LOUIS XVII, SA VIE, SON AGONIE, SA MORT

CAPTIVITÉ DE LA FAMILLE ROYALE AU TEMPLE

TOME SECOND

 

LIVRE DIX-NEUVIÈME. — LE CIMETIÈRE DE SAINTE-MARGUERITE.

Vendredi 10 mars 1837.

 

 

Emplacement de la sépulture du Dauphin ; discussions à ce sujet. — Lettre de l'abbé Raynaud. — Lois des 17 et 18 janvier 1816. — Ordonnance royale. — Lettre du ministre de la police générale. — Lettre du préfet de-police. — Déposition de la veuve Bétrancourt. — Mémoires du comte d'Andigné. — Déposition du jardinier du Luxembourg. — Conflit d'opinions ; doute ; l'ordonnance royale reste inexécutée. — L'archiviste Peuchet. — Probabilités. — Pèlerinage an cimetière de Sainte-Marguerite. Réflexions.

 

Nous avons pendant vingt ans fait des recherches sur tout ce qui est relatif à la vie et à la mort du Dauphin fils de Louis XVI. La Providence avait bien voulu conserver la vie à deux vieillards qui nous ont éclairé dans nos investigations, el nous ont donné, en quelque sorte heure par heure, les bulletins de son agonie ; maintenant, nous voudrions pouvoir indiquer avec précision la terre qui recouvre sa dépouille mortelle. Malheureusement, les lumières qui nous avaient guidé dans la tour du Temple nous abandonnent dans le cimetière. Presque tous les témoignages acceptés comme vrais jusqu'à ce jour portent que les restes du Prince furent inhumés dans la fosse commune. Cependant Lasne nous a toujours affirmé le contraire avec la vivacité d'un honnête homme qui a bien vu ce qu'il a vu, et qui se sent le droit de rectifier une assertion erronée. Il nous a donc certifié que c'est dans une fosse particulière que la bière de Louis-Charles fut descendue, à huit ou neuf pieds, comme nous l'avons dit, du mur d'enceinte et de la maison de l'école.

Quoi qu'il en soit, l'emplacement de la sépulture reste désigné d'une manière précise. Mais cette sépulture a-t-elle toujours gardé le dépôt qui lui a été confié ? c'est là une question qu'il nous est impossible de résoudre avec certitude.

Dans cette perplexité, nous devons nous borner à mettre sous les yeux du lecteur les divers renseignements que nous avons réunis sur ce sujet, et dans l'ordre où nous les avons recueillis.

Le premier acte qui, pour nous, vint contredire la déclaration de Lasne touchant la sépulture particulière, fut cette lettre que nous adressa, en 1837, l'abbé Raynaud, vicaire de Sainte-Marguerite depuis 1803 :

Vous me faites l'honneur de me demander des renseignements sur l'inhumation de Louis XVII dans le cimetière Sainte-Marguerite. Nommé en 1803 vicaire de cette paroisse, que je n'ai jamais quittée depuis, j'y ai connu dès lors Pierre Bétrancourt, dit Valentin, fossoyeur depuis vingt à trente ans, et le nommé Decouflet, qui a été longtemps bedeau aux Quinze-Vingts. Les-détails que je vous transmets m'ont été donnés par ces deux personnes, dont la probité et les sentiments religieux rendaient le témoignage digne de foi. Ils m'ont déclaré tous les deux que le Dauphin avait été inhumé dans la fosse commune[1] ; que, pendant une ou deux nuits, le cimetière avait été gardé par la police et la force armée ; mais que, la troisième nuit, débarrassés de leur surveillance, ils avaient recherché la bière et l'avaient reconnue facilement à une marque qu'ils avaient faite avec de la craie[2] ; mais que, pour s'en assurer davantage, ils avaient soulevé une des planches du cercueil mal cloué, et avaient vu la tête d'un enfant dont le crâne avait été ouvert[3] ; qu'ils avaient creusé une autre fosse sous la porte du cimetière donnant dans la chapelle de Saint-Vincent de Paul, et y avaient enfoui la bière du jeune Prince, après avoir formé sur la planche supérieure de cette bière une croix de Malte avec des lattes.

Je répète que j'ai beaucoup connu ces deux personnes, pendant bien des années, et que je n'ai jamais douté de l'entière vérité de leurs récits ; ils me les faisaient d'ailleurs à une époque où ils ne pouvaient avoir aucun intérêt à le faire.

Decouflet, bedeau des Quinze-Vingts, est mort le 4 octobre 1824. Je me souviens que sept ou huit ans auparavant, lorsqu'il fut question de fouilles dans le cimetière, le bon curé des Quinze-Vingts, M. Quinet, mort il y a quelques années curé de Saint-Ambroise, fit appeler Decouflet, et lui dit d'un ton grave et solennel :Ah çà, Decouflet, il ne s'agit pas de plaisanter ; fais attention au témoignage que tu dois rendre, car on te jetterait dans un cul de basse-fosse si tu ne disais pas la vérité.

Il y a vingt ans que je la dis, monsieur le curé, et les recherches que l'on va faire le prouveront.

Quant à Valentin, il est mort avant la Restauration[4] ; mais il était si persuadé qu'un temps viendrait où l'on rechercherait les restes de l'enfant royal, que quelques heures avant sa mort il disait à sa femme : Un jour on te fera du bien, et tu seras  heureuse ; quand on aura retrouvé le Dauphin, on me récompensera en toi.

Voilà, Monsieur, les renseignements que j'ai recueillis à leur source ; je vous les transmets avec empressement, parce qu'ils vous intéressent ; mais je vous les transmets aussi avec confiance, parce qu'ils sont mes yeux l'expression irréfragable de la vérité.

Quant à la mesure qui empêcha dans le temps les recherches ordonnées par Louis XVIII, le motif ne m'en est pas bien connu. C'était, je crois, en mars ou avril 1816 ; M. Decazes, ministre de la police, avait chargé M. Anglès, préfet de police, de faire faire une enquête pour découvrir les restes du jeune Roi. Le jour avait été pris pour cette cérémonie, et indiqué à M. Dubois, curé de Sainte-Marguerite. Nous étions tous à l'heure dite avec aubes, surplis, étole et la croix en tête, attendant le délégué du ministre -de la police qui devait présider à cette enquête. Il n'arriva point. Au bout de quelques heures d'attente, nous reçûmes une dépêche de M. Anglès annonçant qu'il y avait lieu de différer cette opération. Cet ordre nous chagrina. Le pauvre Decouflet fut lui-même bien désappointé, car il avait touché au moment de voir ses assertions vérifiées et son zèle récompensé. Il paraît que quelques témoins de l'inhumation, n'étaient pas bien d'accord sur la place où elle avait eu lieu, et ce n'est peut-être qu'à leurs contradictions qu'il faut imputer la décision qui annula les effets de l'ordonnance royale. Mais personne ne pouvait être à cet égard mieux instruit que Valentin et Decouflet, qui n'avaient pas quitté les lieux, et leur témoignage aurait dû être écouté.

RAYNAUD, vicaire.

Paris, 7 novembre 1837.

 

Antérieurement à l'ordonnance royale dont parle M. Raynaud, les deux chambres, sur la proposition de Chateaubriand, avaient, les 17 et 18 janvier 1816, inscrit dans une loi relative aux expiations du 21 janvier un article ainsi conçu :

Il sera également élevé un monument, au nom et aux frais de la nation, à la mémoire de Louis XVII, de la reine MARIE-ANTOINETTE et de Madame ELISABETH[5].

 

C'est en exécution de cette loir que le roi Louis XVIII ordonna, au mois de février 1816, que l'on rechercherait les dépouilles mortelles du roi son neveu. Peu de jours après, le ministre de la police générale écrivait à M. Anglès, préfet de police :

Paris, le 1er mars 1816.

MONSIEUR LE COMTE,

Sa Majesté a déterminé, par son ordonnance du 14 février, l'emplacement- que devra occuper le monument religieux qui doit être élevé à la mémoire de Louis XVII.

Il importe actuellement, et j'ai déjà appelé votre attention sur cet objet, de découvrir les précieux restes de cette illustre victime de la Révolution. On sait que le jeune Roi a été enterré dans le cimetière de Sainte-Marguerite, au faubourg Saint-Antoine, en présence de deux commissaires civils et du commissaire de police de la section du Temple, le 8 juin 1795.

Le jeune Roi devra être déposé à Saint-Denis.

Je vous invite à me rendre compte des mesures précises que vous avez prescrites pour parvenir à ce but, et du résultat qu'elles auront obtenu.

Il sera essentiel, si déjà l'on n'a eu cette précaution, d'appeler les commissaires et les autres personnes qui ont dû assister à l'inhumation.

Agréez,

Le ministre de la police générale,

Cte DECAZES.

 

Le préfet de police répondait au ministre :

Paris, le 1er juin 1816.

MONSIEUR LE COMTE,

A la réception de la lettre de Votre Excellence, j'ai désigné deux commissaires de police, les sieurs Petit et Simon, pour prendre d'abord auprès du sieur Dusser, ancien commissaire de police de la section du Temple, qui en cette qualité avait dû assister à l'enterrement du jeune monarque, tous les renseignements qu'il pourrait donner à ce sujet.

Il est résulté des renseignements que les commissaires en obtinrent, que le sieur Voisin, vieillard âgé aujourd'hui de soixante-quinze ans et retiré à l'hospice de Bicêtre, était, à l'époque de la mort de Louis XVII, conducteur des convois de la paroisse Sainte-Marguerite, dans le cimetière de laquelle le Prince fut enterré, et qu'on pourrait conséquemment obtenir de lui des renseignements sur le lieu même de l'inhumation.

Les sieurs Simon et Petit ont interrogé cet homme, et ont tiré de lui plusieurs détails qui les ont mis sur la voie d'établir un système d'informations positives. Il leur a assuré qu'il avait creusé, dans la matinée du jour de cette triste cérémonie, une fosse particulière, où le corps du Roi fut déposé ; rendu au cimetière avec les commissaires Simon et Petit, il leur a tracé une étendue de terrain, dans l'enceinte de laquelle doit se trouver, selon lui, à six pieds de profondeur, le cercueil du Roi, fait en bois blanc, et ayant à la tête et aux pieds un D écrit par lui avec du charbon.

Les commissaires ont vu aussi le sieur Bureau, concierge du même cimetière depuis vingt-huit ans ; il a affirmé que Voisin lui avait demandé dans la matinée du J2 juin 1795 une bière pour une jeune fille, et qu'il sut, pendant la journée, qu'elle était pour le Prince qu'on appelait alors le Dauphin. Il a prétendu que Voisin n'avait pas creusé de fosse particulière, et que le procès-verbal d'inhumation dans la fosse commune fut dressé dans la maison curiale.

Poursuivant leur enquête, les commissaires ont su de M. le curé actuel de Sainte-Marguerite qu'un fossoyeur, nommé Bétrancourt, dit Valentin, dont l'épouse vit encore, avait retiré le corps du jeune Prince de la fosse commune et l'avait enterré dans un lieu particulier.

On s'est informé auprès de la veuve de cet homme si elle pourrait donner des renseignements sur le lieu précis de la sépulture, en confirmant ce que M. le curé avait dit ; elle indiqua un ami de défunt son mari, nommé Decouflet, bedeau de la paroisse des Quinze-Vingts, à qui on s'est adressé, et qui a déclaré que Bétrancourt, dit Valentin, en creusant une fosse dans le cimetière de Sainte-Marguerite, en 1802, lui fit remarquer un lieu près du pilastre à gauche de l'église, d'où il enleva environ deux pieds de terre ; il découvrit une pierre du mur de fondation de l'église sur laquelle était une croix ; Bétrancourt ajouta qu'on y ferait un jour un monument ; car il y a, disait-il, ci-dessous, le cercueil du Dauphin.

De tous les renseignements obtenus de ces différentes personnes et consignés dans le procès-verbal qui en a été dressé par les commissaires, il résulte que le 24 prairial an III (12 juin 1795)[6], la dépouille mortelle de Sa Majesté Louis XVII, renfermée dans une bière de bois blanc de quatre pieds et demi de longueur, a été apportée du Temple au cimetière de Sainte-Marguerite, vers neuf heures du soir, et déposée dans la grande fosse commune ; qu'un procès-verbal de cette cérémonie a été dressé dans la maison curiale par le sieur Gille, alors commissaire de police ; qu'il paraît vraisemblable que le corps a été retiré de la fosse commune ; que cette opération a été exécutée en secret, et pendant la même nuit ou la suivante par Voisin ou Valentin ; que si c'est par ce dernier, le lieu où reposent les cendres du jeune Roi est au-dessous du pilastre gauche de la porte de l'église, en entrant par le cimetière ; que si c'est par le premier, la fosse particulière peut être retrouvée dans l'enceinte que Voisin a désignée à la gauche de la croix élevée dans le milieu du cimetière, en tournant le dos à l'église.

Les commissaires qui ont fait l'enquête penchent à croire que si les restes précieux du jeune Roi ne sont pas restés confondus avec ceux des autres morts, ils doivent se trouver dans l'endroit désigné par la veuve Bétrancourt, ou Valentin, et par le sieur Decouflet.

Telles sont les mesures que j'ai prises pour remplir les intentions de Votre Excellence et répondre au désir de Sa Majesté ; tel est l'état des recherches et le résultat qu'elles ont produit pour parvenir à retrouver les dépouilles mortelles du jeune et infortuné Roi Louis XVII[7].

Je prie Votre Excellence d'agréer, etc.

Le ministre d’état, préfet de police,

Cte ANGLÈS.

 

La déposition de la veuve Bétrancourt, dont le rapport fait mention, est reproduite in extenso dans un travail de l'archiviste Peuchet, intitulé : Recherches pour l'exhumation du corps de Louis XVII. (Voyez les Mémoires de tous, t. II, p. 341.)

On l'enterra à la brune ; il ne faisait pas encore tout à fait nuit. Il y avait très-peu de monde ; je pus facilement m'approcher : je vis le cercueil comme je vous vois ; on le mit dans la fosse commune, qui était alors la fosse de tout le monde : les petits comme les grands, les pauvres comme les riches, tous y allaient, parce que, soi-disant, tout le monde était égaux. Le lendemain, comme j'étendais de bon matin du linge dans le cimetière, mon mari, qui travaillait à la tranchée, me fit signe d'aller auprès de lui. J'y allai, et aussitôt il me dit de descendre avec lui dans la fosse ; et enfonçant sa pelle à plusieurs endroits dans le lit de terre dont la bière était censée couverte, il me montra que dessous il n'y avait plus rien. Et comme je regardais sans y prendre trop d'attention, il me dit : Ah bien, tu n'es guère curieuse, pour une femme ! tu ne me demandes pas seulement ce qu'elle est devenue, cette bière. Sur quoi je lui répondais que je ne me mêlais pas de politique, et que si j'avais su qu'il me dérangeât pour si peu de chose, je serais bien restée à étendre mon linge. Il me dit là-dessus que je ne serais jamais qu'une bête ; et je retournai à mon ouvrage, pendant qu'il continua de se croiser les bras, appuyé sur sa pelle, comme quelqu'un qui pense. A peu de temps de là, il revint encore sur le propos de cette bière, en me disant que le corps avait été retiré de la fosse commune la nuit même de l'enterrement, et qu'il avait été placé dans une fosse creusée d'un bout dans le mur de fondation, et de l'autre dans le cimetière, à la gauche de la porte de l'église, du côté de l'autel de la communion. Il n'aurait tenu qu'à moi de savoir l'endroit au juste, mon mari m'y aurait menée, si j'avais voulu ; mais je ne m'en étais jamais intéressée, vu que ça ne me regardait pas ; si bien qu'à l'heure qu'il est, je ne puis que répéter ce qu'il m'a dit.

 

Comme le prouvent le rapport du comte Anglès, le procès-verbal dont il contient la substance, et le récit de la veuve Bétrancourt, les témoins mêmes de l'inhumation du mois de juin 1795 n'étaient plus d'accord au mois de mars 1816. Voisin et Dusser[8] prétendaient, comme Lasne, qu'une sépulture particulière avait été choisie ; Bureau, Valentin et tous les autres témoins indiquaient la fosse commune.

Ce n'est pas tout. Quelques voix s'étaient élevées, disant que le convoi et les obsèques de Louis XVII dans le cimetière de Mainte-Marguerite n'avaient été que simulés, et que ses restes étaient enfouis au pied même de la tour où s'était accomplie sa déplorable destinée.

Le général comte d'Andigné, prisonnier au Temple au mois de juin 1801, a, dans des Mémoires inédits, exprimé cette opinion. Après avoir parlé d'un nouveau fossé creusé pour établir un second mur d'enceinte, du côté du nord et de l'est, dans l'enclos du Temple, il rapporte ce qui suit :

Les terres extraites de ce fossé étaient jetées négligemment des deux côtés de la tranchée, en sorte que la cour aride, seule promenade qui nous fût permise, semblait réellement environnée de décombres. Autant pour s'occuper que pour embellir leur prison, plusieurs détenus imaginèrent de convertir en jardin les terres du fossé qui avaient été jetées de notre côté, et Fauconnier, concierge du Temple, approuva leur projet. D'après cela, nous nous partageâmes les terrains et nous nous mîmes sur-le-champ à l'œuvre. La terre mise à notre disposition était mauvaise ; pour l'améliorer, nous pelâmes les gazons de la cour et nous cherchâmes de la bonne terre dans tous les lieux où nous pûmes en trouver. Un détenu crut en apercevoir de convenable dans le fond du fossé ; il creusa pour la retirer, et ne fut pas médiocrement étonné d'apercevoir le corps d'un grand enfant qui avait été enterré dans de la chaux vive.

Un corps isolé, enseveli dans ce lieu et avec des précautions aussi inusitées, nous donna à penser que nous avions trouvé les restes de monseigneur le Dauphin, mort dans la tour du Temple ; les chairs étaient entièrement détruites, il ne restait plus que le squelette. Un de nous en détacha un petit os, qu'il désira conserver comme une relique. Le corps fut recouvert respectueusement, et nous évitâmes d'en approcher davantage. Fauconnier se trouvait près de là au moment où j'allai visiter le squelette. C'est là nécessairement, monsieur, lui dis-je, le corps de Monseigneur le Dauphin. Il parut un peu embarrassé de ma question, mais me répondit sans hésiter : Oui, monsieur.

J'ai souvent regretté que l'on n'ait pas fait constater par une enquête le fait que je rapporte ici, et que tous mes compagnons de prison ont connu comme moi. Sous la Restauration, j'en parlai au cardinal de La Fare, archevêque de Sens. Il me répondit que Madame la Dauphine était persuadée que son malheureux frère n'était pas mort au Temple, et qu'ainsi nous ne pourrions que renouveler ses douleurs sans la convaincre. Malheureusement le temps qui s'écoule rend de jour en jour la vérité plus difficile à constater[9]... Pour éclairer autant qu'il dépendait de moi un fait qui un jour peut importer à l'histoire, je me suis rendu le 3 juin 1840 au Temple, accompagné de M. Lambert, ancien juge au tribunal de première instance de la Seine, et de M. l'abbé Just, aujourd'hui grand vicaire de monseigneur de Rouen, alors aumônier de la maison. Madame la supérieure et quatre ou cinq de ces dames assistèrent à nos recherches. Je me souviens parfaitement que le corps de Monseigneur le Dauphin, dont je n'ai reconnu la position qu'au simple coup d'œil en 1801, doit se trouver à cinq pieds de profondeur à peu près et à environ dix ou douze pieds du mur de l'est, et quarante ou cinquante pieds de celui du nord, dans un terrain creusé pour l'ensevelir et plus tard ouvert par une tranchée destinée à établir un fondement, ce qui doit laisser des traces faciles à suivre. Malheureusement un espace de cinquante et quelques pieds de côté a été détaché de l'ancienne enceinte dans l'angle qui approche de la rotonde, et l'on a placé dans cet espace un corps de garde de pompiers et un cabaret ; en sorte que si je ne me suis pas trompé en estimant à cinquante pieds environ la distance à laquelle les restes de Monseigneur le Dauphin sont du mur du nord, ils se trouveraient sous les bâtiments...

J'ai relaté ces observations dans une déclaration signée de moi et de tous les assistants comme témoins, et que j'ai déposée entre les mains de madame la supérieure.

 

Une autre déposition vint encore à la traverse, troublant, du moins en apparence et d'une manière étrange, toutes les précédentes assertions. Le 11 juin 1816, le sieur Louis-Antoine Charpentier, jardinier en chef du palais du Luxembourg, se rendit, sur l'invitation qui lui en fut faite, à la préfecture de police, et y fit la déclaration suivante :

Le 25 prairial an III, vers cinq heures a près midi, quelqu'un se présenta chez moi de la part du comité révolutionnaire de la section du Luxembourg, et m'enjoignit de me rendre de suite au comité, ce que je fis. Là un membre me donna l'ordre de revenir le même jour, à dix heures du soir, avec deux de mes ouvriers munis d'une pioche et d'une pelle[10]. A l'heure prescrite, nous étions tous trois au comité, où après avoir attendu jusqu'à onze heures, un membre, revêtu de son écharpe, sans entrer dans aucune explication, nous fit monter avec lui dans un fiacre qui nous conduisit jusqu'à l'extrémité de la rue du Jardin des Plantes. Il nous fit alors descendre et l'accompagner à pied jusqu'au cimetière de Clamart, en continuant d'observer le plus profond silence. Ici je crois devoir faire remarquer que cette démarche paraissait enveloppée d'un mystère impénétrable. La voiture avec laquelle nous étions partis du comité n'était précédée ni suivie d'aucune escorte.

Arrivés au cimetière — il était alors onze heures et demie —, celui sous la direction de qui nous avions marché fit d'abord retirer un homme qui nous avait ouvert la porte et qui paraissait logé dans l'intérieur. Pour nous, je veux dire les deux ouvriers et moi, il nous fit ensuite avancer à droite de l'entrée, à une distance de huit à dix pieds seulement. Alors il nous dit que nous devions nous mettre en devoir de creuser, à la place où nous nous trouvions, une fosse large de trois pieds et qui en eût six en longueur comme en profondeur. Nous nous conformâmes à cette injonction, du moins quant à la largeur ; mais deux ouvriers ne pouvant travailler ensemble dans un espace de six pieds, nous dûmes donner à la fosse une extension de huit pour la longueur. Enfin nous étions parvenus à une profondeur d'environ six à huit-pieds, lorsque nous entendîmes arriver une voiture. Dans le même instant on nous fit cesser le travail, on ouvrit la porte du cimetière, et nous vîmes sortir de la voiture trois autres membres du comité révolutionnaire, revêtus de leur écharpe comme celui avec qui nous étions venus. Chacun de nous put y remarquer en même temps un cercueil large de huit à dix pouces environ, et long de quatre pieds et demi, que les membres du comité, avec l'aide du cocher, prirent eux-mêmes le soin de descendre et de déposer à l'entrée du cimetière, après quoi l'on nous fit sortir moi et mes ouvriers.

Cependant un moment après, nous fûmes introduits de nouveau, et nous eûmes lieu de remarquer que, dans l'intervalle, le cercueil avait été déposé dans la fosse, puis recouvert d'environ cinq à six pouces de terre. Alors nous fûmes chargés de combler la fosse, et quand cette opération fut terminée, de marcher tous trois sur la superficie pour fouler la terre de toutes nos forces. Nous conclûmes de cette disposition que le but était de faire disparaître, dans cet endroit, du moins autant que possible, la trace d'une terre fraîchement remuée.

Tout étant ainsi consommé pour ce qui nous regardait, on nous fit la recommandation la plus positive de garder le secret sur l'opération à laquelle nous avions concouru. On nous dit même à ce sujet que l'on saurait retrouver celui de nous qui aurait commis la moindre indiscrétion. Enfin, on remit un assignat de dix francs à chacun de mes ouvriers ; quant à moi, on me promit une récompense que je me gardai bien d'aller chercher par toute raison, mais surtout après avoir entendu l'un des quatre membres du comité se permettre de dire même en riant : Le petit Capet aura bien du chemin à faire pour aller retrouver sa famille.

Interpellé sur la question de savoir s'il n'a pas reconnu antérieurement l'importance et l'intérêt d'une déclaration relative à un événement qui touche de si près la famille royale des Bourbons, et s'il n'a pas déjà fait quelque démarche dans ce but, le sieur Charpentier a répondu qu'il en a parlé, vers le mois de décembre 1814, à madame la marquise de Soucy, qui devait en entretenir Son Altesse Royale madame la duchesse d'Angoulême ; mais que depuis il n'a entendu parler de rien ; que, postérieurement au mois de janvier 1815, il fut conduit par madame la comtesse Dernault[11] auprès d'un ecclésiastique, alors secrétaire particulier du ministre de l'intérieur, qui, nonobstant la déclaration du sieur Charpentier, parut plus fortement pénétré de l'opinion que le corps du jeune Louis XVII avait été inhumé à la paroisse Sainte-Marguerite. Néanmoins., le secrétaire particulier annonça qu'il appellerait l'attention du ministre sur cet objet. Le sieur Charpentier ignore ce qui peut avoir été fait en conséquence, et il assure que, pour lui, il n'a rien appris sur la suite qui aurait été donnée de ce côté à sa démarche.

En foi de quoi il a signé la présente déclaration, en certifiant qu'elle est en tout point conforme à la plus exacte vérité.

CHARPENTIER.

 

D'autres témoignages arrivèrent, les uns favorables au récit de la veuve Bétrancourt et de Decouflet[12], les autres n'acceptant aucune idée de substitution. La lutte recommença entre les sieurs Bureau et Dusser, celui-ci ayant pour lui la voix de Voisin et de Lasne, et celui-là l'irrécusable appui d'un règlement inflexible. Devant tant de rapports contradictoires, le doute avait grandi, l'autorité se troubla, et les recherches n'eurent pas lieu.

Depuis, l'archiviste Peuchet a essayé d'établir une concordance qui n'est pas complètement dénuée de vraisemblance entre les deux principales versions, celle de Valentin Bétrancourt et celle de Charpentier :

S. M. Louis XVIII, dit-il, n'était rien moins que certaine que ce fussent bien les restes de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth qui avaient été retrouvés et transportés à Saint-Denis. Plusieurs fois on lui avait insinué qu'elle avait été trompée, et que la fausseté de ces reliques résultait de preuves anatomiques in- contestables. Elle craignait que sa piété familiale ne l'eût rendue le jouet de quelque mystification, et plusieurs rapports faits, soit à la police du château, soit à la police générale, l'entretenaient dans cette crainte, fort légitime dans un moment où l'opinion ennemie des Bourbons commençait de déverser le ridicule sur les royales exhumations.

Ce fut cette crainte, plus que le vague des informations, qui empêcha de donner suite à l'exécution des ordres pour la recherche de la sépulture de Louis XVII. Dans le doute sur la réalité d'une première découverte, Louis XVIII n'a pas voulu s'exposer à impatroniser un intrus dans les tombeaux de son auguste race. Ainsi, le lieu où fut inhumé le jeune Louis XVII est, jusqu'à ce jour, resté enveloppé de ténèbres ; seulement, je le répète, l'opinion la plus vraisemblable et la mieux fondée, c'est que le corps fut porté au cimetière de Sainte-Marguerite, qu'il y resta un ou deux jours, ou dans la fosse commune, ou dans une fosse particulière ; et qu'ensuite le gouvernement d'alors, c'est-à-dire, d'après ses attributions, le comité de sûreté générale, donna des ordres et prit des mesures pour le faire ôter du cimetière de Sainte-Marguerite, et porter à celui de Clamart[13].

 

Nous n'avons ni à justifier ni à blâmer le gouvernement de la Restauration de la décision qui annula les effets de l'ordonnance royale. Les contradictions inquiétaient sa confiance, sans doute ; mais peut-être ne devaient-elles point entraver son zèle et l'empêcher de remplir un devoir. Je crois qu'il aurait obtenu des résultats satisfaisants, soit en suivant les indications données par Voisin, soit plutôt en écoutant les déclarations que Valentin avait faites en présence de la mort, et que Decouflet renouvelait devant l'autorité qu'il acceptait avec joie pour juge de son témoignage ; soit enfin en tenant compte des dépositions de Charpentier, qui pouvaient être exactes. La scène mystérieuse de Clamart, placée dans son récit à la date du 25 prairial, ne dément point la cérémonie officielle de Sainte-Marguerite qui avait eu lieu trois jours auparavant, c'est-à-dire le 22 du même mois. Ces deux actes successifs n'ont rien d'inconciliable. En adoptant cette explication, on comprend que le pouvoir révolutionnaire aurait fait exhumer les restes du Dauphin pour dérouter les recherches de l'avenir.

On le voit, il y a ici un fait certain, à côté d'autres faits qui ne sont que probables. Aussi bien qu'il est évident pour moi que l'enfant royal est mort au Temple, il m'est également démontré que son cadavre, enveloppé d'un linceul, a été mis dans une bière ; que cette bière n'a été ni rouverte ni changée, et que c'est bien elle, avec la dépouille qu'elle contenait, qui a été inhumée dans le cimetière de Sainte-Marguerite, et dans le lieu que nous avons désigné. Tous les témoignages s'accordent sur cet emplacement primitif ; ils ne commencent à se combattre que relativement à la translation effectuée par Bétrancourt ou Voisin et à celle racontée par Charpentier. Le plan ci-contre aidera à suivre la partie de notre récit relative au cimetière de Sainte-Marguerite.

Voilà tout ce que j'ai pu apprendre touchant l'inhumation de Louis-Charles de France.

Peu d'habitants du centre de Paris connaissent l'église et le cimetière de Sainte-Marguerite. Avant de m'être occupé du drame qui fait l'objet de ce livre, j'ignorais même qu'il y eût à Paris une paroisse qui portât ce nom. La première fois que je la visitai, le vendredi 10 mars 1837, désireux de voir la place où furent enfouis les restes de la dernière victime royale, c'était, je m'en souviens, un de ces beaux jours de l'année nouvelle qui semblent rapporter à la nature sa couronne de jeunesse et de joie. L'élégante population de la ville sortait de ses chauds appartements d'hiver, et s'épanouissait le long des boulevards, sous la naissante influence du soleil. Les jeunes têtes de nos salons, longtemps fatiguées par l'éclat des lustres, venaient chercher dans une atmosphère nouvelle cette fraîche auréole de leur printemps, compromise et presque fanée par les veilles fit les plaisirs. La pensée triste qui m entraînait me fit passer rapidement au milieu de ces oisifs du monde, de ces heureux du siècle, qui, dans leur promenade joyeuse, ne se doutant guère qu'ils coudoyaient un homme qui accomplissait un funèbre pèlerinage ; les objets que je contemplais étaient en moi-même. Depuis la rue du Temple jusqu'à l'Église de Sainte-Marguerite, je suivis fidèlement à pied la route que le convoi avait suivie. Profondément pénétré de mon sujet, je me représentais cette dernière cérémonie telle que le vieux Lasne me l'avait racontée ; et toute cette histoire de dix ans se déroulait encore sous mes yeux, cette vie si courte et si longue, ce chemin si rapide et si dur depuis Versailles jusqu'à ce cimetière ignoré. J'arrivai devant l'église ; je reconnus les lieux tels qu'ils m'avaient été dépeints ; je vis à gauche le mur de l’enclos funéraire et la porte par laquelle le convoi était entré. Mais, arrivé à cette porte, qui depuis de longues années ne s'ouvre plus, même pour les morts, je fus obligé de prendre une autre route, et j'entrai dans l'église. Je ne saurais dire l'émotion que j'éprouvais ; ma tête se courba et mes genoux se plièrent comme à mon insu. Quand je me relevai, et que je regardai autour de moi, je vis que j'étais seul dans la pieuse enceinte. Les arbres que j'apercevais à travers les vitraux m'indiquaient bien le champ des sépultures ; mais je ne savais, pour y pénétrer, à qui je devais m'adresser, lorsqu'en tournant à gauche dans la chapelle de Saint-Vincent de Paul, j'aperçus une petite porte qui, à mon grand étonnement, n'était point fermée à clef. Me voici dans le cimetière ; je foule ce gazon qui a recouvert tant de têtes et tant de corps séparés par le couperet des échafauds ; je vais droit à la place qui m'avait été indiquée, et là, debout, les mains jointes sur mon bâton, les yeux attachés à la terre, je reste abîmé dans la rêverie la plus profonde. Oh ! le langage glacé de la philosophie ne saurait analyser ce charme mystérieux et sacré qui nous attache à un triste souvenir, nous fait nous complaire dans de douloureuses sensations, et nous rend chers les moindres circonstances, les moindres détails qui tiennent aux affections de l’âme. J'étais immobile... un homme du peuple, déjà avancé en âge, ouvrit la porte des charniers et vint à moi : C'est ici, n'est-ce pas ? lui dis-je en frappant avec ma canne le gazon sous mes pieds ; et lui, ne comprenant rien à ces paroles ni à ma présence dans ce heu, me demanda ce que je voulais. De pieuses intentions m'ont amené ici, lui répondis-je, j'accomplis un devoir de cœur. — C'est donc, Monsieur, un devoir qui vient de bien loin, me dit-il d’un air incrédule, car à votre âge vous ne pouvez avoir que votre grand-père dans ce cimetière. Le monument le plus récent qui s’y trouve est plus ancien que vous. — La personne dont le souvenir m'a conduit ici, lui répondis-je, n'a jamais eu de monument ; les méchants n'ont point voulu qu'elle eût un nom dans ce lieu même. Cet homme me comprit alors, l’expression de ses traits changea tout à coup ; il ôta son chapeau, me regarda d’un air respectueux, et me dit : Oui, Monsieur, c'est bien là la place où repose Louis XVII, roi de France. Je vous demande pardon de ne vous avoir point deviné plus tôt ; mais, depuis plus de trente ans que je suis attaché à la fabrique de la paroisse, je n'ai vu personne Venir ici conduit par le sentiment qui vous y amène.

Entré en confidence sympathique avec ce vieillard, je lui parlai de la conduite des deux fossoyeurs ; mais il n'avait entendu sur ce sujet que de vagues allégations, il ne semblait pas croire à a translation du cercueil d'un lieu à l'autre et toujours il me ramena vers, le coin de terre où il m'avait abordé, et il me répéta : C'est là, c'est bien là !

Prince, triste et cher objet de cet ouvrage, vous savez -avec quel amour religieux, avec quelle consciencieuse fidélité j'ai recueilli les souvenirs presque effacés de vos tortures et de votre mort. Je veux achever mon œuvre en élevant une, simple pierre à la place où vous avez été enseveli. Nos enfants ne passeront pas devant cette pierre sans donner une larme à votre mémoire. S'il ne m'a pas été permis de faire plus, vous me te pardonnerez, car j'ai' souvent crié : Où sont les restes oublias du-fils de Louis XVI ? La terre qui les a reçus en a-t-elle, à l'Heure présente, dévoré jusqu'au dernier ossement ? Là, à côté de vous, ont été jetées des victimes inconnues, obscurs martyrs de l'honneur, de la naissance, de la foi ou de la richesse ; morts sans bruit comme ils avaient vécu, avec simplicité et sans ostentation. Le temps a-t-il tout broyé ? le temps a-t-il mêlé votre poussière à la poussière de cette génération pieuse et héroïque, ensevelie sous une herbe épaisse ?

Rien ne trouble plus amèrement le cœur que l'aspect d'un cimetière abandonné. Hélas ! à peine, dans le tourbillon où nous sommes, faisons-nous attention au nombre de ceux qui tombent à nos côtés ; à plus forte raison foulons-nous avec indifférence ceux qui sont tombés avant nous. Il n'y a guère que cinquante ans que ce cimetière est fermé aux morts, et les vivants n'en connaissent plus la route. Les joies mondaines poussent sur les regrets comme le gazon sur les tombes. Il n'y a plus une trace de pied humain à travers cette herbe, plus un petit sentier qui conduise à une tombe aimée. Quelques arbres sont restés debout, parce qu'ils étaient jeunes, et qu'un coup de hache n’apporterait pas encore grand profit à leur maître. Là-bas, dans ce coin, les générations des trépassés se succédaient rapidement ; car, dans ce monde étroit, on se dispute la place au delà même de la vie, et l'on exproprie la mort au profit de la mort.

Que de fois dans ce champ clos funèbre, au milieu des tombes en ruines et des arbustes sans culture et déjà étouffes sous les orties et les ronces, que de fois j'ai jeté cette interrogation terrible et trop connue : Capet, où es-tu ? lève-toi ! Et j'allais, triste et rêveur, de l'une à l'autre de ces tombes que les fossoyeurs assurent avoir creusées ; et ma pensée recueillait des dépouilles royales que je conduisais en grande pompe à Saint-Denis ! Puis la triste réalité m'accablait, et je me prenais à regretter cette ordonnance royale rendue par une sorte de pudeur et restée stérile par une sorte d'indifférence. Les hommes qui gouvernaient à cette époque n'ont pas compris assez la suprême consolation qu'ils devaient à la sœur du Dauphin. La sainte fille de Louis XVI, aussi fidèle au malheur que le malheur lui a été fidèle, n'a pu en présence de renseignements insuffisants ou contradictoires, venir apporter sur le terrain qui a dévoré les restes fraternels une de ces prières et une de ces larmes qu'elle avait pour tous les malheureux.

Il semble qu'il y ait eu en France unanimité d'oubli pour ce cimetière. Et pourtant, royauté de treize siècles, qui commentâtes à Reims, c'est ici que vous avez fini ! C'est ici que le plus une de vos rejetons est retourné en poussière, à cette époque où l'on chassait votre poussière de vos tombes. Mais vos tombes, restées vides ou brisées, attestent encore votre passage, et l’on peut lire vos actions dans l'histoire ou visiter à Saint-Denis le simulacre de vos cercueils. Rien n'est ; resté de cet enfant ; roi, il n'a pas laissé un acte ; mort, il n'a pas gardé une pierre. En l'arrêtant si vite dans la vie, Dieu n'a pas voulu justifier en lui le nom de r.oif mais il lui a donné les plus dures adversités qui puissent illustrer le nom d'un enfant. S'il a fallu à d'autres des triomphes et des conquêtes pour obtenir une immortalité dans l'histoire, cet enfant aurait acquis la sienne en souffrant comme un martyr : il lui suffit de sa naissance et de sa mort. Qui, je ne doute pas que ses infortunes ne lui fassent un jour une place dans nos annales[14], alors qu'elles auront été redites par une voix plus écoutée que la-mienne. Toutefois il m'a semblé qu'en me faisant entrer dans les mystères de cette longue agonie, la Providence m'imposait la sainte obligation d'en recueillir tous les souvenirs. Dieu donne souvent une mission au plus chétif et au plus faible.

 

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NOTE

Quoique cette lettre du préfet de police résume parfaitement les renseignements que lui avaient fournis ses commissaires, nous croyons devoir donner ici leur rapport tout entier, afin de n'enlever à ce procès funèbre aucune des pièces qui le concernent :

Réponse au sujet des précieux restes de Louis XII.

A Son Excellence le ministre d'Etat, préfet de police.

Monseigneur,

Par sa lettre du 8 de ce mois, Votre Excellence nous a chargés de procéder, auprès des sieurs Dusser, ex-commissaire de police, Voisin et autres, à une information qui pût conduire à retrouver les cendres du jeune et infortuné Roi Louis XVII, mort au Temple en 1795.

Honorés d'une mission aussi importante, nous n'avons rien négligé pour la remplir avec succès ; mais nous n'osons nous flatter que nos découvertes parviennent à satisfaire la juste impatience de tous les bons Français.

Pour suivre la marche que Votre Excellence nous a tracée, nous nous sommes d'abord transportés auprès de M. Dusser, ancien commissaire de police de la section du Temple, qui avait dirigé l'inhumation ; nous avons ensuite recherché la demeure des sieurs Biard et Goddet, commissaires civils de la même section, qui l'avaient assisté ; enfin nous avons interrogé le nommé Voisin, qui, en sa qualité de conducteur des convois, avait été chargé du matériel de cette fatale cérémonie.

M. Dusser prétend avoir répandu sur la pompe funèbre plus d'éclat qu'il ne convenait à sa propre sûreté, et avoir, contre les dispositions de l'autorité supérieure, ordonné l'ouverture d'une fosse particulière ; mais il affirme en même temps qu'il ne pourrait nullement indiquer, même à peu près, le lieu où elle fut creusée. Comment accorder un tel manque de mémoire avec les sentiments dont M. Dusser a dû être pénétré, en remplissant à l'égard de son Roi un devoir qui, suivant lui, pouvait mettre sa vie en danger ?

Voisin, vieillard de soixante-quinze ans, retiré à l'hospice de Bicêtre, e déclaré que ce fut lui qui fit sortir le cortège par la grande porte du Temple, et non par la petite, comme on le voulait ; qu'arrivé au cimetière de Sainte-Marguerite, le corps fut mis par lui dans une fosse particulière qu'il avait creusée lui-même dans la matinée ; et, transporté au cimetière, il nous a tracé une étendue de terrain d'environ dix pieds de long sur douze de large, dans l'enceinte de laquelle doit se trouver, selon lui, à six pieds de profondeur, le cercueil du jeune Roi, fait en bois blanc, et ayant à la tête et aux pieds un D écrit par lui avec du charbon.

Le concierge du cimetière, le sieur Bureau, qui occupe cette place depuis vingt-huit ans, a affirmé que Voisin était venu dans la matinée du 12 juin 1795 lui demander une bière pour une jeune fille ; qu'il lui en fournit une de quatre pieds et demi ; que, pendant la journée, il eut lieu de s'assurer qu'elle était destinée à recevoir le jeune Prince qu'on appelait alors le Dauphin ; que le cortège arriva le soir, vers les neuf heures ; qu'il le fit passer par l'église ; qu'on alla déposer le corps dans la fosse commune ; qu'il en fut lui-même témoin ; qu'il n'y avait alors aucune fosse particulière, et qu'il était même expressément défendu d'en ouvrir à cette époque ; que le procès-verbal d'inhumation fut rédigé de suite dans la maison curiale par le sieur Gille, alors commissaire de police de la section de Montreuil, et signé tant de M. Dusser que d'autres fonctionnaires civils et militaires.

Il s'est élevé dans le cimetière, en notre présence, un débat assez animé entre Voisin et ledit sieur Bureau. Tous deux y ont mis beaucoup de chaleur, le premier soutenant avoir creusé la fosse particulière au lieu qu'il désignait, l'autre niant qu'il l'eût faite, ni même qu'il eût pu la faire.

Nous avons terminé ce débat en éloignant Voisin, et nous sommes allés avec le sieur Bureau chez M. le curé de Sainte-Marguerite, qui,- suivant le concierge, avait reçu des renseignements sur un lieu particulier du cimetière où avait été déposé le corps de Louis XVII, après avoir été retiré secrètement de la fosse commune.

M. le curé nous a dit avoir recueilli sur cette affaire des notions dont il avait entretenu le Roi, madame la duchesse d'Angoulême et madame la marquise de Tourzel, et nous a laissé entrevoir qu'un fossoyeur, surnommé Valentin, mort depuis quelques années, avait retiré le corps du jeune Prince de la fosse commune, et l'avait enterré dans un lieu particulier qu'il espérait connaître, et qu'il attendait des ordres supérieurs pour faire de ces données l'usage qui sera jugé convenable.

Nous n'avons pas dû négliger ce renseignement, et nous avons entendu la veuve du fossoyeur Pierre Bétrancourt, surnommé Valentin, fermement attaché à la cause des Bourbons, discret, courageux, et capable de s'être exposé pour ne pas laisser le jeune Prince outrageusement confondu avec les autres morts.

Suivant la déclaration de la veuve Bétrancourt, son mari lui avait confié que, la nuit même de l'inhumation ou la suivante — elle n'est pas sûre de laquelle —, il retira le corps du jeune Monarque, et le déposa dans une fosse creusée partie dans le mur de fondation, partie dans le cimetière, à la gauche de la porte de l'église, du côté de l'autel de la communion, mais que son mari ne lui avait pas montré au juste l'endroit ; qu'il n'y avait qu'un seul homme auquel il l'eût indiqué, et que cet homme était un nommé Decouflet, bedeau de la paroisse des Quinze-Vingts.

Nous nous sommes transportés auprès du sieur Decouflet, et l'avons invité à se rendre avec nous dans le cimetière de Sainte-Marguerite. Là, il nous a déclaré avoir été autrefois portier de l'abbaye Saint-Antoine ; que son attachement pour la famille des Bourbons et ses occupations l'avaient lié d'amitié avec feu Bétrancourt ; que, se trouvant un jour avec lui dans le cimetière, en mars 1802, tandis qu'il travaillait à la fosse de feu le sieur Colin, maître de pension à Picpus, son ami creusa environ deux pieds en terre, auprès de cette fosse, le long du pilastre gauche de la porte de l'église, en entrant par le cimetière, qu'il mit à découvert une pierre du mur de fondation d'à peu près un pied et demi en tous sens, et lui fit remarquer à la surface une croix de deux à trois pouces, paraissant avoir été faite avec un marteau ; qu'il lui dit ensuite : Tu vois cet endroit ? On y fera quelque jour un monument, car il y a ici dessous un cercueil du Dauphin. Il ajouta qu'il l'avait retiré de la fosse commune, et l'avait placé- dans ce lieu. Le sieur Decouflet ne se rappelle pas bien si ç'avait été la nuit même de l'inhumation ou la nuit suivante ; que son ami lui recommanda de n'en rien dire à personne pour leur propre sûreté, et qu'il n'en a parlé que depuis la rentrée de S. M. Louis XVIII.

Il résulte de nos informations consignées dans les procès-verbaux ci-joints que, le 24 prairial an III (12 juin 1795), la dépouille mortelle de S. M. Louis XVII, renfermée dans une bière en bois blanc de quatre pieds de longueur, a été apportée du Temple au cimetière de Sainte-Marguerite, vers neuf heures du soir, et déposée dans la grande fosse commune ; qu'un procès-verbal de cette cérémonie a été dressé dans la maison curiale par le sieur Gille, alors commissaire de police de la section de Montreuil, conjointement avec M. Dusser et d'autres fonctionnaires ; qu'il paraît vraisemblable que le corps a été retiré de la fosse commune ; que cette opération a été exécutée en secret et pendant la même nuit ou la suivante ; que feu Bétraucourt ou Voisin ont rendu au jeune Monarque ce dernier service d'un sujet respectueux ; que si c'est Bétraucourt, le lieu consacré à recevoir les cendres de Louis XVII est au-dessous du pilastre gauche de l'église. en entrant par le cimetière ; que si c'est Voisin, la fosse particulière peut être retrouvée dans l'enceinte qu'il a désignée à gauche de la croix élevée au milieu du cimetière, en tournant le dos à l'église ; que, néanmoins, il est plus que probable que la fosse a été faite par Bétrancourt ; que l'opinion de cet homme et son dévouement pour la famille des Bourbons a pu le porter à cet acte généreux ; que M. Dusser n'a guère pu, dans les circonstances où il exerçait, se permettre d'agir ouvertement et en présence d'un grand nombre de personnes, de faire déposer le corps du jeune Monarque dans une fosse séparée ; que si cette opération eût eu lieu comme il l'affirme, et publiquement, il y aurait eu assez de témoins qui, depuis deux ans, se seraient réunis pour constater une chose aussi désirable.

Nous penchons à croire que si les restes du jeune Roi ne sont pas confondus avec ceux des autres morts, ils doivent se retrouver dans l'endroit désigné par le sieur Decouflet et la veuve Bétrancourt. Si, cependant, on n'en découvrait aucune trace dans ce dernier lieu, les assertions de Voisin devraient alors être vérifiées.

Les sieurs Biard et Goddet n'ont pu être consultés : le premier est mort dans son domicile, rue Charlot ; le second, dont le fils tient un café, rue de Rivoli, est retiré à Loret, près Pacy-sur-Eure.

Telles sont, Monseigneur, les notions auxquelles nous ont conduits nos démarches multipliées depuis la réception de vos ordres.

Si nous n'avons pas réussi à faire preuve d'un parfait discernement, il nous suffira d'avoir pu faire éclater notre empressement à vous plaire, et notre dévouement envers l'auguste famille des Bourbons.

Nous avons l'honneur d'être, etc.

Les commissaires de police des quartiers de l'Hôtel de ville et du Temple,

SIMON, PETIT.

Paris, le 15 mars 1816.

 

 

 



[1] L'abbé Raynaud se trompe en faisant de Decouflet le compagnon de travail de Valentin. On verra plus tard que Decouflet ne prit aucune part à l'inhumation, et qu'il n'en fut pas même témoin.

[2] La veuve Decouflet nous a dit que, dans le but de retrouver plus facilement le cercueil, Valentin avait peut-être laissé quelque distance entre les bières qui précédaient et celles qui suivirent. — Ne serait-ce pas cette précaution qui aura fait croire à une fosse particulière ?

[3] J'ai fait observer à la veuve Decouflet, qu'après l'autopsie la tête de l'enfant avait été couverte de bandelettes qui descendaient sous le menton, et qu'ainsi il n'avait point été possible de voir que le crâne avait été ouvert : Oh ! monsieur, me répondit-elle, le linge devait être taché ; d'ailleurs, Valentin l'a peut-être soulevé.

On le voit, la veuve Decouflet disait toujours peut-être ; elle n'avait rien su que par Decouflet, qui n'avait rien appris que par Valentin.

[4] Le 4 juin 1809, a été présenté à l'église Sainte-Marguerite le corps de Pierre Bétrancourt, âgé de soixante-deux ans, rue Saint-Bernard. n° 37.

[5] En conséquence deux ordonnances royales, datées des 19 janvier et 14 février 1816, prescrivirent l'achèvement de l'église de la Madeleine, au faubourg Saint-Honoré, pour y placer les monuments expiatoires votés par v les chambres. Lemot, l'un de nos plus célèbres sculpteurs, fut chargé de l'exécution du mausolée de Louis XVII.

Le 8 juin suivant, anniversaire de la mort de ce Prince, Tiolier, graveur général des monnaies, présenta à Louis XVIII et à la famille royale deux médailles frappées à l'hôtel de Paris, et consacrées à la mémoire du royal enfant. Au champ de chacune d'elles est l'effigie du jeune Roi avec cette inscription : LUDOV. XVII. D. G. FRANC. ET NAV. REX. Sur le revers de l'une est la date funèbre qui le fit orphelin et roi : XII JANUARII. MDCCLXXXXIII, accostée d'une palme de martyr et d'un cyprès ; le revers de l'autre médaille représente un lis brisé par l'orage avec cette légende CECIDIT UT FLOS, et avec cet exergue : VIII. JUNII MDCCXCV.

Quelques biographes ont fait mention d'une inscription composée par M. Belloc pour le mausolée de Louis XVII. Donnons-lui ici la place qu'elle attend encore sur le monument qui n'a point été exécuté :

Memoriæ, et cineribvs

LUDOVICI. XVII

qvem

parentibvs. sanctissimis

intando. fvnere. orbatvm

nvllas. non. œrvmnas. perpessvm

in. ipso. fere. vitæ. limine. mors. svstvlit

die. VIII. jvnii. an. M. DCC. LXXXXV

Vixit. annis. x. mensibvs. II. diebvs. XII

Ludovicvs. XVIII

fecit

fratris. filio. dvlcissimo

ac. svpra. aetatis. modvm. pientissimo

Salve, anima, innocens

qvæ. cev. avrevm. Galliœ. sidvs

beato spatiaris polo

volens. hanc. patriam. domvmque. Borbonidvm

placido. Ivmine. intvetur,

[6] C'est le 22 prairial (10 juin) que l'inhumation eut lieu, et non le 8 juin, comme le disait tout à l'heure la lettre du ministre de la police, ou le 24 prairial, comme l'affirme ici le préfet de police. A des récits contradictoires se mêlent, même dans des pièces officielles, des erreurs de date. Ajoutons que le nom du sieur Gille, commissaire de police, qui figure en la présente pièce, ne se trouve ni dans la déclaration du décès de Louis XVII, ni dans l'acte mortuaire, ni dans l'acte d'inhumation. Ce n'est pas sans peiné qu'on arrive à la vérité.

[7] Voyez la note en fin de chapitre.

[8] Le sieur Dusser revendiqua, à l'époque de la Restauration, le souvenir de la conduite qu'il avait tenue dans cette circonstance. Nous croyons devoir reproduire la pétition qu'il adressa, en novembre 1814, au gouvernement royal ; on y trouvera quelques détails sur les funérailles du Dauphin ; mais nous ferons remarquer qu'il faut lire avec précaution cette pièce, qui n'est pas sans analogie avec le rapport d'Harmand (de la Meuse). Dusser avait un commissariat de police à obtenir, et les préoccupations du pétitionnaire exercent sur le récit du témoin officiel des obsèques du Prince une influence rétroactive. Voici cet acte :

Archives de l'hôtel de ville. — Carton des demandes de places de commissaires de police.

Extrait d'un Mémoire de M. Dusser, pour être compris dans l'organisation des commissaires de police. Novembre 1814.

Obsèques.

Le 24 prairial an III, je fus requis par le Comité de sûreté générale de me transporter à la tour du Temple pour constater le décès de la jeune et innocente victime qui venait d'y expirer. Je fus également requis de surveiller son inhumation au cimetière de Sainte-Marguerite, faubourg Saint-Antoine.

Cette cérémonie funèbre avait attiré un grand concours de monde devant la porte du palais du Temple, et l'on voulait faire sortir secrètement et sans cérémonie le corps de ce malheureux enfant par une petite porte qui donnait dans l'enclos du Temple. Moi seul me rendis opposant à cette mesure peu décente ; le cortège sortit donc par la grande porte. La commisération et la tristesse du public, qu'on aurait voulu éviter, étaient peintes sur toutes les figures ; mais l'ordre, ainsi que je l'avais prévu, ne fut point troublé.

Arrivé au lieu de la sépulture, je pris sur moi d'ordonner que le corps de cet enfant serait inhumé dans une fosse séparée, et non dans la fosse commune ; et cet ordre fut exécuté en présence des sieurs Biard et Goddet, membres du comité civil de la section du Temple, qui étaient animés des mêmes sentiments que moi.

Dès le soir, je fus mandé au comité de sûreté générale pour rendre compte de ma conduite. La plupart des membres de ce comité étaient furieux contre moi. Il fut proposé les mesures les plus sévères, c'est-à-dire l'arrestation comme royaliste, et ma traduction devant le Tribunal révolutionnaire ; mais, heureusement, Louis (du Bas-Rhin), que je connaissais, ayant pris ma défense et calmé ses collègues, je fus renvoyé à mon posté, avec injonction de me conduire tout autrement à l'avenir, sous peine d'être rigoureusement puni.

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Pierre Dusser, commissaire de police de la division du Temple, sixième arrondissement municipal de la ville de Paris, fut, en cette qualité, appelé à constater la mort de Pichegru, au Temple, en 1804. Il était, à cette époque, âgé de 43 ans, et demeurait boulevard du Temple, n° 50.

[9] On remarquera que Fauconnier, arrivé au Temple plusieurs années après la mort du Dauphin (le 15 floréal an VI, 4 mai 1798), n'était pas plus en position que son interlocuteur de résoudre la question. Quant aux paroles du cardinal de La Fare, elles seraient en opposition directe avec les convictions bien connues et invariables de Madame la Dauphine.

[10] Les deux ouvriers étaient terrassiers, savoir :

1° Le nommé Charles, âgé de 50 à 60 ans, demeurant au Gros-Caillou ;

2° Le nommé Le Roux, âgé de 55 à 56 ans, demeurant rue Mouffetard.

Le sieur Charpentier ne les a jamais connus d'une manière plus précise ni plus circonstanciée sous aucun rapport.

(Tiré des archives de la Préfecture de police.)

[11] Madame Dernault demeurait alors rue Neuve-Sainte-Geneviève.

[12] Citons encore un fragment de lettre qui nous paraît empreint d'un certain caractère de vérité :

A Son Excellence Monseigneur le comte de Cazes, ministre secrétaire d'Etat au département de la police générale.

MONSEIGNEUR,

Le 9 janvier 1804 (soit l'an XII de la République, le 18 nivôse), je fusais poser une pierre sur la tombe de mon père, au cimetière de Sainte-Marguerite.

Le fossoyeur habituel s'approcha de moi. Je liai conversation avec lui, d'abord sur le peu d'étendue de ce cimetière eu égard à la quantité de corps qu'on y déposait, ensuite sur les vicissitudes humaines. Cet homme me déclara avec assurance que le Dauphin — ce fut son propre terme — y avait été inhumé obscurément, que son corps, d'abord déposé dans une fosse commune, en avait été retiré nuitamment, et replacé ensuite séparément à peu de distance de l'endroit où nous nous trouvions en ce moment.

Ce récit doubla mon intérêt et mon attention ; je le questionnai sur le lieu même où il croyait que le corps de Sa Majesté avait été placé ; il me le montra avec la pelle qu'il tenait à la main. C’était sur ma gauche, à dix-huit ou vingt pas de la tombe de mon père, c’est-à-dire dans l'ouest plein, puisque je faisais face au nord.

Non content de cette explication, je le menai sur le terrain qu'il m'indiquait, et là il m'affirma de nouveau que, dans une circonférence de vingt-cinq à trente pieds, ce saint dépôt devait se retrouver, les pieds tournés vers le nord.

Suivant ce fossoyeur, la fosse commune où le corps avait séjourné plusieurs jours avait une direction du nord au sud, et longeait le mur du fond du cimetière, à gauche de la porte d'entrée, dont elle n'était éloignée que d'environ trente pas.

Suivant lui encore, il est certain que la personne qui fut chargée de cette mutation — et j'ai soupçonné que c'était lui-même, parce qu'il mettait beaucoup de réserve dans sa conversation, ne me connaissant pas —, l'avait fait secrètement, et, pour n'en donner aucun soupçon, avait pris la précaution de retrancher de la fosse nouvelle et particulière ce monticule de terre qu'on remarque ordinairement sur toutes les autres, car elle était au niveau du terrain dans toute sa superficie.

Cet homme, dont je n'ai jamais su le nom, donnait à sa narration un caractère de vérité qui m'a vivement séduit.

C'est dans la forme croyance où je suis quo le corps de ce malheureux Prince doit se retrouver dans le lieu que j'indique, que je désire obtenir de Votre Excellence la permission d'entrer dans le cimetière de l'église de Sainte-Marguerite, et, si le temps a respecté la tombe de mon père, je me fais fort, en me plaçant comme j'étais le jour où le fossoyeur me fit ses confidences, d'indiquer pertinemment le même endroit que lui-même m'a ; indiqué.

J'ai l'honneur, etc.

PINON DUCLOS DE VALMER,

Chevalier de la Légion d'honneur, rue Buffaut, n° 12.

Paris, 20 juin 1816.

 

A cette lettre est joint ce mot administratif :

Le ministre de la police générale a l'honneur de transmettre à monsieur le préfet de police une lettre d'un sieur Pinon Duclos de Valmer, relative au lieu où seraient ensevelis les restes du jeune et malheureux Louis XVII. Il est invité à utiliser ce document, s'il le croit utile.

Ce 20 juin 1816.

[13] Jacques Peuchet, Recherches pour l'exhumation du corps de Louis XVII ; Mémoires de tous, t. II, page 356.

[14] Voir à la fin du volume, n° X, l'ode si belle et si pure qu'un grand poète a, de nos jours, consacrée à la mémoire de Louis XVII.