons, quelques minutes après, quitter le jardin et monter avec elle dans son appartement.

 

Ce fut là que Marie-Thérèse se révéla à madame de Mackau telle qu'elle était. Le malheur n'avait pu effacer en elle les signes de grandeur dont le ciel l'avait douée. Avec quel bonheur, avec quel orgueil la vieille gouvernante se plut à répéter à ses enfants tout ce qu'elle avait trouvé de dignité majestueuse dans la fille des rois, tout ce qu'elle avait trouvé de touchante amitié dans son élève ! Venue à la tour du Temple pour consoler une enfant, elle y avait rencontré une femme forte ; venue pour -lui prêcher la résignation, elle en reçut l'exemple. Pleurons, mais non sur mes parents, dit la royale orpheline ; leur tâche est achevée, ils en ont touché le prix ; on ne leur ôtera pas la couronne que Dieu lui-même leur a mise maintenant sur la tête. Prions, non pour eux, mais pour ceux qui les ont fait périr. Quant à moi, ces années si dures ne m'auront point été inutiles ; j'ai eu le temps de réfléchir devant Dieu et avec moi-même. Je suis plus forte contre le mal. Je suis loin de confondre la nation française avec ceux qui m'ont enlevé tout ce que j'aimais le plus au monde. Sans doute je serais charmée de quitter la prison, mais je préférerais la plus petite maison en France aux honneurs qui attendent partout ailleurs une princesse aussi malheureuse que moi.

On le voit : les longues injustices des hommes n'avaient point aigri le cœur de Marie-Thérèse ; le malheur et la méditation avaient, au contraire, imprimé à son caractère cette élévation calme et sereine que le sort devait éprouver encore, et souvent, et longtemps, et toujours, mais que jamais il ne devait atteindre ni troubler.

Mesdames de Tourzel et madame de Mackau, tour à tour, revirent la Princesse trois fois par décade, c'est-à-dire tous les trois ou quatre jours. Elles venaient ordinairement au Temple vers midi, et ne se retiraient qu'à sept ou huit heures. Indépendamment de madame de Chanterenne, Madame eut ainsi des amies à diner à sa table six fois au moins par décade. C'est dans un de ces entretiens, qui se succédèrent régulièrement pendant près de deux mois, que madame de Mackau eut J'occasion d'apprécier la piété filiale de Marie-Thérèse. Le bruit se répandait alors, et semblait s'accréditer, que Madame devait se rendre bientôt à Vienne pour épouser l'archiduc Charles. Madame de Mackau lui dit : Si cette mesure politique doit contribuer à ramener Madame en France, je veux m'en réjouir. — Ah ! lui répondit la jeune fille, je ne connais de mesures politiques que les dernières volontés de mes parents : je n'épouserai jamais que le duc d'Angoulême.

Marie-Thérèse-Charlotte reçut aussi la visite de sa nourrice, madame Laurent, qui plus d'une fois avait sollicité l'autorisation de venir lui donner des soins au Temple.

Madame Fréminville[24], qui avait élevé son enfance, ne cessa, pendant de longs mois, de solliciter le même bonheur[25].

Madame de Chanterenne, qui savait que les douleurs humaines se ravivent souvent à la vue des personnes chères qu'on a connues dans les jours heureux, et qui était déjà autorisée à craindre que, sous les apparences de l'affection, des sentiments moins désintéressés n'amenassent au Temple d'autres personnes, ne voulut ni encourager la Princesse à recevoir de nouvelles visites, ni conseiller au gouvernement de les permettre. Elle écrivit au comité :

Au Temple, le 5e jour supplémentaire, l'an 3e de la République (21 septembre 1795).

Citoyens représentants,

Marie-Thérèse-Charlotte a reçu la citoyenne Mackau, admise auprès d'elle d'après la permission du comité, avec les démonstrations de la joie la plus vive ; celle que cette aimable femme a témoignée de son côté ne laisse pas d'équivoque sur son tendre attachement pour son intéressante élève. Cette jeune détenue parait sensible, citoyens représentants, aux adoucissements qu'on apporte à sa situation, par la facilité qui lui est procurée de voir et d'entretenir des personnes qui lui sont chères ; son cœur est maintenant satisfait à cet égard, elle m'en a fait l'aveu en m'assurant que la présence de toute autre personne que celles qu'elle voit, lui serait à peu près indifférente. Je pense donc qu'il serait à propos d'éviter de renouveler sans objet l'occasion de ces scènes d'attendrissement, qui pourraient nuire à la santé de Marie-Thérèse, ou tout au moins produire le fâcheux effet de détruire peu à peu le calme et la sérénité que nos soins avaient obtenus de sa raison et de son courage. Je m'en rapporte néanmoins, citoyens représentants, à votre sagesse pour prendre ou non en considération cette simple réflexion, que, d'après mes propres observations, j'ai cru devoir vous présenter. Je ne doute pas que votre décision ne soit conforme aux vues de bienfaisance et d'humanité qui vous dirigent, et dont Marie-Thérèse-Charlotte est bien digne d'être l'objet. Je ne me lasse pas de vous répéter que cette jeune infortunée désire vivement la fin de sa captivité, dont les bontés du gouvernement semblent lui permettre l'espoir. Son affection pour moi répond toujours au tendre intérêt que j'ai pour elle et qu'il est difficile de ne pas éprouver quand on la connaît.

Salut et fraternité,

Hilaire CHANTERENNE.

 

Cependant les concerts avaient repris leur cours dans les mansardes de la Rotonde. Une dénonciation fut faite en ces termes :

Il y a environ quatre mois qu'on donne de temps à autre des concerts dans la Rotonde du Temple, en montant par l'escalier n° 4 aux mansardes du quatrième.

Ce logement était occupé par de braves gens que l'on a très-largement payés pour le céder.

Depuis deux décades ces concerts prétextés se répètent beaucoup plus souvent dans ce lieu ; ce sont des femmes très-élégantes et des hommes à nattes retroussées qui s'y rendent pour contempler à loisir la fille Capet, qui de son côté ne manque pas d'aller se promener dans le jardin du Temple aussitôt qu'elle est instruite que l'assemblée royaliste est complète.

C'est alors que ces partisans de la défunte cour lui adressent par signes toutes les protestations de dévouement et de respect pour sa personne royale.

Le lieu du concert ne se trouvant pas assez spacieux pour contenir toute cette illustre compagnie, elle se rend aussi en grand nombre dans une maison rue Beaujolais, n° 12, dont les croisées ont également vue sur le jardin du Temple ; et là, comme aux mansardes de la Rotonde, se répètent publiquement les mêmes gestes, signaux et marques d'attachement à la fille de Marie-Antoinette, qui, dit-on, y répond quelquefois avec un peu de fierté et de hauteur ; mais sa dame d'honneur a soin de réparer obligeamment ce qui pourrait paraître dédaigneux de la part de la princesse.

Le 1er vendémiaire, il y eut concert vers les cinq heures du soir, heure à laquelle il commence ordinairement ; ce fut un cours d'adorations et de télégraphie jusqu'à la fin du jour.

On a cru y remarquer des personnes attachées à divers spectacles ; et, depuis l'époque citée, les voitures, qui étaient presque inconnues dans ce quartier, y roulent fréquemment.

On compte par approximation une centaine de personnes qui se rendent à la fois dans les endroits ci-dessus désignés ; elles sont successivement et continuellement relevées par d'autres.

LEBLANC,

rue Mêlée, n° 79.

 

Le gouvernement, cette fois, intervint, et il fallut dire adieu aux chansons et à la musique.

Le 11 brumaire an IV (2 novembre 1795), Gomin et Lasne informèrent le comité de sûreté générale qu'il existait dans une armoire de la petite tourelle quelques effets provenant de défunt Louis Capet, et le prièrent de les autoriser à en retirer joutes les choses qui pourraient être mises à l'usage de la fille de Louis Capet, et de leur accorder ce qui ne pouvait lui être utile, ainsi que la petite garde-robe du fils de Louis Capet. Nous croyons, ajoutaient-ils, pouvoir réclamer de votre justice, citoyens représentants, cette petite gratification, en vous exposant que l'un de nous, placé depuis un an à ce poste, n'a touché que les premiers jours de ce mois les appointements que le comité lui a accordés ; que l'autre a essuyé une maladie qu'il a gagnée en soignant le petit Capet, et dont il n'est pas encore entièrement rétabli ; que nous n'avons reçu aucune des augmentations ni indemnités accordées aux fonctionnaires publics.

Quelques jours après, sur des explications reçues de Lasne, la demande des gardiens fut prise en considération[26].

Depuis le 8 septembre, les négociations commencées à Basle avaient pris un cours régulier, grâce à la médiation que M. le bourguemaître[27] Bourcard, chef de la régence de l'Etat de Basle, s'était empressé d'offrir à M. le baron de Degelmann, ministre plénipotentiaire de l'empereur d'Autriche, et à M. Bacher, premier secrétaire de l'ambassade de la République française. Ces deux diplomates, qui, à cause de l'état de guerre, ne pouvaient établir entre eux de relations directes, trouvèrent dans M. Bourcard l'intermédiaire le plus zélé et le plus conciliant.

Tout semblait conspirer à la délivrance de Marie-Thérèse-Charlotte, lorsque plusieurs circonstances fatales vinrent remettre en question un acte de justice consenti de toutes parts, et dont il ne s'agissait plus que de régler le mode d'exécution. La Convention fut sérieusement menacée. Sur les quarante-huit sections qui composaient la garde nationale de Paris, cinq seulement voulaient la République : ce qui n'était pas rigoureusement vouloir le régime conventionnel. Le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), les quarante-trois autres sections s'étaient soulevées et réunies en assemblées armées et délibérantes ; le canon se chargea de les comprimer et d'apprendre le nom de Bonaparte à tous les échos de la France. Au moment, me dit Gomin, où, d'après les ordres de Barras, le dictateur de l'avenir mitraillait le peuple sur les marches de Saint-Roch et dans la rue du Dauphin, mon service me fit entrer dans l'appartement de Madame. Je la trouvai tout en larmes. Je pleure sur le sang que l'on verse en ce moment, me dit-elle.

L'enthousiasme des conventionnels pour celui qui venait de les sauver fut d'autant plus vif que leur frayeur avait été grande : dans les transports de leur reconnaissance, ils le proclamèrent général de division, et lui donnèrent le commandement de l'armée de l'intérieur. Avant de se dissoudre, la Convention décréta que les deux tiers de ses membres feraient partie des deux conseils, et qu'elle s'en réservait le choix. La nouvelle constitution fut établie, et le gouvernement directorial s'installa le 13 brumaire an IV (4 novembre 1795) dans le palais du Luxembourg.

Les changements qui s'opèrent dans les hautes régions du pouvoir sont toujours une menace pour les positions secondaires : Gomin craignit qu'on ne devinât ses sympathies royalistes ; Madame craignait elle-même qu'on ne lui enlevât un gardien dont elle avait eu toujours à se louer. Elle ne cacha point son inquiétude à Gomin, qui se fit un devoir de prévenir une fâcheuse éventualité : il s'adressa à quelques protecteurs dont l'appui ne lui fit pas défaut[28].

Cependant quelques agents royalistes qui avaient pris part à l'insurrection avaient été arrêtés. De ce nombre était Lemaître, qui, condamné à mort le 17 brumaire an IV (8 novembre 1795), refusa de faire aucune révélation et mourut avec un grand courage. Ses coaccusés furent condamnés les uns à la déportation, les autres à quelques années de détention. Cette affaire avait donné lieu à de vives discussions dans la Convention nationale, parce que plusieurs députés étaient désignés dans la correspondance de Lemaitre comme disposés à servir le parti monarchique. Cette désignation, il est vrai, n'avait eu d'autre résultat que d'empêcher Cambacérès d'être nommé directeur ; mais tous ces bruits de conspiration royaliste firent rétrograder le pouvoir exécutif vers le système de rigueur dont il s'était départi envers Madame depuis la mort de Louis XVII.

Le 17 brumaire an IV (8 novembre 1795), les gardiens du Temple furent mandés au sein du comité de sûreté générale[29]. Etienne Lasne s'y rendit sur-le-champ ; il y trouva des questionneurs inquiets et des avertisseurs sévères.

Le 19 brumaire (10 novembre), le citoyen Leroy, agent de la commission de police, porteur d'un ordre du ministre de l'intérieur, se présenta au Temple pour recevoir les déclarations de Charlotte Capet et de la citoyenne Bocquet de Chanterenne, conformément à l’arrêté du Directoire exécutif, en date de la veille[30].

L'interrogatoire de la Princesse et de sa compagne eut lieu dans la salle du conseil, en présence des commissaires du Temple[31] ; l'envoyé du nouveau pouvoir put emporter la conviction que les deux prisonnières étaient demeurées parfaitement étrangères au mouvement qui venait d'agiter la ville[32].

Néanmoins, le 21 brumaire, les deux gardiens du Temple reçurent l'ordre de ne plus laisser sortir la citoyenne Chanterenne ni entrer les citoyennes Tourzel : toute communication de la tour avec le dehors devait immédiatement cesser[33].

Plusieurs prétextes politiques avaient dicté ces mesures. Madame de Tourzel, disait-on, désirait vivement le mariage de la jeune Marie-Thérèse avec l'archiduc Charles : elle était soupçonnée de favoriser sur ce point les vœux de l'Autriche ; on voulait écarter du Temple son influence. Ces motifs n'étaient pas sérieux. Quoi qu'il en soit, les ordres donnés furent strictement exécutés.

Cette rigueur inattendue, qui brisait tout rapport de madame de Chanterenne avec sa famille, la. jeta dans un si grand trouble, que Marie-Thérèse, craignant pour sa santé, exigea qu'elle réclamât le maintien des conditions sous le bénéfice desquelles elle était entrée au Temple[34].

Quant à madame de Tourzel, on avait agi envers elle avec plus de sévérité.

Le 8 novembre, dit-elle, la force armée, accompagnée de deux commissaires de police, arriva chez moi à huit heures du matin avec ordre de m'arrêter ; et, ne m'y trouvant point, les deux commissaires s'établirent dans ma chambre jusqu'à mon retour. J'étais sortie de bonne heure, et je rentrais tranquillement pour déjeuner, lorsque la femme de notre suisse m'avertit de ce qui se passait.

Je rebroussai chemin, et j'allai chez mon homme d'affaires, qui demeurait rue des Baigneurs, pour me donner le temps de réfléchir sur ce qu'exigeait ma position. Je savais qu'on avait arrêté la personne qui avait la correspondance du Roi, laquelle avait dans ses papiers une lettre que j'écrivais à Sa Majesté en lui en envoyant une de Madame. J'avais de plus chez moi le manuscrit de M. Hue, qui avait insisté pour que je prisse le temps de le lire. Tout cela me tourmentait et me rendait incertaine sur le parti que je devais prendre, lorsque madame de Charost, à qui j'avais trouvé le moyen de faire savoir l'endroit où j'étais retirée, me fit dire qu'elle avait mis le manuscrit en sûreté. Rassurée sur ce point, et ne voulant pas qu'on pût dire que je m'étais cachée dans le moment où j'avais l'espoir d'accompagner Madame, je revins chez moi, au risque de ce qui pouvait arriver. Dès que je fus rentrée, les commissaires dé police firent l'inventaire de mes papiers. Je dînai parfaitement tranquille avant de me rendre à l'hôtel de Brionne, où se tenait le comité de salut public, qui ne s'ouvrait qu'à six heures. Mes deux filles, de Charost et Pauline, me suivirent à ce comité. On nous fit attendre une grande heure dans la pièce qui précédait celle où l'on devait m'interroger ; on ne manqua pas de donner les détails de la mort du pauvre Lemaître, condamné pour correspondance avec la maison de Bourbon, et d'ajouter que dorénavant on userait de la plus grande sévérité envers les royalistes, et même envers les dames à chapeau. On me fit subir un interrogatoire de plus de deux heures ; on me conduisit à onze heures du soir au collège des Quatre-Nations, dont on avait fait une prison, et je restai trois jours au secret. On me mena alors chez le sieur Violette, juge de paix. Ce fut là que j'appris qu'on n'avait pas eu plus d'égards pour Madame que pour moi, et que c'était sur la conformité de ses réponses avec les miennes dans l'interrogatoire qu'on lui avait fait subir, que j'étais remise en liberté. La conséquence, et peut-être le motif de cette nouvelle persécution, fut de m'empêcher de suivre Madame à Vienne, et d'avoir un prétexte de faire dire à l'Empereur que je n'avais pu l'y accompagner, étant sous le coup d'une accusation.

 

Les événements de Paris n'avaient point suspendu l'affaire entamée à Basle par les négociateurs de la France et de l'Autriche. Les deux diplomates avaient signé, le 8 octobre, des engagements réciproques qui semblaient devoir rendre la solution prochaine. L'Autriche, à qui l'on attribuait plus que jamais l'intention de marier l'archiduc Charles à Madame Royale, et de faire revivre, par cette union, les droits qu'elle croyait peut-être avoir encore sur l'Alsace et sur la Lorraine, avait déjà rapproché des frontières de France les prisonniers compris dans l'échange. Depuis le 18 novembre, M. Bacher était instruit par le baron de Degelmann que ces prisonniers étaient arrivés à Fribourg en Brisgau, et pouvaient, au premier signal, se rendre le jour même à Riehen, village situé sur le territoire baslois, lieu choisi pour leur remise au négociateur français. Celui-ci attendait d'heure en heure l'annonce du départ de Madame, et cette nouvelle n'arrivait point. C'est qu'aux difficultés suscitées par le mouvement de vendémiaire avaient succédé certains obstacles apportés par la conduite maladroite du ministre du grand-duc de Toscane, le premier prince qui eût reconnu la République française. Ce ministre, le comte Carletti, qui, depuis plusieurs mois, était accrédité à Paris et n'avait jamais fait la moindre démarche en faveur de la liberté de Madame, se souvint qu'elle était au Temple lorsque le bruit s'était déjà répandu de son prochain départ. Alors seulement il demanda la permission de voir une Princesse qui tenait à sa cour par les liens de la parenté. Sa démarche n'étant pas accueillie, il la renouvela. Ses instances, aussi gauches que vives, éveillèrent la défiance du Directoire, et M. Carletti reçut ses passeports[35].

Cependant le mouvement qui entraînait l'opinion publique et qui, vraisemblablement, sans les coups d'État du 13 vendémiaire, et plus tard du 18 fructidor, aurait abouti à la restauration de la monarchie, se faisait sentir de toutes parts d'une manière si impérieuse, qu'il atteignait à leur insu les chefs mêmes du gouvernement républicain. Voici da quels termes le Directoire exécutif autorisa le départ de la prisonnière du Temple.

Extrait du registre du Directoire exécutif, du 6e jour du mois de frimaire, l’an IV de la République française, une et indivisible (27 novembre 1795).

Le Directoire exécutif arrête que les ministres de l'intérieur et des relations extérieures sont chargés de prendre les mesures nécessaires pour accélérer l'échange de la fille du dernier Roi contre les citoyens Camus, Quinette et autres députés ou agents de la République ; de nommer, pour accompagner jusqu'à Basle la fille du dernier Roi, un officier de gendarmerie décent et convenable à cette fonction ; de lui donner, pour l'accompagner, celles des personnes attachées à son éducation qu'elle aime davantage.

Pour expédition conforme :

REWBELL, président.

Par le Directoire exécutif :

LAGARDE, secrétaire général.

Le ministre de l'intérieur :

BENEZECH.

 

M. Benezech, ministre de l'intérieur, mit autant d'empressement à exécuter cet ordre qu'il avait mis de zèle à le provoquer. Des le lendemain, 7 frimaire an IV (28 novembre 1795), il se présenta lui-même au Temple pour apprendre à Marie-Thérèse la nouvelle de sa délivrance, et lui demander quelles étaient les dames qu'elle désirait pour l'accompagner. Madame lui indiqua tout d'abord la baronne de Mackau, et s'informa si les personnes qu'elle emmènerait pourraient, sans inconvénient, rester auprès d'elle à la cour de Vienne. Certainement, lui dit M. Benezech, si l'Empereur le permet : l'obstacle ne viendra pas du gouvernement français. Encouragée par les paroles bienveillantes du ministre : Je voudrais bien, ajouta Marie-Thérèse, emmener aussi madame de Tourzel, qui était gouvernante de mon frère, et madame de Sérent, qui était dame d'atours de ma tante. — J'espère, répondit M. Benezech, que l'exécution des désirs de Madame ne rencontrera pas de difficulté. Je vais les faire connaître au Directoire et aux personnes qu'elle a nommées. Ce n'est pas tout ; il est quelques autres dispositions qui dépendent plus spécialement de mon ministère, et mon intention est qu'elles soient prises à votre gré : je veux parler des objets de toilette que vous devez emporter. J'enverrai aujourd'hui ou demain deux personnes pour vous consulter à cet égard[36]. Elles se conformeront à vos ordres. Je m'occuperai moi-même ensuite des préparatifs de votre départ.

M. Benezech laissa Madame touchée des égards qu'il lui avait montrés. Le lendemain, 8 frimaire an IV (29 novembre 1795), deux membres de la commission administrative de police se présentaient au Temple, porteurs du laissez-passer ci-joint, écrit de la main même du ministre[37] :

Paris, le 7 frimaire an IV de la République une et indivisible.

Le ministre de l'intérieur,

Autorise les commissaires à la garde du Temple à laisser entrer les citoyens Guérin et Houdeyer, membres de la commission administrative de police, et à les laisser conférer avec la fille de Louis XVI, détenue dans la tour du Temple.

BENEZECH.

 

La Princesse fut très-sobre dans les demandes d'habillements et de joyaux qu'on la priait de faire. Habituée depuis longtemps à la simplicité la plus sévère, elle paraissait ne consentir qu'avec une modestie craintive à la confection de l'élégant trousseau que le gouvernement révolutionnaire venait lui proposer. On lui avait longtemps refusé le nécessaire, et maintenant on lui offrait lé superflu. Celle qui avait tant de deuils à porter se serait reproché d'accepter des parures. Tout en faisant des remercîments pleins de dignité aux envoyés du pouvoir, elle se borna à indiquer quelques objets en linge et en étoffes, et quelques chaussures dont elle avait besoin. Les administrateurs de la police lui répétèrent qu'elle pouvait donner beaucoup plus d'étendue à ses demandes ; ils l'invitèrent à faire, à cet égard, connaître sans restriction ses intentions et ses désirs aux commissaires gardiens du Temple, qui dresseraient un état auquel il serait fait droit ; et ils se retirèrent.

Lasne et Gomin s'occupèrent de cette note. Ils firent observer à Madame que, devenue libre et devant se rendre à la cour d'Autriche, elle allait avoir besoin de parures dignes de son rang. Ce fut en vain. Si l'on me permet, répondit-elle, d'emporter quelques souvenirs qui me rappellent ce rang, que l'on me remette quelques objets qui ont appartenu à ma mère et à moi, et qui nous ont été enlevés peu de jours après notre arrivée à la tour : c'est tout ce que je demande.

Les deux gardiens dressèrent ensemble la liste des objets qui étaient ou qui pouvaient être mis à l'usage de Marie-Thérèse-Charlotte[38], et ils l'adressèrent aux commissaires administrateurs de la police. Mais là s'arrêtait la ligne de leur devoir. Comment prendre sur eux de donner au pouvoir un renseignement qui aurait eu l'air d'un conseil ? Ils ne l'osèrent pas. Gomin chercha un moyen de mettre le ministre sur la voie dans laquelle il n'osait entrer lui-même. Il y avait dans la salle basse de la tour une commode sur laquelle les scellés avaient été apposés à une époque déjà éloignée. Laurent avait dit à son collègue que cette commode contenait des diamants, des bijoux, des chiffons qui avaient appartenu à la famille royale. Gomin avait gardé pour lui cette confidence. Il jugea que le moment était venu de parler de cette commode, espérant que naturellement l'ouverture en serait ordonnée, et que, si le dire de Laurent se réalisait, il viendrait probablement à la pensée du ministre de rendre à Madame les précieux souvenirs qu'elle réclamait.

Voici donc dans quels termes le bon gardien formula ce jour-là le rapport quotidien que son camarade et lui adressaient au ministre de l'intérieur :

Du 10 frimaire an IV (1er décembre 1795).

Au citoyen ministre de l'intérieur.

Sur la demande que nous ont faite les membres de la commission administrative de police, lors de leur visite au Temple, le 8 du présent, nous leur avons fourni aujourd'hui les états des objets qui sont ou qui peuvent être mis à l'usage de Marie-Thérèse-Charlotte.

Il est dans la salle basse de la tour une commode sur laquelle sont apposés des scellés ; nous ignorons ce qu'elle renferme ; nous croyons qu'il est de notre devoir de vous faire connaître ce fait.

Nous n'avons rien autre chose à vous annoncer ; la surveillance est exacte.

Salut et respect.

 

La naïve intrigue de Gomin réussit sur ce point.

Le ministre, par l'entremise des administrateurs de police, demanda des explications[39] ; il apprit d'eux, et sur les rapports des gardiens du Temple, que la commode en question avait été descendue dans la salle basse de la tour le 24 brumaire an II (14 novembre 1793), et que les scellés y avaient été, apposés par les membres de la Commune de service au Temple ce jour-là[40]. Les citoyens Hannocque-Guérin, commissaire administrateur de la police, et Baron, juge de paix de la section du Mail, vinrent au Temple, sur les ordres du ministre, procéder à la levée des scellés et à la vérification des objets que renfermait le meuble[41].

Cette levée de scellés fut connue au dehors et donna lieu à des bruits étranges et ridicules. Pour les apaiser, le citoyen François, inspecteur des domaines nationaux, vint quelques jours après (le 9 frimaire) vérifier les scellés apposés dans l'ancien palais du Temple. Il constata que la commission administrative de police n'avait point empiété sur les attributions de la commission des domaines[42].

Gomin avait obtenu la levée des scellés ; son succès n'alla pas plus loin. L'inventaire, m'a-t-il dit, comprenait plusieurs choses dont la possession eût fait grand plaisir à Madame ; je ne crois pas que M. Benezech ait pu les lui faire remettre. On m'a assuré que sa bienveillante pensée trouvait une vive opposition dans le sein du Directoire, divisé d'opinions et de volontés.

Malgré les entraves qu'il rencontrait, le ministre de l'intérieur n'en poursuivit pas moins son dessein de faire confectionner pour Marie-Thérèse un trousseau digne d'elle. Trouvant aussi de la résistance de ce côté' dans la personne même de la prisonnière, il résolut de se passer de son consentement, et fit demander aux commissaires du Temple le nom et l'adresse des couturières en robes et en linge de la personne confiée à leur garde[43]. Ce n'est pas sans peine que les deux commissaires parvinrent à se procurer ces adresses[44].

La citoyenne Clouet, couturière en linge, rue de Lille, n° 670[45].

La citoyenne Garnier, couturière en robes, boulevard de Babylone, n° 730[46].

Benezech fit venir chez lui ces ouvrières, leur donna lui-même ses instructions, leur recommandant le zèle le plus soigneux et la plus prompte exactitude. Elles n'avaient pas besoin de cette exhortation ; il avait suffi de leur apprendre pour qui elles avaient à travailler.

Cinq jours et cinq nuits furent employés par leurs magasins à confectionner le trousseau destiné par la République à la fille du dernier Roi.

Benezech ne s'en tint pas là : il fit appel à l'amour-propre du Directoire ; il représenta qu'il était de l'honneur du nouveau gouvernement de prouver à l'Europe que non-seulement il ne suivait pas les traces sanglantes du passé, mais qu'il savait allier à la sévère intelligence de ses devoirs les égards dus à l'unique et dernière fille de ceux qui pendant tant de siècles avaient gouverné le pays. Il osa demander de faire traverser la France à la jeune Marie-Thérèse dans une calèche attelée de huit chevaux, et de la laisser accompagner de toutes les personnes qu'elle avait indiquées elle-même pour sa suite.

On comprend l'effet que durent produire la hardiesse et la nouveauté de cette proposition ; cependant, après le premier moment de surprise, l'idée de Benezech fut discutée sérieusement : l'étrangeté même de la mesure intéressait. Les uns voulaient y voir non-seulement un témoignage des sentiments généreux du nouveau pouvoir, mais encore une preuve de l'affermissement incontesté de la République ; les autres, vieux politiques, craignaient que le spectacle d'un dernier reflet de royauté ne ranimât quelque part l'instinct monarchique du peuple, ou ne provoquât l'opposition révolutionnaire, indignée de la réaction gouvernementale. Il y avait, selon eux, imprudence égale à exalter la fibre royaliste et à porter un défi au sentiment républicain ; leur opinion prévalut, mais elle se montra conciliante : le Directoire décida que Madame voyagerait incognito jusqu'à la frontière ; mais il permit qu'on la fit précéder à Basle par une superbe voiture attelée de huit chevaux ; il fut arrêté que ce serait aussi dans cette ville que lui serait remis le riche trousseau ordonné pour elle par le ministre de l'intérieur. La République, comme on le voit, s'humanisait : elle consentait, avec une grâce inaccoutumée, à voir celle qui ne pouvait être que prisonnière sur son territoire, redevenir princesse en touchant le sol étranger : elle mettait une sorte de fatuité à prouver à l'Autriche qu'elle n'avait pas perdu toutes les traditions de savoir-vivre et de courtoisie. Mais d'un autre côté, la République ne voulait pas avoir l'air de favoriser les vues matrimoniales de la politique autrichienne, et elle décida que madame de Tourzel n'accompagnerait pas la jeune Marie-Thérèse.

Benezech informa verbalement la Princesse du nouvel ordre pris pour son départ. Madame ne devait plus emmener qu'une femme avec elle, ce qui était une sorte d'interdiction pour mesdames de Tourzel, car la mère et la fille ne s'étaient jamais séparées, et la présence de l'une aurait fait sentir à Madame l'absence de l'autre.

L'Autriche avait demandé que ces dames accompagnassent Marie-Thérèse. Le baron de Degelmann s'exprimait ainsi dans une note remise, dès le 7 octobre, à M. Bacher :

On comprend qu'une aussi jeune Princesse ne peut se trouver pendant un long voyage sans une compagne qu'elle connaisse déjà, et qui ait sa confiance. L'on conçoit de même que cette compagne doit convenir là où elle se rend. Les vertus de madame de Tourzel, sa conduite généralement estimée, la rendront agréable à la cour de Vienne de préférence à toute autre dame qui n'y serait pas connue. Faciles pour la reddition de plusieurs prisonniers d'État et de ceux qui ont partagé leur détention, nous pouvons espérer qu'on ne le sera pas moins en France sur un choix qui se présente si bien de lui-même, que l'opinion de beaucoup de monde l'a devancé.

 

Ce désir de l'Autriche avait d'abord été accueilli ; nous venons d'indiquer le motif qui le fit rejeter, et l'on verra plus tard comment M. Bacher expliqua ce changement.

Madame s'était persuadé, d'après les bonnes paroles mêmes du ministre, qu'il lui serait possible d'emmener mesdames de Tourzel, de Mackau et de Sérent, et ce n'était pas sans un vif regret qu'elle renonçait à cet espoir. Cette nouvelle, dit-elle à Benezech, m'afflige d'autant plus, que j'avais à faire une autre réclamation analogue, et qui sans doute ne sera pas mieux accueillie : les preuves d'attachement que MM. Hue et Turgy ont données aux miens me font cependant un devoir de vous prier de leur permettre de m'accompagner. — La question a été décidée relativement à ces dames, répondit le ministre, et relativement aux personnes qui monteront dans votre voiture : ces personnes doivent être une de vos dames, l'un des commissaires préposés à votre garde, et un officier de gendarmerie, chargé de faire observer autour de vous le plus grand incognito. Je ne puis rien changer à cette décision ; mais je vous promets que si cela dépend, de moi, MM. Hue et Turgy seront du voyage ou vous suivront de près. Maintenant il nous reste à convenir du choix des trois personnes qui doivent vous accompagner, c'est-à-dire de la dame, du commissaire et de l'officier : je vous prie de les désigner vous-même. — Merci, monsieur, s'écria Madame, mon choix est tout fait : c'est madame de Mackau, c'est Gomin, c'est M. Méchain[47] !

Le ministre fit prévenir immédiatement ces trois personnes. M. Méchain fut flatté ; Gomin fut heureux ; quant à madame de Mackau, elle était au lit, attaquée d'une maladie fort grave et fort dangereuse à son âge. Elle rassembla toutes ses forces pour témoigner à son élève la vivacité de ses regrets, et la supplier d'avoir pour agréable que madame de Soucy, sa fille, eût l'honneur de la remplacer pour l'accompagner. Madame accepta. Madame de Soucy ne calcula ni la fatigue d'une longue route, dans l'état déplorable de santé où les malheurs et le chagrin l'avaient réduite, ni l'éloignement où elle allait être de sa famille, hélas ! et de sa mère mourante, qui avait besoin de ses soins : maison, amis, patrie, elle quittait tout pour Madame ; la pensée qu'elle pouvait lui être utile l'empêchait de mesurer la grandeur du sacrifice ; elle demanda seulement à la Princesse la permission d'emmener un de ses enfants.

Les préparatifs du départ, confiés par M. Benezech à M. Cadet-Devaux, se firent dans le secret qu'exigeait la prudence. La riche voiture destinée à la. Princesse ne fut pas expédiée à Basle : le ministre avait été informé sans doute qu'elle ne serait point acceptée par les commissaires de l'Autriche. Ce fut alors qu'au lieu d'envoyer le trousseau à Basle on songea à en charger M. Hue.

Madame Royale, lui dit le ministre, désire que vous la suiviez à Vienne, ainsi que Turgy[48]. Turgy est malade en ce moment et dans l'impossibilité de partir. Voici pour vous un arrêté en bonne forme, qui vous autorise à accompagner Madame Royale, et même à. rester auprès d'elle, sans que, pour raison de ce voyage, on puisse vous appliquer les lois des émigrés. Je suis heureux de pouvoir faire cela pour vous fit pour Madame Royale. Il n'a pas dépendu de moi que l'heure de sa liberté n'ait sonné plus tôt.

Et comme M. Hue écoutait d'un air étonné les paroles que le ministre de la République proférait avec attendrissement sur le sort de la fille de Louis XVI, qu'il n'appelait que du nom de Madame Royale : Ce nouveau costume, lui dit M. Benezech, n'est que mon masque. Je vais même vous révéler une de rues plus secrètes pensées : la France ne recouvrera sa tranquillité que le jour où elle reprendra son antique gouvernement. Ainsi donc, lorsque vous le- pourrez, sans me compromettre, mettez aux pieds du Roi l'offre de mes services ; assurez Sa Majesté de tout mon zèle à soigner les intérêts de sa couronne.

Enfin le jour de la délivrance approchait. Il restait au ministre de l'intérieur à s'entendre avec Marie-Thérèse et avec ses gardiens relativement à sa sortie. Il leur écrivit de sa main dans la matinée du 25 frimaire (16 décembre) :

Je vous préviens, citoyens, que j'irai voir ce soir, à cinq heures, la prisonnière du Temple ; je vous charge de l'en prévenir ; mais je désire conférer avec vous avant d'entrer dans son logement[49].

 

Toutes les dispositions du départ furent arrêtées dans cette entrevue pour le surlendemain, à onze heures et demie du soir.

Le 26 frimaire, Madame fait elle-même les préparatifs de son voyage. Elle choisit le linge et les vêtements qu'elle veut emporter, en petite quantité, et laisse tout le reste pour être distribué aux employés du Temple. Elle paraît ensuite dans le jardin avec la robe dont elle se pare dans les jours de solennité : elle salue toutes les personnes qui, des fenêtres voisines, lui ont tant de fois montré leurs sympathies.

Le 27 frimaire an IV (18 décembre 1795), à onze heures du soir, Benezech sort de son hôtel, en voiture, donnant l'ordre de le conduire rue Meslay ; là, il met pied à terre, et, seul avec un homme dévoué, il se rend au Temple ; il frappe doucement deux coups à.la porte extérieure. A ce signal convenu, Lasne et le commissaire civil, qui attendaient, entr'ouvrent la porte et reconnaissent le ministre. Celui-ci tire de sa poche un papier qu'il remet à Lasne en lui disant : Voici pour votre responsabilité. C'était l'ampliation de l'arrêté du 6 frimaire — que nous avons donné plus haut —, ampliation qu'il vient de transcrire lui-même avant de quitter son hôtel et qu'il a fait suivre de cette déclaration :

En exécution de l'arrêté du Directoire exécutif dont copie est ci-dessus, le ministre de l'intérieur déclare que les citoyens Gomin et Lasne, commissaires préposés à la garde du Temple, lui ont remis Marie-Thérèse-Charlotte, fille du dernier Roi, jouissant d'une parfaite santé ; laquelle remise a été faite aujourd'hui à onze heures du soir ; déclarant que lesdits commissaires sont bien et dûment décharges de la garde de ladite Marie-Thérèse-Charlotte.

BENEZECH.

Paris, ce 27 frimaire an IV de la République une et indivisible.

 

Lasne s'est hâté de prévenir la Princesse et Gomin, qui attendaient dans la salle du conseil. Les portes de la tour s'ouvrent : Madame dit adieu à madame de Chanterenne. On traverse les cours. Aucune des personnes qui habitent le Temple ne se montre sur le passage de Marie-Thérèse et ne prend congé d'elle. Une sentinelle est sous les armes ; mais elle a le mot d'ordre : le poste reste tranquille et muet ; l'officier seul s'avance et salue. La porte de la rue s'entr'ouvre. La nuit est sombre, les abords du Temple silencieux. M. Benezech offre le bras à la Princesse ; Gomin et le valet de chambre du ministre suivent portant un paquet et un sac de nuit. Marie-Thérèse se retourne et prolonge un triste regard sur le Temple : ses yeux se remplissent de larmes. M. Benezech essaye de lui dire quelques mots d'une bienveillante sympathie. Je suis touchée de vos soins et de vos égards, lui dit la Princesse ; mais, à l'heure même où je vous dois ma liberté, comment ne point penser à ceux qui ont franchi ce seuil avant moi ? Voilà trois ans quatre mois et cinq jours que ces portes se sont fermées sur ma famille et sur moi : j'en sors aujourd'hui la dernière et la plus malheureuse !

On arrive à la rue Meslay, où la voiture du ministre attendait. Madame accepte l'offre d'y monter ; le ministre y prend place, Gomin aussi. Le carrosse fait plusieurs tours, et arrive enfin rue de Bondy, derrière l'Opéra — aujourd'hui le théâtre de la Porte-Saint-Martin —, où stationne la berline de voyage. Cette voiture renferme deux personnes, madame de Soucy et un officier de gendarmerie. Madame remercie cordialement Benezech des sentiments qu'il lui a témoignés, et se place dans la berline ; madame de Soucy s'assied dans le fond auprès d'elle, et, sur le devant, M. Méchain et Gomin. Le ministre remet à celui-ci sa commission[50] ; l'officier avait déjà la sienne[51]. Un dernier mot sort de la berline et s'adresse au ministre : Adieu, monsieur ! La voiture part. Ému et satisfait de la bonne action à laquelle il vient de présider, Benezech remonte dans son carrosse et regarde sa montre : il était minuit.

Depuis qu'il était question du départ prochain de Madame, Meunier et Baron avaient fait des démarches pour accompagner la Princesse, qui désirait aussi les emmener, mais qui craignait de voir naître des obstacles à leur départ de Paris et à leur séjour à l'étranger. M. Benezech avait dit : Je me charge de lever les difficultés du départ, mais je ne puis répondre du bon vouloir de l'Autriche avec laquelle nous sommes en guerre.

A midi et demi, Lasne reçut au Temple, par ordonnance, le billet suivant :

J'attends Baron et Meunier ; envoyez-les sur-le-champ chez moi : tout est prêt pour le départ[52].

Signé : BENEZECH.

 

Une heure après, une berline sortait du ministère de l'intérieur. ; elle contenait M. Hue, le jeune fils de madame de Soucy, Meunier, Baron et une femme de chambre. Coco, le petit chien de Madame, n'était point parti avec sa maîtresse : on avait craint ses aboiements et ses joyeux ébats au moment du départ, au milieu de la nuit, et on l'avait enfermé ; mais il ne fut pas oublié, et trouva place dans cette seconde voiture.

Madame Royale voyageait sous le nom de Sophie. Le plus strict incognito lui avait été recommandé ainsi qu'à sa gouvernante, et l'officier chargé de sa conduite veillait à ce qu'il fût observé. Malgré toutes les précautions, la ressemblance de la jeune Princesse avec le Roi son père et avec la Reine sa mère trahit plus d'une fois son incognito. Bien des regards attendris, bien des yeux humides se rencontrèrent sur son passage, que l'absence des chevaux retarda quelquefois ; car le même Carletti, dont la maladresse avait déjà été préjudiciable à la liberté de Madame, devait encore, involontairement, se retrouver sur son chemin pour entraver sa marche. Parti de Paris quelques heures avant elle, il lui enlevait, sans le savoir, les chevaux, peu nombreux dans certaines localités, et dont elle était obligée d'attendre le retour.

Mais c'est Marie-Thérèse qui va elle-même nous faire la narration de son voyage ; le lecteur trouvera d'abord, à cette page, l'itinéraire tracé de sa main, poste par poste.

Voici maintenant le récit simple à la fois et circonstancié que, le lendemain de son arrivée à Huningue, Madame écrivit de son voyage :

Je suis sortie du Temple le 18 décembre à onze heures et demie du soir, sans être aperçue de personne. A la porte de la rue, j'ai trouvé M. Benezech. La rue du Temple était déserte ; il n'y avait que l'homme attaché à M. Benezech. Il m'a donné le bras, et nous avons été à pied jusqu'à la rue Meslay. Là, nous avons rencontré sa voiture, où je suis montée avec lui et M. Gomin. Nous avons fait plusieurs tours dans les rues, et enfin nous sommes arrivés sur les boulevards, devant l'Opéra, où nous trouvâmes la voiture de poste avec madame de Soucy et M. Méchain, officier de gendarmerie. J'y suis montée avec M. Gomin. M. Benezech nous a laissés. Aux portes de Paris on nous a demande nos passe-ports. A Cbarenton. la première poste, on n'a pas voulu d'assignats, les postillons ont voulu absolument être payés en argent. Il n'est rien arrivé le reste de la nuit. A neuf heures du matin nous sommes descendus à Guignes pour déjeuner. On ne m'a pas reconnue, et nous sommes repartis à dix heures. Nous eûmes des chevaux assez facilement. Sur les deux heures, j'ai été reconnue à la poste de Provins. Il y a eu du monde qui s'est assemblé près de la voiture. Nous sommes partis. Mais un officier de dragons nous a suivis à cheval à Nogent-sur-Seine, la poste d'après. J'ai été reconnue par la femme d'auberge ; nous étions descendus, elle me traita avec beaucoup de respect. La cour et la rue se remplirent de monde ; nous remontâmes en voiture ; on s'attendrit en me voyant, et on me donna mille bénédictions. Nous allâmes de là à Gray, où la maîtresse nous dit que le courrier de l'ambassadeur, M. Carletti, lui avait dit que je devais passer par là, et que j'avais deux voitures. Nous arrivâmes à Gray à onze heures ; nous y soupâmes et nous y couchâmes. Nous en partîmes le lendemain 20 décembre à six heures du matin. A la poste d'après Troyes, nous eûmes de la difficulté à avoir des chevaux à cause de M. Carletti, qui les avait tous pris. Toute la journée ce fut de même : M. Carletti nous devançait et avait tous les chevaux. Enfin le soir nous arrivâmes à Vandœuvre à huit heures du soir, où il était. M. Méchain alla trouver la municipalité et montra l'ordre du gouvernement qui l'autorisait à prendre des chevaux. Nous soupâmes et nous partîmes à onze heures du soir. Nous eûmes assez facilement des chevaux durant la nuit. A neuf heures du matin, le 21, nous arrivâmes à Chaumont, où nous descendîmes pour déjeuner. On me reconnut, et la chambre fut bientôt environnée d'une grande quantité de monde qui voulait me voir, mais avec bonne intention. M. Méchain fit venir la gendarmerie, qui n'y fit rien ; la municipalité, étant venue, assura que nous pouvions partir, et calma le tumulte. Cependant, jusqu'à la voiture, je fus entourée d'une grande quantité de monde qui me donna mille bénédictions. Nous repartîmes ; nous arrivâmes à onze heures du soir à Fay-Billot, souvent retardés par le manque de chevaux et les mauvais chemins. Nous n'en trouvâmes point à cette poste, et nous fûmes obligés d'y rester jusqu'à six heures du matin. Nous en partîmes et arrivâmes le soir à Vesoul, à huit heures du soir n'ayant pu faire que dix lieues dans la journée, faute de chevaux. De-là, nous allâmes à Ronchamp, à quatre heures du soir, où nous ne trouvâmes point de chevaux ; nous y fûmes arrêtés deux heures. A Frahier, poste d'après, pas plus de chevaux ; enfin il en vint au bout de deux heures. Nous arrivâmes le soir à onze heures à Béfort. Nous en repartîmes le lendemain, 24 décembre, à six heures du matin. Nous éprouvâmes encore beaucoup de difficultés dans le chemin. Enfin nous arrivâmes à Huningue à la nuit tombante, le 24 décembre.

 

Depuis longtemps tout était prêt à Basie pour la conclusion de l'échange, et, dans une récente conférence, des deux diplomates chargés de cette affaire en avaient arrêté les dernières dispositions, de concert avec M. le bourguemaître Bourcard, et de façon à enlever à cette mesure tout appareil blessant ou douloureux pour la dignité ou pour le cœur de Madame. M. Reber, négociant distingué de Basle, avait accueilli avec empressement la demande qui lui avait été faite en secret de sa maison de campagne, située à une petite distance de la porte Saint-Jean. Ce lieu convenable, sur le territoire neutre et sur la route même de Huningue, était choisi pour la remise de la Princesse, et toutes les précautions étaient prises pour écarter les regards importuns[53]. Il avait été également arrêté qu'aussitôt la nouvelle reçue de l'arrivée de Madame à Huningue, les prisonniers de l'Autriche seraient amenés de Fribourg au village de Riehen, chef-lieu d'un bailliage du même nom, appartenant à la République de Basle, sur la rive droite du Rhin.

Le prince de Gavre, commissaire de l'Empereur d'Autriche, était arrivé à Basle le 20 novembre, et, comme M. Bacher et le baron de Degelmann, il ne cessait d'avoir l'oreille ouverte du côté de la France.

Enfin, dans la matinée du vendredi 25 décembre, aussitôt que les portes de la ville furent ouvertes, ils furent prévenus de l’arrivée de Madame à Huningue[54].

M. de Degelmann envoya aussitôt l'ordre à Fribourg de transporter les prisonniers de l'Autriche à Riehen.

A six heures du soir, MM. Bacher, da. Degelmann et Legrand, baillif de Riehen, étaient réunis dans le cabinet du bourguemaître en régence. Ils discutèrent ensemble les mesures à prendre pour prévenir toute espèce d'accidents et de malentendus[55].

Dans la journée du lendemain, M. Bacher se rendit à Riehen pour constater l'arrivée, le nombre et l'identité des prisonniers que l'Autriche devait rendre à la France. Descendus devant la maison baillivale, au nombre de vingt et une personnes, y compris les domestiques, ils furent remis par le commandant de l'escorte autrichienne entre les mains de M. Legrand, conseiller d'Etat et baillif du lieu, autorisé à les recevoir sous la sauvegarde de la neutralité, helvétique. Ce magistrat en fit l'appel nominal en présence de M. Bacher, qui, s'étant assuré de l'identité de leurs personnes, repartit en toute hâte.

 

Revenons à Huningue.

 

Madame était descendue à l'auberge du Corbeau, et s'était installée, au second étage dans l'appartement n° 10, moins fatiguée par six jours de voyage que touchée des hommages silencieux d'attendrissement et de respect qu'elle avait rencontrés sur sa route. Un instant après son arrivée, elle écrivit à son oncle Louis XVIII, pour lui rendre compte de sa sortie du Temple et de son arrivée aux frontières.

Vers dix heures du soir, comme elle terminait sa lettre, M. Hue arriva. C'était la première fois qu'elle le revoyait depuis le 2 septembre 1792 : quand M. Hue avait quitté le Temple, Marie-Thérèse avait encore toute sa famille. Elle lui fit le plus cordial accueil, lui témoignant moins encore le plaisir de le revoir, que l'estime et la reconnaissance que son caractère et sa conduite lui avaient inspirées. Le petit chien Coco était entré dans la chambre de Madame avec M. Hue ; peu s'en fallut, quand il revit sa maîtresse, qu'il ne mourût de joie comme le chien d'Ulysse.

Marie-Thérèse chargea le bon serviteur de sa famille de faire parvenir sa lettre à Louis XVIII.

M. Hue rapporte que ce ne fut pas la seule fois qu'il reçut pareille commission, et que, dans une de ces occasions, Madame, pour lui donner une preuve de sa confiance, l'avait invité à lire la lettre dont elle le chargeait. Fidèle aux traditions ineffables de clémence et d'amour qu'elle avait reçues dé toute sa famille, la jeune Princesse disait dans cette lettre à son oncle, en lui parlant des meurtriers de ses parents : C'est celle dont ils ont fait mourir le père, la mère et la tante, qui, à genoux, vous demande et leur grâce et la paix !

On n'ignorait pas à l'hôtel du Corbeau quelle était la jeune voyageuse qui venait y loger sous le nom de Sophie. Le propriétaire de cette auberge, François-Joseph Schuldz, mit tout en œuvre pour la bien recevoir ; et sa femme, malgré un état de grossesse avancée qui paralysait quelque peu son activité, attachait un grand honneur à préparer elle-même le souper de Madame Royale, lorsque Meunier arriva et revendiqua les privilèges de sa charge.

Le 25 décembre, dans la matinée, dès qu'elle sut que Madame était levée, l'hôtelière monta à sa porte pour s'informer de ses nouvelles. Elle était accompagnée de deux beaux enfants de neuf à dix ans, bien proprement vêtus, et portant chacun un petit bouquet ramassé à grand'peine dans cette arrière-saison. Madame ayant témoigné le désir de les recevoir, madame de Soucy les fit entrer. Ce sont vos enfants ? dit la Princesse en s'adressant à madame Schuldz. — La petite fille[56] est à moi, répondit l'hôtesse ; le petit garçon est un orphelin, pupille de mon mari et élevé par nous 2[57] : il nous appartient donc aussi. S'étant arrêtés sur le jeune orphelin, les yeux de Marie-Thérèse se remplirent de larmes. Frappée de la ressemblance de cet enfant avec son frère, elle n'avait pu cacher son émotion. Elle chercha une diversion à son trouble, s'approcha de la petite fille, lui prit la main et la questionna. Ravie de ses réponses naïves : Que diriez-vous, dit-elle à madame Schuldz, si je vous priais de me laisser emmener cette enfant ?Hier au soir et ce matin, répondit l'hôtesse, j'ai prié Dieu d'accomplir tous vos vœux : aurais-je la force de résister à celui-ci, si vous le formiez ?Je ne dois pas le former, repartit la Princesse ; il est trop cruel d'être séparée de ses parents ! L'effort que Madame venait de tenter pour échapper à ses souvenirs l'y ramenait encore malgré elle. Prenant alors les fleurs de la main des deux enfants : Je vous remercie, leur dit-elle, je vous verrai encore avant mon départ ; vous viendrez me dire adieu, n'est-ce pas ?

Dans la journée, M. Méchain reçut une lettre de M. Bacher qui le priait d'informer Marie-Thérèse-Charlotte que le lendemain entre quatre et cinq heures il viendrait la prendre pour la conduire auprès du prince de Gavre et du baron de Degelmann, chargés de la recevoir au nom de Sa Majesté Impériale. M. Méchain répondit qu'il venait de communiquer cet avis à Marie-Thérèse-Charlotte, et qu'elle était prête à s'y conformer. A ce billet, Gomin en joignit un autre ; c'était la prière de faire-prendre à la poste de Basle les lettres à son adresse. La Princesse et madame de Soucy espéraient recevoir presque chaque jour des nouvelles de madame de Mackau, qu'elles avaient laissée fort souffrante, et il avait été convenu que ces lettres porteraient l'adresse du citoyen Gomin. M. Bacher rendit avec empressement le service qu'on lui demandait[58].

L'arrivée des deux voitures de poste dans cette petite ville de Huningue était, déjà depuis le matin, l'entretien des nouvellistes de l'endroit. Le bruit de l'arrivée de Madame se répandit si promptement, que l'hôtel du Corbeau fut, pendant tout le jour, environné de monde. L'ordre fut donné de tenir la porte fermée ; la Princesse fut invitée à ne pas ouvrir les fenêtres. Dans la journée elle écrivit à madame de Tourzel, fit avec ses crayons le dessin de sa chambre, et avec sa plume le récit de son voyage, que nous avons rapporté. Cependant plus d'une fois elle alla à la fenêtre, et en souleva légèrement les rideaux. La consigne imposée pour la sécurité de l'hôtel était nécessaire : parmi le peuple, généralement sympathique, circulaient quelques malveillants. Deux gendarmes suffirent pour interdire l'entrée de la maison. Une femme, toutefois, trompa leur surveillance : madame Spindler, femme d'un capitaine du génie, afin de voir la Princesse, prit l'accoutrement d'une servante, et monta une crache d'eau dans sa chambre.

Gomin, en prodiguant ses soins à Madame, était navré de cette pensée qu'il la servait pour la dernière fois. L'émotion qu'il avait au cœur.se manifestait trop sur son visage pour que Madame ne l'aperçût pas. Je vous remercie, lui dit-elle, de toute la peine que vous vous êtes donnée pour moi dans ce voyage. — Hélas ! Madame, répondit Gomin en pleurant, le voilà fini !Je vous en laisserai un souvenir, lui dit la Princesse avec une profonde sensibilité, et j'en conserverai un éternellement.

Ce mot de Madame se trouva expliqué le lendemain.

Les habitants de Huningue étaient de bonne heure dans la rue : on croyait dans la ville que Madame devait partir dans la matinée. Cette erreur alimenta pendant de longues heures la curiosité des spectateurs, qui finit pourtant par se lasser : dans le milieu-de la journée les abords de l'hôtel demeurèrent assez libres.

A quatre heures et demie du soir, l'arrivée de la voiture de l'ambassadeur de la République française ramena la foule devant l'hôtel du Corbeau ; de cette voiture descendit M. Bacher, qui comme nous l'avons indiqué, revenait de Riehen.

Le peuple racontait que le carrosse et les chevaux envoyés par le Directoire[59] pour conduire Madame à la cour de Vienne n'avaient point été acceptés par les commissaires de l'Empereur, qui avait tenu à honneur de pourvoir dignement au voyage de sa cousine. Le bon sens populaire comprenait cet acte de convenance, et quelques instants plus tard on ne fut pas étonne d'apprendre que la fille de Louis XVI avait de même refusé le trousseau que le gouvernement révolutionnaire lui avait fait préparer.

Le moment du départ de Huningue fut marqué par quelques scènes touchantes. Les deux enfants dont nous avons parle étaient venus prendre congé de Madame. L'hôtesse, qui les accompagnait, avait peine à cacher son attendrissement. La Princesse lui fit cadeau d'un fichu qu'elle avait porté ; elle donna un autre fichu à la petite Marie, et deux mouchoirs au jeune Conrad. La mère Schuldz se mit alors à fondre en larmes.. Allons, bonne mère, ne pleurez pas ainsi, lui dit Marie-Thérèse ; ménagez-vous, c'est un devoir. Quand vous serez calme, je vous demanderai quelque chose.. L'espoir de rendre un service à Madame apaisa par enchantement la bonne hôtelière ; mais ses larmes coulèrent de nouveau quand Madame lui dit : Si vous avez encore une fille, je vous demande qu'elle porte mon nom[60].

Madame Schuldz et les deux enfants se retiraient de l'appartement de Madame lorsque M. Bacher arriva. L'attitude et les paroles du diplomate républicain furent pleines de convenance et de respect. Madame lui présenta les personnes qui l'avaient accompagnée et qui désiraient la suivre jusqu'à Vienne. Mon pouvoir, malheureusement, est nul à cet égard, répondit M. Bacher ; les commissaires de la cour impériale ne mettront certainement pas d'obstacle à vos désirs ; mais j'ignore si toutes les personnes que vous emmènerez seront autorisées à rester à Vienne. Quant à madame, ajouta-t-il en regardant madame de Soucy, il est évident que les difficultés ne s'élèveront point pour elle. On verra plus tard que M. Bacher se trompait.

En ce moment le maître de l'hôtellerie, qui venait d'apprendre le bonheur de sa femme, entra dans la chambre,' et, sans s'intimider de la présence du secrétaire de l'ambassade, de l'officier de gendarmerie et de toutes les personnes qui entouraient la Princesse, il se jeta à ses pieds en lui demandant sa bénédiction. Madame lui donna sa main à baiser. Les yeux de cet homme rayonnaient d'enthousiasme ; la fille de Louis XVI, avec ses dix-sept ans, était déjà par lui regardée comme une sainte : sa jeunesse, éprouvée par de si rudes souffrances, était devenue vénérable, et le martyre de ses parents semblait lui avoir mis une auréole sur la tête.

Alors apercevant Gomin qui, avec sa réserve habituelle, se tenait à distance, Madame alla vers lui, et tirant d'un petit portefeuille un papier plié en quatre, elle le lui remit : Je ne sais, lui dit-elle, si à Basle je pourrai vous parler encore, et je veux à présent acquitter ma promesse. Adieu, ne pleurez pas, et ayez toujours confiance en Dieu !

Tout est prêt. On descend. M. Méchain précède la Princesse, et donne quelques ordres aux gendarmes au pied de l'escalier ; M. Bacher marche auprès de Madame, et derrière elle madame de Soucy et son fils, MM. Hue et Gomin, suivis de Meunier, de Baron et d'une femme de chambre. Madame Schuldz et les autres personnes de l'hôtel essayent d'obtenir un dernier regard de la fille de Louis XVI. Arrivée à la voiture qui va lui faire franchir la frontière, Madame se retourne : l'amour du pays, si intimement mêlé dans son cœur au sentiment de la gloire et de la grandeur de sa famille, domine le souvenir de toutes ses infortunes, et ses yeux se remplissent de larmes. Je quitte la France avec regret, dit-elle à ceux qui l'entourent ; je ne cesserai jamais de la regarder comme ma patrie.

Ces paroles furent entendues de M. Bacher, car ce jour-là même il écrivait dans ses dépêches à son gouvernement :

Je viens de voir la fille du dernier Roi des Français ; elle manifeste le plus vif regret de se voir au moment de quitter la France ; les honneurs qui l'attendent à la cour d’Autriche la touchent bien moins que le regret de la patrie.

 

Dans une autre lettre adressée au ministre des relations extérieures, à la date du 7 nivôse an IV (28 décembre 1795), il disait : La voyageuse a demandé à la citoyenne Soucy quel était le sort qui l'attendait à Vienne. La citoyenne Soucy a répondu qu'elle épouserait peut-être un archiduc. Elle lui répondit avec ingénuité : Vous n'y pensez pas ; ne savez-vous donc pas que nous sommes en guerre ? La citoyenne Soucy répondit : Mais vous seriez peut-être un ange de paix. — A cette condition-là, répliqua-t-elle, je ferais ce sacrifice à ma patrie.

Madame, madame de Soucy, MM. Bacher et Méchain montent dans la première voiture, les autres personnes se placent dans la seconde. On part, la Princesse promène un long regard plein de tristesse sur l'horizon qui se déploie devant elle. L'heure est arrivée où doit se faire cet échange devenu le prix de sa liberté.

Il avait été résolu qu'on lui en épargnerait du moins le douloureux spectacle.

A cinq heures du soir — une heure après M. Bacher —, le prince de Gavre, avec six voitures, sortait de Basle par la porte Saint-Paul, pour se rendre à la campagne de M. Reber. La porte, déjà fermée depuis une heure, lui fut ouverte. En même temps le baron de Degelmann sortait par La porte Saint-Jean. Lé. commissaire de police Zaslin et cinq hommes de la maréchaussée s'étaient rendus ensemble sur les lieux indiqués pour empêcher tout désordre, ainsi que l'aide-major Kolb, qui devait accompagner à cheval le carrosse de la Princesse jusqu'à la frontière. On avait d'ailleurs pris la précaution, pour éviter la foule, de fermer les portes une demi-heure plus tôt que de coutume, de sorte qu'il se trouvait à peine sur la route de Huningue une vingtaine de spectateurs qui avaient trouvé le moyen de sortir à temps de la ville.

A l'exception des gens initiés forcément à la confidence, personne ne savait le lieu de la remise ; M. Reber l'avait laissé ignorer à toute sa famille. Malgré cela, M. Stehelin, un de ses gendres, ne put s'empêcher de courir à la campagne de son beau-père lorsqu'il devina que l'échange devait y avoir lieu. Il se fit introduire et fut un des spectateurs.

Depuis une demi-heure environ, les représentants de l'Autriche occupaient la maison de M. Reber, lorsque la voiture de Marie-Thérèse s'arrêta devant la grille : quoique la porte fût ouverte, les chevaux n'y entrèrent point ; la Princesse traversa à pied l'allée humide[61], donnant le bras à M. Bacher. Les envoyés autrichiens, qui l'attendaient au seuil de la maison, l'introduisirent dans le salon. : le prince de Gavre lui Adressa un compliment relatif aux circonstances, auquel elle répondit avec autant de grâce que de présence d'esprit.

Immédiatement après fut donné à M. Bacher un récépissé formulé en ces termes :

Je soussigné, en vertu des ordres de S. M. l'Empereur, déclare avoir reçu de M. Bacher, commissaire français, délégué à cet effet, la Princesse Marie-Thérèse, fille de Louis XVI.

LE PRINCE DE GAVRE.

 

Muni de cet acte, M. Bacher remonta en voiture, entra en ville par la porte Saint-Jean, qui lui fut Ouverte, et se rendit en toute hâte à Riehen pour y délivrer les prisonniers détenus encore chez le baillif.

Une collation attendait Madame à la campagne de M. Reber : une table élégamment servie était préparée dans le salon. La Princesse ne prit qu'un-verre d'eau rougie ; mais, soit prévoyance d'une assez longue nuit à passer en route, soit crainte de désobliger par un refus absolu de toute chose, elle fit empaqueter un pain blanc, qui fut mis dans la voiture.

La chambre qui fait suite au salon, à gauche, avait été réservée pour le service particulier de Madame. Elle y entra pour s'y faire essuyer les pieds. M. Hue demanda la permission de lui parler : J'ai été chargé, lui dit-il, par le ministre de l'intérieur, de remettre à Madame, sur le territoire neutre de Basle, deux malles contenant un trousseau destiné à Son Altesse Royale. Madame veut-elle que je les ouvre ?Non, répondit la Princesse ; remettez-les à mes conducteurs (MM. Méchain et Gomin), en les priant de remercier de ma part M. Benezech : je suis touchée de son attention, mais je ne puis accepter ses offres.

M. Hue exécuta cet ordre à l'instant même[62].

Madame, rentrant au salon, se mit à la disposition du prince de Gavre, salua M. le baron de Degelmann, dit adieu à M. Méchain et à Gomin, et monta avec madame de Soucy el M. de Gavre dans un carrosse impérial attelé de six chevaux.

Il était environ sept heures. Le temps était froid et beau. La lune brillait de tout son éclat. Le cortège ne devait point d'abord traverser la ville, mais longer les murs en dehors passer le Birsig, le pont de la Birse, et prendre par Augst et Rheinfeld ; mais les pluies continuelles avaient tellement gonfle le Birsig, que, d'après l'avis de M. de Neumann[63], on renonça à ce projet.

La porte de Saint-Jean s'ouvrit, et le carrosse impérial entra dans la ville, suivi de cinq autres carrosses à six et à quatre chevaux. Dans les rues les curieux se tinrent assez à l'écart ; mais au pont du Rhin la foule commença à grossir et à s'approcher Quelques indiscrets s'attachaient aux roues, d'autres dirigeaient leurs lanternes de façon à éclairer l'intérieur des - voitures ; mais ce n'étaient là que des exceptions : le trajet ne fut entravé nulle part. L'aide-major Kolb était à cheval à la portière de la Princesse. Un commissaire de police se tenait à deux pas. Conformément à la requête de M. Bacher, on faisait des patrouilles devant le petit Basle et sur la route de Riehen

Parmi les curieux qui entouraient la voiture figurait M. Fesch, archidiacre d'Ajaccio, réfugié. à Basle depuis la terreur Il avait laissé à Marseille, dans une position gênée, la famille de sa sœur, madame Laetitia Bonaparte, et était venu chercher pour lui-même quelques ressources dans une ville dont sa propre famille était originaire, et ou il comptait encore des amis.

Ces amis et lui se réunissaient habituellement dans la librairie occupant le rez-de-chaussée de la maison qui fait, en face de l'hôtel de la Cigogne, l'encoignure du Firmark et de Storchegasse. Mais, ce soir-là, l'oncle du jeune général Bonaparte avait quitté ses compagnons de lecture et de philosophie ; il était allé sur le pont du Rhin pour voir passer le dernier reflet de la dynastie bourbonienne, ne se doutant guère assurément qu'il appartenait lui-même à la dynastie qui allait venir.

A la sortie de la ville, Kolb se mit à la tête d'un détachement de troupes suisses, commandé pour servir d'escorte à Madame jusqu'aux frontières ; S. A. R. alla coucher à Laufenbourg, l'une des quatre villes forestières[64] de l'Autriche antérieure, à sept lieues de Basle, où l'attendait la suite que l'Empereur lui avait destinée.

Le lendemain matin, pour la première fois depuis le mois d'août 1792, elle entrait dans une église ; pour la première fois elle assistait à la sainte messe célébrée en mémoire de ses parents, et c'était sur la terre étrangère !

 

Il était sept heures un quart lorsque M. Bacher, muni d'une décharge qui certifiait la remise de la Princesse aux commissaires autrichiens, revint à Riehen. Il présenta cet acte au baillif, qui s'empressa de déclarer aux prisonniers français qu'ils étaient entièrement libres. Les cris de Vive la République ! se firent entendre. Les voix de Camus et de Drouet dominaient toutes les autres.

Tous se rendirent ce même soir à Basle, où ils arrivèrent à neuf heures. Un détachement de dragons suisses, qui avait accompagné M. Bacher à Riehen, leur servit d'escorte jusqu'à l'entrée de la ville. Les officiers autrichiens qui les avaient amenés de Fribourg les suivirent volontairement jusqu'à Basle ; ils descendirent avec eux à l'hôtel des Trois-Rois, et ne craignirent pas de se joindre au souper joyeux par lequel ils célébrèrent l'heure de leur liberté.

A dix heures, le ministre de Sa Majesté Impériale et Royale déposait entre les mains de M. le bourguemaître en régence les effets des prisonniers d'État[65] ; à onze heures, M. Bacher en faisait l'inventaire[66]. A deux heures de la nuit, M. le baron de Degelmann partait pour Laufenbourg[67].

C'est ainsi que se termina cette journée mémorable, consacrée par un acte politique dont l'histoire conservera le souvenir comme une nouvelle preuve de l'instabilité des choses humaines.

Le nom de Marie-Thérèse-Charlotte fut pendant quelque temps, à Basle, l'objet de tous les entretiens. On adressait des félicitations aux négociateurs, des vers au prince de Gavre ; les arts s'associaient à ces sentiments : un portrait de la Princesse parut[68], publié par Ch. de Méchel, graveur distingué. L'événement qui venait de s'accomplir intéressait tous les cœurs. La République de Basle en marqua elle-même la date dans ses annales, et prit, par l'organe de ses mandataires, la décision suivante :

Arrêté du petit Conseil de la République de Basle du 30 décembre 1795.

Ouï le rapport fait de l'échange opéré samedi dernier de la Princesse française, fille du très-béni (hochselig) roi Louis XVI, contre les députés et ministres français détenus en Autriche, le Conseil a décrété : Il Les remercîments les plus obligeants de Nos Seigneuries à Son Excellence le bourguemaitre en régence Bourcard, des nombreux soins et prudentes mesures qu'il a pris à cette occasion ; de même à M. le baillif Legrand, le remercîment et l'agrément de LL. SS., pour ses peines et services.

 

Cependant la cour d'Autriche, qui déjà ne pouvait s'expliquer les obstacles apportés à la solution d'une affaire qu'elle avait hâtée non-seulement de ses vœux, mais de l'accomplissement empressé de tous ses engagements, apprit avec un déplaisir marqué que mesdames de Tourzel n'accompagnaient pas la jeune Marie-Thérèse[69].

L'Empereur, qui n'avait point renoncé au désir de faire épouser à la fille de Marie-Antoinette son cousin l'archiduc Charles, crut voir une opposition à cette idée dans le choix qui avait été fait de madame de Soucy ; sa défiance s'accrut au contact de quelques esprits ombrageux de sa cour, et le renvoi de madame de Soucy fut décidé.

Après s'être arrêtée deux jours au château de l’archiduchesse Elisabeth, sa tante, à Insprück, Madame Royale arriva à - Vienne le 9 janvier. L'Empereur la reçut avec un empressement affectueux : il lui forma une maison semblable à celle des archiduchesses. Le prince de Gavre fut nommé grand maître de cette maison, et madame la comtesse.de Chanclot grande maîtresse. Séparée ainsi de son auguste élève, madame de Soucy apprit bientôt que les raisons politiques qui tenaient à l'état de guerre des deux nations ne permettaient à aucun Français de rester au service de Madame.

Ce prétexte cachait une disgrâce que madame -de Soucy ressentit avec une vive douleur. Elle demanda une audience particulière à l'Empereur. Ma cousine est fort affectionnée à madame votre mère, lui dit Sa Majesté ; elle ne m'a pas laissé non plus ignorer votre dévouement à sa personne. Je suis fâché, madame, de me voir forcé de vous séparer de ma cousine ; mais la position de guerre entre les deux nations nécessite cette mesure. Apercevant alors un papier à la main de madame de Soucy : Ce papier est-il pour moi, madame ?Non Sire, c'est ma lettre d'adieu à Madame, répondit en pleurant madame de Soucy. — Confiez-la-moi, madame ; je vais la remettre moi-même à ma cousine.

Avec la sévérité de l'étiquette allemande, cette lettre passa cependant par les mains de madame de Chanclot. Madame, fort chagrine elle-même d'être séparée de sa gouvernante, lui fit remettre cette réponse, écrite en entier de sa main :

J'ai reçu votre lettre, madame, par madame de Chanclot ; j'en suis très-touchée. Je parlerai de vous à l'Empereur ; il est bon ; mais vous savez que je vous ai toujours dit, pendant notre route, que je craignais que la position de guerre entre les deux nations nous séparât. Cela est arrivé ainsi pour les autres Français. Je vous prie de consoler M. Hue, ce fidèle serviteur de mon père ; je suis sûre que l'Empereur ne l'abandonnera pas. Je suis sûre aussi de votre courage. Faites un heureux voyage ; je ferai des vœux pour vous. Dites mille choses de ma part à votre mère. Je vous remercie du sacrifice que vous- avez fait de" quitter votre famille et votre patrie pour me suivre, je ne l'oublierai jamais. Adieu ; comptez toujours sur l'affection de

MARIE-THÉRÈSE-CHARLOTTE.

 

L'Empereur permit à M. Hue de rester à Vienne. Pour Met au renvoi de madame de Soucy l'idée blessante d'une exclusion personnelle, il avait décidé que tous les autres Français venus avec la Princesse seraient compris dans la même mesure. En conséquence de ces dispositions, le cuisinier Meunier et le garçon servant Marin Baron furent expédiés par la voie de la diligence le 20 janvier. La marquise de Soucy, de son côté, se mit en route avec son fils et sa femme de chambre, le 23 du même mois, et il fut pourvu à ce qui pouvait convenir à la commodité de son voyage[70]. Comme Meunier et Baron, elle revint par Basle. Son retour inattendu et son séjour dans cette ville donnèrent lieu à quelques bruits malveillants[71]. Enfin, après avoir accompli un devoir qui lui avait attiré plus d'une calomnie, elle arriva à temps à Paris pour avoir la douloureuse consolation de fermer les yeux à sa mère.

Peu de jours après son arrivée, madame de Soucy fut mise en arrestation pendant quelques mois. Venue de Paris, elle avait paru suspecte à Vienne ; venue de Vienne, elle fut suspecte à Paris. Son cœur ne changea point. Le dévouement ne serait pas le dévouement, s'il ne pouvait compromettre qu'une fois.

Le plus bel éloge de la marquise de Soucy, c'est sans doute l'amitié dont l'honorèrent Madame Élisabeth et la Reine Marie-Clotilde, ces saintes sœurs des rois Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.

Quand Madame fut partie, rapporte madame de Tourzel, on me conseilla de faire des démarches pour obtenir le jugement du jury d'accusation, et de m'adresser au ministre de l'intérieur. Je saisis avec empressement cette occasion d'apprendre de M. Benezech quelques détails sur le départ de Madame, et j'allai chez lui avec Pauline. Il nous parla de cette princesse avec le plus profond respect, et en homme touché de ses malheurs, et du courage avec lequel elle les supportait. Il était étonné de l'attachement qu'elle conservait pour la France, et de l'impression de douleur qu'elle éprouvait en la quittant ; il était encore attendri en parlant de la sensibilité avec laquelle elle remerciait les personnes qui l'avaient soignée au Temple, et de cette indulgente bonté qui n'avait conservé aucun ressentiment de tout ce qu'elle avait souffert pendant sa captivité. Elle lui laissa le sentiment d'une profonde estime ; et comment s'en défendre quand on voyait une princesse aussi jeune capable d'aussi grands efforts sur elle-même ? Elle les avait puisés dans des principes qui fortifièrent le grand caractère que le ciel lui avait donné en partage.

 

La France venait de rendre à l'Autriche tout ce qui restait du sang de cette Marie-Antoinette, la plus brillante de ses archiduchesses. L'Autriche donna à Madame la position la plus heureuse, dans la cour la plus puissante, auprès du prince le plus distingué ; mais, tout en se montrant sensible aux attentions de la famille impériale, la jeune Princesse ne dissimula point qu'il y avait pour elle quelque chose au-dessus des offres gracieuses qui lui étaient faites : elle avait un cousin, proscrit comme elle, et n'ayant sur la terre étrangère qu'un asile qui pouvait lui être ôté le lendemain ; elle avait une famille sur laquelle semblait peser la fatalité des Stuarts : sa sympathie pour le malheur, aussi bien que sa soumission filiale, avaient décidé des sentiments de son cœur. Son inclination la portait déjà du côté où il y avait des chagrins à partager et des larmes à essuyer ; aussi les. attraits de la prospérité ne la retinrent pas longtemps à Vienne : elle demanda sa part d'un exil qui devait durer longtemps, et recommencer pour ne plus finir.

L'Empereur avait trop présumé des soins qu'il avait pris lui-même pour amener le mariage qu'il désirait. Le renvoi de madame de Soucy avait été un acte de sévérité inutile : le pouvoir se trompe souvent quand il emploie envers les âmes élevées et les caractères forts les combinaisons de l'habileté politique ; il réussit presque toujours quand il consent à être tout simplement bienveillant et généreux.

Quelques cadeaux de l'Empereur couronnèrent la négociation de Basle[72]. Les actes de munificence furent reçus avec une vive reconnaissance, et attirèrent au donateur, aussi bien qu'aux donataires, plus de félicitations, de vœux et d'hommages, que ne leur en eussent acquis les résultats de la plus habile politique.

 

Les lettres les plus courtoises s'échangèrent à ce sujet. Les journaux publièrent les récompenses ; ils en révélèrent la valeur matérielle, ils divulguèrent les noms de ceux qui les avaient obtenues ; et, procédant déjà par insinuation, ils indiquaient les noms de ceux qui semblaient devoir en obtenir[73].

Mais il y eut un présent qui échappa aux regards profanes de la presse et du monde : c'est celui que Gomin avait reçu de Madame au moment de quitter Huningue. Ce présent-là ne consistait ni en or ni en diamants, mais il était au-dessus de tous les autres, il venait du cœur et il allait au cœur. Aussi personne n'en parla jamais. C'était un papier plié en quatre, qui contenait sur ses deux premières pages la narration du voyage de Paris à Huningue, que nous avons rapporté plus haut. Quelques lignes, adressées personnellement à Gomin, se trouvaient sur la troisième page. Ce témoignage d'une si haute et si sainte affection, le bon serviteur ne l'avait pas divulgué : il l'avait gardé comme un trésor sacré, qu'il ouvrait en secret d'un doigt pieux, et qu'il contemplait d'un œil humide. Ce papier ne l'a jamais quitté : plié comme il l'avait reçu, toute sa vie il le porta sur son cœur. C'est à cette place qu'on le trouva, le 17 janvier 1841, quand ce noble cœur cessa de battre. Il contenait ces lignes :

Ce voyage, malgré mon chagrin, m'a paru agréable par la présence d'un être sensible, dont la bonté dés longtemps m'était connue, mai s qui en a fait les dernières preuves en ce voyage, par la manière dont il s'est comporté à mon égard, par sa manière active de me servir, quoique assurément il ne dût pas y être accoutumé. On ne peut l'attribuer qu'à son zèle. JI y a longtemps que je le connais, cette dernière preuve ne m'était pas nécessaire pour qu'il eût toute mon estime ; mais il l'a encore davantage depuis ces derniers moments. Je ne peux dire davantage, mon cœur sent fortement tout ce qu'il doit sentir ; mais je n'ai pas de parole pour l'exprimer. Je finis cependant par le conjurer de ne pas trop s'affliger, d'avoir du courage ; je ne lui demande pas de penser à moi, je suis sûre qu'il le fera, et je lui réponds d'en faire autant de mon côté.

 

Ces dernières paroles de la fille de Louis XVI à Gomin sont en même temps ses adieux au Temple, cette demeure à la fois cruelle et chère, qui lui rappelait tout ce qu'elle avait souffert, tout ce qu'elle avait perdu, et, en même temps que la dureté et l'inhumanité des uns, le dévouement ou le touchant intérêt des autres.

 

Ici l'histoire de la prison du Temple s'arrête ; la captivité cède la fille de Louis XVI à l'exil.

 

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NOTES

 

N° 1

Du 30 thermidor an III (17 août 1795) :

Le comité de sûreté générale autorise les gardiens concierges du Temple à laisser communiquer Stéphanie-Louise de Bourbon avec Marie-Thérèse-Charlotte de Bourbon, sa cousine, tous les jours, en présence de la personne de confiance donnée à la dernière.

Les membres du comité de sûreté générale.

Signé : KERVELEGAN, BERGOING, G. F. ROVÈRE, PERRIN, J. MARIETTE, BAILLEUL, CALÈS, PIERRE GUYOMAR, LOMONT, PIERRET, BAILLY.

Reçu l'original, STÉPHANIE-LOUISE DE BOURBON.

Pour copie conforme, BOURGUIGNON.

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Cette autorisation avait été plus d'une fois sollicitée par la même personne. Le 4 messidor précédent (22 juin), elle avait demandé à partager le sort de sa cousine.

Le 2 thermidor (20 juillet), elle avait écrit aux membres du comité de sûreté générale pour obtenir la permission de voir sa cousine, en présence de telles personnes qu'il leur plairait de nommer.

Le 24 du même mois, elle recommença ses démarches jusque-là demeurées sans succès :

Au comité de sûreté générale.

Je viens vous renouveler ma demande, pour obtenir la permission de voir ma cousine Marie-Thérèse-Charlotte, fille de Louis XVI. Je suis informée que des personnes étrangères ont obtenu cette faveur ; j'ose me flatter' citoyens représentants, qu'elle ne me sera pas refusée, lorsque vous daignerez vous rappeler tout ce qui peut me mériter cet acte de justice.

STÉPHANIE-LOUISE DE BOURBON,

Rue Git-le-Cœur, n° 15.

Paris, le 24 thermidor, 3e année.

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CITOYEN PRÉSIDENT,

Je viens vous prier de vouloir bien mettre sous les yeux des membres du comité de sûreté générale ma courte pétition ; j'ose me flatter que la justice que je réclame me sera accordée ; je n'ai cessé de la solliciter depuis que j'ai recouvré ma liberté ; et si je ne l'ai pas obtenue, ce n'est que par des motifs qui me sont étrangers. Maintenant que les circonstances n'empêchent pas des personnes étrangères de la voir, je pense que rien ne s'oppose à mon désir. Accordez-moi votre suffrage, et soyez persuadé, citoyen président, que ce service sera éternellement gravé dans mon cœur.

Salut et fraternité.

STÉFHANIE-LOUISE DE BOURBON.

Rue Gît-le-Cœur, n° 15.

Paris, le 24 thermidor, 3e année (11 août 1795).

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La personne qui avait mis tant de persévérance à obtenir son entrée au Temple raconte en ces termes son entrevue avec Madame : Elle brodait, dit-elle, assise sous un arbre. L'émotion réciproque produit d'abord une scène muette ; je cherche des paroles, il ne m'échappe que des soupirs. Enfin, je dis avec une voix étouffée que j'avais été assez malheureuse pour ne pas obtenir de partager et d'adoucir sa captivité ; que tous mes instants, depuis bien longtemps, avaient été employés à chercher les moyens de remplir ce devoir sacré pour mon cœur. Vous avez éprouvé bien des malheurs, me dit-elle. Madame, je ne m'occupe que des vôtres. Madame, à ces mots, se jette dans mes bras, et les plus affectueuses étreintes nous tiennent enchaînées rune à l'autre ; elle m'ordonne de m'asseoir à côté d'elle. Madame de Chanterenne était tout près de nous, ce qui mit dans notre entretien de la réserve et de la contrainte. Il y avait de longs repos dans notre conversation. Je lui annonce qu'on s'occupe de sa destinée, qu'un avenir moins malheureux va s'ouvrir pour elle. Ah ! mon sort ne changera jamais, dit-elle en me prenant la main. L'Europe entière, répondis-je, a les yeux fixés sur Madame, et j'aurai bientôt le bonheur de lui annoncer que ses fers sont brisés. — Je la serrais dans mes bras, je la couvrais de baisers. — J'ajoute que je fais auprès de la Convention les plus vives instances pour obtenir de la suivre ; que, si Madame veut bien y consentir, je ne la quitterai jamais ; que ce devoir si doux à remplir m'est imposé par mon attachement bien plus encore que par ma surintendance.

Je crus voir dans les embrassements de Madame le consentement le plus flatteur. Deux heures sonnent, on lui annonce son dîner ; nous nous séparons, et elle remonte à la tour.

(Mémoires historiques de Stéphanie-Louise de Bourbon-Conti, écrits par elle-même. Paris, chez l'auteur, rue Cassette, n° 914. Floréal an VI. — T. II, p. 289 et suiv.)

Ce ne fut pas tout Stéphanie-Louise (nous lui donnerons tout à l'heure son vrai nom) feignit de se croire autorisée par Marie-Thérèse à ne pas séparer sa destinée de la sienne.

Voici la lettre qu'elle écrivit au comité de sûreté générale, et qui, comme cela devait être, demeura sans résultat :

CITOYEN PRÉSIDENT,

Je dois à vos bons offices la satisfaction de voir et d'embrasser tous les jours Marie-Thérèse, fille de Louis XVI, ma cousine ; nous nous sommes juré un attachement éternel, et que nous ne nous séparerons jamais. Je viens d'apprendre que son sort est décidé et qu'enfin elle va bientôt sortir de sa prison. Je passe la majorité de mon temps auprès d'elle, ce qui me prive d'avoir l'honneur de conférer avec vous relativement à nos affaires mais je me flatte, représentant, que vous me continuerez vos bons services, en consommant à mon égard l'ouvrage que vous avez commencé. Les personnes qui me continuent leurs bons offices au comité de salut publie m'ont fait dire que le moment est venu où il faudrait que les membres du comité de sûreté générale parlassent de mon départ, pour accompagner ma cousine Marie-Thérèse, en rendant compte à un membre ou deux de la pureté de mon personnel. Vous savez que j'ai fourni à cet égard toute la satisfaction que le comité de sûreté générale a exigée — le certificat de ma section —, et que ma conduite est digne d'être citée. Et que c'est à toutes ces considérations que l'entrée du Temple m'a été accordée. Veuillez de grâce vous occuper de cette affaire, vous accomplirez les vœux les plus ardents ; ceux de ma cousine et les miens ne font qu'un ; et, puisque nos sentiments sont communs, ceux de la reconnaissance seront les mêmes.

Salut et fraternité.

STÉPHANIE-LOUISE DE BOURBON.

9 fructidor, 3e année (26 août 1795).

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L'origine de cette mystérieuse personne a occupé quelques biographes. Les uns ont voulu qu'elle fût fille du prince de Conti et de la duchesse de Mazarin, ainsi que semblait l'indiquer le nom — qu'elle avait pris — de comtesse de Mont-Cair-Zain, qui n'est que l'anagramme de Conti et Mazarin ; ils ont prétendu que reconnue par son père, légitimée par Louis XV, elle avait été victime d'un complot ourdi par madame de Mazarin et le comte de la Marche — depuis prince de Conti —. Les autres, et ces derniers sont tout à fait dans le vrai, n'ont vu en elle qu'une intrigante, née à Paris le 30 juin 1756, baptisée sous les noms d'Anne-Louise-Françoise, fille d'une dame Delorme, dont elle troubla la vie par l'excentricité de son caractère. Mariée à dix-huit ans à M. Billet, procureur au bailliage de Lons-le-Saulnier, la jeune Delorme fut aussi rebelle épouse qu'elle avait été fille insoumise. Ayant perdu sa mère en 1778, elle conçut le projet de se donner une origine illustre. Retirée en 1786 au couvent des Visitandines de Gray, elle écrivait à une de ses amies à Lons-le-Saulnier : J'ai fait une découverte précieuse. Je suis réellement née du sang des Bourbons. Ne m'écrivez plus sous d'autre nom que celui que je signe : Comtesse de Mont-Caïr-Zain. En 1794, elle prend un passeport sous le nom de Stéphanie-Louise de Bourbon, puis elle obtient un divorce auquel son mari ne met point obstacle. En floréal an III (avril 1795), elle sollicite une pension provisoire sur les biens de son prétendu père, et elle est mise en possession d'une maison d'émigré, rue Cassette. En floréal an VI (avril 1798), elle publie ses Mémoires historiques, dans lesquels elle arrange sa vie aventureuse, avec le concours de la plume de J. Corentin-Royou. Ce tissu d'intrigues eut sa fin toute naturelle, et la prétendue Stéphanie-Louise de Bourbon mourut-en 1825 dans l'oubli et la misère.

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N° 2

État des objets contenus dans les deux malles qui devaient servir de trousseau à la fille du dernier Roi des Français.

4 douzaines de chemises.

2 douzaines de mouchoirs de toile.

2 douzaines de mouchoirs de batiste.

3 peignoirs de toile garnis de mousseline brodée.

3 peignoirs de batiste garnis de mousseline brodée.

2 douzaines de serviettes de toilette.

6 douzaines de serviettes de fCarde-robe.

6 jupons de futaine.

6 jupons de dessus de basin anglais garnis de mousseline brodée.

12 paires de poches garnies de mousseline brodée.

12 pelotes de côté garnies.

6 pelotes de toilette.

12 bonnets de nuit garnis de dentelle.

12 serre-tête.

12 bonnets de linon brodé garnis de dentelle.

6 fichus de linon garnis de dentelle.

12 fichus doubles de linon cinq quarts.

1 mantelet de linon brodé et garni de point.

1 mantelet de linon brodé garni d'angleterre.

2 mantelets de linon garnis.

2 mantelets de mousseline brodée garnis.

12 fichus de nuit de batiste garnis.

4 douzaines de tours de gorge de dentelle.

2 douzaines de frottoirs de futaine.

2 douzaines de frottoirs de mousseline.

1 ajustement d'angleterre.

1 ajustement de point.

1 robe d'organdi brodée en or.

1 robe de linon brodée en blanc.

4 pièces de mousseline brodée.

2 pièces de linon de batiste unie 2 pièces de percale pour quatre robes du matin.

1 pièce de basin anglais pour deux autres robes du matin.

1 robe de velours rose.

1 robe de satin blanc et la doublure de taffetas.

1 robe de moire satinée.

2 jupons blancs de taffetas d'Italie.

1 jupon de taffetas rose d'Italie.

1 pièce de mousseline unie pour le dessus et le dessous de six camisoles.

1 pièce de mousseline brodée pour garnir lesdites camisoles.

Basin anglais pour faire six corsets, et la doublure desdits.

12 paires de bas de soie blancs.

2 douzaines de paires de bas de fil.

2 douzaines de paires de chaussons tricotés.

12 garnitures de ruban.

1 redingote de taffetas ouatée.

1 manchon.

1 chat.

Sur le dos était écrit :

Baron, homme de confiance.

Meunier, cuisinier.

Le C. GOMIN,

LASNE.

Nous, Jacques-Justin-Théobald Bacher, commissaire, chargé par le gouvernement de la remise de la fille du dernier Roi des Français à la frontière du canton de Basle, certifions que les deux malles qui devaient former sou trousseau ayant été déposées, le 5 nivôse de l'an IV, jour de son passage à Basle, par M. le baron de Degelmann, ministre plénipotentiaire de la cour de Vienne, entre les mains de M. le bourguemaître Bourcard pour nous les faire passer, nous l'avons prie, en sa qualité de magistrat et chef d'un État neutre, de vouloir bien en être le dépositaire à l'ultérieure disposition du ministère d-e la République française ; que lesdites malles sont, en conséquence, demeurées dans ce dépôt neutre jusqu'au 7 germinal de l'an V, jour auquel elles ont été délivrées. en notre présence, dans le même état qu'elles avaient été reçues, à M. Rodolph Preywerck. directeur de la diligence de Basle, à la réquisition du ministre de l'intérieur, pour être renvoyées à Paris.

Certifions, en outre, que les deux malles dont il est question doivent renfermer les effets détaillés ci-dessus, d'après la déclaration qui en a' été faite et la liste originale qui en a été fournie par M. le baron de Degelmann, lors de leur remise, sans cependant qu'elles aient été ouvertes pour vérifier leur contenu.

BACHER.

A Basle, le 7 germinal de l'an V de la République française une et indivisible.

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Note écrite sous la dictée de M. le bourguemaître Bourcard :

Les malles en question furent déposées chez le bourguemaître Bourcard, dans la même minute que la Princesse traversa la ville de Basle, consignées à remettre de suite à M. le commissaire Bacher, ce qui fut aussi de suite communiqué audit M. Bacher, lequel insista à les laisser déposées dans le lieu de neutralité où elles furent remises, jusqu'à ce qu'il aurait reçu la demandée disposition ultérieure de la République française.

La liste du contenu desdites malles accompagna cette remise, et elles restèrent sans aucune vérification jusqu'au moment où elles furent délivrées dans l'état primitif de réception, par ordre du ministre de l'intérieur, et par l'entremise de M. Bacher, à M. Rodolph Preywerck, directeur de la diligence de Basle pour Paris.

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Reçu de S. E. M. le bourguemaître Bourcard deux malles appartenant à la République française, retirées par ordre du ministre de l'intérieur et de ceux de l'administration des postes et messageries, suivant la notification qui en a été faite pareillement à M. Bacher.

JEAN-RODOLPH PREYWERCK.

Basle, 25 mars 1797.

 

 

 



[1] Commune de Paris.

Ce 1er thermidor an II de la République une, indivisible et impérissable (19 juillet 1794).

Cejourd'hui, 1er thermidor, nous, membres de la Commune de garde au Temple, nous étant aperçus que dans l'un des poêles qui sont dans l'appartement occupé par la fille du tyran il y avait un feu très-considérable, lui avons demandé la raison ; elle nous a répondu que ayant eu besoin de se laver les pieds, elle avait allumé ce feu pour faire chauffer de l'eau à cet effet ; à elle observé qu'une chaise avait été brûlée, étant trop près de ce poêle, nous a répondu que c'était d'ancienne date ; à elle demandé par quel moyen elle allumait ce feu nous à répondu : D'une boîte à briquet et de tout ce qui la compose.

D'après ce dire, nous avons cru sage de lui retirer lesdits ustensiles, provisoirement, et qu'il en sera référé sur-le-champ au citoyen agent national, pour par lui être statué ce qu'il conviendra, et si ladite boite lui sera remise ou non.

En conséquence invitons le citoyen agent national à prononcer de suite, s'il se peut, et de nous faire parvenir le résultat de sa décision dans la journée.

Les membres du conseil du Temple,

SIMON, LELIÈVRE, LECLERC.

(Archives de l'hôtel de ville.)

[2] Notice sur Marie-Thérèse de France, Vaton, 1852.

[3] La pénurie de bois que révèle ici la parole de Madame avait été plus d'une fois l'objet d'une réclamation officielle de la part de ses gardiens. Une lettre de Laurent et de Gomin, à la date du 5 nivôse an III (25 décembre 1794), expose au comité de sûreté générale que la consommation de bois nécessaire pour le Temple est d'une voie par jour ; que l'économe chargé de l'entretien de la maison leur a déclaré le jour même qu'il se trouve à la veille de manquer de bois, parce qu'il éprouve les plus grandes difficultés pour s'en procurer ; que deux cent cinquante hommes de garde, répandus dans sept corps de garde différents, occasionneraient peut-être quelque mouvement, s'ils se trouvaient privés de feu dans une saison aussi rude, etc.

Le comité de sûreté générale, par un arrêté du même jour, décide que la commission de commerce et approvisionnement pourvoirait sans délai au service courant pour l'approvisionnement en bois de la maison du Temple.

Le mois suivant, 11 pluviôse (30 janvier 1705), la même réclamation fut adressée par Laurent, Gomin et le commissaire civil Bertault, au comité de sûreté générale, qui prit un arrêta, semblable.

[4] Anecdotes relatives à quelques personnes et à plusieurs événements remarquables de la Révolution.

[5] Avec cette épigraphe Miseris succurrere disco. A Paris, l'an III de l'ère républicaine ; signé G. P. (Petitain).

[6] Pour Marie-Thérèse de Bourbon, fille de Louis XVI. Paris, 1795.

[7] Sur la détention de Marie-Thérèse de Bourbon, fille de Louis XVI, ci-devant roi des Français. Paris, 1795.

[8] Voici le texte de cette pétition :

CITOYENS REPRÉSENTANTS.

Tandis que vous avez rompu les fers de tant de malheureux, victimes d'une politique ombrageuse et cruelle, une jeune infortunée, condamnée aux larmes, privée de toute consolation, de tout appui, réduite à déplorer ce qu'elle avait de plus cher, la fille de Louis XVI languit encore au fond d'une horrible prison. Orpheline si jeune encore, si jeune encore abreuvée de tant d'amertume, de tant de deuil, qu'elle a bien douloureusement expié le malheur d'une si auguste naissance ! Hélas' qui ne prendrait pitié de tant df' maux, de tant d'infortunes, de son innocence, de sa jeunesse !

Maintenant que, sans craindre le poignard des assassins et la hache des bourreaux, on peut enfin ici faire entendre la voix de l'humanité, nous venons solliciter son élargissement et sa translation auprès de ses parents ; car qui d'entre vous voudrait la condamner à habiter des lieux encore fumants du sang de sa famille ? La justice, l'humanité, ne réclament-elles pas sa délivrance ? Et que pourrait objecter la défiance la plus inquiète, la plus soupçonneuse ?

Venez, entourez tous cette enceinte ; formez un cortège pieux, vous, Français sensibles, et vous tous qui reçûtes des bienfaits de cette famille infortunée ; venez, mêlons nos larmes, élevons nos mains suppliantes, et réclamons la liberté de cette jeune innocente ; nos voix seront entendues ; vous allez la prononcer, citoyens représentants, et l'Europe applaudira à cette résolution, et ce jour sera pour nous, pour la France entière, un jour d'allégresse et de joie.

ROZIER père, SINGÈLE, TREMBLAT, FILIATRE, LEFÈVRE, CUJAUTRE, PORCHER, VALLET, GIBBON, COSTÉ, POTIER DE MERSAN.

[9] Renseignements sur la citoyenne Hilaire La Rochette, femme du citoyen Bocquet de Chanterenne.

La citoyenne Madeleine-Élisabeth-Renée-Hillaire La Rochette est, âgée d'environ 30 ans.

Son père occupe une place administrative au service de la République à Paris.

Le citoyen Bocquet Chanterenne, son mari, demeurant rue des Rosiers, n° 24, section des Droits de l'Homme, est chargé en chef d'un détail de confiance à la commission administrative de police.

Elle a été élevée avec soin et avec succès dans une aisance modérée.

Ses mœurs sont douces et honnêtes ; son extérieur est décent.

Quoique ayant habité, longtemps la campagne, elle n'est point déplacée à la ville : ses sociétés, sans être très-brillantes, ont toujours été choisies.

Elle parle bien le français, l'écrit avec facilité et correctement. Elle sait aussi l'italien et un peu d'anglais.

L'étude des langues, de l'histoire, de la géographie, la musique, le dessin, les travaux amusants et utiles de son sexe, ont été les occupations de saisie.

Sa commune, qu'elle n'a quittée que depuis peu de mois, est celle de Couilly, près de Meaux. Elle y était remarquée par sa popularité, et jamais l'on n'a douté de son civisme.

[10] Voici le texte de l'arrêté :

Convention nationale.

Comité de sûreté générale. — Section de la police de Paris.

Le 2 messidor de l'an III, etc.

Le comité de arrête générale, vu les renseignements qui lui ont été fournis par la commission administrative de la police en exécution de son arrêté du 25 prairial, portant qu'il sera placé auprès de la fille de Louis Capet une femme pour lui servir de compagnie, et que la commission administrative de police lui présentera le nom de trois femmes recommandables par leurs vertus morales et républicaines, pour -être par le comité désigné une d'elles ;

Arrête que la citoyenne Madeleine-Élisabeth-Renée-Hilaire La Rochette, femme du citoyen Bocquet de Chanterenne, demeurant à Paris, rue des Rosiers, n° 24, section des Droits de l'Homme, est nommée pour servir de compagnie à la fille de Louis Capet. Il lui sera fourni la nourriture et le logement, et il sera pourvu à son indemnité par un arrête au comité de sûreté générale. Elle ne sortira du Temple que pour affaires indispensables. Le présent arrête s.era adressé rait à ladite citoyenne Hilaire La Rochette qu'aux commissaires gardiens du Temple, qui en donneront communication aux différentes commissions exécutives qu'il pourrait concerner pour son exécution

Les représentants du peuple, membres du comité de sûreté générale.

Signé : BOUDIN, GAUTHIER, GÉNEVOIS, YSABEAU, ROVÈRE, BERGOING et LOMONT.

Pour copie conforme :

Signé : HOUDEVER, secrétaire général.

[11] Liberté. — Égalité.

La commission des secours publics.

Du 2 messidor de l'an III de la République française une et indivisible (20 juin 1795).

Le comité de sûreté générale,

Vu les différents rapports faits par les commissaires préposés à la garde du Temple sur les objets dont la fille de Louis Capet pourrait avoir besoin :

Le comité de sûreté générale arrête que la commission des secours demeure chargée de procurer à la fille de Louis Capet les objets qu'elle a demandés pour sa nourriture et son entretien, et il lui sera également fourni des livres pour son usage.

La même commission rendra compte tous les mois de ce qu'elle aura fait en exécution du présent arrêté et de ceux relatifs aux personnes détenues au Temple.

Les représentants du peuple, membres du comité de sûreté générale,

BOUDIN, J. F. ROVÈRE, L. B. GÉNEVOIS, C. ALEX. YSABEAU, BERGOING, LOMONT, HAUDOYER, secrétaire général.

[12] Liberté. — Égalité.

Paris, le 5 messidor de l'an III de la République française une et indivisible (23 juin 1795).

La commission des secours publics aux citoyens commissaires du Temple.

Le comité de sûreté générale, par son arrêté du 2 de ce mois, vient de nous charger, citoyens, de procurer à la fille de Louis Capet les objets que vous avez demandés pour elle au comité.

Le citoyen Liénard nous a remis ce matin une note de ces objets, mais non revêtue de vos signatures. Nous vous invitons à nous adresser un état détaillé des objets d'habillement, nourriture et livres que vous croirez devoir être fournis, afin que nous nous occupions sur-le-champ de les mettre à votre disposition.

Cet état, aussi signé de vous, citoyens, nous est nécessaire pour mettre à exécution l'arrêté du comité de sûreté, qui ne contient aucun détail.

Salut et fraternité,

BERNICAU.

[13] Voici la note des objets apportés au Temple :

Deux déshabillés, de taffetas de couleur ;

Deux déshabillés de pékin et cotonnade, avec taffetas de Florence pour doublure ;

Six paires de bas de soie de couleur ;

Six paires de souliers ;

Deux douzaines de chemises de toile de Hollande superfine ;

Une robe de soie verte et une robe de linon.

Outre les objets en neuf, nous fîmes réparer tout ce qui pouvait l'être, et notamment six redingotes de basin blanc, que Madame portait le matin.

GOMIN.

 

Ce n'est pas tout encore : on s'occupa de son instruction et de son amusement, comme le prouve le document suivant :

Bureau des hospices civils de Paris.

Liberté. — Égalité.

Paris, le 15 thermidor de l'an III de la République française une et indivisible.

La commission des secours publics reconnaît avoir reçu du citoyen Dambreville, conservateur du dépôt littéraire, rue Marc, maison Montmorency, l’Histoire de France, de Velly, et les Mondes, de Fontenelle, mis à sa disposition par la commission de l'instruction publique, pour l'usage de la fille de feu Louis Capet.

BERNICAU.

 

On ajouta à cet envoi du papier, des crayons, de l'encre de Chine et des pinceaux.

[14] Section de police.

Du 3 messidor an III (21 juin 1795)

Vu la lettre de la commission administrative de police en date du 2 de ce mois, dans laquelle elle demande que les comités civils soient dispensés d'envoyer chaque jour un de leurs membres au Temple : 1° parce que ce service est très-onéreux ; 2° parce qu'il les détourne de leurs occupations ; 3° parce que le décès du fils de Louis Capet paraît rendre cette précaution moins utile ;

Le comité de sûreté générale arrête que les dispositions des articles 3 et 4 de son arrêté du 7 brumaire dernier, qui appelle chaque jour un membre des comités civils des sections de Paris à la garde du Temple, demeure rapporté.

La commission administrative de police transmettra le présent arrêté aux comités civils de chaque section.

Les représentants du peuple, etc.

GAUTHIER, BOUDIN, PIERRE GUYOMAR, COURTOIS, MARIE-JOSEPH CHÉNIER, LOMONT, MONTMAYOU, PIERRET et BERGOING.

[15] Ces deux lettres, retrouvées par nous, en font foi :

Aux citoyens représentants du peuple composant le comité de sûreté générale de la Convention nationale.

CITOYENS,

Instruite d'un arrêté pris au comité de sûreté générale par lequel il a été dit qu'une citoyenne serait placée auprès de Marie-Thérèse-Charlotte de Bourbon, détenue dans la tour du Temple, la citoyenne Victoire-Madeleine-Henriette Hutin, âgée de 34 ans, native de Saint-Dizier, département de la Haute-Marne, épouse de François Hue, natif de Fontainebleau, demeurant ensemble à Paris, quai de l'Egalité, n° 6, isle de la Fraternité, précédemment attaché au service de Louis XVI et de sa famille ; qu'il a suivi au Temple où il a été enfermé avec eux, la ditte citoyenne demande à être nommée par vous pour donner ses soins à Marie-Thérèse-Charlotte Bourbon.

La citoyenne Hue n'a rien à redouter des informations que vous prendrés sur ses mœurs. Épouse et mère, elle en remplit fidèlement tous les devoirs.

7 messidor l'an III de la République française (25 juin 1795).

V. M. H. HUTIN HUE,

Isle de la Fraternité, quai de l'Égalité, n° 6.

——————————

Au citoyen Bergoing, président du comité de sûreté générale,

CITOYEN,

Je viens pour la quatrième fois vous demander réponse l'adresse que j'ai présentée au comité pour être placée auprès de Marie-Thérèse-Charlotte Bourbon. Je sens que beaucoup d'affaires peuvent vous empêcher de vous occuper de ma pétition ; mais mon impatience redouble par le retard, et par l'idée accablante que cette jeune et malheureuse personne languit de plus en plus par le défaut de soins et des consolations qu'elle recevrait d'une personne qui serait admise à partager.et à soulager sa solitude et ses douleurs.

HUE.

Salut et fraternité,

Décadi 10 messidor, l'an III de la République française (28 juin 1795).

[16] Moniteur du 15 messidor an III (3 juillet 1795).

[17] En voici le texte :

Loi portant que la fille du dernier Roi des Français sera remise à l'Autriche, à l'instant où les représentants du peuple et autres détenus par ordre de ce gouvernement seront rendus à la liberté.

12 messidor an III (30 juin 1795) de la République une et indivisible.

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport dé ses comités de salut public et de sûreté générale, déclare qu'au même instant où les cinq représentants du peuple, le ministre, les ambassadeurs français, les principaux. détenus livrés au prince de Cobourg par Dumouriez, le maître de poste Drouet, fait prisonnier sur les frontières de Flandre, et les ambassadeurs Maret et Sémonville, arrêtés en Italie par les Autrichiens, et les personnes de leur suite livrées- à l'Autriche, ou arrêtées et détenues par ses ordres, seront rendus à la liberté, et parvenus aux limites du territoire de la République, la fille du dernier Roi des Français sera remise à la personne que le gouvernement autrichien déléguera pour la recevoir, et que les autres membres de la famille des Bourbons actuellement détenus en France pourront aussi sortir du territoire de la République.

La Convention nationale charge le comité de salut public de prendre toutes les mesures qu'il trouvera convenables pour la notification et l'exécution du présent décret.

La Convention nationale décrète que le rapport sera imprimé, distribué et inséré en entier au Bulletin,

Visé et signé : ENJUBAULT.

Collationné et signé : J. B. LOUVET (du Loiret), président.

MARIETTE, J. DELECLOI, secrétaires.

[18] Cette note était ainsi conçue :

Mon Conseil aulique de guerre m'a rendu compte de votre rapport du 15 de ce mois, et se la pièce qui a été remise au général Stein par le génial Pichegru, relativement à la Princesse Marie-Thérèse, fille de Louis XVI, ma cousine, et aux Princesses de la famille des Bourbons. Dans toute autre circonstance, les conditions dont on veut faire dépendre la, liberté des membres de cette famille infortunée qui sont restés en France auraient dû être regardées comme entièrement inadmissibles ; mais, puisqu'il n'est que trop vrai qu'au milieu des violentes catastrophes qui se succèdent les unes aux autres dans la révolution française, je ne dois consulter que ma tendre affection pour ma cousine et mon intérêt pour les Princes et Princesses de la famille des Bourbons, et ne songer qu'aux dangers dont ils n'ont cessé d'être environnés, mon intention est que vous fassiez connaître au général français que je veux bien accéder, quant au fond, à la proposition qui m'a été faite.

Mais il est une autre proposition que je 'juge à propos de lier à celle que renferme la pièce remise au général Stein. Elle a, pour objet l'échange respectif de nombreux prisonniers de guerre, dont, nonobstant mes demandes réitérées, on a toujours opiniâtrement refusé de s'occuper.

Quelques soins que, malgré le traitement peu favorable de mes soldats prisonniers en France, j'aie ordonné de prendre des prisonniers français dans mes États ; quoiqu'ils soient placés dans des provinces où les vivres sont abondants, qu'on les paye exactement en numéraire-, et qu'on leur donne tous les secours de la religion, de l'humanité, et tous ceux qui sont dus à l'infortune, ils n'en éprouvent p moins une foule de maux qui sont inséparables de leur état, et auxquels se joint encore cette idée qu'ils sont abandonnés dans des climats éloignés par ceux pour lesquels ils ont combattu, qu'ils ne reverront plus leurs famille, qu’on les punit pour les malheurs et les hasards des combats, et que la qualité de prisonniers, regardée jusqu'ici comme un titre de plus pour réclamer l’intérêt de ceux à qui l'on s’est sacrifié, semble n'être à leur égard qu'au motif d'ingratitude.

Je ne veux pas qu'on puisse m'imputer cet oubli du droit des gens, qui perpétue la détention de tant de malheureuses victimes de la guerre, et, à plus forte raison, dois-je rechercher tous les moyens de rendre à la liberté mes fidèles soldats, prisonniers dans un pays où chacun sent qu'ils doivent forcément partager tous les fléaux dont ses propres habitants n'ont pu se garantir.

Vous me rendrez compte sans délai de la réponse qui vous parviendra à ce sujet, pour régler ensuite plus particulièrement les détails d'exécution relatifs à la proposition transmise par le général Pichegru, et qui, je pense, ne pourront donner lieu à aucune difficulté.

 

Cette note de l'Empereur fut transmise par le général Clairfayt à Pichegru. Celui-ci la fit passer aux comités du gouvernement, qui, après en avoir délibéré, chargèrent l'un d'eux de prendre l'arrêté suivant :

Le comité de salut public de la Convention nationale, vu la lettre du général Pichegru, commandant en chef de l'armée de Moselle-et-Rhin, en date du 23 de ce mois, relative à l'exécution du décret de la Convention nationale du 12 messidor dernier concernant les cinq représentants du peuple, le ministre, les ambassadeurs français et les personnes de leur suite livrés à l'Autriche ou arrêtés et détenus par son ordre, arrête ce qui suit :

ARTICLE Ier.

Le citoyen Bacher, premier secrétaire interprète de l'ambassade de la République française en Suisse, est nommé commissaire à l'effet de négocier l'échange des militaires au service de la République française faits prisonniers de guerre par les troupes autrichiennes. contre les militaires au service de la maison d'Autriche faits prisonniers de guerre par les troupes de la République française.

ARTICLE II.

Le citoyen Bacher se conformera dans cette négociation aux dispositions des lois relatives aux cartels d'échange des prisonniers de guerre.

ARTICLE III.

Il stipulera formellement, comme condition préliminaire, et sine qua non, que les cinq représentants du peuple, le ministre, les ambassadeurs français et les personnes de leur suite livrés à l'Autriche ou arrêtés et détenus par. ses ordres, seront sur-le-champ rendus à la liberté, et remis à Basle, à la charge que le gouvernement français fera au même instant remettre à Basle la fille du dernier Roi des Français, à la personne que le gouvernement autrichien déléguera pour la recevoir, et que les autres membres de la famille des Bourbons actuellement détenus en France pourront aussi sortir du territoire de la République, le tout en conformité du décret de la Convention du 12 messidor dernier.

[19] On publia à cette époque une Romance sur le chien et la chèvre élevés par Marie-Thérèse dans le Temple. Des trois couplets de cette pièce, entachée du mauvais goût du temps, il n'est guère que le dernier qui mérite d'être cité :

Vous qui toujours éloignés d'elle,

Sur son sort n'avez point gémi,

Ingrats, voyez son chien fidèle,

Et rougissez de votre oubli ;

Il a partagé sa misère ;

Dans ses fers il l'a su charmer.

Oui, c'est ainsi qu'on peut lui plaire,

Et voilà comme on doit l'aimer.

Cette romance se trouve, page 42, dans les Adieux de Marie-Thérèse-Charlotte de Bourbon ; Almanach pour l'année 1796, etc., par M. d'Albins (Michaud), à Basle, chez Tournesen, libraire, 1796 (Paris, Gueffier), in-18. — Imprimé secrètement et devenu rare.

[20] Entre autres romances, Madame pouvait entendre assez distinctement ce couplet, qui lui annonçait sa prochaine délivrance :

Calme-toi, jeune infortunée ;

Bientôt ces portes vont s'ouvrir ;

Bientôt, de tes fers délivrée.

D'un ciel pur tu pourras jouir.

Mais en quittant ce lieu funeste,

Où régna le deuil et l'effroi,

Souviens-toi, du moins, qu'il y reste

Des cœurs toujours dignes de toi !

Ces vers sont de M. Lepitre, officier municipal, auteur de là romance la Piété filiale, que nous avons donnée en note du livre XI dans ce volume.

[21] Voir la note n° I à la fin de ce livre.

[22] Nous avons retrouvé une lettre que madame de Tourzel écrivit de sa main à Gauthier, en cette circonstance :

CITOYEN,

Permettez que, comme membre du comité de sûreté générale ayant le département' de la police, je m'adresse à vous pour vous prier, dans le cas où la pétition que j'ai présentée pour être avec Pauline, ma fille, auprès de la fille de Louis XVI au Temple, aurait le bonheur d'être accueillie, de vouloir bien me faire parvenir l'arrêté du comité de sûreté générale à Abondant, par Dreux, département d'Eure-et-Loir, où des affaires indispensables m'obligent d'aller passer une quinzaine de jours. Je vous en aurai une véritable obligation.

CROY, veuve TOURZEL.

[23] Madame de Tourzel commet ici une erreur : dans la scène du 16 vendémiaire an II (7 octobre 1793), que nous avons racontée au livre XII de ce volume, le jeune prince fut confronté avec sa sœur, mais non avec sa tante.

[24] On a vu, t. Ier, livre Ier, en quels termes la Reine s'exprimait sur le compte de cette personne d'un vrai mérite et qui justifia sa confiance.

[25] Aux représentants composant le comité de sûreté générale.

CITOYENS REPRÉSENTANTS,

Attachée depuis sa naissance à la fille de Louis Capet, uniquement occupée d'abord des soins de son enfance, puis de son éducation, j'ai vécu dans la retraite, au milieu du monde, quoique très-jeune alors, partageant tout mon temps entre elle et mes trois filles. Je vous demande avec confiance une permission de voir cette jeune personne, persuadée qu'on peut attendre d'un gouvernement juste tous les adoucissements au malheur, et sûre que ce sera une grande consolation pour elle de revoir une personne qui, tendrement attachée à elle, le sent encore plus depuis ses malheurs. Si ma demande ne vous paraissait pas susceptible d'être accordée en ce moment, j'aurais toujours eu la satisfaction de profiter de la liberté de manifester des sentiments d'une généreuse sensibilité. Je vous prie d'observer que, de toutes les personnes qui ont donné leurs soins à l'enfance et à la jeunesse de la fille de Louis Capet, aucune ne s'est trouvée comme moi par sa place et les circonstances dans le cas de ne la pas quitter pendant treize ans et par conséquent d'en être autant aimée.

FRÉMINVILLE,

Rue de la Michaudière, n° 8.

——————————

Au citoyen Gauthier, membre du comité de sûreté générale.

CITOYEN REPRÉSENTANT,

Je continue de m'adresser à vous plutôt qu'au comité réuni pour obtenir la permission que je sollicite depuis trois mois d'entrer au Temple. Vous avez lu plusieurs fois les motifs que j'ai pour la demander et l'obtenir ; je persiste à croire et à espérer que, loin de vous y opposer, vous me la ferez accorder, parce que c'est une chose parfaitement juste, et que, du moment que le comité a pu en donner une seule, j'ai dû en espérer. Comme les pétitions que j'ai présentées à ce sujet ne sont sûrement plus sous vos yeux, je joins ici mon adresse. Soyez bien persuadé, citoyen, que je n'oublierai jamais, le service que vous pouvez me rendre dans cette occasion.

Salut.

FRÉMINVILLE,

Rue des Quatre-Fils, n° 27, au Marais.

[26] Paris, 2 frimaire an IV (23 novembre 1795.)

Le ministre de l'intérieur au bureau central du canton de Paris.

D'après les éclaircissements qui m'ont été donnés, citoyens, par le C. Lasne, l'un des commissaires préposés à la garde du Temple, puisque la fille Capet a disposé en partant en faveur des employés près d'elle et de son frère des bardes et effets de tous deux, ainsi que de ceux de son père, il convient ou que vous donniez à ces commissaires une décharge des états qu'ils ont fournis de ces objets, bu que vous annuliez ces états ; cette observation ne s'applique point aux états des objets qui sont sous les scellés ; ces relevés doivent rester intacts.

[27] C'était ainsi que l'on nommait, dans les actes diplomatiques, le chef de la Régence de Basle. L'usage d'y franciser les titres et les noms mêmes, dans es rapports officiels avec l'étranger, était tel, que le nom des Burckhard (ces illustres patriciens de Basle) s'y rencontre toujours avec cette orthographe française de Bourcard, que nous lui conservons dans ce récit.

[28]

Égalité.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté.

Guerre aux partisans de la Terreur.

Guerre aux partisans des émigrés et de la royauté.

Convention nationale.

COMITÉ DE SÛRETÉ GÉNÉRALE.

Section de la police de Paris.

Du 1er brumaire, l'an IV de la République française une et indivisible.

Nous, représentants du peuple, membres du comité de sûreté générale, action de la police, certifions que le citoyen Jean-Baptiste Gomin, commissaire à la garde du Temple, s'est acquitté des fonctions qui lui ont été confiées par le comité, avec zèle, intelligence et probité, et qu'il ne cesse de mériter d'être continué dans l'exercice de ses fonctions.

Les représentants du peuple, membres du comité de sûreté générale,

GAUTHIER, P. M. DELAUNAY.

Nota. On remarquera l'intitulé de cette pièce : la Fraternité a disparu, et dans les deux épigraphes mises en regard l'une de l'autre, le Directoire, inaugurant sa politique à deux tranchants, déclare à la fois la guerre aux partisans de la Terreur et aux partisans de la royauté.

[29] Registre-journal de la tour du Temple du 11 brumaire.

[30] Registre-journal de la tour du Temple, du 19 brumaire.

[31] Registre-journal de la tour du Temple, du 19 brumaire.

[32] Le lendemain, 20 brumaire (11 novembre), la visite d'un inspecteur de la -Commune faillit causer une sorte d'alerte dans la première cour. Le citoyen Soulas, premier commis du dépôt des voitures appartenant à la République, vint examiner les remises du palais du Temple, afin de connaître le nombre de voitures qu'elles pourraient recevoir *. Le vieux portier Darque, qui avait connu Soulas, et qui ne l'avait pas vu depuis dix-huit mois, étant persuadé, d'après certain récit qui lui avait été fait, que cet employé avait été guillotiné. Quel fut son saisissement, lorsque, vers trois heures, par un temps sombre de novembre, apparut à la fenêtre de sa loge la tête de l'infortuné Soulas, pâle et blême (car il relevait de maladie), et le cou serré d'une large cravate rouge ! Le vieillard jeta un cri perçant, et sa main tira violemment le cordon d'une sonnette qui, par un carillon précipité, annonçait dans l'intérieur de la tour la visite d'une autorité supérieure. Gomin accourut : il aperçut Liénard et Meunier et quelques gardes nationaux qui s'étaient empressés aux cris du portier ; mais celui-ci était déjà revenu de son effroi, et il se mit à rire comme les autres, quand il vit Gomin aborder le fantôme et lui serrer la main.

Lasne, qui n'aimait point Darque, fut enchanté de l'aventure i Dans le premier moment, il dit à Gomin : Nous allons coucher le vieil imbécile dans notre procès-verbal ; ce sera bien drôle. — Ce serait bien méchant, répondit son collègue, et de plus bien ridicule, d'autant plus que, se trouvant dans notre journal, il nous faudrait le répéter dans notre lettre du jour à l'autorité, et c'est précisément aujourd'hui la première fois.que nous avons à correspondre avec le citoyen Benezech, ministre de l'intérieur **.

 

* Registre-journal de la tour du Temple du 20 brumaire.

** Registre-journal de la tour du Temple du 20 brumaire.

[33] Commission de police administrative de Paris.

Aux commissaires préposés à la garde du Temple.

Citoyens,

Nous vous adressons ci-joint copie de deux ordres du Directoire exécutif relatifs aux citoyennes Bocquet-Chanterenne et Tourzel, en date du 20 brumaire présent mois. Vous voudrez bien vous y conformer exactement, et nous en accuser la réception par le porteur.

Salut et fraternité.

Les commissaires administrateurs.

HANNOCQUE-GUÉRIN.

——————————

Commission de police administrative de Paris.

Extrait du registre des délibérations du Directoire exécutif.

Le 20 brumaire an IV de la République une et indivisible.

Le Directoire exécutif ordonne que, à compter de ce jour, la citoyenne Bocquet-Chanterenne, placée près de Charlotte Capet dans la tour du Temple, ne pourra sortir du Temple ni communiquer avec personne du dehors. En conséquence, il est défendu aux commissaires préposés à la garde de cette maison d'y introduire aucune personne, et d'en laisser sortir la citoyenne Bocquet-Chanterenne.

Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté.

REWBELL, président.

P. BARRAS, secrétaire.

Renvoyé à la commission de police pour être exécuté.

Paris, ce 21 brumaire an IV de la République.

Le ministre de l'intérieur,

BENEZECH.

Pour copie conforme,

Les commissaires administrateurs,

HANNOCQUE-GUÉRIN.

——————————

Commission de police administrative de Paris.

Extrait des registres des délibérations du Directoire exécutif.

Le 20 brumaire an IV de la République une et indivisible.

Le Directoire exécutif annule la permission accordée à la citoyenne Tourzel et à sa fille de voir trois fois par décade Charlotte Capet, détenue au Temple ; en conséquence, il est défendu aux commissaires préposés à la garde du Temple d'y introduire lesdites citoyennes Tourzel.

Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté.

REWBELL, président.

P. BARRAS, secrétaire.

Plus bas est écrit :

Renvoyé à la commission de police administrative pour être exécuté.

Paris, ce 21 brumaire an IV de la République.

BENEZECH, ministre de l'intérieur.

Pour copie conforme,

Les commissaires administrateurs,

HANNOCQUE-GUÉRIN.

[34] Voici les termes de cette réclamation :

Citoyen ministre,

Une âme innocente souffre ordinairement avec patience et courage les rigueurs qui peuvent effrayer celles qui sont coupables : telle est ma situation ; mais je ne puis dissimuler que mon cœur ne soit douloureusement blessé de la privation que m'impose le gouvernement en me défendant de voir aucune personne, même de ma famille ; c'est la seule jouissance que je me sois permise (et l'on sait si j'en ai abusé) depuis que par obéissance au gouvernement je me suis consacrée à une solitude volontaire ; elle n'a eu pour moi rien de pénible jusqu'alors ; je ne pouvais supposer, d'après l'exactitude de ma conduite dans le poste qui m'a été confié, que ma liberté pût jamais être compromise sous aucuns rapports. Cependant cette liberté, bien si précieux, surtout pour les âmes honnêtes et sensibles, reçoit déjà des atteintes cruelles : je ne puis voir mes parents ! L'idée qu'ils seront livrés aux plus mortelles inquiétudes sur ma position, sans que j'aie aucun moyen de les rassurer, me poursuit sans cesse et empoisonne chaque instant de mon existence. N'est-il point de palliatif à cet état violent ? Serait-il contraire à la justice d'y apporter quelque adoucissement ? Dois-je enfin me croire prisonnière ? et pour quel crime le serais-je ?...

Le gouvernement a sans doute ses raisons pour prendre des mesures de sûreté ; je les respecte, et ne m'en plaindrais pas, si j'en souffrais seule.

Veuillez, citoyen ministre, prendre en considération les motifs de ma réclamation ; la justice, l'humanité, l'assurance de protéger l'innocence, tout vous y invite. Je demande au gouvernement, je le supplie de m'accorder la permission de voir de temps en temps une seule personne de ma famille, soit ma mère, soit l'une de mes sœurs, quelques minutes seulement, en présence des citoyens commissaires du Temple, ou avec telle autre précaution qui sera jugée nécessaire. Je ne crains pas que mes actions soient éclairées, puisqu'elles ne peuvent être dirigées que par des intentions pures et droites. Puisse cette vérité être bientôt reconnue ! c'est le seul vœu que je me permette de former dans ce moment le plus pénible de ma vie.

J'attends de vos bontés, citoyen ministre, justice et protection ; je suis digne de l'une, et j'ai des droits incontestables à l'autre.

Salut et respect.

HILAIRE BOCQUET-CHANTERENNE.

Les commissaires du Temple firent passer au ministre de l'intérieur la lettre de madame de Chanterenne *. Marie-Thérèse, de plus en plus préoccupée de l'état nerveux dans lequel elle la voyait, pria Gomin de faire part de ses inquiétudes au gouvernement. Les commissaires terminèrent ainsi le rapport du jour qu'ils adressaient au ministre de l'intérieur : La citoyenne Chanterenne, affligée de l'incertitude de sa situation, vous supplie, citoyen ministre, d'avoir égard à sa lettre d'hier ; elle attend de votre bonté un mot de réponse **.

Le ministre ne répondit point par écrit, mais il fit rassurer secrètement madame de Chanterenne, qui se calma, et attendit sans défiance l'avenir meilleur et prochain qui était annoncé. Elle rendit justice au caractère de M. Benezech, et ne craignit pas de s'adresser à lui dans une autre occasion ***.

 

* Journal-registre de la tour du Temple, rapport du 22 brumaire an IV.

** Journal-registre de la tour du Temple, rapport du 23 brumaire.

*** Journal-registre de la tour du Temple, rapport du 28 brumaire.

[35] Les rieurs saluèrent son départ de quelques couplets de vaudeville, sur l'air de Povero Calpigi :

Je suis né natif de Florence,

Je fus six mois ministre en France ;

Mais déjà m'en voilà parti.

Povero caro Carletti !

 

J'avais l'humeur républicaine,

Et je m'accommodais sans peina

De tout ce qu'on faisait ici.

Povero caro Carletti !

 

Jadis Actéon sur Diane

Osa porter un œil profane :

Par des chiens il fut assailli.

Povero caro Carletti !

 

A cette jeune prisonnière

Mon cœur ne s'intéressait guère ;

Je n'y songeais pas jusqu'ici.

Povero caro Carletti !

 

Tout à coup il me vient en tête

D'être tant soit peu plus honnête :

Comme Actéon je suis puni.

Povero caro Carletti !

 

Ainsi, après le drame, on avait eu la petite comédie. L'imprudence et la maladresse d'un pauvre diplomate furent jugées comme elles devaient l'être ; mais ce fut assez pour retarder de quelques jours la délivrance de Madame Royale.

[36] Registre-journal de lu tour du Temple du 8 frimaire.

[37] Registre-journal de lu tour du Temple du 8 frimaire.

[38] Registre-journal de la tour du Temple du 10 frimaire an IV.

[39] Registre-journal de la tour du Temple du 12 frimaire.

[40] Registre-journal de la tour du Temple du 12 frimaire.

[41] Registre-journal de la tour du Temple du 14 frimaire.

Un procès-verbal fut dressé de cet inventaire ; nous le donnons aux Documents, n° VII.

[42] Registre-journal de la tour du Temple du 19 frimaire.

[43] Registre-journal de la tour du Temple du 16 frimaire.

[44] Registre-journal de la tour du Temple du 17 frimaire.

[45] La citoyenne Clouet était la même dont la petite fille jouait avec Louis XVII. On trouvera aux Documents, n° XIII, un mémoire qui prouve qu'elle était à la fois blanchisseuse et couturière de Marie-Thérèse.

[46] Mademoiselle Garnier était la couturière en titre de Marie-Thérèse ; mais pendant sa détention, la commission du Temple en avait choisi une autre. Document XIV.

[47] Capitaine de gendarmerie, dont on avait fait un grand éloge à Madame.

[48] Ce ne fut que plusieurs mois plus tard, et après bien des difficultés, que Turgy parvint à obtenir un passeport. Plus heureux, Cléry rejoignit Madame à Vienne quelques jours après son arrivée.

[49] Registre-journal de la tour du Temple du 25 frimaire.

[50] Liberté. — Égalité.

Le ministre de l'intérieur commet le citoyen Gomin, l'un des commissaires à la garde du Temple, à l'effet d'accompagner jusqu'à Basle Marie-Thérèse-Charlotte, aujourd'hui détenue au Temple. Il se conformera en tout aux instructions qui lui seront données par le citoyen Méchain, chargé de la conduite de Marie-Thérèse-Charlotte et de son échange.

Paris, le 27 frimaire an IV de la République une et indivisible.

Le ministre de l'intérieur,

BENEZECH.

L. S. — L. S.

[51] Les instructions données au citoyen Méchain étaient de conduire à Huningue deux femmes et un homme ; l'une de ces femmes devait passer pour sa fille, l'autre pour son épouse, l'homme pour son serviteur de confiance. Il avait ordre de veiller à ce qu'aucun étranger ne leur parlât en particulier : il devait surtout s'occuper de la plus jeune des deux femmes, désignée sous le nom de Sophie. et veiller sur tout ce qui pourrait intéresser sa santé.

[52] Registre-journal de la tour du Temple du 28 frimaire au IV.

[53] Ces détails, et tous ceux que nous donnons sur cet épisode de l'arrivée de Madame à Huningue et de son passage à Basle, ont été recueillis par nous sur les lieux, ou puisés dans la correspondance diplomatique engagée entre les deux gouvernements.

[54] M. de Degelmann écrivit sur-le-champ au bourguemaître :

J'ai L'honneur d'apprendre à Votre Excellence que la Princesse, fille de Louis XVI, est arrivée à Huningue hier soir, et que la remise se fera demain au soir à six heures.

Je réclame l'entremise obligeante de Votre Excellence, pour qu'elle veuille bien prévenir M. Reber, afin qu'il ait la bonté de faire tenir demain sa maison de campagne ouverte et chauffée à l'heure que je viens d'indiquer.

M. Bacher désire d'avoir chez Votre Excellence, en sa présence et en celle de M. le baillif de Rieben, une conversation avec moi, ce soir, à six heures. Votre Excellence permettrait-elle que cette conversation ait lieu, et voudrait-elle avoir la bonté d'y inviter M. le baillif ?

Accoutumé à la Bonté de Votre Excellence, je réclame d'avance sa complaisance indulgente, sachant que je serai dans le cas de l'importuner beaucoup aujourd'hui et demain.

Je puis lui dire confidentiellement que, selon toutes les apparences, nous prendrons, en tournant la ville, la route de Kaiseraugst, que M. de Neumann va reconnaître.

J'ai l'honneur, etc.

Basle, vendredi 25 décembre.

[55] Les principales questions qui furent agitées dans cette conférence se résument dans la lettre suivante, adressée le lendemain matin par M. Bacher à M. Bourcard :

Vous m'avez offert, monsieur le bourguemaître, si obligeamment vos bons offices et la continuation de vos bons soins pour terminer heureusement la négociation de l'échange majeur qui s'est entamé sous vos auspices, et qui a été conduit de part et d'autre d'une manière si satisfaisante, que je me flatte que vous ne désapprouverez pas une observation qui vous paraîtra fondée, comme une précaution nécessaire et convenable du moins, si elle est jugée d'ailleurs comme Surabondante et même inutile. Voilà de quoi il s'agit.

On ne pourra guère revenir de Riehen qu'entre huit et neuf heures du soir ; on traverse un petit bois ; comme il y aura des effets précieux, des émigres ou d'autres personnes travesties pourraient se mettre en embuscade pour insulter les passants et faire peut-être pis. Il vous paraîtra peut-être qu'il convient de prévenir M. le colonel d'Orell de la nécessité de faire faire des patrouilles, tant du côté de la Wise que du côté du Hômli, pour empêcher toute espièglerie de la part des émigrés. Il faudrait peut-être aussi un poste dans le petit bois, sur la route qui conduit de Basle à Richen.

Vous jugez, monsieur le bourguemaître, combien il serait fâcheux pour M. le baron de Degelmann et pour moi, et surtout pour l'État de Basle, qu'il pût arriver quelque événement désagréable. Comme il s'agit de l'inviolabilité du territoire helvétique, et d'éviter qu'on ne commette aucune indécence ou chose déplacée, j'ai recours, monsieur le bourguemaître, à vos bons offices et à ceux de M. le grand tribun, votre collègue, pour que, conjointement avec M. le colonel d'Orell, vous vouliez bien nous rendre l'office d'amitié et de bon voisinage que je vous demande, qui consiste à faire faire des patrouilles depuis cinq heures jusqu'à huit heures et demie du soir au plus tard.

Je vous demande, monsieur le bourguemaître, mille excuses. Tout le monde sait à Basle que les voyageurs arriveront cette après-midi à Riehen et ce soir à Basle. Leurs logements sont arrêtés aux Trois-Rois.

Excusez la hâte.

Salut et inviolable amitié.

BACHER.

Samedi matin, 26 décembre (il y a par erreur lundi).

[56] Marie Schuldz, femme du colonel Prévost de Saint-Cyr, tué le 27 septembre 1820 par un capitaine de son régiment, à Perpignan.

[57] Conrad Haffner, devenu plus tard capitaine en Algérie, est mort à Strasbourg le 29 mars 1837.

[58] Je ferai chercher, citoyen, vos lettres à la poste de Basle, de même que celles qui pourront arriver. Disposez de moi, et comptez sur tout mon empressement à vous être de quelque utilité dans tout ce qui pourra dépendre de moi.

Salut et fraternité.

BACHER.

Le 4 nivôse an IV.

[59] Nous avons dit plus haut que ni voiture ni chevaux n'avaient été envoyés.

[60] Venue au monde peu de temps après, cette fille s'appela Marie-Thérèse-Charlotte Schuldz. C'est aujourd'hui madame Sartory. Son père, F. J. Schuldz, est mort en avril 1828. Sa veuve, qui attachait un grand prix à sa maison, à cause des souvenirs que le passage de la fille de Louis XVI y avait laissés, avait recommandé à ses enfants de ne pas la quitter. Les circonstances ont été plus fortes que leur volonté. Mais les sentiments de la famille sont encore les mêmes aujourd'hui. On y conserve avec un respect religieux les traditions de cette époque, et le portrait de Madame, avec l'inscription placée au bas par le père Schuldz : J'ai logé ici, à l'hôtel du Corbeau, n° 10, du 24 au 26 décembre 1795.

[61] Rapport fait à M. le bourguemaître Bourcard.

[62] Voir la note n° 2 à la fin de ce livre.

[63] Voyez la lettre de Degelmann citée plus haut en note.

[64] On appelait ainsi les quatre villes d'Allemagne qui sont sur le Rhin au-dessus de Basle, dans le voisinage de la Forêt-Noire, savoir : Rheinfcld, Waldshut, Seckinaen et Laufenbourg.

[65] Rapport fait à M. le bourguemaître Bourcard.

[66] Rapport fait à M. le bourguemaître Bourcard.

[67] Rapport fait à M. le bourguemaître Bourcard.

[68] Celui de l'archiduc Charles fut gravé comme pendant, tant le mariage désiré par l'Autriche et par madame de Tourzel était dans ce moment regardé comme décidé.

[69] Elle se plaignit de ce retard et de ce changement.

M. Bacher se borna à répondre, le 11 nivôse an IV (1er janvier-1796, v. st.), au nom de son gouvernement :

Le retard du départ de la fille du dernier Roi des Français a été nécessaire, et le Directoire exécutif de la République française n'eût rien tant désiré que d'épargner aux prisonniers d'État français, détenus dans les Etats héréditaires de la maison d'Autriche, la prolongation d'une captivité qu'ils ont si peu méritée.

Le changement survenu dans la nomination de madame de Tourzel pour accompagner la fille du dernier Roi des Français à Basle, qui a été remplacée par madame de Soucy, ci-devant sous-gouvernante à Versailles, est motivé sur ce qu'il ne s'agissait que de lui donner pour compagne une personne qui lui fût agréable et qui eût sa confiance. Elle a désiré et demandé elle-même madame de Soucy, qui l'a élevée ; et comme ce n'était que pour sa satisfaction seule que le gouvernement français avait désigné madame de Tourzel pour se rendre avec elle à Vienne, cet objet se trouve rempli *. Cette réponse ne satisfit pas l'Autriche.

* Correspondance relative à l'échange.

[70] Lettre du baron de Degelmann, du 1er février 1796. — Lettre de M. Bacher, ne portant d'autre date que celle de vendredi matin.

[71] Voyez ci-après, l'article du Strasburgischer Welbote.

[72] Le baron de Thugut, ministre d'État de S. M. I., écrivit à M. de Degelmann :

Très-honoré baron,

Par les messageries de ce soir, on a expédié à Basle, sous votre adresse, un paquet contenant :

Une tabatière émaillée en or, garnie de brillants et ornée du chiffre de S. M. en brillants ;

Une bague en brillants ;

Une médaille en or attachée à une chaîne d'or.

La première est destinée à M. le bourguemaître Bourcard, à Basle : la seconde à M. Reber ; la troisième à M. l'aide-major Kolb, comme présent et marque d'approbation de Sa Majesté pour leurs soins. En particulier, vous aurez à faire connaître à S. E. M. Bourcard que Sa Majesté s'est servie avec plaisir de cette occasion pour lui témoigner sa gratitude pour les sentiments qu'il a montrés eu maintes occasions, et dont Votre Excellence a souvent eu à se louer.

J'ai l'honneur, etc.

Baron DE THUGUT.

Vienne, le 3 février 1796.

A M. le baron de Degelmann.

[73] Traduction d’un article publié dans le Courrier du monde de Strasbourg (Strasburgischer Welbote), n° 138.

Dienstags den lien marz 1796. — Primidi den IIe. ventos 4.

Lettre de Suisse, du 25 février (6 ventôse).

Depuis quelques jours, la citoyenne Soucy est de retour de Vienne à Basle pour retourner en France. La cour impériale lui a fait de riches présents, mais lui a montré peu de confiance, en la traitant comme si elle était l'espion du gouvernement français. Avant-hier, on a vu arriver de beaux présents de la cour destinés à quelques Baslois qui ont rendu quelques services à l'occasion de l'échange. Le bourguemaître Bourcard, qui a pris toutes les mesures nécessaires, a reçu en cadeau une belle tabatière garnie en diamants du prix de quatre cents louis ; le négociant Reber une bague d'environ deux cents louis ; Kolb, officier de service, qui conduisit la Princesse jusqu'à la frontière allemande avec un petit détachement, une chaîne en-or du prix de cinquante louis. Tout le monde se demande ce que le gouvernement français donnera en cadeau à M. Legrand, baillif de Riehen, homme intègre et éclairé, qui a reçu les Français échangés, et les a tenus en dépôt jusqu'à l'arrivée de la fille de Louis à. Basle.

Cette lettre est très-vraisemblablement de M. Ochs, premier secrétaire d'État de Basle, correspondant du Strasburgischer Welbote. Il a été ensuite grand tribun de Basle, puis enfin directeur de la République helvétique, sous Napoléon. M. Legrand, dont il fait l'éloge, était son ami, et devint son collègue au Directoire. - B.