LOUIS XVII, SA VIE, SON AGONIE, SA MORT

TOME PREMIER

DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES

 

III. — DÉPOSITION DE BALTHAZAR SAPEL

 

 

L'an mil sept cent quatre-vingt-onze, le vendredi vingt-quatre juin, sept heures du soir, est comparu par-devant nous commissaires de la section du Roule, assemblés en comité, présent monsieur le commissaire de police, Le sieur Balthazar Sapel, cocher et postillon de M. le ci-devant comte de Fersen, colonel propriétaire du régiment Royal Suédois, demeurant ledit sieur de Fersen rue du Faubourg-Saint-Honoré, au coin de celle de Matignon, et lui Sapel, rue du Faubourg-Saint-Honoré, au coin de la petite rue Verte, maison de M. Delapotère, marchand fruitier.

Lequel nous déclare que le ci-devant comte de Fersen, son maître, étant lundi dernier dans sa maison rue du Faubourg-Saint-Honoré, a fait appeler par un petit garçon lui déclarant, et lui a dit de tenir prêts à sa voiture les chevaux pour onze heures et demie du soir, qu'une demi-heure après cet ordre donné, c'est-à-dire sur les neuf heures et demie du soir, il a envoyé à lui déclarant deux hommes, l'un vêtu d'une redingote bleue, d'une taille de cinq pieds sept à huit pouces et robuste, l'autre d'une taille de cinq pieds quatre à cinq pouces, qu'ils l'ont trouvé dans l'écurie et lui ont dit de se dépêcher vite vite, que les chevaux soient prêts à minuit précises, que par l'ordre de M. de Fersen il a donné une paire d'éperons au plus grand de ces deux hommes ; que sur les cinq à six heures de l'après-midi il avait par ordre dudit sieur de Fersen, il avait conduit de sa maison en celle de M. milord Grafford, rue de Clichy, près la barrière, la dernière maison à droite, une berline à quatre roue, le train peinte en jaune et la caisse puce ; que les portières étaient fermées à clef, et qu'il n'en a pas vu le dedans. Qu'il sait que c'est un sieur Louis, sellier, rue de la Planche, faubourg Saint-Germain, qui a fait cette voiture qu'on disait être faite pour madame Kolf ; que le sellier lui a témoigné le désir de savoir où on conduirait cette voiture-là, et qu'il lui a promis de le lui dire ; qu'après l'avoir conduite rue de Clichy il en a informé ledit sellier. Qu'il n'a pas vu arriver la voiture chez M. de Fersen ; nous dit ledit Sapel qu'il reconnaîtrait bien cette voiture si on la lui présentait. Nous dit encore que ces deux particuliers ne l'ont pas quitté depuis l'instant qu'ils l'ont abordé sur les neuf heures du soir jusqu'au moment du départ ; que sur les onze heures et demie du soir, toujours accompagné de ses deux particuliers il a pris quatre chevaux de carrosse et qu'un de ces deux hommes en chemin en a pris un de selle dans la petite rue Verte chez un Anglais et se sont en allé tous ensemble rue de Clichy chez milord Grafford ; qu'en arrivant il a sur le champ attelé ses chevaux à la berline qu'il avait conduite dans l'après-midi, que ces deux hommes le hâtaient avec le plus grand empressement de se hâter, que même une de ses rennes s'étant cassé, lui voulant retourner chez M. de Fersen pour la changer ces hommes s'i sont opposés ; que les chevaux étant attelés lui déclarant est monté en postillon ; que le plus grand de ces deux hommes est monté sur le siége, que l'autre a monté le cheval de selle et suivant les ordres qu'il en avait reçu de M. de Fersen il a suivi le cavalier de devant. Qu'ils ont pris les boulevards neufs des barrières jusqu'à celui du faubourg Saint-Martin, où ils se sont arrêtés sur le grand chemin ou ils ont attendu jusqu'à environ deux heures du matin ; que pendant ce temps étant impatient et ne sachant ce que ce reslar signifiait, ces deux hommes ne lui parlant aucunement et étant armés et n'ayant ainsi que lui pas mis pied à terre, il leur a demandé quels étaient les maîtres qu'il allait conduire, ils lui ont répondu qu'on le lui dirait. Qu'après ce long espace de tems il est arrivé de Paris une voiture à deux chevaux qui couraient à toutes jambes laquelle a serré de très près celle à laquelle lui déclarant servait de postillon, que les deux portières ont été ouvertes et qu'il est descendu, de la voiture arrivante quatre à cinq personnes qu'il n'a pu distinguer être hommes ou femmes et qu'elles sont montées dans l'autre voiture dont on a fermé la portière à clef, et qu'il a conduit cette voiture en postillon jusqu'à la première poste. Que le même homme qui monté à cheval l'avait conduit au lieu ou était arrivée l'autre voiture, ayant vu arriver cette voiture, a pris les devans à toutes jambes de cheval en disant qu'il allait eu avant, que le même qui avait mené en cocher est resté sur le siège et a conduit avec lui déclarant à la première poste, et qu'ils ont poussé les chevaux jusqu'à perdre haleine. Nous déclare qu'au moment ou on est descendu de la voiture arrivante et qu'on est monté dans celle que lui déclarant conduisait il a vu M. de Fersen son maître, qu'il ne sait pas de la quelle des deux voitures il est descendu, que le même de Fersen est monté sur le siège à côté du cocher, qu'ils ont conduit la voiture à la poste de Bondi où l'on hâtait les postillons. Que là M. de Fersen est descendu de dessus le siège a monté le cheval de selle qui avait précédé la voiture depuis la maison de milord Grafford, s'est approché de la portière a dit adieu madame Kolf, a donné ordre à lui déclarant de partir sur le champs, sans lui donner le temps de souper ni celui de laisser essoufler les chevaux, de se rendre au Bourget en suivant la route de Valenciennes, de se rendre dans cette dernière ville à petites journée, qu'il lui dit que lorsque lui déclarant serait arrivé à la poste du Bourget on lui remettrait le cheval de selle, et qu'il a reçu l'ordre expresse de son maître a Bondi de vendre ce cheval de selle et un noir qui était à la voiture, qu'il lui en rende six cents livres et qu'il garde le surplus pour lui, surtout qu'il ne les conduise pas a Valenciennes que s'il avait besoin d'argent il s'adresse au régisseur, et qu'il lui en serait donné. Que lui déclarant a observé a son maître qu'il n'avait pas de passeport, qu'il lui a répondu qu'il n'en avait pas besoin, qu'au surplus s'il était arrêté il n'avait qu'à dire qu'il appartenait au colonel du régiment Royal Suédois et qu'il ne passait pas Valenciennes ou qu'il écrive au régiment. Qu'ensuite le dit sieur de Fersen est parti du côté du Bourget sans qu'il l'ait vu depuis, que pour lui conformément aux ordres de son maître il a continué le chemin de Valenciennes jusqu'à Roye. Qu'arrivé au Bourget les postillons de la poste lui ont remis le cheval de selle que M. de Fersen y avait laissé et qu'ils lui dirent que son maître leur avait dit de remettre ce cheval à un homme qui viendrait le chercher dans environ trois heures. Que lui déclarant étant arrivé à Quivilliers, craignant d'être arrêté il s'est adressé au maire du lieu et lui a demandé un passeport, que cet officier étant sur le point d'aller à Compiegne a fait laisser les chevaux dans l'auberge et a conduit lui déclarant à Compiègne ou il a été dit au maire de Quivilliers qu'il pouvait donner des passeports aux gens connus, que lui étant connu du dit maire de Quivilliers et ne devant pas sortir du royaume, ce maire lui a donné deux passeports un pour lui et des chevaux à courte queue, l'autre pour les deux chevaux qu'il devait vendre, que lui déclarant a continué la route de Valenciennes jusqu'à Roye. Qu'arrivé a cette ville son passe-port ne venant pas de Paris a été jugé insuffisant, ses chevaux ont été gardés en fourrière, que pour lui il lui a été donné un passe-port pour Paris et un ordre pour qu'il lui soit donné un cheval de poste et un guide pour l'y conduire, qu'il s'y est rendu après avoir quitté la poste à la Chapelle étant trop fatigué pour courir plus loing.

De tout ce que dessus nous avons rédigé le présent duquel nous avons fait lecture au dit sieur Balthazar Sapel il nous a dit sa déclaration contenir vérité y persister et a déclaré ne scavoir signer de ce interpellé suivant l'ordonnance. Au moment où nous allions signer ledit Sapel nous a dit avoir oublié de nous déclarer que le dit jour lundi dernier il a par ordre de son maître été sur les six heures du soir chercher deux chevaux que son dit maître avait achetés petite rue Verte chez un Anglais marchand de chevaux, que de suite il a conduit ces chevaux rue de la Planche chez M. Louis sellier pour y chercher une vieille berline à six places train vermillon et la caisse couleur sang de bœuf, qu'il a conduit cette voiture avenue de Marigny au faubourg Saint-Honoré dans laquelle il s'est arrêté. Qu'ainsi arrêté suivant l'ordre qu'il en avait reçu, sont arrivés un instant après M. de Fersen qui tenait une bride, accompagné de son chasseur, que son maître dit à lui déclarant de laisser la voiture lui annonçant qu'il la destinait pour présent a une vieille dame. Qu'il a donné à lui déclarant la bride qu'il tenait lui ordonnant de la porter où était le cheval de selle, et de dire au palfrenier de tenir prêt à monter à cheval pour l'heure qu'on avait indiquée. Que lui déclarant a exécuté cet ordre de son maître et s'est retourné chez lui. Nous observe qu'il reconnaîtrait bien cette vieille voiture et les chevaux. Nous déclare encore le dit Sapel qu'il y a environ quinze jours ou trois semaines le piqueur anglais de son maître a acheté quatre chevaux de selle anglais d'un grand prix qui ont dû être conduits à Sedan par un dragon d'un régiment en garnison dans ladite ville.

Lecture faite au dit Balthazar Sapel de l'addition à sa déclaration, il a dit icelle contenir vérité y persister et a déclaré de nouveau ne savoir signer de ce interpellé suivant l'ordonnance.

STAINVILLE, commissaire.

JONCHERY, commissaire.

PETIT, commissaire de police.

DE TRIFOUILLES, président.

LANGLOIS, S. G.

 

Disposition supplémentaire.

 

L'an mil sept cent quatre-vingt-onze, le samedi 25 juin deux heures et demie de relevée, par devant nous commissaires de garde de la section du Roule est comparu Balthazar Sapel cocher et postillon au service de monsieur le comte de Fersaine colonel propriétaire du régiment Royal Suédois, lequel nous a déclaré que dans la déposition qu'il a faite hier entre les mains du commissaire de police de cette section, il a oublié de déclarer que le dit comte de Fersaine son maître a fait faire par le sieur Louis maître sellier, rue de la Planche à Paris, outre les objets énoncés dans sa précédente déclaration, un charriot pour mener des équipages, peint en rouge, et un charriot de poste peint en jaune quant au train, et dont la caisse est peinte en vert, que ces deux charriots sont partis avec ledit sieur comte de Fersaine, mais qu'il ne sait pas où ces charriots ont été chargés ; c'est tout ce qu'il a dit avoir à déclarer ; lecture à lui faite de sa déclaration, il a dit icelle contenir vérité, a persisté et a dit ne savoir signer.

FONTAINE DE SAINT-FREVILLE, commissaire.

LABILLOIS, commissaire.

PLANTIER, commissaire.