LOUIS XVII, SA VIE, SON AGONIE, SA MORT

CAPTIVITÉ DE LA FAMILLE ROYALE AU TEMPLE

TOME PREMIER

 

LIVRE SIXIÈME. — LE TEMPLE.

13 août - 3 septembre 1792.

 

 

Souvenirs historiques. — Enclos du Temple. — Le palais du Grand Prieur. — Les tours du Temple. — La famille royale momentanément installée dans la petite tour. — Travaux ordonnés. — Le patriote Palloy. — Les personnes qui avaient accompagné la famille royale en sont séparées. — Récit de madame de Tourzel. — Vie de la famille royale au Temple. — Prière du Dauphin. — Le Roi continue l'éducation de son fils — Hue créancier du Roi. — Vexations. — On ôte au Roi son épée. — Menaces. — Les crieurs publics. — Soupçons des municipaux. — Cléry entre au Temple. — Don du Roi à M. Hue. — Prière de Madame Elisabeth. — Massacre du 2 septembre. — Hue enlevé du Temple. — La princesse de Lamballe. — Narration de madame de Tourzel. — Meurtre de la princesse de Lamballe. — Son cadavre traîné au Temple. — Récit et harangue de Danjou. — Les Fouilleurs. — La tête de madame de Lamballe présentée aux fenêtres de la tour. — Son cœur est dévoré. — Effroi et douleur de la famille royale.

 

Nous rencontrons ici le Temple. Le souvenir du Temple est étroitement lié à celui du Dauphin, fils de Louis XVI ; c'est là qu'il a vécu, qu'il a souffert, qu'il a régné, si l'on peut donner sans ironie le nom de règne à cette agonie qui se prolongea de ta mort du père jusqu'à la mort du fils. Louis XVII n'est point appelé dans l'histoire l'enfant de Versailles, l'enfant des Tuileries, il est appelé l'enfant du Temple.

Il est donc nécessaire de donner quelques détails sur le théâtre avant de raconter le drame qui s'y déroula, d'autant plus nécessaire que le vieil édifice n'est plus debout. Nous avons même été si vivement frappé, en étudiant notre sujet, de la liaison intime qui existe entre ces deux noms, Louis XVII et le Temple, que nous avons eu un moment la pensée d'écrire l'histoire du monument avant celle des destinées que trouvèrent dans ses murs les plus illustres hôtes qu'ils aient abrités. Mais cette pensée s'est arrêtée devant la crainte de diminuer l'intérêt en le divisant. Nous nous bornerons donc à rappeler sommairement l'origine et les souvenirs du Temple ; mais nous donnerons d'une manière aussi exacte et aussi complète que possible la topographie de cet édifice à l'instant où il reçut la famille royale prisonnière. Il est un désir qu'on éprouve bien souvent et qu'on peut bien rarement satisfaire en histoire, c'est celui de connaître exactement les lieux où se sont passés les événements, heureux ou terribles, dont on lit le récit. La topographie aide à comprendre les événements ; il y a même des faits dont on ne saurait se rendre un compte exact sans avoir une claire intelligence des lieux où ils se sont accomplis.

Le vieil édifice dont il s'agit a disparu dans les premières années de ce siècle. Bâti dans un âge de foi, il a été démoli dans un âge d'impiété. Il tenait une place importante parmi les monuments historiques de Paris. A son nom, depuis six cents ans, se rattachaient de siècle en siècle des souvenirs qui déjà méritaient d'être conservés, quand la révolution française vint lui imprimer une consécration solennelle, en en faisant le témoin d'un grand et long martyre. On pouvait, avant cette époque, interroger le Temple, sur les destinées de ses fondateurs les chevaliers, et le Temple redisait leur bravoure, leur puissance, leurs richesses, les persécutions qu'ils subirent, leur mort terrible, et la fin de cet ordre célèbre qui avait rempli la Chrétienté de ses services et le monde de sa renommée. Plus tard, il redisait l'ascendant des rois et le nom de ses nouveaux maîtres, armés comme les premiers pour la défense du Christ ; plus tard encore, et près de nos jours, l'élégance et les sourires des belles et grandes dames, lés toasts des buveurs et les chants des poètes, alors que la muse badine de Chaulieu étonnait de ses accents mondains les échos qui avaient autrefois répété les psaumes austères de David et de Jérémie.

Aujourd'hui tous ces souvenirs se sont tus devant un souvenir. La destruction même de l'ordre des Templiers et ce bûcher sur lequel monta Jacques Molay avec Gui, dauphin d'Auvergne, — après un procès qui. se plaide encore devant l'histoire, tant il est difficile de discerner à distance la vérité de l'erreur, la justice de l'iniquité, — ont été comme effacés par le plus lugubre drame qui ait retenti dans les annales humaines ; le bûcher du grand maître est masqué désormais dans l'histoire par l'échafaud du Roi.

L'enclos du Temple dut son nom aux Templiers, le premier de tous les ordres militaires et religieux, fondé à Jérusalem dès l'an 1118, devant le tombeau du Christ. Les Templiers, venus à Paris à une époque dont la date n'est pas marquée d'une manière précise, mais que quelques chroniqueurs placent vers l'an 1128, s'établirent aux environs de cette ville, au milieu des marécages dont les exhalaisons causaient par intervalles des maladies épidémiques. Le travail de ces hommes transforma ces marais en plaines fertiles, en jardins, en habitations agréables. Les joncs, les algues, les roseaux cédèrent la place aux arbres utiles, aux charmilles ombreuses ; un vaste terrain, fécondé parole travail le plus puissant, le travail qui prie, fut créé ainsi au nord-est de Paris ; il se nomma la Culture du Temple. Enfermé, comme les anciennes citadelles, de hautes murailles garnies de créneaux et soutenues d'espace en espace par des tourelles, il s'étendait jusqu'à la montagne de Belleville, où les chevaliers possédaient quelques maisons de plaisance qu'alors on appelait Courtilles. Le nom en est resté à ce lieu, où, tous les dimanches, le peuple va Se délasser des travaux de la semaine.

Au milieu de l'enclos du Temple s'éleva, par les soins, diton, de frère Hubert, trésorier de l'ordre, mort en 1212, un édifice remarquable par sa masse et sa solidité : il était composé d'un donjon carré dont la hauteur dépassait cent cinquante pieds, non compris le comble, et dont les murs avaient, dans Jour moyenne proportion, neuf pieds d'épaisseur. Il était, à ses quatre angles, flanqué de quatre tours rondes, et du côté du nord, il était accompagné d'un massif de petite dimension, surmonté de deux autres tourelles beaucoup plus basses ; un large fossé complétait les moyens défensifs de la forteresse, entourait le bâtiment de toutes parts et l'isolait des jardins.

La grosse tour était affectée au trésor et à l'arsenal de l'ordre, et trois des quatre tourelles des angles servaient de prison aux chevaliers qui avaient enfreint la discipline monastique ou militaire ; la quatrième contenait l'escalier. Cette maison devint la principale de l'ordre. L'église-, d'une architecture- assez grossière, avait été élevée, dit-on, sur le modèle de celle de Saint-Jean, à Jérusalem. C'est dans cette église qu'avait lieu la réception des Templiers, et qu'eut lieu plus tard celle des chevaliers de Malte. Malgré les édifices et les cultures dont l'enceinte du Temple était chargée, l'esplanade était assez vaste pour permettre à quatre cents hommes, armés de leurs arbalètes et de leurs hallebardes, d'y manœuvrer librement.

En récompense des travaux gigantesques qu'ils avaient exécutés et des nouveaux moyens de défense qu'ils venaient d'apporter à la grande ville, le roi Philippe III accorda aux Templiers de Paris le privilège de droits juridiques tout à fait indépendants et fort étendus. Leur échelle de justice s'élevait sur l'emplacement qui touche aujourd'hui à la rue du Temple et à la rue des Vieilles-Haudriettes ; c'était la marque de la juridiction de la commanderie du Temple. La charte royale datée du mois d'août 1279 leur octroie le droit de moyenne et basse justice depuis la porte Barbette,, se réservant la haute justice jusqu’à la porte du Temple, et au regard des lieux qui sont hors la ville, leur donne haute, moyenne et basse justice, depuis la même porte Barbette, tirant au chemin de la Courtille vers la porte du Temple, avec pouvoir de faire porter à leurs gens des armes et les autres attributions nécessaires pour faire exécuter la justice.

En 1792, l'enclos du Temple était loin d'avoir conservé l'étendue qu'il avait à l'époque où il était livré à la culture : la ville de Paris, en s'avançant vers le nord-est, en avait de siècle en siècle rétréci l'enceinte et avait fini par l'environner de tous côtés ; mais il formait encore une sorte de petite ville à part ; aussi lui donnait-on quelquefois le nom de Ville-Neuve du Temple, et ses portes se fermaient tous les soirs. Ses rues étroites étaient encombrées d'une nombreuse population, composée en général d'ouvriers et de familles de débiteurs, qui, resserrés sur ce point, faisaient du Temple un quartier mal aéré et triste à la vue. Cependant, depuis que la plus grande partie de l'enclos avait été vendue (en 1779), la nouvelle administration avait entrepris l'assainissement de ce quartier. Quelques chétives baraques détruites, quelques murs inutiles abattus, avaient donné passage à l'air et au soleil. La Rotonde, grande maison ovale, avait été élevée en 1781, et déjà le terrain placé entre elle et la rue du Temple se déblayait peu à peu, pour faire place à la halle au vieux linge que l'on y voit aujourd'hui : étranges magasins, bâtis (en 1809) en lignes parallèles ; maisons de friperie, où le pauvre vient s'habiller comme au temps de l'âge d'or, où chaque lambeau de la plus opulente garde-robe passe aux épaules du plus mince propriétaire ; étonnant bazar, servant de boudoir pour la toilette de la misère.

L'enclos du Temple proprement dit n'avait plus guère, à cette époque, que cent toises environ sur sa plus grande longueur, et autant à peu près sur sa plus grande largeur ; le reste était couché sous les pavés et sous les maisons de la grande ville, avec ses baraques, ses jardins et son cimetière. Il y a peu d'années qu'en creusant un nouvel égout dans la rue des Enfants rouges, on a trouvé un cercueil qui renfermait le corps d'un homme revêtu de l'ancienne robe des Templiers. La riche agrafe qui ornait le manteau de ce chevalier fit supposer que l'on venait de découvrir les restes d'un commandeur de l'ordre du Temple.

Dans un des angles de cette enceinte se trouvait le château du Temple, autrement appelé le Palais du Grand Prieur, dénomination ambitieuse appliquée à un hôtel peu élevé et peu étendu qui, bien que placé entre une cour et un jardin, n'avait rien de princier ni de seigneurial. Il a été démoli en 1853.

Au-dessus des bâtiments informes qui lui étaient contigus, on distinguait une tour très-élevée, de forme carrée, et flanquée de tourelles. C'est cette tour que la commune de Paris destinait à être la prison de Louis XVI et de sa famille : pour la première fois le peuple regretta d'avoir démoli la Bastille.

On a vu que Louis XVI arriva au Temple à sept heures du soir. Le Roi se persuada que le palais du Temple serait désormais sa demeure : il en visita les appartements, et se plut à en faire d'avance la distribution dans sa pensée. Tandis qu'il s'abandonnait à cette dernière illusion, Santerre faisait garnir de factionnaires les cours, les portes, les dépendances du Temple ; et les personnes du service préparaient, d'après l'ordre des officiers municipaux, le coucher de la famille royale dans la petite tour. Ce n'est qu'après le souper, qui eut lieu à dix heures, que Manuel prévint le Roi de ces dernières dispositions, et offrit de le conduire, lui et sa famille, dans les appartements qui leur étaient provisoirement destinés, jusqu'à ce que la grande tour fût prête pour les recevoir. En attendant, lui dit-il, vous pourrez habiter le palais pendant le jour et vous y réunir en famille. Louis ne répondit rien : avec une dignité calme et en apparence indifférente, il répéta à la Reine ce qu'il venait d'entendre ; et, à la lueur des lanternes que portaient les municipaux, les prisonniers furent conduits à la petite tour, dans le logement précédemment occupé par le garde des archives de l'ordre de Malte, M. Berthélemy, logement que nous allons faire connaître, et par une description détaillée et par un plan explicatif.

La petite tour était adossée à la grande, sans communication intérieure, et elle formait un carré long, flanqué de deux tourelles. Précédée de quatre marches extérieures, la porte d'entrée, étroite el basse, s'ouvrait sur un palier auquel, à une certaine distance, attenait l'escalier taillé en coquille de limaçon. Cette porte, jugée trop frêle, fut, dès le lendemain, raffermie par de fortes traverses et garnie d'une grosse serrure apportée des prisons du Châtelet. A gauche en entrant était la loge de deux, cerbères à face humaine, chargés par la Commune de la garde et du service de la porte ; l'un se nommait Risbey, l'autre Rocher.

Il n'y avait au rez-de-chaussée qu'une grande pièce qui servait d'entrepôt aux archives, et une cuisine dont on ne fit aucun usage. Le corps de bâtiment avait quatre étages.

Le premier se composait d'une antichambre et d'une salle à manger qui communiquait à un cabinet pris dans la tourelle, où se trouvait une bibliothèque de douze à quinze cents volumes. Cette- salle servit de chambre à coucher aux dames Thibaud, Basire et Navarre, pendant le peu de jours qu'elles restèrent au Temple.

L'escalier s'élevait en tournant. Large à son point de départ jusqu'au premier étage, il se rétrécissait en montant au second.

Voici quelle était la distribution du second étage : on entrait dans une antichambre fort obscure, où couchait la princesse de Lamballe. A gauche, la Reine occupait avec sa fille une chambre- dont la fenêtre donnait sur le jardin : c'était ordinairement dans cette chambre, moins triste que les autres, que la famille royale passait presque toute la journée. A droite, le Prince-royal, madame de Tourzel et la dame Saint-Brice, couchaient dans la même chambre. Il fallait traverser cette pièce pour entrer dans le cabinet de la tourelle, qui servait de garde-robe à tout ce corps de bâtiment, et qui était commun à la famille royale, aux municipaux et aux soldats.

La mesure décrétée par l'Assemblée nationale, sur la proposition de la Commune, pour affecter le Temple au séjour de Louis XVI et de sa famille, avait été si inopinée, que rien n'était préparé pour les recevoir. Plusieurs pièces étaient presque entièrement sans meubles, particulièrement celle qui était destinée au Roi, ainsi que le rapporte M. Hue. Ce ne fut que dans les jours suivants qu'on distribua plus également le mobilier de M. Berthélemy nous pouvons ; d'après une note écrite de sa main 1, donner un aperçu exact de J'ameublement mis à la disposition de la famille royale.

Nous sommes au second.

Le troisième étage était la répétition du second. Dans l'antichambre, placée au-dessus de la pièce où couchait madame de Lamballe, il y avait derrière une cloison un réduit étroit n'ayant de jour que par un châssis à vitrage adapté au toit. Ce fut là le logement de Hue et de Chamilly. Dès les premiers jours, le châssis disparut recouvert de maçonnerie, sous prétexte que, par cette ouverture, le valet du tyran entretenait des intelligences avec la sentinelle en faction sur la terrasse, sentinelle dont il pouvait à peina apercevoir les jambes, et qui était relevée d'heure en heure.

A droite de l'antichambre se trouvait la chambre du Roi, éclairée par une fenêtre qui donnait sur la Rotonde du Temple. À droite en entrant était une petite alcôve. Quelques gravures dont ont le sujet était peu décent, étaient appendues aux murs de la chambre. Le Roi, en arrivant, les ôta lui-même en disant : Je ne veux pas laisser cela sous les yeux de ma fille. La petite pièce de la tourelle servait au Roi de cabinet de lecture.

De l'autre côté de l'antichambre et vis-à-vis de la chambre du Roi, était une pièce destinée à servir de cuisine et qui en contenait les ustensiles. On y dressa deux lits de sangle ; ce fut là le logement de Madame Élisabeth et de mademoiselle de Tourzel. Au reste les plans que nous mettons ci-contre sous les yeux du lecteur lui donneront de ce local une idée plus précise et plus détaillée.

Voilà quelle fut l'habitation du Roi depuis le 13 août jusqu'au 29 septembre, et de sa famille depuis le 13 août jusqu'au 26 octobre. A l'aide de ces plans, on peut suivre la vie intérieure des prisonniers.

Arrivés de nuit dans la demeure que la révolution leur assignait, ils ne purent que le lendemain matin, 14 août, se rendre compte de la distribution de cet édifice. Ils parcoururent tout l'intérieur de la grande et de la petite tour ; ils apprirent que le Conseil de la Commune, qui, dès le premier moment, s'était attribué le droit de statuer exclusivement sur tout ce qui concernait la surveillance et l'administration du Temple, venait d'ordonner des travaux considérables pour isoler et fortifier cette maison d'arrêt[1]. Une commission était nommée pour surveiller ces travaux et en régler la dépense.

Dans la journée même, le patriote Palloy, accompagné de Sautot, son collègue, et de MM. Poyet et Paris, architecte et inspecteur des travaux de la Commune, vint prendre connaissance des localités : ce maçon ambitieux, déjà célèbre pour avoir démoli la Bastille, cette citadelle de la tyrannie, avait brigué la gloire de construire la prison du tyran. Ses ouvriers envahirent l'enclos. Les murs et bâtiments qui attenaient au massif de la tour furent abattus, afin de le dégager de toutes parts jusqu'à une certaine distance. Les locataires de ces bâtiments furent délogés immédiatement, sauf à recevoir plus tard une indemnité[2]. Les arbres les plus voisins de la tour furent abattus. Le terrain fut bouleversé ; une sorte d'indécision présida aux premiers ouvrages : d'après un arrêté de la Commune, un fossé large et profond fut tout d'abord creusé à l'entour de l'édifice[3], puis comblé avant d'être achevé, il exhaussa du double les murs d'enceinte ; plusieurs fenêtres donnant sur la partie de l'enclos appelée la Rotonde, le point d'habitation le plus voisin, furent masquées. Les travaux de tout genre nécessitèrent des dépenses considérables[4] ; la révolution se trouvait généreuse quand il s'agissait d'assurer la captivité du Roi.

La famille royale voyait ainsi, chaque jour, travailler à sa prison.

Elle était arrivée au Temple dans un dénuement absolu de toutes choses. Il lui fallut avoir avec le dehors, tantôt pour un objet, tantôt pour un autre, des relations gênées par mille entraves et qui devinrent bientôt suspectes. Les personnes qui avaient eu le touchant privilège de la suivre dans le malheur furent dénoncées à la Commune, et celle-ci, dans sa séance du 17 août, ordonna leur enlèvement de la tour. La notification de cet arrêté fut transmise le lendemain au Temple par deux officiers municipaux. C'était à l'heure du dîner, à deux heures ; la famille royale était comme de coutume à table dans la chambre du Roi, au troisième étage. Messieurs, répondit ce prince, c'est en vertu d'un ordre du maire que ces personnes m'ont suivi, moi et ma famille. — N'importe, répliquèrent les commissaires, le nouvel ordre que nous apportons annule le premier ; la Commune choisira d'autres personnes pour vous servir. — Il paraît qu'on avait l'intention d'entourer la famille royale de femmes et de parents de municipaux.— Messieurs, dit le Roi, si l'on persiste dans le dessein d'éloigner de nous les serviteurs qui nous restent ici, je déclare que ma famille et moi nous nous servirons nous-mêmes. Qu'on ne me présente donc qui que ce soit. — Nous allons, répondirent les mandataires de la Commune, rendre compte du résultat de notre mission au conseil général. Et ils se retirèrent. Manuel vint au Temple vers cinq heures ; il parut sensible au chagrin que le Roi et la Reine lui témoignèrent de voir s'éloigner d'eux les personnes qui leur étaient attachées, et il promit d'employer ses efforts à faire suspendre la mesure qui venait d'être prise. Il sortit pour aller directement conférer sur cet objet avec le conseil de la Commune. Le soir même, deux envoyés municipaux se présentèrent dans la tour ; ils prirent par écrit le nom de la princesse de Lamballe, de madame et de mademoiselle .de Tourzel, celui de toutes les personnes-du service de la famille royale, et sans s'expliquer sur les motifs de cet acte, ils se retirèrent. Dans la nuit du 19 au 20, ces deux officiers municipaux se présentèrent de nouveau, chargés d'emmener toutes les personnes qui n'étaient pas membres de la famille Capet. La Reine s'opposa au départ de madame de Lamballe, déclarant qu'elle était sa parente, et que l'arrêt de là Commune ne pouvait la concerner.

Mais il n'y avait qu'à obéir dans la position où nous étions, rapporte madame de Tourzel. Nous nous habillâmes et nous passâmes ensuite chez là Reine, entre les mains dé laquelle je remis ce cher petit Prince, dont on porta le lit dans sa chambre sans qu'il se fût réveillé. Je m'abstins de le regarder afin de ne pas ébranler le courage dont nous allions avoir tant besoin, pour ne donner aucune prise sur nous, et revenir reprendre, s'il était possible, une place que nous quittions avec tant de regret. La Reine vint sur-le-champ dans la chambre de madame la princesse de Lamballe, dont elle se sépara avec une vive douleur. Elle nous témoigna, à Pauline et à moi, la sensibilité la plus touchante, et me dit tout bas : Si nous ne sommes pas assez heureux pour vous revoir, soignez bien madame de Lamballe. Dans toutes les occasions essentielles prenez la parole, et évitez-lui autant que possible d'avoir à répondre à des questions captieuses et embarrassantes. Madame était tout interdite et bien effrayée de nous voir emmener. Madame Élisabeth arriva de son côté, et se joignit à la Reine pour nous encourager. Nous embrassâmes pour la dernière fois ces augustes princesses, et nous nous arrachâmes, la mort dans l'âme, d'un lieu qui nous rendait si chère la pensée de pouvoir être de quelque consolation à nos malheureux souverains.

Nous traversâmes les souterrains à la lueur des flambeaux, trois fiacres nous attendaient dans la cour. Madame la princesse de Lamballe, ma fille Pauline et moi, montâmes dans le premier, les femmes de la famille royale dans le second, et MM. de Chamilly et Hue dans le troisième. Un municipal était dans chaque voiture, qui était escortée par des gendarmes et entourée de flambeaux. Rien ne ressemblait plus à une pompe funèbre que notre translation du Temple à l'Hôtel de ville[5].

 

Les municipaux avaient dit à toutes ces personnes qu'on emmenait ainsi à la barre de la Commune qu'elles reviendraient au Temple après avoir été interrogées ; mais il n'y eut que M. Hue, qui, le 20 août, fut ramené au Temple : il ignorait le sort de ses compagnons, cependant il rapportait l'espoir qu'ils seraient comme lui réintégrés à la Tour[6]. Cet espoir ne devait pas se réaliser. Dans l'après-midi, vers six heures, Manuel se présenta : il dit au Roi qu'il n'avait point réussi dans ses démarches, et qu'il avait le regret de lui annoncer, de la part de la Commune, que madame de Lamballe, madame et mademoiselle de Tourzel, Chamilly et les femmes de chambre, ne rentreraient point au Temple. — Que sont-ils devenus ? demanda Louis. — Ils sont prisonniers à l'hôtel de la Force, répondit Manuel. — Que fera-t-on, reprit le Roi en regardant M. Hue, du dernier serviteur qui me reste ici ?La Commune veut vous le laisser, dit Manuel ; et comme il ne saurait suffire à votre service, elle enverra des gens pour l'aider. — Je n'en veux pas ; si celui-ci ne nous suffit pas, nous suppléerons nous-mêmes à ce qu'il ne pourra faire. A Dieu ne plaise que nous donnions volontairement aux personnes dévouées qu'on nous enlève le chagrin de se voir remplacées par d'autres !

La joie du Prince royal de revoir M. Hue avait été vive ; sa déception fut pénible en voyant la Reine et Madame Élisabeth préparer pour les nouveaux prisonniers de la Force les choses qui leur étaient le plus nécessaires. Manuel s'étonnait de voir ces deux princesses faire des paquets de linge, avec un empressement cordial, avec une simplicité naturelle. Il comprit que, comme le Roi l'avait déclaré, la race qui avait commandé au monde était capable de se servir elle-même. Quant au petit Prince, attristé de ces apprêts qui annonçaient une absence prolongée, il s'écriait avec chagrin : Mais pourquoi donc empêche-t-on madame de Tourzel de revenir ? — Son petit lit, dès la nuit précédente, avait été placé dans la chambre de sa mère, et le 21, après les pénibles nouvelles apportées par Manuel, Madame Élisabeth quitta son logement du second étage, qui était, comme nous l'avons dit, une ancienne cuisine ; elle descendit s'installer dans la chambre déserte du Dauphin, et Madame Royale, qui jusque-là avait passé les nuits près de sa mère, vint s'établir auprès de sa tante.

Voici comment la journée s'écoulait dans la colonie royale, entre les regrets du passé et les appréhensions de l'avenir.

Louis XVI se levait entre six et sept heures ; il se rasait lui-même, s'habillait, et passait aussitôt dans le cabinet de la tourelle attenant à sa chambre, s'y renfermait, récitait ses prières, et lisait jusqu'au moment du déjeuner. Cette pièce étant très-petite, le municipal restait dans la chambre à coucher, la porte entr'ouverte, afin d'avoir toujours les yeux sur le Roi. Le pieux monarque priait à genoux pendant cinq ou six minutes, et lisait ensuite jusqu'à neuf heures.

Pendant ce temps, Hue disposait la chambre, préparait la table pour le déjeuner, puis descendait chez la Reine.

Marie-Antoinette se levait plus tôt encore que le Roi, habillait son fils, lui faisait faire sa prière. C'était le seul moment de liberté dont elle pouvait disposer ; elle n'ouvrait sa porte qu'à l'arrivée de M. Hue, afin d'empêcher que les municipaux n'entrassent chez elle. Il était environ huit heures, lorsque M. Hue, ayant fait la chambre du Roi, venait, empressé de multiplier les services que la nécessité des circonstances exigeait de son zèle, se présenter chez la Reine ; et, avec lui, entraient, pour le reste du jour, les commissaires constitués de garde par la Commune. Ces espions officiels passaient toute la journée dans la chambre même de la Reine, et la nuit dans la pièce servant d'antichambre qui séparait ce logement de celui de Madame Elisabeth.

A neuf heures, la Reine, ses enfants et Madame Élisabeth montaient chez le Roi pour le déjeuner. Après les avoir servis, Hue faisait les chambres de la Reine et des Princesses.

A dix heures, toute la famille descendait chez la Reine et y passait la journée. Louis XVI donnait alors à son fils des leçons de langue française, de langue latine, d'histoire et de géographie ; Marie-Antoinette s'occupait de l'éducation de sa fille, et Madame Elisabeth lui enseignait le dessin et le calcul.

A une heure, si le temps était beau, et si Santerre était présent, la famille royale descendait au jardin, accompagnée de quatre officiers municipaux et du chef de la garde nationale. Pendant la promenade, le jeune Prince jouait au ballon, au palet, à la course et à d'autres jeux. Le mauvais temps ou l'absence de Santerre mettait quelquefois obstacle à cette distraction, dont la privation n'était pénible aux illustres prisonniers qu'à cause de leur enfant, qui avait besoin d'air et d'exercice.

A deux heures, on remontait chez le Roi pour le dîner.

Après le dîner, on descendait chez la Reine ; c'était l'heure de la récréation ; les amusements des enfants jetaient quelques rayons de gaieté dans ce sombre intérieur. Parfois, le Roi passait dans la bibliothèque et y choisissait quelques livres ; les Études de la nature, de Bernardin de Saint-Pierre, furent les premiers livres qu'il y prit, ce qui donna au municipal Truchon[7], de service, l'occasion de parler du mérite de cet ouvrage, dont la dédicace renfermait un brillant éloge des vertus de Louis XVI. Le Roi, malgré sa modestie habituelle, — ne put s'empêcher de le faire voir à sa famille, et le contraste de sa situation avec celle de l'époque où ce livre avait été imprimé inspira de pénibles réflexions.

Plus ordinairement, après dîner, la Reine et Madame Elisabeth proposaient au Roi une partie de piquet ou de trictrac, afin de l'arracher à ses lectures et à son travail, auxquels il était toujours pressé de se remettre.

Quelquefois, vers quatre heures, le Roi prenait dans son fauteuil quelques instants de repos. Rangées autour de lui, les Princesses ouvraient un livre ou travaillaient à leur tapisserie ; le plus grand silence régnait ; le Dauphin étudiait ses leçons. Au réveil de son père, il les récitait, et retournait à ses cahiers d'arithmétique et d'écriture. Hue surveillait son travail ; sa tâche achevée, il le conduisait dans la chambre de Madame Elisabeth, et jouait avec lui à la balle ou au volant.

Vers sept heures, toute la famille se .plaçait autour d'une table ; la Reine et Madame Elisabeth, se succédant, faisaient à haute voix la lecture d'un livre d'histoire ou de quelque ouvrage choisi, propre à instruire et à amuser la jeunesse, mais dans lequel des rapprochements imprévus avec leur situation se présentaient souvent, et réveillaient des sentiments bien douloureux. Ces applications se renouvelaient surtout à la lecture de Cécilia — de mistress d'Arblay.

A huit heures, M. Hue dressait dans la chambre de Madame Élisabeth le souper du Prince royal ; la Reine venait y présider ; Louis XVI aussi, pour égayer à cette heure le petit cercle de la famille, se plaisait quelquefois à proposer quelques énigmes tirées d'une collection du Mercure de France qu'il avait trouvée dans la bibliothèque. L'horizon de la famille s'éclaircissait un instant aux radieux sourires des enfants. Après le souper, le jeune Prince se déshabillait et faisait ses prières. Il en avait une particulière pour la princesse de Lamballe, puis une autre — et la voici — pour sa famille et pour sa gouvernante :

Dieu tout-puissant, qui m'avez créé et racheté, je vous adore.

Conservez les jours du Roi mon père et ceux de ma famille.

Protégez-nous contre nos ennemis ! Donnez à madame de Tourzel les forces dont elle a besoin pour supporter les maux qu'elle endure à cause de nous !

 

Marie-Antoinette lui faisait réciter elle-même ces deux prières, lorsque les municipaux étaient assez loin pour ne rien entendre ; mais, quand ils étaient trop près, l'enfant avait de lui-même la précaution de les dire à voix basse. L'adversité et la captivité sont de rudes mais utiles maîtresses ; elles enseignent la prudence à l'étourderie, et donnent de l'expérience aux enfants.

Hue couchait alors le petit Prince ; la Reine et Madame Elisabeth restaient alternativement auprès de lui. Le souper de la famille servi, Hue portait à manger à celle des deux princesses que ce soin retenait. Le Roi, en sortant de table, revenait auprès de son fils. Après quelques moments, il prenait à la dérobée la main de sa femme et de sa sœur, leur adressait un muet adieu, recevait les caresses de ses enfants, et remontait dans sa chambre. Passant ensuite dans la tourelle, il n'en sortait plus que vers minuit pour venir se coucher.

Les Princesses restaient encore quelque temps ensemble, leur ouvrage de tapisserie à la main. Souvent elles profitaient de cette heure paisible pour réparer les habits de la famille ; puis après un tendre bonsoir elles se quittaient pour se reposer. L'un des deux municipaux de garde dans la tour restait dans la petite pièce qui séparait leurs chambres, l'autre avait suivi le Roi. Ces commissaires étaient relevés à onze heures du matin, à cinq heures du soir et à minuit. Louis XVI attendait pour se coucher que le nouveau municipal fût monté, et s'il ne l'avait pas encore vu, il priait Hue de lui demander son nom.

Ce genre de vie dura tout le temps que le Roi resta dans la petite tour (jusqu'au 29 septembre). Les journées s'y succédaient dans la tristesse, dans la servitude, dans l'agitation et dans l'outrage.

Puis la nuit enveloppait le vieux donjon du Temple, apportant aux justes un sommeil aussi paisible que leur conscience.

Cependant, quelquefois une femme y veillait pendant une partie de la nuit : le Roi et le Dauphin n'ayant qu'un vêtement, plus d'une fois Madame Elisabeth, en cachette et à l'insu de tous excepté de Hue, qui forcément était son complice, passa de longues heures à raccommoder ces habits qu'il lui apportait à minuit ; plus d'une fois les municipaux fouillèrent un vêtement qui sortait à six heures du matin de la chambre de Madame Elisabeth. Des témoignages certains m'ont confirmé ce minutieux détail, qui m'a semblé assez touchant pour cesser d'être puéril. Dieu a permis que cette grande famille de Bourbon épuisât toutes les souffrances, depuis les angoisses des grandes douleurs jusqu'aux piqûres de l'indigence, cette hôtesse incommode, afin de donner à tous une consolation et un enseignement.

Telle était au Temple la distribution des heures de la journée. Le jour, tomme on le voit, s'y partageait entre la prière, la lecture, l'instruction des enfants et le .travail, et quelquefois la promenade, quand elle était permise, et quelques conversations avec les commissaires, quand ils étaient polis. Ponctuel en toutes choses, Louis XVI avait réglé lui-même les occupations de la journée. Une de ses plus douces consolations fut de s'occuper plus particulièrement de l'éducation de son fils.

Dans cet enfant de sept ans et demi, il y avait un mélange de force et de grâce, bien rare chez les natures les plus heureuses. Parfois le sérieux de sa pensée donnait à sa parole un caractère plein de noblesse, parfois le naïf enjouement de son âge rayonnait au contraire sans désirs et sans regrets. Il ne songeait déjà plus aux grandeurs passées, il était heureux de vivre, et il n'était rappelé aux soucis que par les larmes qu'il apercevait quelquefois dans les yeux de sa mère. Jamais plus il ne parla de ses jeux et de ses promenades d'autrefois ; jamais il ne prononça le nom de Versailles ou celui des Tuileries. Il ne parut rien regretter. Il oublia en apparence ses hochets et ses goûts d'enfant. Sa précoce intelligence répondait parfaitement aux tendres soins du Roi. Sa mémoire, déjà meublée de toutes les fables les plus amusantes de la Fontaine, s'enrichissait de quelques passages choisis de Corneille et de Racine. Son père, en les lui faisant réciter, les accompagnait d'explications intéressantes. Habituellement il lui faisait lire l'histoire de France et lui dictait des fragments de l'Esprit de la Ligue, auxquels, en les relisant sur son cahier, il ajoutait ensuite un commentaire instructif, fout en corrigeant ses fautes d'orthographe. C'était à la fois une leçon d'écriture et une leçon d'histoire. Nous sommes assez heureux pour pouvoir placer sous les yeux du lecteur une page de ce cahier ; il y trouvera un spécimen de l'écriture du Dauphin à cette époque de sa vie.

La méthode dont se servait le Roi pour lui enseigner la géographie était de marquer sur un papier vélin le profil littoral des continents, la position des montagnes, le cours des fleuves ; puis les points. frontières des royaumes, des provinces. A ce cadre, ainsi préparé, le Prince adaptait les noms, sa mémoire le trompant rarement, surtout quand il s'agissait de la France, dont il connaissait non-seulement les capitales provinciales, mais les chefs-lieux de département et même de district ; car c'était la nouvelle géographie de la France que son père lui montrait. Au seul tracé des lignes limitatives, l'enfant reconnaissait les pays et y semait les villes à leur place. Il apprenait aussi à laver les cartes, et c'était pour lui un grand amusement d'en rehausser les contours avec diverses couleurs.

C'est ainsi que dans la prison Louis XVI renouvelait aux yeux de l'Europe le spectacle qu'un empereur de Rome avait donné à sa cour en instruisant lui-même ses enfants, et, plus heureux qu'Auguste, il voyait ses soins couronnés d'un plus beau succès.

De son côté, Marie-Antoinette, livrée tout entière aux soins maternels que Madame Élisabeth partageait avec elle, instruisait la jeune Marie-Thérèse dans les graves principes qui font la bonne chrétienne et la femme forte, et faisait succéder à ces austères exercices des leçons de musique et de dessin. Un jour, comme le frère et la sœur se réunissaient après le travail et se présentaient à leur père en se tenant par la main, celui-ci leur dit : Oui, mes enfants, soyez toujours laborieux et toujours unis ! Le travail vous sera une consolation, votre tendresse mutuelle un appui, et la prière presque une espérance : Travail, amour et prière, mes enfants, voilà la vie !

En dépeignant la vie, le Roi ne prononçait pas le mot de sacrifice ; il eût voulu pouvoir renfermer dans son cœur muet toutes les souffrances, afin d'en préserver sa famille.

Il n'était pas de privation qu'on n'affectât de lui faire éprouver : vêtements, linge de corps, linge de lit et de table, couverts, assiettes, en un mot, tous les objets du service le plus ordinaire étaient en si petite quantité, qu'ils ne pouvaient suffire au besoin journalier. Pendant quelques nuits, Hue fut réduit à garnir le lit du Prince Royal de draps troués en plusieurs endroits. Les relations que ce fidèle serviteur était forcé d'avoir pour le service avec les commissaires de la Commune devenaient de jour en jour plus épineuses, et les demandes qu'il leur adressait demeuraient souvent sans réponse. Les 500,000 livres destinées aux dépenses annuelles du Roi avaient été votées par l'Assemblée nationale avant qu'elle eût prévu les véritables projets des chefs de la Commune, ou du moins avant qu'elle eût osé s'y associer. Hue avait déjà plusieurs fois écrit au maire de Paris, pour demander, au nom du Roi, des payements à compte sur cette somme, et le maire n'avait pas répondu. Louis XVI était d'autant plus sensible à ce chagrin que, prévoyant le sort qui lui était réservé, il se tourmentait de ne point acquitter, chaque semaine, les avances que lui faisaient les fournisseurs. En venant au Temple, il n'avait qu'une très-légère somme en numéraire. Hue ayant donné à Manuel une liste des différents objets que désirait le Roi, Manuel en fit l'emplette, et les envoya à la Tour avec le mémoire des frais, montant à 526 livres. A la vue de ce mémoire, que Manuel lui-même avait signé : Je suis hors d'état, dit Louis XVI à son serviteur, de payer de ma bourse une pareille dette. — Je supplie le Roi, répondit celui-ci, d'acquitter ce mémoire ; une somme de six cents livres me reste, et j'espère que Sa Majesté aimera mieux me causer une grande joie que de contracter envers Manuel une obligation pécuniaire.

Aux tourments de la pénurie se mêlaient des vexations de tout genre. La royale famille ne descendait pas au jardin sans être exposée à quelques insultes. Rocher et Risbey, la pipe à la bouche, la regardaient passer au guichet entre deux bouffées de fumée. Les gardes du service extérieur, placés au bas de la tour, affectaient de se couvrir et de s'asseoir dès qu'ils l'apercevaient, et de se lever et de se découvrir quand elle était passée. Comme il y avait quantité d'ouvriers dans l'enceinte du Temple employés aux démolitions des maisons et aux constructions des nouveaux murs, on ne donnait pour promenade aux prisonniers qu'une partie de l'allée des marronniers. Le Prince Royal y trouvait un peu d'exercice et de récréation, précieux avantage que ses infortunés parents achetaient si cher pour lui. Il leur fallait assister au spectacle de l'édification de leur propre servitude ; ils voyaient élever les murs et creuser les fossés ; ils voyaient garnir de barreaux de fer les croisées de leur future demeure ; ils voyaient masquer les fenêtres par ces machines qu'on appelle soufflets, et au moyen desquelles les détenus que reçoivent d'air et de jour que par une ouverture-verticale, et ne peuvent apercevoir de leur chambre ce qui se passe nu dehors. Les consignes les plus sévères étaient données dans ce style étrange qui commençait à prévaloir dès cette époque[8]. Louis XVI avait adouci les rigueurs des geôles pour les malheureux que le crime y conduit ; il avait voulu que les prisons ne fussent pour tous que des lieux de détention sûre et non de tourments prématurés. Et c'était pour lui et pour sa famille qu'on calculait avec avarice la portion d'air et de jour que leur prison devait recevoir !

Les contraintes de l'intérieur répondaient aux tristesses du dehors. La plupart des municipaux semblaient en entrant au Temple avoir pour mission d'aggraver la captivité par l'insulte.

La Reine, en engageant la conversation avec eux, essayait en vain d'éveiller dans leur cœur quelques mouvements d'humanité. Quel quartier habitez-vous ? demanda-t-elle un jour à l'un de ces hommes qui assistait au dîner. — La Patrie ! répondit-il avec une emphase stupide. — La patrie ? reprit Marie-Antoinette avec une inexprimable douceur ; ah ! c'est la France.

Un matin, au moment où Louis XVI s'habillait, un de ces commissaires, du nom de Lemeunié, s'approche et prétend le fouiller. Sans laisser voir la moindre impatience, le Roi tire de ses poches ce qu'elles contenaient et le dépose sur la cheminée. Ce municipal examine chaque chose avec attention ; puis, remettant le tout à M. Hue : Ce que j'ai fait, dit-il, j'ai reçu l'ordre de le faire. Après cette scène, le Roi ordonna à son valet de chambre de ne lui présenter désormais ses habits que les poches retournées. En conséquence, tous les soirs, lorsque son maître était couché, Hue avait soin de vider les poches de ses vêtements.

Une autre fois, 24 août, entre minuit et une heure, plusieurs municipaux entrent dans la chambre du Roi. Eveillé par le bruit, Hue se lève à la hâte et accourt près du lit de son maître, qu'entouraient déjà les commissaires. En exécution d'un arrêté de la Commune, disait l'un d'eux, nous venons faire la visite de votre chambre et enlever les armes qui peuvent s'y trouver. — Je n'en ai point, répondit Louis. Ils cherchent néanmoins, et n'ayant rien trouvé : Cela ne suffit pas, reprirent-ils ; en entrant au Temple, vous aviez une épée, remettez-la. Contraint à tout souffrir, Louis ordonne à son valet de chambre d'apporter son épée.

A son lever, 25 août, le Roi témoigna combien cette insulte lui avait été pénible. Il pria Hue d'écrire sur-le-champ au maire de Paris ce qui s'était passé durant la nuit, et de demander de sa part qu'on statuât enfin sur le mode dont lui seraient annoncés les arrêtés de la Commune. Pétion ne répondit pas.

Le soir, nouvelle alerte. Un municipal, nommé Venineux, de haute taille, de complexion robuste, d'une figure basanée, tenant à la main un bâton noueux, entre brusquement dans la chambre du Roi. Le Roi venait de se mettre au lit. Je viens ici, dit l'homme rébarbatif, pour faire une perquisition exacte. On ne sait pas ce qui peut arriver. Je veux être sûr que monsieur — il parlait au Roi — n'a aucun moyen de s'évader. — Vos collègues, répondit Hue, ont fait cette perquisition la nuit dernière ; le Roi a bien voulu la souffrir. — A bien voulu est charmant, répliqua Venineux ; il l'a bien fallu ; s'il avait résisté, qui eût été le plus fort ? Vivement alarmé sur les intentions de ce nouveau venu, Hue prit la résolution de ne pas le perdre un instant de vue. Je ne me coucherai pas, lui dit-il, je resterai près de vous. Le Roi avait entendu ces paroles : Fatigué comme vous l'êtes, dit-il, couchez-vous, je vous l'ordonne. Sans répliquer à cet ordre, Hue se retira. Mais la disposition de la porte empêchait que de son lit le Roi pût apercevoir celui de son valet de chambre. Hue se jeta donc tout habillé sur son grabat, les yeux fixés sur le farouche visiteur, et prêt, au moindre mouvement suspect, à s'élancer au secours de son maître. Ses frayeurs n'étaient pas fondées ; le commissaire qui avait apparu comme une bête fauve dormit jusqu'au matin d'un sommeil profond. Cet homme vous a causé une vive alarme, dit à son lever Louis XVI à son serviteur ; j'ai souffert de votre inquiétude, et moi-même, je ne me suis pas cru sans danger ; mais dans l'état où ils m'ont réduit, je m'attends à tout.

Malgré ses demandes réitérées, Louis n'avait pu obtenir la lecture d'aucun journal ; il n'en avait vu d'autres que ceux qui parfois étaient oubliés ou laissés à dessein par un des municipaux sur la table de l'antichambre. Un jour, une de ces feuilles portait ces mots écrits au crayon : Tremble, tyran, la guillotine est permanente. Des menaces semblables couvraient habituellement les murs, elles étaient crayonnées par les factionnaires jusque sur la porte de la chambre du Roi. Hue mettait toute son attention à faire disparaître ces inscriptions, qui cependant n'échappèrent pas toujours au regard de la famille royale.

D'un autre côté, voici ce qu'imaginait son zèle pour suppléer à l'absence des papiers publics : tous les soirs, des colporteurs venaient crier sous les murs du Temple le sommaire des nouvelles que contenaient les journaux qu'ils vendaient. A l'heure du passage des crieurs, Hue montait dans la tourelle, et là, se hissant à la hauteur d'une fenêtre aux deux tiers bouchée, il s'y cramponnait jusqu'à ce qu'il pût saisir les annonces les plus intéressantes J Alors il descendait dans l'antichambre de la Reine ; Madame Elisabeth passait au même instant dans sa chambre, Hue l'y suivait sous quelque prétexte et lui rendait compte de ce qu'il avait recueilli. Rentrée dans la chambre de Marie-Antoinette, Madame Élisabeth allait se placer au balcon de la seule fenêtre du Temple qui n'avait pas été condamnée dans la majeure partie de son ouverture ; Louis XVI, sans que les municipaux eussent lieu d'en prendre ombrage, venait à cette fenêtre comme pour respirer ; sa sœur lui répétait alors ce que son serviteur lui avait rapporté ; et c'était ainsi que l'héritier des rois tout-puissants apprenait, à force de ruse et de précaution, une parcelle des grands événements qui agitaient son empire.

Il fut instruit de cette manière de l'entrée des troupes coalisées sur le territoire français, de la reddition de Longwy[9] et de Verdun[10], du passage de la Fayette avec son état-major à l'étranger[11], de la mort de M. de Laporte, intendant de la liste civile[12], et de celle de Durosoi, rédacteur de la Gazette de Paris[13]. Parmi les nouvelles que publiaient journellement les colporteurs, se trouvaient aussi sans cesse des faits exagérés, des événements faux, des annonces mensongères : Voici, criait un jour l'un d'eux, voici le décret qui ordonne de séparer le Roi de sa famille. Dans ce moment, Marie-Antoinette, à portée d'entendre distinctement la voix du crieur, éprouva un saisissement dont elle eut peine à se remettre et une impression de terreur qui ne s'effaça plus.

Le plus habituellement cependant c'étaient les amis du dehors qui prenaient le soin d'envoyer des crieurs affidés. Quelquefois même ils révélaient leur souvenir au cœur des captifs, en enseignant à des joueurs de vielle quelques-uns des airs que répétaient alors les voix royalistes : Pauvre Jacques !Henri, bon Henri, ton fils est prisonnier dans Paris ! Ces refrains parvenaient parfois jusqu'aux princes, puis les sons s'éloignaient et s'évanouissaient vains et fugitifs comme l'espoir qu'ils avaient fait naître.

Le contrôle des commissaires municipaux ne s'exerçait pas seulement sur les détails du service de la tour, il s'étendait encore sur les principes d'éducation à donner au Prince Royal. Dépouillé de ses privilèges de roi, de sa liberté d'homme, Louis se voyait atteint dans ses prérogatives de père. Les exemples d'écriture que copiait son fils étaient habituellement, d'après ses indications, pris dans les œuvres de Montesquieu et d'Anquetil. Un jour, un municipal nommé Leclerc, présent à la leçon, trouva fort impertinentes quelques réflexions de l'Esprit des lois : il interrompit avec humeur cet*exercice et se mit à disserter sur l'éducation républicaine qu'il convenait de donner au jeune Prince. Il voulait qu'on substituât à ses lectures celle des ouvrages révolutionnaires : Il faut, dit-il, que celui-là vive de la vie de son temps, et non de celle des temps passés.

Un autre jour, prenant sa leçon de langue latine, le Dauphin prononça mal un mot difficile. Le royal instituteur avait laissé passer la faute sans la relever. Un des commissaires présents lui dit brusquement : Vous devriez bien apprendre à cet enfant à mieux prononcer ; car au temps où nous sommes, il aura plus d'une fois peut-être l'occasion de parler en public. — Vous avez raison, monsieur, répondit le Roi avec douceur, votre observation est fort juste, mais mon fils est très-jeune encore, et je crois qu'il faut attendre que le temps et l'habitude lui délient la langue.

Quant aux leçons d'arithmétique, il fallut bientôt y renoncer : un municipal, du nom de Godard, remarqua qu'on faisait étudier au royal élève une table de multiplication ; il prétendit qu'on lui apprenait l'art de parler et d'écrire en chiffres. Un petit traité d'arithmétique que Hue posait tous les soirs sur le lit du Prince, afin que le matin il pût apprendre la leçon que son père lui donnait, fut métamorphosé, dans les soupçons de Godard, en caractères hiéroglyphiques inventés pour faciliter la correspondance de la famille royale. Le conseil général de la Commune, sur la dénonciation de ce membre, interdit aussitôt l'enseignement du calcul.

La même supériorité d'intelligence se rencontra le même jour dans un autre municipal dont le nom ne m'a pas été donné. Hue avait été chargé de demander au maître de dessin de la jeune Marie-Thérèse des modèles de tête qu'elle pût copier ; M. van Blarenberg — c'était le nom de ce maître — s'empressa d'en faire remettre un certain nombre. Cet envoi excita contre la Reine l'humeur de ce docte commissaire, qui voulait absolument voir dans ces têtes, copiées d'après l'antique, les portraits des principaux souverains coalisés contre la France. Sa lumineuse appréciation faillit un moment priver la Princesse de ses modèles, et Hue et van Blarenberg de leur liberté. La même chose arriva au sujet des tapisseries auxquelles travaillaient la Reine et les Princesses. Quelques ouvrages destinés à revêtir des chaises étant terminés, Marie-Antoinette ordonna de les envoyer à la duchesse de Sérent. Les municipaux découvrirent encore dans les dessins de ces tapisseries un langage emblématique, et prirent un arrêté qui défendait de laisser sortir du Temple les ouvrages des Princesses.

Au nombre de ces vexations ridicules, citons encore celle que suscita un officier municipal au milieu de la famille royale réunie : Marie-Antoinette lisait à ses enfants ce passage de notre histoire où le connétable de Bourbon prend les armes contre la France ; le commissaire l'interrompit brusquement, disant avec humeur que, par cet exemple, elle voulait inspirer à son fils des sentiments de vengeance contre son pays.

Tous les officiers municipaux n'étaient point taillés sur ce patron : tous étaient, il est vrai, recommandés par leur civisme au suffrage public du jour ; mais leur position, leur caractère, leur instruction, établissaient entre eux une grande dissemblance. Un d'eux remit un jour à Hue un mémoire par lequel il sollicitait la place d'instituteur du Prince Royal. J'ai déjà, lui dit-il, présenté le double de ma requête au comte Alexandre de Beauharnais à l'époque où ce député présidait l'Assemblée constituante. Je vous supplie de remettre au Roi ma demande et de lui parler en ma faveur. — Il m'est impossible de vous servir, répondit M. Hue ; je ne parle à Sa Majesté que quand elle daigne m'adresser la parole. D'ailleurs, dans les circonstances présentes, votre pétition ne pourrait être accueillie. En ce moment, Louis XVI parut. Thomas — c'était le nom du municipal — protesta en termes chaleureux de sa fidélité, et témoigna son indignation des insultes journalières dont plusieurs de ses collègues accablaient Sa Majesté. Je m'abaisserais, dit le Roi, si je paraissais sensible à la manière dont on me traite. Si Dieu permettait que je reprisse un jour les rênes du gouvernement, on verrait que je sais pardonner. Le municipal saisit cette occasion de produire sa demande. Pour l'instant ; reprit Louis XVI, je suffis à l'éducation de mon fils.

Les soins de cette éducation occupaient beaucoup le Roi ; il y trouvait une servitude qui était une consolation, une fatigue qui était un délassement ; mais il voyait avec peine le service de la tour rouler entièrement sur son fidèle valet de chambre,, et il craignait qu'à la longue ses forces ne restassent au-dessous de son dévouement. Pour le soulager, il fit demander au Conseil de la Commune d'envoyer dans la tour un homme propre aux ouvrages de peine. Le maire nomma pour ce service un ancien commis aux barrières de Paris, appelé Tison, homme d'un caractère dur et méfiant, imbu, comme la plupart des gens de sa classe, de préventions contre le Roi. Cet homme vint s'installer au Temple avec sa femme f qui paraissait d'un naturel doux et compatissant. On connaîtra plus tard quelle était la nature des services demandés à leur zèle, et l'on verra que c'étaient moins des domestiques que des espions qu'on avait placés dans la tour. Quoi qu'il en soit, Hue s'arrangea fort bien du concours de ces deux aides, et pendant le peu de temps qu'il demeura encore au Temple, il n'eut qu'à se louer de l'un et de l'autre.

Peu de jours après l'installation de Tison, Pétion écrivit au Roi (26 août 1792) :

SIRE,

Le valet de chambre attaché au Prince Royal depuis son enfance demande à continuer son service auprès de lui ; comme je crois que cette proposition vous sera agréable, j'ai accédé à son vœu, etc.

 

Louis XVI remit la lettre à Hue en lui disant : Lisez cette lettre, et répondez au maire que j'y consens ; ajoutez que je ne puis voir sans indignation que la municipalité affecte de ne pas répondre aux demandes que j'ai faites, et surtout à celle de laisser entrer le médecin ordinaire de mes enfants[14].

Le même jour — 26 août — à huit heures du soir, un commissaire municipal amena Cléry au Temple. On le fouilla, on lui donna des avis sur la manière dont il devait se conduire, et on l'introduisit dans la tour.

On demandera peut-être comment, après avoir enlevé à la famille royale les serviteurs qui lui étaient attachés, la Commune avait consenti à lui rendre Cléry, qui ne lui était pas moins dévoué ; on s'étonnera davantage encore que cette concession ait suivi l'entrée de Tison et de sa femme, jugés suffisants pour satisfaire avec Hue aux exigences du service ; mais je ne voudrais pas qu'on cherchât dans cette mesure des motifs qui portassent la moindre atteinte au caractère honoré de Cléry. Madame la duchesse d'Angoulême avait conservé quelque doute sur les dispositions du valet de chambre de son frère lors de son entrée au Temple. Elle s'était persuadé, à tort selon toute apparence, qu'il avait d'abord été à la tour un agent de la révolution. Peut-être apprit-elle que le ci-devant valet de chambre du Prince Royal, nommé Villette, ayant réclamé la faculté de faire son service auprès du Prince, le conseil général de la Commune, sur cette demande, avait passé à l'ordre du jour motivé sur ce que le sieur Cléry, alors en place, conservait sa confiance[15]. Le respect de la Princesse pour le testament vénéré du Roi martyr l'empêchait de s'exprimer publiquement sur le compte de Cléry ; mais ses idées, si bien arrêtées sur les hommes et sur les choses, étaient inflexibles à cet égard. En faisant ici mention de ses sentiments sur les motifs qui avaient déterminé l'entrée de ce serviteur à la tour, j'obéis à ma conscience de narrateur ; mais je m'empresse d'ajouter, pour être juste, que, dans tous les cas, le spectacle des vertus et des souffrances qu'il eut sous les yeux avait converti l'envoyé de la Commune : Marie-Thérèse elle-même a, dans ses écrits, parlé de lui de manière à faire croire que d'anciennes préventions étaient effacées[16].

Voici comme il peint lui-même dans son journal[17] son arrivée à la tour : Il me serait difficile de décrire l'impression que fit sur moi la vue de cette auguste et malheureuse famille. Ce fut la Reine qui m'adressa la parole, et après des expressions pleines de bonté : Vous servirez mon fils, ajouta-t-elle, et vous vous concerterez avec M. Hue pour ce qui nous regarde. J'étais tellement oppressé, qu'à peine je pus répondre.

Presque uniquement occupé du Prince Royal, le service de Cléry auprès du Roi se borna pendant quelque temps à le coiffer le matin et à rouler ses cheveux le soir. Hue resta seul chargé de demander et de recevoir les choses nécessaires pour la famille royale : confident de la royauté proscrite, ministre d'un prince prisonnier, c'était lui qui avait à réclamer, chaque jour, du pain pour ses maîtres, sous le contrôle, renouvelé chaque jour, des ambassadeurs de la municipalité. Cette entremise le livrait sans cesse à des luttes pénibles et compromettantes. La cuisine étant séparée et éloignée de la tour, la nécessité du service le forçait de traverser souvent plusieurs postes de la garde : c'étaient à chaque pas obstacles sur obstacles, questions sur questions, insultes sur insultes. Les municipaux, qui l'accompagnaient partout, la plupart du temps applaudissaient à ces outrages et souvent les provoquaient par leur exemple. Dans le palais du Temple, ces Argus de la Commune avaient une chambre d'assemblée qu'ils appelaient la salle du conseil : le linge et les autres effets qui entraient et sortaient y étaient d'abord reçus et rigoureusement visités. Pour les y déposer ou les y reprendre, un des commissaires faisait appeler Hue, le conduisait à la chambre du conseil, et le suivait de nouveau jusqu'à la porte de la tour. Tout ce qui était destiné aux repas de la famille royale subissait l'examen de quelques municipaux. Avant de laisser entrer ces objets dans la tour, d'autres les visitaient encore, coupant en deux les pains et ceux des comestibles qui leur paraissaient suspects. En un mot, rie n n'entrait dans la prison royale, rien n'en sortait, sans être assujetti à la visite la plus rigoureuse : l'inquisition était partout, le jurement et l'ironie à la bouche. Un jour le Roi eut les oreilles frappées des invectives dont était accablé son généreux serviteur ; le soir, en se couchant, et déjà couvert par ses rideaux — seul moment où il pouvait laisser tomber une parole sans qu'elle fût ramassée par le commissaire de garde — : Vous avez eu beaucoup à souffrir aujourd'hui, lui dit-il ; eh bien, pour l'amour de moi, continuez de supporter tout : ne répliquez rien. La résignation que recommandait l'âme chrétienne du maître était dans le cœur dévoué du serviteur. Une autre fois, et de même à l'heure du coucher, comme M. Hue attachait au lit de Louis XVI une épingle noire, dont il avait fait, en la recourbant, une sorte de porte-montre, le Roi lui glissa dans la main un papier roulé : Voilà de mes cheveux, lui dit-il ; c'est le seul présent que je puisse vous faire dans ce moment. Malheureux prince, il prévoyait que l'on viendrait bientôt lui arracher cet honnête homme qui s'était fait son ami : cette idée le tourmentait. Des trois portes de la pièce dans laquelle Hue couchait, l'une donnait dans la chambre du Roi, l'autre, en face, dans l'ancienne cuisine, et la troisième était ouverte sur l'escalier : par cette dernière, souvent, au milieu de la nuit, entraient brusquement des municipaux, pour voir si le travailleur du jour n'était pas un conspirateur de la nuit, occupé de correspondances secrètes. Une fois, entre autres, réveillé par le bruit qu'un municipal avait fait dans sa visite nocturne, Louis conçut des inquiétudes. Dès la pointe du jour, pieds nus et en chemise, il entr'ouvrit doucement la porte de communication. Hue s'éveilla : la vue du Roi, l'état dans lequel il se trouvait, le saisirent : Sire, dit-il avec émotion, Votre Majesté veut-elle quelque chose ?Non ; mais cette nuit il s'est fait du mouvement dans votre chambre : j'ai craint qu'on ne vous eût enlevé. Je voulais voir si vous étiez encore près de moi.

La Reine et Madame Élisabeth subissaient la même contrainte : obsédées par les geôliers municipaux, elles ne pouvaient qu'à la dérobée exprimer leurs désirs à M. Hue et quelquefois lui parler de leurs peines. Un jour, qu'à l'heure de son service ce brave serviteur était entré chez Madame Elisabeth, il trouva cette princesse en prière ; son premier mouvement fut de se retirer. Restez, lui dit-elle, vaquez à vos occupations ; je n'en serai pas dérangée.

Voici quelle était la prière de cette femme angélique ; Hue reçut la permission de la copier, et nous l'avons conservée :

Que m'arrivera-t-il aujourd'hui, ô mon Dieu ! je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'arrivera rien que vous n'ayez prévu de toute éternité. Cela me suffit, ô mon Dieu ! pour être tranquille. J'adore vos desseins éternels ; je m'y soumets de tout mon cœur : je veux tout, j'accepte tout, je vous fais un sacrifice de tout ; j'unis ce sacrifice à celui de votre cher Fils mon Sauveur, vous demandant, par son cœur sacré et par ses mérites infinis, la patience dans nos maux et la parfaite soumission qui vous est due pour tout ce que vous voudrez et permettrez.

Sa prière achevée : C'est moins pour le Roi malheureux, dit-elle à M. Hue, que pour son peuple égaré, que j'adresse au ciel des prières. Daigne le Seigneur se laisser fléchir, et jeter sur la France un regard de miséricorde !...

Puis voyant l'impression que faisaient ses actes et ses paroles : Allons, du courage, ajouta-t-elle, Dieu ne nous envoie jamais plus de peines que nous n'en pouvons supporter[18]. Il mesura celles de Madame Élisabeth à son courage : c'est pour cela qu'il les fit si grandes.

Depuis que Tison et sa femme, et après eux Cléry, étaient entrés au Temple, le service de Hue était fort allégé ; mais si les fatigues corporelles étaient moindres pour- lui, il se préparait pour son cœur une peine bien autrement cruelle. Les marques de bienveillance dont il était honoré portaient ombrage à certains municipaux : il s'en était aperçu et il avait même des raisons pour craindre de se voir, d'un jour à l'autre, arracher de la tour. Cette appréhension n'était que trop fondée. Cependant le visage du Roi conservait sa sérénité habituelle : il n'y avait pas jusqu'à ce calme profond du malheureux Prince qui ne fût un sujet d'inquiétude pour ceux qui l'opprimaient. En le voyant si tranquille au Temple, ils se disaient : Sans doute, il croit que sa délivrance approche : il est entretenu dans cet espoir par les relations qu'il s'est ménagées avec les princes ses frères et avec les rois étrangers ; il est instruit des efforts que l'Europe absolutiste va tenter en sa faveur. La patience du Roi devenait ainsi un crime de plus, et ses persécuteurs prenaient sa résignation à tout souffrir pour l'espoir de voir finir ses souffrances.

Aussi la Commune ombrageuse passait-elle les jours et les nuits à épier des correspondances qui avaient existé, mais qui depuis quelque temps n'existaient plus. Les plans des coalisés étaient représentés sous les couleurs les plus alarmantes, les journalistes leur attribuaient des projets bien autrement menaçants encore que tous ceux qu'avait révélés le violent manifeste du duc de Brunswick. Ils disaient que l'ennemi négligerait les places fortes pour marcher directement sur Paris, qu'on attaquerait d'abord par la famine ; que, la ville prise, les habitants seraient conduits en rase campagne et tous les révolutionnaires suppliciés. Mille frayeurs agitaient la France ; les acteurs du 10 août tremblaient devant les vengeances des royalistes, les débris du régiment de Flandre et des gardes françaises devant le civisme de la garde nationale, et la garde nationale devant le fanatisme des fédérés bretons et marseillais. Toutes les autorités se jalousaient, tous les partis se craignaient ; les bruits les plus inquiétants circulaient. Des députés proposaient à l'Assemblée de se retirer à Saumur ; mais l'homme qui avait dit : Il faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ! s'écria de sa voix de tonnerre : On vous dit qu'il faut faire ceci, qu'il faut faire cela ; moi je ne vous dis qu'une chose : il faut terrifier les royalistes. Ce fut là le programme des journées de septembre[19].

Le 2 septembre, il y avait une grande fermentation autour du Temple. Cependant tout était encore calme au dedans, et comme c'était le dimanche, et qu'il faisait un temps superbe, le Roi et sa famille descendirent encore après diner pour se promener au jardin. Cléry, dès le matin, avait remarqué l'air inquiet des municipaux ; marchant derrière eux à la suite du Roi, il entend un d'eux dire à ses collègues : Nous avons mal fait de consentir à les promener cette après-dînée. Il était près de cinq heures. Tout à coup on entend battre la générale. Les commissaires font rentrer Louis XVI et sa famille avec précipitation ; deux autres commissaires, sortant du palais du Temple, s'élancent sur leurs pas, et à peine sont-ils réunis dans la chambre de la Reine, qu'un d'eux, nommé Mathieu[20], s'adressant au Roi : Vous ignorez, monsieur, ce qui se passe, s'écrie-t-il ; on bat la générale dans tous les quartiers, on a tiré le canon d'alarme, le peuple est en fureur et veut se venger. Ce n'était point assez d'avoir assassiné nos frères le 10 août, d'avoir employé contre eux des balles mâchées, comme on en a ramassé des milliers dans les Tuileries ; c'est vous qui faites encore marcher contre nous un ennemi féroce qui menace de nous égorger, nous, nos femmes et nos enfants. Le Roi de Prusse marche sur Châlons. Notre mort est jurée, nous le savons ; mais, avant qu'elle nous atteigne, vous et votre famille périrez de la main même des officiers municipaux qui vous gardent. Cependant, il en est temps encore ; et, si vous voulez, vous pouvez... — J'ai tout fait pour le bonheur du peuple, répondit le Roi, il ne me reste plus rien à faire.

Pendant l'allocution du commissaire, Hue était accouru et s'était placé auprès de son maître. Le Roi à peine avait répondu que Mathieu reprit : Je vous arrête. — Qui ? moi ! dit Louis XVI. — Non, votre valet de chambre. — Qu'a-t-il fait ? Il m'est attaché, voilà son crime. N'attentez pas à ses jours !De quel droit m'arrêtez-vous ? demanda M. Hue ; où prétendez-vous me conduire ?Je n'ai pas de compte à te rendre, répondit Mathieu, j'ai mes ordres. M. Hue voulut monter dans sa chambre ; Mathieu le saisit par le bras : Il ne t'est permis d'y aller qu'avec moi : reste là, tu es sous ma garde. Deux minutes après, ils montèrent ensemble : Hue voulant emporter avec lui quelque peu de linge et des rasoirs. Point de rasoirs, dit le municipal, où je vais te mener, on te rasera ; je peux même t'assurer que les barbiers- ne te manqueront pas. — Hue garda le silence, persuadé qu'il allait droit à l'échafaud. Les scellés furent mis aussitôt sur le cabinet qu'il occupait. Descendu dans la chambre de la Reine, il rendit au Roi, avec la permission des municipaux, quelques papiers qui le concernaient. Hélas ! lui dit Louis XVI le cœur navré, le peu d'argent qui vous restait, vous l'avez avancé pour moi, aujourd'hui vous partez et vous êtes sans ressource !Sire, je n'ai besoin de rien, répondit le fidèle serviteur suffoqué par les sanglots. Chaque personne de la famille royale lui témoigna un affectueux intérêt. Cette scène attendrissante pouvait avoir de funestes effets, Hue l'abrégea par un nouvel effort : Je suis prêt à vous suivre, dit-il à ses conducteurs[21]. En se retirant, Mathieu dit à Cléry : Prenez garde à la manière dont vous vous conduirez, il vous en arriverait autant.

Au bas de la tour, deux gendarmes se joignirent à Mathieu, et montèrent avec lui et M. Hue dans une voiture de place. Sur le chemin qu'ils parcoururent, quel épouvantable spectacle frappa les regards de leur prisonnier ! Les passants fuyaient avec effroi ; on fermait avec précipitation les portes, les fenêtres et les boutiques ; chacun se réfugiait dans l'endroit le plus reculé de sa demeure. On entendait les rugissements des assassins et les cris des victimes ; des monstres couverts de sang, armés de bâtons et de coutelas, parcouraient les rues, promenant en triomphe au bout de leurs piques des lambeaux de corps humains. Arrivée à la place de Grève, la voiture s'arrêta ; il devenait impossible de fendre les flots d'une multitude compacte, agitée comme une mer et brandissant dans l'air des piques, des sabres et des fusils. On fit descendre le captif, et on le conduisit à l'Hôtel de ville à travers une foule frémissante, d'où sortaient avec mille hurlements ces mots : Voilà du gibier de guillotine, c'est le valet de chambre du tyran !

Hue resta calme : un cœur dévoué est toujours brave ; le sien avait accepté le sacrifice de sa vie, et il était résolu de l'accomplir avec honneur. Entré dans la salle de la Commune, on le place auprès du président. A quelques pas était Santerre. Ce commandant de la milice parisienne écoutait, d'un air grave et capable, les plans que des gens à moitié ivres développaient devant lui pour arrêter les armées étrangères : les uns, d'un air rusé, expliquaient les roueries différentes de leurs opérations stratégiques ; les autres prenaient la ligne droite, et, tout franchement, proposaient de se lever en masse pour marcher à l'ennemi. Au parquet, place ordinaire du procureur de la Commune, s'agitait Billaud-Varennes, l'un des substituts, et près de lui Robespierre, criant, donnant des ordres et paraissant très-animé.

Dans cette salle et dans les pièces voisines le tumulte était extrême. Au milieu de ce désordre, le président interroge l'accusé. Avant que celui-ci puisse répondre, on crie de toutes parts : A l’Abbaye ! à la Force ! Dans ce moment on y massacrait les prisonniers.

Le calme se rétablit, l'interrogatoire commence. Des faits, la plupart imaginaires, sont reproches. Tu as, dit l'un des municipaux, fait entrer dans la tour du Temple une malle renfermant des rubans tricolores et divers déguisements ; c'était pour faire évader la famille royale. — J'ai entendu, s'écrie un autre, le Roi lui dire quarante-cinq et la Reine cinquante-deux. Ces deux mots lui désignaient le prince de Poix et le traître Bouillé. Un troisième prétend qu'il avait commandé une veste et une culotte couleur savoyard, preuve certaine d'une intelligence avec le Roi de Sardaigne[22]. Un quatrième revient sur des correspondances clandestines au moyen de caractères hiéroglyphiques dont nous avons parlé. D'autres l'accusent d'avoir chanté dans la tour l'air et les paroles : Ô Richard ! ô mon roi ! l'univers t'abandonne ! etc., ce qui était faux, M. Hue ne chantait jamais ; puis enfin de s'être attiré de la part de la famille royale un intérêt qu'elle affectait de lui témoigner, tandis qu'à peine elle parlait aux commissaires de la Commune, ce qui était vrai. A ce dernier reproche l'accusé reste muet. Les clameurs se renouvellent : A l'Abbaye ! à la Force ! Enfin, la fureur contre le coupable est au comble, quand Billaud-Varennes s'écrie : Ce valet, renvoyé au Temple une première fois, a trahi la confiance du peuple ; il mérite une punition exemplaire. — Un municipal se lève et dit : Citoyens, cet homme tient les fils de la trame ourdie dans la tour. S'assurer de lui, le mettre au secret, en tirer tous les renseignements qu'il peut donner, sera plus utile et plus sage que de l'envoyer à l'Abbaye ou à la Force. Quel que fût en ce moment le motif du municipal, son observation sauva la vie à M. Hue. Il fut décidé que l'accusé serait enfermé dans un des cachots de l'Hôtel de ville. Remis aussitôt à la garde d'un guichetier, il fut conduit au lieu de réclusion qui lui était destiné.

Un instant après le départ de M. Hue de la tour, Louis XVI appela Cléry et lui remit les papiers qui venaient de lui être rendus, et qui contenaient l'état des vêtements et de quelques dépenses particulières du Roi. Le malheureux Prince avait en vain essayé de savoir de quel crime on accusait son affectionné serviteur ; à sa pensée inquiète, il ne trouvait que cette réponse : Il m'était attaché, et c'est un grand crime. Le silence, l'air important et discret des municipaux, les clameurs du peuple aux environs du Temple, agitaient cruellement son cœur. Après son coucher, il dit à Cléry de passer la nuit près de lui ; Cléry plaça son lit à côté du sien.

Le lundi 3 septembre, en s'habillant, le Roi demanda à Cléry, resté seul à son tour pour le service de toute la famille royale, s'il avait appris des nouvelles de M. Hue, et s'il savait quelque chose des mouvements de Paris. Cléry, pendant la nuit, avait entendu dire par un municipal que le peuple se portait aux prisons. Il ne savait rien de plus, et allait chercher à se procurer des renseignements. Prenez garde de vous compromettre, lui dit Louis ; car alors nous resterions seuls, et je crains que leur intention ne soit de mettre près de nous des étrangers. A onze heures toute la famille royale étant réunie dans la chambre de la Reine, un municipal dit à Cléry de monter dans celle du Roi, où il trouva Manuel et quelques membres de la Commune. Manuel lui demanda ce que disait Louis XVI de l'enlèvement de M. Hue : Il en est inquiet, répondit Cléry. — Il n'arrivera rien à Hue, répliqua Manuel, mais je suis chargé d'informer votre maître qu'il ne reviendra plus, et que le conseil le remplacera ; vous pouvez l'en prévenir. — Je vous prie de m'en dispenser, répondit Cléry, d'autant plus que le Roi désire vous voir relativement à plusieurs objets dont sa famille a le plus grand besoin. Manuel se détermina avec peine à descendre ; il fit part à Louis XVI de l'arrêté du conseil général qui concernait M. Hue, et de l'envoi prochain d'une autre personne. Je vous remercie, répondit le Roi, je me servirai du valet de chambre de mon fils, et, si le conseil s'y refuse, je me servirai moi-même ; j'y suis résolu. Le Roi lui parla ensuite des besoins de sa famille, qui manquait de linge et d'autres vêtements ; Manuel dit qu'il allait en rendre compte au conseil, et il se retira. En le reconduisant, Cléry lui demanda si la fermentation continuait ; Manuel lui fit craindre par ses réponses que le peuple ne se portât au Temple. Vous vous êtes chargé d'un service difficile, ajouta-t-il, je vous exhorte au courage.

Le procureur-syndic de la Commune avait prononcé ces mots d'un air fort soucieux. Il savait que les massacres, commencés la veille à deux heures et demie dans les prisons de Paris, ne se ralentissaient pas.

Il ne nous appartient pas de présenter ici le tableau des massacres de septembre. Recherchons seulement ce que sont devenues, dans ces journées affreuses, les personnes attachées à la famille royale, et qui lui ont été arrachées au Temple le 10 août, pour être conduites à la Force.

Le registre de la Petite-Force, conservé dans les archives de la préfecture de police, nous apprend que cette prison, lors de ces événements, renfermait cent dix femmes, la plupart étrangères aux choses politiques. Parmi elles, on comptait un grand nombre de filles publiques, et de malheureuses créatures de tout âge, accusées d'avoir volé du linge ou de la vaisselle au château des Tuileries, dans la journée du 10 août et dans la nuit du 10 au 11.

Parmi ces cent dix femmes, il n'y en avait que neuf qui fussent détenues pour des motifs politiques. Voici leur écrou :

A la date du 19 août :

Mme de Navarre, 1re femme de chambre de Madame Elisabeth. Mme Basire, femme de chambre de Madame Royale. Mme Thibault, 1re femme de chambre de la Reine. Mme Saint-Brice, femme de chambre du Prince Royal. Mme Tourzel, gouvernante des enfants du Roi. Mlle Pauline Tourzel, gouvernante des enfants du Roi. Marie-Thérèse-Louise de Savoie de Bourbon-Lamballe.

De l'ordre de M. Pétion, maire, et de MM. les commissaires des 48 sections.

 

A la date du 30 août :

Angélique-Euphrasie Peignon, épouse de M. de Septeuil, native de Paris, âgée de vingt et un ans et demi, envoyée dans cette prison pour y être détenue jusqu'à nouvel ordre ; de l'ordre de MM. les administrateurs du département de police.

 

A la date du 2 septembre :

Madame Mackau, envoyée dans cette prison avec la demoiselle Adélaïde Rotin, sa femme de chambre, prisonnière volontaire auprès de sa maîtresse ; de l'ordre de MM. les administrateurs de police, membres de la commission de surveillance et de salut public.

 

Madame Saint-Brice et mademoiselle Pauline de Tourzel furent mises en liberté, le 2 septembre, par ordre de MM. Truchon et Duval-Destaines, commissaires de la Commune.

Mesdames de Navarre, Basire, Thibaud, de Tourzel et de Septeuil furent relâchées, le 3, par le tribunal populaire qui s'était installé à la Force. Il en fut de même de madame de Mackau et de sa femme de chambre, entrées dans cette prison la veille, au moment même où l'on commençait les massacres. Quelques personnes prétendent qu'elles furent renvoyées sans jugement, ainsi que les cent et une autres femmes dont nous avons parlé.

Quant à madame de Lamballe, en examinant son écrou, il est facile de voir qu'une destinée particulière attendait cette malheureuse princesse ; l'absence de profession, les mots de Savoie et de Bourbon-Lamballe mis avec intention en saillie, tout semble indiquer qu'un sort exceptionnel lui était réservé. L'histoire n'a point dit d'une manière positive pourquoi elle a été assassinée, et quels ont été ses juges et ses bourreaux. La main même qui, sur le registre dont nous parlons, a complété l'écrou de madame de Lamballe, s'est bornée à ajouter à son nom ces seuls mots qui étaient un arrêt de mort : Conduite le 3 septembre au grand hôtel de la Force.

Madame de Tourzel, qui occupa, dans les derniers jours de sa captivité, la même chambre que madame la princesse de Lamballe, raconte ainsi comment se passa à la Force la matinée du 3 septembre :

Sur les six heures du matin, nous vîmes entrer François — le guichetier —, avec l'air fort effaré, qui nous dit, sans répondre à aucune de nos questions : — On vient faire ici la visite, — et nous vîmes entrer six hommes armés de fusils, de sabres et de pistolets, qui, s'approchant de nos lits, nous demandèrent nos noms, et sortirent ensuite comme ils étaient entrés, sans prononcer d'autres paroles. Je m'aperçus que le dernier, en me regardant, leva les yeux et les mains au ciel, ce qui n'annonçait rien de bon. La pauvre princesse ne s'en aperçut pas heureusement ; mais cette visite nous donna tellement à penser, que je ne pus m'empêcher de lui dire : — Cette journée s'annonce, chère princesse, d'une manière bien orageuse ; nous ne savons pas ce que le ciel nous destine ; il faut nous réconcilier avec Dieu, lui demander pardon de nos fautes. Disons, à cette fin, le Miserere, le Confiteor, en actes de contrition, et recommandons-nous à sa bonté. — Je fis tout haut cette prière qu'elle répéta avec moi, nous y joignîmes celles que nous faisions habituellement tous les matins, et nous nous excitâmes mutuellement au courage.

Comme il y avait une fenêtre qui donnait sur la rue, et de laquelle on pouvait, quoique de bien haut, voir ce qui se passait, en montant sur le lit de madame de Lamballe, et de là sur le rebord de la fenêtre, elle y monta, et aussitôt qu'on eut aperçu de la rue quelqu'un qui regardait par cette petite fenêtre, on fit mine de tirer dessus. Elle vit, de plus, un attroupement considérable à la porte de la prison, et qui n'était rien moins que rassurant. Nous fermâmes cette petite fenêtre, et nous ouvrîmes celle qui donnait sur la cour. Les prisonniers étaient dans la stupeur, et il régnait un profond silence — avant-coureur de la mort —, qui avait succédé à ce bruit continuel qui nous était si importun. Nous attendions François avec impatience, et il ne venait point ; et, quoique nous n'eussions rien pris depuis le dîner de la veille, nous étions trop agitées et trop préoccupées pour penser à déjeuner. Je proposai alors à cette pauvre princesse de prendre notre ouvrage pour faire un peu de diversion à nos cruelles pensées. Nous travaillions tristement l'une à côté de l'autre, attendant l'issue de cette fatale journée...

Notre porte s'ouvrit sur les onze heures du matin, et notre chambre s'emplit de gens armés qui demandèrent la princesse de Lamballe. On ne parla pas de moi d'abord, mais je ne voulais pas l'abandonner, et je la suivis. On nous fit asseoir sur une des marches de l'escalier, pendant qu'on allait chercher toutes les femmes qui étaient dans la prison. La princesse de Lamballe, se sentant faible, demanda un peu de pain et de vin, on le lui apporta, et nous en prîmes toutes deux ; car dans les occasions périlleuses, un physique trop affaibli influe nécessairement sur le moral. Quand on nous eut toutes rassemblées, on nous fit descendre dans la cour, où nous retrouvâmes mesdames Thibaud, Navarre et Basire. Je fus bien étonnée d'y trouver madame de Mackau, qui me dit qu'on l'avait enlevée la veille de Vitry pour la conduire dans cette prison.

On avait établi au greffe un tribunal pour juger les prisonniers. Chacun d'eux y était conduit par deux assassins de cette prison qui les prenaient sous les bras pour les massacrer ou les sauver, suivant le jugement porté contre eux. Il y avait dans la cour où nous étions rassemblés un grand nombre de ces hommes de sang ; ils étaient mal vêtus, à moitié ivres, et nous regardaient d'un air féroce. Il s'était glissé parmi eux quelques personnes honnêtes et qui n'y étaient que dans l'espoir de saisir un moyen d'être utiles aux prisonniers, si elles en pouvaient trouver l'occasion, et deux d'entre elles me rendirent de grands services dans cette fatale journée.

Je ne quittai pas un instant cette pauvre princesse de Lamballe tout le temps qu'elle fut dans cette cour, et nous étions assises à côté l'une de l'autre, quand on vint la chercher pour la conduire à cet affreux tribunal ; nous nous serrâmes la main pour la dernière fois, et je puis certifier qu'elle montra beaucoup de courage et de présence d'esprit, répondant sans se troubler à toutes les questions que lui faisaient les monstres mêlés parmi nous, pour contempler leurs victimes avant de les conduire à la mort, et j'ai su positivement qu'elle avait montré le même courage dans l'interrogatoire qui précéda sa triste fin[23].

 

Maton de la Varenne assure que Dangé, Michonis, Laiguillon et Monneuse, membres du conseil général de la Commune, décorés du titre de grands juges du peuple, composaient le sanguinaire tribunal installé à la Force. Roch Marcandier[24] prétend que madame de Lamballe fut interrogée par Fieffé, greffier de la Force, et que le tribunal improvisé n'était composé que de quelques particuliers. De son côté, Peltier rapporte que c'était Hébert lui-même qui présidait ce tribunal lorsque madame de Lamballe y fut amenée le 3 septembre, à sept heures du matin. Ce prétendu interrogatoire me paraît fort problématique. Il n'eut pas lieu, en tous cas, à sept heures du matin, puisqu'il était onze heures quand les prisonnières furent extraites de leurs cellules. Des contemporains ont raconté que, conduite de grand matin à la porte de sa prison, la princesse y avait trouvé des bourreaux ; que ceux-ci lui ayant fait quelques questions sur la Reine, elle s'était bornée à répondre : Je n'ai rien à vous dire ; mourir plus tôt ou plus tard m'est devenu indifférent ; je suis toute préparée ; et qu'aussitôt traînée dans les cours au milieu de plusieurs cadavres, elle avait été égorgée. D'autres ont dit qu'introduite dans le greffe, madame de Lamballe se trouva mal et ne put proférer un seul mot, et qu'un personnage revêtu d'une écharpe tricolore s'écria presque aussitôt : Elargissez madame ! formule qui cachait la sentence de meurtre ; que la princesse fut alors entraînée dans cette partie de la rue des Ballets qui séparait, il y a peu d'années encore, la-Force de la rue Saint-Antoine, et qui était, en 1792, une impasse appelée cul-rie-sac des Prêtres ; et que là, un premier coup de sabre l'atteignit derrière le cou et la jeta sur un tas de cadavres[25].

Cette dernière version, en en retranchant la défaillance contre laquelle proteste le récit de madame de Tourzel, semble mériter toute créance. Ce qu'il y a de certain, ce sont les atrocités qui suivirent cet assassinat. Après avoir tué lentement cette amie de la Reine à coups de pique et de sabre, on exposa son beau corps aux regards lubriques, et on le livra à des indignités dont auraient rougi des cannibales. La mort même devint une impuissante gardienne de la pudeur. Ensuite, avec des couteaux on lui enleva les seins et d'autres parties du corps, on lui coupa la tête, et chacun de ces débris sanglants fut placé au bout d'une pique ; puis on lui ouvrit le flanc gauche, une main d'homme s'y plongea tranquillement et en arracha un cœur saignant qui fut également placé au bout d'une lance pour être promené par les rues. Cette civilisation dépassait ainsi d'un seul bond les fureurs des sauvages ; et le dix-huitième siècle, si fier de ses lumières et de son humanité, finissait par l'anthropophagie.

Les abords de la Force, comme ceux de toutes les prisons ce jour-là, étaient encombrés d'une populace composée en grande partie de femmes et d'enfants en haillons. Au spectacle qu'on voulait donner ne devaient point manquer les spectateurs. Il était-midi quand les piques se dressèrent dans les airs ; des cris et des hurlements saluèrent les sanglants trophées, et le cortège hideux se mit en marche. Une femme qui avait été à même de connaître les qualités touchantes de madame de Lamballe, et qui lui gardait une reconnaissante affection, madame Lebel, femme d'un peintre distingué, membre de l'Académie de peinture[26], essayait en ce moment de s'approcher de sa prison, dans l'espoir d'apprendre de ses nouvelles. A la vue du grand mouvement qui se fait dans la foule, elle s'informe de ce qui se passe : C'est, lui répond-on, la tête de la Lamballe qu'on va promener dans Paris. Saisie de douleur et d'effroi, madame Lebel retourne en toute hâte sur ses pas et se réfugie, place de la Bastille, chez un perruquier qu'elle avait connu valet de chambre dans une grande maison, et dont elle appréciait les sentiments royalistes. Elle n'a pas eu le temps de s'y reposer, que déjà la multitude est arrivée sur la place ; elle y fait une halle, et les principaux acteurs du drame viennent précisément s'adresser au perruquier pour accommoder la tête de madame de Lamballe, portée par un garçon boucher, nommé Jean-Antoine-Louis Lebègue. A cet aspect, madame Lebel s'évanouit ; tombée entre la boutique et la pièce du fond, elle échappe aux regards, grâce au sang-froid du perruquier, qui se place devant elle, et du pied la repousse dans la chambre, tandis qu'en causant avec ses horribles visiteurs, il lave, il décolle, il tresse et il poudre la blonde chevelure souillée de sang. Au moins, maintenant, Antoinette pourra la reconnaître, s'écrie le porteur en redressant sa pique, au bout de laquelle il a replacé la tête de la victime ; et le cortège se remet en route.

Nous avons dit que Manuel avait quitté le Temple. Sa visite et certaines rumeurs y avaient laissé de l'inquiétude.

A une heure, la promenade au jardin n'eut pas lieu ; les municipaux s'y refusèrent. Un cavalier d'ordonnance, envoyé par eux à la découverte, vint leur annoncer qu'une foule immense se dirigeait sur le Temple, apportant la tête de la princesse de Lamballe, pour la faire, disait-on, baiser à la Reine, et les trainer ensuite toutes deux par les rues de Paris. Il ajoute que dans quelques minutes ce rassemblement serait devant le Temple.

Les municipaux de service à la tour écrivent à la hâte au conseil général de la Commune et à l'Assemblée législative pour leur faire part du danger qui menace les otages confiés à leur garde, et réclamer l'envoi de six commissaires, pris dans leur sein parmi ceux qui jouissaient le plus de la faveur publique.

Déjà on entendait au loin le bruit du tambour, et comme un sourd bourdonnement. Deux municipaux sortent du Temple et vont faire une reconnaissance. Peu à peu le bruit se rapproche, et bientôt une foule innombrable arrive en vue du Temple, couverte de poussière, de plâtre, les vêtements déchirés, les cheveux pendant en désordre, les mains ensanglantées : armée de l'anarchie et du meurtre, ayant pour généraux un vieillard et un enfant qui se démènent et hurlent comme les possédés du démon.

Des groupes dispersés accouraient de toutes parts et formaient une cohue compacte, composée d'éléments divers ; des femmes ivres chantaient, des enfants en lambeaux dansaient, des hommes déguenillés s'agitaient en poussant mille clameurs. Et parmi tous ces cris confus, un nom se faisait entendre, prononcé à la fois par les femmes, par les enfants et par les hommes : La Lamballe ! la Lamballe !

Grossissant en chemin et entraînant tout sur son passage, cette avalanche s'arrêtait de loin en loin devant les cabarets, et des voix hurlantes demandaient à boire ; un des acteurs de cette scène versait du vin dans la bouche de la princesse, et Lebègue, placé au-dessous, recevait ce vin dans la sienne. Puis on se remettait en route avec tant d'ardeur, que ceux qui étaient en tête du cortège, poussés avec impétuosité par les derniers rangs, se sentaient comme portés sur une vague.

Le bruit et le tumulte allaient toujours croissant ; l'air retentissait de clameurs, de hurlements, de blasphèmes et de rugissements de triomphe.

Arrivée devant le Temple, au commandement de halte ! la masse s'arrêta : l'élite des émeutiers prit position devant la porte ; mais plus bruyants encore dans leur repos que dans leur marche, les hideux bataillons saluèrent le sombre édifice d'une clameur assourdissante, qui devint un appel pour tous les exaltés du quartier.

Leurs rangs s'ouvrirent alors, et l'on aperçut un cadavre, sans tète et mutilé, que des hommes et des enfants se disputaient l'abominable honneur de traîner avec une corde dans le ruisseau.

Les municipaux de service avaient envoyé en toute hâte chercher des rubans tricolores rue Phélippeaux pour faire une barrière à la porte du palais, afin d'imposer à cette multitude et de l'arrêter ; à ces rubans ils avaient attaché cette inscription :

Citoyens, vous qui à une juste vengeance savez allier l'amour de l'ordre, respectez cette barrière nécessaire à notre surveillance et à notre responsabilité.

La populace cependant, avec des rugissements de bêtes féroces, avait pris le corps défiguré de la princesse, qui n'avait plus qu'une chemise, teinte comme lui de boue et de sang, et elle le lavait dans la fontaine du Temple, à la gauche de la grande porte. Quant à la chemise en lambeaux, on lui conserva ses taches, et on la plaça au haut d'une pique, comme un drapeau glorieux mis en pièces par la mitraille.

Les clameurs ne cessaient pas, et le ruban aux couleurs nationales ne pouvait plus contenir les flots qui grossissaient toujours. La foule avait à sa tête une vingtaine de patriotes qui déblatéraient contre Marie-Antoinette, affirmaient qu'il n'y aurait point de salut pour la France tant qu'on n'aurait point guillotiné le dernier royaliste ; et, agitant en l'air la tête de la princesse : Il nous faut, criaient-ils, un pendant à la Lamballe ; donnez-nous l'Autrichienne !, et la cohue immonde répétait : L'Autrichienne ! l'Autrichienne ! en brandissant des bâtons, des haches, des sabres et des piques. C'était un tableau diabolique qui eût demandé pour peintre Milton, ce peintre de Satan.

Toutefois, un des municipaux de service au Temple ce jour-là[27] nous a laissé de la scène qui s'y passa un récit auquel nous ne voulons rien changer, car il nous a paru qu'il y avait ici, entre les actes racontés et les formes du langage révolutionnaire, une harmonie qui avait aussi son éloquence.

Deux commissaires, écrit-il, sont à l'instant envoyés au-devant (des émeutiers) pour reconnaître leurs dispositions, et fraterniser avec eux en apparence si les circonstances le commandaient. Ils devaient surtout se saisir du porte-tête, persuadés, en le dirigeant selon nos vues, qu'il servirait de guide à la foule, qui, par ce moyen, serait plus facile à contenir.

Deux autres commissaires sont chargés de se répandre aux environs et de faire sentir à ceux qui paraissaient les plus échauffés que jamais Paris ne se laverait d'un crime aussi atroce qu'inutile s'il venait à se commettre. Plusieurs bons citoyens se joignent à eux, en nous promettant d'employer tous leurs efforts pour ramener à la raison les plus obstinés.

Le bruit augmente, et, avec lui, les embarras. Le chef de légion de service demande nos ordres, ajoutant qu'il avait quatre cents hommes bien armés, desquels il répondait, mais qu'il ne prendra rien sur lui. Nous lui dimes que notre intention était de n'employer la force que dans le dernier degré de la défense naturelle ; que notre devoir nous ordonnait d'abord de faire usage de la persuasion ; qu'il eût soin en conséquence de veiller à la sûreté des armes, etc. Il fit ses dispositions en conséquence.

La foule était déjà prodigieuse dans la rue ; nous faisons ouvrir les deux battants de la grande porte, afin que les personnes qui étaient en dehors prissent des sentiments de douceur, en voyant nos intentions pacifiques. Une partie de la garde nationale rangée en haie sans armes depuis la porte extérieure jusqu'à la seconde porte les confirma dans cette opinion.

Cependant toutes les armes, portes et avenues étaient bien gardées, crainte de surprise.

On entend ces cris tumultueux et prolongés : Les voici !

Une ceinture tricolore attachée à la hâte au-devant de la porte, sur la rue, est le seul rempart que le magistrat veut opposer à ce torrent que rien ne semble pouvoir contenir. Une chaise est placée derrière ; j'y monte ; j'attends ; arrive la cohorte sanglante.

A l'aspect du signe révéré, ces cœurs, gros de sang et de vin, semblent déposer la fureur homicide pour faire place au respect national. Chacun emploie ce qu'il a de force pour empêcher la violation de la barrière sacrée. La toucher leur semblerait un crime. Ils veulent paraître, ils se croient vertueux, tant l'opinion, qui est la morale publique, a d'empire sur celui même qui, tout en l'outrageant, lui rend un éclatant hommage ! Deux individus trainaient par les jambes un corps nu, sans tête, le dos contre terre et le ventre ouvert jusqu'à la poitrine. On fait halte devant la tribune chancelante, au pied de laquelle ce cadavre est étalé avec appareil et les membres arrangés avec une espèce d'art, et surtout un sang-froid qui laisse un vaste champ aux méditations du sage.

Si quelque chose est digne des méditations du sage, c'est la réflexion et le rôle du triste narrateur de cette épouvantable scène, prêtre, instituteur de la jeunesse. La révolution, du reste, nous montre que tous les prêtres de cette époque qui avaient apostasié le sacerdoce avaient atteint le dernier degré du sang-froid dans le mal, en conservant le langage de la philosophie et de la vertu.

A ma droite, continue Danjou, au bout d'une pique était une tête qui souvent touchait mon visage par les mouvements que faisait le porteur en gesticulant. A ma gauche, un autre, plus horrible, tenait suspendu à une pique, au-dessus de mon front, un lambeau de chemise trempé de sang et de fange.

Le bras droit étendu depuis leur arrivée, sans faire aucun signe ni mouvement, j'attendais le silence ; je l'obtins.

Je leur dis que les magistrats choisis par eux étaient chargés par l'Assemblée nationale d'un dépôt dont ils lui devaient compte, ainsi qu'à la France entière, et qu'ils avaient juré de le remettre tel qu'ils l'avaient reçu ; qu'en vain on nous avait dit qu'ils en voulaient aux détenus, afin de leur opposer la force des armes ; que cette mesure avait été rejetée avec horreur, persuadés comme nous l'étions qu'il suffisait à des Français de leur faire entendre le langage de la justice pour en être écouté. Je leur fis sentir combien il serait impolitique de se priver d'otages aussi précieux au moment où l'ennemi était maître de nos frontières. D'un autre côté, ne serait-ce pas démontrer leur innocence que de ne pas oser les juger ? Combien, ajoutai-je, il est plus digne d'un grand peuple de frapper sur l'échafaud un roi coupable de trahison ! Cet exemple salutaire, en portant un juste effroi dans l'âme des tyrans, imprimera dans celle des peuples un respect religieux pour notre nation, etc. Je terminai en les invitant à.se prémunir contre les conseils de quelques méchants qui voudraient porter les Parisiens à des excès, afin de les calomnier ensuite dans l'esprit de leurs frères des départements, et,' pour leur témoigner la confiance du conseil en leur sagesse, je leur dis qu'il avait arrêté que six d'entre eux seraient admis à faire le tour du jardin, les commissaires à leur tête.

La barrière est à l'instant soulevée, et ils entrèrent avec les dépouilles environ une douzaine, que nous conduisîmes avec assez d'obéissance jusqu'auprès de la tour ; mais, les ouvriers s'étant mêlés à eux, il fut plus difficile de les contenir. Quelques voix ayant demandé que Marie-Antoinette se mît à là croisée, d'autres dirent qu'il fallait monter si elle ne se montrait pas, et lui faire baiser la tête.

Nous nous jetâmes au-devant de ces forcenés, les assurant qu'ils n'exécuteraient leurs affreux projets qu'après avoir passé sur le corps de leurs magistrats. Un de ces malheureux dit que je tenais le parti du tyran, et vint sur moi avec sa pique, et avec tant de" fureur, que j'eusse infailliblement tombé sous ses coups si j'eusse montré de la faiblesse, et si un citoyen ne s'était jeté au-devant de lui, en lui représentant qu'à ma place il serait forcé d'agir comme moi. Mon air calme lui en imposa ; et, en sortant, il fut le premier à m'embrasser en disant que j'étais un luron.

Cependant deux commissaires s'étaient jetés au-devant du premier guichet de la tour pour en défendre l'approche avec le courage du dévouement. Voyant alors qu'ils ne pouvaient rien obtenir de nous, ils firent des imprécations horribles ; les termes les plus obscènes et les plus dégoûtants furent vomis avec des hurlements affreux ; c'était le dernier soupir de la fureur, nous le laissâmes s'exhaler.

Mais craignant enfin que la scène n'amenât un dénouement digne des acteurs, je pris le parti de les haranguer encore. Mais que dire, et quel chemin conduit à ces cœurs dégradés ? J'appelle leur attention par des gestes ; ils regardent et écoutent. Je loue leur courage, leurs exploits, j'en fais des héros ; puis, les voyant s'adoucir, je mêle par degrés le reproche à la louange. Je leur dis que les dépouilles qu'ils portaient étaient la propriété de tous. De quel droit, ajoutai-je, prétendez-vous seuls jouir de votre conquête ? n'appartient-elle pas à tout Paris, et devez-vous le priver du plaisir de partager votre triomphe ? La nuit bientôt s'avance, hâtez-vous donc de quitter cette enceinte trop resserrée pour votre gloire. C'est au Palais-Royal, c'est au jardin des Tuileries, où tant de fois a été foulée aux pieds la souveraineté du peuple, que vous devez planter ce trophée comme un monument éternel de la victoire que vous venez de remporter.

Des cris : Au Palais-Royal ! m'annoncent que ma ridicule harangue était goûtée. Ils sortent, et nous remplissent de sang et de vin par les plus horribles embrassades.

Cependant l'Assemblée législative envoie les six commissaires que nous lui avions demandés. Ils apprennent avec plaisir la fausseté des bruits déjà répandus, et nous témoignent, au nom du Corps législatif, leur satisfaction de la conduite que nous avions tenue.

A peine les commissaires étaient sortis, que le maire Pétion arrive. Il paraissait désespéré de ce que nous avions laissé baiser la tête de la Lamballe à Marie-Antoinette. Jamais des magistrats, disait-il, n'auraient dû souffrir une pareille horreur. Il fut charmé d'apprendre non-seulement que personne n'était entré dans la tour, mais encore que les commissaires qui étaient près des détenus n'avaient pas même souffert qu'ils s'approchassent des croisées, pour savoir d'où provenait, le bruit qu'on entendait dans le jardin ; ils les avaient fait tout de suite passer dans une autre pièce sur le derrière.

 

Nous compléterons ce tableau par quelques détails qui nous ont également été fournis par des témoins oculaires.

Sur le seuil de la porte extérieure du Temple se tenaient habituellement deux hommes, tirés de la dernière lie de la populace, espèce de surveillants, dont les fonctions se trouvaient caractérisées par le nom qu'on leur donnait au Temple, les fouilleurs. L'un d'eux portait un grand sabre, avec une bandoulière aux trois couleurs, homme robuste et dans la force de l'âge, à l'air ignoble, à longues moustaches rouges, redingote brune et bonnet écarlate. C'est sur sa chaise que l'orateur dont on vient de lire le récit était monté pour débiter sa harangue. Quand il l'eut terminée, et dès que les délégués de la multitude furent autorisés à entrer dans l'enceinte du Temple, au lieu de six, douze à quinze y pénétrèrent ; le dernier tenait à la main le cœur de madame de Lamballe, et c'est à ce passeport sanglant qu'il dut son admission. Sur le geste d'un commissaire, le fouilleur lui dit : Passe encore, toi. Aussitôt entré, il trouva devant lui Meunier, que l'homme à la bandoulière lui désigna comme le cuisinier de la maison. Il lui cria en ouvrant sa main sanglante : Tiens, fais-moi cuire cela, que je le mange !

Meunier, qui, pendant le bruit qui se faisait au dehors, avait quitté son accoutrement officiel, craignant sans doute que l'émeute victorieuse, entrant de vive force dans l'enceinte du Temple, ne le traitât comme un serviteur du Roi, répondit : Les feux sont éteints ; ce que tu demandes est impossible. — Rallume-les ; j'ai faim ! s'écria le cannibale. Mais, repoussé par les municipaux, il se mêla à ses confrères, les porteurs des autres dépouilles, qui s'acheminaient vers la tour. Il planta à la pointe de son sabre l'horrible lambeau dont il était possesseur, et il l'éleva dans l'air, jaloux des autres trophées qu'il ne pouvait atteindre.

Cependant la famille royale était sortie de table, et se tenait réunie dans la chambre de la Reine. Cléry était descendu pour dîner avec Tison et sa femme ; tout à coup celle-ci jette un grand cri : elle venait d'apercevoir à la croisée la tête de madame de Lamballe. Quoique sanglante et blême, cette tête n'était pas défigurée ; ses cheveux blonds, qui venaient d'être bouclés avec art par une horrible dérision, flottaient autour de la pique. Les assassins, au dehors, croient avoir reconnu la voix de la Reine, et ils accueillent par un rire effréné le cri d'effroi sorti de la tour.

Cléry remonte précipitamment, afin de prévenir à voix baF4se le Roi ou Madame Élisabeth. Son visage était tellement atterré que la Reine s'en aperçut : Qu'avez-vous donc, lui dit-elle, et pourquoi n'allez-vous pas dîner ?Madame, je me sens indisposé, répondit Cléry. Les deux municipaux de garde étaient à leur poste ; un troisième entre au même instant : Les ennemis sont à Verdun, s'écrie-t-il en s'adressant au Roi ; nous périrons tous, mais vous périrez le premier. Le Roi l'écoute avec calme ; le Prince Royal s'enfuit dans une autre pièce et fond en larmes ; sa mère le rappelle, sa sœur le ramène, et toutes deux ont de la peine à le consoler. Un nouveau municipal arrive et parle avec mystère à ses collègues. Le Roi leur demande si sa famille n'est plus en sûreté. On fait courir le bruit, répondent-ils, que vous et votre famille n'êtes plus dans la tour ; on demande que vous paraissiez à la croisée, mais nous ne le souffrirons pas : le peuple doit montrer plus de confiance dans ses magistrats. — Oui, répond le précédent municipal, mais si les ennemis approchent, la famille royale périra ; et, voyant le désespoir du jeune Prince, il ajouta : Le Dauphin m'inspire quelque pitié, mais, étant le fils du tyran, il périrait aussi. Cependant les cris du dehors augmentent ; on entend très-distinctement des injures adressées à la Reine. Un autre municipal survient encore, suivi de quatre hommes députés par le peuple, pour s'assurer si la famille Capet est dans la tour ; l'un d'eux, en habit de garde national, portant deux épaulettes et traînant un grand sabre, insiste pour que les prisonniers se montrent à la fenêtre. Les premiers municipaux s'y opposent. L'un d'eux — il s'appelait Mennessier — : Oh ! non, non, de grâce ! s'écrie-t-il en barrant le passage à Louis XVI, de grâce, n'approchez pas ! ne regardez pas ! quelle horreur ! Voyant l'opposition des commissaires, le garde national, chef de la députation, s'écrie d'une voix satanique : On veut vous cacher la tête de la Lamballe que l'on vous apportait, pour vous faire voir comment le peuple se venge de ses tyrans. Je vous conseille de paraître, si vous ne voulez pas que le peuple monte ici.

La Reine tombe évanouie ; Cléry vole à son secours ; Madame Elisabeth aide à la placer sur un fauteuil ; ses enfants fondent en larmes, et cherchent à la ranimer par leurs caresses. Cet homme ne s'éloigne pas ; le Roi lui dit avec énergie : Nous nous attendons à tout, monsieur. Il sort alors avec ses camarades : leur but était rempli. Marie-Antoinette, revenue à elle-même, mêle ses larmes aux larmes de ses enfants, et passe avec la famille royale dans la chambre de Madame Elisabeth, d'où l'on entendait moins les clameurs du peuple. Ces cris de rage et de mort, qui célébraient le meurtre commis et convoitaient un nouveau meurtre, ces scènes de fange et de sang durèrent jusqu'au soir. Le bruit s'en était répandu au loin, ït de tous les côtés le peuple se portait vers le Temple, même après le départ du cortège venu de la Force. Des secours, à trois reprises réclamés de la Commune par les municipaux, furent en vain attendus pendant six heures ; pendant six heures il fut incertain si la famille royale ne serait pas massacrée ; pendant six heures les hordes tumultueuses roulèrent et tourbillonnèrent dans tout le quartier, et la tour du Temple s'élevait comme un rocher au milieu de la mer agitée-par la tempête.

Avant d'être recueillis par les soins pieux du duc de Penthièvre, le cadavre et la tête de la princesse de Lamballe eurent à divertir encore une populace immonde ; quant à son cœur, le hideux cannibale qui s'en était fait le maître se rendit, vers trois heures, chez le marchand de vin en face de la porte du Temple, où, trouvant un cuisinier moins scrupuleux que Meunier, il le fit cuire et le dévora avec avidité, en compagnie d'un camarade qu'il avait convié à ce festin. Maton de la Varenne, qu'on ne doit pas lire sans précaution, prétend que ces deux misérables s'appelaient Fenot et Petit-Mamin[28] ; les renseignements que nous avons recueillis sur Lebègue ne nous permettent guère de douter qu'il n'ait été l'un d'eux. Mais les noms de tous les deux eussent-ils échappé à l'exécration du monde, ils n'auront point-échappé eux-mêmes à la justice de Dieu[29].

Vers huit heures, tout se calmait aux environs du Temple, Cléry s'informait des événements de la journée, et le municipal qui le renseignait lui réclamait quarante-cinq sous qu'il avait déboursés pour l'achat du ruban aux trois couleurs[30].

Cléry trouva l'occasion en déshabillant le Roi de lui rapporter les détails qu'il venait d'apprendre. Louis lui demanda quels étaient ceux des municipaux qui, au dehors, avaient montré, plus de fermeté pour empêcher le peuple d'envahir le Temple. Cléry lui cita Danjou, qui avait harangué la foule. Ce municipal se retrouvant de service à la tour quatre mois après, le Roi le remercia. Quant au commissaire qui s'était opposé à ce que la famille royale regardât par la fenêtre le spectacle abominable qui était venu la chercher, Louis XVI n'avait pas attendu jusqu'au soir pour connaître son nom il le lui avait demandé lui-même, et, dans les derniers jours de sa vie, il exprimait encore à M. de Malesherbes combien il avait été touché de, rencontrer une compassion au milieu de cette scène d'horreur. Ne pouvant mieux faire, ajouta-t-il, je l'ai prié de me dire son nom et son adresse. — L'avez-vous aussi, répliqua Malesherbes, demandé à celui qui voulait vous entraîner à la fenêtre ?Oh ! celui-là, répondit Louis XVI, je n'avais pas besoin de le connaître.

Terminons, par ce mot qui honore l'humanité, une journée qui fait rougir l'histoire.

 

 

 



[1] Conseil général de la Commune, séance du 13 août 1792.

[2] Archives de l’Empire et Registres de la Commune.

[3] Archives de la Préfecture de la Seine.

[4] Les Registres de la Commune et les Archives de l'Empire, qui contiennent les notes acquittées, en font foi.

[5] Mémoires inédits.

[6] Le municipal qui le ramena à la Tour appartenait au parti modéré. Interrogé dans le trajet par M. Hue sur le sort des personnes arrêtées avec lui et conduites comme lui à l'Hôtel de ville : Mes collègues, répondit l'officier municipal, avaient passé plusieurs nuits sans dormir, ils ont été prendre quelque repos ; mais ce soir l'assemblée sera complète, et statuera sur le sort de ces personnes. Leur interrogatoire est clos ; je présume qu'elles seront renvoyées à leur service. — Ce municipal s'appelait Michel.

[7] Truchon, avocat, avait été, avant la révolution, enfermé à Bicêtre pour vol, rapt, etc. Il en était sorti à la faveur des troubles et était devenu membre de la Commune du 10 août. Il avait les formes polies et ne manquait pas d'une certaine faconde ; mais avec la longue barbe et les vêtements d'ermite qu'il portait afin de ne pas être reconnu, il avait l'air d'un meurtrier. Il fut un des trois commissaires qui, avec Tallien et Guiraud, furent chargés de rendre compte à la Législative des massacres de septembre, le 3 au matin. Incarcéré avec les terroristes après le 9 thermidor, il fut relâché après l'amnistie de brumaire.

[8] Consigne du 24 août 1792, l'an 4e de la liberté, le 1er de l'égalité :

En conséquence de l'arrêté du conseil général, le commandant général ordonne que le jardin du Temple sera consigné à toutes personnes quelconques, à l'exception de l'adjudant et officiers de service dans l'intérieur et auprès du Roi.

A Paris, les jour et an que dessus.

[9] Le 23 août 1792.

[10] Le 2 septembre 1792.

[11] Instruit du triomphe des Jacobins dans la nuit du 10 août, ainsi que du projet qu'ils avaient de le faire arrêter, la Fayette abandonna son camp le 19 août ; et, suivi des principaux officiers de son état-major, il passa sur le territoire liégeois. Arrêté à Rochefort, il fut conduit à Wesel, forteresse appartenant à la Prusse. A l'approche des Français, la Fayette, avec une partie de sa suite (l'autre ayant été mise en liberté à Anvers), fut transféré à Magdebourg, forteresse située sur les États prussiens. En 1795 il fut transféré dans la citadelle d'Olmutz, où l'empereur François II le tint enfermé jusqu'à la signature du traité de Campo-Formio au mois d'octobre 1797. Rendu à la liberté, il fut conduit à Hambourg.

[12] On avait pendu Favras sur la place de Grève, on y avait amené les restes palpitants de Flesselles et de de Launey ; mais la révolution ne voulut pas que le palais du peuple fût souillé du sang de ses ennemis. Elle reporta ce spectacle devant le palais des rois. Le 24 août, M. de Laporte fut décapité sur la grande place du Carrousel, vis-à-vis du château des Tuileries. Il était âgé de quarante-neuf ans. C'était lui qui, le 21 juin 1791, avait remis à l'Assemblée nationale la déclaration que Louis XVI avait écrite avant de partir pour Varennes. Il avait entendu sa condamnation sans trouble ; il monta sur l'échafaud avec dignité. Là, se tournant vers le peuple, il dit avec douceur : Citoyens, soyez sûrs que je meurs innocent ; car je ne puis regarder comme un crime ma fidélité à mon Roi : puisse mon sang, que vous désirez, vous donner plus de bonheur, et rendre la paix à ma patrie !

[13] Marchant à la mort le 25 août, fête de Saint-Louis, Durosoi s'écria : Il est beau pour un royaliste comme moi de mourir le jour de Saint-Louis.

[14] M. Brunyer.

[15] Séance du mercredi 5 septembre 1792.

[16] Voir le Récit des Événements arrivés au Temple. — Paris, Audot, 1823, page 22.

[17] Journal de ce qui s'est passé à la tour du Temple pendant la captivité de Louis XVI, roi de France.

Par M. Cléry, valet de chambre du Roi.

A Londres, de l’imprimerie de Baylis, Graville street — 1798. — La rédaction de ce journal a été attribuée par les uns à la comtesse de Schomberg, par les autres, et-avec plus de vraisemblance, à Mariala, homme d'affaires du duc d'Aremberg, etc. ; mais quelle que soit la main qui ait touché à l'œuvre de Cléry, il est incontestable qu'elle lui appartient tout entière pour le fond.

[18] Dernières années de Louis XVI, par M. Hue, 2e édit., page 355.

[19] Et Danton a bien mis à exécution ce programme lorsqu'il signa, comme ministre de la justice, la fameuse circulaire adressée, le 3 septembre, par le comité de surveillance de la Commune à toutes les municipalités des villes, pour les inviter à suivre l'exemple de la capitale :

La Commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple ; acte de justice qui lui a paru indispensable pour retenir par la terreur ces légions de traîtres cachés dans ses murs, au moment où il allait marcher à l'ennemi ; et sans doute la nation entière, après la longue suite de trahisons qui l'ont conduite sur les bords de l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public, et tous les Français s'écrieront comme les Parisiens : Nous marchons à l'ennemi, mais nous ne laisserons pas derrière nous des brigands pour égorger nos femmes et nos enfants.

Cette circulaire, signée de

PANIS, SERGENT, MARAT, DE FORGAS. LECLERC, CULLY, J. DUPLAIN, L'ENFANT, JOURDEUIL et DU FORTRE,

était envoyée dans les provinces sous le contre-seing du ministre de la justice, DANTON.

[20] M. Hue dit que c'était un ex-capucin. Dernières années de Louis XVI, 2e édit., page 359.

[21] Tous ces détails sont relatés dans l'ouvrage de M. Hue, Dernières années de Louis XVI, 2e édit., pages 361 et 362.

[22] M. Hue avait en effet signé et fait viser par les commissaires de garde la demande d'un vêtement semblable pour Tison.

[23] Voir à la fin du volume (Documents et pièces justificatives, n° IV) le récit des périls qu'avaient traversés madame et mademoiselle de Tourzel.

[24] Dans son Histoire des Hommes de proie.

[25] Voir aux Notes et Documents, n° V.

[26] Il demeurait rue de Bourbon, maison des Théatius.

[27] Jean-Pierre-André Danjou, prêtre et instituteur, demeurant rue du Coq-Saint-Jean. Le document manuscrit que nous publions pour la première fois est conservé dans la bibliothèque de Saint-Germain en Laye. E. 2. x.

[28] Histoire des événements qui ont eu lieu en France, de juin à septembre 1792, in-8°. Paris, 1806, page 397.

[29] Après la terreur, Lebègue s'était établi, comme boucher, à Brie-Comte-Robert, où il était regardé comme un des principaux instruments des massacres de septembre. Et bien que, le 3 février 1808, un jugement de police, rendu par le tribunal de cette petite ville au profit de Lebègue, fît défense de le qualifier à l'avenir de septembriseur, il n'en resta pas moins dans le pays l'objet de l'aversion publique.

[30] Mémoire de dépenses faites par Cléry, pour le service du Roi, pendant le mois de septembre 1792.