Mission de Carrier à
Nantes. — Etat de la Vendée, après l'incursion d'Outre-Loire. — Prise de
Noirmoutier par Charette. — Opération du général Haxo contre ce chef il est
chassé de Bouin. — Il se perte dans le Haut-Poitou. — Aventures de La
Rochejacquelein. — Son entrevue avec Charette. — Reprise de Noirmoutier par
les républicains. — Supplice de d'Elbée.
APRÈS le combat de Savenay, l'armée
de la république fit son entrée à Nantes. Le peuple et les magistrats
allèrent à sa rencontre avec des couronnes de laurier. Nattes fut illuminé ;
on y donna des fêtes aux vainqueurs. La société populaire adressa des
félicitations publiques aux généraux Marceau, 'Kléber Beaupuy, Tilly, et leur
décerna à chacun la couronne de la victoire, au milieu du plus vif
enthousiasme. Jaloux des marques de déférence accordées aux généraux les
commissaires de la convention s'efforcèrent de répandre des nuages sur leur
conduite, en rapportant leurs succès exclusivement aux soldats. Westermann
avait joui le premier de la faveur des Nantais. Le peuple, à son passage, l'avait
couvert de lauriers, tandis que rappelé à Paris, où sa perte était jurée, il
pressentait qu'il passerait du triomphe à l'échafaud. Toutefois
les témoignages éclatants prodigués aux vainqueurs du Mans et de Savenay,
furent sanctionnés par la convention. Elle déclara que l'armée de l'Ouest
avait bien mérité de la patrie. Mais le souvenir de la victoire de Chollet,
qui n'avait pu enchainer les royalistes, modéra ses transports. Rien, en
effet, ne garantissait la fin de la guerre. Du reste, if est douteux que la
postérité ratite le décret conventionnel, l'armée républicaine ayant abusé de
la victoire. Sans doute on pourrait l'imputer aux malheurs des temps et à la
férocité de quelques hommes, dont le courage consistait à massacrer des
ennemis désarmés et supplies. D'un autre côté, qui oserait s'élever contre la
mémoire des Marceau, des Kléber, que l'envie et l'esprit de parti ont
toujours respectés ? Ils gémirent sans doute des excès révoltons dont ils
furent témoins, et goûtèrent à peine les fruits de la victoire alors la
puissance militaire ne s'étendait point au-delà des camps. Quoique
victorieuse, l'armée de l'Ouest n'avait jamais été aussi près de sa
désorganisation. Considérablement diminuée, exténuée de fatigue par des
marches forcées et continuelles, un intervalle de repos lui était nécessaire
: quelques-uns de ses bataillons avaient plus d'officiers que de soldats. La
cavalerie éprouvait le besoin d'une remonte générale ; et cent cinquante-cinq
bataillons ou régiments formaient à peine quarante mille hommes. A la vérité,
ces forces allaient être augmentées d'une division que le comité de salut
pu-, Mie, au moment des dangers de la Bretagne, avait tirée de l'armée du
Nord. « La victoire, répéta, Barère, se range toujours du côté des gros
bataillons ». Ces dix mille hommes, commandés pair le général Duquesnoy,
furent nommés colonne infernale soit qu'ils eussent déjà mérité cette
épithète dans le Nord, soit qu'arrivés trop tard pour gagner des batailles,
il ne leur restât plus qu'à incendier et massacrer. Ils étaient également harassés
par des marches et contre-matches inutiles. Ainsi, sur cinquante mille
soldats que comptait l'armée de l'Ouest, douze mille remplissaient les hôpitaux
; le reste se trouvait sans chaussures, et la plupart mal armés. Il
fallait défendre ou plut& contenir tout le pays compris depuis Angoulême
jusqu'à Alençon, et depuis la Rochelle et Nantes jusqu'à Orléans inclusivement
; il fallait établir des postes d'observation depuis l'embouchure de la
Vilaine jusqu'à celle de la Charente ; il fallait enfin garder les côtes et
placer de fortes garnisons dans les iles d'Oléron et de Ré. A l'exception de
quelques ouvrages, élevés à la hâte, ce commandement n'offrait, dans son
immense étendue, aucun poste ; aucune ville régulièrement fortifiés. Le
désordre de l'armée, son défaut d'ensemble venaient moins de l'impéritie des
chefs que de leur fréquente mutation. En trois mois, le commandement avait
passé dans les mains de six généraux différents. Marceau, malgré ses talents
précoces, n'avait pu s'occuper à la fois d'étouffer la guerre sur la rive
gauche, et de poursuivre les Vendéens en Bretagne ; l'instant d'ailleurs
n'était pas favorable pour ramener la discipline. Il remit le commandement au
général en chef Turreau. Peut-être aurait-il fallu laisser au-vainqueur du
Mans et de Savenay le soin de réduire Charette, au lieu d'appeler un général
peu connu dans l'armée. Rentré dans la foule des généraux ignorés, Marceau
devait reparaître un jour environné d'un plus grand éclat. Comment ne pas se
rappeler ici les circonstances de sa mort si prématurée ? Un plomb mortel le
frappe, la consternation gagne les deux armées ; amis et ennemis pleurent
Marceau. A sa pompe funéraire, le canon des Autrichiens répond à l'artillerie
funèbre du camp français. En cinq mois, ce jeune guerrier avait passé du
grade de simple officier au commandement en chef. Il dut son élévation à la
guerre civile, qui développa ses talents sans ternir son caractère. Le
premier loin de son successeur fut de me concerter avec le général en chef
des côtes de Bretagne, afin de contenir les insurgés de cette province,
recrutés des débris de l'armée battue au Mans et à Savenay. A la suite d'une
entrevue entre les deux généraux, il fut décidé que l'armée de l'Ouest
défendrait la rive droite de la Loire, et empêcherait les insurgés bretons de
communiquer avec les Vendéens. On était alors dans la saison du repos :
l'armée en éprouvait impérieusement le besoin ; mais il fallait agir contre
Charette, qui se rendait chaque jour plus redoutable. La célébrité de ce chef
date surtout de celte époque. D'Elbée mourant s'était jeté dans ses bras. La
Rochejacquelein n'avait plus d'armée, et le nom de Charette effaçait déjà
celui des autres chefs du Bas-Poitou. Forcé de le perdre de vue pour suivre
l'expédition d'Outre-Loire, je reviendrai sur les événemens 'qui le
concernent, quand j'aurai retracé la mission de Carrier et les malheurs de
Nantes. Ce
conventionnel n'y apporta point la terreur, elle y régnait déjà ; mais il la
rendit si effroyable, qu'elle devait laisser à jamais des traces profondes
dans la mémoire des hommes. Nantes avait moins à craindre des-Vendéens que
des révolutionnaires qui dominaient le peuple et l'exaspéraient contre les
riches, et les commerçants. Les troupes qui défendaient la ville étaient
enflammées par les mêmes passions. Les proconsuls conventionnels, entrainés
par des impressions défavorables, accusaient les Nantais de tiédeur et
d'incivisme, sans leur tenir compte de tout ce qu’ils avaient fait en faveur
de la révolution. Presque
livré à ses propres forces, isolé, en quelque sorte, du reste de la
république, Nantes, pressé entre les révolutionnaires et les Vendéens,
soutenait une guerre terrible sur les deux rives de la Loire. « Votre
ville est riche, avait dit Biron à des députés de Nantes ; il faudra bien
qu'elle fasse des sacrifices ». Les Nantais consternés enfouirent leurs
richesses. La terreur avait commencé avec l'insurrection vendéenne. Biron,
révolutionnaire effréné, parut impunément à la tribune populaire, une oreille
de royaliste à son chapeau, en guise de cocarde. Des forcenés avaient menacé
d'égorger les juges sur leurs sièges, s'ils n'envoyaient de suite à la mort Laberillais,
que le jury venait d'absoudre, et qu'ils firent condamner par un nouveau
jugement. Ces mêmes hommes enlevèrent au pied de l'échafaud le cadavre d'un
supplicié, le trainèrent jusque sur la place du département, et haranguèrent
avec insolence les corps administratifs. Ainsi les lois étaient sans force,
et avec les mots de modérantisme et de fédéralisme, tirés du
vocabulaire de la révolution, des scélérats trainaient à la mort les plus
honnêtes citoyens. Bientôt des hommes avides de places, ivres d'orgueil,
ennemis de toute vertu sociale, provoquèrent la destitution des
administrateurs dont les principes n'étaient point assez exagérés. La classe
simple et crédule secondait les démagogues. Alors tout tendit au despotisme
populaire, et l’on égara la multitude par cette maxime outrée « Si la
république a besoin de notre tête coupable ou non, il faut qu'elle tombe ».
Le jeune Couffin, secrétaire de Philippeaux, et les nommés Houguet, Chaux,
Furet, Goudet et Renard, étaient les apôtres de cette liberté sanglante et
terrible. Le peuple, armé par eux contre lui-même, allait s'enchaîner de ses
propres mains. Tout-à-coup l’armée catholique passe la Loire, et le comité de
salut public craignant pour la Bretagne, écrit à Carrier. « Nous te conjurons
d'aller à Nantes ; nous t'envoyons un arrêté qui te presse de purger cette
ville ». Carrier, ce redoutable proconsul, vient à Nantes, rempli de défiance
contre les habitants, comme s'il eût été au centre de la Vendée. Il n'y voit
que des abus ; il ne rêve que conspirations, assassinats. Profondément
pénétré de ce principe, que la république ne sera calme et le peuple heureux,
que par l'extermination de tous les ennemis de la république, il provoque, il
ordonne l'incarcération des riches, et donne l'élan le plus atroce au comité
révolutionnaire, composé des plus fougueux démocrates. De semblables comités
couvraient et désolaient la France entière. Au nom de Couffin, qui en était
le coryphée à Nantes, tout tremblait comme au nom de Carrier. Esclave de ce
proconsul, le comité révolutionnaire donna bientôt dans les excès les plus
condamnables. Carrier, qui voulait anéantir tout ce qui s'opposait à sa
marche, y fut encouragé, au nom du comité de salut public, par Hérault de
Séchelles. « Un représentant du peuple en mission, lui écrivit Hérault,
doit frapper de grands coups, mais laisser peser sur les agents tout le poids
de la responsabilité, sans jamais se compromettre par écrit ». Fidèle à
ce principe, Carrier ne frappe point encore ; mais il vomit les imprécations
les plus véhémentes contre les marchands et contre les riches, dont il demande
la proscription. Toutes les familles opulentes sont dans le deuil, et le
peuple, privé de travail, réduit à une demi-livre de pain par jour, fait
entendre des cris séditieux. Alors Carrier ordonne d'enfoncer les magasins,
et menace de déclarer la ville en état de rébellion. Il confirme la formation
de la compagnie révolutionnaire de Marat nouveau sujet d'alarmes pour les
Nantais. Cette compagnie recélait des scélérats couverts de crimes, qui,
chargés des visites domiciliaires, de l'apposition des scellés et de
l'arrestation des suspects, pillaient et opprimaient leurs concitoyens. Voici
quel était en substance le serment qu'on faisait prêter à chacun de ses
membres : « Je jure de dénoncer et de poursuivre les ennemis du
peuple ; je jure mort aux royalistes et aux modérés ; je jure de ne jamais
composer avec la parenté, ni avec aucune affection ». Ces soixante
brigands, soutenus par Carrier, s'abandonnèrent à tous les désordres, à
toutes les déprédations, à tous les forfaits, de concert avec le comité
révolutionnaire. On traina dans Paris, devant un tribunal inexorable, cent
trente-deux Nantais, assimilés à des royalistes, et voués au supplice,
quoique la plupart fussent des républicains. Mais Carrier et ses suppôts
voulaient frapper les Nantais de la plus sombre terreur. Après
la défaite des Vendéens, la disette, le désespoir et l'entassement des
prisonniers firent craindre un soulèvement dans la ville. Carrier ordonna
l'emprisonnement de tous les ennemis de la république. Les trois corps
administratifs s'assemblèrent pour scruter les personnes suspectes la
passion, l'arbitraire, le patriotisme le plus exagéré, présidèrent aux
débats, L'arrestation d'un grand Hombre de citoyens fut définitivement
prononcée. Au même instant se T'épinait le bruit d'une conspiration dans les
prisons. Six détenus avaient fabriqué de fausses clefs ; d'autres devaient
seconder les conjurés, enfoncer les portes, massacrer les autorités
républicaines. Un seul témoignage appuyait la dénonciation, et cependant on
battit la générale, la garde nationale se mit sous les armes, les prévenus
furent jugés et mis à mort. Carrier crut ou feignit de croire avoir échappé à
un grand danger : il convoqua de nouveau les autorités, afin de prononcer sur
le sort des prisonniers, que leur grand nombre, disait-il, rendait redoutables.
A la suite d'un conseil tenu secrètement, Carrier s'arrogeant le droit de vie
et de mort, appela les magistrats à son tribunal, et mit en délibération « si
l'on ferait juger ou périr en masse des milliers de détenus ». Cette
proposition fit frémir ; elle fut écartée, reproduite, combattue, et donna
lieu à plusieurs séances orageuses. Carrier insista, en accablant
d'invectives ceux qui n'étaient pas de son avis. On nomma des commissaires
qui, pour première mesure, arrêtèrent qu'on dresserait des listes de proscription.
Carrier signa l'ordre de faire périr en masse les victimes désignées. Le
commandant temporaire Boisvin eut le courage de refuser, pour une aussi
horrible exécution, le concours de la force publique ; l'ordre fut retiré le
lendemain. Cependant
Carrier, rendant compte à la convention nationale du prétendu complot des prisons,
avait dit, en parlant des détenus condamnés : « Une grande mesure va me
délivrer du reste ». Irrité de n'avoir pu les faire fusilier
indistinctement, il imagine, dans sa froide perversité, de renouveler en
grand l'atroce expédient de Néron ; il fait construire des bateaux à soupape,
qui, une fois au milieu du fleuve, devaient se désunir et y engloutir les
malheureux qu'on y entasseraient, Puis il écarte la garde nationale et les
troupe soldées ; il place des agents féroces, avides de carnage et de butin,
sur les navires destinés au noyades, qu'il entoure de navires plus solidement
construits, remplis aussi de satellites chargés d'achever, à coups d'avirons
et de crocs, les submergés qui lutteraient contre les vagues. Ce n’est
d'abord qu'à l'ombre de la nuit que ces effroyables naufrages s'exécutent, au
mois de décembre et dans un courant où la Loire était plus impétueuse. Mais
bientôt, quand la terreur eut tout comprimé, le soleil éclaira le crime. En
une seule fois, cinquante prêtres arrêtés à Nevers périrent ainsi. Carrier
déguisa, sous le nom d'accident fortuit, l'horreur d'une telle exécution,
Mais s'enhardissant, il rendit compte à la convention d'une seconde noyade,
en termes plus clairs. « Cinquante-huit individus désignés sous le nom
de prêtres réfractaires, lui mande-t-il froidement, sont arrivés d'Angers à
Nantes ; aussitôt ils ont été enfermés dans un bateau sur la Loire. La nuit
dernière ils y ont tous été engloutis. Quel torrent révolutionnaire que la
Loire ! » Ces derniers mots répandirent une horrible lumière ; mais nul
dans ta convention ne laissa échapper le moindre mouvement d'indignation, ni
même d'effroi ; au contraire, cette assemblée mentionna honorablement, dans
son bulletin, la lettre de Carrier, appelant ainsi sur elle-même les
malédictions de l'histoire. Alors,
pour obéir plus servilement au sénat qui avait proclamé la terreur, Carrier,
secondé par deux scélérats qu'il venait d'élever au grade d'adjudants-généraux,
signala chaque instant de sa mission par la mort d'un plus grand nombre de
victimes. Il suivit ponctuellement la marche-que lui avait tracée Hérault de
Séchelles ses deux sicaires en chefs Fouquet et Lamberty, agissaient sans
aucun ordre signé de sa main. Il les endoctrinait verbalement, évitant avec
soin de se confier à toute autre autorité qu'à son comité révolutionnaire. La
nuit du 15 au 16 décembre fut marquée par la submersion de cent cinquante
prisonniers des deux sexes ; le lendemain les cadavres attestèrent, sur le
rivage, la férocité du tyran de la Loire-Inférieure. Une troisième noyade
fut préparée ; on amena les gabares, et la liste des victimes fut dressée par
Carrier et par ses conseillers atroces. Sous prétexte d'une translation à
Belle-Ile la garde nationale protégea l'extraction des prisonniers, et les
escorta même jusqu'au bord du fleuve, où ils furent abandonnés à leurs
bourreaux. Déjà ceux-ci, gorgés de vin avant de s'abreuver de sang, avaient
fait retentir les cachots de leurs voix menaçantes, en accablant d'outrages
les malheureux qu'ils traînaient à la mort. A peine sont-ils sur le fatal
navire, qu'ils les y entassent, et se faisant un jeu de leur ministère
horrible, ils enchaînent ensemble de jeunes hommes et de jeunes filles, pour
les précipiter au milieu du fleuve ; puis dans leur langage dérisoirement
féroce, ils appellent mariages républicains ces couples si barbarement
formés. Mille gémissements qui se font entendre ne peuvent arrêter les
bourreaux : ils s'élancent dans des chaloupes, après avoir mutilé à
coups de sabre leurs victimes, liées deux à deux. L'un d'eux, armant son bras
d'une hache, frappe coups redoublés le navire, pour l'entrouvrir et le
submerger plus vite ; il ne l'abandonne qu'au moment où il va s'engloutir. Un
autre, avec une rame, parcourt les bords de la Loire, pour replonger
impitoyablement ceux que d'heureux efforts ou un courant favorable ramènent
sur le rivage. Il y
eut des victimes qui marquèrent leur dernier moment, soit par un courageux
désespoir, soit par des traits touchants de vertu et de piété filiale. On en
vit s'accrocher aux bourreaux qui les poussaient dans la Loire, et transportés
de rage, les déchirer, avec les dents et les noyer avec eux. On vit deux
vierges d'une beauté céleste — mesdemoiselles d'Aussard et Félicité
Dujourdain —, conduites avec leurs mères vers le fleuve qui allait les
engloutir, se consoler par l’idée d'une mort qui leur était commune :
là, excitant l'admiration et la pitié des bourreaux eux-mêmes, elles refusent
la vie qu'ils leur offrent à genoux, l'implorent pour leurs mères, et ne
pouvant les sauver, se précipitent avec elles dans la Loire. Quatre
principales noyades furent constatées par le procès de Carrier, dans
l'année qui suivit tant d'horreurs ; les dépositions les portèrent à un plus
grand nombre. Dans l’une, huit cents individus de tout âge et de tout sexe
furent inhumainement mutilés à coups de sabre ou fusillés, la gabare ne
coulant point à fond assez vite. La
cruelle impatience de Carrier n'était pas satisfaite fallait des précautions
gênantes, et sacrifier des navires utiles ; d'ailleurs les prisonniers augmentaient
chaque jour, quoique la commission militaire en condamnât par centaines.
Indépendamment des noyades, on employait tour à tour les coups de
fusils et l'échafaud selon la nature du jugement et du tribunal. Le nombre
des prisonniers, après le combat de Savenay, s'accrut tellement qu'on les
jeta pêle-mêle, hommes, femmes et enfants, dans la prison de l'Entrepôt. La
pudeur y était outragée comme l'humanité. On leur apportait une fois par jour
de l'eau et du pain noir. Souvent même des enfants qui avaient cherché la
nuit à se désaltérer, étaient trouvés le lendemain suffoqués dans les
ordures. Les morts étaient entassés au milieu des vivants ; on ne respirait
pins qu'un air putride et des miasmes mortifères. L'amas de corruption devint
si insupportable, qu'on promit la vie à quarante détenus, à condition qu'ils
nettoieraient les cachots. Pour comble d'horreur, ceux qui survécurent furent
massacrés. Le froid était alors excessif les prisonniers, gisant sur une
paille infecte, se pressaient les uns contre les autres pour conserver un
reste de chaleur. On y voyait des femmes expirantes, d'autres déjà sans vie.
Un enfant de douze ans, caché sous les haillons de sa mère, refusa de suivre
ses libérateurs. « Ah ! ne m'enlevez pas ma fille, s'écria cette mire
infortunée ; nous voulons mourir ensemble ». Il fallut la lui arracher.
Le nombre des victimes grossissait à mesure qu'on multipliait les supplices.
Les habitants d'une commune près de Nantes, qui avaient pris part à la
révolte, s'étant présentés avec leurs magistrats pour faire leur soumission,
Carrier les fit tous massacrer, en commençant par les municipaux. Tous ceux
qui étaient surpris donnant asile à des prêtres ou à des Vendéens, étaient
menés à la mort. Toute
une famille des environs de Nantes, condamnée pour un acte semblable de
charité et de courage, donna aux Nantais le spectacle le plus déchirant. Le
père monta le premier sur l'échafaud ; trois mois après, la mère et ses deux
filles, dont rainée avait à peine seize ans, reçurent leur sentence de mort.
Toutes trois se prosternèrent aussitôt devant le Dieu de paix qui faisait
leur seul espoir, et restèrent ainsi en prière pendant les vingt-quatre
heures qui précédèrent l’exécution. Quand l'exécuteur parut, elles le
suivirent sans trouble, et montrèrent jusqu'à l'échafaud un calme angélique.
La mère ne fit d'autres supplications que pour élire exécutée après ses
filles. On commença par rainée : « Grâce au ciel, dit la jeune vierge, nous
ne sommes point séparées, et Dieu, qui nous appelle à lui, nous couronnera
ensemble ! » À l'instant même sa tête est séparée de son corps. La plus
jeune voyant ruisseler le sang de sa sœur, un tremblement involontaire
s'empare d'elle ; ses genoux fléchissent, et une pâleur mortelle altère ses
traits : « Quoi ! ma chère enfant, vous tremblez, lui dit sa mère !
Voyez votre Dieu qui vous arrache à une terre couverte de crimes, pour vous
placer dans son sein : imitez votre sœur, et allez partager sa couronne ».
L'impression de teneur se dissipe, la vierge embrasse sa mère, fait un signe
de croix, et livre sa ttc au bourreau. La mère ensuite se place sous le couteau
fatal, avec la même fermeté ; sa tête roule, et son sang, qui rougit
l'échafaud, se mêle à celui de ses deux filles. Le calme de cette mère si pieuse,
l'extrême jeunesse des deux autres victimes, firent sur le peuple la plus
vive impression : une tristesse profonde se répandit dans tous les
cœurs, et pour la première fois les cris forcenés de vive la république !
qui accompagnaient toujours le supplice des royalistes, ne se firent point
entendre. Carrier
ne voyait que de la faiblesse et de l'incivisme 'dans ces signes d'humanité ;
il préférait les fusillades et les condamnations militaires aux jugements des
tribunaux mais la commission formée contre les royalistes pris les armes à la
main, voulut s'opposer à leur extraction arbitraire. Carrier mande aussitôt
le président. « C'est donc toi, lui dit-il d'un air irrité, qui
t'opposes à mes ordres ? Puisque tu veux juger, juge donc ; et si la prison
de l'Entrepôt n'est pas vidée dans deux heures, je te ferai fusiller toi-même
». Il ne voulait pas de jugement : la commission invoquait les fermes ; elle
resta en permanence, et jugea cent cinquante à deux cents Vendéens par jour.
Tel était le nombre de suppliciés, qu'en fit creuser un conduit pour que le
fang, qui ruisselait, s'écoulât du lieu de l'exécution jusque dans la Loire. Près
de trois mille Vendéens périrent ainsi en un mois, et à la même épure on en
fusilla douze cents dans la prairie de Saint-Gemmes, près d'Angers, par les
ordres de Francastel. Nantes
présentait le spectacle lugubre d'une foule de fossoyeurs rangés le long de
la Loire continuellement occupés à enterrer des monceaux de cadavres. Les
bords du fleuve jusqu'à Paimbœuf en étaient couverts ; on fit défense de
boire de son eau. Une épidémie pestilentielle, la disette, la terreur,
ravageaient la ville. Si l’on rencontrait son ami, son frère, on n'osait
l'aborder. Les autorités craignaient de constater sur leurs registres les faits
publics ; le peuple et les magistrats tremblaient au nom de Carrier. La pitié
n'était pourtant pas bannie de tous les cœurs, et au milieu de tant
d'atrocités, il y eut de nombreux exemples de courage et de vertu. Plusieurs
Nantais s'exposèrent à tous les périls pour sauver de malheureux Vendéens,
auxquels ils faisaient passer des secours jusque dans le fond des cachots.
Plus les sicaires de Carrier se montraient cruels, plus la charité des
Nantais devenait industrieuse. Il y en eut qui sacrifièrent toute leur
fortune au soulagement de proscrits. Les femmes surtout se signalèrent par
leur téméraire sollicitude. La plupart se vouaient à un travail pénible r
pour fournir des vêtements aux prisonniers ; d'autres assuraient un asile à
ceux dont elles avaient favorisé l'évasion, méprisant le danger et même la
mort. Quelques fonctionnaires publics ha-, sarclèrent des remontrances, au
sujet des Vendéens qui venaient se soumettre. Carrier leur interdit de
s'occuper de la guerre et des mesures de sûreté, sous peine de dix années de
fers. Les plus fermes osèrent lui dire : « Fais braquer les canons aux portes
de la ville lorsque les rebelles s'y présentent sans armes, mais qu'ils ne
soient point massacrés dans nos murs ! » Rien ne put fléchir
Carrier. En proie à la férocité, ii fit passer le feu dont il était dévoré
dans l’âme des membres du comité révolutionnaire, ses instruments de terreur. Nul
n'osait l'attaquer ni s'opposer ouvertement à ses fureurs sanguinaires. Un
enfant fit évanouir sa puissance, et délivra les Nantais de ce barbare
proconsul. À la convention siégeait un Julien de la Drôme, attaché à
Robespierre le plus redoutable des démagogues. Julien avait un fils qui,
sorti à peine de l'école, se faisait remarquer par un républicanisme exalté
et par un talent précoce. Robespierre, son protecteur, voulant le mettre
l'essai, lui confia diverses missions ; d'abord d'aller observer la situation
politique de Bordeaux, puis celle des départements de l'ouest. Arrivé à Nantes,
le jeune Julien s'indigne de ce qu'il voit, et ne déguise rien à Robespierre.
« Une armée, lui écrit-il, est dans Nantes, sans discipline, sans ordre,
tandis qu'on envoie successivement des corps épars à la boucherie, D'un côté
l'on pille, de l'autre on tue la république. Un peuple de généraux, fiers de
leurs épaulettes et bordures en or aux collets, riches des appointements
qu'ils volent, éclaboussent, dans leurs voitures, les patriotes à pied ; ils
sont toujours auprès des femmes, au spectacle, ou dans des fêtes et repas
somptueux, qui insultent à la misère publique. Ils dédaignent la société
populaire, où ils ne vont que rarement avec Carrier. Celui-ci est invisible
pour les corps constitués, les membres du club et tous les patriotes. Il se
fait dire malade et à la campagne, afin de se soustraire aux occupations que
réclament les circonstances ; et nul n'est dupe de ce manège. On le sait bien
portant et en ville ; on sait qu'il est dans un sérail, entouré d'insolentes
sultanes, d'épauletiers lui servant d'eunuques ; on sait qu'il n'est accessible
qu'aux seuls états-majors, qui le flagornent sans cesse ; on sait enfin qu'il
a de tous côtés des espions qui lui rapportent ce qu'on dit dans les comités
particuliers et dans les assemblées publiques. On lui reproche des actes
inouïs on assure qu'il a fait prendre indistinctement puis conduire dans des
bateaux et submerger dans la Loire, tous ceux qui remplissaient les prisons
de Nantes. Il m'a dit à moi-même qu’on ne révolutionnait que par de
semblables mesures. On n'ose plus ni parler, ni écrire, ni même penser.
L'esprit public est mort, la liberté expire ». Instruit
que Julien l'a dénoncé, Carrier délibère s'il ne te fera point arrêter ; mais
il n'ose attenter à la liberté de l'envoyé de Robespierre. Julien lance une
adresse des patriotes nantais contre Carrier ; elle est portée à Paris, par
une députation, à Robespierre lui-même : « Il faut, sans délai, rappeler
Carrier, disaient les Nantais ; il n'y a pas un instant à perdre : il faut
sauver Nantes, éteindre la Vendée, réprimer les élans despotiques de Carrier...
qu'on n'attende pas un seul jour pour le rappeler ». Toutefois le comité de
salut public hésite ; enfin Robespierre l'emporte, et Carrier est rappelé. Ce fut
pendant son affreuse mission, que Charette prit l’île de Noirmoutier. En se séparant
des royalistes de la Haute-Vendée, Charette ne prévit pas qu'il creusait lui-même
le précipice qui devait l'engloutir un jour. Les deux Vendée, qui auraient pu
balancer les efforts des républicains, se trouvèrent désunies à jamais, dès
l'instant où le passage de la Loire fut exécuté isolément par la grande arme
catholique. Plusieurs soldats du Bas-Poitou, navrés du désordre qui régnait
dans leurs rangs, et de l'incapacité de leurs officiers, suivirent les
Angevins au-delà du fleuve ; d'autres, et ce fut le plus grand nombre ;
effrayés des ravages de l’ennemi, cherchèrent un refuge dans leurs forêts et
dans leur inaction. Charette n'eut bientôt plus autour de lui que sept à huit
cents hommes. Accusé de perfidie par les royalistes de la Haute-Vendée, ou au
moins d'un égoïsme coupable, il voulut ramener à lui l'opinion, par une
action d'éclat. La conquête de Noirmoutier pouvait lui ouvrir des
communications avec l'Angleterre où, par un vent favorable., on aborde en
quatre jours. Il convoqua les autres chefs, ses voisins, pour le seconder
dans une expédition qui demandait l'emploi de la force et de la ruse. Située
à la pointe nord-ouest de la Vendée, l’île de Noirmoutier, qui ferme au sud
la baie de Bourgneuf, contient, sur une superficie de trois lieues, près de
six mille habitants. Sa population serait énorme vu sou peu d'étendue, si son
terrain n'était run des plus fertiles du Poitou, peut-être même de la France.
Jamais la terre n'y repose ; des grains de toute espèce d'excellents pâturages
et des salines, telles sont ses richesses, Elles servent aux habitants
d'objets d'échange, pour se procurer le bois et le vin qui leur manquent.
Noirmoutier n'a qu'un port embarcadère qui se remplit de sable ; mais non
loin de l'île, la rade du bois de la Chaise est sûre. Il est un danger
imminent auquel l'île entière se trouve exposée : les vents accumulent les
sables fins des dunes qui garnissent la côte, et qui, se mêlant à la terre
végétale de l'intérieur, finiront par la couvrir. Élever des digues capables
de résister à la mer, serait le seul moyen de sauver l’île. Elle comprend,
outre le bourg de Noirmoutier, la paroisse de la Blanche au nord-ouest,
plusieurs habitations particulières, et le village de Barbatre, à une lieue
de sa pointe méridionale. Les
insurgés du Marais s'en étaient rendus martres dans les premiers jours du
soulèvement vendéen, à une époque où Ille était presque sans défense. René de
Tinguy, l'érigeant en gouvernement militaire, au nom de Louis XVII, n'eut pas
le temps de s'y établir. Beysser, en balayant les celtes du Poitou y répandit
tellement l'alarme, qu'il força Tinguy d'abandonner son gouvernement. La
vengeance des républicains ne tomba que sur le maire de Barbatre, accusé de
collusion avec les royalistes. La garnison, peu nombreuse, s'y tint
constamment sur la défensive. Charette
s'était ménagé des intelligences à Barbatre, par l'intermédiaire de Palvadeau,
ancien municipal, qui promit de lui livrer Noirmoutier, pourvu qu'il s'y présenter
de nuit avec une force imposante. Mais que d'obstacles à vaincre ! La
première tentative ne fut point heureuse. On ne
saurait pénétrer à pied dans l'île, qu'en traversant un banc de sable d'une
lieue d'étendue, appelé le Goi, qui à chaque marée se couvre de plusieurs
brasses d'eau. Pour cacher sa marche, il fallait que Charette n'entreprit le
passage que de nuit. La cille d'ailleurs étant gardée, une entière défaite ne
pouvait masquer de suivre le moindre revers. D'un autre côté, la marée
montante pouvait surprendre les assaillants et les submerger, à la vue même
des républicains. La grandeur du péril ne fit qu'irriter l'ardeur de
Charette. Il part de Légé, se rend à Bouin, y rassemble des forces, et fait
ses dispositions pour attaquer l'ile. Excédés de ta tyrannie des révolutionnaires,
les habitants de Barbatre, situé à l'autre extrémité du Goi, lui promettent
de le faire aborder sans péril. Charette, plein de confiance, part dans la
nuit et s'avance à la (ie de ses troupes d'élite. Tout-à-coup un coup de
canon 5e fait entendre 1. Charette, se croyant trahi ou découvert, fait halte
d'abord, puis se retire successivement à Beauvoir, à Saint-Gervais et à Machecoul.
Ce n'était pourtant qu'une fausse alarme, occasionnée par l'imprudence avec
laquelle, à son approche, ses partisans, à Barbatre, enclouèrent une batterie
y pour qu'on ne pût s'en servir contre ses troupes. L'un d'eux, frappant la
première pièce, s'était servi d'un caillou, d'où jaillit une étincelle qui
mit le feu à la lumière et au canon. La générale se fit entendre aussitôt, et
la garnison courut aux armes. Le commandant Ficher, trompé dans ses
recherches, n'obtint aucun indice sur la tentative des royalistes, tant le
secret fut bien gardé. Toutefois se défiant des canonniers, qui étaient tous
Vendéens, il les remplaça par des artilleurs étrangers au pays. Dès que
Charette eut l'assurance qu'on ne l'avait ni trahi ni pénétré, il rassembla
de nouveau ses troupes, et bissant à Beauvoir sa cavalerie, pénétra le onze
octobre, à deux heures du matin, par le passage du Goi, avec trois mille
fantassins déterminés. Son attaque imprévue coïncidant avec la marée
Montante, ses soldats avaient déjà deux pieds d'eau lorsqu'ils arrivèrent à
la vue de la garde avancée des républicains. Charette s'arrête alors un
instant, et adresse à ses soldats cette courte harangue : « Mes
amis, c'est ici qu'il faut la vaincre où mourir ! L'ennemi est surpris, là la
mer monte ; point de retraite pour lui ni pour nous marchons ». Les
habitants de Barbatre guidant eux-mêmes ses soldats, leur font connaitre les
abords les plus faibles, les points les moins défendus. Ils se mêlent même parmi
les assaillants pour chasser la garnison, qui, déjà sous les armes, se
retranchait derrière des moulins et des bancs de sable. Charette, entièrement
séparé de sa cavalerie se hâte d'aller en avant joli vaincre toute résistante
; mais la garnison vient lui disputer te terrain et les canonniers qui
servent les batteries de l'intérieur refusent d'abord de se rendre. Alors des
traitres se glissant parmi eux, le commandant Richer fusille de sa main un
soldat qui proposait de capituler ; à l’instant il est tué lui-même sur une
pièce de canon, traitreusement selon les uns, par Charette selon d'autres. Ce
chef offrit la vie au fils de Richer, fait prisonnier à côté de son père, s'il
consentait à suivre les royalistes. Le jeune Richer s'en indigne : « Mon
père, dit-il, vient d’être massacré par vous en défendant la république ; je
ne ternirai point la gloire d'une si belle mort. J'abhorre les rois, j'adore
la liberté ». A ces mots plusieurs coups de fusil l'étendent sur le cadavre
de son père. A
quatre heures du matin, Charette entra dans Barbotte ; tua quart d'heure plus
tard sou armée était perdue : la mer couvrant déjà de quinze pieds le passage
du Goi, la retraite lui serait devenue impossible. Il marcha immédiatement
sur Noirmoutier, et au point du jour somma la garnison de se rendre. Elle
était peu nombreuse, et voyant d'ailleurs la majorité des habitants se
déclarer pour les royalistes, elle accepta la capitulation, portant que l’île,
le château, les forts, les magasins et les navires appartiendraient au Roi ;
qu'elle mettrait bas les armes et resterait prisonnière avec les personnes
suspectes. Ces articles, souscrits sans restriction, le commandant Wieland
remit son épée à Charette, qui la lui rendit aussitôt. Ce chef
nomma le chevalier de Tinguy gouverneur de l’île, Dubois de Soulans
commandant en second, et Pineau, ancien officier au régiment de Rohan, major
de la place. Le commandement de Barbatre fut confié à M. de la Voirie et à un
officier nommé Gouin. Il y eut un capitaine du port et un commandant de
l'artillerie. O'Birn, Bernard Massip et la Noé-Gazette sollicitèrent et
obtinrent aussi de l’emploi dans Ille, tant l'avidité des places l'emporta
sur les conseils de la prudence. Cependant
Charette, qui, dans l'occupation de Noirmoutier, avait en vue principalement
d'ouvrir avec l'Angleterre des communications directes ordonna d'équiper un bâtiment
; il chargea son aide-de-camp La Roberie d'aller porter, au cabinet de
Saint-James, la nouvelle de la conquête de l’île, et de lui demander de
prompts secours. Mais cette mission, dont je rapporterai plus tard les
contrariétés et les obstacles, n'eut aucun résultat. Il
laissa dans Noirmoutier quinze cents hommes de garnison, et trente cavaliers
des-finies à porter les ordres aux différents points de l’île. Après avoir
ainsi pourvu à sa défense, il se rendit à Bouin, emmenant avec lui les
prisonniers, au nombre de huit cents. L'armée ne resta que deux jours à
Bouin, où les prisonniers furent laissés à la garde de Pajot ; une partie
alla camper à Machecoul et l'autre à Touvois. Charette
n'apprit qu'à Noirmoutier, par Bodereau lui amenait un détachement de
cavalerie, la défaite de Chollet et le passage de la Loire par la grande
armée royale. Il refusa d'y croire d'abord ; mais il en eut bientôt la triste
assurance, lorsque, rentrant dans le Bocage, il rencontra d'Elbée à Touvois,
porté sur un brancard et accompagné de sa femme, de Boissy son ami, et de
Duhoux d’Hauterive. Quinze cents Angevins l'escortaient, sous les ordres du
jeune Cathelineau, frère du premier généralissime vendéen. L'entrevue fut
touchante. « Je viens, dit d'Elbée à Charette, me jeter dans vos bras ».
Il déplora ensuite les malheurs de la Vendée la perte de Bonchamps et le
passage de la Loire. Charette le pressa de se retirer à Noirmoutier, qu'il
venait de mettre en état de défense : il ajouta qu'un de ses officiers allait
partir pour l'Angleterre, afin de réclamer des secours ; mais que toutefois
il serait prudent d'évacuer l’île, en cas d'attaque par des forces
supérieures. Quelques officiers de l'Anjou s'y renfermèrent avec d'Elbée et
ses amis ; quant aux quinze cents Angevins, ce renfort eût été plus nuisible
qu'utile, et ils reprirent la route de la Haute-Vendée, dans l'espoir d'y
faire diversion. Privés de
leurs généraux et sans point de ralliement, les paysans de l'Anjou qui
étaient restés dans le pays ne se montraient plus en armes. Aussi les généraux
et les commissaires de la convention, trompés par les apparences, se
persuadèrent que tous les Vendéens avaient passé la Loire, à l'exception de
quelques bandes errantes qui suivaient encore Charette. Ils se croyaient les maitres
de la Vendée, dont ils tenaient les positions principales, telles que
Mortagne, Tiffauges, Montaigu, Chollet, Saint-Florent, Bressuire et Argenton,
positions qui pendant sept mois étaient restées au pouvoir des royalistes. Déjà
même, à la convention nationale, on agitait la question de savoir si le sol
vendéen serait partagé et distribué aux révolutionnaires, Merlin de
Thionville, à la séance du 20 novembre, avait dit que la Vendée n'était plus
dans la Vendée, mais qu'il fallait se hâter d'empêcher qu'elle ne renaquît de
ses cendres ; que l'égoïsme s'attachait à la terre, et que c'était le sol qui
engendrait cet ennemi de la république. Il avait proposé un décret portent «
que le département de la Vendée serait appelé le département vengé ;
qu'on distribuerait aux cultivateurs restés fidèles, aux réfugiés de
l'Allemagne et à de pauvres laboureurs, des portions de terre, pour les
cultiver en toute propriété ; et que toutes les séparations d'héritages, soit
fossés ou haies, seraient détruites dans six mois et remplacées par de
simples bornes ». Le conventionnel Fayau dit qu'il voterait pour le projet
dès que les brigands de la Vendée n'existeraient plus ; et soulevant
tout-à-fait le voile, il assura que Charette était maître de Noirmoutier, de
Challans et d'une partie des districts des Sables, de Montaigu et de Clisson.
« La Vendée est si peu soumise, ajouta Fayau, qu'il faut des armées pour
accompagner les représentants en mission dans ce pays, où l'on n'a point
encore assez incendié. Or je pense qu'il faut d'abord y envoyer une armée
incendiaire, pour que pendant un an, au moins, nul homme, nul animal ne
puisse trouver de subsistance sur ce sol ennemi ». On renvoya ce monstrueux
projet au comité de salut public, qui se montra digne d'en poursuivre
l'exécution. Mais la
courageuse persévérance des Vendéens allait susciter des obstacles aux
dévastateur et aux incendiaires. Il n'était déjà plus temps d'empêcher la
Vendée de renaître de ses cendres. La Basse-Vendée surtout, grâce à Charette,
se trouvait dans une attitude imposante. Aucun des officiers accoutumés à le
suivre n'avait marché avec la grande armée en Bretagne, et ce chef pouvait
encore rassembler quatre à cinq mille hommes, considérait Noirmoutier comme
la place de sûreté des Vendéens. De plus, La Cathelinière occupait toujours
le pays de Retz, et Joly pouvait rallier, dans les districts des Sables et d’Aizenay,
tous les insurgés qui avaient marché sous ses drapeaux. Au centre de la
Vendée, Prodomme et Berard appelaient aux armes les paysans, pour former une
seconde armée du centre. Ainsi la guerre civile, quoiqu'elle dia perdu de sa
vigueur première, n'en étendait que plus loin ses ravages ; et il n'y eut
point, sur la rive gauche, d'interruption dans les combats. Les hostilités,
il est vrai, changèrent .de caractère ; l'intrigue et la ruse suppléèrent souvent
à la force : on eut in me recours aux fictions. Les prêtres et les chefs du
Bas-Poitou publièrent que leurs frères de la grande armée conquéraient la
Bretagne. Les républicains n'ayant laissé que de faibles garnisons dans la
Vendée, leurs postes, isolés, coupés et harcelés sans cesse, ne purent longtemps
se soutenir. Emporté par la victoire, tout l'état-major de l'armée
républicaine avait aussi passé le fleuve, et les officiers généraux restés
sur la rive gauche, étaient réduits à l'inactivité d'une dangereuse
défensive. Les généraux Haxo et Dutruy furent opposés d'abord à Charette, et
le général Moulin le jeune observa la Haute. Vendée, où l'inertie des troupes
ranima les Poitevins qui n'avaient pas suivi la grande armée. Ils se
montrèrent à la fois dans plusieurs cantons, au nombre de trois, quatre et
cinq cents hommes, enlevèrent des convois égorgèrent des palmait leg. Ils
semblaient n'attendre que l'issue de l'expédition de Bretagne et le retour de
leurs chefs, pour se montrer en forces. Réveillés dans les premiers jours de
décembre, par l'artillerie de La Rochejacquelein qui tonnait contre Angers,
ils se rassemblèrent vers Chollet et Saint-Florent, sous la conduite des jeunes
Cathelineau ; et menaçant à, la fois ces deux postes, taillèrent en pièces
quelques détachements, et attaquèrent l'adjudant-général Desmares, posté à
J'allais. Après trois heures de combat, ils abandonnèrent l'entreprise, et se
dispersèrent de nouveau. Tel fut l'état de la Vendée pendant la
transmigration de l'armée catholique en Bretagne. La confiance des insurgés
du Poitou, une fois relevée par l'énergie de leur général, ils n'en devinrent
que plus redoutables. Ici Charette, qui va jouer le premier rôle, ne cessera d’être
l'ennemi le plus dangereux de la république ; et sa célébrité, qui
s'accroîtra jusqu'à sa mort, lui survivra longtemps. Presque
toutes les forces des républicains s'étant dirigées en Bretagne, le général
Haxo, resté avec les troupes cantonnées dans la Loire4-inféIrieure, ne put
d'abord agir contre Charette. Il avait d'ailleurs des inquiétudes pour sa
droite. La Cathelinière, maitre du pays de Retz, pouvait recevoir directement
des secours de l'Angleterre par la haie de Bourgneuf. D'un autre ailé,
Noir-moutiers venait de tomber au pouvoir des royalistes, et les esprits
flottaient encore incertains sur l'issue de l'expédition d'Outre-Loire. Le
génie actif du général républicain se pliait avec peine au système d'une
défensive humiliante ; mais d'abord il médita un plan trop vaste. Il trouva
dans la garde nationale Nantaise assez de renforts pour combattre La
Cathelinière, auquel il enleva deux pièces de canon. Ce chef, laissant une
faible garnison au port Saint-Père, s'était retiré dans la forêt de Princé.
La garnison nantaise du château d'Aux, commandée par Muscard, attaque
immédiatement le port Saint-Père, y pénètre, chasse la garnison royaliste, et
brûle tous les moulins jusqu'au bourg Sainte-Pazanne. Guérin accourt de
Bourgneuf avec la cavalerie, à laquelle se joint toute l'infanterie de La
Cathelinière. Ces deux chefs réunis forcent les républicains de rentrer au
port Saint-Père ; mais La Cathelinière légèrement atteint d'une balle, se
retire. Les républicains le poursuivent, et le port Saint-Père, pris et
repris, reste enfin en leur pouvoir. Ils s'y cantonnèrent. Ln même temps les
frégates de l’État, qui gardaient ces parages, s'emparèrent de trois bâtiments
ennemis chargés de provisions et de munitions de guerre, après en avoir coulé
bas plusieurs à coups de canon. Le
général Haxo concerte alors ses opérations avec le général Dutruy, qui
commandait la division des Sables-d'Olonne. Ces deux officiers généraux,
quoique émules de gloire et parcourant ensemble la même carrière, vivaient
dans la plus parfaite intelligence. Dutruy avait eu d'abord à combattre les
trois divisions de Joly, de Savin et de Ducloudy, rassemblées sur les bords
du marais Ferrier, entre Challans et Saint-Jean-de-Mont, à l'effet d'attaquer
Saint-Gilles ; elles avaient même occupé Challans. Les républicains, faisant
replier leurs avant-postes, se cantonnèrent à Saint-Gilles, bien résolus de
s'y défendre. Leurs retranchements étaient hérissés de baïonnettes et armés
de batteries. Le 31 octobre, à huit heures du soir, les Vendéens, maîtres de
la rivière de Vie, et encouragés par l'abandon des postes avancés, attaquent
la gauche des républicains, malgré un feu de file soutenu et une v ive
canonnade. Vainement ils reviennent à la charge ; aucun retranchement ne put
Atre franchi à minuit l'action cessa. Les paysans du Marais, bons seulement
pour la défensive, étaient dans un découragement insurmontable. Leurs chefs
ne purent les déterminer à charger de nouveau ; Joly et Savin firent
également des efforts inutiles pour rallier leurs soldats : un grand nombre
avait péri à trente pas des canons. Du côté des républicains, la conduite de
l'adjudant-général Charlery, de la division des Sables-d'Olonne, fut citée
avec éloge. Ainsi
les opérations des divisionnaires du Bas-Poitou étaient encore indépendantes
des plans et de la volonté de Charette. Ce chef se troue rait alors dans le
Bocage, tantôt à Touvois tantôt à Légé, formant des magasins, ralliant des
renforts, et s'assurant de la situation de son parti. Instruit de l'attaque
et de la prise du port Saint-Père, il se dirigea sur Machecoul pour en
chasser les républicains, et pour se porter de là au secours du pays de Retz.
Il était en avant, marchant à la tête de quelques chasseurs, lorsqu'il fut
assailli à l'improviste par un corps de tirailleurs ennemis ; faisant aussitôt
volte-face, il entraîna ses soldats, qui ne se rallièrent qu'à Saint-Gervais.
Là Charette, qui se croit au moment d'être attaqué par le général Haxo, met
sa troupe en bataille dans la plaine de Beauvoir, avec l'intention de se
retirer à Noirmoutier en cas de défaite. Plusieurs Vendéens, effrayés de ce
projet, l’abandonnent pendant la nuit. Joly et Savin, réunis à lui depuis
peu, emmènent également leurs troupes, et regagnent le Bocage. Haxo et
Charette restèrent en présence dans la plaine de Beauvoir, sans se charger,
tandis qu'une seconde colonne, venant de Châteauneuf, longeait le Marais pour
tourner les Vendéens. Charette, en péril, entre aussitôt dans le Marais même,
où il essaie de se défendre quelques pièces de canon braquées sur ses soldats
les dispersent ; il ne leur reste plus pour retraite que l’île de Bouin, où
ils se jettent, au risque d'y être cernés. Cette île, remarquable par sa
fertilité, se trouve au milieu d'un marais salant, dans la baie de Bourgneuf.
Autrefois séparée de la côte par un bras de mer, elle tardera peu à faire
partie intégrante du continent par l'effet des atterrissements successifs qui
l’en ont rapprochée. Ce fut là que Charette, en faisant sauter quelques chaussées,
se rendit pour ainsi dire inaccessible. C'était là aussi qu'était Pajot,
chargé de la garde des prisonniers faits à Noirmoutier. Cet homme féroce, se
rappelant que les révolutionnaires massacraient dans les prisons, avait cru
pouvoir commettre le même crime, par représailles, contre les malheureux
confiés à sa garde. A l'imitation de Carrier, il les avait accusés de
conspirer pour leur évasion ; puis, sans examen et sans choix, il en avait
fait fusiller une centaine, parmi lesquels se trouvaient des soldats de
quinze à seize ans. Vainement il s'était couvert du voile de la nuit pour
commettre une pareille atrocité devenue l'objet de l'exécration publique, à
Bouin, vint balbutier sa justification devant Charette, qui lui témoigna
l'horreur que lui avait causée sa conduite, et qui, d'un ton ferme, lui
enjoignit de ne plus se souiller ni compromettre ses armes à l'avenir. Une
fausse politique contraire à la morale, et dont on ne s'affranchit presque
jamais dans des temps de troubles, ne permit pas à Charette de pousser la
rigueur plus loin. Il lui fallait grossir son parti au lieu de l’affaiblir, et
se garantir dans Bouin des entreprises de l'adversaire qui le serrait de si
près. En effet après avoir enlevé Beauvoir et harcelé Charette jusqu'à l'Epoi
le général Haxo se renforçant des garnisons des Sables-d’Olonne et de Paimboeuf,
forma le dessein d'emporter Bouin et Noirmoutier, derniers boulevards des
royalistes du Bas-Poitou. Le comité de salut public consulté, ordonna de
suspendre l'attaque, et motiva sa décision sur l'inquiétude qu'inspiraient
les progrès de l'armée catholique en Bretagne, et le sort de Nantes. Haxo et
Dutruy réclamèrent contre l'inaction à laquelle les condamnait cette décision
du gouvernement. Dutruy se rendit à Nantes, afin d'engager Carrier à lever la
suspension ; et croyant Charette vaincu parce qu'il avait fui, il le
représenta comme n'ayant plus qu'un espace de huit lieues pour retraite.
Carrier permit de reprendre l'offensive, après toutefois qu'on aurait détaché
trois mille hommes pour la sûreté de Nantes. Haxo, impatient de combattre,
reçut avec transport l'autorisation d'attaquer Charette dans ses derniers
retranchements. Il fit avancer de nouvelles troupes vers le Marais, sans
toutefois, crainte de surprise, occuper les bourgs ni les villages. Ses
soldats bivouaquaient dans les champs, et la nuit on apercevait leurs feux
disposés de manière que Bouin se trouvait comme bloqué. Un grand nombre
d'habitants de la Vendée s'y étaient réfugiés avec leurs femmes et leurs
richesses, et les vivres y étaient si abondants, qu'on se livrait au plaisir
de la table et de la danse comme en pleine paix. Au milieu de la joie,
l'approche du danger décidant les plus timides abandonner Charette, ils
rentrèrent dans le Bocage, à la faveur des ténèbres de la nuit. Charette
ne se dissimula point que, livré à ses seules forces, il succomberait
infailliblement sous les coups d'un ennemi aussi ardent qu'intrépide.
L'activité du général Haxo permettait peu de délais et encore moins
d'hésitation. Déjà ses colonnes entouraient le Marais. Quoique Bouin soit
d'un accès difficile et à l'abri d'une attaque en règle, vu l'impossibilité
d'y, conduire de l'artillerie, toutefois un hiver sec et froid, sorte de
phénomène dans ces parages, en rendait les approches praticables, à des troupes
conduites par des chefs entreprenants. On touchait aux premiers jours de
décembre, et Haxo, favorisé par les progrès de l'hiver, calculait déjà les
moyens de franchir tous les obstacles. Dans le cas où la température lui eût
été contraire, il était décidé, pour forcer la retraite de son ennemi, à le
submerger en faisant sauter toutes les chaussées, au risque d’inonder le
Bas-Poitou. Carrier, ardent pour les mesures extrêmes, lui en avait donné
l'ordre. L'espoir du butin animait d'ailleurs les soldats, et tous
demandaient à combattre. Haxo, après avoir réuni six mille cinq cents hommes,
les fait marcher en trois colonnes, pour former l'attaque sur trois points différents.
L'une venant du bois de Cené, se dirige par la Clais, une autre par Beauvoir,
et la troisième par le passage du sud — petit bras de mer de cinquante à
soixante toises —, afin de couper toute retraite aux royalistes. L'espoir de
prendre Charette avec son armée, dans le bourg manie de Bouin, fit négliger
de garder tous les dehors du Marais. Charette, abandonné par les divisions de
Joly et de Savin, avait à peine trois mille hommes amis les armes. Il
partagea aussi ses forces en trois corps : l’un, de deux cent cinquante
hommes, garda le passage du sud ; l'autre, de quatre cents combattants y
ayant Couëtu pour chef, fut posté sur la route du bois de Cené ; et le
troisième se mit en position, vers les débouchés de Beauvoir. Celui-ci, qui
formait le corps de bataille, était commandé par Charette en personne, ayant
avec lui son artillerie et ses cavaliers, qui avaient mis pied 'à terre ; car
à la suite d'un froid vif, on ne pouvait, sains danger, combattre à cheval
sur la glace. Au point du jour commence l'attaque ; d'abord le canon gronde
de part et d'autre. Tandis que Guérin, avec sa petite troupe, résiste à la
colonne venant du sud, Charette tient en échec celle qui arrive de l'Epoi, et
Couëtu contient celle qui débouche du bois de Cené. Sur tous ces points
d'attaque on voit d'abord le drapeau blanc repousser le drapeau tricolore.
Après quelques efforts infructueux, la colonne républicaine du sud se partage
tourne le Marais, et met entre deux feux la troupe de Couëtu et celle de
Guérin. Ce dernier résiste et repousse encore l’ennemi, qui, gagnant du terrain,
menaçait de lui couper la retraite. Voyant ses munitions épuises et le nombre
des républicains augmenter à vue d'œil, Guérin sort du Marais par la seule
issue qui lui reste encore. Alors n'étant plus contenue, la colonne du sud
pénètre sans obstacle dans Bouin, et force Couëtu de se replier sur le corps
d'arme de Charette. Là on se battit d'abord sur deux lignes de front avec
acharnement, tandis qu'à Bouin même un peloton de royalistes, retranchés dans
la cour de l'hôpital, tirait à bout portant sur les républicains qui
pénétraient dans la ville, où le combat fut sanglant. Charette,
tourné, pris entre deux feux et manquant aussi de munitions, semblait n'avoir
plus d'autre retraite que la mer. Un cri de désespoir se faisait entendre dans
toute l'armée. Lui seul, conservant le sang-froid d'un chef de parti, proposa
de se faire jour avec les baïonnettes ; et s'adressant aux hommes de Bouin
réunis sous ses drapeaux : « Amis, sauvez-vous, leur dit-il, mais
sauvons aussi l'armée ; tous les chemins du Marais et de l'île vous sont
connus, servez-nous de guides ». Il fait enclouer et jeter dans les fossés le
reste de ses canons, et se met à la tête des siens, découragés et abattus à
l'aspect de l'ennemi formidable qui les presse de tous côtés, dans ce
labyrinthe marécageux. Tous cherchaient une issue en poussant des cris de
rage, lorsqu'un paysan du Marais, bravant le danger, arrive jusqu'à Charette
et lui indique le seul passage praticable. Ses soldats s'y jettent et se
glissent, pour ainsi dire, entre deux colonnes ennemies, traversant le Marais
pour en sortir, sautant les fossés pleins d'eau qui coupent le ter-rein en
tous sens, et montrant bien plus d'ardeur à fuir que les républicains à les
poursuivre. Ceux-ci se jettent de préférence dans Bouin pour avoir part au
pillage, ce qui favorisa l'évasion de Charette. Sa fuite précipitée laissa au
pouvoir des républicains, canons, munitions de guerre, magasins, chevaux et
bagages. Il perdit en outre sept à huit cents hommes, à peu près le quart de
son armée. Quand
il se vit presque hors du Marais, il fit halte, et rassembla ses soldats — il
n'en avait plus que deux mille. « Camarades, leur dit-il, nous venons
d'échapper comme par miracle, sans être toutefois hors de danger : nul doute
que l'ennemi ne borde les marais et n'occupe tous les postes extérieurs ;
mais il n'est là qu'en petit nombre. Tenons-nous serrés, et passons sur le
ventre de ces coquins de bleus, afin de regagner nos asiles et de nous
pourvoir de munitions ». Cette courte harangue ranimant les Vendéens,
Charette se remit en marche dans l'ordre suivant lui en tête avec son
état-major ; les canonniers et les cavalée s démont4s suivaient ; puis les
fantassins sur deux rangs ; d'abord tous les hommes armés de fusils ; et
ensuite, fermant la marche, tous ceux qui n'avaient que des piques. On tint
cet ordre tant que put le, permettre le terrain marécageux de Bouin et de Châteauneuf
; le dégel qui survint dans la journée, rendit le trajet encore plus pénible.
C'est ainsi qu'errant à l'aventure, toujours à pied, et refusant de se servir
du seul cheval qu'on lui eût réservé, Charette sut retenir, par sa fermeté
inébranlable, ses soldats pats à abandonner ses drapeaux. Mais sa
ruine semblait inévitable, tant il y avait de troupes autour de lui. Après
plusieurs heures de marche, il entre enfin dans le bourg de Châteauneuf, et y
surprend six maraudeurs républicains. Il les interroge et en reçoit l’assurance
qu'il trouvera le bois de Cené, la Garnache et Machecoul dégarnis. L'un d'eux
se taisait, changeant de couleur à chaque réponse de ses camarades, et quand
Charette ordonna de les éloigner, ce jeune soldat se jette à ses pieds et lui
dit : « Général, vous allez nous faire mourir ; mais si l'habit que nous
portons nous rend coupables à vos yeux, songez que parmi nous il est des
Français qui pensent comme vous. Croyez du moins ce que je vais vous dire :
vous n'avez pas un instant à perdre, quittez Châteauneuf il y a près d'ici
cinq cents hommes embusqués qui vous attaqueraient à l'instant même, s'ils
étaient en force, et s'ils n'avaient des munitions à garder dans un village
voisin ; ils ont donné avis au poste de la Garnache de vous attendre sur la
route, tandis que la colonne qui vous a chassé de Bouin revient à votre
poursuite ; il y a d'ailleurs huit cents hommes à Légé et autant à Palluau. Maintenant
il ne me reste qu’à vous demander la grâce de me faire mourir avant mon frère
que voici, et de ne pas nous croire indignes d'une mort puas glorieuse, en
combattant avec les défenseurs de la religion et du trône ». Frappé des
sentimens de ce jeune soldat Charette lui accorda la vie ainsi qu'à son
frère, et lui fit rendre ses armes, ordonnant de ne mettre à mort que les
quatre prisonniers qui avaient voulu la tromper. Il marcha ensuite, sans
délai, sur le poste républicain, prenant pour guides les deux frères. On
répond républicain au cri de qui vive ! et le poste,
négligemment défendu est attaqué à l'improviste et taillé en pièces. Ce succès
inespéré donne Charette des munitions, des armes, une trentaine de chevaux ;
et il fait rendre la confiance et l'espoir parmi ses soldats. Ainsi au moment
où les républicains s'emparaient de son quartier-général et que lui-même
fuyait à travers plusieurs colonnes, il prenait sa revanche non loin du lieu
de sa défaite. Forcé de presser sa marche, il fut bientôt exposé à de
nouveaux périls. Déjà les postes du bois de Cené et de Pile Chauvet
s'avançaient pour l'envelopper. Une sanglante mêlée s'engagea, mais la nuit
vint séparer les combattants ; les uns rentrèrent dans leurs quartiers, les
autres continuèrent leur marche, et la clarté des feux de l'ennemi leur
indiqua les lieux qu'il fallait éviter. Charette
ne s’arrêta qu'à Saint-Etienne de Mer-Morte. Là il dit à son armée, le
lendemain, que c'était à bon droit qu'elle était appelée l’armée catholique,
et qu'il fallait rendre grâces à Dieu de l'avoir tirée d'un péril si
imminent. « Soldats, ajouta-t-il, nous serons encore vivement poursuivis
; je sais que plusieurs d'entre vous songent à me quitter pour se cacher dans
les bois. Qu'arrivera-t-il ? Ceux qui se confieront à ma fortune échapperont
à tous les dangers, ceux au contraire qui s'isoleront pour errer
misérablement dans les forts, se feront égorger comme des lâches, derrière
les buissons ». Faisant jeter ensuite dans un étang, les caissons, les
ambulances qui embarrassaient sa marche, et charger les cartouches sur des
chevaux, il prit immédiatement la route de Touvois, y fit halte un moment et
s'enfonça de suite dans la forés. Des cavaliers qu'il avait envoyés à la
découverte, vinrent lui annoncer le passage d'un convoi sur la route de Légé
à Machecoul. Il fait filer aussitôt son armée, attaque, renverse l'escorte et
enlève le convoi, où il trouve vivres, munitions et chaussures c'était un
coup de fortune pour une troupe excédée de fatigue et délabrée. En continuant
sa marche sur Légé, elle se trouva aux prises avec la garnison, commandée par
l'adjudant-général Guillaume ; il arrivait pour reprendre le convoi : le
combat s'engage aussitôt. Lei républicains, qui redoutent d'être enfoncés ou
tournés, se replient derrière leurs retranchements, sous la protection d'une
pièce de canon et d'un obusier. Là, bravant les royalistes, ils prolongent
leur canonnade jusqu'à la nuit, heure à laquelle Charette voulait donner
l'assaut mais un renfort de huit cents hommes survient et sauve Légé.
L'adjudant-général Guillaume, ordonnant aussitôt une sortie au pas de charge,
ses soldats se précipitent la baïonnette en avant sur les Vendéens. Ceux-ci,
instruits par Charette à éviter une entière défaite, s'esquivent à travers
les haies, les buissons, et vivement poursuivis, ne s'arrêtent qu'au bourg de
la Benatte. Charrette y fit rafraîchir sa troupe, et certain que l'ennemi ne
tarderait pas à le suivre, il fit brûler ses ambulances et ses chariots ;
puis continuant sa marche par le Moulin-Guérin évita une colonne campée au
Pont-James, traversa la forêt de la Roche-Servière, d'où il envoya vingt
cavaliers à la découverte. Ils revinrent avec l'avis certain que les garnisons
de Challans, de Machecoul et de Légé étaient déjà à sa poursuite, et allaient
fouiller la fort et les bois de Gela. Charette, après avoir donné quelques heures
de repos à sa troupe, se remit en marche, prenant des routes de tournées,
dans l'intention de se joindre à Savin et Joly, qu'il savait an Grand-Luc
avec leurs divisions. Ses soldats s'enfoncèrent dans la forêt de Touvois, où
bientôt une fusillade se fit entendre. L'avant-garde, incertaine, s'avança et
reconnut la troupe de Joly qui venait de battre un détachement républicain
sorti de Légé. Les deux divisions vendéennes se renforcèrent mutuellement :
Joly fournit des vivres à Charette, et reçut en échange une partie des munitions
et des armes qu'on venait d'enlever aux républicains. Quelques
jours de repos étant nécessaires à l'armée, Charette, malgré l'approche de l’armée,
ne se remit en marche que le lendemain ; il passa en revue sa troupe, et
trouva sous les armes plus de deux mille fantassins et cent soixante-dix-neuf
cavaliers montés. Cependant
les généraux Haxo et Dutruy suspendirent l'expédition de Noirmoutier, dis
qu'ils reçurent l'avis que Charette, après leur être échappé, parcourait le
Bocage. Ils fortifièrent Légé, poste devenu important, et cherchèrent ensuite
Charette dans la forêt de Touvois et au Luc, où il n'était déjà plus. Se
voyant serré de pals par des ennemis chaque jour plus nombreux venait de
faire décider en conseil qu'on se porterait dans le Haut-Poitou, pour y
recruter les Vendéens qui n'avaient pas passé la Loire ; l'armée arriva aux
Essarts sans obstacle. Là on apprend que le camp retranché des
Quatre-Chemins, sur la route de riantes n'est occupé que par quinze cents
hommes. L'attaque en est résolue, et les Vendéens reçoivent l'ordre de se
jeter, en cas d’échec, sur la droite au-delà du grand chemin de la Rochelle. Joly,
avec l’avant-garde, suit la route des Essarts, et embusque sa cavalerie dans
un bois voisin, tandis que Charette, partageant son infanterie donne à Couëtu
la colonne du centre, et se dirige en personne par Sainte-Cécile, pour former
l'attaque par la grande route. Les deux colonnes royalistes n'arrivant point
assez vite au gré de Joly, cet homme, qui frémit d'impatience, traverse sans
hésiter un bataillon ennemi qui se trouvait sur son passage, répond républicain
au qui vive des gardes avancées, et leur donne d'autant mieux le
change, qu'il avait arboré la cocarde tricolore, et que partout on croyait
Charette dépourvu de cavalerie. Les républicains prenant Joly pour un des
leurs, lui demandent si l'on va partir ou se battre. « Vous l'avez dit, camarades,
les brigands ne sont pas loin. Mais avons-nous des renforts ? — J'ai dans ce
bois, ajoute Joly, une colonne embusquée pour les prendre à dos : je vais revenir,
tenez bon ». Il traverse le camp au galop, avec la même témérité, enlève deux
soldats qu'il trouve à l'écart, et arrive avec ses prisonniers à la tête de
la colonne de Charette. Après l'avoir pressé d'attaquer, il revient sur ses
pas rejoindre sa troupe, et assaillit aussitôt le camp, sans recevoir le feu
des républicains, qui, dans leur méprise, le prennent pour le renfort
attendu. Ils ne sont désabusés que par une décharge générale et par les cris
de vive le Roi et se mettant en défense, repoussent la troupe de Joly, qui
n'était point encore soutenue. Enfin Couëtu et Charette survinrent ; et en un
instant les retranchements furent forcés, les postes égorgés, et tout le camp,
avec un énorme butin, tomba an pouvoir des vainqueurs. Depuis les
Quatre-Chemins jusqu'à Saint-Fulgent, la route et les champs voisins furent
jonchés de morts. Sur quinze cents hommes qui garnissaient le camp, plus de
mille furent tués. Dans l'ivresse de la victoire, un des fils de Joly reçut
un coup de crosse d'un soldat, que Joly, homme dur et emporté, tua
sur-le-champ. Ce trait d'une brutalité féroce donna lieu à des murmures qui
tournèrent à l'avantage de la popularité de Charette. Le
lendemain, les deux divisions vendéennes se portèrent aux Herbiers, où les
prétentions de Joly pensèrent dissoudre l'armée. Rien n'était plus nuisible à
la cause des royalistes, que les rivalités de leurs officiers ; aussi la
multitude ne désirait qu'un chef qui pût commander à tous et se faire obéir.
Les ambitieux savent toujours profiter de cette disposition des esprits.
Charette, par ses nombreux partisans, ménageait la prépondérance. Mais Joly,
dont la valeur était plus brillante, et qui venait de déployer tant d'audace
dans l'attaque du camp, aspirait également au généralat faisait valoir son âge,
ses exploits, son expérience, et alléguait que le premier il avait pris les
armes. Pour couvrir ses prétentions, il propose de nommer trois généraux.,
dont l'un aurait le commandement et prendrait conseil des deux autres. On
convoque les officiers, et dans une assemblée tumultueuse, la proposition de Joly,
attaquée et défendue tour à tour, excite de violents débats. Les voix
recueillies, on décide qu'il n'y aura qu'un seul général en chef. La Roberie
jeune, se levant aussitôt, demande que tous ceux qui veulent Charette pour
général sortent de la salle du conseil ; en un instant Joly reste seul avec
son fils et l'un de ses officiers. Dans une nouvelle assemblée, le
commandement est offert, par déférence, au chevalier de Couëtu, ancien
militaire, qui, soit par modestie, soit par dévouement, désigne Charette.
D'un commun accord, Charette est proclamé général en chef des armées du Bas-Poitou
et du pays de Retz. Le procès-verbal de sa nomination définitive, dressé et
signé individuellement par ses principaux officiers est porté à son acception[1]. C'était pour la troisième fois
que, malgré les bailles, les cabales et les rivalités, on lui déférait le
commandement ; et dans cette dernière épreuve, il l'obtint avec plus
d'unanimité et d'extension. Il fit, sous les drapeaux, une harangue
militaire, où il exhorta ses soldats au courage et à la fidélité, après avoir
juré lui-même de mourir à leur Lite. Un des fils de Joly allait donner sa
signature, lorsqu'on lui représenta que son adhésion lui attirerait
infailliblement le courroux de son père. En effet, Joly, furieux d'avoir été
trompé dans ses espérances, voulait se séparer et entraîner sa division ;
mais il ne trouva plus que cent cinquante, hommes sous ses drapeaux. Ses amis
parvinrent enfin à l’apaiser, et il consentit à suivre Charrette, sans
souffrir toutefois que devant lui on l'appelât général. A
compter de ce jour, l'ambition de Charette n'étant plus contenue, lui inspira
le désir d'étendre son commandement sur toute la Vendée. Affaibli par la
garnison qu'il avait laissée à Noirmoutier, et par plusieurs combats
successifs, il crut le moment favorable pour s'aller recruter de tous les
Vendéens restés sur la rive gauche ; et il leur adressa une proclamation,
qu'il fit répandre par sa cavalerie. « Aux armes ! leur dit-il ;
accourez sous les drapeaux de votre général. N'y pas moins de danger pour vous
à suivre celui qui sut toujours résister avec avantage aux républicains, qu'à
errer de forêts en forêts, ou à vous cacher sous les débris de vos
chaumières, pour y attendre lâchement les coups d'un ennemi implacable ? »
Mais tel était l'abattement des Vendéens, que Charette, réduit quelques
centaines d'hommes, ne put se recruter 'rien donnant l'ordre à sa cavalerie
de parcourir les villages, et d'y sabrer quiconque refuserait de se rallier à
ses drapeaux. Rempli d'une nouvelle audace, il ne s'arrêta qu'au bourg de Bonpère,
au centre même de la Vendée, où les habitants, presque tous républicains, ne
tardèrent pas à donner avis de son arrivée aux troupes cantonnées dans les
environs. Le bourg fut cerné dans la nuit même, et l'ennemi y pénétra sans
peine. Mais au moment d'être tous passés au fil de l'épée, les royalistes,
redoublant de courage, repoussèrent les assaillants et se firent jour. Ils se
portèrent sur Pouzauges. Quoiqu'ils fussent étrangers à ce territoire, les
habitais, soit par crainte, soit par affection, les traitèrent en amis, et
leur donnèrent des vivres eu abondance. Charette y. resta quatre jours,
pendant lesquels Guérin fit une expédition nocturne contre un cantonnement de
cavalerie, qui fut surpris, sabré et dispersé. Le butin fut considérable ; on
s'empara de vingt-deux chevaux sellés et bridés. Ce Guérin, l'un des premiers
chefs d'insurrection du pays de Retz, se faisait remarquer par une
intrépidité froide. S'attachant de plus en plus à Charette, il le suivit dans
presque toute cette campagne, comme son lieutenant et son ami. Cependant
Joly continuait 'à se répandre en discours amers, capables de semer la
division dans l'armée. Charette eut avec lui une explication franche, le
pressant de donner l'exemple de la concorde, si nécessaire au bien de la
cause commune. Joly parut revenir à des sentimens plus raisonnables. On
convint d'organiser l'armée, pour lui donner plus d'ensemble et pour la
mettre à l'abri de toute surprise. On
s'occupa surtout de la cavalerie, dont les deux corps, réunis en un seul,
furent divisés en quatre escadrons. Le premier, fort de cent douze chevaux,
était destiné à la garde du général ; les trois autres, de soixante-dix
cavaliers chacun, avaient en officiers et en sous-officiers, un premier et un
second capitaines, un premier et un second lieutenants, six
maréchaux-des-logis, deux brigadiers et deux fourriers : L'armée
eut un major-général, M. Davy-les-Norois ; un major en second, M. Hyacinthe
de La Roberie ; deux aides-majors, MM. Marchand et Ponce ; quatre adjudants-rnajors,
MM. de la Grossetières, du Temple de Longerie et de la Roche-d'Epinay ; enfin
un intendant-général pour les vivres, le sieur Baudry, auquel on adjoignit le
sieur Rousseau. Ainsi
cette armée royale du Bas-Poitou comptait à peine trois mit trente chevaux,
et n'avait pour toute infanterie que trois à quatre mille paysans
indisciplinés, et incapables d’être assujettis à aucune organisation
régulière. Se faire suivre par de pareils soldats, résister avec eux à des
forces dix fois plus nombreuses, redoubler, dans les dangers, de fermeté et
de persévérance, tels furent les fondements du pouvoir de Charette, et ses
titres à cette célébrité qui commençait faire éclater son nom hors du Bocage
vendéen. Son
armée, quittant Pouzauges, entrait à peine dans la grande route, qu'un
escadron ennemi tomba sur les bagages et sur l'arrière-garde, commandée par
ou Couëtu ; elle fut maltraitée et poussée l'épée dans les reins : Peigné,
major de la division de Machecoul, resta parmi les morts. Toutefois l'armée
réunie, poursuivit sa marche jusqu'à Châtillon-sur-Sèvre là elle vit les traces
récentes de la fureur des deux partis, et des combats sanglants qui avaient
entraîné la destruction de cette ville. Toutes les maisons étaient incendiées
et la terre couverte d'ossements humains. On se porta ensuite sur Maulevrier,
où un détachement de deux cents républicains s'obstinant à disputer le
passage, fut taillé en pièces le spectacle d'une dévastation générale
irritait la vengeance des royalistes. Charette voulait attaquer Chollet et
Mortagne, et en chasser les garnisons. Maître alors du foyer de la
Grande-Vendée, il eût pu en réunir les débris, et devenir chef unique et
prépondérant. L'arrivée imprévue de La Rochejacquelein le contraignit de
respecter le territoire du Haut-Poitou, et de rentrer dans ses anciennes
limites. On a
vu, dans le livre précédent, que ce général, suivi de Stofflet, de Beaugé, de
Langerie et d'une vingtaine de soldats, avait gagna la rive gauche, en face
d'Ancenis, pour y enlever quatre barques, et faire passer la Loire à son
armée. Une patrouille étant survenue tout-à-coup, le chassa des bords du
fleuve, et dispersa ses soldats ; mais resté avec ses trois compagnons
d'armes, il s'enfonça dans l'intérieur du pays, cherchant les traces d'une
troupe de Vendéens qu'on avait aperçue d'Ancenis quelques jours auparavant.
C'était la même que le jeûne Cathelineau avait ramenée de Noirmoutier, et qui
venait de perdre sou chef dans une-rencontre ; elle n'avait fait que cette
seule apparition. Tout était désert dans la partie de la Vendée que
parcouraient La Rochejacquelein et les trois autres chefs ; ils errèrent
ainsi la journée entière, dans une solitude effrayante, n'apercevant partout
que des traces de dévastation, et ne rencontrant sur leurs pas aucun due
vivant. Après vingt-quatre heures d'anxiétés et de fatigues, ils parvinrent à
une métairie habitée. Là on les accueille, et Le fermier leur offre un, repas
frugal. A peine ont-ils pris quelque nourriture, que cédant à l'irrésistible
besoin du repos, ils se jettent tout habillés sur une meule de paille. Mais
bientôt leur hôte accourt les avertir de l'approche d’une patrouille, et il
les conjure avec instance de fuir au plus vite. « Ami ! lui répond
La Rochejacquelein, lors même que nous devrions périr ici, on ne nous arracherait
pas au sommeil qui nous accable, et qui nous est encore plus nécessaire que
la vie. Retire-toi, et laisse à la Providence le soin de notre conservation
». Les républicains survinrent, et accablés aussi de fatigue, s'endormirent auprès
des quatre Vendéens, de l'autre côté de la meule. A la pointe du jour, La
Rochejacquelein, éveillé par ses trois compagnons d'armes, s'éloigne en hâte,
et s'enfonçant avec eux dans les bois, se dérobe à l'ennemi. Pendant deux
jours, ils ne vécurent, que du pain enlevé aux soldats qui tombaient
isolément sous leurs coups. À mesure qu'ils pénétraient vers Châtillon, La
Rochejacquelein retrouvait de ses partisans. Il en reçut des informations sur
l'état du pays, et conçut dès lors le projet de rassembler les débris de ces
valeureux Poitevins, qui, les premiers, l'avaient reconnu pour chef, Son
unique désir était de combattre encore à leur tête. Tourmenté du souvenir
amer de la défaite du Mans, de la fatale et récente séparation de son armée,
il était abîmé de désespoir, et ne cherchait que l'occasion de mourir les
armes à la main. Laissant tout au hasard, il traverse de nuit la ville de Châtillon,
et les républicains avaient un poste ; ne répond pas au qui vive de la
sentinelle, échappe au péril à force d'audace, et arrivé près Saint-Aubin de
Beaubigné, retrouve sa tante, madame de La Rochejacquelein, cachée dans une
métairie voisine. Il passe trois jours avec elle, et n'en reçoit que des
paroles pleine& de fermeté. « Si tu meurs, lui dit, au moment de
leur séparation, cette femme résignée, si tu meurs., tu emporteras mes
regrets el mon estime ». Les ruines du château de la Dubélière, que
Westermann avait livré aux flammes, lui servirent aussi d'asile. Le bruit de
son arrivée et quelques indices sur le lieu de sa retraite, l'exposèrent aux
perquisitions d'un détachement qui vint fouiller le ohé seau ; il ne s'y
déroba qu'en se tenant couché sur l'entablement des murs encore, debout de la
façade principale. C'était ainsi que bravant les dangers, il préparait tout
en secret, pour reparaitre en armes avec ses fidèles Poitevins. A peine
est-il instruit que Charette vient d'entrer dans le Haut-Poitou, qu'il se
porte à sa rencontre, voulant concerter avec lui les opérations qu'il médite.
Il se met en marche à pied pendant la nuit, par des routes détournes, et
arrive à Maulevrier, où il trouve Charette faisant des dispositions pour
attaquer la ville de Chollet. Il transpirait déjà qu'il n'avait en vue que de
grossir sa troupe et d'étendre son pouvoir sur toute la Vendée. Surpris de
l'arrivée subite d'un chef dont la perte avait paru certaine, Charette sentit
que les paysans de la grande armée ne balanceraient plus entre leur ancien
général et ion chef qui leur était étranger. Aussi reçut-il La Rochejacquelein
d'un air froid et composé, fil amant hautement la campagne d'Outre-Loire et
ne parlant que de son projet d'attaque. La Rochejacquelein lui, représenta
qu'étant passé la veille près de Chat-let, il s'était assuré que les
républicains y étaient en forces, qu'il serait donc plus sage d'attendre et
d'observer leurs mouvements, d'autant plus qu'ayant en vue de reprendre
Noirmoutier, il paraissait sûr qu'ils se porteraient en partie sur la côte.
Charette n'insista plus ; mais poussant la froideur envers La Rochejacquelein
jusqu'au manque d'égard, il ne lui offrit pas même de partager le repas qu'on
venait de servir à une vingtaine d'officiers de son état-major. Ces deux
hommes célèbres se séparèrent mécontents l’un de l'autre, et disposés plus
que jamais à isoler leurs opérations quoique tout leur fit un devoir de se
réunir. Les détails de cette entrevue ne sont plus ignorés. « Je pars pour
Mortagne, dit Charette à La Rochejacquelein ; si vous voulez me suivre, je
vous ferai donner un cheval. —Moi, vous suivre, répond fièrement le
généralissime de la Vendée sachez que je suis accoutumé sire suivi moi-même,
et qu'ici c'est moi qui commande ». En
effet, huit cents Vendéens abandonnèrent, le même jour, le chef du
Bas-Poitou, et reconnurent La Rochejacquelein pour leur général. Ainsi
Charette, qui, le matin commandait un rassemblement considérable, se vit, le
soir, réduit à un petit nombre d'hommes, par la désertion des Angevins, et
même d'une partie de ses, propres soldats. Forcé de concentrer son dépit, il
reprit la route de son territoire, et en passant par les Herbiers, donna
quelques jours de repos de sa troupe ; il quitta ensuite le centre du Bocage
avec l'intention de se réunir à La Cathelinière et de sauver Noirmoutier. A.
son approche, le détachement qui avait repris le camp retranché des
Quatre-Chemins, l'abandonna, et laissa le passage libre. Charette, qui avait
formé le projet d'attaquer, en passant Laroche-sur-Yon, marcha sur le bourg
de la Ferri ère. Lâ un espion vint l'avertir qu'il aurait quatre mille hommes
à combattre. Sur ce faux avis, Charette prit la route du Poiré, tandis que
l'ennemi, trompé aussi sur le nombre des royalistes, se retirait aux
Sables-d'Olonne, pour ne pas être attaqué. Cette lâche retraite coûta la vie
à trois cents paysans du parti républicain. S'étant avancés jusqu'à la
Ferrière, pour reconnaitre la force des Vendéens, ils rencontrèrent un
détachement de l'armée du Nord, qui les prit pour des soldats de Charette. Ils
demandèrent en grâce à être conduits à Laroche-sur-Yon pour s'y faire reconnaître
; mais les habitons et les soldats en étaient partis, et ces malheureux,
convaincus d’imposture, en apparence, furent tous fusillés. La
présence des royalistes dans le midi de la Vendée y jeta l'alarme ; Luçon et
Fontenay se crurent menacés. Le bruit de la résurrection de la Vendée et de
la marche de Charette à la tête d'une armée, se répandit dans les villes
voisines. La terreur fut telle à Fontenay, que le conventionnel Lequinio
ordonna d'y fusiller, sans formes de procès, les prisonniers vendéens, à la
première apparition de l'ennemi. Il fit plus sur l'avis de la fermentation que
cet ordre avait occasionnée dans les prisons, il y descendit lui-même, et tua
de sa main un prisonnier. « Je dois vous dire, écrivit-il à la
convention, que sans des pareilles mesures, jamais vous ne finirez la guerre
de la Vendée. C'est le modérantisme des administrateurs et des
généraux qui l'entretient. J'ai écrit partout qu'il ne fallait plus faire de
prisonniers, et s'il m'est permis de le dire, je voudrais qu'on adoptât la même
mesure dans toutes les armées de la république ». Ce même homme, quand les
circonstances eurent changé, affecta des principes de modération et
d'humanité ; il s'éleva même, dans un écrit sur la Vendée, contre les
horreurs qu'on y avait commises, versatilité méprisable et souvent imitée
depuis. Le sud
de la Vendée, qui préférait les douceurs de la paix aux dangers de la guerre
civile, fut bientôt délivré de la crainte que lui inspirait Charette. Les
projets de ce chef sur La Roche-sur-Yon ayant échoué, son armée se dirigea
sur Machecoul, dans l'intention de s'en emparer et de se joindre à La Cathelinière,
qu'il avait fait prévenir par ses espions. Arrivé dans la forêt de Touvois,
il congédia momentanément sa troupe, et prit des mesures telles qu'au premier
signal il pouvait réunir toutes ses divisions. Le prochain rassemblement fut
fixé aux derniers jours de décembre. Pendant
l'expédition de Charette dans le Haut-Poitou, Les généraux Haxo et Dutruy,
pro tara de son éloignement, résolurent de fouiller le Marais vendéen, pour
en chasser les rassemble-meus qui se tenaient à la portée de secourir
Noir-moutiers. Vers le milieu de décembre, quatre à cinq mille hommes
ouvrirent, à la Barre du Mont, à Beauvoir et au-Ferrier, trois fausses
attaques ; elles masquèrent les mouvements des deux généraux, qui, en un
moment, couvrirent de sol. Bats une enceinte de huit lieues, et portèrent de toutes
parts le fer et la flamme. Tous les retranchements et quatre pièces de canon,
les seules qui restassent aux Vendéens du Marais leur furent enlevés. Les
routes praticables étant inconnues aux soldats, ainsi que la manière de
franchir les nombreux canaux qui traversent en tous sens ce territoire
marécageux, ils =robaient dans l'eau jusqu'à la ceinture. Des colonnes d'éclaireurs
dissipaient en male temps les rassemblements formés aux environs de Paulx et
de Sainte-Pazanne. Ainsi tout le Marais fut au pouvoir des républicains, et
Noirmoutier, entièrement découvert, se vit exposé à une attaque de vive force
que tout semblait favoriser. Les
journées décisives du Mans et de Savenay leur permettaient enfin d'employer
sur la rive gauche une partie de l'armée victorieuse. La division Tilly parut
propre à-une campagne d'hiver contre Charette. Le général Carpentier, qui en
avait pris le commandement, reçut l'ordre de quitter Nantes pour se porter
dans la Vendée. On vit alors combien le séjour des villes populeuses nuit à
la discipline, surtout après la victoire. Lorsqu'il fallut quitter Nantes, à
peine moitié de la division vint se ranger sous les drapeaux. Un bataillon de
l'Aube tout entier refusa de marcher. Enfin le général parvint à rassembler deux
à trois mille hommes, et partit. Il se porta successivement au port
Saint-Père, à Machecoul, à la Garnache et à Challans, sans rencontrer les
Vendéens, laissant à Machecoul une garnison nombreuse. Elle se tint si peu
sur ses gardes, que Charette, après avoir réuni son armée, chassa, au pont
James, un bataillon qui lui disputait le passage, et arriva sur Machecoul à
trois lieues de là, sans qu'on y eût connaissance de son approche. Déjà sa
cavalerie, après avoir égorgé Ires sentine tirs et la première garde,
pénétrait du côté du château, tandis que son infanterie attaquait du côté du
Chaume. Prise entre deux feux, la garnison n'eut que le temps de courir aux
armes et de se bile jour l'épée à la main. Mais elle fut assaillie hors la
ville, et y soutint un combat rude et sanglant qui dégénéra en déroute. Sur
onze Cents hommes, les républicains en laissèrent plus de sept cents sur le
champ de bataille. La ville, six mille rations de pain, plusieurs chariots
chargés de farine, tombèrent au pouvoir de Charette, ainsi qu'une pièce de
quatre. Machecoul,
près d'une forêt peu éloignée de celle de Princé, ouvre et ferme les
communications entre Nantes et Beauvoir, sur une étendue d'environ quinze
lieues. Les généraux Haxo et Dutruy, qui songeaient à reprendra Noirmoutier,
sentirent enfin l'importance de Machecoul. Charette venait d'y passer le
premier jour de l'an 1794, et y attendait tranquillement La Cathelinière,
lorsque le général Carpentier reçut l'ordre de le chasser de la ville, ll s'y
porte à marches forcées, et aperçoit bientôt l'armée de Charette rangée en
bataille sur la route de la Garnache, et couverte par la forêt. Ses rangs
étaient serrés ; sa force paraissait de quatre à cinq mille hommes. Le
général ré« publicain s'avance à la tête de sa cavalerie, pour reconnaître de
plus près la position des royalistes. Il place sur la première hauteur une
pièce de canon et un obusier, dont le feu commence l'attaque. Il déploie
ensuite sa première brigade parallèlement au front de bataille, et ordonne à
la seconde ligne de filer sur la gauche, pour tourner et occuper la ville.
Son armée formait une espèce d'équerre. Attaqué de front et en flanc,
incommodé par le feu du canon et des obusiers, étonné de l'audace des
républicains, qui franchissaient avec intrépidité les haies, les fossés et les
mares d'eau, Charette, qui combattait à pied, ordonna la retraite, après
avoir riposté, par un feu de file roulant, à la mousqueterie de la troupe de
ligne. Il fut poursuivi, serré de près par les grenadiers d'Armagnac, et
enveloppé trois fois par la cavalerie ennemie ; trois fois il fut délivré par
1a sienne. Au passage du ruisseau de Beau-Séjour, il courut le danger d'être
pris, en voulant protéger la retraite ; et exposé à une gale dc balles, il
eut le canon de sa carabine, qu'il tenait à la main, Coupé en deux. Les grenadiers
d'Armagnac la suivaient à la piste, avec un tel acharnement, qu'il fallut,
malgré la nuit, battre le rappel pour les ramener aux drapeaux. Charette
laissa une centaine de morts sur le champ de bataille. La perte du côté des
républicains fut légère. Le conventionnel Laignelot, envoyé récemment dans la
Vendée prit part à ce combat, marchant à la tête de la colonne, et se tenant
à côté de l'artillerie lorsqu'elle faisait feu. Les vainqueurs bivouaquèrent
autour de Machecoul et placèrent des canons sur toutes les hauteurs. Ces
précautions étaient d'autant plus sages, que dès le lendemain Charette,
rallié à Saint-Philibert, revint sur Machecoul quoique son armée fût réduite
à huit ou neuf cents hommes par la dispersion de la plupart de ses soldats. Il
suivit des chemins détournés, et enleva aisément le premier poste. Le cri aux
armes ! s’étant fait entendre au camp républicain fut suivi d'un coup
de canon et d'une fusillade ; on battit la générale, l’état-major monta à
cheval, et en un instant Ioules les troupes furent protes. Bientôt le
bataillon de la Haute-Saône culbute les tirailleurs de Charette, qui, sans se
décourager, cherche encore à tourner Machecoul. Alors le général Carpentier
fait faire à la moitié de sa troupe un mouvement qui sert de prétexte à
quelques lâches, pour fuir et jeter leurs armes. Sans la fermeté des
officiers, ce houleux exemple se serait propagé sur cette partie de la ligne.
Cependant la seconde brigade, qui filait en colonnes serrées de l'autre côté
de la ville, attaqua avec vigueur les Vendéens en flanc, qu'une charge de
hussards acheva de mettre en déroute : on les poursuivit le sabre levé,
jusqu'au ruisseau de la Marne. Charette, à pied pendant le combat, dut son
salut à la vitesse du cheval qu'un de ses officiers le força de monter ; et
l'armée ne fut préservée d'une déroute totale, Glue par la valeur de La Roberie
jeune, qui, à la tête de la cavalerie vendéenne, arrêta les hussards
républicains. Charette se replia sur le bourg de la Couchaignière, où vinrent
se rallier la plupart de ses soldats. Teh furent les événemens qui, mettant
un obstacle invincible à sa jonction avec La Cathelinière entrainèrent la
perte de Noirmoutier. Depuis
un mois, le général Haxo en méditait la conquise ; mais il ne pouvait y
employer que six mille hommes ; et craignant d'ailleurs d’être inquiété au
moment même de la descente, il différait, pour frapper des coups plus sûrs.
Enfin le général-en chef Thurreau, voulant signaler son arrivée par une
action d'éclat, avait chargé le général Carpentier d'observer Charette et or'
donné l'attaque immédiate de Noirmoutier, bais l'invasion de Machecoul avait
fait suspendre tous les préparatifs. On craignit que Charette n'évitât le
général Carpentier, en passant par Châteauneuf, pour fondre, par la
Crouillère el la Barre de Monts, sur les troupes expéditionnaires. Le général
Thurreau hésita jusqu'à la reprise de Machecoul. Alors se reposant sur la
division qui observait Charrette, et sur s'arrive de nouvelles troupes, il
donna le signal. L’île
de Noirmoutier n'était défendue que par germe à. dix-huit cents Vendéens)
sous les ordres d'Alexandre Pinau, cher des rassemblements de Légé, et
d'autres officiers secondaires peu connus, tels que Bernard Massip, Marc-Antoine
Savin, officier de cavalerie, Noë Gazette, Pierre Bareau, et les capitaines O’Birn
et Dubois, presque tous de l'armée de Charette. Quelques agents des
administrations vendéennes s'étaient jetés aussi dans l’île pour s'y mettre
en sûreté, pleins de confiance dans la garnison, quoiqu'elle fût peu exercée
à une défensive régulière. Quatorze blessures mettaient d'Elbée hors d'état
de commander en personne. L’amour conjugal et les liens de l'amitié
soutenaient à peine ses forces défaillantes ; mais son esprit conservait
toute sa vigueur. Près de deux mille royalistes, vingt pièces de canon, une
position avantageuse et l'espoir d'une diversion de la part de Charette, rassuraient
d'Elbée contre toute surprise. Il comptait aussi sur les secours de
l'Angleterre ; mais l'envoyé de Charette à Londres était parti trop tard,
ayant eu des obstacles à vaincre soit pour appareiller, soit pour échapper
aux bâtiments de la république. Noirmoutier
étant ainsi abandonné à ses propres forces, le général Haxo avec six mille hommes,
entreprit de s'en emparer. L'attaque, dirigée par le chef du génie Du guet,
fut combinée par terre et par mer. Le 25 décembre, quarante gabares pontées,
venant de Nantes, s'approchèrent de Pile et mouillèrent à l'entrée du Coi ;
et quinze autres, garnies de troupes, se rangèrent à côté des premières le
surlendemain. Presqu'aussitôt une batterie, enlevée par les républicains au
poste de la Barre de Monts, ouvrit son feu sur le village de la Fosse. Deux
cents Vendéens gardaient la e6te depuis ce village jusqu'à la Guérinière,
tandis que le gros de la garnison se tenait dans des retranchements.
Plusieurs frégates, corvettes et bombardes, s'étant aussi approchées de l’île,
tournèrent leurs batteries sur les points les plus faibles, et foudroyèrent les
forts où flottait le drapeau blanc. Les forts ripostèrent, et des deux côtés
une formidable artillerie fit un si épouvantable fracas, que l’île entière sembla
menacée d'un bouleversement total. Quelques bâtiments furent endommagés par
le canon ; deux autres périrent par l'effet de la grosse mer. La garnison,
jour et nuit sous les armes, était trop peu nombreuse pour garder à la fois
tous les points de l’île susceptibles d'âtre forcés ; elle était d'ailleurs
épuisée de fatigues. Le danger devenait encore plus pressant par l’attaque du
côté de terre, qu'on ne pouvait plus éviter : on savait que les troupes
étaient en mouvement. Ce fut alors que dans un conseil, M. de Tinguy, gouverneur
pour le Roi, et Massip, commandant de la cavalerie, proposèrent de capituler
; plusieurs officiers vendéens, entr’autres le capitaine Dubois, s'y opposèrent
avec énergie. On consulta d'Elbée, qui ouvrit l'avis d'informer Charette de
la situation de l’île, et de lui demander de prompts secours. Quatre soldats
vendéens, s'étant chargés de cette périlleuse commission, essayèrent, à la faveur
de la nuit, de percer à travers les postes de l'ennemi, qui gardaient le
passage depuis Beauvoir jusqu'à l'Epoi. Trois d'entr'eux furent découverts et
massacrés ; le quatrième, blessé, au bras, rentra dans l'île, et alla rendre
compte au gouverneur du mauvais succès de sa mission. Le capitaine Dubois
était présent ; il dit avec fermeté qu'il ne restait plus qu'à se défendre
jusqu'à la mort, et que tels étaient les sentiments de la garnison, Mais le gouverneur
représenta que l’île serait infailliblement prise d'assaut, et qu’une
capitulation honorable devait prévaloir sur un parti désespéré qui
entrainerait un massacre général. Ce fut
dans ces dispositions de la part du gouverneur, que l’île eut à soutenir
l'attaque décisive des républicains, du côté de terre. Bravant l'obscurité et
même la tempête, près de trois mille hommes, embarqués sur des chaloupes et
des gabares, se présentent dans la nuit du 1er au 2 janvier, sur trois points
différents, pour y effectuer leurs descentes, dont l'une n'était que simulée.
Avant même que les transports ne touchassent la plage, l'adjudant-général
Jordy, impatient de fondre sur les royalistes, se jeta dans la mer jusqu'à la
ceinture, suivi de quelques soldats intrépides ; le reste s'y précipita à
leur suite. Jordy commence la principale attaque à la pointe de la Fosse, qui
était armée d'une batterie, et surprenant le premier poste, ne lui donne-que
le temps de faire feu et de répandre l'alarme. En mettant pied à terre, une
balle lui frappe la cuisse ; Jordy se relève sans se troubler, anime ses
soldats qui enlèvent la batterie, et à l'instant il prend possession de la
côte avec les grenadiers, en se faisant porter à leur tête. Trois cents
royalistes marchèrent presqu'aussitôt vers le lieu du débarquement et après
quelques tentatives pour chasser l'ennemi, se virent forcés de battre en
retraite à cause de l'inégalité des forces. Le jour venait de paraître les
corvettes et les bombardes avaient rouvert leur feu. La frégate la Nymphe,
engagée de trop près, reçut la volée d'une batterie de trente-six, dont
plusieurs boulets l'atteignirent. Entraînée par les courants et ne pouvant
plus manœuvrer, elle échoua devant l’île. Déjà les Vendéens poussaient des cris
de joie, lorsque la principale colonne d’attaque, qui s'attendait avec
impatience la marée basse, pour passer à pied et faire sa jonction avec les
troupes de débarquement, traversa le passage de Goi, et vint assaillir le
poste de la Bessotière : il ne put tenir longtemps. Les troupes
abordaient de tous côtés. Les généraux Haxo et Dutruy suivirent de près, à la
tête de neuf cents hommes de la réserve. La jonction opérée, rien ne put arrêter
les assaillants, qui bravaient le feu des batteries de l'intérieur. La difficulté
n'était pas d'aborder, mais de s'emparer de la ville, défendue par quinze à
dix-huit cents hommes, et par vingt bouches à feu, dont plusieurs de gros
calibres. L'impossibilité de se déployer au milieu de marais salants coupés
en sens divers, et de np4rcber autrement que par le flanc, fit multiplier les
colonies attaquantes, dont l'inégalité du terrain cacha le peu de profondeur.
Cette manœuvre donnait aux assaillants l'avantage apparent d’une force supérieure
à leur force réelle. Toutes les batteries des côtes ayant été enlevées ; au
pas de charge, les Vendéens, pressés et poursuivis de toutes parts, se replièrent
sur Noirmoutier, et se rangèrent en bataille dans leurs retranchements, sous
les murs de la ville. L’approche des colonnes d’attaque, le feu de la flottille,
le désordre inséparable d’une lutte si violente, mais surtout la faiblesse et
même la lâcheté de quelques chefs, jetèrent les royalistes dans la confusion
et le découragement. Tandis que les uns demandaient à capituler, d’autres se
battaient avec acharnement et refusaient de se rendre. Parmi
ces derniers, Le Mercier d’Apremont se fit tuer en criant le Roi ou la
mort ! et le capitaine Dubois, blessé, renversé aux pieds des
retranchements, dit qu’il ne voulait point mourir par les mains des bourreaux
de son Roi, et il se brilila.la cervelle. D'autres Vendéens, criblés de
balles et se soutenant à peine sur leurs genoux, continuaient à faire feu.
Mais les deux partis diffèrent dans le récit d'un événement déplorable d'une
part, et atroce de l'autre. Selon les uns, le général Haxo, voulant dompter
une résistance opiniâtre, et ménager le sang de ses soldats, fit proposer à
M. de Tinguy une capitulation, vertu de laquelle la garnison mettrait bas les
armes et resterait prisonnière. Selon d'autres, les royalistes, sommés de se
rendre à discrétion, après une faible défense, jetèrent leurs armes et se
livrèrent, pour ne pas être passée au fil de l'épée. Quoi qu'il en soit, l’extermination
de toute une garnison désarmée, ne saurait être palliée ni justifiée. L'armée
victorieuse, entrant dans la ville aux cris de vive la république ! enveloppa
les prisonniers et les entassa dans une église, en attendant qu'ils fussent
envoyés à la mort. Le général en chef Thurreau, et les commissaires de la
convention, ordonnèrent aussi qu’on s’assurât de tous les habitants de l’île.
Les frégates et les bâtiments légers la tenaient comme bloquée, tandis que les
soldats la fouillaient d'un bout à l'autre. Chefs, prêtres, femmes, paysans,
nul ne put échapper à cette rigoureuse perquisition, et tout fut tramé au
quartier-général. Parmi
vingt-deux officiers royalistes, st faisait remarquer d'Elbée mourant et
accablé sous le poids de la douleur ; il avait auprès de lui sa femme
.et Durand, curé de Bourgneuf : ses derniers moments étaient encore
empoisonnés par ridée que la lâcheté d'une partie de la garnison avait tout
livré et tout perdu. Il regardait la mort comme un bienfait, mais ne pouvait
retenir ses larmes, quand il songeait à la destinée de sa femme et d ses
amis. Chacun se demandait « Que Vont devenir tant de victimes ? seront-elles
immolées sans exceptions ? En se soumettant, la garnison a-t-elle réellement
obtenu la vie ? Les chefs sont-ils seuls destinés à périr » ? Leur sort
n'était-pas douteux. Avant de les envoyer au supplice, les commissaires de la
convention voulaient interroger ceux qui, dans l'espoir d'obtenir la vie, se
montreraient disposés à ternir leur honneur par des révélations. Ils
commencèrent par d'Elbée, non qu’ils eussent l’intention de lui rien
promettre ; mais ils lui auraient laissé entrevoir pour sa femme un traitement
moins cruel. S'étant fait conduire vers ce chef, ils le trouvent couvert de blessures
et étendu sur un lit de camp. « Voilà donc d'Elbée ? disent-ils. — Oui,
répond le généralissime des Vendéens ; voici votre plus grand ennemi, et
cette île ne serait point en votre pouvoir si j'avais pu me battre. — Que
ferais tu si nous t'accordions la vie, lui demanda le commissaire Bourbotte ?
— La guerre ! » dit-il, avec une fermeté égale à celle de Porus
devant Alexandre. Les commissaires s'étant retirés, le général en chef
Thurreau tout en lui témoignant les égards dus au malheur, s'efforça de lui
arracher quelques aveux sur la situation des royalistes et sur leurs projets.
« Générai, lui dit d'Elbée, vous n'espérez pas sans doute obtenir de moi
le secret de mon parti ? Que d'autres achèvent de se déshonorer ; quant à
moi, j'ai assez prouvé que je ne craignais pas la mort ». La noblesse de ses
réponses, et un examen plus réfléchi, me font regarder maintenant comme de
pure invention le discours que lui ont prêté dans cette circonstance, ceux
qui l'envoyèrent au supplice[2]. Est-il probable en effet que
ce chef vertueux couvert de blessures profondes, et pouvant à peine proférer
quelques paroles, se soit épuisé en longues phrases pour dévoiler à des
ennemis implacables le secret, les fautes, les divisions et les faiblesses de
son parti ? C'est là sans doute une de ces listions politiques si souvent
renouvelées depuis, pour flétrir la mémoire des royalistes et les actions de
leurs chefs. Assez de témoignages établissent que d'Elbée ne démentit ni son
caractère, ni sa fierté. Pendant cinq jours, ii fut accablé d'outrages et de
questions ; excédé enfin par cette agonie cruelle, il dit aux généraux et aux
commissaires de la convention : « Il est temps, Messieurs, que cette
tragédie finisse : faites-moi mourir ». D'autres
prisonniers, il est vrai, crurent échapper au supplice par des déclarations
plus ou moins empressées. « Nous nous étions retirés dans cette île,
dirent-ils, espérant y trouver une retraite assurée, dans l'attente des
secours de l'Angleterre. Le chevalier de la Roberie est parti, vers la fin de
décembre, pour ailler présenter au cabinet de Saint-James l'état de nos
forces, de nos ressources et de nos besoins, et pour solliciter une descente
d'émigrés à Noirmoutier. Cette île a été approvisionnée par Charette, pour
quinze à vingt mille hommes pendant plusieurs mois. La Rochejacquelein et
Stofflet viennent de repasser la Loire, avec le projet de réinsurger la Haute-Vendée.,
mais la mésintelligence règne entre ces deux chefs et Charette ; ils sont
disposés, plus que jamais, à isoler leurs opérations ». Quand
les commissaires de la convention n'eurent plus rien à tirer des prisonniers,
ils ordonnèrent la formation d'une commission militaire, pour les envoyer à
la mort, sans en excepter ceux qui avaient mis bas les armes. Rien ne put
fléchir ces farouches démagogues ; ils alléguèrent leur mandat, la nécessité
de se conformer aux décrets de la convention, et de donner un grand exemple.
L'inflexibilité de Bourbotte, l'un d'eux, tenait moins à. la férocité du caractère
qu'à l'esprit de sa mission et à la fureur agit, temps ; elle contrastait
avec l'aménité de ses formes et la douceur de ses traits. On semblait rie
plus connaître alors d'autre manière de vaincre ses ennemis que par une
entière destruction. Déjà la
mort planait sur Noirmoutier ; on cherchait tous ceux qui avaient favorisé
les Vendéens des listes de proscription étaient dressées. Les généraux, en
distribuant des sauf-conduits, s'armeront en quelque sorte le droit de vie et
de mort. Les haines et la vengeance se réveillèrent on s'accusa
réciproquement, soit pour se débarrasser d'un ennemi, soit pour mériter une
exception en augmentant le nombre des victimes. Bernard Massip, qui l'un des
premiers avait mis bas les armes, dénonça un jeune émigré qu'on était parvenu
à soustraire aux recherches. Cette infamie reçut sa récompense ; Massip fut
conduit à la mort. En vain, aux genoux de ses juges, demanda-t-il sa grâce ;
d'autres l'implorèrent avec la même lâcheté, et tout aussi inutilement. René
de Tinguy, Alexandre Pinaud Marc-Antoine Savin, périrent des premiers avec
Massip, d'Elbée mourant fut porté sur un fauteuil, au pied de l'arbre de la
liberté, devenu le symbole de la désolation et du carnage. En le voyant ainsi
traîné au supplice, sa femme s'évanouit ; et revenue à elle, demanda comme
une faveur de ne point lui survivre. Autour de d'Elbée furent rangés Duhoux-d'Hauterive
et Boissy ; une compagnie de grenadiers s'avança pour les fusiller. En ne
voyant que trois victimes, un des commissaires conventionnels dit que c'était
dommage que la partie ne fût pas carrée. « Ah ! reprend un de ses
collègues ; n'avons-nous pas Wieland ? » Et à l'instant même, sans
aucune forme de procès, le malheureux Wieland est dépouillé de ses vêtements
et attaché au quatrième poteau ; vainement il implore justice et demande à être
entendu. L'officier qui présidait à l'exécution, après avoir désigné aux
troupes les victimes par leurs noms ajoute : voici Wieland, ce
traitre qui a vendu et livré Noirmoutier aux rebelles, d’Elbée,
rassemblant tout ce qui lui reste de forces, s'écrie : « Non,
Messieurs, Wieland n'est pas un traitre, jamais il n'a servi notre parti, et
vous faites mourir un innocent ». Il dit ; mais le plomb siffle, et tous
quatre ne sont bientôt plus. La
mémoire de Wieland a été réhabilitée depuis, et vengée par des regrets
publics. Mon impartialité me fait un devoir de consigner ici la preuve de
l'innocence de ce martyr de la révolution, sur le compte duquel j'avais
d'abord été trompé par des renseignements infidèles[3]. Les
exécutions se succédèrent, et les cœurs s'émurent encore plus le lendemain,
quand on vit marcher aussi à la mort l'épouse du malheureux d'Elbée et madame
Taurin, qui lui avait donné 6a maison pour asile : la première, au moment de
la reddition de l’île, avait dédain de se travestir et de s'évader, ne
voulant point se séparer de son mari ; la seconde avait tout bravé pour
exercer une hospitalité courageuse dont les sentimens étaient clans son cœur.
Toutes deux marchèrent au supplice avec fermeté, demandant pour unique race
que leurs corps, après l'exécution ne fussent point abandonnés aux insultes
des soldats. Tous les prisonniers, quel que fut leur rang, leur profession,
furent exécutés : soit à mitraille, soit à coups de fusils. Les scènes
sanglantes du Mans et de Savenay se renouvelèrent, et deux mille royalistes
périrent désarmés, pour n'avoir pas su se défendre. La vengeance des républicains s'appesantit aussi sur les habitants de Barbatre, accusés d'avoir livré l’île à Charette. Quand les proconsuls, qui voulaient même raser Barbatre, furent rassasiés de sang, ils rendirent compte de leur conduite à la convention, qui approuva tout. « La reprise du poste important de Noirmoutier, mandèrent-ils, ôte aux rebelles toute communication par mer avec la perfide Angleterre, et rend à la république un pays fertile en subsistance. Nous avons nommé l’île Bouin l’île Marat, et celle de Noirmoutier de la Montagne ». Adulations ridicules autant qu'éphémères ; mais qui ravissaient les démagogues, en consacrant des noms chers à leur faction alors dominante. D'autres factions et de nouveaux partis se servirent, ensuite des mêmes passions et des mêmes moyens, croyant s'affermir ainsi dans les pouvoirs de la révolution. |