Débats dans la
convention au sujet de la Vendée. — Dénonciation de Philippeaux ; supplice de
ce conventionnel, de Westermann et de Beysser. — Plan du général en chef
Thurreau. — Marche des douze colonnes de l'armée infernale. — Règne de la
terreur dans la Vendée. — Renouvellement de la guerre dans le Haut-Poitou. —
Mort de La Rochejacquelein. — Prise de Chollet par Stofflet. — Mort du
général Moulin le jeune. — Invasion de Mortagne par Bernard de Marigny. —
Campagne d'hiver par Charette. — Supplice de Cathelinière. — Mort du général
Haxo.
L'ARMÉE victorieuse s'attendait à
marcher contre Charette, dont l'audace venait de se signaler de nouveau. Des
forces imposantes arrivaient de toutes parts, et tout annonçait la fin de la
guerre. La division des dites de Cherbourg, qui occupait déjà la Basse-Vendée,
fut renforcée par deux brigades, chacune de deux mille cinq cents hommes,
sous les ordres des généraux Dufour et Jacob, faisant partie du corps d'armée
qui mérita le nom d'armée infernale. Mais au lieu d'agir avec toutes
ces forces pour dompter les Vendéens, on renvoya la division de Cherbourg
dans le Calvados. Ici
commence, avec l'arrivée de l'armée infernale, l'incendie et la
dévastation de la Vendée entière. Avant d'en tracer le tableau déchirant, je
dois ramener l'attention sur le conflit des différentes factions qui
agitaient la convention nationale. Elles essayèrent en vain d'entraver la
marche du comité de salut public, sorte de décemvirat, dont le pouvoir était
sans bornes. Le jour même de la reprise de Noirmoutier fut marqué par
l'accusation portée par Philippeaux contre le parti qui perpétuait la guerre civile.
Aigri par son ressentiment, excité d'ailleurs par les ennemis secrets du
comité, ce conventionnel avait déjà provoqué indirectement sa mise en
accusation. Une députation de la ville de Tours, étant venue réclamer à la
barre l'établissement d'une commission pour examiner la conduite des généraux
employés dans la Vendée : il convertit cette demande en motion et rédigea
lui-même le décret. C'était
un coup du parti ; mais dès le lendemain Barère, organe du comité, profitant
d'un moment d'enthousiasme produit par la nouvelle des victoires de Mortagne
et de Chollet, déclara que la Vendée n'était plus, et fit rapporter le
décret de la veille. « Le comité, dit-il avec une assurance perfide, est
dépositaire d'une foule de vérités qui doivent être révélées. Un commissaire
qui poursuit les rebelles avec activité, a trouvé Chatillon plusieurs pièces
sorties de l'imprimerie royale de cette ville. Ces pièces vous dévoileront
les moteurs de cette longue et effroyable guerre. Le comité promet, dans
l'examen de la conduite des généraux, la plus grande sévérité ». Cette
déclaration insidieuse tendait à compromettre les adversaires du comité ;
mais les pièces dont parlait Barère ne reçurent jamais aucune publicité. Dans
son discours, il avait apostrophé, Philippeaux, dont les partisans ne
manquaient pas d'objecter « que toutes ces victoires sur lesquelles le
comité de salut public s’appuyait, n'avaient aucun rapport avec la cause de
la dénonciation ; qu'on n'en était redevable, ni à Ronsin ni à Rossignol, qui
avaient tous deux mérité le décret d'accusation ; qu'elles ne pouvaient
d'ailleurs empêcher que les trahisons, causes de nos désastres, ne fussent
des crimes ». Philippeaux, faisant alors un appel à l’opinion publique,
écrivit des mémoires passionnés, où ii exagéra le mal pour avoir occasion de
le combattre avec plus de farce al s'adressait au comité : « Les traîtres
obtiennent des couronnes civiques, disait-il, tandis qu'une proscription
tacite s'appesantit sur les républicains généreux qui vous importunent de
leurs trop justes doléances... Mais je marquerai les traîtres du sceau de
l'infamie... j'en appellerai à votre devoir ; et si vous ne les conduisez à l'échafaud,
je dirai à la convention : Frappez, il est temps, ou vous compromettrez
votre gloire avec celle du peuple. Quant à moi, qui sus braver l'éclat du
trône, aucune puissance humaine ne subjuguera mon caractère ; jamais je ne
caresserai les idoles du jour. Je serai toujours juste envers le comité ;
mais je veux qu'il le soit envers les autres, et surtout soit moins despote ;
parce qui en concourant à la formation nécessaire d'un comité de salut
public, j'ai cru établir des mandataires fidèles et non des maîtres ». Il y
avait une sorte de courage à attaquer ainsi en face les décemvirs
révolutionnaires. Philippeaux
imputait le passage de la Loire et les malheurs de la Bretagne à l’opiniâtreté
du comité. Pour intéresser la convention à sa cause, il fit distribuer ses
écrits à ses collègues ; mais plus il s’acharnait et plus le comité
persévérait dans son système atroce. Alors l'opposition osa se montrer
Camille Desmoulins, écrivain original attaché au parti de Danton, fit
paraitre son Vieux Cordelier, où il invoquait le retour à la
modération, et la liberté de penser et d'écrire. Il répétait dans ses écrits :
Avez-vous lu Philippeaux ? et prenait ouvertement son parti
relativement à la Vendée. Le
comité sentit que pour résister aux factions, il lui fallait plus de force et
une garantie dans son propre pouvoir. Il fit décréter que le gouvernement de
la France serait révolutionnaire : jusqu'à la paix : les ministres, les
administrations, les agents et les fonctionnaires de toutes les classes
furent mis sous sa surveillance. Il n'y eut plus d'autres impulsions que
celles de la violence et de la terreur. Billaud de Varennes, autre organe du
comité, alléguant la nécessité de donner au gouvernement plus d'unifié et de
précision, fit adopter le code révolutionnaire du 14 frimaire[1], qui ôtait aux administrations
locales la faculté d'adoucir les maux de la révolution. Ce régime de sans
n'avait d'abord été imaginé que pour rentière destruction du pays vendéen. La
réunion de tous les pouvoirs dans les mains de dix personnes, jeta l'alarme
parmi les autres factions révolutionnaires. La guerre de la Vendée, qui avait
commencé les dissensions, donna le signal du déchirement. On ne parlait plus
que de Philippeaux et de ses écrits sur la Vendée ; l'opposition les
préconisait ouvertement. D'un autre côté, les tribunes des sociétés
populaires tonnaient contre Philippeaux, qui avait accusé les coryphées du
parti des démagogues. On le fit exclure des sociétés affiliées, comme
calomniateur et modéré ; car la modération était un crime. Ses écrits et sa
personne devinrent l'objet de la plus odieuse persécution. P6ussé 'à bout, et
voulant nationaliser, en quelque sorte, sa querelle, Philippeaux parut, le 3
janvier, à la tribune de la convention, et accusa formellement Ronsin
Rossignol et les autres agents du gouvernement, « d'avoir désorganisé
l'armée de l'Ouest par leur exemple et leurs préceptes ; de l'avoir encouragé
à la licence, au lieu de la soumettre à la discipline ; de s’être toujours
fait battre par les rebelles ; de leur avoir constamment livré l’artillerie
et les munitions de la république, et enfin de perpétuer la guerre civile par
un système criminel ». Après avoir produit trente-huit autres chefs
d'accusation, Philippeaux offrit en preuve la collection des pièces
officielles qu'il avait remises au comité à son retour de Nantes ; le
témoignage des représentants du peuple, commissaires nationaux dans les deux Vendées
; enfin celui de tous les soldats de l'armée et de tous les citoyens des départements
devenus le théâtre de la guerre. IL conclut par demander le renvoi de son
accusation, non pas au comité de salut public, mais au comité de sûreté
générale, pour vérifier les faits et en faire un rapport. Choudieu
prit aussitôt la parole, et signala Philippeaux comme l'instrument d'une
faction qui voulait diviser les républicains. « Il n'y a pas un mot de
vrai dans tout ce qu'il vient de dire sur la Vendée, ajouta Choudieu ; et s’il
n'est pas fou, c'est le plus grand des imposteurs. Il ment à sa conscience en
accusant Rossignol de lâcheté ; la crainte d’être accusé lui-même l'a poussé
à une telle démarche. Je m'engage à répondre formellement à son absurde
dénonciation ». Merlin de Thionville assura qu'il n'y avait pas eu de
trahison dans la Vendée ; que l'ambition seule de quelques hommes sans biens
avait fait tout le mal. « Je propose, dit-il, de s'en rapporter à un général
qui a fait toute la guerre, et qui est en ce moment à la barre ». C’était
Westermann, qui vint offrir à la convention les dépouilles sacerdotales de
l'évêque d'Agra, et qui garantit sur sa tête que de toute l'armée catholique,
dont il exagéra le nombre, il n'existait plus un seul combattant. « Chefs,
officiers, soldats, évêques, princesses comtesses, marquises, tout, dit-il, a
péri par le fer, le feu et les flots ; j’ai tué moi-même les derniers
Vendéens. « Vous
voyez ce brave général, dit Lecointre de Versailles, eh bien ! on veut le
jeter dans les fers ! — La raison en est simple, ajouta Philippeaux, il a
battu les rebelles de la Vendée ». Ces dernières
paroles hâtèrent la perte de Westermann et de Philippeaux. En vain la
convention mit Westermann sous sa sauvegarde ; le comité de salut public,
redoutant ses liaisons comme son audace, épia le moment de l'envelopper dans
une conspiration. Cependant
Choudieu répondit à l'accusation de Philippeaux, mais avec plus de passion
que d'exactitude, avec plus de véhémence que de vérité. « Philippeaux,
dit-il, n'a vu partout que des trahisons et des hommes qui mouraient
inutilement à leur poste. Ces idées seraient déchirantes, si elles étaient
vraies ; mais Philippeaux a vu de loin les évènements de la guerre. A son ton
d'assurance, on dirait qu'il a tout vu, qu'il a tout fait, qu'il a déjoué
toutes les trahisons, et que la république n'a été soutenue que par son
courage. Pour moi, je n'ai pas, comme lui, affronté tous les dangers ; mais
je puis opposer des faits et des dates précises à des déclamations vagues, à
des accusations dénuées de preuves ». Apriès avoir combattu chaque chef
d'accusation, Choudieu ajouta : « J'ai prouvé que Philippeaux n'était
qu'un menteur ou un fou ; je crois avoir rempli suffisamment cette pénible tâche,
et j'abandonne maintenant à la convention nationale le soin d'examiner si
elle le décrétera d'accusation comme un imposteur contre-révolutionnaire ou
comme un homme dont l'esprit est aliéné ». Philippeaux
voulut répliquer, mais la convention refusa de l'entendre, et il se vit blâmé
par ceux mêmes qui l'avaient mis en avant. « C'est un homme orgueilleux,
disait-on ; humilié à Saumur, n'a cédé qu'a son ressentiment, et a fini par
se faire l'organe d'une faction qui veut renverser le gouvernement révolutionnaire.
La poursuite de son accusation causerait un déchirement dans l'État, et il
est d'une saine politique de l'étouffer ». Ainsi Philippeaux fut délaissé par
ces hommes sans caractère, qui, formant la majorité dans les assemblées
délibérantes, sont toujours prêts se ranger du parti qui gouverne. Signalé
tour-à-tour comme modéré et comme fanatique ; déchiré et abandonné, il resta
seul avec sa conscience, et écrivit toujours avec le même courage, jusqu'au moment
où le comité de salut public le comprit dans la ruine des deux factions
formées contre sa domination tyrannique. Il suivit Danton à l'échafaud, avec
Beysser, Westermann et Camille Desmoulins. On
chercherait en vain la vraie cause de leur mort dans le jugement qui les
condamna. Philippeaux encourut la peine capitale, comme instrument et agent
de Danton, accusé lui-même d'avoir voulu empêcher la liberté de s’affermir,
en conspirant pour absorber la révolution dans un changement de dynastie.
Dans la même condamnation furent compris Beysser et Westermann, le premier comme
ayant comploté, dans les fers, le massacre de la convention nationale, et le
second comme complice de Dumouriez dans la conjuration tendant à rétablir la
monarchie. Westermann, se levant avec une vive fierté devant ses juges,
s'écria : « Moi, conspirateur ! le demande à me dépouiller nu
devant le peuple ; j'ai reçu sept blessures par devant ; je n'en ai qu'une
par derrière, qui est mon acte d'accusation ». Beysser
et lui avaient figuré sur le même théâtre de la guerre ; tous deux étaient
Alsaciens ; ils avaient le même âge, le même grade ; la révolution et la
guerre civile furent causes de leur élévation et de leur mort. Également
braves et téméraires, tous deux furent le fléau des Vendéens ; mais la
réputation de Westermann fut plus éclatante. En le voyant aller au supplice,
on se demanda quels étaient ses torts envers la révolution. Il avait fait la
guerre sans chercher à la prolonger par des calculs sordides : son âme
ardente et guerrière le poussa jusqu'à la cruauté et se plaisait dans le sang
et le carnage. On le vit souvent, dans les combats, jeter son habit, et le
sabre en main, s’élancer dans la mêlée pour tuer à droite et à gauche. Cette
fureur de sabrer lui, valut le surnom de boucher parmi les-Vendéens.
Rappelé à Paris après la bataille de Savenay, il jugea sa perte inévitable,
et n'eut plus un instant de repos. Son imagination frappée lui représentait
les milliers de victimes qu'il avait immolées au génie de la révolution. Il
s'avoua obsédé de ces funestes images : dans ses rêves il ne voyait que du
sang. Du reste l'esprit de parti a exagéré sa réputation ; il eût été
incapable de commander en chef. Il compromit souvent le sort de l'armée, dont
il commanda l’avant-garde, et fut pour elle un objet de scandale, en donnant
plus d'une fois l'exemple de l'indiscipline et de la désobéissance. Sa basse
jalousie lui faisait verser le mépris sur les officiers-généraux dont il
enviait le grade et le commandement. Le
comité de salut public, sorti vainqueur de cette lutte, appesantit librement
son joug de fer sur la France, sous prétexte d'y affermir la liberté. Son
triomphe aggrava les maux de la guerre civile : l'extermination et l'incendie
furent désormais, dans la Vendée la loi de la guerre et l'obligation des
généraux. Ainsi l'humanité eut à gémir de la perte de Philippeaux et même de
Camille Desmoulins. Philippeaux mourut avec une touchante résignation. Plus
tara les deux partis qui divisaient la convention se reprochèrent sa mort. Mais la
terreur du gouvernement révolutionnaire, la destruction de la grande armée
catholique, non plus que la reprise de Noirmoutier, ne purent soumettre les
Vendéens. Charette résistait aux efforts des républicains, qui le
Poursuivaient sans relâche. La Rochejacquelein et Stofflet ralliaient, dans
le Haut-Anjou, les paysans royalistes qui étaient restés sur la rive gauche.
Les émissaires de ces deux chefs parcouraient les paroisses vendéennes qui
s'étaient signalées par leur dévouement pour la cause royale. Ce fut au
commencement de janvier 1794, et dans la paroisse de Névi en Anjou, que La
Rochejacquelein fit son premier rassemblement. Il surprit dans la nuit même,
avec une poignée de paysans, un poste républicain qu'il passa au 61 de l'épée
; faisant ensuite neuf lieues dans des routes affreuses, il fondit sur un
autre détachement, auquel il fit éprouver le même sort. Pendant la rigueur de
l'hiver, ses marches de nuit étaient toujours de huit à dix lieues ; il
enlevait quelquefois, dans l'espace de vingt-quatre heures, trois postes différents
placés à de grandes distances, et en se multipliant ainsi, donnait à croire
aux républicains qu'ils avaient à combattre divers rassemblements d'insurgés.
La Saumonière de Moncoutant se réunit à lui près de Névi, avec cent cinquante
Poitevins ; mais peu de jours après, s'étant engagé imprudemment, il fut pris
par les républicains et fusillé. Toutefois la troupe de La Rochejacquelein se
grossit à vue d'œil, des Vendéens échappés aux désastres du Mans et de
Savenay ; cachés d'abord dans les forêts, ils épiaient l'instant favorable
pour attaquer les cantonnements de l'ennemi, L'ivresse
du succès, en rendant les républicains plus cruels, avaient réduit au
désespoir les royalistes échappés aux défaites et aux exécutions. Cette
guerre prit alors un caractère de férocité dont des peuples même sauvages
présente peu d'exemples. Tout ce que la rage peut inventer fut mis souvent à
exécution par des femmes, sur les prisonniers qui tombaient en leur pouvoir. On
commençait à redouter que les Vendéens, ne reprissent leur force première.
Dans plusieurs rencontres, les nouveaux rassemblements avaient eu souvent
l'avantage particulièrement contre l'adjudant-général Desmares, que sa lâcheté
conduisit à l'échafaud. Tandis que Bérard et Prodomme attaquaient le poste de
Saint-Florent, d'autres insurgés se portaient sur Beaupreau et sur Montrevault.
L'alarme se répandit dans tous les cantonnements ; tes officiers qui les
commandaient étrognèrent au général en chef Thurreau, leurs inquiétudes. Ce
général connaissant l'intention du comité de salut public, d'arracher, par le
fer et par le feu jusqu'aux moindres racines de l'insurrection, se hâta de
mettre en action le plan funeste puisé dans les décrets de la convention
nationale et dans les arrêtés du comité ; il combina toutefois ses mesures militaires
sur la manière audacieuse dont combattait l'ennemi et sur la nature du terrain. Ce plan
consistait établir des camps retranchés dans les principales positions ; à
intercepter aux Vendéens tout secours étranger ; à les priver de toute espèce
de ressource en munitions de guerre et de bouche ; à couper toutes les
communications avec les insurgés de Bretagne, comme avec les insurgés du
Marais ; à désarmer toutes les paroisses voisines du foyer de l'insurrection,
et à isoler les insurgés du centre du pays, en occupant fortement les
principaux points de la circonférence ; à enlever de l'intérieur les
bestiaux, les grains et généralement tous les objets de subsistance ; à
détruire tout ce qui leur offrirait un asile et des ressources ; à éloigner
tous les habitons qui, sous prétexte de neutralité, portaient alternativement
la cocarde blanche et la cocarde tricolore ; à diriger congre Charette des
opérations hardies ; à faire parcourir la Haute-Vendée dans tous les sens,
par des colonnes qui poursuivraient les insurgés sans rache ; à n'attacher
aux colonnes ni artillerie, ni aucun bagages ; et enfin à protéger la
navigation de la Loire, depuis Angers jusqu'à Nantes, par vingt-quatre
chaloupes canonnières. Ce système de guerre, embrassé dans tous ses détails
et suivi avec persévérance, eût pu éteindre la Vendée ; mais il demandait un
dictateur. La nature du gouvernement révolutionnaire nuisait à son exécution.
Aussi fut-elle entravée par tous ceux dont ii offensait les intérêts ;
surtout par l'opposition des autorités locales, toujours prêtes à se
déchainer contre le pouvoir militaire. Tel est le sort des mesures générales
qui n'ont qu'une énergie de circonstance. Ainsi, malgré la fermeté du général
en chef, ce plan trompa son attente et cette du comité de salut public. Maître
de Noirmoutier, sans inquiétude sur la garde des comtes, également rassuré
sur tous les mouvements que Charette pourrait entreprendre, le général
Thurreau donna enfin le signal pour l’irruption des douze colonnes, formées
par quinze mille hommes d'élite, et qui devaient, dans leur marche combinée,
traverser en tons sens le territoire vendéen. Le 20 janvier 1794, les
officiers chargés de les conduire reçurent l'ordre dont voici la substance «
Passer tous les royalistes au fil de la baïonnette ; livrer aux flammes les
villages, métairies, bois, geais, et généralement tout ce qui pourra être brûlé
; faire précéder chaque colonne par quarante à cinquante pionniers ou
travailleurs, chargés d'abattre les bois et forêts pour propager l'incendie ;
prendre enfin toutes les mesures secondaires commandées par les circonstances
». On
n'excepta de l'incendie général que les villes et les bourgs de
Saint-Florent, Chollet, Bressuire, Luçon, Machecoult, Challans, Chantonnay„
Saint-Vincent, Argenton et Fontenay. Cet ordre fut précédé d'un arrêté du
conventionnel Laplanche, qui enjoignait aux corps administratifs de faire lever
toutes les subsistances de l'intérieur de la Vendée. Les
douze colonnes, en partant de différents points de la circonférence, devaient
se réunir à Chollet, qui en était le centre, et balayer dans leur course tout
le pays, évitant toutefois de s'engager avec les rassemblements que
pourraient opposer les Vendéens. Partout elles portent le fer et la flamme,
immolant, sans distinction d'âge ni de sexe, tous les êtres vivants qu'elles
trouvent sur leur passage. La colonne du général Grignon part d'Argenton-le-Château,
traverse la Vendée de l'est à l'ouest, met le feu à la ville de Bressuire, et
livre à l'incendie tout le pays jusqu'au bourg des Herbiers. Ses soldats
pillent, violent, commettent toutes sortes de cruautés, massacrent les
habitants et jusqu'aux enfants à la mamelle. Le général Huchet, parti de
Luçon la torche à la main, détruit tout depuis Saint-Hermine jusqu'au pont la
Claye. Le général Dufour dévaste le district de Montaigu, et se porte,
précédé de l'incendie, sur le bourg des Herbiers. Amey fait brûler Mortagne
et ses environs. Enfin la colonne exterminatrice de Cordellier parcourt la
Vendée de l'ouest à l'est : Montaigu, Clisson, le Loroux, Tiffauges, jusqu'à
la forêt de Vezin tout est brûlé, tout est détruit. De son
cité, Carrier prescrit au général Haxo d'incendier la Basse-Vendée, et d'en
exterminer les habitants. Cet ordre barbare est éludé : Haxo temporise ; mais
déjà la presque totalité du pays est embrasée : une ceinture de feu suit la
marche des douze colonnes infernales. Les villes, les bourgs, les chaumières,
les subsistances, tout est dévoré. Les commissaires de 'la convention
écrivent en ces termes aux généraux « Plus de prisonniers dans la Vendée ;
point de quartier ; nos prisons regorgent ». Bien d'est plus épargné alors,
pas même les républicains qui vivaient ignorés dans quelques villages
écartés, où ils n'avaient jamais pris les armes, vainement ils demandent la
vie, leur certificat de civisme à la main ; ils ne sont point écoutés ; on
les égorge. On fusille, à Pont-Saint-Martin, près Nantes, des municipaux
revêtus de leur écharpe tricolore. Les laboureurs paisibles et soumis qu'on
épargne, Voient leurs propriétés dévastées, livrées aux flammes : ils
implorent en vain une autorité protectrice. Le désespoir dans le-cœur, ils
vont répandre dans les villes voisines l'alarme et l'indignation. La Vendée
n'était plus qu'un désert ; on n'y voyait que des cadavres, des cendres et
des ruines. Aux cris du désespoirs les généraux opposaient l'ordre qui leur prescrivait
de massacrer sans miséricorde. Ce que dévorèrent les flammes en grains, en
habitations, en bestiaux, a été évalué à trente millions de francs. Le quart
de la population vendéenne tomba sous le fer des colonnes exterminatrices ;
mais cent mille hommes, femmes, vieillards et varans, abandonnèrent leurs
chaumières en feu pour se jeter les forêts. Alors tous les Vendéens en état
de porter les armes se réunirent aux rassemblements formés par La
Rochejacquelein et par Stofflet. Les
douze colonnes incendiaires marchaient de front et en ordre de bataille, soutenues
par le croisement continuel de leurs flanqueurs. Il en résulta d'abord
quelques succès ; mais La Rochejacquelein ayant rassemblé à Jallais mille
Vendéens d’élite, passa entre deux colonnes sans les attaquer, et tomba sur
Chemillé, qu’il emporta l'épée à la main. Cet
échec ne changea rien aux dispositions du général Thurreau qui avait porté son
quartier-général à Chollet d'où il dirigeait tous les mouvements. Chollet
étant menacé, il y laissa une forte garnison, sous les ordres du général
Moulin le jeune, et se disposa à attaquer lui-même Tiffauges et Gesté.
Suivant tous les rapports, il devait y trouver l'ennemi en force. En effet,
Stofflet et La Rochejacquelein s'y étaient portés : c'était le rendez-vous
général des Vendéens. A la tête des deux colonnes de droite réunies, le
général Cordellier marcha sur Gesté ; et le général en chef Thurreau se porta
sur Tiffauges, avec deux colonnes du centre. La Rochejacquelein n'y avait
laissé que trois à quatre cents hommes, qui l'évacuèrent après quelques coups
de fusils : les républicains n'y répondirent que par une douzaine
d'obus. Cordellier trouva de la résistance aux environs de Gesté : il
eut trois engagements sérieux avec La Rochejacquelein, qu'il ne put entamer.
Ce chef se replia sur la forêt de Vezin, pour s'assurer une retraite ; et
s'étant mis sur la défensive, fit construire, dans la forêt, des baraques où il
se cantonna avec ses meilleures troupes, après avoir établi un poste sur la
route de Chollet. Instruit de tous les mouvements des républicains, il revint
au même plan qu'on avait suivi pendant son absence, et se borna, pendant le
reste de l'hiver, à couper les communications de l'ennemi, à enlever ses
patrouilles, ses escortes, et surtout ses munitions. Il s'empara ainsi de
plusieurs convois. Dans une rencontre imprévue, il prit un adjudant-général,
sur lequel il trouva l'ordre de donner des sauf-conduits aux paysans
vendéens, de se saisir ensuite de tous ceux qui en seraient porteurs, et de
les fusiller indistinctement. La Rochejacquelein se hâta de faire afficher
cet ordre barbare dans toutes les paroisses environnantes les paysans
indignés, n'ayant plus aucune sûreté, se réunirent à lui en plus grand
nombre. Se voyant bientôt en état de sortir de la forêt pour faire de
nouvelles expéditions, il reparut à la tête d'un rassemblement, et menaça
tour à tour les divers cantonnements qui l'environnaient. Serré de près par
le général Cordellier élude d'abord le combat, l'assaillit ensuite à
plusieurs reprises, et obtient quelques succès. Bouillant et impétueux, il
harcèle sans cesse son ennemi, qu'il tient en échec. Ce jeune guerrier, qui,
après la défaite du Mans, s'était écrié : « Que ne suis-je mort au
champ d'honneur ! » s'était souvent battu en capitaine expérimenté
dans les combats précédents ; mais navré de la malheureuse issue de
l'expédition d'Outre-Loire, il ne montrait plus que la témérité d'un soldat. Depuis
sa rentrée dans la Vendée, il semblait pressentir la chute de son parti
renaissant, et ne pas vouloir lui survivre. Il dut sa perte à son audace. Le
4 mars 1794, Nouaillé, près Mollet, fut témoin de sa dernière expédition. La
garnison de Chollet étant sortie pour incendier le bourg de Nouaillé, La
Rochejacquelein l'attaqua au moment même où elle y mettait le feu. Entourés
par les Vendéens plusieurs soldats périrent dans les flammes ; d'autres
s'élancèrent à travers les rangs ennemis. La Rochejacquelein les poursuivit avec
acharnement, et apercevant derrière une haie deux grenadiers qui échappaient
à sa cavalerie : « Rendez les armes, leur dit-il, je vous fais grâce ! »
Tous deux se jettent à genoux, comme pour l'implorer. La Rochejacquelein, qui
s'avance à cheval, veut les interroger, malgré les représentations des
officiers de sa suite, qu'il laisse derrière lui. L'un des deux grenadiers,
qui vient d'entendre prononcer le nom du général royaliste, se dévoue, et
tandis que La Rochejacquelein se penche pour-recevoir son arme il l'ajuste et
tire à bout portant ; la balle frappe le front de La Rochejacquelein, qui
tombe et expire aussitôt. Ses officiers accourent, Mais trop tard, et le
vengent en massacrant son meurtrier. Ainsi
périt, de la main d'un soldat inconnu, cet illustre chef, à vingt-deux ans
généralissime, et en dix mois vainqueur dans seize batailles. Si jeune, il
montrait le germe de tous les talents de l'homme de guerre. Dans les
conseils, il ouvrait toujours l'avis le plus sage, bout en étant trop modeste
pour jamais s'en prévaloir. Au contraire, il cédait volontiers à l'opinion
des chefs dont la maturité semblait annoncer plus de lumières et
d'expérience. « Décidez, disait-il, et j'exécuterai ». Mais dans les dangers,
tous recouraient à lui ; tous réclamaient ses ordres. N'ayant d'autre
instinct que celui de la guerre, il fut étranger à la politique ; et tel que
nos anciens preux, il semblait appartenir aux temps héroïques de la
chevalerie. Mais hors des combats, il s'abandonnait à l'enjouement et à la
gaieté de son Age, ne développant son grand caractère que dans les moments
décisifs. C'est alors qu'on le voyait gémir de n'avoir à commander qu'une
armée de paysans indisciplinés, qu'il jugeait incapables de relever la
monarchie. Sa physionomie hait pleine de douceur et de noblesse ; ses yeux,
naturellement vifs, devenaient si ardents et si fiers au milieu des combats,
que son regard semblait alors le coup d'œil de l'aigle. A la
nouvelle de sa mort, Stofflet, qui cachait dans l’âme l'ambition d'un soldat
heureux, accourut à Trementine, et s'emparant du cheval de bataille de son
général, piqua des deux au milieu de la foule éplorée, en s'écriant dans son
grossier langage : « Ce n'était pas grand’chose que voire La
Rochejacquelein ! » Ces paroles insultantes ont été niées et
affirmées tour à tour. Ceux qui les rejettent, pensent qu'en le proférant,
Stofflet se serait perdu dans l'esprit des Vendéens. Quoi qu'il en soit, il
se saisit aussitôt du commandement en chef, que personne n'osa lui disputer.
Le corps de La Rochejacquelein fut enseveli par quelques-tins de ses soldats,
à la même place où il venait d'élire frappa ; les royalistes et les
républicains donnèrent des regrets a sa mémoire. Ces
derniers n'apportèrent que plus d'ardeur dans leurs opérations et dans leurs
attaques, espérant trouver les Vendéens faibles et découragés. Des obstacles
imprévus les arrêtèrent. Le général Thurreau, forcé de tenir son
quartier-général à Nantes, se trouva trop éloigné des colonnes mobiles, dont
la marche aurait exigé l'activité la plus soutenue. Déjà Stofflet, qui
brûlait de signaler son commandement et se disposait à attaquer Chollet, où il
avait conservé des intelligences. Cent cinquante combats lui avaient donné l’habitude
de la guerre ; et il voyait dans la prise de cette ville un grand avantage
pour son parti. Le général de brigade Moulin le jeune, à qui la défense de
Chollet était confiée, avait cinq mille hommes et trois pièces de canon. Instruit
des projets de Stofflet, la force de la garnison le rassura. Ce chef
venait de rassembler dans la forêt de Vezin quatre mille Vendéens aguerris.
Le jour-tt le plan d'attaque ayant été fixés/ il donne Renon le commandement
de son aile droite, à La Ville-de-Beaugé et à Beaurepaire celui de l'aile
gauche, et il marche en personne à la the de la colonne du centre. Le Io
mars, ses soldats surprennent les postes républicains, fondent sur les
retranchements avec des cris effroyables, et y pénétrera de toutes parts. Au
premier coup de fusil, une partie de la garnison avait pris lâchement la
fuite. Le reste ne put tenir contre une pareille attaque. Le général Moulin,
désespéré, fait d'inutiles efforts pour rallier ses soldats. Le général de
brigade Caffin est blessé à ses côtés, Atteint bientôt lui-même de deux coups
de feu, il s'efforce encore d'arrêter le désordre ; mais les tirailleurs de
Stofflet, déjà maîtres de la ville, le poursuivent avec acharnement il perd
son sang, ses forces l'abandonnent, et son cheval s'abat dans une rue
embarrasse d'un fourgon chargé de blessés. Trahi par ses propres soldats,
craignant de tomber vivant entre les mains des royalistes, cet infortuné
général saisit ses pistolets et se brûle la cervelle. Sa mort couvrit de
honte les lâches qui l'avaient abandonné, et lui mérita les regrets et l'estime
de l'armée entière. Stofflet
entra triomphant dans Chollet, si souvent baigné du sang des deux partis. Au
milieu de la victoire, des femmes furieuses venaient massacrer les
prisonniers. Les vaincus, poursuivis au-delà de la couvraient la route de
Nantes. Le général Cordellier, qui accourait des environs de Gesté avec sa
division, parvint avec peine à se faire jour à travers les fuyards, pour
joindre l'ennemi qui s'acharnait leur poursuite. Bientôt l'affaire s'engagea
entre ces troupes fraîches et les Vendéens, qui se croyaient sûrs de la
victoire. Ils furent rompus à leur tour, et poursuivis par une charge
vigoureuse de troupes légères, jusque dans les rues mêmes de Chollet. Là
Stofflet parvenant enfin à les rallier, gagna les hauteurs de Nouaillé, et y
resta deux jours à la vue des républicains, comme pour les braver. Ceux-ci
n'osèrent sortir de leurs retranchements. L'invasion
de Chollet et la mort tragique du général Moulin jetèrent l'alarme sur les
deux rives de la Loire et dans Paris moine, où tout fut exagéré. « C'est
donc ainsi, disait-on, qu'il n’y a plus de Vendée ! A quoi servent tant de combats,
tant de défaites, tant de victoires, puisque la Vendée renait de ses cendres
? Sans les incendies et l'égorgement, la guerre serait étouffée. Ces cruautés
atroces ont donné des armes aux restes de cette population désespérée. Il
n'en faut plus douter c'est le comité de salut public, ce sont les généraux
qui alimentent et perpétuent cette guerre affreuse ». C'est ainsi que dans la
capitale s'exhalait le mécontentement. Quoique
le comité eût résolu de garder désormais le silence sur la Vendée, Barère ne
put se dispenser de parler, dans un dernier rapport, de Chollet et de la mort
du général Moulin. Il imputa ce désastre aux généraux et aux agents du gouvernement,
et par une contradiction choquante, il s'éleva même contre le système
d’extermination qu'il avait fait adopter. « Le comité, dit-il, espérait
surtout que l'armée de l'Ouest, fidèle aux maximes et aux ordres du
gouvernement, ne disséminerait jamais ses forces, et s'occuperait bien plus
de détruire le noyau des brigands qui pouvaient se reformer, que de sacrifier
les habitations isolées, les fermes et les villages soumis. Cependant les
forces républicaines ont été morcelées, des rassemblements se sont
réorganisés, et la troupe royaliste, naguère éparse et fugitive, maintenant
sous les ordres de Stofflet et de Charette, se grossit de tous les mécontents,
qu'on doit à l'exécution barbare des décrets, dans un pays qu'il fallait
seulement désarmer et administrer avec le bras nerveux d'un pouvoir militaire
et révolutionnaire ». Ce
discours annonçait un changement de système, ou du moins des modifications
tardives nécessitées par les circonstances. « Cependant, ajouta Barère,
l'avarice des propriétaires de la Vendée n'a pas manqué d'exagérer, par la
malveillance de leurs plaintes, les rassemblements des brigands et les
dommages causés par l'exécution des décrets ». Barère, après avoir payé un
tribut d'éloges aux travaux des commissaires Bourbotte Francastel et Thurreau,
les fit remplacer par les conventionnels Gareau et Hentz qui furent envoyés
avec des pouvoirs illimités et de nouvelles instructions. Il proposa ensuite,
d'honorer la mémoire du général Moulin, et la convention décréta qu'il serait
élevé à Tiffauges, aux frais de la république, un monument simple avec
l'inscription suivante : « Républicain : il se donna la mort pour ne pas
tomber vivant au pouvoir des brigands royalistes », Mais déjà le général
Cordellier, resté maître de Chollet avec sa division, ayant retrouvé son
corps défiguré, l'y avait fait inhumer, avec pompe, au pied de l'arbre de la
liberté, en présence des autorités et des soldats. A peine
le comité de salut de public eut-il fait pressentir qu'on allait changer de système
à l’égard de la Vendée, que les généraux firent cesser les incendies, mais
sans discontinuer les massacres. L'inconcevable activité de Stofflet semblait
vouloir lasser l'acharnement des républicains. Il rassembla six à sept mille
hommes, et menaça Beaupréau, où le général Cordellier venait de se porter
avec sa division. A peine les avant-postes de ce dernier sont-ils attaqués,
que tous les soldats, animés par son exemple, se répandent en tirailleurs, à
la manière des Vendéens, et engagent une fusillade tellement nourrie, qu'elle
se soudent pendant six heures. Etonné de cette nouvelle manière de combattre,
Stofflet abandonne le champ de bataille et disperse sa troupe. Il lui
eût été désormais impossible de rien entreprendre d'important, si la division
du général Cordellier, l'une des plus aguerries, eût été constamment opposée
; mais le désir de détruire. Charette, détermina le général en chef à la
diriger sur le Bas-Poitou. Resté maitre de la campagne, Stofflet menaça de
nouveau le poste de Chenet. La garnison qui venait d'être renouvelée, sous
les ordres du général Huchet, n'osait sortir de ses retranchements. La
résurrection de la Vendée, la difficulté des communications, le danger de
laisser des cantonnements isolés, avait déjà forcé les républicains d'évacuer
quelques postes du centre, tels que les Herbiers, Chantonnay, Laroche-sur-Yon
; le général en chef sollicitait la même mesure à l'égard de Chollet. Stofflet,
que rien ne pouvait décourager, se présente derechef aux avant-postes ; il
trouve la garnison renforcée par la colonne du général Grignon. Les
républicains étaient en bataille sur les hauteurs ; les royalistes éparpillés
en demi-cercle. Ils repoussèrent d'abord les détachements envoyés pour les
combattre. Le général Grignon ordonna la charge, et ne fut point obéi. Ses
soldats se débandèrent, sous prétexte que leurs cartouches étaient trop
grosses pour le calibre des fusils. En vain Grignon les conjure de se servir
de l'arme blanche ; il est menacé par ses propres soldats. Informé du désordre,
le général Huche arrive sur le champ de bataille avec des troupes fraîches,
et arrête les fuyards. « Je suis déshonoré, s'écrie Grignon je ne puis
plus commander ! » En même temps les soldats se pressent autour du général
Huchet, en lui adressant des plaintes et des menaces. « Tiens, général,
lui disent-ils, voie les cartouches anglaises, et dis qu'on ne trahit pas ! »
On ne put arrêter le désordre qu'en faisant rentrer toutes les troupes dans
leurs lignes. Stofflet,
averti qu'il arrivait des renforts aux républicains, suspendit l'attaque. En
effet, les commissaires de la convention parurent le lendemain avec le
général en chef, qui venait d'obtenir l'ordre d'abandonner Cham. L'évacuation
eut lieu en deux heures. La convention y perdit des millions en grains,
fourrages, habillements des troupes et en objets destinés à remonter les
manufactures. Tout fut livré aux flammes ou laissé aux Vendéens, qui enlevèrent
sur la route la caisse de la municipalité. Dans leur marche rétrograde, les
commissaires et le général en chef virent sortir d'une forêt près de
Villiers, les Vendéens qui venaient à eux pour les combattre. C'était un
détachement d’environ deux mille hommes, envoyé par Stofflet. Le général
Thurreau fit ses dispositions, et montra trop ses forces. Quelques Vendéens
furent tués à coups de canon ; le reste se retira dans les bois, et les
républicains rentrèrent à Saumur. L'évacuation de Chollet valut à Stofflet la
possession de tout le pays qu'avait occupé la grande armée catholique. Le
centre de la Vendée obéissait alors à Bernard de Marigny, échappé aux
massacres de Savenay, ce chef avait erré longtemps aux environs de Nantes.
Quoiqu'il y fût connu et même dénoncé, il s'y était introduit plus d'une
fois, travesti en paysan breton, ainsi qu'a Savenay et à Pontchâteau. Marigny
allait lui-même reconnaître les cantonnements des républicains. Il forma le
projet hardi de soulever les habitants des environs de Savenay et de se
mettre à leur tête. N'ayant pu réussir faute de concert, il traversa la
Loire, et reparut dans la partie du Poitou que Lescure et La Rochejacquelein
avaient eue sous leur commandement. Chéri des paysans poitevins, il devint bientôt
leur général. Ainsi la Vendée se trouvait naturellement partagée entre trois
chefs : le Bas-Poitou obéissait à Charette, l'Anjou à Stofflet, et le Haut-Poitou
à Bernard de Marigny. Les républicains, cantonnés à Chiché, à Bressuire et à
Mortagne, mettaient encore tout à feu et à sang ; les Poitevins du centre,
dispersés dans les bois, n'auraient pu s'y opposer. Bernard de Marigny les
rassemble ; sa vue les ranime. Il ne fait d'abord qu'intercepter les convois
et les détachements, pour se procurer des munitions ainsi que des armes. Peu
disposé à se réunir à Charette ou à Stofflet, il a soin d'éviter, dans les
premiers moments de la résurrection vendéenne, les forces que lui opposent
les républicains. Sa parfaite connaissance du théâtre de la guerre, et l’attachement
sans bornes que lui vouaient les habitants, faisaient de lui un chef
redoutable ; toutefois il sentit qu'il fallait se signaler par une action
d'éclat. Instruit
par deux transfuges, qu'une faible garnison défendait Mortagne, Marigny forma
le projet de s'en emparer. Avant de commencer l'attaque, il serra tellement
la place, que pendant plusieurs semaines il fut impossible au commandant
républicain de communiquer avec aucune des douze colonnes ; toutes les ordonnances
envoyées à la découverte étaient égorgées. Bientôt la ville se trouva
étroitement bloquée, n'ayant pour la défendre que sept à huit cents soldats,
de vieux remparts nouvellement réparés, et point de canons. Vers la
fin de mars, la garnison, privée de fourrages, se fait jour dans la campagne
et forme un convoi. Bernard de Marigny l'intercepte, taille en pièces
l'escorte, parait tout-à-coup avec quatre à cinq mille Vendéens, et plante le
drapeau blanc à la vue des remparts. Deux autres colonnes royalistes se
présentent en manie temps devant les portes Nantaise et Rochelaise, pour
former une fausse attaque. La générale eut bientôt rassemblé la garnison et
tous les habitons en état de porter les armes. Les postes assignés à chaque
corps furent occupés, et les portes murées en dedans. Bernard
de Marigny, dépourvu aussi de canons, ordonne l'escalade, et par son exemple,
anime les Vendéens. Aussitôt un feu roulant de mousqueterie est dirigé sur
les portes de Saint-Louis et de Poitiers. Le commandant Lenormand, chef du
troisième bataillon de l'Orne, parcourt les remparts, et recommande aux
républicains de ne tirer qu'à portée sûre. Les assaillants, avec des cris
épouvantables, disposent tout pour donner l'assaut. Les premiers qui se
présentent reçoivent la mort, et entraînent dans leur chute ceux qui les
suivent. Découragé, privé d'ailleurs de moyens suffisants pour l'attaque,
Bernard de Marigny renonce à l'escalade, sans interrompre néanmoins le feu,
auquel les assiégés ripostent sans interruption. Avant la nuit, il ordonne la
retraite, promettant une seconde attaque pour le lendemain. Les chefs de la
garnison s'assemblent en conseil de guerre, et décident d'évacuer la ville :
la plupart des habitants sortent avec la garnison, qui d'abord opère sa
retraite avec ordre et sans être troublée, puis brave courageusement quelques
partis ennemis, pour se replier sur Nantes. Le jour
paraissait à peine, quand Bernard de Marigny ayant rassemblé ses soldats
dispersés dans les fermes, voulut livrer un second assaut. Il y marchait,
lorsque Laudran-Lerovre, sortant le premier de la ville, vint à sa rencontre,
lui annoncer la retraite de l'ennemi. Le général vendéen y pénétra aussitôt,
sous l'habit de paysan breton qu'il avait conservé, n'étant distingué de ses
soldats que par deux croix à sa boutonnière. S'emparant aussitôt des
magasins, il fit couper l'arbre de la liberté, brûla le château ainsi que les
portes de la ville, et ordonna de raser les fortifications. Il ne put
contenir l'animosité de ses soldats, qui massacrèrent sous ses yeux deux
femmes signalées par leur attachement aux républicains. Mortagne n'offrant
aucune sûreté Marigny ne l'occupa qu'un seul jour ; le gros de son armée
s'éparpilla dans les villages voisins. Les approvisionnements dont on venait
de s'emparer, filèrent au quartier-général de Cerisay. Trois
jours s'étaient à peine écoulés que la colonne du général Grignon parut et
bivouaqua autour de la ville. Marigny ramenant ses troupes vers les Herbiers,
Grignon, qui redoutait d'être enveloppé ou surpris, alla se cantonner à Montaigu. La
ville de Mortagne était le poste le plus important qui fût resté aux
républicains dans l'intérieur de la Vendée ; aussi son invasion par les
royalistes devint un événement qui intéressa vivement les deux partis. La
retraite de la garnison fut regardée, par les généraux et par les
commissaires de la convention, comme une désertion criminelle. D'après les
lois de la guerre, une place ne pouvait être abandonnée qu'après l'ouverture
de la brèche. Les officiers qui avaient command é la garnison furent destitués
; et à la suite d'une séance orageuse de la société populaire de Nantes, où
ils récriminèrent contre les généraux, ceux-ci les firent traduire devant une
commission Les accusés
s'appuyant de l'exemple de Chollet alléguèrent leur abandon, un blocus de
quinze jours, et la perte d’un cinquième de leurs soldats, après sept heures
de combats et d'assauts puis d'accusés, devenant accusateurs : « Quels
sont les coupables, dirent-ils, ou de ceux qui ont évacué, sans nécessité,
des postes de première ligne, ou de ceux qui n'ont abandonné le leur qu'après
une défense honorable ? Est-on venu à notre secours ? Pourquoi sommes-nous
dans les fers ? Est-ce pour avoir tonné contre ceux qui ont enveloppé les innocents
avec les coupables ? contre ceux qui, par les horreurs qu'ils ont commises au
nom de la république, n'ont » fait que grossir le nombre de ses ennemis, en
changeant en rebelles désespérés des hommes paisibles ? Qui pourra laver les
généraux d'avoir ordonné l'exécution d'un plan si infâme et si impolitique,
comme s'ils eussent voulu favoriser les vues de Charette et de Stofflet en
prolongeant la guerre, et en rendant impossibles » les moyens de la terminer ? »
Cette justification énergique les sauva. Je suis
entré dans ces détails, pour montrer que des prisons de Nantes partit le
premier cri accusateur contre le système d'incendie et d'extermination. Déjà
le comité de salut public en rejetait le blâme sur les généraux. Cependant,
comme le pouvoir révolutionnaire conservait encore toute sa force, les
plaintes de la garnison de Mortagne furent étouffées alors ; mais elles se
renouvelèrent depuis avec plus de violence. Ce changement, quoiqu'insensible,
fit juger dés-lors que faute d'un plan, fixe on prolongerait la guerre
civile. Le comité de salut public, trop impatient de la terminer, ne put s'arrêter
à des mesures raisonnables, soit qu'il connût peu l'état des choses, soit
qu'il fût entraîné au-delà du but par l'exagération des idées dominantes. On
l'accusa même d'entretenir sciemment la guerre ; accusation absurde en ne
jugeant que l'intention, mais fondée si l'on examine les moyens à la fois
impolitiques et cruels qu'on ploya pour l'étouffer. En
cessant d'incendier, on cessa aussi d'égorger les femmes, les vieillards et
les enfants, qu'un ordre des commissaires de la convention fit ramener sur
les derrières de l'armée, « Les tribunaux militaires distingueront les
coupables, écrivirent les proconsuls, et sur le reste la convention décidera ». Soit
par lassitude, soit pour revenir enfin à des principes d'humanité, la guerre
perdit de sa fureur du côté des républicains. Il n'en était pas de même dans
l'autre parti, qu'on avait réduit au désespoir, et qui persistait dans le
droit de représailles. Les nouveaux commissaires Hentz et Gareau s'exprimèrent
en ces termes sur la résurrection de la Vendée. « Il ne faut pas
s'étonner si les restes d'une armée qui fut terrible, si des hommes qui
depuis un an s'aguerrissent parce qu'ils n'ont devant les yeux qu'une mort inévitable,
cherchent à se défendre avec le courage du désespoir : ils seront
dangereux tant qu'ils n'auront pas tous péri ; mais il faut du temps pour les
réduire ils sont dans leur pays, où ils se rassemblent et se dispersent à
volonté, en se jetant sur nos postes qu'ils égorgent, et dont ils enlèvent
les armes ». Depuis
l'évacuation de Chollet, tout le Haut-Anjou reconnaissait le pouvoir de
Stofflet, dont la réputation égalait presque celle de Charette. La prise de
Mortagne avait augmenté aussi les espérances et les prétentions de Bernard de
Marigny. Quant à Charette, il fit face de tous les côtés, et parvint avec une
poignée de soldats, à échapper à vingt mille hommes, qui pendant cinq mois le
poursuivirent avec acharnement. Comme cette campagne d'hiver forme son titre
le plus glorieux et le plus solide à la mention de l'histoire et à l’intérêt
de la postérité, je vais en réunir les traits épars en un seul tableau. Après
la déroute de Machecoult, Charette erra dans les communes de la Chambaudiére,
de Saint-Sulpice, du Luc, de la Couchaignière et de Saligné. A peine y
trouvait-il assez de vivres pour cette poignée de braves attachés à sa
fortune. Son ancien territoire n'était plus tenable ; les colonnes infernales
le parcouraient alors en tous sens, fer et la torche à la main. Tout-à-coup
il se reporte, vers Saint-Fulgent, au centre de la Vendée, soit pour
s'éloigner du Bas-Poitou, soit pour prendre sa revanche des derniers échecs
essuyés à Machecoult et à la Chambaudière. En effet, la garnison de
Saint-Fulgent fut surprise et chassée au moment même où elle relevait en
pompe l'arbre de la liberté. Charette fit abattre immédiatement ce signe du
républicanisme. La fatigue et les marches forcées avaient mis ses soldes hors
d'état de me garder eux-mêmes il les cantonna dans le bourg, et monta la
garde en personne sur le grand chemin, au bivouac, avec un petit nombre
d'hommes aussi infatigables et aussi dévoués que lui. Un détachement venu de
Chantonnay, pour remplacer la garnison de Saint-Fulgent, donna dans sa garde
avancée, qui, à la faveur d'une terreur panique, le poursuivit jusqu'au
château de l'Oie. Il faisait un froid excessif ; et malgré l'avis de Joly,
Charette revint à Saint-Fulgent, où sa troupe fut surprise son tour, et
dispersée par une forte colonne venante de Montaigu. Il erra toute la nuit,
accompagné de dix hommes seulement, et ne réunit que le lendemain tune partie
de ses forces, dans la forêt de Grala. Son armée diminuant à mesure crue les
paysans du Bas-Poitou s'éloignaient de leur pays, à peine pouvait-il réunir
mille à douze cents hommes. Se dérober à l'ennemi, lui cacher sa marche,
tomber à l’improviste sur la queue ou le flanc de ses colonnes, telle était
la tactique de Charette. Il venait d'occuper un village près le
Val-de-Morière, lorsqu'il reçut l'avis qu'il allait être cerné. Indécis
d'abord, il tint conseil, et se dirigea immédiatement dans la forêt de Grala
qui, par son étendue et son épaisseur, offrait un asile assuré. Là il est
averti qu'une colonne ennemie, dont on avait supputé faussement la faiblesse —
c'était douze cents hommes commandés par le général Dufour —, venait de
passer au bourg du Brouzils, où elle avait mis le feu ; il débouche de la forêt,
tombe avec furie sur l'arrière-garde, qui se débande et prend la fuite.
Toutefois le gros de la colonne se défendit courageusement, et un bataillon
embusqué dans un taillis, fit un feu meurtrier sur les royalistes. Charette à
pied, marchant aussitôt pour le débusquer, reçut une balle qui lui fracassa
le bras près de l'épaule : c'était sa première blessure. Les officiers
qui l'entouraient s'en aperçurent à peine, car il continuait avec sang-froid
à donner des ordres. Néanmoins la blessure était si grave, qu'il ne put
monter cheval, et qu'il fallut le porter. A la vue de leur général blessé,
les Vendéens, déjà déconcertés par la vigoureuse résistance de l'ennemi,
prennent l'alarme, et rentrent dans l’épaisseur de la forêt. Vainement Joly
se jette au-devant d'eux, et brûle la cervelle à un soldat qui refuse de lui
obéir ; il fallut céder au torrent, et la déroute devint générale. La
cavalerie républicaine, qui sabrait les fuyards, ne fut arrêtée que par la
difficulté de pénétrer dans la forêt. Le lendemain Charette s'enfonça dans le
bois de Grammont, toujours suivi par deux colonnes de républicains, qui
longèrent le bois de droite et de gauche sans apercevoir les royalistes. Il occupa
furtivement le bourg de Maché avec quinze cents hommes exténués de fatigue et
de faim ; mais qui n'osaient se plaindre en voyant leur général, en proie aux
souffrances, partager leurs fatigues et leur détresse. Ce ne fut qu'après
s'être pourvu de pain, et l'avoir fait distribuer à sa troupe, qu'il
consentit à laisser appliquer le premier appareil à sa blessure. Il était
absorbé, pour ainsi dire, par les soins qu'exigeait la situation critique de
ses soldats. Instruit que tous les postes à deux lieues de Maché étaient
occupés et gardés par les républicains, il évacua le bourg dans la nuit,
passa sans être aperçu, et le lendemain se trouva devant Beaulieu à trois lieues
de là y surprit deux cents hommes, et prit leurs munitions de guerre, dont il
était lui-même à la veille de manquer. Le
bruit venait de se répandre que Sapinaud et Gogué de retour de l'expédition
d'Outre-Loire, rassemblaient un assez grand nombre de Vendéens du centre,
dans l'intention de se joindre à lui. A peine eut-il reçu la confirmation de cette
nouvelle qu'il s'avança jusqu'à Chauché pour se renforcer dei soldats de
Sapinaud. Il les trouva en fuite devant des forces supérieures, et le même
jour, resta vainqueur dans trois engagements successifs, contre trois
colonnes ennemies qui s'étaient portées, par trois routes différentes, sur
Chauché. S'attachant d'abord à la colonne du général Grignon, venue de
Saint-Fulgent, et qui avait enfoncé la troupe de Sapinaud, il la mit à son
tour en déroute, et lui tua près de cinq cents hommes. Grignon, ainsi défait,
se replia sur Puybéliard. Les Vendéens, rentrés victorieux dans Chauché, y
recevaient leurs rations, quand survint la seconde colonne, commandée par l’adjudant-général
La Chaineye : elle venait des Essards et s'avançait mettant le feu
partout. Charette, à l'instant même, partage sa troupe en trois corps :
l'un garde le bourg ; l'autre, à quelque distance, se met en embuscade, et le
troisième fait un circuit pour tourner les républicains, On les amorce, on
les met entre deux feux ; et la cavalerie, qui venait de poursuivre la première
colonne, les charge en flanc : toutefois ils opposent une résistance
vigoureuse, se font jour l'épée à la main, mais ne peuvent effectuer leur retraite
qu'en désordre, après avoir perdu presque tous leurs officiers et un grand
nombre de soldats. A peine les Vendéens rentraient pour la seconde fois triomphants
dans le bourg, que la troisième colonne, venant du Grand-Luc s'y présenta à
son tour. Elle se trouva prise entre deux feux ; et n'opposant qu'une faible
résistance, fut presqu'aussitôt enfoncée, dispersée, poursuivie arec un grand
carnage. Les soldats qui fuyaient à travers champs furent presque tous
exterminés par les paysans de cette partie de la Vendée. Dans
ces trois combats, les royalistes montrèrent trois mille hommes réunis, et
les républicains cinq mille, mais séparés et sans aucun accord entr'eux : ils
perdirent huit cents hommes. Une partie des dépouilles dont ils s'étaient
enrichis par le pillage, rentrèrent dans les mains des Vendéens victorieux.
Cette journée, dont Joly venait de partager la gloire, fut souillée par de
barbares représailles, que la politique inspira à Charette : voulant
cacher la faiblesse de sa troupe, il donna l'ordre de fusiller les
prisonniers. Le
général en chef Thurreau, étonné de l’activité et des succès de Charette,
enjoignit au général Duquesnoy de le poursuivre à cul rance avec une colonne
infernale. Duquesnoy fouille aussitôt le pays, court à la piste de Charette
et enfin le rencontre à une demi-lieue du pont des Noyers près
Saint-Colombin. Un ruisseau séparait les deux armées. D'abord-les tirailleurs
engagèrent uni feu très-vif avec l'avant-garde des royalistes, qui n'attendit
point, pour attaquer, que toute l'armée et passé le ruisseau, A mesure que
les bataillons républicains arrivaient, le général Duquesnoy les mettait en
bataille. Le combat devint alors plus général. Charette résistait au choc des
nouvelles troupes de l'ennemi, et gagnait même du terrain sur ses flancs. Le
général Duquesnoy
ayant réuni sept bataillons, le chef royaliste fit sortir aussitôt des vignes
de Saint-Colombin toute sa réserve. Alors les républicains 'virent
distinctement cinq drapeaux blancs et environ quatre mille hommes qui se
déployaient sur trois de hauteur, sans Sire cependant très-alignés. L'armée
royale fut repoussée trois fois ; et le général républicain l'ayant fait
tourner et charger par sa cavalerie, décida ainsi la victoire, Les soldats de
Charette se dispersèrent en un clin laissant près de trois cents morts sur le
champ de bataille. Au moment de la poursuite, La Roberie le jeune fut entouré
par cinq ou Six dragons, qui le sommèrent de se rendre il s'attache à un
seul, lui porte un coup de sabre sur la tête ; et sautant un fossé qui le
sépare de ses ennemis, court rejoindre Charette sans être atteint d'aucune
blessure. « Je ne puis dire de quel côté ont fui les royalistes, écrivit le
général Duquesnoy au comité de salut public ; ils se sont dispersés de toutes
parts, et la nuit est venue nous arrêter dans leur poursuite ». Chai-Pote 3,
en traversant Saint-Colombin avec sa cavalerie, sauva plusieurs Vendéennes,
qu'un parti de républicains allait fusiller dans le cimetière. Il rallia
presque toutes ses forces disperses., et le lendemain se porta au bourg de la
Grolle, comme avec des troupes fraîches. Le
général en chef Thurreau, impatient de l'atteindre et de l'anéantir, appela le
général Cordellier avec sa colonne incendiaire, et rejoignit, avec une
division de troupes d'élite, celle du général Duquesnoy. Il marchait avec
toutes ces forces combinées, pour attaquer devant lui Charette, qu'il Croyait
au Grand-Luc, tandis qu'il était déjà sur ses derrières, parcourant les
communes de la Limouzinière, de Dampierre et de Falleron, où un parti de
républicains menait le feu. Charette le tailla en pièces, et défit un autre
détachement-dans les landes de Béjari. Mais ces avantages étaient toujours
achetés par des revers, par l'extrême fatigue et par la détresse de son armée,
sans cesse, poursuivie. Le général en chef Thurreau, par une contre-marche
rapide, avait espéré l'atteindre ; mais Charette parvint encore à lui
échapper, en se réfugiant tantôt à l'Etendière, tantôt à Saligné, à la
Rivière, à Saint-Sulpice, d'où il ne parlait que de nuit, soit pour cacher sa
marche, soit pour surprendre et battre l’ennemi, tout en échappant à sa
poursuite. Au moment où les républicains le serraient de près avec deux
divisions actives, un ordre du ministre de la guerre détacha cinq mille
hommes pour aller reformer l'armée des Cotes de Brest, et agir contre les
insurgés bretons, dont les entreprises commençaient à inspirer de
l'inquiétude. Cette diversion sauva peut-être Charette. Le général en chef Thurreau
laissa sur les bords de la Boulogne, pour observer ses mouvements, le général
Cordellier avec sa division, auquel il ordonna de ne point se compromettre
jusqu'à l'arrivée de nouveaux renforts. De son
côté, Charette avait vu ses principales forces L'abandonner à mesure que sa
position était devenue plus alarmante. Joly s'était détaché le premier, sous
prétexte de mieux éviter la poursuite des républicains ; a division du
centre, commandée par Prodomme et par Sapinaud s'était aussi éloignée, sorte
de désertion exigée par les frères Gogué, pour prix de leur réconciliation
avec Prodomme. Des officiers de Charette, dont les vues étaient ambitieuses
furent même soupçonnés d'avoir fomenté la discorde elle avait éclaté à
Saint-Philibert, entre son armée et la division du centre. Cependant
il va trouver Joly au Grand-Luc, et lui inspirant le désir de venger le sang
ven. den qui avait coulé à Legs, depuis l'irruption des douze colonnes, il le
décide à former, de concert, un rassemblement, et à marcher de suite sur
Legé, pour en chasser les républicains. Le rassemblement fut divisé en trois
corps : l’un, sous la conduite de Charette en personne, s'avança par la route
du Pont-James, afin de tourer la position ; l'autre, commandé par Joly, prit le
chemin de Laroche-Servière ; Couëtu, qui était à la tête du troisième, suivit
la route du Luc. Tous les villages environnons étaient déserts ou réduits en
cendres, Les royalistes, la rage dans le cœur et altérés de vengeances, se
précipitent dans Legé, sous le feu de raffinerie républicaine : une heure
suffit pour emporter tous les postes, malgré la vigoureuse défense de la
garnison. Ne pouvant plus tenir, elle se met en fuite sur la route de Nantes
; et se trouvant pressée entre deux ruisseaux que l'hiver avait changés en torrents,
elle laisse huit cents morts sur le champ de bataille, et au pouvoir des
royalistes, quatre pièces de canon avec trois caissons remplis de cartouches
et de gargousses. Dans
cette action sanglante, Davy-Desnorois major de l’armée reçut une balle dans
la poitrine, qui sortit par une épaule et le laissa longtemps hors de combat.
Trois frères y périrent ; et ces trois frères étaient les fils de Joly, dont
la dureté et la bravoure étaient passées en proverbe parmi les Vendéens. L’aîné,
qui figurait du côté des républicains, s'était repenti de sa défection ; mais
n'ayant pu obtenir le pardon qu’il implorait, il s'était vu forcé de combattre
un père inflexible, et peut-être reçut-il la mort de sa main ou de celle de
ses frères. Le cadet, resté fidèle, était plein de valeur et chéri du soldat
: il fut tué à côté de son père, qui l'adorait ; enfin le plus jeune périt
aussi le même jour, non loin du champ de bataille, où il donna dans un parti
ennemi. Le malheureux Joly, qui avait vu son fils cadet tomber à ses côtés,
était devenu furieux, voulant s'arracher la vie, menaçant de tuer ceux qui
s'efforçaient de le désarmer et de le consoler. Mais quand on vint lui
demander s'il voulait qu'on enterrât ses deux fils ensemble, alors il tomba
sans connaissance, et faillit expirer de douleur. Revenu à lui, ses soldats
amenèrent, en sa présence deux jeunes tambours prisonniers, croyant assouvir
na vengeance en lui offrant de les immoler aux mânes de ses fils : «
Non, non, dit-il, la mort de ces deux jeunes infortunés ne me rendrait pas
mes fils ! La fortune est assez vengée des faveurs que nous en avons reçues
en ce jour, par les maux qu'elle a versés sur moi. Malheureux père !
c'est au milieu de nos exploits et de nos trophées, que descendent dans la même
tombe deux fils qui me donnaient de si douces espérances, les seuls que je me
fusse réservés pour les héritiers de mes opinions et de mes devoirs ! Quoi !
j'irai leur offrir en holocauste la vie de ces deux innocents ? Non ! leurs mânes
ne réclament que nos regrets et nos larmes. Le sang n'a-t-il donc pas assez
coulé ? La mort de ces deux enfants étrangers ne serait qu'un assassinat. Il
a plu à nos ennemis qu’ils fussent républicains, et ils l'étaient ; il nous
plaira qu'ils soient royalistes, et ils le seront. Loin de prescrire leur
mort, je veux qu'on respecte leurs jours et qu'on ait soin de leur enfance ».
C'est ainsi que ce cœur d’airain, que n'avait pu toucher les larmes d'un fils
plein de repentir, fut amolli par le malheur et par la pitié. Tous les autres
prisonniers reçurent la mort, à l'exception d'un capitaine nommé Beaumel, qui
fut reconnu et sauvé par un Vendéen de ses amis. Il suivit le parti de ses
libérateurs, et devint un des officiers de Charette. Légé, longtemps
le séjour le plus tranquille pendant la guerre, n'était plus habitable depuis
que les colonnes infernales l'avaient successivement incendié et dévasté. Des
cadavres, rangés avec une symétrie barbare, entouraient la ville, et le
dernier combat en avait encore accru le nombre l'infection de l'air
commandait impérieusement de fuir. Charette se hâta d'abandonner Legs. Son
artillerie, et le butin, chargé sur vingt-quatre chariots, filèrent d'abord à
la Benatte. Il
faillait, pour y arriver, traverser le ruisseau du Moulin-Guérin, dont les
pluies avaient gonflé les eaux et entrait é les planches mobiles qui servaient
de pont. L'armée se pressa sur ses bords, tandis que quelques arbres abattus
de droite et de gauche eussent facilité le passage. Mais Charette, que sa
blessure incommodait, avait pris le devant avec sa cavalerie, et aucun
officier n'était capable de faire construire un pont volant. On passa de
l'incertitude au désordre, et ensuite à L'effroi, parle bruit d'une fusillade
qui se fit entendre au déclin du jour, du côté de Légé. Elle était dirigée
'contre les hussards, qui attaquaient une partie du convoi et des ambulances,
à leur sortie du bourg, et qui en restèrent les maîtres. L'armée, sans chef, se
dispersa dans la forêt de la Roche-Servière très-peu de soldats arrivèrent le
soir à la Benatte. Cependant Charette en réunit assez le lendemain pour
surprendre, à son tour, un convoi qui prenait la route de Nantes, et pour
occuper le poste de Corcoué, abandonné par un détachement qui, la veille,
aurait pu exterminer les royalistes au Moulin-Guérin. Un
ennemi plus redoutable, et contre lequel il s'était déjà mesuré, fut chargé
de le poursuivre derechef et de l'anéantir c'était le général Haxo, déjà
renommé dans la Vendée par son activité son audace et son courage. Réduit
bientôt à courir de forets en forts, pour se dérober aux poursuites de cet
ennemi infatigable, Charette ne perdait ni de sa constance, ni de son audace
sa troupe n'était cependant plus composée que de malades, de blessés et
d'hommes épuisés par les fatigues et les privations. Mais lui, toujours froid
dans le danger, savait le braver, et ne s'occupait, pour réparer plus
sûrement ses défaites, qu'à donner de la consistance à ce petit nombre d’hommes
dévoués à sa fortune. Ce fut dans sa plus grande détresse qu'il organisa, à
la Sauvagère, près Bouaine, un corps de chasseurs. Le commandement de la
première compagnie fut donné à Bodereau ; celui de la seconde à le Moelle : Bodereau
eut le premier drapeau de l'armée. Un trop long séjour à la Sauvagère pensa
devenir fatal à Charette. Lorsqu'il voulut en sortir le bourg était
presqu'entièrement cerné par les républicains. Mais il sut payer d’audace,
retrancha derrière les baies ses soldats d'élite, et fit des démonstrations
telles que le général Haxo, croyant d'abord qu'il acceptait le combat, se Mit
en ordre de bataille. Pendant ces préparatifs, Charette faisait filer ses
convois et le gros de ses troupes par le pont de Montbert, que l'ennemi avait
négligé de garder ou de faire sauter. Quand Haxo donna le signal de
l'attaque, il n'y avait plus devant lui qu'une poignée d'hommes, qui prirent
brusquement la fuite, après avoir échangé quelques coups de fusils. Cette
arrière-garde rejoignit le corps d'armée, qui, au-delà du pont, s'était rangs
en bataille, et qui se mit en marche en longeant le Log non. Haxo s'imagine
alors que Charette veut repasser la rivière, et suit l'autre rive par les hauteurs
; mais Charette s'enfonce dans les landes d’Aigrefeuille, n'ayant plus à
combattre, dans sa retraite, qu'une seule colonne envoyée à sa poursuite.
Serré de trop près, il met pied à terre y, et s'écrie : « A moi,
les braves ! » Faisant alors volte-face, il étend ses ailes, et force l'ennemi
à la retraite. Il
parvient ainsi, après une longue marche, Saint-André-Treize-Voix, vers six
heures du soir : il en sort à minuit et se porte d'abord sur
Saint-Sulpice, puis vers les landes de Béjari, où il trouve et disperse une
colonne sortie de Montaigu. Voulant toujours éviter Haxo, qui le poursuivait
avec des forces bien supérieures aux siennes, il revint sur ses pas, et se
dirigea sur la Vivantière où il attendit Guérin, qui venait à son secours
avec les restes de la division du pays de Retz. Comme cette jonction ne fut
déterminée que par les événements survenus dans le pays de Retz, je vais les
retracer ici, où ils seront d'autant moins déplacés, qu'ils se rattachent à
mon sujet principal. L'insurrection
du pays de Retz, distincte de celle du Bas-Poitou par la différence des chefs
et des localités, lui donnait et en recevait un appui nécessaire au succès
d'une cause qui leur était commune. La Cathelinière,
qui en était l’âme, n'ayant pu joindre Charette à Machecoult, était d'avis de
tout suspendre jusqu'au printemps, espérant qu'alors les troupes
républicaines reflueraient aux frontières. Mais la plupart de ses officiers,
ceux surtout qui revenaient d'Outre-Loire, regardaient ce parti comme une lâcheté
; ils voulaient suivre l'exemple de Charette, qui soutenait une campagne
d'hiver contre des forces dix fois plus nombreuses que les siennes. Cathelinière,
entraîné, reparut en armes, avec ses paysans, dont il n'avait jamais pu
réunir plus de deux mille. Accablé bientôt par les nombreuses garnisons du
Port-Saint-Père, de Machecoult, de Bourgneuf, de Paimbœuf et de
Sainte-Pazanne, il se réfugia dans la forêt de Princé, où sept fois il fut
attaqué sans aucun succès décisif. Une
colonne de mille républicains, commandée par l'adjudant-général Boussard,
étant sortie de Bourgneuf, s’arrêta et fit halte dans l'allée du château de
Vue, à l'entrée de la forêt. Le commandant et un officier pénètrent seuls
dans le château. A l'aspect de cette antique et sombre forêt, les soldats,
qui se rappellent tous les dangers précédents, éprouvent un saisissement
involontaire ; ils s'étendent de droite et de gauche, mais lentement et sans
éclaireurs. A peine touchent-ils à la porte du château, que le sifflement
d'une vive fusillade surprend les plus avancés ; la plupart tombent sous la
grêle de balles que faisaient pleuvoir les soldats de La Cathelinière,
embusqués. Au lieu de fuir, les républicains, à la voix du chef de bataillon
Mengaud, du 59e régiment, se rallièrent en face de l'ennemi, qui étendit ses
ailes et se précipita en tirailleurs pour les envelopper. On se fusilla longtemps
le brave Mengaud tomba frappé d'un coup mortel. La cavalerie de La
Cathelinière profitant du désordre, chargea le bataillon de la Somme. Les
républicains, privés de leurs chefs, se réfugiaient vers Bourgneuf,
lorsqu'une colonne qui arrivait à leur secours, les rallia. Ils marchèrent
tous réunis sur les royalistes, qui, à leur tour, furent repoussés jusqu'à
Vue, d'où ils regagnèrent la forêt. La
Cathelinière était éloigné de l'ennemi, lorsque des traîtres le blessèrent
dangereusement de deux balles dans le bas-ventre. « Je sais qui m'a porté le
coup », s’écria-t-il, soupçonnant un officier de son armée. Il se traina
dans une ferme voisine. Le lendemain, au point du jour, les républicains
fouillèrent la forêt, mais inutilement. Une soixantaine de Vendéens ayant été
aperçus dans des marécages, furent passés à la baïonnette. Après
l'expédition, les colonnes gagnèrent leurs cantonnements respectifs. Deux
soldats, Saubois et Fabre, s'écartent de la route pour marauder, et pénètrent
dans une ferme de la paroisse de Frossai, appartenant à La Cathelinière. Saubois
veut saisir une poule qui lui échappe et se réfugie sous un pressoir : il
cherche alors à la faire sortir avec la pointe de sa baïonnette ; mais le fer
trouve de la résistance, et un homme s'élance tout-à-coup. « Ne me
faites pas de mal ». Cet homme était sous des habits de paysan, blessé de
deux coups de feu ; il refuse d'abord de dire son nom. Menacé d'un coup de
fusil par Saubois, il s'écrie : « Je suis La Cathelinière ; sauve-moi, et la
fortune est faite : tout mon argent et mes effets les plus précieux, cachés
dans la forêt, te seront livrés à l'instant ». Saubois refuse tout,
saisit et amène son prisonnier. Au nom de La Cathelinière, les soldats
arrivent en foule ; chacun veut voir ce chef qui s’est rendu si redoutable,
qui a tant immolé de républicains aux portes de Nantes. A l'aspect de cet
ennemi, la plupart veulent le tuer, les uns à coups de fusils, d'autres à
coups de sabres ; mais d'autres s'y opposent et le conduisent au commandant
de la colonne. Traduit à Nantes devant les généreux et les commissaires de la
convention, accusé par eux d'avoir fanatisé le peuple et versé le sang au nom
de la religion et de la royauté, La Cathelinière répond : « Ne
méritez-vous pas le même reproche, vous qui fanatisez le peuple au nom de la
liberté, qui n'est qu'une chimère ? » Il fut traduit devant une
commission militaire, et condamné à mort. Saubois, qui l'avait arrêté, après
avoir refusé de l'argent et un grade, le promena fièrement sur un cheval dans
toute la ville, pour qu'on ne pût douter de l'importance de sa capture. La Cathelinière
manqua de fermeté dans ses derniers moments : demanda un sursis de trois
jours, pour ramener à la soumission, par une adresse, les habitants des
campagnes qu'il avait soulevés. On le lui refusa, et il fut de suite conduit
au supplice. Ce chef
ne fit rien de remarquable ; mais il se maintint dans le pays de Retz, malgré
les forces supérieures et les attaques répétées des républicains. Il avait
dans des manières cette rudesse qui semble nécessaire pour commander à des
paysans. Ii était brave d'ailleurs, mais cruel, faisant rarement grâce aux
prisonniers. Les Nantais se flattèrent vai6ement que sa mort ferait rentrer
les royalistes du pays de Retz dans le devoir : Guérin, autre chef plus
dévoué à Charette, sut bientôt les rallier. Cependant
les troupes républicaines sorties de Paimbœuf, de Montaigu et de Legé
couvraient-tout le pays de Retz ; et il ne restait plus à Guérin, pour
conjurer l'orage, que de se joindre à Charette dans la Basse-Vendée. Cette jonction
était tout aussi ardemment désirée par Charette, qui n'avait plus sous ses drapeaux
qu'une poignée de soldats des divisions de Légé, de Villevigne et des
chasseurs de Saurin. On était aux premiers jours de mars, et le général Haxo,
instruit par ses espions que Charette venait de s’arrêter à la Vivantière,
marchait de nuit pour le surprendre par des routes détournées, En passant
dans un hameau, il enlève un paysan qui n'avait pu fuir, : et le menace de la
mort s’il ne lui sert de guide. Le paysan obéit ; mais arrivé dans un défilé,
il s'évade, et au point du jour vient prévenir Charette qu'il va être
attaqué. Ce chef faisait faire à ses soldats, sous les armes, une distribution
de vivres, afin de se remettre en marche. Il prend aussitôt la résolution de
se défendre, soupçonnant l'ennemi à peu de distance. En effet, Haxo, à la tête
de quatre cents hommes d'avant-garde, arrivait au pas redoublé pour commencer
l'attaque, sans donner le temps à Charette de s'y préparer. Les Vendéens,
étonnés d'une agression si brusque, parlaient déjà de prendre la fuite, quand
Guérin, arrivant d'un autre côté, parut avec les renforts du pays de Retz,
Jamais secours ne survint plus à propos ; Haxo aurait accablé Charette.
« Brave Guérin, s'écrie ce dernier, ta troupe est fraiche, marche à
l'ennemi ; je te suis et te réponds de la victoire ». Guérin, à l'instant
même, fond sur l'avant-garde des républicains. Un tirailleur, le genou en
terre, l'ajuste quinze pas. « Tu me manqueras, lui crie Guérin ». Le
coup part, mal ajusté, et le républicain tombe aux pieds du chef royaliste.
Ses soldats, transportés d'admiration, et entrainés par son exemple,
enfoncent les deux premiers bataillons qui venaient de s'engager, tandis
qu'une soixantaine de chasseurs vendéens, embusqués dans les bois, font un
feu de file roulant sur une autre colonne d'attaque qui s'avançait dans une direction
latérale ; c'était le corps de bataille d'Haxo. Guérin tourne autour de
ses flancs, tandis que Charette le pousse devant lui, et le contraint de se
replier dans les landes. Là, écoutant la voix de leur général, tantôt les
républicains prennent position tantôt ils se forment en bataillons carrés
hérissés de baïonnettes. Mais rien ne peut bientôt plus arrêter leur
mouvement rétrograde : un bataillon ayant été rompu, leur retraite
dégénéra en déroute jusqu'auprès de Légé. Là seulement on cessa de tuer les
fuyards, qui jonchèrent de leurs morts une route de deux lieues, Charette,
contre l'avis de Guérin qui voulait attaquer Legé, ordonna de marcher sur
Pont-de-Vie. Le surlendemain, se dirigeant au sud, il fit attaquer la
Roche-sur-Yon. Guérin avec l'avant-garde, enfonçait déjà les premiers postes,
quand l'armée prenant une fausse position, lira sur ses propres soldats.
Guérin ne pouvant se mettre à couvert que par un mouvement de retraite, le désordre
se propagea et devint le signal de la déroute. Les royalistes se retirant
d'un côté, et les républicains di l'autre, la ville restait déserte, quand
ces derniers enfin s'aperçurent de la confusion qui régnait dans l'armée de
Charette : ils marchèrent sur elle et se mirent à sa poursuite. Dans sa
retraite précipitée, que la nuit Favorisait, mais rendait plus confuse,
l'armée royale se divisa. Charette prit la route de Venanceau, et se relia
ensuite sur Maché, avec la plupart de ses officiers et environ huit cents
hommes. Mais tous ceux qui suivirent Dugua de Montbert, sur la route de Saint-Denis-la-Chevasse
ne cessèrent d'être harcelés jusqu'à Saint-Sulpice par l'infatigable Haxo,
qui revenait toujours à la charge. Les malheureux blessés vendéens, qu'on
transportait dans des chariots, furent sabrés par les hussards. Charette
avait couru personnellement des dangers, et il ne lui restait qu'une poignée
de soldats ; car, au mépris de ses ordres, Dugua venait de licencier le
rassemblement qui l’attendait à Saint-Sulpice. Trop faible pour tenir la
campagne, il ne put rallier qu'au village d'Izerau, après quinze jours
d'attente, quelques centaines de Vendéens décidés à ne plus abandonner leur
chef : il fut joint aussi, par Joly. Haxo, toujours à sa poursuite, le
rencontre enfin au bourg de Lejon : il lui offre le combat, que Charette
évite en s'enfonçant tantôt dans le bois de Lozelière, tantôt dans les forêts
de Touais et de Grand-Lande. Haxo le harcèle, le presse vainement ; il perd
même sa trace. « Ce n'est pas une chose aisée, mande ce général, de
trouver Charette encore moins de le combattre. Il est aujourd'hui à la tête
de dix mille hommes, et le lendemain il erre avec une vingtaine de soldats ;
vous le croyez en face de vous, et il est derrière nos colonnes ; il menace
tel poste, dont il est bientôt à dix lieues. Habile à éluder le combat, il ne
cherche qu’à vous surprendre pour égorger vos patrouilles, vos éclaireurs et
enlever vos convois. Je le poursuis sans relâche : il périra de ma main,
ou je tomberai sous ses coups ». Telle
était l'ardeur de ce général ; il s'attachait aux pas de Charette, le suivait
à la piste sans lui laisser un instant de repas. Toujours à la tête de sa
colonne, ni la rigueur des saisons, ni les marches forcées, ni les privations
de tous genres ne le découragent. Le printemps allait renaître, et il voulait
terminer cette lutte acharnée avant que les troupes qui inondaient la Vendée ne
fussent rappelées aux frontières. Il ne restait plus en effet, à Charette et
à ses soldats, d'autre espoir d'échapper aux nombreuses colonnes républicaines.
Pressé par le temps, pressé par les instructions, aiguillonné par son propre
courage, Haxo ne s'attache plus aux ruses de guerre ordinaires. Avec des
troupes toujours fraîches, tirées à propos de leurs cantonnements et
abondamment pourvues, il poursuit, en droite ligne et sans relâche, la troupe
de Charette, qui est dénuée de tout ; il la réduit au dernier état
d'épuisement, n'osant de jour faire cuire du pain, pour n'être pas décelée
par la fumée des fours, et abandonnant parfois celui qu'elle faisait cuire la
nuit, au moment d'être surprise par un adversaire infatigable. Entouré
d'ennemis et n'y échappant qu'en fugitif : « Plutôt mourir que de
fuir sans cesse, dit enfin Charette à ses officiers ; montrons ce que peuvent
encore les valeureux défenseurs de la monarchie, et que l'ennemi, à sa
première apparition, apprenne que la Vendée existe encore ». Il dit, et
sa généreuse résolution passe dans l'âme de ses soldats. Instruit
que Charette a occupé Chauché avec toutes ses forces, Haxo va l'y chercher et
ne le trouve plus. Ce chef avait suivi la route de Beaulieu et de Venanceau,
et il entrait dans le bourg des Clouzeaux, pour de là marcher à l'attaque de
la Roche-sur-Yon. Quelques-uns de ses tirailleurs ayant été surpris par les
éclaireurs républicains, Haxo alors presse sa marche se met à la tête de six
cents grenadiers qui formaient sort avant-garde, et commande douze
tirailleurs par compagnie pour se porter sur les ailes. Déjà sa cavalerie
escarmouchant avec celle des royalistes, et la chargeant avec plus de
vigueur, rie-»et de la pousser jusqu'à l'entrée du bourg, au moment même où l'infanterie
de Charette prenait ses logements. On lui annonce l'ennemi : « Camarades,
dit-il à ses soldats, nous fuyons depuis trop longtemps, il faut aujourd’hui
vaincre ou mourir ». On court aux armes, et les Vendéens, sortant du bourg,
sont partagés en quatre divisions à cent pas d'intervalle. Charette garde la
droite, donne la gauche à Joly, à Guérin le centre, à Le Moelle et à Bodereau
la réserve, et s’emparant des hauteurs, assure sa retraite. Haxo,
emporté par le désir de se mesurer avec un ennemi qu'il n'avait encore pu
joindre, ne s'inquiéta ni de sa force, ni de l'avantage de sa position.
Tandis que ses tirailleurs s'éparpillent, ses grenadiers, formant la tête de
la colonne et partageant son impatience, se jettent dans l’enfoncement du terrain
qui les séparaient des royalistes. La mêlée commença dans un champ de genêts,
entre les chasseurs de Charette et les grenadiers d'avant-garde. Là une
fureur aveugle transportant les deux partis, on se battait à la baïonnette et
au sabre ; on se saisissait corps à corps pour se déchirer, se poignarder.
L'avantage restait incertain, lorsque Joly, à la tête sa division, vint
soutenir, les chasseurs en se précipitant sur le flanc de la colonne d'Haxo,
que Charette fit aussi attaquer par sa cavalerie. Les dragons, culbutés,
jettent le désordre dans l’infanterie, qui les suit, et les Vendéens
s'animent en voyant fléchir les républicains. Haxo accourt où est le danger,
trouve sa ligne rompue et ses grenadiers en fuite, il en rallie une partie et
les remet en bataille : puis, en ayant embusqué une centaine dans un taillis,
il commande le feu sur la troupe de Charette, qui avait pris l'offensive, et
dont l’arrière-garde, armée, seulement de piques, lâche pied à la première décharge.
Le désordre se communiquait déjà au centre même de la colonne, qui commençait
à être ébranlée. Haxo s'en aperçoit, fait battre le pas de charge, et crie à
ceux de ses soldats qui abandonnaient les rangs : « Lâches, où fuyez-vous ?
ne voyez-vous pas que Charette est battu ! » Plusieurs fois il les
remet en bataille ; ruais toujours enfoncé par Joly, il ne peut ni se faire
obéir, ni reformer sa ligne. Charette, plus heureux, ralliant lui-même les
siens et revenant à la charge, pousse la colonne qui lui est opposée jusqu'au
chemin de la Roche-sur-Yon, tandis que Joly chasse Haxo en personne sur la
route de Dompiere. A l'instant même Charette détache une partie de sa
cavalerie à travers champs, pour couper la retraite au général ennemi. Le premier
au combat et le dernier à l'arrière-garde, Haxo, se voyant serré de près, se
disposait à franchir un fossé qui l'eût peut-titre mis à couvert, lorsqu'une
balle lui traversa la cuisse et abattit son cheval Abandonné des siens, il
ordonne à son aide-de-camp de pourvoir au salut de l'armée ; puis s'adossant
contre un chêne à cause de sa blessure, et mettant le sabre à la main : « Je
ne me bats plus en général, » dit-il, mais en soldat ! » et il
semble braver à lui seul l’armée royale. Le premier cavalier qui s'avance lui
crie de remettre ses armes, et en reçoit pour réponse un grand coup
d'espadon. Un second cavalier, nommer Domès, s'approche à son tour ; Haxo lui
voyant un casque, le prend pour un de ses dragons : « A moi,
camarade ! » s'écrie-t-il. Le Vendéen lui porte un coup de sabre ; Haxo
le pare et fit sauter l'arme des mains de son ennemi. Entouré bientôt par
cinq cavaliers, mais refusant toujours de se rendre et mettant hors de combat
ceux qui osent se mesurer avec lui ; nul ne veut plus l'approcher. Alors le nommé
Arnauld, de la division de Villevigne, met pied à terre et recharge son
mousqueton en présence du général, dont il redoute encore l'attitude menaçante.
« Ah, scélérat ! s'écrie Haxo, est-il possible que je périsse ainsi
de la main d’un lâche ! approche si tu l’ose ! » et il veut se
traîner pour le combattre : Arnauld le met en joue et le perce de trois
balles. Quoique étendu, Haxo, en expirant, se défend encore, et blesse un
soldat royaliste à la main, d'un coup de pistolet, à l'instant même on le
dépouille. Sa stature colossale et sa mine guerrière semblaient encore, après
sa mort, défier ses ennemis. Ses soldats, dont il était le père, gémirent de
l'avoir abandonné si lâchement. Haxo, né
en Alsace, avait le génie de la guerre. Son sang-froid, à la bataille de
Chollet, et la précision de ses manœuvres, ramenèrent la victoire, prête à
échapper aux républicains. Il reprit ensuite Noirmoutier, poursuivit Charette
avec une ardeur incroyable, dans un pays où une campagne d'hiver semblait
impossible, et ne fut pas toujours secondé. Haxo, déplorant la guerre
d'extermination, lutta contre les cruautés dont le gouvernement
révolutionnaire lui faisait un devoir ; sa modération, car il en montra au
milieu même des massacres et de l'incendie, lui fit des prosélytes dans un
pays où avant qu'il parût, chaque buisson cachait un royaliste : c'est
ce qui avait fait dire à Charette que, même sans armes, il était pour lui
l'ennemi le plus à craindre. En apprenant sa mort, il demanda pourquoi on ne
l'avait pas pris vivant. « C'est lui dit-on, qu'il n'a jamais voulu se rendre.
— Ah ! reprit Charette, en laissant apercevoir des marques de la plus
vive émotion, c’est dommage d'avoir tué un si brave homme ». Arnauld se
cacha pour éviter sa colère. Immédiatement
après le combat, Charette s'était porté à la Bésilière, où Joly, au retour de
la poursuite des républicains, vint le joindre après avoir couronné sa
victoire, en chassant derechef une colonne ennemie qui était rentrée aux Clouzeaux.
Une vive querelle s'éleva entre lui et La Roberie, au sujet du cheval de
bataille d'Haxo, qu'ils réclamaient tous deux comme le prix de la valeur. Joly
le revendiquait surtout comme ayant le plus contribué au succès de la
journée, et La Roberie sur le seul motif que le général républicain avait été
tué par ses cavaliers. Pour terminer le différent Charette décida que le
cheval serait vendu ; moyen détourné d'en assurer la possession à La Roberie,
qui l'acheta de ses propres soldats. « J'en avais déjà payé le prix,
s'écria Joly mécontent, par vingt républicains que j’ai tué moi-même dans le
combat ! » et il se retira dans son cantonnement du Poiré, plus
aigri que jamais contre Charette. Le
combat des Clouzeaux fut décisif par reflet moral qu'il produisit sur les
deux partis : les républicains, consternés de leur défaite, et de la
mort de leur général, passèrent d'un système d'opérations actives à la
stupeur et à l'inaction. Les Vendéens, fiers de leurs succès, dont on ne
pouvait contester la réalité, s'imaginèrent n'avoir presque plus d'ennemis
sur les bras. Enfin ce combat glorieux, livré le 9 mars, fut comme la clôture
de cette campagne d'hiver, où Charette, sortant du rôle borné d'un simple
partisan, s'éleva au niveau des vrais capitaines. En effet, poursuivi dans la saison la plus rude, par une armée nombreuse divisée en plusieurs colonnes d'attaque ; dépourvu de vivres et de munitions ; toujours harcelé, souvent cerné, quelquefois radine sans issue, il n'eut de repos ni jour ni nuit, marchant à pied dans les chemins les plus rudes, dans la neige ou dans la fange ; mal vêtu, couchant en plein air, ne soutenant ses soldats que par son exemple, et réduit à manger des racines qu'on arrachait dans les champs, et que presque jamais on n'avait lie temps de faire cuire. Toujours calme et le front serein, il battait les détachements qui s'écartaient de leurs colonnes, tombait à l'improviste sur ceux qui se croyaient moins exposés au moment même où il ne faisait qu'errer avec les débris d'une armée réduite il huit ou neuf cents hommes ; par des marches et des contre-marches rapides dans un pays couvert de bois, de ravins, de défilés„ coupés de cuisseaux profonds, que les pluies changeaient en torrents, il trempait l'habileté des généraux que lui opposait la convention-S'il était un jour sans espoir d'échapper, le lendemain on le voyait à plusieurs lieues de l'ennemi ; trouvant toujours, dans les ressources de son génie, les moyens de résister é .des forces qui semblaient à chaque instant devoir l'écraser. Enfin il couronna cette campagne en remportant une victoire décisive sur le seul adversaire digne de le combattre, et qui, de sa propre volonté, avait transformé cette lutte sanglante en un combat personnel et à mort qui lui coûta la vie. Mais comme l'énergie et la fortune ont réellement des bornes que le pouvoir humain ne peut franchir, tout dégénéra dans la Vendée, après cette brillante époque. |