Passage de la Loire
par les Vendéens. — Rochejacquelein est élu généralissime. — Défaite des
républicains à Laval. — Mort du général Lechelle. — Alarmes et confusion en
Bretagne. — Incursion triomphante des Vendéens. — Mort de Lescure. — Attaque
infructueuse de Granville. — Expédition anglaise de lord Moira.
Les
Vendéens fuyant leur pays, livré aux flammes et à toutes les calamités d'une
ville prise d'assaut, rappellent ces anciens peuples dont les restes
malheureux couraient au loin chercher une nouvelle patrie ; c'était à la fois
une horde nomade et une armée fugitive transmigration surprenante, qui a
donné lieu à des versions absurdes, à des récits pleins d'exagération que
l'histoire doit rejeter. J'ai tout examiné sur le théâtre marne de la guerre
; j'ai comparé tous les mémoires, et je n'avancerai que des faits certains. Quand,
à l'aube du jour, le 18 octobre, les chefs vendéens entrèrent à
Saint-Florent, un spectacle inouï et qu'on ne reverra plus, s'offrit leurs
yeux étonnés. Quatre-vingt mille fugitifs, soldats, femmes, enfants,
vieillards, prêtres, nobles, laboureurs, couvraient la plage qui, des
hauteurs de Saint-Florent, se prolonge en forme semi-circulaire jusqu'au bord
de la Loire. Cette multitude confuse, fuyant l'incendie, le meurtre, poussant
des gémissements et des cris, se pressait p6le-méle dans cette vallée étroite.
Là, dans le trouble, chacun cherchait sa famille, ses amis, ses défenseurs,
pour traverser le fleuve en toute haie, comme si au-delà il n'existait plus
aucun danger. Tous tendaient leurs mains suppliantes vers la rive opposée, où
l'on apercevait une autre multitude dont on entendait les cris plus sourds.
Une vingtaine de barques allaient et venaient, mais trop lentement au gré de
l'impatience de tant de femmes au désespoir, d'entons éplorés, ci de l'armée
entière qui demandait à grands cris de passer au-delà. Ce désordre, cette
foule éperdue, cette affreuse incertitude de l'avenir, cette vallée, ce
fleuve qu'il fallait traverser, retraçaient, selon l'expression d'un témoin
célèbre[1], la redoutable image du
jugement dernier. Les uns trainent ce qu'ils ont de plus précieux, d'autres
portent, soit leurs enfants, soit leurs pères, accablés d'années ; ceux-ci
veulent sauver leurs voisins, leurs amis couverts de Mes-sures ; tous rie
voient plus de salut que sur l'autre rive ; ils y sont appelés par les
Angevins et par les Bretons, qui leur amènent des bateaux à force de rames,
en leur criant : « Venez, hâtez-vous ! de notre côté vous trouverez
des royalistes, des secours, un asile ». Le ciel était si pur, le fleuve si
calme qu’on pouvait s'entendre d'une rive à l’autre ; c'était à qui se jetterait
dans ces barques légères. En vain quelques officiers s'efforcent de retenir
leurs soldats ; mais il n'est plus temps, nul n'écoute plus la voix des
chefs. Deux généraux, La Rochejacquelein et Lescure, s'opposent opiniâtrement
à ce passage, ou plutôt à cette fuite. Le premier, livré au désespoir,
s'écrie que l'armée est perdue, qu'il faut combattre encore et rester tout
prix sur le théâtre de la guerre ; le second voudrait mourir dans la Vendée,
dût-il tomber au pouvoir des républicains. On leur représente que rien au
monde ne pourrait arrêter le torrent, qu'abandonner l'armée dans cet instant
critique, ou la partager en deux, serait en consommer la ruine ; que l'effroi
d'ailleurs est tel, qu'à la moindre apparition des hussards ennemis, cette
multitude désolée se précipiterait dans la Loire ; qu’il n'y a d'espoir de
ranimer son courage qu'au-delà du fleuve, La Rochejacquelein et Lescure
cèdent à ces raisons, et le sort en est jeté. Dès lors il n'est plus question
que d'effectuer le passage militairement. La conservation de l'artillerie
excitait toute la sollicitude des généraux. Le prince de Talmont avait jugé
que trente canons de différents calibres, et quarante caissons attelés suffiraient
à l'armée royale, au-delà de la Loire ; mais leur faire franchir le fleuve
était une opération hérissée de difficultés. Le seul point favorable pour
tenter l'embarquement était le port des Leards, vis-à-vis d'Ancenis, dont il fallait
d'abord s'emparer. Talmont et d’Autichamp, suivis par les Vendéens les plus
déterminés, se jettent dans les premières barques ; ils abordent à Varades,
et ralliant les Bretons qui venaient de s'emparer de ce poste, ils marchent
sur Ancenis par la route de Nantes. Ni ses barrières, ni ses grilles de fer,
ni une forte garnison, ni la présence du conventionnel Meaulle ne peuvent garantir
Ancenis. Malgré une grêle de balles, Talmont et d'Autichamp, à la tête des
Bretons et des Angevins, emportent les retranchements ; ils s'emparent de la
ville, secondés, il est vrai, par Piron, qui, arrivé de l'autre côté du
fleuve avec l'artillerie, fit tirer plus de cent coups de Canon pendant
l'attaque. La
prise d'Ancenis mit au pouvoir des royalistes une quarantaine de barques.
Talmont et d'Autichamp les envoyèrent aussitôt à Piron, qui effectua le
passage de tout le train avec promptitude et peu de péril, les Vendéens
n'étant plus inquiétés ni sur l'une ni sur l’autre rive. C'était à Saint-Florent
que le gros de l'armée continuait le passage avec le même bonheur. Soit excès
d’infortune, soit un reste de fermeté, chacun gardait alors un morne silence :
plus de larmes chez les femmes, plus de plaintes chez les hommes ; le
sentiment de la propre conservation, le désespoir d'une telle fuite
absorbaient toutes les âmes. Tous auraient voulu traverser le fleuve en même
temps ; à défaut d'embarcations, les uns se jetaient à la nage, d'autres
traversaient à cheval, car le temps se soutenait magnifique et la Loire extrêmement
calme. Des milliers de Vendéens couvraient ses deux rives. Les îles qui, sous
Saint-Florent le divisent, en rendaient la navigation, plus sûre, mais plus
lente. On vit la cavalerie passer le premier bras à cheval, et les cavaliers,
arrivés au second bras, passer en barques et leurs chevaux à la nage.
L'arrière-garde seule, où se trouvaient Lyrot et Designy, Saint-André et Rostaing,
fut harcelée devant Ancenis : elle gagna néanmoins l'autre bord. Sur l’avis
d'un espion, le conventionnel Merlin de Thionville s’était mis à la tête de
trois cents chevaux, et avait forcé Rostaing à s'embarquer en désordre,
sabrant et noyant quelques soldats, faisant plusieurs femmes prisonnières, et
tuant de sa main le curé Rodrigue de Basse-Goulaine, au moment où il mettait
le pied sur une barque. Deux obusiers et quelques canons démontés, restés sur
la grève, tombèrent aussi en son pouvoir. Malgré les coups de fusils, les
dernières barques atteignirent la rive droite, tandis que les royalistes, qui
y étaient déjà, faisaient pleuvoir sur les républicains une grêle de
mitraille et brûlaient les bateaux. Ainsi, malgré l'opposition de quelques
chefs ; malgré la confusion, le désordre ; malgré la quantité, prodigieuse de
bagages, de chariots, de voitures, de canons, de caissons, vingt à trente
barques suffirent, tout passa ; et en un jour et deux nuits quatre-vingt
mille Vendéens, sans préparatifs, sans pontons eurent touché à la rive
opposée. Le 19
octobre, Westermann et son avant-garde parurent à la vue de Saint-Florent,
quand les bateaux voguaient depuis quarante-huit heures. Toute
l'arrière-garde vendéenne était en sûreté sur la rive droite, malgré les
indignes efforts des prisonniers républicains, qui faisaient feu sur leurs
libérateurs. Ô honte ! ceux mêmes qui devaient la vie à la magnanimité des
chers royalistes, égorgèrent les traîneurs et tirèrent sur l'armée fugitive !
L'arrivée tardive de Westermann, les coups de canons répétés, ne signalèrent
que leur rage et leur impuissance. Arrêtons-nous
ici un moment, et entendons les détracteurs de cette expédition
d'Outre-Loire, appeler sur elle le blâme de l'avenir. Ce ne fut, disent-ils,
qu'une entreprise insensée, fatale aux royalistes, dont elle précipita la
ruine. Du moins la postérité n'en imputera pas les désastres à Bonchamps, qui
l'avait conçue dans l'intérêt de son parti. Lui seul, pouvait en assurer le
succès ; personne ne doute qu'il n'eût surmonté tous les obstacles en
soulevant la Bretagne, ainsi qu'il en avait le dessein ; mais il fut blessé à
mort, et d'autres conduisirent les Vendéens au-delà de leurs limites. La
mémoire de Bonchamps ne saurait être responsable des fautes commises en
Bretagne par d'autres que par lui. A la vérité, par cette transmigration, la
Vendée fut abandonnée presqu'entière aux républicains, qui s'acharnèrent à y
porter la dévastation et la mort. Mais qu'aurait pu tenter une multitude fugitive
et en désordre, n'obéissant plus à ses chefs, traînant à sa suite, comme un
peuple nomade, vieillards, femmes et enfants ? Pouvait-on se flatter, après
trois batailles perdues, de retenir les Vendéens unis et serrés sur l’anciens
théâtre de la guerre ? Un grand nombre avait déjà passé la Loire sans aucune
impulsion des chefs ; le reste regardait l'autre rive comme te terme des
malheurs de l'armée ; tous voyaient la Vendée en feu et les républicains sur
leurs pas. Il n'était plus possible de faire repasser le fleuve 'a ceux qui
s'étaient portés sur la rive droite, ni d'inspirer à cette multitude
épouvantée assez de courage pour hasarder de nouveau le sort des arts ? Le
plus puissant génie n'aurait pas opéré ce prodige. Se faire jour à travers
les colonnes ennemies pour joindre Charette, n'était praticable qu'avec des
troupes disciplinées. Au contraire, découragés par leurs revers, les Vendéens
n'auraient pu soutenir un nouveau choc ni essayer aucune manœuvre en présence
des républicains victorieux, qui les auraient dispersés sans retour ; alors
plus d'artillerie, plus de munitions, plus d'organisation militaire ; ils eussent
péri faute de vivres, dans un pays dévasté, ou seraient tombés isolements sous
le feu de leurs adversaires. Les transplanter en Bretagne, c'était donc les
faire revivre. Toute
la Haute-Vendée, d'ailleurs, ne resta point déserte ; un assez grand nombre
de royalistes s’y tinrent cachés., et près de trois à quatre mille se
je*tient en armes dans la Basse-Vendée, sur le territoire de Charrette :
il y eut alors deux guerres au lieu d'une. Invariable dans sa résolution, ce
chef, qui s'était déclaré tant de fois contre le passage de la Loire, n'a ait
pas suivi la grande armée, quand même les républicains lui eussent ouvert le
passage ; mais sans Pat-taquer alors en forces, ceux-ci se bornèrent è
essayer de couper toute, communication entre le Haut et le Bas-Poitou. Ainsi
la transmigration des Vendéens fit renaître une armée royale, et de grandes espérances
vinrent adoucir l'infortune des guerriers de la rive gauche. On proclamait
leur destruction à la tribune conventionnelle, et ils préparaient encore des
prodiges sur un théâtre nouveau. Bientôt la Frange et l'Europe, admirant leur
indomptable audace, crurent voir se réaliser la fable de l'Hydre. Réunie
toute ornière à Varades, l’armée catholique protégée par trente bouches à feu
occupait, dès le 19 octobre, une bonne position. Elle poussait même ses avant-postes
jusqu’à Ingrandes, sur la route d'Angers. Ses généraux, n'ayant plus ni
Bonchamps ni d'Elbée, sentirent la nécessité de se donner un commandant en chef
qui eût la confiance générale. Lescure réunissait toutes les voix ; mais il
était blessé mortellement, et lui-même désigna La Rochejacquelein comme le
seul capable de ranimer le courage des guerriers de la Vendée. « Je sens la
mort s'approcher, dit Lescure d'une voix affaiblie, et si, pour me sauver, la
nature opérait un miracle, je ne voudrais n'être que l'aide de camp de mon
ami ». En indiquant ce choix, Lescure exprimait le vœu de l'armée entière.
Tous les chefs s'assemblent à Varades, et nomment, à l'unanimité, La Rochejacquelein
généralissime. Aussi modeste que brave, ce jeune gentilhomme s'était dérobé
aux regards de l’armée. On le cherche, on le trouve les yeux mouillés de
larmes, protestant qu'il ne se croit pas digne du généralat, n'a ni assez de
talent, ni assez d'expérience pour remplir des fonctions à la fois si
honorables et si difficiles, que ce n'est guère à vingt-et-un ans qu'on peut
tour-à-tour présider aux combats et aux conseils, avec la même fermeté. Mais
l'armée entière ne songeant qu'à ses qualités héroïques, le proclama. La
Rochejacquelein parcourt aussitôt toute la ligne, qui fit entendre les cris
répétés de vive le Roi ! vive La Rochejacquelein ! Ces
premiers moments de tranquillité furent marqués par les honneurs funèbres que
les royalistes rendirent à Bonchamps, dont la perte était profondément
sentie. Toute l'armée éleva des vœux à l’Eternel, pour le repos glorieux de
ce digne soutien de l'autel et du trône. A la
vue de l'armée royale passée toute entière de l'autre côté du fleuve, les
républicains furent saisis d'étonnement. Ce passage, effectué contre toute
attente, renversait leur plan d'extermination. Les généraux et les
commissaires de la république s’assemblèrent précipitamment à Beaupreau, en
conseil de guerre. Il fallut d'abord changer les dispositions arrêtées la
veille. Le général Lechelle fut d'avis de faire passer de suite la Loire à
ramée, pour la mettre à la poursuite des Vendéens ; mais de grands obstacles
se présentaient. On manquait de pontons et il n'y avait point assez de
barques. D'ailleurs l'artillerie royale, braquée sur les hauteurs de Varades,
annonçait assez qu'on était résolu de défendre vigoureusement le passage. Fun
autre celé, il était à craindre que, dans leur désespoir, les Vendéens se
portassent sur Angers ou sur Nantes, pour de là étendre la guerre civile. Que
d'efforts et de combats ne faudrait-il pas alors pour les détruire ? Mais
délibérer au lieu d'agir, c'était perdre un temps précieux. Le général
Lechelle se rendit au vœu de la majorité, et l'armée prit séparément la
double direction de Nantes et d'Angers, pour y passer rapidement le fleuve.
La plus forte colonne se porta sur Nantes, afin d'arriver le 20 et de
repartir le 21, en deux divisions, dont l'une se dirigeait sur Rennes, et
l'autre, aux ordres du général en chef, sur Ancenis. L'avant-garde, sous la
conduite du général Beaupuy, marchait déjà pour garantir Angers. Quelques
bataillons restèrent dans le centre même de la Vendée, avec la seule
instruction d'y continuer le massacre et l'incendie. Le
général Lechelle, n'ayant aucun avis certain sur la marche des royalistes,
n'en pressait que plus vivement celle de ses troupes. Dès le 18 octobre, deux
à trois mille Vendéens, arrivés des premiers à Varechs, avec Desessarts, Dehargue
et le chevalier Duhoux avaient repoussé jusqu'aux portes d'Angers le peu de
troupes que leur avait opposé l'Adjudant-général Tabari, chargé aussi de la
défense d'Ingrandes, poste intermédiaire entre Varades et Angers ; Tabari
perdit deux canons. Pour le soutenir, une partie des anciennes garnisons de
Condé et de Valenciennes sortit des Ponts-de-Cé ; mais le général Aulanier,
qui amenait ces renforts, ne fut pas plus heureux que Tabari. Cependant
le gros de l'armée royale n'attendait plus à Varades que la décision du
conseil pour se mettre en mouvement. Il était temps de quitter Varades et ses
environs s cette multitude errante manquait de vivres et affamait tout, sans
pouvoir subsister autrement qu'en parcourant chaque jour un nouveau pays.
Tout ce y avait d'étrangers parmi les Vendéens avaient aussi passé la Loire,
tant l'effroi était général. Après le passage., plusieurs se dispersèrent ;
d'autres, et ce fut Ce plus grand nombre, suivirent Le sort des vaincus. C’était
un spectacle à la fois touchant et déplorable, que celui qu'offraient neufs
ou dix mille Vendéennes associées avec résignation au malheur de leurs époux,
de leurs pères et de leurs enfants. Le
conseil décida qu'on marcherait sur Laval. Ce n’était point l'avis de Lescure
si que les Vendéens transportaient avec eux ; il aurait préféré la prompte
invasion d’Angers et de Nantes, soit pour ne pas s'éloigner de la Vendée,
soit pour entrainer le soulèvement de la Bretagne. Mais ce chef était dans un
état si déplorable, qu'il ne put même se faire porter au conseil. Les
généraux royalistes espéraient trouver des secours à Laval, et même plusieurs
d’entr'eux avaient déjà l'intention de se diriger sur la côte de Saint-Malo,
le gouvernement britannique préparait un débarquement. On venait d'en
recevoir l'avis par le chevalier de Saint-Hilaire, émigré breton, arrivé de
Jersey ; il avait traversé la Loire à la nage, et abordé sur la rive gauche
dans la nuit même du 16 octobre. Témoin de la fuite des Vendéens et de tout
le passage du fleuve, il ne fut admis au conseil qu'à Varades, où il annonça
aux généraux qu'un armement pour les secourir allait mettre à la voile.
Saint-Hilaire n'ayant aucune dépêche — il s'en était défait dans un moment
périlleux —, sa mission inspira peu de confiance ; mais comme elle se liait
aux communications établies par Tinténiac, quelques chefs insistèrent dès lors
pour une expédition sur la cote de Bretagne : il fut décidé qu'on marcherait
d'abord sur Laval et sur Rennes. Toute
l'armée se mit en mouvement le 20 octobre, sur deux colonnes, se dirigeant
vers Candé, par les routes d'Ancenis et d'Ingrandes, sans aucun plan de
campagne, sans but décidé, fuyant l'ennemi, résolue cependant de le
combattre partout où il se présenterait, et, du reste, s'abandonnant à la
providence. Ses
éclaireurs occupaient le bourg de Saint-Georges, entre Ingrandes et Angers,
Cette dernière ville était alors remplie de fuyards, et le général. Aulanier
bivouaquait sous ses murs. Dans ces conjonctures alarmantes, l'administration
départementale de Maine-et-Loire, se défiant des généraux, envoya deux de ses
membres, Jacques Duverger et Benaben, pour surveiller les opérations ; ils
trouvèrent, les éclaireurs royalistes qui se repliaient sur Candé.
L'adjudant-général Tabari et le commissaire Duverger les suivirent, entrèrent
à Saint-Georges avec quelques hussards ; et voyant les avant-postes ennemis
se replier à leur approche, ils s'engagèrent imprudemment à trois lieues des
troupes républicaines, sans pouvoir être soutenus. Arrivés à in grande, ils
mirent pied à terre. Les tirailleurs vendéens, pour les envelopper, filèrent
dans les vignes qui bordent la route. L'adjudant-général Tabari s'élança Sur
son cheval et prit la fuite au grand galop ; le commissaire Duverger voulut le
suivre, mais sa selle tourna et le fit tomber. Il reçut à l'instant un coup
de fusil ; et voulant se relever malgré sa blessure, il fut achevé à coups de
sabre par dos cavaliers royalistes. Les hussards se sauvèrent bride abattue
du côté de Champtocé, à travers une pluie de balles : un seul
républicain, le gendarme Marchand, loin de prendre la fuite, préféra se faire
massacrer à côté du malheureux Duverger, son ami. Dans cette rencontre,
quelques dragons d'Orléans passèrent du côté des royalistes. Le
général Aulanier fit halte au château de Sérent, sans oser poursuivre
l'arrière-garde ennemie, qui, rassemblée à Saint-Augustin-des-Bois pour
rallier les traîneurs, prit aussitôt la route de Candi. Le gros de l'armée
catholique occupait déjà cette ville, dont la garnison n'avait opposé qu'une
faible résistance. Les Vendéens marchèrent de Candé sur Segré, qui fut
abandonné aussitôt par quelques soldats et par ceux des habitants qui avaient
embrassé avec chaleur la cause de la révolution. Suivait leur usage
invariable, les Vendéens brûlèrent, à Segré, les papiers des administrations
et l'arbre de la liberté. Le 21,
l'armée catholique quitta Segré et se dirigea sur Château-Gontier :
c'était une forte journée de marche, qu'une pluie continuelle rendit plus
pénible encore. Qu'on se figure une avant-garde nombreuse, traînant avec elle
quelques pièces de canon ; la foule venant ensuite, sans sueur ordre, et
couvrant toute la largeur de la route. Là se trouvaient pêle-mêle
l'artillerie, les bagages, les soldats, des femmes portant leurs enfants, des
vieillards soutenus par leurs fils, des blessés qui se traînaient à peine ; l’arrière-garde
fermait la marche à cette immense colonne tumultuaire qui occupait quatre
lieues de longueur. Ni les soins ni les efforts des chefs ne pouvaient
remédier à cette confusion déplorable, qui ei.it donné à l'ennemi tant de
prise, si, au lieu d'attaquer toujours en tête ou en queue, il eût fait
assaillir les flancs par une excellente cavalerie légère. L'avant-garde
étant à la vue de Château-Gontier, la garnison, excitée par les
révolutionnaires, voulut tenter le sort des armes ; mais cédant après deux
heures d'escarmouches, elle abandonna la ville aux royalistes. Ceux-ci y
entrèrent, animés du désir de la vengeance. Ils venaient d'apprendre qu'a',
leur départ on avait massacré, de sang-froid, quelques-uns de leurs blessés,
restés en arrière. Ils vouèrent à mort, par représailles, les révolutionnaires
composant les autorités de Château-Gontier : on les fusilla la plupart.
Le curé constitutionnel eut le même sort. Bernard de Marigny fit saisir, dans
une cave, le juge de paix, qui s'y était caché et qu'on venait de lui
dénoncer comme révolutionnaire féroce ; il le tua de sa main sur la place
publique, et se souilla par d'autres exécutions semblables, tant les guerres
civiles dénaturent les caractères les plus doux. Toutefois
les généraux vendéens qui nourrissaient l'espoir de soulever le Maine et la
Bretagne, s’efforçaient de maintenir la discipline dans leur armée, et
surtout diemp8cher pillage ils condamnèrent à la peine capitale, pour vol,
deux de leurs soldats pris sur le fait à Château-Gontier. Le 22,
à dix heures du soir, La Rochejacquelein, impatient d'arriver à Laval, fit
battre la générale et ordonna le départ. Il plaça le gros des tirailleurs et
deux pièces de canon en avant-garde, et les bagages au milieu de l'armée.
Dans cet ordre, et sans trop s’écarter les uns des autres, les royalistes
marchèrent sur Laval, que le prince de Talmont ne cessait de leur présenter
comme le foyer d’une seconde Vendée. L'arme fit halte à Entrailles pour se
rallier. Des bruits confus et contradictoires avaient répandu dans Laval
l'agitation et le trouble. A la nouvelle de l'approche des royalistes, le
conventionnel Esnue-Lavallée, qui parcourait le district de Craon, fait
sonner le tocsin, tirer le canon d'alarme, et. demande du secours à tous les
districts voisins. Laval donne deux bataillons armés, trois pièces de canon et
de la cavalerie ; les volontaires d'Ernée, de Craon et de Mayenne s'y
réunissent. Des vedettes sont placées sur toutes les routes ; le tocsin
redouble et l’on bat la générale : cinq à six mille hommes se rassemblent,
armés de fourches, d’instruments aratoires et de fusils de chasse ; enfin des
avant-postes bivouaquent pendant toute la nuit, se tenant sur le qui vive. Au
point du jour, on aperçut l’armée royale toute entière. Son aspect en imposa,
malgré les dispositions de défense. A huit heures du matin commence l'attaque :
les avant-postes sont forcés, les royalistes pénètrent sur plusieurs points à
la fois ; deux administrateurs de la Mayenne, combattant à la tête des
troupes, tombent percés de coups. Les républicains ébranlés, semblaient
n'attendre que le signal de la déroute, lorsque l'adjudant-général Letourneux
prit la fuite à cheval, à travers les rangs de ses soldats, et les entraina
tous. La cavalerie vendéenne acheva de tout disperser. La Rochejacquelein,
sans armes, ayant encore un bras en écharpe, fut le premier à pousser son
cheval et à poursuivre l'ennemi avec tant d'acharnement, qu'il se trouva seul
dans un chemin creux, en face d’un soldat républicain armé de son fusil. Sans
balancer, La Rochejacquelein se jette sur cet homme, qui se met aussitôt en
défense et veut se servir de son arme. Le chef royaliste le saisit, et usant
de sa singulière adresse à manier son cheval, il presse son adversaire avec un
seul bras, le fait chanceler, l’entraine et le terrasse. Les Vendéens
arrivent en foule, et veillent tuer le soldat qui est aux prises avec leur
généralissime. La Rochejacquelein s'y oppose, et dit à son ennemi vaincu : « Vas,
retourne vers les républicains, dis-leur que le général des royalistes, sans
armes et privé de l'usage d'un bras, t'a terrassé et t'a laissé la vie ». Laval
fut envahi aussitôt, et cinq à six cents républicains périrent victimes d'un
dévouement inutile. Les vainqueurs perdirent peu de monde ; mais la mort de
La Guerivière, fils de l'ancien receveur des tailles de Châtillon, qui fut
tué à côté de La Rochejacquelein, en entrant dans la ville, les irrita contre
les vaincus, auxquels ils ne firent point de quartier. Plusieurs républicains
trouvèrent un refuge chez madame de Montfranc, qui sollicita leur grâce et
l'obtint. Cette femme généreuse périt ensuite pour ses opinions, dans un
cachot où la fit jeter le conventionnel Esnue-Lavallée. Les
royalistes avaient deux jours de marche sur l'armée républicaine, qui,
divisée en deux colonnes, décrivait un cercle pour les atteindre. Une
demi-brigade avait passé la Loire, avec la cavalerie légère, à Ancenis ; les
uns à cheval, les autres dans des barques à demi-brûlées ; tandis que le
conventionnel Carrier, à la tête d'une division, s'avançait en grande hâte de
Beaupreau à Nantes. Tout comme à Angers l'alarme et la confusion y régnaient
Carrier y mit tout eu réquisition, afin de parer aux besoins de l’armée. Les
Vendéens auraient donc pu marcher sans obstacles en Bretagne et jusqu'à
Rennes, si la nécessité du repos, si le besoin' de se réorganiser, et surtout
si l'espoir de se recruter n'avait déterminé leur séjour à Laval. Cette ville
riche, populeuse et commerçante, la plias considérable du Bas-Maine, située
sur l'une et l'autre rive de la Mayenne, à quatre lieues du Mans de Rennes et
d'Angers, ne s'était point prostituée, comme tant d'autres, aux passions
révolutionnaires. La majeure partie de ses habitue était restée fidèle aux
principes de la religion ; aussi l'armée royale y fut accueillie avec
enthousiasme. Les dispositions des campagnes n'étaient pas douteuses elles
supportaient avec impatience l’interdiction du culte catholique et la
réquisition militaire. Le peuple de la ville et des villages voisins
remplissait les églises ; il jouissait avec attendrissement du rétablissement
momentané du culte. Les prêtres se succédaient dans la chaire de vérité, et
distribuaient le pain de la parole divine à ces bons villageois qui en
étaient privés depuis si longtemps, Les personnes mêmes qui s'étaient
égarées, venaient se jeter, avec larmes, aux pieds des prêtres, et abjurant
leurs erreurs, demandaient, comme une grâce, de suivre l’armée. Cette
impulsion vive, propagée à propos et sans délai, aurait pu produire de grands
résultats. Mais tout devait s'éclipser comme une vaine ombre : c'était
une de ces heures de ténèbres où la providence semble sommeiller et laisser
le monde livré à tous les désordres. Cependant
les têtes de colonnes de l'armée républicaine, qui s'était portée sans relâche
de Nantes et d'Angers sur Château-Gontier, touchaient à cette dernière ville.
Instruits de leur approche, les généraux vendéens se réunirent en conseil de
guerre, pour décider si l'on se porterait à la rencontre de l'ennemi, ou si,
profitant des deux jours de marche, l'armée catholique poursuivrait sa route
en Bretagne. L'avis de la majorité fut d'aller au-devant des républicains. Westermann,
qui commandait leur avant-garde, marchait déjà sur Laval, qu'il croyait
évacué, d'après un faux rapport. Il était à six lieues de l'armée qui devait
le soutenir, n'avait que quatre mille hommes, et ne s'était pas ne me
concerté avec le général Aulanier, auquel il aurait pu se joindre entre Candé
et. Segré. Persuadé qu'il n'atteindrait que l’arrière-garde royaliste, il marcha
pendant toute la nuit, et arrivé le 25 à la lande de la Croix-de-Bataille, à
trois quarts de lieue de Laval, il trouva les Vendéens embusqués de droite et
de gauche. Quoiqu'assaillie à l'improviste par une vive fusillade
l'infanterie mayençaise n'en fuit point ébranlée ; elle y répondit aussitôt,
et le combat s'engagea avec le même acharnement de part et d'autre ; il dura
deux heures. L'obscurité rendit l'action meurtrière. Dans la mêlée,
républicains et royalistes s'encourageaient réciproquement sans se reconnaitre.
D'Autichamp s'empara d'un caisson chargé de cartouches, monta dessus et en
distribua indistinctement aux amis et aux ennemis. Un paysan du Poitou, qui
s'était battu longtemps près d'un volontaire, se retourne, reconnaît le
républicain et lui casse la tête à coups de crosse. Criblé par les
tirailleurs royalistes, sur le point d'être tourné par Sifflet, et mal
secondé par sa cavalerie, Westermann battit en retraite, et bivouaqua à une
lieue du champ de bataille, pour attendre le gros de l'armée. Ce combat ne
fut que le prélude d'une action plus générale. Toutefois
lx journée du lendemain fut calme pour les royalistes, et se passa en
préparatifs du côté des républicains. La défaite de leur avant-garde venait
de les avertir que L'armée catholique était toute réunie à Laval, et qu'ils
avaient besoin de la totalité de leurs forces pour la combattre. Le général
en chef Lechelle se mit à la tête de, son armée, qui s'élevait à trente mille
combattants. A la suite d'un conseil de guerre, il résolut d'attaquer Laval
le lendemain, tandis que les colonnes des généraux Chambertin et Aulanier
agiraient séparément ; l'une en coupant la retraite à l'ennemi, l'autre en
tournant Laval par Cossé. Le premier manqua de précision ; le second reçut
les ordres trop tard. Il fallait, pour arriver à Laval, traverser une
position flanquée par deux hauteurs au-delà du village d'Entrames. Westermann
et Danican s'y établirent avec une avant-garde de trois cents hommes. Le
général Lechelle, qui avait placé l'armée à deux lieues en arrière, leur
donna l'ordre de quitter leur position. Westermann assure dans ses mémoires
qu'il releva cette faute, et prédit une défaite. Cependant
les paysans vendéens, fiers d'avoir repoussé l'avant-garde républicaine,
comptaient sur quelques jours de repos, et négligeaient, selon leur coutume,
de se garder et de faire des patrouilles ; ils auraient même été surpris dans
Laval, par toutes les forces de l'ennemi, sans le zèle de Forestier. Ce jeune
homme part presque seul, à onze heures du soir, pour aller à la découverte ;
il s'avance vers Entrames, apprend que l'année républicaine y était réunie et
se disposait à une attaque générale, Il rentre aussitôt à Laval, pour rendre
compte aux généraux royalistes de l'approche de l'ennemi. La Rochejacquelein
fait battre aussitôt la générale, et rassemble ses forces à la hâte, dans
l'intention de prévenir l'attaque des républicains par une agression subite. Il
parcourt les rangs et anime ses soldats, « Effacer aujourd'hui la honte
des combats précédents, leur dit-il, est le seul, moyen de salut qui vous
reste. Il ne s'agit pas seulement de vous défendre et de sauver la vie 'à vos
femmes, à vos enfants ; votre cause est celle de tous les royalistes de
France ; c'est celle de Dieu et de la foi de vos pères. Marchons à la victoire.
Les Bretons nous tendent les bras ; ils nous aideront à reconquérir nos
foyers : mais il faut d'abord vaincre ; une défaite serait irréparable
», Le
courage des Vendéens fut enflammé par cette courte harangue. Lescure lui-même
voulait se faire porter dans les rangs et aller au combat. A peine fut-il arrêté
par l'état alarmant de ses blessures, et par les supplications de sa femme et
de ses amis. S'étant fait traîner à un balcon, il encouragea, de la voix et
du geste, les Vendéens qui défilaient pour aller au feu. Ils
s'emparèrent des mêmes hauteurs que venait de quitter Westermann, et le
généralissime envoya aussitôt Martin de La Pomeraie connu sous le nom de
Martin le gendarme, pour reconnaître plus particulièrement la position et h
force de l'ennemi. Cet intrépide officier s'étant acquitté avec célérité de
sa commission, vint faire son rapport aux généraux, qui., à la tété de leurs
colonnes, marchèrent au-devant de l'armée républicaine. Le combat commença
vers sept heures du matin entre Laval et Entrames. Dès qu'on fut à portée du
canon, Bernard de Marigny ordonna de faire feu à mitraille sur les Mayençais
qui formaient l'avant-garde. Ceux-ci avaient à soutenir la gloire de Mortagne
et de Chollet ; ils se battirent avec acharnement. Le
général Lechelle croyant attaquer le premier, avait placé son armée sur une
seule colonne, le terrain ne permettant pas de la diviser avec avantage.
Prévenu et assailli brusquement, il crut pouvoir se développer ; mais sa
mauvaise position, ainsi que le défaut de combinaison et d'ensemble, firent
manquer tous ses mouvements. La tête de la colonne républicaine étant
enfoncée, les tirailleurs Vendéens se précipitèrent sur elle par pelotons, et
firent tout plier : le désordre de l'avant-garde gagna bientôt le corps
d'armée. Il recula jusqu'à Entrames ; lâ le combat devint général. Une
batterie arrêta les royalistes. Stofflet, placé aux premiers rangs, se tourne
vers Saint-Hilaire, émigré breton, venant de Jersey, et lui dit : « Voulez-vous
que je vous montre, Monsieur, comment dans notre armée on enlève une batterie ? »
Sans attendre la réponse, il ordonne à Martin le gendarme de s'emparer des
canons qui foudroyaient les Vendéens. Cet officier, suivi de quelques braves,
se précipite sur les canons, tue les canonniers sur leurs pièces, et après
s'en être emparé, les tourne contre les républicains. Cette action héroïque,
donnant une forte impulsion à l'armée, elle s'avança pour soutenir des hommes
si intrépides. Cependant
les Mayençais faisaient les plus grands efforts pour reprendre et la batterie
et la position, d'où semblait dépendre le sort de la bataille ; mais les
royalistes tinrent ferme. En dirigeant les canons enlevés aux républicains, La
Marsonnière, officier d'artillerie, fut blessé grièvement d'un coup de feu,
et au moment où Royrand revenait au galop, apporter des gargousses, dont
manquaient les canonniers, une balle le frappa à la tête. Les conducteurs de
l'artillerie voulaient fuir ; des coups de fouet et de plat de sabre les
forcèrent d'avancer. L'opiniâtreté des Vendéens à défendre et à conserver
cette position, assura la victoire. Déjà les Mayençais étaient forcés une
seconde fois de céder le terrain. La division de Blosse, partie le même jour
de Château-Gontier, pour se réunir aux combattants arriva au pas de course,
et ne put empêcher la déroute, dans laquelle elle-même fut entrainée. Le
général Le belle s'efforça inutilement d'ara-ter la colonne de gauche.
Quoiqu'enfoncés, les républicains se battaient encore, mais en reculant
devant les Vendéens, se préparant ainsi une entière défaite. Suivant leur
coutume, ceux-ci s'élançaient à la poursuite des-vaincus mais La
Rochejacquelein arrhait leur impétuosité, qui eût pu devenir funeste. Il
ordonne d'avancer en masse, et défend à aucun royaliste de sortir de la ligne
; lui-même la parcourt en faisant marcher en ordre toute l'armée, que
l'espoir d'un entier succès anime. En vain les républicains reforment leur,
rangs derrière les haies, les arbres, les maisons qu'ils rencontrent sur leur
passage ; ils voient toujours devant eux une masse énorme qui les presse et
les force d'abandonner successivement toutes leurs positions. Enfin ils
s'appuient, pour dernière ressource, sur leurs nombreux bagages, et veulent
tenter un dernier effort. Le combat recommence avec une nouvelle furie ; les
deux armées paraissaient résignées à périr plutôt que de reculer de nouveau.
Alors Dehargues, par une manœuvre hardie, tourne avec line colonne, les
bagages et s'en empare. Les républicains déconcertés, se replient précipitamment
vers Château-Gontier, toujours poursuivis par les vainqueurs. Aux approches
de la ville, Stofflet, après cinq heures de combat, se glisse, à la chute du
jour, à la tête des tirailleurs d'élite, derrière les colonnes, et les
assaillit en flanc, ne faisant feu qu'a quarante pas, toujours soutenu par La
Rochejacquelein. Les deux partis s’entremêlent, se confondent ; les fusils
deviennent inutiles ; on se bat à l'arme blanche ; on se poignarde ; on se
renverse, et le champ de bataille n'est plus qu'un théâtre de carnage. Des
corps entiers de républicains, malgré des prodiges de valeur, sont coupés et
faits prisonniers. Les Mayençais, entourés, ne peuvent ni combattre, ni se
rallier, ni faire leur retraite ; plusieurs se noient dans la Mayenne ; trois
cents se sauvent à la nage et gagnent Craon. Un bataillon met bas les armes.
Schetou, officier dans la division de Stofflet, fait entourer les prisonniers
dans un vallon, où ils sont tous fusillés : action atroce, digne de l'horreur
des temps, et que ne peut justifier le droit de représailles. Les
fuyards cherchaient un asile à Château-Gontier ; mais tel était l'acharnement
des vainqueurs, que ni les distances, ni les retranchements, ni les canons ne
purent les arrêter. L'entrée de la ville est défendue par la Mayenne, sur
laquelle est un pont où les républicains venaient de placer une batterie
chargée à mitraille. Le général Beaupuy y avait aussi rallié quelques
bataillons ils soutinrent le choc et furent criblés. Ce général blessé d'une
balle dans la poitrine, s'écrie en tombant : « Je n'ai pu vaincre pour
la république, je meurs pour elle ! » Emporté loin du champ de
bataille, il envoie sa chemise teinte de sang à ses grenadiers. A cette vue,
ces braves redan-Ment d'efforts pour arracher la victoire aux royalistes. Château-Gontier
leur fut disputé avec acharnement. « Mes amis, dit La Rochejacquelein aux
paysans victorieux, coucherons-nous ici et les vaincus dans la ville ? Si
nous n'enlevons pas ces retranchements et ces canons, nous n'aurons encore
rien fait ». 4es plus braves s'élancent aussitôt avec intrépidité ; la première
décharge en abat un grand nombre, mais la batterie les retranchements et la
ville sont enlevés. Les Vendéens y pénètrent et s'y établissent
militairement. A minuit,
les républicains revinrent 'à h charge ; d'abord leur attaque imprévue étonna
l'armée victorieuse et y porta le désordre. Frappés de terreur, un grana
nombre de Vendéens quittent leurs rangs ; mais bientôt ils se trouvent
pressés entre l'ennemi et les renforts qu'aine : va La Rochejacquelein. Au
milieu de ce conflit tumultueux de deux foules marchant dans une direction
opposée, plusieurs soldats périrent suffoqués, et Stofflet, major-général,
eut un cheval étouffé sous lui. Les efforts incroyables de ce chef et du généralissime
dégagèrent enfin les royalistes, qui-reprirent l'offensive. Les Mayençais ne se
voyant pas soutenus, et forcés de céder à leur destinée, abandonnèrent une
seconde fois Château-Gontier aux vainqueurs. Ainsi ces mêmes Vendéens, battus
et fugitifs huit jours auparavant, venaient de renverser une armée
formidable, de détruire, en une seule bataille, presque toute cette brave
division de Mayence, la terreur de la Vendée. A la vérité, cette bataille
dura un jour et une nuit, et La Rochejacquelein y déploya les talents d'un
capitaine expérimenté. Marchant toujours à la tête des siens, dirigeant ;
lui-même toutes les colonnes, il montra un sang-froid qui semblait ne pouvoir
s'allier avec l'impétuosité de son courage. Il parcourait sans cesse toute la
ligne, faisant avancer ceux qui retardaient la marche, et modérant
l'impatience des plus ardents ; aussi vit-on ces mêmes Vendéens attaquer
toujours en masse les bataillons ennemis, comme aurait pu le faire une armée
discipline. La
perte des républicains, en hommes, en bagages et en artillerie, fut immense
vingt-deux pièces de canons restèrent au pouvoir des vainqueurs ; et quinze
mille fuyards ne se crurent en sûreté que derrière les murs d'Angers, où
douze jours leur suffirent à peine pour se réorganiser complètement. Le
général Lechelle, insulté par ses propres soldats, menacé par Merlin de
Thionville, n'eut pas la consolation de périr les armes à la main ; peu de
jours après il mourut à Nantes, de honte et de douleur. Cet homme
présomptueux, ancien maitre d'armes à Saintes, devenu chef de bataillon,
élevé subitement au généralat, fit une de ces fortunes rapides et passagères,
qui, nées de la révolution, s'écroulent presque toujours à la suite d'une
catastrophe. On lui dut en peu de temps le gain de trois grandes batailles,
que l'humiliation de la défaite de Laval fit bientôt oublier. Le gros
de l'armée vendéenne, pressé de jouir de la victoire, était rentré
successivement à Laval, et il ne restait à Château-Gontier, avec La
Rochejacquelein, que les plus ardents à poursuivre l'ennemi. Se porter
aussitôt sur Angers, pour de là s'ouvrir le chemin de la Vendée et la
reconquérir avant que les républicains, étourdis de leur défaite, eussent pu
disputer le passage, telle fut sa première pensée : mais il ne lui restait
que peu de soldais ; tous étaient accablés, épuisés de fatigue ; d'ailleurs,
sans ravis du conseil, il n'osa prendre sur lui de donner un tel ordre, qui
eût évité de grands désastres. Il reprit la route de Laval, et pour se
délivrer de toute inquiétude, il chargea d'Autichamp d chasser les républicains
de Craon. Le général Aulanier, qui n'avait pris aucune part à la bataille,
venait de s'y retirer avec sa colonne ; elle était faible, mais intacte.
Réduite par la désertion, elle fut renforcée par l'adjudant-général Chamberlain.
Que pouvaient cinq mille hommes découragés, croyant avoir toute l'armée
royale à combattre dans une ville ouverte ? On tint conseil ; les généraux
penchaient pour la retraite ; mais les commissaires Esnue-Lavallée et
Nicotine tremblaient : pour Rennes, et décidèrent qu'on attendrait l'ennemi.
Tous les ponts sur la route de Château-Gontier furent coupés, sans que ces
obstacles pussent arrêter les royalistes. Ils attaquaient avec tant de
promptitude et de vigueur qu'on eut à peine le temps de gagner la route de
Nantes. Un instant plus tard, l'arrière-garde était tournée. On marcha sur
des cadavres dans la ville : c’étaient ceux des prisonniers que les
généraux républicains auraient voulu sauver, et que le conventionnel Esnue
fit fusiller au moment de la retraite. Cette cruauté irritant les Vendéens,
ils massacrèrent à leur tour les soldats qui tombèrent en leur pouvoir.
Restés maîtres de Craon, leurs canons, pointés dans la cour du château,
grondèrent et firent doubler le pas aux républicains, qui battaient en
retraite. Le détachement rentra ensuite à Laval. L'alarme
était dans Rennes, quand le général Aulanier y rentra. On courait aux armes
de tous côtés, mais sans aucun espoir de résistance. Quelle barrière en effet
pouvait-on opposer l'ennemi ? Maître de Château-Gontier et de Laval, il
n'avait plus à redouter l'armée de l'Ouest, et pouvait marcher droit à
Rennes, sans que Vitré fit un obstacle. Rennes renfermait les dépens de
l'armée, un arsenal, une fonderie : sa conquête aurait entraîné toute la
Bretagne. Les Vendéens eussent pu s'y maintenir, en donnant la main aux Morbihannais,
qui frémissaient d'impatience et renouvelaient leurs tentatives d'insurrection.
La Bretagne cependant comptait des républicains ; mais, au lieu de rassembler
une armée capable de résister, le général Rossignol dissémina ses forces à
Vitré, à Ernée, à Fougères voulant bout couvrir à la fois, il ne put rien
sauver. L'insubordination, le défaut d'ensemble, qui avaient causé tant de
maux sur la rive gauche de la Loire, s'introduisirent encore dans les rangs
des républicains. On revit sept à huit armées agir sans liaison, et ne
retrouver la victoire que lors. Glue l'autorité supérieure, concentrée de
nouveau dans une seule volonté, et une volonté ferme, rendit aux mouvements
des troupes l'accord qu'elles n'avaient plus. Ce
n'était partout que confusion et sujet dia-larme. Paris même était livré, relativement
à cette guerre, à des transitions subites, à des impressions contradictoires,
qui souvent changeaient en stupeur tes transports de la veille. « La
Vendée n'est plus, avait dit Barère à la séance du 25 octobre. ; Mortagne et
Chollet sont en notre pouvoir ; les brigands sont presque tous exterminés ;
une solitude profonde règne maintenant dans la Vendée couverte de cendres et
arrosée de larmes. La perte de Bonchamps vaut pour nous une victoire ». C'est
ainsi que la vérité arrachait le plus bel hommage que cet illustre chef pt
recevoir de la bouche même de ses ennemis. A peiné ces paroles avaient-elles
retenti dans la capitale, que la convention, les sociétés populaires, les
autorités, le peuple, les soldats, s'étaient livrés à une joie immodérée. On
avait dansé dans les rues, sur les places publiques, et on s'était écrié
partout : Il n’y a plus de Vendée. Qu'on juge de la profonde
surprise que causèrent les bruits presqu'immédiatement répandus, annonçant la
prise de Noirmoutier par Charette, le passage de la Loire et la défaite de
Laval. Par une lâcheté inouïe, dix mille hommes venaient de livrer, pour
ainsi dire, le passage. L'adjudant-général Tabari paya de sa tête, il est
vrai, la perte d'Ingrandes ; mais Fabrefond, qui avait eu toute l'autorité
sur la rive droite, ne fut pas mis en jugement, et il en fut de rame du commandant
de Varades. Telle est, en révolution, la justice des hommes ! Inculpé
sourdement, le comité de salut public, dans l'impuissance de rien déguiser,
récrimina. Barère, son orateur, reparut à la tribune, et détourna le blâme
sur d'autres. Les principaux traits de son discours ne doivent pas rester
dans l'oubli. « Tout a changé, dit-il, par le défaut d'activité et d'énergie
dans les mesures ; par le manque d'intelligence et d'ensemble dans leur
exécution. Victoires simulées, prises mensongères, demi-succès exagérés,
récits fabuleux, tout aura sa place, et la nation sera vengée. Il approche,
ce jour où le comité, d'une main assurée, déchirera le voile épais qui couvre
toutes ces intrigues lointaines, toutes ces manœuvres locales, toutes ces trahisons
militaires, toutes ces ambitions diverses des généraux, toutes ces passions
minutieuses d'une foule d'agents qui ont trop longtemps circulé dans les
départements rebelles. Administrations départementales, administrations
militaires états-majors, conseils de guerre, intrigants de tous genres,
aristocrates de l'intérieur, et vous-mêmes, généraux, vous serez tous marqués
du sceau de la réprobation que vous méritez ». Barère,
ne dissimulant pas les malheurs qui venaient de fondre sur la Bretagne, avoua
la défaite de Laval, le peu de résistance qu'opposaient les villes envahies
par les royalistes ; et il fit décréter que celles qui leur donneraient des
secours ou qui ne les repousseraient pas, seraient rasées. La convention
ajouta à l'atrocité de cette loi la confiscation des biens de tous les habitants
enveloppés dans une proscription générale. Eclairé
sur l'irruption des Vendéens, le comité de salut public jugea que c'était une
issue, et non un établissement qu'ils cherchaient en Bretagne, et que leur
but devait être de s'emparer d'un port de mer. En conséquence, il arrêta, le
premier novembre, différentes mesures, telles que l'organisation et la
direction des troupes rassemblées et formées dans l'Orne et la Sarthe ;
l'ordre aux généraux Sepher et Rossignol de fermer le passage aux royalistes,
l'un du côté de la mer par le Calvados et la Manche, l'autre par le
département d'Ille-et-Vilaine ; l'envoi d'armes, de monitions et de forces
suffisantes ; et enfin la mise en état de siée des places de Granville et de
Cherbourg. D'autres dispositions furent ordonnées également pour empêcher les
Vendéens de repasser la Loire. Ainsi leur défaite dépendait encore de la
réunion de plusieurs armées. A celle des cotes de Brest et à celle de l’Ouest
devait se joindre l'armée des côtes de Cherbourg, venant du Calvados, sous le
commandement du général Sepher. La direction de toutes ces forces fut confiée
au général Rossignol, incapable de porter un pareil fardeau. Le génie qui,
planant sur tout, aurait pu tout conduire, ne se montrait pas encore ; nul
n'avait alors assez d'ascendant pour vaincre l'anarchie qui s'attachait même
aux armées. Les abus qu'on avait eu tant de peine à réprimer sur la rive
gauche, se renouvelèrent en Bretagne. Une foule de commissaires de la
convention fatiguèrent cette province ; ils n'y cherchaient que le pouvoir
et, une armée à diriger. Nantes devint le alaire des opérations
révolutionnaires de Carrier ; Angers eut dans ses murs l'ardent Francastel ;
Pocholle, à Rennes, tourmenta les troupes et le général ; Thirion parcourut
la Sarthe pour y trouver des armes et des soldats ; Letourneur prépara des
moyens de défense à Alençon ; Laplanche conduisit l'armée des côtes de
Cherbourg vers le Cotentin ; Garnier de Saintes et Lecarpentier allumèrent
dans le département de la Manche, toutes les passions des pauvres contre les
riches ; Esnue-Lavallée se vengea par des cruautés, de n'avoir pu défendre la
Mayenne ; enfin Bourbotte et Turreau, Merlin de Thionville et Choudieu
réorganisèrent à Angers les colonnes battues à Laval. Mais une volonté
unique, prédominante, manquait pour assurer le triomphe de tant d'efforts, qui
tendaient à cerner et à détruire l'armée royale. Maîtresse de Laval, elle
pouvait y acquérir plus de force et de consistance ; mais elle n'y trouva
point les secours promis par le prince de Talmont, soit que le temps eût manqué,
soit faute d'activité dans les tentatives, soit enfin que la province du
Maine n'eût point alors de chefs capables de former et d'exécuter un plan
d'insurrection dont Laval eût été le centre. On ne put donc y établir le
foyer d'une Vendée indigène. Cependant Bernier de Chambré, homme à caractère,
qui avait commandé la garde nationale, et qui était alors proscrit par la
convention comme fédéraliste., offrit à Talmont quatre mille hommes dont il
se réservait le commandement. Il se chargea des premières levées ; mais le
succès ne répondit point à son attente. Trois cents cavaliers royalistes,
qui, après la bataille de Laval se seraient répandus dans les, paroisses
circonvoisines, et y auraient fait sonner le tocsin au nom du Roi et de la
religion, eussent plus obtenu ; et peut-être la province entière se
serait-elle soulevée. La disposition des esprits y était telle, qu'on n'y
avait besoin que d'une impulsion vive et prompte, qui n'eût laissé aucun
recours à l'hésitation. On ne conçoit pas que les chefs de l'armée royale
n'aient pas employé un moyen que devait leur suggérer la nature même de leur
insurrection. Peut-être furent-ils absorbés par l'attention qu'exigeait une
guerre à la fois offensive et défensive, et par les soins que réclamait leur
propre armée, où ils essayèrent d'introduire une sorte d'organisation, La Rochejacquelein
en avait ordonné le recensement. Parmi cette prodigieuse multitude, on Re
trouva que quarante mille fantassins en état de 5t battre, et environ douze
cents chevaux. Le tout fut rangé de nouveau par paroisses et partagé en cinq
grandes divisions, commandes par Fleuriot et d'Autichamp, Villeneuve du Cazau,
Desessarts, Royrand et Piron de la Varène. Un petit nombre d'insurgés du
Loroux et de la Basse-Vendée, qui avaient passé la Loire, se réunirent à
Lyrot et à Designy. La cavalerie resta sous le commandement du prince de
Talmont et de Forestier. Bernard de Marigny, La Marsonnière et le chevalier
de Perault continuèrent de diriger l'arme de l'artillerie, et Greslier l’artillerie
légère. Cent quatre-vingts canonniers, partagés en quatre compagnies, furent
attachés au service de cinquante-quatre pièces de différents calibres. Telle
était alors la composition de l'armée catholique ; elle, comptait aussi un
grand nombre de chefs secondaires, dont la plupart se firent un nom. Tout se
décidait dans le conseil militaire, présidé par le marquis de Donnissan.
Dissous depuis la prise de Châtillon, le conseil supérieur n'existait plus ;
le curé de Saint-Laud, qui suivait aussi l'armée royale, s'étant fait donner le
titre de grand-aumônier, stimulait, par ses prédications, le zèle et la
ferveur de ces nouveaux croisés. Pendant
dix jours de résidence à Laval, les généraux vendéens se firent remarquer
parleur modération. La discipline la plus exacte fut observée. On ne mit en
réquisition que les subsistances nécessaires aux soldats ; tout le reste fut
respecté. Un habitant de Laval, nommé Desprez auquel un Vendéen avait volé un
objet de peu de valeur, s'étant plaint au prince de l'aiment le coupable fut aussitôt
fusillé. Cependant
le conseil en était aux expédients. Comment pourvoir aux besoins pressants et
multipliés d'une armée dont le trésor était vide ? Comment liquider des
dettes urgentes et contractées, soit pour le service des vivres, soit à'
titre d'indemnité pour les dommages occasionnés par le passage ou le séjour
des Vendéens ? Ces questions furent agitées dans le conseil.
L'intendant-général proposa l'émission d'un papier-monnaie., non-seulement
comme un gage fictif nécessaire pour faire face aux réquisitions, mais comme
pouvant balancer l'influence des assignats républicains, en liant tous les
porteurs de bons royaux à la cause vendéenne. Ars quelques débats, la
proposition de Beauvollier fut adoptée. Le conseil arrêta la création de bons
ou effets royaux commerçables, portant intérêt, hypothéqués sur le trésor
royal, et remboursables à la paix. On en créa pour la somme de 900.000
livres, depuis cinq jusqu'à trois cents livres inclusivement. Ils furent
signés par Donnissan, le prince de Talc nt et Beauvollier, tous membres du
conseil, et par le curé de Saint-. Laud, qui avait concouru à la rédaction du
projet[2]. Le 2
novembre, une division enta ainée par Stofflet, s'ébranla vers Mayenne, sans
que les chefs fussent encore bien d'accord sur leur marche, les uns voulant
se porter à Rennes, d'autres sur la cille, et quelques-uns vers Alençon.
D'Autichamp fut d'abord pour ce dernier parti. Le reste de l'armée quitta
Laval et marcha droit à Mayenne, en se tenant sur ses gardes. On avait à
craindre les révolutionnaires de la Sarthe, plus que l’armée de l'Ouest, hors
d'état d'agir ; mais n'osant se mesurer avec les vainqueurs, ils
abandonnèrent leurs retranchements faits à la hâte, et l'armée catholique
entra dans la ville de Mayenne, sans coup férir. Le conseil vendéen y fut
assemblé. On se plaignit du peu de chaleur de la province du Maine pour la
cause royale, et de la légèreté des promesses faites par le prince de Talmont
le choc des opinions contradictoires aigrit les esprits et altéra la
concorde. Comme rien ne fut décidé, on s'assembla de nouveau le lendemain. Talmont,
qui, depuis le séjour de Laval, avait dans le conseil un parti puissant,
insista pour garer la côte. « Vous vous plaignez des Bretons, dit-il, et
nous ne sommes pas même encore en Bretagne. A Laval, n'avons-nous pas trouvé
des secours ? Les campagnes ne nous en préparent-elles pas de plus nombreux ?
En proposant de gagner la côte, je ne fais que reproduire les vues d'un chef
que nous regretterons toujours. Bonchamps vous a prouvé que nous n'aurions jamais
de consistance par nous-mêmes, et qu'il nous fallait l'appui de l'Angleterre.
Si les promesses de Tinténiac ne se sont point encore réalisées, il faut peut-être
n'en accuser que nous n'aurions-nous pas dû passer la Loire plutôt ?
Qu'avons-nous fait dans la Vendée ? Au lieu de nous emparer des Sables-d'Olonne,
nous n'avons pas même pu faire la conquête de Luçon, faute d'accord. Maintenant
l'armée est une et ne connaît qu'un seul chef. Sa sûreté commande qu’elle
reste unie. Nous n'avons plus à redouter, comme à Fontenay, à Saumur, à
Nantes, que nos soldats, si enclins pour leurs bocages, trahissent en quelque
sorte la victoire en faveur de leurs foyers et de leurs proches. Quant à Tinténiac,
il ne nous a pas trompés l'arrivée de Saint-Hilaire le prouve. L'Angleterre
soutient la cause des rois, et par conséquent la nôtre. La communication est
établie entre Jersey et la Bretagne. Que nous demande-t-on ? D'occuper un
point sur la côte pour favoriser le débarquement. Marchons donc vers
Saint-Malo ! à nous trouverons quelqu'issue, ou nous déciderons ce qu'il sera
utile d'entreprendre ». Stofflet,
Rostaing, Fleuriot, Saint-André, d'Autichamp, Desessarts, Piron et
Beauvollier, soutinrent l'avis de Talmont ; il fut adopté. Le même jour
l'armée marcha sur Dol, par Errée et Fougères. Ces deux villes, peu éloignées
l'une de l'autre, n'étaient défendues que par quatre mille républicains,
placés en 'échelons dans une chaîne de postes. Le dix-neuvième régiment
d'infanterie légère, en avant-garde à Ernée, devait, en cas d'échec, se
replier successivement sur la Pèlerine et sur Fougères, Abusé par la
faiblesse apparente d'une colonne royaliste, ce régiment s'avance pour la
combattre. La Rochejacquelein, qui avait divisé sou armée en trois corps, fit
reculer au petit pas celui du centre, à la vue des républicains. Ceux-ci,
emportés par une ardeur imprudente, pain-suivent les Vendéens et s'éloignent
des corps qui devaient les protéger. Tombés dans le pie qu'on leur avait
tendu, ils sont assaillis en queue, en flanc, et taillis en pi ces par les
deux ailes de l'armée royale. Les fuyards jettent l'épouvante dans Fougères.
Les canonniers de Paris avaient établi, sur la principale route et en avant
de la ville, une batterie qui couvrait le reste de la petite armée
républicaine, commandée par l'adjudant-général Brière ; elle était rangée en
bataille des deux côtés de la route, et couverte par des abatis et des
tirailleurs. Ceux-ci, refusant de se battre autrement qu'en masse la cavalerie
vendéenne passa sans obstacle par les chemins de traverse, pour tourner la
position, tandis que le gros de l'armée attaquait de front. Le corps de
bataille soutint d'abord le choc, grâce aux canonniers de Paris ; mais
craignant bientôt de partager le sort de l'avant-garde, il prit la fuite en
désordre vers Fougères, où une partie des assaillons forçait déjà les prisons
pour délivrer deux cents royalistes. Atteints de tous les côtés, les
républicains tombent la plupart sous les coups d'un ennemi victorieux. Si
quelques-uns se jettent dans les maisons et s'y cachent pour échapper à la
mort, les Vendéens les poursuivent et ne Jour font point de quartier ;
aussitôt découverts, aussitôt fusillés. Tout ce qui put se soustraire au
carnage prit la fuite Vitré, à Rennes, Avranches même, jetant fusils et havresacs.
Le défaut de cavalerie aggrava celte honteuse déroute. Les fuyards qui
coururent à Bennes, et ce fut le plus grand nombre, firent, sans s'arrêter,
neuf lieues en neuf heures, malgré une pluie d’hiver et des chemins affreux.
L'alarme se répandit de nouveau dans cette capitale de la Bretagne. Les
généraux, les commissaires, les autorités, furent convoqués extraordinairement
dans la nuit même, chez le général en chef ; ou y agita les questions
suivantes : Ira-t-on à la rencontre de l'ennemi, ou l'attendra-t-on de
pied ferme, en bataille, aux portes de la ville ? Aucune ne fut décidée ; on
se borna a donner l'ordre aux troupes imprudemment disséminées, de se replier
sur Bennes, pour y former un corps d'armée capable de quelque résistance.
Sans aucunes notions positives sur la position et la force de l'ennemi, le
général Rossignol avait imputé à la lâcheté de l'armée une défaite qui ne
provenait que de son impéritie. Un commandant de bataillon, qui lui avait
fait observer le danger du morcellement des troupes, en avait reçu la réponse
suivante : « N'avez-vous pas juré de mourir à votre poste » ? En effet,
les soldats y moururent. Toutes
ces dispositions pour la défense de Rennes devinrent superflues. Les Vendéens
perdirent quatre jours à Fougères, au lieu de marcher en bâte sur Rennes,
pour y fomenter l’insurrection, à laquelle les esprits étaient préparés, On
eût trouvé des ressources immenses dans ce chef-lieu d'une province qui ne
voyait que des bourreaux dans ceux qui la gouvernaient, Le seul district de
Fougères, berceau de la conjuration de La Rouerie, renfermait un grand nombre
da royalistes ; aussi vit-on la-plupart des habitants des campagne ; apporter
volontairement des vivres aux Vendéens, leur promettre des secours, ou se
ranger sous leurs drapeaux. Confondus avec eux, ils accouraient dans les
églises, et, comme à Laval, ils étaient encore électrisés par les prêtres,
qui mêlaient la parole de Dieu à leurs touchantes exhortations. L'un d'eux (P. Jagault) leur parlant avec onction des
malheurs où l’impiété avait plongé la France, présenta à leur esprit l'étonnant
spectacle de la population d'une province entière, obligée d'abandonner ses
foyers pour ne point trahir sa religion et ses devoirs ; 'et peignant des
plus vive couleurs les maux qu'enduraient les Vendéens et les sacrifices
pénibles auxquels ils se soumettaient, il s'écria : « Fidèles et
courageux Bretons ! Si vous voulez vous réunir à nous, ce ne sera point pour
couler des jours heureux et tranquilles. C'est au partage de toutes nos
souffrances que nous vous invitons ; il faudra vous arracher à tout ce qui
vous est cher ; faire à Dieu le sacrifice de cette vie périssable ; et peut-être
que celui qui suscite et arrête les tempêtes, touché un jour de votre
généreux dévouement, opposera une digue à ce débordement de malheurs et de
crimes qui inonde la France. Réunis alors dans ses temples, nous pourrons le
remercier d'avoir soutenu, par sa haute sagesse, les confesseurs de la foi
catholique, et rappelé, par sa miséricorde, les fidèles égarés ». Ce
discours, auquel l'orateur chrétien donna de l’âme et du mouvement, produisit
un tel effet sur les paysans de Fougères que tous voulurent contracter
l'obligation de suivre les Vendéens, et offrirent à l'envi leurs grains et
leurs bestiaux. Mais il ne se trouvait alors parmi eux aucun chef capable de
tirer parti de cet enthousiasme. Le médecin Putaud de la Baronnie se mit seul
à la tête d'une troupe de paysans, et s'attacha comme auxiliaire à l'armée
catholique. Elle avait recruté, depuis Laval, six mille Bretons dont la
bravoure égalait celle des Vendéens. Quelques rassemblements obscurs qui
s'étaient formés récemment aux environs de Vitré, entre Rennes et Fougères,
étant déjà connus sous le nom de Petite-Vendée, on étendit cette dénomination
à tous les insurgés d'Outre-Loire qui joignirent l'armée royale. Mais
l'exemple du Morbihan, de Laval et de Fougères, n'entraîna point la masse de
la Bretagne ; et ces insurrections partielles, bientôt étouffées ou
dispersées, furent perdues pour les Vendéens. Je me borne à les indiquer ici,
me réservant d'entrer, à ce sujet, dans de plus grands détails, quand je
retracerai le soulèvement des royalistes bretons, connu sous le nom de Chouannerie. Ce fut à
Fougères que Georges Cadoudal joignit, à la tête d'une troupe de cent
cinquante Morbihannais, l'armée royale, décelant ainsi son caractère
audacieux et entreprenant. Tout jeune et à peine sorti du collège de Vannes,
il était devenu l'un des principaux moteurs des insurrections de son pays. A
peine eut-il connaissance du passage de la Loire, qu'il conçut le projet de
se réunir aux Vendéens, à la the d'une poignée de paysans déterminés, la
plupart mal armés, les cheveux épars, à la manière des Bas-Bretons. Il
traverse avec eux les forêts, essuyant plusieurs engagements en route, et
arrive enfin à Fougères. Là les chefs Vendéens firent distribuer à sa troupe des
fusils neufs. Georges suivit l'armée jusqu'à Savenay ; mais il fut peu
remarqué à cette époque. Le
séjour de Fougères fut marqué aussi par la mort de Lescure et par ka douleur
qu'en ressentit l'arme. Ce chef célèbre, grièvement blessé à la the, porté
sur un brancard de Varades à Laval, traîné ensuite dans une berline et
escorté par deux cents Vendéens, vit empirer son état à Laval, et mourut
entre Ernée et Fougères, le lendemain du jour où il avait encore paru au
conseil pour y donner son avis. Sa mort ne fut connue qu'à Fougères. Au
moment de quitter la vie, Lescure, tournant ses regards vers sa jeune épouse,
qui, plongée dans la douleur, ne cessait de lui prodiguer les soins les plus
touchants, lui adressa ces dernières paroles : « J'ai servi Dieu et
mon Roi ; mon âme est tranquille, et j’emporte avec moi l'idée consolante que
le ciel veillera sur toi ». A ces mots, il expira avec un visage serein., et
son âme sembla s'élever au ciel, qui a exaucé son dernier vœu. Lescure
s'était signalé autant par sa modération que par sa valeur ; aussi a-t-il
laissé un nom illustre parmi les Vendéens. Dans les dangers, intrépide et
calme, jamais son courage tranquille tic se démentit. Il était doux, poli,
sensible : il mérita, par ses vertus privées et sa bienfaisance, les regrets
de son parti. Brun et d’une taille élevée, ses traits étaient beaux ; mais sa
maigreur et sa pâleur lui donnaient l'air triste et malade, ce qu'on
attribuait à son goût excessif pour l'étude et à sa piété exemplaire. On mit
son corps dans un cercueil, qui fut placé sur un chariot traîné la suite de
l'armée. Les
généraux, réunis à Fougères, firent de nouvelles dispositions, soit pour
établir l'ordre dans ramée, soit pour assigner les rangs et régler les voix.
Vingt-cinq généraux ou officiers supérieurs composèrent définitivement le
conseil ; savoir : Henri
de La Rochejacquelein, généralissime ; Donnissan, gouverneur-général ; Stofflet,
major-général ; Dehargues,
Duhoux, Delacroix, adjudants-généraux ; Talmont,
général de la cavalerie ; Berard,
adjudant de la cavalerie ; Bernard
de Marigny, général de l'artillerie ; Pérault,
commandant en second ; Desessarts,
chef divisionnaire ; Le
chevalier de Beauvollier, divisionnaire en second ; Villeneuve
du Cazeau, chef divisionnaire ; La
Ville de Beaugé, divisionnaire en second ; Charles
d’Autichamp, chef divisionnaire ; Fleuriot
de la Fleuriaye, divisionnaire en second ; Piron
de la Varène, chef divisionnaire ; De Rostaing,
divisionnaire en second ; Royrand,
chef divisionnaire ; Lyrot
de La Patouillère, Designy, divisionnaires en second. Le
vicomte de Scépeaux, attaché à la division d'Anjou ; Sapinaud,
attaché à la division du Poitou ; Beauvollier
l’ainé, intendant-trésorier-général ; Bernier,
curé de Saint-Laud, aumônier, faisant lies fonctions de secrétaire-général. Toujours
mu par son ambition, cet ecclésiastique s'était fait nommer, à force
d'intrigues, premier aumônier de l'armée royale, croyant s'approcher ainsi de
l'épiscopat ; et tandis que les autres prêtres vendéens n'avaient qu'un ruban
violet pour se distinguer, il affectait de porter une bourdaloue d'or. Ce fut
lui qui proposa un arrêté portant que chaque membre du conseil aurait une
écharpe blanche pour décoration. Il jeta ainsi une nouvelle semence de
division dans l'armée ; car tandis que de jeunes officiers qui se trouvaient
aux premiers grades, jouissaient de toutes les distinctions, plusieurs chefs
subalternes, recommandables par leur expérience et par leurs services, se
voyaient soum is. à des 'nargues d'une infériorité humiliante Le
conseil s'assembla fréquemment â Fougères. Quelques chefs insistèrent de
nouveau pour marcher sur Bennes par Vitré, dans l'espoir de faire soulever
toute-la Bretagne. L'opinion
d'un officier transfuge du corps du génie, nommé d'Openheim, qui vint joindre
Les royalistes, fit incliner pour l'attaque de Granville. Cet homme, qui se
vantait d'avoir secondé le général Wimphen dans l'insurrection du Calvados,
avait de l'instruction, un air imposant, et s'exprimait avec facilité. Admis
au conseil, il assura qu'on s'emparerait ai rient de Granville, dont il
prétendait connaître le coté faible. Toutefois
la marche sur Granville fut moins déterminée par son opinion que par
l'arrivée des dépêches que le cabinet de Londres confia a deux de ses
émissaires, dont l'un, M. Freslon, ancien conseiller au parlement de
Bretagne, joignit l'armée Dol. Il se présenta en habit de paysan, et
accompagné d'un guide, après avoir suivi les communications secrètes établies
par Prigent l'intermédiaire le plus actif qu'il y eut entre le cabinet de
Londres et la Bretagne. Envoyé lui-.même directement par le ministère anglais,
Prigent, débarqué de nuit sur les côtes de Saine-Male, avait précédé les
émissaires, vers les premiers jours d'octobre, Il s'y était tenu
soigneusement caché, et n'avait vu qu'un petit nombre de personnes sûres, Là,
recueillant des renseignements positifs sur la situation des Vendéens, il
apprit le passage de la Loire, et en rendit compte de suite à MM. de Gray et
du Dresnay, l'un commandant à Guernesey, relire chargé des affaires
militaires de la Bretagne, depuis la mort de La Rouerie. Sur son rapport, le
ministère envoya en toute baie M. Freslon et Bertin de Saint-Malo avec des dépêches
pour les chefs de la Vendée. Quelques mémoires indiquent aussi M. Desnos. Un
chasse-marée les jeta pendant la nuit sur la plage de l’anse du Genet, d'où
M. Freslon parvint, non sans peine, au quartier-général. On le conduisit aussitôt
devant le généralissime, auquel il annonça l'objet de sa mission. Le conseil
s'assembla immédiatement pour en prendre connaissance. Il apportait ses dépêches
dans un bâton creux, d'où fut d'abord tirée une lettre du roi d’Angleterre,
pleine d'éloges pour les Vendéens, et d'offres généreuses de secours. Les
autres dépêches étaient signées du comte de Moira et de MM. Pitt et Henri Dundas.
Les ministres Anglais réitéraient aux généraux Vendéens les mêmes questions
qu'ils leur avaient déjà adressées par le chevalier de Tinténiac, et ils
insistaient pour savoir quels étaient positivement leur but et leurs
opinions, politiques. Ils annonçaient expressément des secours prompts et
efficaces, engageaient les royalistes à faire une tentative sur Saint-Malo et
dans le cas où cette place serait d'un trop difficile aces, ils leur
laissaient l’alternative d'une attaque sur les hauteurs de Granville, pour
fav6riser le débarquement des troupes qui étaient à bord de l'expédition. Les
émissaires étaient autorisés à se concerter avec les généraux, relativement
au véritable point d'attaque. Après avoir remis toutes les dépêches anglaises
et donné lui-même des explications, M. Freslon cassa son bâton plus bas, et
en tira une lettre du marquis du Dresnay. Ce chef des émigrés bretons
avertissait les généraux vendéens de ne point avoir une confiance aveugle aux
protestations du cabinet de Londres. Tout en avouant que le débarquement
était prêt, il disait qu’on ne devait pas compter entièrement sur ces
apparences ; que les émigrés étaient traités avec une défiance injurieuse, et
ne pouvaient obtenir la permission tant désirée de joindre les Vendéens.
« Sept mille émigrés, ajoutait-il, viennent d’être désarmés, tant à Jersey
qu'à Guernesey ; et telle est la surveillance rigoureuse exercée à leur
égard, qu'aucun d'eux ne peut gagner les côtes de France, sans le
consentement du gouvernement britannique ». Il annonçait aussi, par sa
lettre, que les princes de la maison royale n'étaient point coutre en
Angleterre. Ses doutes sur la bonne foi des Anglais semblaient partagés par
M. Freslon, qui, navré d'ailleurs de l'état déplorable des Vendéens, montrait
peu d'espoir et beaucoup de tristesse. Toutefois, dans la situation désespérée
où se trouvaient les généraux, ils ne pouvaient ni dédaigner des secours, ni
repousser le seul parti qui offrit quelques chances de succès. On fut surtout
entrainé par l’idée de prendre, avec l'aide des anglais, un port de mer, où l’on
pût mettre en sûreté une multitude de femmes, d'enfants et de blessés qui
embarrassaient la marche de l'armée, et dont le nombre s'élevait à vingt
mille. La réponse au roi d'Angleterre fut respectueuse, et exprima des sentiments
de gratitude. Ensuite on dressa rapidement, pour les ministres, un mémoire
contenant l'état général des besoins de l'armée royale. On insista
particulièrement sur un renfort de troupes de ligne et d'artilleurs, sur des
effets de campement et sur un approvisionnement de farine et de riz, La
disette se faisait sentir dans l'arme, et depuis Laval les Vendéens n'avaient
pour toute nourriture que de la galette de blé noir, aliment' grossier, peu
substantiel, et qui occasionnait des maladies. On demanda aussi uni secours
pécuniaire, en se bornant à la somme modique de cinquante mille francs. Mais
ce qu'on réclama le plus vivement ce fut un prince de la maison royale pour
commander l'armée, ou tout au moins un maréchal de France, qui pût mettre un
terme au conflit des ambitions personnelles. Quant à l'attaque de Saint-Malo,
elle fut jugée impraticable, les républicains ayant fait des préparatifs
formidables de défense. Le conventionnel Gilet venait d'approvisionner le
fort Châteauneuf et la citadelle de Saint-Serven. Il fut donc arrêté qu'on se
porterait sur Granville, et les signaux furent convenus avec l'envoyé de
l'Angleterre. La prise de la ville avant l'arrivée des forces britanniques,
devait être signalée en mer par un drapeau blanc élevé entre deux drapeaux
noirs. Cette réponse, signée de tous les membres du conseil, fut rédigée par le
chevalier Desessarts dans un conseil présidé par le marquis de Donnissan.
Freslon fut chargé de remercier verbalement le marquis du Dresnay. Il partit
le lendemain avant le lever du soleil, donnant l'assurance qu'il arriverait
le même jour à Jersey, pour déterminer le départ de l'expédition anglaise.
Tout, dans cette affaire importante, fut traité avec précipitation et
légèreté ; on n'eut égard ni aux obstacles, ni aux distances, tandis qu'on
aurait au contraire, peser les hasards, pour assurer l'exécution d'un plan
subordonné aux chances des éléments, comme à celle des combats. L'armée
qui était partie séparément de Fougères en deux colonnes, pour trouver plus
facilement des vivres, se réunit le 9 novembre à Dol ; des chariots couverts,
faits à la hâte, la suivaient et transportaient les blessés. Pendant la route
se forma la bande noire, ainsi appelée par ceux qui en faisaient partie,
lesquels portaient, en signe de ralliement, un crêpe noir au bras gauche.
Cette troupe de pillards était conduite par La Bigotière et les frères
Toutant de Loudun, transfuges du parti républicain ; il s'y était joint des
allemands et d'autres déserteurs étrangers. Ils commirent tant d'excès, qu'il
fut souvent question de les traduire devant un conseil de guerre. Mais les
circonstances étaient si critiques, que les généraux se virent dans l’impuissance
d'ordonner cet acte de vigueur salutaire. On les força seulement de déposer
dans la caisse de l'armée, quinze mille francs qu'ils avaient volés à un
curé, après l'avoir massacré. On ne
prit que deux jours de repos à Dol, et on se remit en marche le 11 novembre,
pour occuper Pontorson le même jour : le pont y fut aussitôt rétabli.
Dans la route, les hussards républicains, commandas par le général Marigny,
atteignirent des femmes et quelques traîneurs qui furent sabrés. Un
détachement vendéen resta à Pontorson. Lyrot La Patouillère, Verteuil et
l'intendant de l'année, qui étaient à l'arrière-garde, firent couper la
chaussée, afin d'arrêter l'ennemi, alors peu redoutable. En effet, le généra
! Rossignol, dont les troupes se trouvaient réduites à doute mille
combattants, n'osait pour suivre les royalistes sans l'armée de l'Ouest,
également diminuée de moitié depuis sa défaite. La jonction de toutes ces
forces n'eut lieu que le 17 novembre, à Rennes. Les Vendéens auraient pu sans
doute profiter de ce délai, mais le destin en décida autrement. Depuis
le combat de Fougères, le département de la Manche était ouvert aux
royalistes, et il n'y avait, pour le défendre, aucune troupe de ligne. Mais à
l'approche du danger, et malgré la stupeur générale, les conventionnels Lecarpentier
et Laplanche firent sonner le tocsin et' tirer coup sur coup le canon
d'alarme. Ce mouvement devint bientôt électrique. Administrateurs, hommes,
femmes, vieillards, enfants, tout-eu un instant fut debout : douze mille
hommes se réunirent à Saint-L8 en vingt-quatre heures, sans armes et sans
pain. Cette masse tumultuaire ne pouvant rien garantir, il fallut une mesure
hardie pour sauver Granville. Lecarpentier appela ce qui restait de troupes
disponibles à Cherbourg et à la Hogue, et réunissant près de quatre mille
soldats de ligne et quinze pièces de canon, il dirigea le tout sur Coutances,
et couvrit Granville, qu'il déclara en état de siée. Il s'y forma un conseil
défensif ; vu l'état de ses fortifications, la place fut considérée seulement
comme un poste militaire. Lecarpentier
pressait le comité de salut publie de faire couvrir la presqu'Ife du
Cotentin. On avait arrêté à Rennes, le 7 novembre en conseil de guerre, après
une mire délibération, que l'armée de l'Ouest se rendrait, dans le plus court
délai, à Fougères, par Laval, où se tiendrait un autre conseil, pour régler
les opérations ultérieures. On avait également décidé que le général Peyre
prendrait le commandement de Granville, et que le général Sepher, arrivant de
Caen aveu quatre mille hommes, couvrirait Saint-Lô, ferait replier sur
Cherbourg la poudre à canons, munitions, et préserverait aussi le Calvados,
de même que le département de la Manche, au moyen de quelques renforts réunis
à Alençon. Ce corps d'armée, qui ne tarda pas à se signaler sous le nom
d'armée des cales de Cherbourg, venait de partir de Caen pour se porter sur
Vire. Lecarpentier
ordonne une levée extraordinaire depuis vingt-cinq ans jusqu'à trente ; et
croyant relever les esprits découragés par les bruits sinistres et alarmais s
semés de toutes parts, il fait proclamer la peine de mort contre tout
alarmiste dénomination inventée dans ces temps de crise, pour imposer silence
à ceux qui osaient publier les revers ou douter des succès de la république. L'armée
royales inquiète, vina Pontorson et marcha droit sur Avranches, d'où elle
pouvait se porter sur Granville et envahir tout le Cotentin par Villedieu. Il
lui était également facile de pénétrer dans le Calvados, pays rempli de mécontents.
Précédée par la terreur, elle franchit les abattis, les fossés, tous les
obstacles répandais sur sa route e et investit Avranches, dépourvu de remparts
et de grosse artillerie. La garnison, composée de nouvelles levées, abandonna
la ville, qui ouvrit aussitôt ses portes. Un renfort envoyé à son secours
arriva trop tard et rétrograda. Les Vendéens trouvèrent intacte, derrière les
murs de Granville, cette même garnison d'Avranches, qu'ils eussent
indubitablement détruite si elle eût résisté. Pendant
la marche de Pontorson à Avranches, un détachement de cavalerie se porta au
mont Saint-Michel et y délivra de malheureux prêtres, qu'on avait entassés
dans le fort et oubliés lors de son évacuation précipitée. La plupart de ces
ecclésiastiques, si maltraités, s'attachèrent à leurs libérateurs, dont ils
partagèrent le sort. Les
prisons d'Avranches étaient pleines aussi de détenus qui furent mis en
liberté. Ce fut dans cette ville que les paysans, jusqu'alors soumis,
commencèrent à murmurer hautement et à faire éclater le désir de rentrer dans
le pays-vendéen. Ils se lamentaient de ces marches continuelles et de n'avoir
pas un seul jour tranquille. En attendant la réunion du conseil, on parvint à
calmer l'effervescence de cette multitude, par la promesse de prendre une
ville où il serait enfin possible de Botter quelque repos, et de trouver un
asile pour les femmes, les enfants et les vieillards. Un petit nombre
seulement persista et quitta l'armée, dans l'espoir de ne pas être inquiétés
par les républicains, en rétrogradant sans armes, accompagnés de leurs enfants
et de leurs femmes. Mais au retour, on les trouva égorgés les uns et les
autres, et leurs membres épars sur la route. Cependant
le conseil vendéen s'étant assemblé, on y éleva des doutes sur le succès de
l'attaque de Granville les uns alléguèrent la position de la place et son état
de défense ; d'autres la répugnance des Vendéens pour les sièges, et leur inaptitude
aux attaques régulières. « Temporisons, disaient les plus prudents ;
faisons une trouée dans la presqu'île, et marchons d'abord à Villedieu ;
ensuite nous dissiperons la levée en masse, nous repousserons la division
républicaine qui vient de Caen, et qui est trop faible pour pouvoir résister.
Alors il nous sera facile de nous maintenir à la proximité des côtes, jusqu'à
l'arrivée des Anglais ». Mais la crainte d'aire enveloppés par toutes les
forces ennemies, les promesses du transfuge d'Openheim, qui répondait de la
prise de Granville, et surtout l'impatience française, déterminèrent l’attaque. La Rochejacquelein,
Stofflet, d'Autichamp Desessarts, le chevalier de Beauvollier et Villeneuve
marchèrent sur Granville, avec le gros de l'armée, formant à peu près trente
mille hommes ; Talmont se mit à la tête de la cavalerie. Les bagages, les
non-combattants restèrent à Avranches, ainsi qu'un détachement commandé par
Romand, Fleurie et Rostaing, qui devaient couvrir le siège. Averti
de la marche des royalistes, le conseil défensif ordonna à la moitié de la
garnison de sortir de la ville et d'en défendre les approches. Le commissaire
Lecarpentier se mit à la tête de ta colonne avec le général Peyre ; ils
avaient du canon, deux mille hommes, quelques hussards et des gendarmes. On
se porta sur la route de Villedieu et d'Avranch.es : ; un corps de réserve se
tint l'embranchement des deux routes. A droite, un détachement fut envoyé
pour protéger la grève et le fort de la Roche-Gauthier, qui, n'tant point
tenable, resta sans défense. L'adjudant-général Vachot commandait l'avant-garde
; il fut bientôt attaqué par les tirailleurs de Stofflet. Sur le point d'être
tourné, il n'eut que le temps de se replier sur la réserve ; le détachement
placé sur la route de Villedieu en fit autant. On était dans l'indécision si
l'on disputerait ou si l’on céderait le passage, quand une ordonnance vint
avertir le général Peyre que la cavalerie royale s'étant détournée par la
grève, avait culbuté le détachement dirigé sur ce point, et s'avançait au
trot, pour tourner sa colonne à l'instant même l'ordre fut donné de rentrer
dans la place. La retraite se fit sous le feu des batteries, et les troupes,
en se repliant successivement, furent réparties sur l'isthme, sur l'esplanade
et sur les remparts en un moment tous les postes se trouvèrent gardés.
L'armée vendéenne, n'ayant sur ses derrières qu'un ennemi imprévoyant et
encore étonné de ses défaites, avança sans hésiter sous les murs de
Granville, pour commencer l'attaque. D'abord
deux prisonniers républicains, envoyés comme parlementaires, se présentent
aux postes avancés et remettent deux sommations, l'une au commandant, l'autre
aux officiers municipaux. Les généraux vendéens, au nom de Louis XVII,
rendaient la garnison et ses chefs responsables des malheurs qui allaient
fondre sur les habitants de Granville. Leur sommation aux officiers
municipaux était plus menaçante. « Nous préférons la conquête des cœurs à
celle des villes, disaient-ils ; nous ne demandons qu'à épargner le sang
français. Ouvrez vos portes sans résistance ; un peuple d'amis entrera dans
vos murs avec la branche d'olivier, pour y faire régner, à l'ombre de
l'autorité royale, l'ordre, la paix et le bonheur que vos tyrans vous
promettent en vain. Évitez les malheurs d'une résistance inutile ; songez
qu'un feu vengeur arme nos bras ; songez que les indomptables habitants de la
Vendée vainqueurs et destructeurs des garnisons de Valenciennes et de
Mayence, sont là, et qu'ils peuvent s'ouvrir un passage par le fer et par le
feu. Tous les vires qui sont nos prisonniers, Stages de ceux que nous vous
envoyons comme parlementaires, répondront sur leurs têtes du retour de leurs
camarades... Si, dans une heure précise, nous n'avons reçu de vous aucune
réponse, le canon vous annoncera que ces mêmes prisonniers ne sont plus...[3] » Ces
menaces furent inutiles, de pareils sacrifices ne coûtant rien alors à la
fureur des partis les républicains ne daignèrent pas même répondre, et des
deux côtés on ne songea plus qu'à combattre. Ainsi trente mille paysans,
pleins d'ardeur et de courage, mais sans discipline, sans plan d'attaque, et n'ayant
qu'une seule échelle pour tenter l'escalade, allaient assaillir une place
hérissée de fortifications, et défendue par une garnison qu'animaient les
discours et la présence de chefs exaltés. Les
remparts commencèrent le feu, et les batteries des royalistes, placées sur
les restes du fort Gaultier, ripostèrent aussitôt. Leur cavalerie occupa les
hauteurs du faubourg Saint-Nicolas ; l'infanterie se jeta rapidement dans les
maisons de la rue des Juifs, placées immédiatement sous les murs de la ville.
C'est de là qu'à travers les lucarnes et les toits, un nombre infini de
tirailleurs firent pleuvoir une grêle de balles sur les canonniers
républicains, forcés de se découvrir pour servir leurs pièces. Maîtres des
faubourgs, les Vendéens, à la faveur de la nuit, s'élancent à la fois, et de
tous côtés, sur les fortifications, s'emparent des fossés, de tous les
ouvrages extérieurs, se glissent aux pieds des bastions, donnant l'assaut,
grimpant à l'aide de leurs piques et de leurs baïonnettes, qu'ils fixaient
dans les murailles. La garnison, d'abord étonnée d'une si furieuse attaque,
abandonnait en désordre les fortifications. Déjà Forestier, suivi de quelques
Vendéens, était sur les remparts, quand un déserteur cria : Fuyons ! nous
sommes trahis ! un officier royaliste (le jeune Allard) lui brêle aussitôt la cervelle
mais l'impulsion était donnée. Ces braves, qui étaient en trop petit nombre,
hésitent, reculent et culbutent Forestier dans un fossé, où il reste
longtemps évanoui parmi les morts et les Mourans. Les assiégés reprennent les
remparts, et bientôt le feu redouble. Clément Desmaisons, officier municipal,
est tué à la tête des républicains, dont il animait le courage. Sa mort ayant
amené un instant de confusion, Lecarpentier, craignant que le désordre ne se
répandit dans la ville, fit une proclamation sévère pour en imposer aux lâches
et aux traitres. Les royalistes cependant faisaient peu de progrès, ne
pouvant escalader les murs, que défendait le feu le mieux soutenu ; ils
étaient d'ailleurs moins redoutables depuis le mauvais succès de leur
première attaque. Quatre de leurs meilleurs officiers, Forestier, Pérault, le
chevalier de Beauvollier et Roger Montlinier, venaient d’être mis hors de
combat. Les assiégés montraient plus de fermeté, et les blessés
encourageaient leurs camarades. Les canonniers de la marine ne répondaient
aux cris de vive Louis XVII ! que par des Coups redoublés. On voyait
des femmes, des edams transporter tes boulets et la mitraille, des magasins
de l'esplanade aux batteries de l'isthme. Déconcertés par une telle
résistance, les royalistes se retranchèrent dans les faubourgs, pour se
mettre à l'abri du feu des assiégés, et, de là, ils tiraient sur les soldats,
sur les canonniers, qui tombaient sans qu'on Oit juger d'où partaient les
coups. L'attaque et la défense se prolongèrent dans la nuit avec une égale
fureur. Le conseil défensif, en permanence, semblait craindre que les
faubourgs qui servaient d'abri aux assaillants, ne favorisassent un assaut de
nuit qui eût entraîné la perte de la ville. Après
une délibération avec les autorités, Lecarpentier proposa le sacrifice d'une
portion de Granville pour sauver le corps de la place, mesure extrême dont
l'ordre fut à l'instant donné. On dépave les rues : hommes, femmes, edam,
tous les bras y sont indistinctement employés. Les bombes, les boulets rouges
dirigés sur les faubourgs, ne répondant point assez vite à l'impatience des
ré publicains, l'adjudant-général Vachot s'élance, à la faveur des ténèbres,
la torche à la main, à la tête de quelques soldats. Bientôt la flamme
pétille, et les Vendéens se trouvent forcés d'abandonner un poste d'où le feu
d'une artillerie formidable n'avait pu les chasser. L'ardeur des incendiaires
et la violence du vent du nord-ouest qui s'éleva tout-à-coup, firent craindre
que la ville entière n'eût le sort des faubourgs. Déjà, des masses de fumée,
des tourbillons étincelants s'élevaient au-dessus des remparts, et des gerbes
de feu couvraient les toits. Granville offrait partout l'image d'une
irruption volcanique, qui menaçait de tout dévorer. Dans ce moment terrible,
les assiégés, placés dans une ville étroite, entre la mer et le feu, prennent
la résolution de passer à travers les flammes pour se précipiter., le fer à
la main, sur l'ennemi. Mais avant d'en venir à ce moyen désespéré, on tente d’arrêter
les progrès du feu. On vit alors ces mêmes soldats qui étaient restés sans
nourriture depuis le commencement de l'attaque, déposer les armes pour arrêter
l'incendie ; et montrant, dans cette lutte nouvelle, la même intrépidité, préserver
la ville de la communication des Gammes, malgré la stupeur causée par
l'aspect de la désolation générale. Les assiégeants eux-mêmes sont frappés de
ce spectacle terrible. La Rochejacquelein et Stofflet parcourent les rangs
trouvent les esprits encore abattus, et cherchent à les ranimer par l'espoir
de la victoire ; leurs ordres sont à peine écoutés. Ces murailles, ces
fortifications, ces retranchements que la nuit a dérobés aux yeux dans une
première attaque, les Vendéens les voient Maintenant en plein jour, s'élever
au-dessus de leurs têtes, comme pour les braver, les menacer, tandis que la grosse
artillerie de la place tourte et les foudroie, meure où ils se croyaient à
l'abri de la portée du canon. Leurs chefs les rappellent à l'assaut, et leurs
prêtres le crucifix à la main, les pressent, les exhortent, au nom de la foi
catholique et de la royauté, à renouveler l'attaque. La voix de la religion
réchauffe leur courage, et les officiers eux-mêmes, donnant l'exemple, se
mettent à la tête des plus hardis, qui les suivent du côté de l'isthme, et
par la grave, à la marée basse. Peut-être que sur ce point on eût pénétré
dans la ville, sans le feu bien dirigé de deux chaloupes canonnières qui
démontèrent les canons pointés pour faire brèche. Mais les Vendéens ne se
découragent point encore et filent sur les remparts. Les uns s'approchent des
palissades ; le roc même est gravi par d'autres. Les batteries et les
tirailleurs secondent l'attaque. Partout les républicains se défendent avec
une égale bravoure, et le feu des remparts ne cesse de porter la mort parmi
les assaillons, découragés enfin par cette résistance prolongée. Les généraux
provoquent vainement un nouvel assaut ; les plus braves marchent seuls : le
reste refuse de combattre et abandonne successivement ses chefs, après un
siège de vingt-huit heures, laissant les faubourgs et la grève couverts de
quinze cents morts ou blessés. Là on voyait des canons sans affilie ; ici la
terre couverte de drapeaux en pièces, d'armes brisées, de cadavres dont les membres
épars étaient à demi-brûlés. Il y eut presqu'autant de républicains que de
royalistes ensevelis sous les décombres embrasés des faubourgs. Lemaignan,
membre du conseil supérieur, eut le bras droit emporté d'un coup de canon ;
les chevaliers de Royrand, de Villeneuve et Guien de Montreuil furent blessés
grièvement. Dix à douze mille Vendéens, à l'instigation de leurs prêtres et
de quelques chefs subalternes venaient de quitter leurs drapeaux pour rentrer
dans Avranches. Les généraux s'efforcent en vain d'arrêter leur désertion et
en délibèrent dans le tumulte. Ceux qui attribuent à des causes fortuites la
non-apparition de l'expédition anglaise, rie peuvent se résoudre quitter la
presqu'ile normande, tant qu'il restera une lueur d'espoir. Malgré
l'exaspération des esprits, une partie de l'armée se porte encore en avant,
et quelques officiers se proposent même de donner avis de leur marche au
gouverneur de Jersey, par le premier bateau trouvé sur la côte. L'avant-garde
angevine, pour entrainer l'armée, s'était dirigée sur Villedieu mais sans
précaution, ne croyant point trouver de résistance. En arrivant aux portes de
Villedieu, le premier peloton vendéen, se voit aussitôt assailli par sept à
huit cents paysans, la plupart armés de bâtons et de fourches. Quelques royalistes
succombent, d'autres sont fait prisonniers. Les Normands allaient profiter de
ce léger avantage, lorsque Charles d'Autichamp parut avec une poignée
d'Angevins et une pièce de canon. Il emporta les retranchements et pénétra
dans Villedieu, malgré la résistance d'une centaine de républicains qui
furent massacrés. On voulut aussi venger la mort d'un adjudant-major nommé
Richard, ancien garde-chasse, renversé d'un coup de fusil parti d'une fenêtre
; et à cet effet les royalistes mirent le feu à quelques maisons, brûlèrent
les archives de la municipalité, et rançonnèrent les bourgs voisins. Ils
pouvaient de là marcher sur Saint-Lô, pour faire une trouée dans le Calvados,
Saint-Lô n'ayant ni troupes ni canon ; mais le général Beaufort, chargé de
couvrir Cherbourg, pourvut à tout par son activité et en électrisant la levée
en masse. En quinze heures, des retranchements furent élevés, et tous les
passages de la Vire en état de défense. Enfin, après avoir réuni trois mille
hommes de troupes réglées, ce général, appuyant sa droite à Saint-Gilles,
poussa ses avant-postes à Marigny, tandis que sa cavalerie, postée dans la
plaine en face la redoute de Gonfaleurs, attendait de pied ferme les
Vendéens. Malheureusement le soldat n'avait de vivres que pour trois jours.
Le général Beaufort voulait attaquer ; mais les commissaires de la convention
s'y opposèrent. Tout alors semblait dépendre du hasard qui pouvait éterniser
tant de calamités. L'obstination des paysans vendéens préserva la presqu'ile
normande. On les avait aigris en publiant que leurs chefs ne cherchaient à
s'emparer d'un port de mer que pour passer en Angleterre et abandonner
l'armée. Aussi, tandis que l’avant-garde se dirigeait au nord de Granville,
la masse, cédant à une impulsion contraire, suivait les mécontents, qui
marchaient sur Avranches. La plus vive fermentation les agite ; tantôt ils s’arrêtent,
tantôt ils courent en désordre, s'assemblent en tumulte, déplorent amèrement
leur sort, et accusent hautement ceux qui les ont arrachés à leurs ravins,
leurs champs fertiles. « Au moins, s'écrient quelques furieux, nous
pouvions, après une déroute, braver la rage de l'ennemi ; nous trouvions un
asile et des secours. Ici nous ne voyons qu'une plage stérile, un pays
dévorant et la mort. Puisse la foudre écraser les conseillers perfides qui,
dans leur folle ambition, nous ont tous poussés à notre perte ». De tous
côtés on n'entend qu'invectives et menaces ; les ordres des chefs ne sont
plus écoutés ; en vain ces derniers cherchent-ils à calmer cet esprit de
révolte. « Encore un moment de persévérance, disent-ils, et nous
trouverons le salut sur ce rivage. La Providence nous secondera. La flotte
anglaise couvre les mers ; des secours vont arriver. Qu'avons-nous à craindre
? Ici nul ennemi n'ose combattre en rase campagne ; cette presqu'île est
féconde sa position est heureuse, et nous pourrons nous y maintenir, eu
attendant les renforts qui assureront nos succès ». Tels étaient leurs
discours, auxquels le soldat ne répondait que par des cris de rage. Une seule
volonté bientôt se manifeste ; elle est tumultueuse, niais énergique. Tous
veulent, à tout prix, regagner la Vendée ; tous promettent de surmonter les
obstacles qui s'opposeraient à. ce retour. Ils Furent de s'emparer d'Angers,
sur leur passage, quand même ses murailles seraient de fer ; sollicitations,
exhortations, prières, rien ne peut les arrêter. L'armée se divise ; aie
allait se désorganiser entièrement, lorsqu'il se fit tout-à-coup, dans ce qui
restait, un moment de silence. Quelques voix en profitèrent pour réclamer
l'attention la multitude écoute ; on entend d'abord distinctement ces mots : fuite,
désertion, trahison. Les noms de Talmont, de Beauvollier, de Solérac, du
curé de Saint-Laud sont ensuite répétés. « Ils ont quitté l'armée, ils gagnent
la » plage, ils vont s'embarquer et fuir pour l'Angleterre ». On les en
accuse hautement, Des cris d'indignation se succèdent. Ce n'est plus une
armée, c'est une horde déchaînée et furieuse, en pleine révolte contre ses
chefs ; La Rochejacquelein lui-même est méconnu. Un simple garde-chasse,
Stofflet, conserve seul de l'ascendant sur cette multitude séditieuse ; les autres
chefs intimidés n'osent plus commander à leurs soldats. Ceux-ci se groupent,
se séparent pour se rassembler encore. Talmont, regards comme L'instigateur
de la fatale transmigration n'est plus, aux yeux des Vendéens, qu'un lâche
déserteur. On répète partout qu'il veut fuir sur un bateau ; que cent louis
et ses plus beaux elle-veaux ont été offerts et refusés. Les avis extrêmes
sont seuls écoutés ; et par esprit de vertige on allait s'entre-tuer, lorsque
Martin La Pomeraie et Stofflet, à la rte d'un piquet de cavalerie, accourent
et trouvent en effet Talmont près du rivage. Stofflet veut le faire saisir ;
mais les cavaliers n'osent porter la main sur le prince : il fond alors
sur eux le sabre à la main, et les force d'exécuter son ordre. Uni
détachement entoure le prince et te ramène au camp, avec Les autres chefs qui
l'avaient suivi. Stofflet parvient à les garantir de la fureur de l'armée, en
faisant serrer les rangs de la troupe qu'il commande, Dans quelques groupes
les esprits sont encore exaspérés ; unie l'arrivée du prince calme la
fermentation, et inspire à. la multitude un sentiment de respect qui succède
à la fureur. Talmont et les autres chefs parviennent à se faire entendre. «
Ils n'avaient frété qu'un bateau pécheur pour Jersey, afin de presser l’arrivée
des secours de l'Angleterre, et sauver quelques femmes, en attendant l'issue
de l'expédition. Du reste, tous protestent qu'ils veulent vaincre ou mourir
avec leurs compagnons d'armes ». Cette justification fut accueillie. A
l'instant où la multitude commençait à s'apaiser, La Rochejacquelein parut au
milieu d'elle. Il fit une harangue courte, mais énergique, menaçant d'abandonner
le commandement si l'esprit d'insurrection ne faisait place à l'obéissance et
à la discipline. La fermeté de ce guerrier, sa mâle éloquence, firent verser
aux soldats des larmes de repentir. Le curé de Saint-Laud, quoiqu'il eût
suivi Talmont, acheva, par ses exhortations pathétiques, de calmer les
ressentiments et de ramener à la soumission. Toutefois
je dois avouer que les témoignages aidèrent sur le fait de l'évasion projetée
du prince. Selon l'explication qu'en donne M. de Rostaing, officier vendéen
qui a survécu au désastre de son parti, la réputation et l'honneur de Talmont
seraient à l'abri de toute atteinte. L'armée se trouvait à Avranches la
veille de l'attaque de Granville, lorsque deux marins, n'étant fait
introduire à dix heures du soir, devant le prince, lui présentèrent une
lettre écrite par une personne qui lui était chère, et de plus un bijou de
prix qui ne lui laissa plus aucun doute sur la réalité du message. On le
conjurait de se confier aux deux marias, qui, tenant une barque prête, le
transporteraient à Jersey et l'y mettraient en sûreté. Le prince répondit en
ces termes, en présence meure de Rostaing : « J'ai promis de défendre la
cause pour laquelle j'ai tiré l'épée et que je crois juste, et ce serait
violer ma parole que d'abandonner mes compagnons d'armes ; je partagerai,
jusqu'à la mort, leurs travaux et leurs dangers ». On objectera sens doute
qu'il y eut au moins de la légèreté et de l'imprudence, après une telle
déclaration, à se porter sur la dite avec des personnes qui ne déguisèrent
pas leur intention de mettre en mer. Mais l'ai dû rapporter toutes les
versions, afin qu'on ne puisse me taxer de partialité ou de réticence. Tout
étant rentré dans l'ordre, La Rochejacquelein rappela le détachement qui
était à Villedieu d'Autichamp obéit, et l'armée entière se remit en marche. En
s'éloignant du rivage, les royalistes perdirent à jamais L'occasion
d'acquérir, par la jonc-lion des forces anglaises, la consistance politique
et militaire qui pouvait les sauver. Les secours de l'Angleterre étaient
réels, et l'expédition n'attendait plus qu'un vent favorable. Granville eût
certainement succombé, si les Anglais et les Vendéens l'eussent attaqué à la
fois, par mer et par terre. Les distances et les éléments causèrent la ruine
des royalistes, en se jouant de leurs combinaisons. Pour remonter à la source
de ces tentatives si longtemps infructueuses, il m'a fallu suppléer, comme
j'y serai souvent forcé, par des notions secrètes, mais sûres, à la stérilité
des mémoires et des journaux du temps. Lorsque Prigent eut facilité la communication de Freslon avec l'armée royale il se hâta de quitter les côtes de Saint-Malo et repassa de Jersey en Angleterre, pour y rendre compte du résultat de sa mission. Le cabinet de Saint-James lui fut ouvert, et Pitt lui accorda une longue conférence. Prigent donna toutes les notions qu'il avait acquises sur la situation intérieure de la France sur la position sur les malheurs et les ressources de l'armée royale. Le roi d'Angleterre et ses ministres, Pitt et Henri Dundas, tinrent un conseil privé, où il fut résolu d'envoyer aux royalistes de France les secours prompts qu'on leur avait promis. Mais lord Moira, nommé général en chef de l'expédition, et l'amiral Macbride, commandant de l'escadre, ne reçurent les ordres du Roi que le 17 novembre. Lord Moira, avec une diligence extraordinaire, rassembla à la hâte plusieurs régiments ; il organisa des compagnies d'artilleurs français, et s'entoura de quelques émigrés bretons qui connaissaient les côtes et le pays. En peu d'heures, soixante navires de transport et vingt vaisseaux de ligne, abondamment pourvus de munitions de tous genres furent chargés de troupes. Pitt, après avoir donné de nouvelles instructions à Prigent, lui avait recommandé verbalement de rejoindre les chefs vendéens, pour les presser de favoriser le débarquement sur les points indiqués. Prient était chargé en outre de donner l'assurance positive que l'armement était prêt, et n'attendait que la présence des royalistes sur la côte. Lord Moira lui donna les mêmes instructions. L'expédition n'attendait à Portsmouth qu'un vent favorable, Prient, Bertin et Dufour, partis d'Angleterre du 6 au 7 novembre, n'arrivèrent près de Dol qu'après l'attaque infructueuse de Granville, et ne purent parvenir à l'armée vendéenne faute de guides. Dans l'intervalle Saint-Hilaire, Freslon et Desnos revinrent de Bretagne en Angleterre ; mais des obstacles imprévus avaient retardé leur-retour jusqu'au 25 novembre. Ils communiquèrent les signaux convenus et indicatifs des points favorables au débarquement. Lord Moira, contrarié par les vents, ne put meure à la voile que le 1er décembre. D’après les avis apportés par les émissaires, la flotte longea pendant plusieurs jours la côte de la presqu’île Normande ; mais aucun signal ne la mit en mesure d'effectuer la descente. Le retour d'un aviso expédié à l'amirauté, rapporta au général en chef l'ordre de gagner la rade de Guernesey. Plusieurs émissaires furent encore expédiés sur les côtes de Bretagne. On apprit bientôt que les royalistes avaient échoué devant Granville. Quelques journaux français parvenus à lord Moira, et contenant la nouvelle de la Marche d'une colonne de Vendéens sur Caen, abusèrent ce général, qui remit à la voile, et longea de nouveau, les côtes de Normandie. A son départ, lord Moira forma un état-major de quelques officiers bretons et normands, dont les connaissances locales et les notions particulières pouvaient lui devenir utiles. Deux aides-de-camp, un secrétaire et un quartier-maître général composaient ce petit état-major auxiliaire. Quoique séparé d'une partie de sa floue — la rade de Guernesey n'étant déjà plus tenable —, lord Moira reparut, mais inutilement, devant les côtes de France. Ses émissaires ne pouvant communiquer qu'avec peine lui firent parvenir, vers le commencement de janvier, la nouvelle de la défaite des royalistes et de l'entier anéantissement de leurs projets, La flotte rentra dans les ports d'Angleterre. Tel fut le sort d'une expédition plus célèbre par sa renommée que par les secours qu'elle apporta aux royalistes. |