Passage de la Loire
par les Vendéens. — La Rochejacquelein est élu généralissime. — Défaite des
républicains à Laval. — Mort du général Lechelle. — Alarmes et confusion en
Bretagne. — Incursion triomphante des Vendéens. — Mort du général Lescure. —
Attaque de Granville. — Expédition de lord Moira.
LES Vendéens fuyant leur pays livré
aux flammes et à toutes les calamités d'une ville prise d'assaut, rappellent
ces anciens peuples dont les restes malheureux couraient au loin chercher une
nouvelle patrie. C'était à la fois une horde nomade, une armée fugitive qui
errait dans des contrées inconnues, sans munitions, sans vivres, traînant à
sa suite une foule de vieillards, de femmes éplorées, d'enfants timides,
poursuivis par tut ennemi victorieux. Bientôt quelques lueurs d'espérance
vinrent adoucir leur infortune. Au moment même où l'on proclamait la
destruction des guerriers de la Vendée, ceux-ci sur un théâtre nouveau
préparaient encore des prodiges. La France, l'Europe entière admirant leur
indomptable audace, crurent voir se réaliser la fable de l'hydre. L'insubordination,
le défaut d'ensemble, qui avaient causé tant de maux aux républicains sur la
rive gauche, s'introduisirent encore dans leurs rangs. L'on vit sept à huit
armées agir sans liaison, et ne retrouver la victoire que lorsque l'autorité
supérieure concentrée de nouveau dans une seule volonté, rendit aux
mouvements des troupes l'accord qu'elles n'avaient plus. Cette
transmigration vendéenne a donné lieu à des récits absurdes, à des
exagérations que l'histoire doit rejeter. J'ai tout examiné sur le théâtre
même de la guerre ; guidé, par des mémoires authentiques, appuyé sur
des-autorités dignes de foi, je n'avancerai que des faits certains. Ce fut
le 16 octobre, au moment même où se livrait la sanglante bataille de
Mortagne, quo les deux cents Bretons détachés par Bonchamp s'emparèrent
<de Varades sut la rive droite. On vit une poignée de braves voguant d'île
en île, sur quelques barques légères, fondre à l'improviste, mais en plein
jour, sur huit cents républicains chargés de défendre ce poste. Surprise et
attaquée avec une vigueur extraordinaire cette troupe lâcha honteusement le
pied pour se réunir, non loin de là, au cantonnement d'Ancenis, qui partagea
sa défaite et se replia également. C'est à l'officier républicain qui
commandait à Varades que furent imputés, avec raison, les malheurs qui
fondirent sur trois provinces. Quoi qu'il en soit, les deux cents Bretons,
conduits par d'Autichamp, furent bientôt renforcés par les fuyards de
Mortagne et de Chollet ; en moins de trois jours, quatre-vingt mille Vendéens
des deux sexes eurent touché la rive opposée. Une foule de témoignages et de
renseignements recueillis sur les lieux mêmes, constatent toutes les
circonstances de ce passage mémorable, opéré presque à la pue de l'ennemi,
sans préparatifs, sans pontons. Sept à huit barques suffirent, malgré la
quantité prodigieuse de bagages, de charriots, de voitures, de canons, de
caissons, malgré la multitude de bouches inutiles. A la vérité, Lyrot et
Designy, Rostaing et Saint-André, traversèrent la Loire devant Ancenis avec
trois k paire mille fuyards, encore furent-ils inquiétés. Merlin de Thionville,
sur l'avis d'un espion, se met à la tête de trois cents hommes de cavalerie,
et force Rostaing à s'embarquer en désordre ; il sabre et noie quelques
soldats, fait plusieurs femmes prisonnières, et tue de sa main le curé
Rodrigues, de Basse-Goulène, au moment de son embarquement. Quelques pièces
de canon et deux obusiers restés sur la Grève tombent aussi en son pouvoir.
Les royalistes, malgré les coups de fusils, effectuèrent leur passage,
pendant que ceux des leurs qui étaient déjà sur l'autre rive faisaient
pleuvoir sur les républicains une grêle de mitraille et brûlaient les
bateaux. Une
forte garnison et la présence du conventionnel Meaulle n'empêchèrent point le
poste d'Ancenis de tomber au pouvoir des Vendéens ; ses barrières et ses
grilles de fer ne purent le garantir ; il est vrai qu'il fut aussi mal
défendu que Varades. Tout ce qui se porta sur ce dernier point y parvint
tranquillement, à l'exception de quelques canons et caissons, que les
Vendéens jetèrent dans la Loire, n'ayant pu les passer. Le 19, les
républicains arrivèrent en force à Saint-Florent ; ils engagèrent une canonnade
inutile, à laquelle les royalistes répondirent au moyen d'une batterie qu'ils
avaient établie au hameau de la Meilleraye. L'armée catholique, réunie tout
entière à Varades, occupait déjà une bonne position, défendue par quarante
bouches à feu ; elle poussait même ses avant-postes jusqu'à Saint-Georges, à
quatre lieues d'Angers. Les chefs vendéens sentirent la nécessité de se
donner un commandant en chef qui eût la confiance générale. Ils
s'assemblèrent à Varades, et nommèrent La Rochejacquelein généralissime,
Stofflet major-général de l'armée, le prince de Talmont général de la
cavalerie, et le chevalier Duhoux adjudant-général. Ces nominations se firent
toutes à la pluralité des voix. L'artillerie resta sous les ordres de Bernard
de Marigny. Le conseil décida qu'on marcherait sur Laval, où l'on espérait
trouver de puissants secours. Il était temps de quitter Varades et ses
environs : cette multitude errante manquait de vivres et affamait tout sur
son passage, sans pouvoir subsister autrement qu'en parcourant chaque jour un
nouveau pays. Les royalistes qui s'étaient réfugiés dans la Vendée pour s'y
mettre en sûreté, tout ce qu'il y avait d'étrangers parmi les Vendéens,
avaient aussi passé la Loire, tant l'effroi était général. Après le passage,
plusieurs se dispersèrent ; d'autres, et ce fut le plus grand nombre,
suivirent le sort des vaincus. C'était un spectacle à la fois touchant et
déplorable que celui qu'offraient neuf à dix mille Vendéennes associées avec
résignation au malheur de leurs époux, de leurs pères, de leurs enfants. A la
vue de l'armée royale, passée tout entière de l'autre côté du fleuve, les
républicains furent saisis d'étonnement. Ce passage effectué contre leur
attente, déjouait entièrement tout projet d'extermination. Les généraux et
les commissaires de la république, déconcertés, s'assemblèrent précipitamment
à Beaupreau pour tenir un conseil de guerre. Il fallut d'abord changer les
dispositions arrêtées la veille. Le général Lechelle fut d'avis de faire
passer la Loire à son armée pour la mettre à la poursuite de l'ennemi ; mais
de grandes difficultés s'y opposaient : d'abord l'on manquait d'embarcations,
et l'artillerie de l'ennemi, déjà retranchée, annonçait qu'il était résolu à
défendre vigoureusement le passage. Cependant il fallait plutôt agir que
délibérer. L'on pouvait craindre que, dans leur désespoir, les Vendéens ne se
portassent sur Nantes ou sur Angers — c'était l'avis de Lescure —. Alors plus
de moyens de les détruire. Le général Lechelle se rendit au vœu de la
majorité, et l'armée prit séparément la double direction de Nantes et
d'Angers, pour passer le fleuve devant ces deux villes. La plus forte colonne
se mit en marche sur Plantes pour y arriver le 20, et en repartir le 21 en
deux divisions, l'une se dirigeant sur Rennes, l'autre, aux ordres du général
en chef, sur Ancenis. L'avant-garde marchait déjà, aux ordres du général
Beaupuy, pour garantir Angers. Quelques bataillons restèrent dans la Vendée,
avec ordre de continuer les massacres et l'incendie. Tandis
qu'une demi-brigade passait la Loire avec de la cavalerie légère à Ancenis,
les uns à cheval, les autres dans des barques à demi-brûlées, Carrier, à la
tête d'une division, éclairait la route de Beaupreau à Nantes. L'alarme était
dans cette ville. L'armée républicaine n'ayant ni souliers, ni subsistances,
Carrier mit tout en réquisition pour parer à ses besoins. L'on
était encore dans l'incertitude sur les mouvements de l'ennemi. Dès le 18
octobre, deux à trois mille Vendéens, arrivés des premiers à Varades avec
Desessarts, Dehargues et le chevalier Duhoux, avaient repoussé jusqu'aux
portes d'Angers le peu de troupes que leur avait opposé l'adjudant-général
Tabari, auquel était confiée la défense d'Ingrandes, poste intermédiaire
entre Varades et Angers. Tabari perdit deux canons. En vain, pour le
soutenir, une partie des antiennes garnisons de Condé et de Valenciennes
sortit des ponts de Cé ; le général Aulanier avec cette petite armée ne fut
pas plus heureux. Dans
ces conjonctures alarmantes pour la ville d'Angers, l'administration
départementale de Maine et Loire, se défiant des généraux, envoya deux
commissaires pour surveiller les opérations. Son choix tomba sur Benaben et
Jacques Duverger, administrateurs du département. Angers était alors rempli
de fuyards, et Aulanier bivouaquait sous ses murs. Déjà les éclaireurs
royalistes occupaient le bourg de Saint-Georges, entre Ingrandes et Angers.
Ils s'y tinrent, dans la nuit du 19 au 20, sur le qui-vive, craignant
d'être attaqués, et se replièrent-le lendemain sur Candé. L'adjudant-général
Tabari et le commissaire Duverger les suivirent, entrèrent à Saint-Georges
avec quelques hussards ; et voyant les avant-postes ennemis se replier à leur
approche, ils s'engagèrent imprudemment à trois lieues de l'armée, sans
pouvoir en être soutenus. Arrivés à Ingrandes, ils mirent pied à terre. Les
éclaireurs vendéens, pour les envelopper, filèrent dans les vignes qui
bordent la route. L'adjudant-général Tabari s'élança sur son cheval et prit
la fuite au grand galop ; le commissaire Duverger voulut le suivre, mais sa
selle tourna et le fit tomber. Il reçut à l'instant un coup de fusil ; et
voulant se rel e ver mal gré sa blessure, il fut achevé à coups de sabre par
des cavaliers royalistes. Les hussards se sauvèrent bride abattue du côté de
Champtocé, à travers une grêle de balles : un seul républicain, le gendarme
Marchand, au lieu de prendre la fuite, préféra se faire massacrer à côté du
malheureux Duverger, son ami. Dans cette rencontre, quelques dragons
d'Orléans passèrent du côté des royalistes. Le
général Aulanier fit halte au château de Sérent, sans oser poursuivre
l'arrière-garde vendéenne, qui, rassemblée à Saint-Augustin-des-Bois pour
rallier les traîneurs, prit aussitôt la route de Candé. Legros de l'armée
catholique occupait déjà cette ville, dont la faible garnison n'avait opposé
qu'une faible résistance. Le premier séjour des Vendéens fut marqué par les
honneurs funèbres qu'ils rendirent à la mémoire de Bonchamp, dont la perte
était profondément sentie, Toute l'armée éleva des vœux à l'Éternel pour la
gloire et le repos de cet illustre chef. Le 21, La Rochejacquelein marcha sur
Château-Gonthier. La garnison, encouragée par les patriotes, voulut tenter le
sort des armes ; mais après une escarmouche de quelques heures contre
l'avant-garde ennemie, elle abandonna son poste aux vainqueurs. Treize
républicains composant les autorités révolutionnaires de Château-Gonthier,
furent pris et fusillés par les royalistes ; un curé constitutionnel eut le
même sort. Le 22,
à dix heures du soir, La Rochejacquelein, impatient d'arriver à Laval, fit
battre la générale et ordonna le départ. Il plaça le gros des tirailleurs et
deux pièces de canon en avant-garde, et les bagages au milieu de l'armée.
Dans cet ordre, et sans trop s'écarter les uns des autres, les royalistes
marchèrent sur Laval, que Talmont ne cessait de leur présenter comme le foyer
d'une seconde Vendée. L'armée fit halte à Antrames pour se rallier. Des
bruits Confus et contradictoires avaient répandu dans Laval l'agitation et le
trouble. A la nouvelle de l'approche de l'ennemi, le conventionnel
Esnue-Lavallée qui parcourait le district de Craon, fait sonner le tocsin,
fait tirer le canon d'alarme, et demande du secours à tous les districts
voisins. Laval donne deux bataillons armés, trois pièces de canon et de la
cavalerie ; les volontaires d'Ernée, de Craon et de Mayenne s'y réunissent.
Des vedettes sont placées sur toutes les routes ; le tocsin redouble et l'on
bat la générale : cinq à six mille hommes se rassemblent, armés de fourches,
d'instruments aratoires et de fusils de chasse. Des avant-postes bivouaquent
pendant toute la nuit, se tenant sur le qui-vive. Au
point du jour l'on aperçut l'armée royale tout entière. Son aspect en imposa,
malgré les dispositions qui avaient été prises. A huit heures du matin
commence l'attaque : les avant-postes sont forcés, les royalistes pénètrent
sur plusieurs points à la fois ; deux administrateurs de la Mayenne,
combattant à la tête des troupes, tombent percés de coups. Les républicains
ébranlés semblaient n'attendre que le signal de la déroute, lorsque
l'adjudant-général Letourneux la détermina lui-même ; ayant pris la fuite à
cheval, à travers les rangs de ses soldats, il les entraîna tous. La
cavalerie vendéenne acheva de tout disperser. Laval fut envahi, et les
patriotes fusillés : cinq à six cents périrent victimes d'un dévouement
aveugle et inutile. Les vainqueurs perdirent peu de monde ; mais la mort du
chevalier de la Guerivière, qui fut tué à côté de La Rochejacquelein, en
entrant dans la ville, les irrita contre les vaincus, auxquels ils ne firent
point de quartier. Plusieurs républicains trouvèrent un asile chez madame de
Montfranc, qui sollicita leur grâce, et l'obtint de Lescure mourant, que les
Vendéens transportaient partout avec eux. Cette dame généreuse périt ensuite
pour ses opinions, dans un cachot où la fit jeter le conventionnel
Esnue-Lavallée. Depuis
cinq jours l'armée catholique s'éloignait de l'armée républicaine, qui,
divisée en deux colonnes, décrivait un cercle dans sa marche. Quant à la
petite armée du général Aulanier, le défaut de vivres, et plus encore sa
faiblesse, l'empêchèrent de rien entreprendre. Les
royalistes avaient deux jours de marche sur les patriotes ; ils auraient pu
parcourir sans obstacle toute la Bretagne, si la nécessité du repos, si le
besoin de se réorganiser, et surtout l'espoir de se recruter, n'avaient
déterminé leur séjour à Laval. Déjà
les têtes des colonnes républicaines qui s'étaient portées sans relâche de
Nantes et d'Angers sur Château-Gonthier, y étaient arrivées le 24, instruits
de leur approche, les chefs vendéens se réunirent en conseil de guerre pour
décider si l'on se porterait à leur rencontre, ou si, profitant des deux
jours de marche, l'armée catholique poursuivrait sa route en Bretagne. La
majorité résolut d'aller à l'ennemi. Westermann
qui commandait l'avant-garde des républicains, marchait déjà sur Laval, qu'il
croyait évacué, d'après un faux rapport. Il était à
six lieues de l'armée qui devait le soutenir, et n'avait que quatre mille
hommes, ayant négligé Ide concerter ses mouvements avec le général Aulanier,
auquel il aurait pu se joindre entre Candé et Segré. Persuadé qu'il
n'atteindrait que l'arrière-garde vendéenne, il marcha pendant toute la nuit,
et arrivé à la lande de la Croix-de-Bataille, à trois quarts de lieue de Laval,
il trouva l'ennemi embusqué de droite et de gauche. Quoiqu'assaillie à
l'improviste par une vive fusillade, l'infanterie mayençaise n'en fut point
ébranlée ; elle y répondit au contraire avec intrépidité. Le combat dura deux
heures avec le même acharnement de part et d'autre ; mais, criblés par les
tirailleurs vendéens, et sur le point d'être tournés par Stofflet, les
républicains firent leur retraite en bon ordre, et bivouaquèrent à une
demi-lieue du champ de bataille. L'obscurité rendit cette action meurtrière.
On publia faussement que les Mayençais avaient été enveloppés et taillés en
pièces. Il n'y eut dans cette affaire que la cavalerie qui ne fit pas tout ce
que l'on pouvait en attendre. Ce combat fut le prélude d'une action plus
générale. Le 25
octobre, le général Lechelle parut avec toute son armée, forte d'environ
vingt-cinq mille hommes. Les généraux, à la suite d'un conseil de guerre,
résolurent d'attaquer le lendemain Laval, tandis que les colonnes des
généraux Chambertin et Aulanier agiraient séparément ; l'une en coupant la
retraite à l'ennemi, l'autre en attaquant Laval par Cossé. Le premier manqua
de précision, le second reçut les ordres trop tard. Il fallait, pour arriver
à Laval, traverser un point dominé par deux hauteurs au-delà du village
d'Antrames. Westermann et Danican s'y établirent avec une avant-garde de
trois cents hommes. Le général Lechelle qui avait placé l'année à deux lieues
en arrière, leur donna l'ordre de quitter cette position. Westermann assure
dans ses mémoires qu'il lui fit sentir cette faute, et lui prédit une
défaite. La
Rochejacquelein, instruit par ses espions que l'armée républicaine, réunie à
Antrames se disposait à une attaque générale, rassembla ses forces à la hâte,
dans l'intention de prévenir l'ennemi. Il parcourt les rangs, anime ses
soldats. « Il faut, leur dit-il, effacer aujourd'hui la honte des
combats précédents. Il ne s'agit pas seulement de vous défendre et de sauver
la vie à vos femmes, à vos enfants ; votre cause est celle de tous les
royalistes de France ; c'est celle de Dieu et de la foi de vos pères.
Marchons à la victoire. Les Bretons nous tendent les bras ; ils nous aideront
à reconquérir nos foyers mais il faut d'abord vaincre ; une défaite serait
irréparable. » Lescure,
voyant le danger, se fit porter dans les rangs. La présence de ce chef blessé
à mort enflamma le courage des Vendéens„ qui demandèrent aussitôt à
combattre, avec cette confiance qui présage la victoire. L'armée s'empara des
hauteurs que venait de quitter Westermann ; et, dès qu'on fut à portée du
canon, Bernard de Marigny ordonna de faire feu à mitraille sur les Mayençais
qui formaient l'avant-garde des républicains. Ceux-ci avaient à soutenir la
gloire de Mortagne et de Chollet ; ils se battirent avec la plus grande
intrépidité. Le
général Lechelle avait placé toute l'armée sur une seule colonne, le terrain
ne permettant pas de la diviser avec avantage, d'après l'intention qu'il
avait eue d'attaquer le premier. Prévenu et assailli brusquement, il crut
pouvoir se développer ; mais sa mauvaise position, ainsi que le défaut de
combinaison et d'ensemble, firent manquer tous ses mouvements. Déjà la tête
de la colonne républicaine était enfoncée, les tirailleurs vendéens se
précipitaient sur elle par pelotons, et faisaient tout plier : le désordre de
l'avant-garde gagna bientôt le corps d'armée. La
division de Blosse, partie le même jour de Château-Gonthier pour se réunir
aux combattants, arrive au pas de course, et ne peut empêcher la déroute dans
laquelle elle est entraînée. Le général Lechelle veut en vain arrêter la
colonne de gauche ; tous ses efforts sont inutiles. Quoique forcés, les
républicains se battaient encore en retraite ; mais, en reculant devant les
Vendéens, ils s'étaient préparé une entière défaite.
En effet, aux approches de Château-Gonthier, Stofflet, après cinq heures de
combat, se glisse, à la chute du jour, à la tête des tirailleurs d'élite,
derrière les colonnes républicaines ; il les assaillit en flanc, ne faisant
feu qu'à quarante pas, et les culbute à la baïonnette. Cette brusque attaque
devient bientôt décisive : les deux partis s'entremêlent, se confondent, et
prennent des cartouches aux mêmes caissons ; bientôt les fusils deviennent
inutiles, on ne se bat plus qu'à l'arme blanche ; on se poignarde sans se
distinguer : tous se saisissent, tous se renversent, et le champ de bataille
est couvert de morts. Des corps entiers, malgré des prodiges de valeur, sont
coupés et faits prisonniers par l'armée catholique ; les Mayençais, accablés,
ne peuvent ni combattre, ni se rallier, ni faire leur retraite en bon ordre.
Ce qui n'a pas trouvé la mort ne songe plus qu'à fuir : le désordre est tel,
que plusieurs se noient dans la Mayenne ; trois cents se sauvent à la nage et
gagnent Craon. Un corps entier met bas les armes. Schetou, chef secondaire de
la division de Stofflet, fait entourer les prisonniers dans un vallon, où ils
sont tous fusillés : action atroce, causée par l'horreur des temps, et que ne
peut justifier le droit de représailles. Les
fuyards crurent trouver un asile à Château-Gonthier ; mais l'acharnement des
vainqueurs était tel, que les distances, le canon, non plus que les
retranchements, ne purent arrêter leurs rapides succès. Le général Beaupuy
qui avait rallié quelques bataillons mayençais, soutint longtemps sur les
ponts de Château-Gonthier les efforts de l'armée royale. Blessé d'une balle dans
la poitrine, il s'écrie en tombant : « Je n'ai pu vaincre pour la
république, je meurs pour elle ! » Emporté loin du champ de bataille, il
envoya sa chemise teinte de sang à ses grenadiers. A cette vue, les braves
Mayençais redoublèrent d'efforts pour arracher la victoire aux Vendéens ;
mais ne se voyant point soutenus, et forcés de céder à leur destinée, ils
abandonnèrent enfin ce dernier champ de bataille. La perte des républicains
en hommes, en bagages et en artillerie, fut immense ; quinze mille fuyards ne
se crurent en sûreté que derrière les murs d'Angers, et douze jours leur
suffirent à peine pour se réorganiser complètement. Le général Lechelle,
insulté par ses propres soldats, menacé par Merlin de Thionville, n'eut pas
la consolation de périr les armes à la main ; peu de jours après la bataille,
il mourut à Nantes de honte et de douleur. Cet homme présomptueux, ancien
maître d'armes à Saintes, devenu chef de bataillon, élevé subitement au
généralat, fut un exemple de ces fortunes rapides et passagères, dont la
révolution a offert tant d'exemples. On lui dut en peu de temps le gain de
trois grandes batailles, que la défaite de Laval fit bientôt oublier. Le
général Aulanier qui n'avait point pris part an combat, se jeta dans Craon.
Sa colonne était faible, mais intacte. La Rochejacquelein, pour profiter de
la victoire et se délivrer de toute inquiétude de ce côté, détacha sept à
huit mille hommes, et se retira de suite à Laval avec le reste de l'armée. La
division d'Aulanier, déjà réduite par la désertion, fut renforcée à Craon par
l'adjudant-général Chambertin ; mais que pouvaient cinq mille hommes
découragés qui croyaient avoir toute l'armée royale à combattre dans une
ville ouverte ? On tint conseil ; les généraux furent d'avis de se retirer ;
mais les conventionnels Esnue-Lavallée et Meaulle, craignant pour Rennes,
décidèrent qu'on attendrait l'ennemi. Le général Aulanier fit renforcer le
poste de Cossé. Tous les ponts sur la route de Château-Gonthier furent
coupés, sans que ces obstacles pussent arrêter les royalistes. Ils
attaquèrent sur tous les points avec tant de promptitude et de vigueur, que
les républicains, accablés, eurent à peine le temps de gagner la route de
Nantes. Un instant plus tard leur arrière-garde eût été coupée. Les
vainqueurs trouvèrent dans la ville quelques cadavres sanglants : c'étaient
ceux de plusieurs prisonniers royalistes que les généraux républicains
avaient voulu sauver, et que le commissaire Esnue avait fait fusiller au
moment de la retraite. Cette cruauté devint funeste-aux patriotes qui ne
purent joindre l'armée. Les Vendéens ayant placé une pièce de douze dans la
cour du château de Craon, la direction de son feu porta le désordre dans tous
les rangs des patriotes. Déjà quelques fuyards avaient jeté leurs fusils et
leurs havresacs, lorsque deux pièces de huit bien servies forcèrent la
cavalerie vendéenne à rétrograder, et permirent aux républicains de gagner
insensiblement les hauteurs. Cependant la frayeur du soldat était telle, qu'à
chaque coup de canon qui protégeait sa retraite, il doublait le pas, croyant
essuyer le feu de l'ennemi. Le général Aulanier se tint constamment à la
queue de la colonne, portant lui-même les gargousses aux canonniers. Il ne
reparut à la tête de sa troupe que lorsqu'elle fut parfaitement ralliée. Le
détachement vendéen rentra aussitôt à Laval. Déjà
l'alarme était à Reflues, lorsque le général Aulanier y rentra. Les patriotes
avaient coupé les arbres sur les routes pour se faire des retranchements. De
tous côtés l'on courait aux armes, mais sans aucun espoir de résistance. En
effet, quelle barrière pouvait-on opposer à l'ennemi ? Maître de Laval et de Château-Gonthier,
il n'avait plus à redouter l'armée de l'Ouest, et pouvait marcher droit à
Rennes, sans que Vitré fût un obstacle suffisant pour l'arrêter. Rennes
renfermait les dépôts de l'armée, un arsenal, une fonderie : cette conquête
aurait peut-être entraîné toute la Bretagne. Les Vendéens eussent pu s'y
maintenir, en donnant la main au Morbihan, où des tentatives d'insurrection
coïncidaient avec leur marche et leurs projets. La Bretagne n'était cependant
pas dépourvue de républicains ; mais, au lieu de rassembler une armée capable
de résister au vainqueur, le général Rossignol qui y commandait, avait
disséminé ses forces à Vitré, à Ernée, à Fougères ; voulant tout couvrir à la
fois, il ne put rien sauver. Ce
n'était partout que confusion et sujet d'alarme. Paris même était livré,
relativement à cette guerre, à des transitions subites, à des impressions
contradictoires qui souvent changeaient en stupeur let transports de la
veille. « La Vendée n'est plus, avait dit Barère à la séance, du 25
octobre ; Mortagne et Chollet sont en notre pouvoir ; les brigands sont
presque, tous exterminés ; une solitude profonde règne maintenant dans la
Vendée, couverte de cendres et arrosée de larmes. La perte de Bonchamp vaut pour
nous une victoire. » D'après ces mots, la Convention, les sociétés populaires,
les autorités, les sections du peuple, les soldats s'étaient livrés à une joie
immodérée. On avait dansé dans les rues, sur les places publiques, et toutes
les bouches répétaient : Il n'y a plus de Vendée. Qu'on
juge de la profonde surprise que causèrent les bruits presqu'immédiatement
répandus de la prise de. Noirmoutiers par Charette, du passage de Loire et de
la défaite de Laval. Par une lâcheté inouïe, dix mille hommes venaient de
livrer et d'abandonner le passage. L’adjudant-général Tabari paya de sa tête
la perte d'Ingrandes, et Fabrefond qui avait le commandement général, ne fut
pas mis en jugement. Il en fut de même du commandant de Varades. Telle est,
en révolution, la justice des hommes ! Inculpé
sourdement, le comité de salut public se trouvant dans l'impuissance de rien
déguiser, fut forcé de récriminer. Son orateur, toujours inépuisable en
ressources révolutionnaires ; parut à la tribune, et détourna le blâme en le
déversant sur tous. Ces phrases de son discours ne seront point oubliées. « Tout
a changé par le défaut d'activité et d'énergie dans les mesures, par le
manque d'intelligence et d'ensemble dans leur exécution. « Victoires
simulées, prises mensongères, demi-succès exagérés, récits fabuleux, tout
aura sa place, et la nation sera vengée. « Il
approche, ce jour où le comité, d'une main assurée ; déchirera le voile épais
qui couvre toutes ces intrigues lointaines toutes ces manœuvres totales,
toutes ces trahisons militaires, toutes ces ambitions diverses des généraux,
toutes ces passions minutieuses d'une foule d'agents qui ont trop longtemps
circulé dans les départements rebelles. Administrations départementales, administrations
militaires, états-majors, conseils de guerre, intrigants de tous genres,
aristocrates de l'intérieur, et vous-mêmes, généraux, vous serez tous marqués
du sceau de la réprobation que vous méritez. » Barère
ne dissimula point les malheurs qui venaient de fondre sur la Bretagne ; il
avoua la défaite de Laval. Indigné du peu de résistance qu'opposaient lei
villes envahies par les royalistes, il fit décréter que celles qui leur
donneraient des secours ou qui ne les repousseraient point, seraient rasées.
La Convention y ajouta la confiscation des biens des habitants. Effrayé
par cette invasion, le comité jugea que c'était une issue, et non un
établissement, que cherchaient les Vendéens en Bretagne. Il pensa que leur
but devait être de s'emparer d'un port de mer ; en conséquence il arrêta le premier
novembre différentes mesures, telles que l'organisation et la direction des
rassemblements formés dans l'Orne et la Sarthe, l'ordre aux généraux Sepher
et Rossignol dé couper aux royalistes, l’un le chemin de la mer par le Calvados
et la Manche, l'autre par le département d'Ille et Vilaine ; la mise en état
de siège des places de Granville et de Cherbourg, l'envoi d'armes, de
munitions et de forces suffisantes. D'autres dispositions furent également
ordonnées pour empêcher l'ennemi de repasser la Loire. Ainsi
la défaite des Vendéens dépendait encore une fois de la réunion de plusieurs
armées. A celle des côtes de Brest, à celle de l'Ouest, devait se joindre
l'armée des côtes de Cherbourg, venant du Calvados, sous le commandement du
général Sepher. Malheureusement la direction de toutes ces forces fut confiée
au général Rossignol, incapable de porter un pareil fardeau. Le génie
transcendant qui, planant sur tout e aurait pu tout régulariser, ne se
montrait pas encore ; nul n'était assez puissant pour vaincre l'anarchie qui
s'attachait même alors aux armées. Bientôt les fautes que le comité de salut
public avait eu tant de peine, à réprimer sur la rive gauche, se
renouvelèrent en Bretagne. Une foule de commissaires de la Convention
fatiguèrent ces départements, en n'y cherchait que le pouvoir et une armée à
diriger. Nantes était le théâtre des opérations révolutionnaires de Carrier.
Angers avait dans ses murs l'ardent Francastel ; Pocholle tourmentait à
Rennes les troupes et le général ; Thirion parcourait la Sarthe pour y
trouver des armes et lever des bataillons ; Letourneur préparait à Alençon
des moyens de défense ; Laplanche conduisait l'armée des côtes de Cherbourg
vers le :Cotentin ; Garnier de Saintes et Lecarpentier donnaient au
département de la Manche l'impulsion révolutionnaire ; Esnue-Lavallée se
vengeait par des cruautés de n'avoir pu défendre la Mayenne ; Bourbotte et Thurreau,
Merlin de Thionville et Choudieu réorganisaient à Angers les colonnes battues
à Laval. Mais une volonté unique et prédominante manquait pour assurer le
succès de tous ces mouvements divers qui tendaient à cerner et à détruire les
Vendéens, de quelque côté qu'ils se dirigeassent. Tandis
que les patriotes s'épuisaient dans cette tourmente révolutionnaire, les
royalistes, maîtres de Laval, cherchaient à y acquérir plus de force et de
consistance. La victoire qu'ils venaient de remporter était d'autant plus
surprenante, que le gros de l'armée n'ayant pas eu le temps de donner, les
plus braves seulement, au nombre.de sept à huit mille, s'étaient précipités
avec leurs officiers, mais sans ordre, sur trente mille républicains, qu'ils
avaient totalement défaits. Un tel avantage les avait enivrés ; aussi
dédaignèrent-ils les conseils de la prudence. Leurs chefs s'étant assemblés, Beauvollier,
intendant-général de l'armée, proposa de profiter de la victoire pour rentrer
dans le pays vendéen. Son avis fut appuyé par La Rochejacquelein et Lescure,
qui s'était fait porter au conseil ; mais Talmont et les autres chefs firent
décider qu'on irait en avant. La
Rochejacquelein avait ordonné le recensement de l'armée. Parmi cette
prodigieuse multitude, on ne trouva que trente mille fantassins et douze
cents chevaux. Le tout se rangea par paroisses, et fut partagé en cinq
grandes divisions, commandées par Fleuriot de Lafleuriaye cadet, de Rostaing,
Desessarts, d'Autichamp et Piron. Un petit nombre d'insurgés du Loroux et de
la Basse-Vendée qui avaient passé la Loire, se réunirent à Lyrot et à
Designy. Cent quatre-vingts canonniers, partagés en quatre compagnies, furent
attachés au service de cinquante-quatre pièces de différents calibres.
Delaville-de-Beaugé, ingénieur artilleur, ancien officier au régiment R oy
al-Marine ; Greslier, commandant l'artillerie légère ; Duchesnier, natif de
Saintes„ ancien officier d'artillerie, et Pérault, ancien major du même
corps, dirigeaient cette arme sous Bernard de Marigny. Royrand et Laroche-Saint-André
figuraient aussi parmi les principaux chefs royalistes ; Desessarts père et
fils rédigeaient les proclamations et les adresses, et Beauvollier l'aîné
faisait les fonctions d'intendant-trésorier-général. Telle était la
composition de l’armée catholique. Elle comptait aussi plusieurs chefs
secondaires : Dehargues et le chevalier Duhoux, tous deux adjudants-généraux
; Allard ; Herbault ; Bernez, l'ami de d'Autichamp ; Sarazin, Dieuzy,
Caquerey, tous anciens pages du roi ; le vicomte de Scépeaux, beau-frère de
Bonchamp ; le chevalier de Villeneuve, les deux jeunes Beauvollier, Verteuil,
Solerac, ancien exempt de la maréchaussée ; la Bigotière, Bonein, officier
d'un rare mérite ; le chevalier de Chantereau, le comte de Bellevue, Amédée
Bejari, Forestier, Berard, Daniaud-Duperat, Jarry, Solibac Gareau, Keller,
etc.... Le marquis de Donnissan, gouverneur du pays, conquis, en sa qualité
d'ancien officier-général, présidait aux délibérations du conseil militaire,
: où tout se décidait, même ce qui était relatif à l'administration civile.
Dissous depuis la prise de Chatillon, le conseil supérieur, n'existait plus ;
: ses membres ne s'étaient plus réunis. L'évêque d'Agra et le curé de
Saint-Laud suivaient l'armée, et stimulaient par leurs prédications le zèle
et la ferveur de ces nouveaux croisés. Ils ne
trouvèrent point à Laval les secours promis par Talmont, soit que le temps
eût manqué, soit que les dispositions eussent été mal, prises. Il fut donc
impossible d'y établir le foyer d'une Vendée indigène. Cependant Besnier de
Chambré, homme à caractère, proscrit alors par les républicains comme
fédéraliste, offrit à Talmont quatre mille hommes, dont il se réserva le
commandement. Il se Chargea de faire les premières levées auxiliaires ; mais
le succès ne répondit point à ses espérances, quoiqu'il eût commandé la garde
nationale de Laval. Pendant
dix jours de résidence dans cette ville, les chefs vendéens se signalèrent
par leur modération. La discipline la plus exacte fut observée. On ne mit en
réquisition que les subsistances ; tout le reste fut respecté. Un habitant de
Laval, nommé Desprez, auquel un Vendéen avait volé un objet de peu de valeur,
s'étant plaint à Talmont, le soldat fut à l'instant fusillé. Le
conseil chercha des moyens de suppléer au défaut d'argent. Comment pourvoir aux
besoins pressants et multipliés de l'armée, dont le trésor était vide ?
Comment liquider les dettes urgentes contractées, soit pour le service des vivres,
soit à titre d'indemnité pour les dommages occasionnés par le passage et le
séjour des Vendéens ? Toutes ces questions furent agitées.
L'intendant-général proposa l’émission d'un papier-monnaie, non seulement
comme un gage fictif qui pourrait faire face aux réquisitions, comme pouvant
balancer l'influence des assignats républicains, en liant tous les porteurs
de bons royaux à la cause vendéenne. Après quelques débats, la proposition de
Beauvollier prévalut. Le conseil arrêta la création de bons ou effets royaux commerçables,
portant, intérêts, hypothéqués sur le trésor royal, et remboursables à la paix.
On en fit imprimer pour 900.000 livres tournois, depuis cinq jusqu'à trois
cents livres inclusivement Tous ces billets furent signés par Donnissan, le
prince de Taleront et Beauvollier, tous membres du conseil, ainsi que par le
curé de Saint-Laud, qui avait concouru à la rédaction, du projet[1]. Le même
jour une division, entraînée par Stofflet, s'ébranla pour s'avancer vers Mayenne,
sans que les chefs fussent encore bien d'accord sur leur marche, les uns
voulant se porter à Rennes, d'autres sur la côte, et quelques-uns à Alençon.
D'Autichamp fut d'abord pour ce dernier parti. Le reste de l'armée quitta
Laval et marcha droit à Mayenne, en se tenant sur la défensive, ayants à
craindre les patriotes de la Sarthe plus que l'armée de l'Ouest, qui se
trouvait entièrement hors d'état d'agir. Ces levées n'osèrent pourtant se
mesurer avec les vainqueurs ; elles abandonnèrent quelques retranchements
faits à la hâte, et l’armée catholique entra le premier novembre dans Mayenne
sans éprouver de grands obstacles. Le conseil militaire y fut assemblé ; en
se plaignit du peu de succès de la cause royale dans la province du Maine, et
de la légèreté des promesses faites par Talmont. Bientôt le choc des opinions
et leur contradiction aigrirent les esprits. On assure que La Rochejacquelein
fit à peu près le discours suivant : « Si notre cause était désespérée,
il ne nous faudrait que le L'audace : nous marcherions droit sur Paris ; nous
frapperions au cœur le colosse de la république ; et si nous étions repoussés,
nous courrions prendre à dos l'armée du Nord, tandis que les Autrichiens l'attaqueraient
en tête. » Une opinion si hardie étonna, sans qu'il lui fût donné aucune
suite. Il fut décidé que l'on marcherait sur Alençon pour délivrer des
prisonniers royalistes et pour chercher de nouveaux secours. Le conseil
s'étant encore assemblé le lendemain, les partisans de l'étranger s'y
montrèrent en forces. Le prince de Talmont insista pour gagner la côte ; son
avis fut appuyé par d'Autichamp : « Vous vous plaignez des Bretons, dit
le prince, et nous ne sommes pas encore en Bretagne. A Laval n'avons-nous pas
trouvé quelques secours ? Les campagnes ne nous en préparent-elles pas de
plus puissants encore ? En proposant de gagner la cote, je ne fais que
reproduire les vues d'un chef que nous, regrettons tous.
Bonchamp vous a prouvé que nous n'aurions jamais de consistance par
nous-mêmes ; qu'il nous fallait l'appui de l'étranger. Si les promesses de
Tinténiac ne se sont point réalisées, il faut peut-être nous en accuser
nous-mêmes : il fallait passer la Loire plus tôt. Qu'avons-nous fait
dans la Vendée ? Au lieu de nous emparer des Sables-d'Olonne, nous n'avons
même pu envahir Luçon, faute d'accord. Maintenant l'armée est une et ne
connaît qu'un seul chef. Quant à Tinténiac, il ne nous a pas trompés :
l'Angleterre soutient la cause des rois ; ses dispositions nous sont
favorables. La communication est établie entre Jersey et la Bretagne ; Que
nous demande-t-on ? d'occuper un point sur la cote pour favoriser le
débarquement. Marchons donc vers Saint-Malo ; là nous trouverons quelque
issue, et nous déciderons ce qu'il conviendra d'entreprendre. » Rostaing,
Fleuriot, Saint-André, Donnissan, Desessarts, Piron et Beauvollier soutinrent
fortement cet avis, qui fut adopté. Le même jour l'armée marcha sur Dol par
Ernée et Fougères. Ces deux villes, peu éloignées l'une de l'autre, n'étaient
défendues que par quatre mille républicains, placés en échelons dans des
postes intermédiaires. Le dix-neuvième régiment d'infanterie légère, en
avant-garde à Ernée, devait, en cas d'échec, se replier successivement sur la
Pèlerine et Fougères. Cette troupe, abusée par la faiblesse apparente d'une
colonne royaliste, s'avança pour la combattre. La Rochejacquelein qui avait
divisé son armée en trois corps, fit reculer au petit pas celui du centre à
la vue des républicains. Ceux-ci, emportés par une ardeur imprudente,
poursuivirent les royalistes, et s'éloignèrent des corps qui devaient les
protéger. Bientôt dans le piège qu'on leur avait tendu, ils y furent
assaillis en queue et en flanc, et taillés en pièces par les deux ailes de
l'armée royale. Un tiers s'étant échappé, se replia sur Fougères, où il jeta
l'épouvante. Les canonniers du Contrat-Social avaient établi une batterie en
avant de cette ville, sur la principale route, et le reste de la petite armée
républicaine, sous k commandement de l'adjudant-général Brière, s'était rangé
en bataille des deux côtés ; après s'être couvert par des abattis et des
tirailleurs. Ceux-ci ayant refusé de se battre autrement qu'en masse, la
cavalerie vendéenne passa sans obstacle par les chemins de traverse pour
tourner la position de Fougères, pendant que le gros de l'armée attaquait de
front. Les républicains soutinrent d'abord le choc, grâce aux canonniers de
Paris ; mais bientôt, craignant de partager le sort de l'avant-garde, ils
s'enfuirent en désordre vers Fougères, où ils trouvèrent l'ennemi qui
forçait, déjà les prisons pour délivrer deux cents prisonniers du parti
royaliste. Atteints de tous côtés, les fuyards tombent sous les coups d'un
ennemi victorieux ; quelques-uns se jettent dans les maisons et s'y cachent
pour échapper à la mort, mais les Vendéens les poursuivent et ne leur font
point de quartier ; aussitôt découverts, aussitôt fusillés. Ce qui peut se
soustraire au carnage fuit à Vitré, à Rennes même à Avranches, jetant fusils,
havresacs, et jusqu'aux certificats de civisme. Les républicains durent cette
funeste déroute à leur manque de cavalerie. Ceux qui se réfugièrent à Rennes,
et ce fut le plus grand nombre, firent, sans s'arrêter, neuf lieues en neuf
heures, malgré la pluie et les mauvais chemins. L'alarme se répandit de
nouveau dans l'ancienne capitale de la Bretagne. Les généraux, les
commissaires conventionnels furent extraordinairement convoqués pendant la
nuit : l'assemblée se tint chez le général en chef, en présence de toutes les
autorités. Ira-t-on courageusement à la rencontre de l’ennemi, ou
l'attendra-t-on de pied ferme en bataille aux portes de la ville ? Telles
furent les questions agitées dans le conseil. Aucune ne fut adoptée, et
l'ordre fut donné aux troupes qui étaient imprudemment disséminées dans des
postes différents, de se replier sur Rennes, où l'on forma un corps d'armée
capable de quelque résistance. Dépourvu
de notions exactes sur la position et la force de l'ennemi, le général
Rossignol avait imputé à la lâcheté de l'armée une défaite due plutôt à l'impéritie
de ses chefs. Un commandant de bataillon lui ayant fait observer le danger du
morcellement des troupes, en reçut pour toute réponse : « N'avez-vous
pas juré de » mourir à votre poste ? » En effet, les soldats y
moururent. Les
dispositions des républicains pour garantir Rennes devinrent inutiles. Les
Vendéens restèrent quatre jours à Fougères. Ce district, berceau de la conjuration
de la Rouerie, renfermait des éléments de royalisme ; mais il ne s'y trouvait
aucun chef accrédité. Quelques rassemblements obscurs, connus sous le nom de petite
Vendée, s'étaient bien formés récemment aux enviions de Vitré, entre
Rennes et Fougères ; mais les chefs vendéens dédaignèrent d'admettre dans
leurs rangs des hommes qui n'avaient aucune consistance politique. Fougères
fournit cependant quelques renforts. Putaud de la Baronnie, médecin de cette
ville, se mit à la tête d'une troupe de paysans, et s'attacha comme auxiliaire
à l'armée Catholique : mais l'exemple du Morbihan, de Laval et de Fougères
n'entraîna point la masse de la Bretagne ; bientôt étouffées, ces
insurrections partielles furent perdues pour les Vendéens. Je ne les indique
ici que légèrement, me réservant d'entrer à cet égard dans de plus grands
détails quand je traiterai de la chouannerie. Ce fut
à Fougères que Georges Cadoudal, devenu depuis si fameux, joignit l'armée
vendéenne, à la tête d'une troupe de cent cinquante Morbihannais. Dès-lors
son caractère audacieux et entreprenant s'annonça. Tout jeune et à peine
sorti du collège de Vannes, il, devint l'un des moteurs des insurrections de
son-département. Ses premières tentatives ne furent point heureuses. Dès
qu'il Connut le passage de la Loire, il conçut le projet de joindre l'armée
catholique. Ce fut à la tête de cette poignée de paysans déterminés, la
plupart mal armés, les cheveux épars à la manière des Bas Bretons, qu'il
traversa les forêts, essuyant plusieurs engagements en route, et qu'il arriva
à Fougères. Les chefs vendéens firent distribuer à sa troupe des fusils
neufs. Georges suivit l'armée jusqu'à Savenay ; mais il fut peu remarqué à
cette époque. Le
séjour de Fougères fut marqué également par la mort de Lescure et par la
douleur qu'en ressentit l'armée. Ce chef célèbre, grièvement blessé à la
tête, avait été porté sur un brancard de Varades à Laval ; deux cents
Vendéens, commandés par le chevalier de Beauvollier, lui servaient d'escorte.
Il mourut entre Ernée et Fougères, le lendemain du jour où il avait encore
paru au conseil pour y donner son avis : sa mort ne fut bien connue qu'à
Fougères. Lescure s'était toujours signalé par son courage et sa modération ;
aussi laissa-t-il un nom illustre parmi des Vendéens, Fils d’un père prodigue,
il fit le meilleur emploi de sa fortune ; doux, poli, sensible, il mérita,
par ses vertus privées et sa bienfaisance, les regrets de son parti. Brun, et
d'une taille élevée, ses traits étaient beaux ; mais il était maigre et pâle
sans être néanmoins efféminé il avait plutôt l’air triste et malade ce qu'on
attribuait son goût excessif pour l'étude et à sa rare piété. Intrépide et
calme dans les dangers, jamais son courage tranquille ne se démentit. Les
Vendéens placèrent son corps dans un cercueil, qu'ils traînèrent avec eux. L'armée
royale partit séparément de Fougères, en deux colonnes, pour trouver plus facilement
des vivres, et se réunit le 9 novembre à Dol, où elle prit deux jours de repos.
Des charriots couverts, faits à la hâte à Fougères, servirent à transporter
les blessés. Pendant
la route se forma la bande noire, ainsi appelée, parce que ceux qui la
composaient portaient un crêpe noir au bras gauche, en signe de ralliement.
Cette troupe de pillards était conduite par la Bigotière, Renou et les frères
Toutan, tous deux de Loudun, et transfuges du parti républicain : il s'y
était joint des Allemands et autres déserteurs étrangers. Ces hommes
commirent tant d'excès, qu'il fut souvent question de les traduire devant un
conseil de guerre ; mais les circonstances étaient tellement pressantes, que
les chefs de l'armée se virent dans l'impuissance d'ordonner cet acte de
vigueur ; on les força seulement de déposer dans la caisse de l'armée 15.000
fr. qu'ils avaient volés à un curé après l'avoir massacré. Le jour
même de l'arrivée de l'armée catholique à Dol, Freslon et
Raoul-Saint-Hilaire, en habits de paysan et accompagnés d'un guide,
joignirent l'armée, au moyen des communications établies par Prigent, de
Saint-Malo, l'intermédiaire le plus actif qu'il y eût entre le cabinet de
Londres et la Bretagne. Prigent lui-même, envoyé directement par le ministère
britannique, avait débarqué de nuit sur les côtes de Saint-Malo, vers les
premiers jours d'octobre. Il s'y était tenu soigneusement caché et n'avait vu
qu'un petit nombre de personnes sûres. Chargé de recueillir des notions
exactes sur la situation des royalistes, il apprit le passage de la Loire et
en rendit compte de suite à MM. de Cray et Dudresnay, le premier commandant
de Guernesey, le second chargé des affaires militaires de la Bretagne, depuis
la mort de la Roua-rie. D'après le rapport de Prigent, le cabinet rie Londres
envoya en toute hâte Saint-Hilaire et Freslon, et ensuite Bertin, de
Saint-Malo, avec des dépêches pour les chefs de la Vendée. Un chasse-marée
jeta les deux premiers, pendant la nuit, sur la plage de l'anse de Genet,
d'où ils parvinrent par des communications secrètes au quartier-général de
Dol. Ils furent conduits aussitôt devant l'intendant-général et le
généralissime, auxquels ils remirent leurs dépêches, signées du comte de
Moira, de Henri Dundas et de Pitt. Le conseil fut assemblé aussitôt pour en
connaître l'objet. Le ministère britannique réitérait les mêmes demandes que
celles qui avaient été précédemment apportées par Tinténiac. Il annonçait en
outre des secours prompts et efficaces ; il engageait les royalistes à faire
une tentative sur Saint-Malo ; et, dans le cas où cette place serait d'un
trop difficile accès, il laissait l'alternative d'une attaque sur les
hauteurs de Granville pour favoriser le débarquement. Le conseil vendéen
dressa rapide ment l'état des besoins de l'armée ; il insista
particulièrement sur des effets de campement, des artilleurs, de la farine et
du riz. Dès Laval, la disette s'était fait sentir dans l'armée : les paysans
vendéens n'avaient pour toute nourriture que de la galette de bled noir,
aliment grossier auquel ils n'étaient point accoutumés, et qui occasionnait
beaucoup de maladies. Quant à l'attaque de Saint-Malo, elle fut jugée
impraticable, les républicains ayant fait des préparatifs pour s'y défendre :
le conventionnel Gilet venait d'approvisionner le fort de Châteauneuf et la
citadelle de Saint-Servan. Il fut donc arrêté qu'on se porterait sur
Granville ; l'on convint également des signaux et du jour de l'attaque. Dans
le conseil, présidé par Donnissan, le chevalier Desessarts rédigea les
réponses et la lettre au roi d'Angleterre, que les principaux chefs signèrent
individuellement. Les deux émissaires partirent le lendemain à la pointe du
jour, ayant laissé l'assurance qu'ils arriveraient le même jour à Jersey pour
déterminer le départ de l'expédition anglaise. Tout, dans cette affaire
importante, fut traité avec précipitation et légèreté ; on n'eut égard ni aux
obstacles ni aux distances, tandis qu'au contraire tous les hasards devaient
se calculer pour assurer l'exécution d'un plan subordonné aux chances des
éléments comme à celles des combats. L'armée
royale resta deux jours à Dol ; elle .se mit en marche le 11 novembre, et
occupa Pontorson le même jour, après avoir rétabli le pont sur la chaussée de
cette ville. Dans la route, les hussards républicains, commandés par Marigny,
atteignirent des femmes et quelques traîneurs qui furent massacrés. Un
détachement vendéen resta à Pontorson. Lyrot-Lapatrouillère, Verteuil et
l'intendant de l'armée, qui étaient à l'arrière-garde, firent couper les
chaussées, afin d'arrêter l'ennemi. Le général Rossignol, dont les forces
étaient réduites à douze mille combattants, n'osa point poursuivre lei
'royalistes sans l'armée de l'Ouest, également diminuée de moitié depuis sa
défaite et sa réorganisation. La jonction de toutes ces forces ne put avoir
lieu que le 17 novembre, à Rennes. Les Vendéens auraient pu sans doute
profiter de cet intervalle, mais le destin en décida différemment. Depuis
la victoire de Fougères, le département de la Manche était ouvert aux
royalistes. Il n'y avait plus ni bataillons ni chefs pour la défense de la
presqu'île ; mais à rapproche du danger, et malgré la stupeur générale, les conventionnels
Lecarpentier et Laplanche firent sonner le tocsin et tirer coup sur coup le canon
d'alarme. Ce mouvement devint bientôt électrique. Administrateurs, hommes,
femmes, enfants, tout en un instant fut debout pour la république : doute
mille hommes se réunirent à Saint-Lô en vingt-quatre heures, sans armes et
sans pain. Cette masse ne pouvant rien garantir, il fallait une mesure hardie
pour sauver Granville. Lecarpentier n'hésite point ; il appelle ce qui
restait de troupes disponibles à Cherbourg et à la Hogue, et réunissant près
de quatre mille soldats de ligne et quinze pièces de canon, il dirige le tout
sur Coutances, et couvre Granville, qu'il déclare en état de siège. Les
débris des troupes battues à Fougères accoururent également à la défense de
cette place, où il se forma un conseil défensif. Vu l'état de ses
fortifications, Granville ne fut considéré que comme un poste militaire. Lecarpentier
pressait le comité de salut public de faire couvrir la presqu'île. Lès le 7
novembre, les généraux et les commissaires de la Convention avaient arrêté à
Rennes, en conseil de guerre, après une longue délibération, que l'armée de
l'Ouest se rendrait, dans le plus court délai, à Fougères par Laval, où se
tiendrait encore un conseil de guerre pour régler les opérations Ultérieures
; il avait été également décidé que le général Peyre prendrait le
commande-nient de la place de Granville, et que le général Sepher, arrivant
de Caen avec quatre mille hommes, couvrirait Saint-Lô, ferait replier
sur-Cherbourg les poudres, les canons et munitions, et couvrirait aussi le
Calvados et le département de la Manche, au moyen de quelques renforts réunis
à Alençon. Cette
colonne du général Sepher, qui ne tarda point à se signaler sous le nom
d'armée des côtes de Cherbourg, venait de partir de Caen pour se porter sur
Vire. Lecarpentier
ordonna une levée extraordinaire depuis vingt-cinq jusqu'à trente ans ; et,
pour remédier au découragement causé par les bruits sinistres et alarmants
semés de toutes parts, il fit proclamer la peine de mort contre tout alarmiste
: dénomination inventée dans ces temps de crise pour imposer silence à ceux
qui osaient publier les revers ou douter des succès de la république. L'armée
royale, inquiète, quitta Pontorson et se hâta d'éviter les colonnes ennemies
en marchant droit sur Avranches, d'où elle pouvait te porter sur Granville et
envahir tout le Cotentin par Villedieu. Il lui était également facile de
pénétrer dans le Calvados, pays rempli de-mécontents. Précédée
par la terreur, elle franchit les abattis, les fossés et tous les obstacles
répandus sur sa route ; elle investit Avranches, dépourvu de remparts et de
grosse artillerie. Une garnison, composée de nouvelles levées, abandonne
cette ville, qui ouvre aussitôt ses portes. Un renfort envoyé pour la
secourir, n'ayant pu la sauver, fit une marche rétrograde. Les Vendéens
trouvèrent intacte à Granville cette même garnison d'Avranches, qu'ils
eussent indubitablement massacrée si elle eût osé résister. Pendant
la marche de Pontorson à Avranches, un piquet de cavalerie vendéenne se porta
au mont Saint-Michel. Les républicains l'avaient évacué avec une telle
précipitation, que les royalistes y trouvèrent encore plusieurs prêtres, qui,
s'attachèrent pour la plupart à leurs libérateurs, dont ils partagèrent le
sort. A
Avranches, le conseil vendéen s'étant assemblé, on y éleva des doutes sur le
succès de l'attaque de Granville les uns alléguèrent la position de la place
et son état de défense ; d'autres, la répugnance des Vendéens pour les
sièges, leur inaptitude aux attaques régulières. « Temporisons, disaient
les plus prudents ; faisons une trouée dans la presqu'île, et marchons
d'abord à Villedieu ; ensuite nous dissiperons la levée en masse ; nous
repousserons la division républicaine qui vient de Caen, et qui est trop
faible pour pouvoir résister. Alors il nous sera facile de nous maintenir
dans la presqu'île, à la proximité des côtes, jusqu'à l’arrivée des Anglais. »
Mais la crainte d'être enveloppés par toutes les forces ennemies, les
promesses de d'Openheim, officier du génie, fait prisonnier à Fougères, qui
répondit de la prise de Granville, dont il prétendait connaître le côté
faible, et surtout l'impatience française, déterminèrent l'attaque. La
Rochejacquelein, Stofflet, Desessarts, le chevalier de Beauvollier,
Villeneuve et d'Autichamp marchèrent sur Granville avec la moitié de l'armée.
Talmont se mit à la tête de la cavalerie. Fleuriot, Rostaing et Royrand
restèrent à Avranches pour couvrir le siège et faire diversion. Le
conseil défensif de Granville ayant été averti, la moitié de la garnison
marcha pour défendre les approches de la place. Le conventionnel Lecarpentier
était à la tête de la colonne avec le général Peyre qui la commandait ; ils
avaient du canon, deux mille hommes, quelques hussards et des gendarmes. On
se porta sur la route de Villedieu et' d'Avranches ; un corps de réserve se
tint à l'embranchement des deux routes ; à droite, un détachement fut envoyé
pour protéger la grève vers le continent et le fort de la Roche-Gauthier qui,
n'étant point tenable, resta sans défense. L'adjudant-général
Vachot, avancé sur la foute d'Avranches, fut bientôt attaqué par les
tirailleurs de Stofflet. Sur le point d'être tourné, il n'eut que le temps de
se replier sur la réserve ; le détachement placé sur la route de Villedieu en
fit autant. On était encore dans le doute si l'on disputerait
ou si l'on cèderait le passage, lorsqu'une ordonnance vint avertir le général
Peyre que la cavalerie vendéenne s'étant détournée par la grève, avait
culbuté le détachement dirigé sur ce point, et s'avançait au trot pour
tourner sa colonne : à l'instant même l'ordre fut donné de rentrer dans la
place. La retraite se fit sous le feu des batteries, et les troupes, en
rentrant successivement, furent réparties sur l'isthme, sur l'esplanade et
sur les remparts : en un moment tous les postes se trouvèrent gardés. Taudis
qu'une division de l'armée royale investissait Granville, dix à douze mille
Vendéens, à l'instigation de leurs prêtres et de quelques chefs subalternes,
s'obstinèrent à rester dans Avranches. On les avait aigris en publiant que
les chefs ne voulaient s'emparer d'un port de mer que pour passer en
Angleterre et abandonner l'armée : cependant Fleuriot, Lyrot et Royrand
parvinrent à faire sortir un détachement qui, marchant sur Villedieu, menaça
tout le Cotentin. Villedieu fut envahi, malgré quelques patriotes qui
périrent victimes de leur intrépidité. Les vainqueurs, pour venger la mort
d'un adjudant-général, ancien garde-chasse, qui se nommait Richard, mirent le
feu à quelques maisons, brûlèrent les archives de la municipalité et
rançonnèrent les bourgs voisins. Ils pouvaient de là marcher sur Saint-Lô
pour faire une trouée dans le Calvados : Saint-Lô n'avait ni troupes ni
canons ; il n'y avait que des paysans sans armes et point de soldats. Le général
Beaufort, chargé de couvrir Cherbourg pourvut à tout par son incroyable
activité et en électrisant la levée en masse. En quinze heures, des
retranchements furent élevés, et tous les passages de la Vire en état de
défense. Enfin, après avoir réuni trois mille hommes de troupes réglées, ce
général appuyant sa droite à Saint-Gilles, poussa ses avant-postes à Marigny
; sa cavalerie, postée dans la plaine en face la redoute de Gonfaleurs,
attendait de pied ferme l'ennemi sur ce point, qui était le seul où il pût se
déployer. Malheureusement le soldat n'avait de vivres que pour quatre jours :
le général Beaufort voulait absolument attaquer ; lei commissaires de la
Convention s'y opposèrent. Tout alors dépendait des hasards qui pouvaient
éterniser tant de calamités ; aussi l'armée royale, garantie d'un côté par la
diversion de Villedieu, n'ayant sur ses derrières qu'un ennemi imprévoyant et
encore abattu, attaqua sans hésiter Granville. Deux
prisonniers républicains envoyés comme parlementaires, se présentèrent aux
postes avancés de la ville ; ils remirent deux sommations, rune au commandant
de la place, l'autre aux officiers municipaux. Les chefs royalistes, au nom
de Louis XVII, rendaient les commandants et les officiers de la garnison
responsables des malheurs qui allaient fondre sur les habitants de Granville.
Leur sommation aux officiers municipaux était encore plus menaçante. En voici
la substance : « Les généraux de l'armée catholique et royale préfèrent
la conquête des » cœurs à celle des villes ; ils ne demandent qu'à épargner
le sang français. Ouvrez vos portes sans résistance ; un peuple d'amis
entrera dans vos murs avec la branche d'olivier pour y faire régner, à
l'ombre de l'autorité royale, l'ordre, la paix et le bonheur que vos tyrans
vous promettent en vain. Evitez les malheurs d'une résistance inutile ; songez
qu'un feu vengeur arme nos bras ; songez que les indomptables habitants de la
Vendée, vainqueurs et destructeurs des garnisons de Valenciennes et de
Mayence, sont là, et qu'ils peuvent s'ouvrir un passage par le fer et par le
feu. Tous les vôtres qui sont nos prisonniers, otages de ceux que nous vous
envoyons comme parlementaires, répondront sur leurs têtes du retour de leurs
camarades... Si, dans une heure précise, nous n'avons reçu de vous aucune
réponse, le canon vous annoncera que ces mêmes prisonniers ne sont plus...[2] Ces
menaces furent inutiles ; de pareils sacrifices ne coûtaient rien alors à la
fureur des partis : les républicains ne daignèrent pas même répondre, et des
deux côtés on ne songea plus qu'à combattre. Les remparts de Granville
commencèrent le feu, et les batteries des royalistes, placées sur les restes
du fort Gauthier, ripostèrent aussitôt. Leur cavalerie occupa les hauteurs du
faubourg Saint-Nicolas ; l'infanterie se jeta rapidement dans les maisons de
la rue des Juifs, placées immédiatement sous les murs de la ville. C'est de
là qu'à travers les lucarnes et les toits, un nombre infini de tirailleurs
firent pleuvoir une grêle de balles sur les canonniers républicains, forcés
de se découvrir pour servir leurs pièces. Maîtres du faubourg, les Vendéens
se glissèrent au pied des murailles et montèrent à l'assaut. Forestier, suivi
de quelques Vendéens, était déjà sur les remparts, quand lm déserteur cria à
la trahison ; un officier royaliste lui brûle à l'instant la cervelle : mais
l'impulsion était donnée ; ces braves qui étaient en trop petit nombre,
hésitent reculent et culbutent Forestier dans un fossé, où il resta longtemps
évanoui. Les assiégés reprennent les remparts, et bientôt le feu redouble.
Clément Desmaison, officier municipal, fut tué à la tête des patriotes, dont
il animait le courage. Sa mort ayant amené un instant de confusion, l'on
craignit que le désordre ne se répandit dans la ville ; ce qui obligea
Lecarpentier à faire une proclamation sévère pour en imposer aux lâches et
aux traîtres. L'ennemi
cependant faisait très peu de progrès ; il ne pouvait gravir des murs que
défendait le feu le-mieux soutenu. Les assiégés conservaient une intrépidité
héroïque, et les blessés encourageaient eux-mêmes leurs camarades ; partout
les canonniers de la marine portaient le carnage et la mort, et ne
répondaient aux cris de vive Louis XVII que par des coups redoux blés. On
voyait des flemmes, des enfants transporter les boulets et la mitraille des
magasins de l'esplanade aux batteries de l'isthme. Étonnés d'une telle
résistance, les royalistes se retranchèrent dans les faubourgs pour se mettre
à l'abri du feu des assiégés, et bientôt les soldats, et surtout, les
canonniers patriotes, tombèrent sans qu'on pût juger d'où partaient les coups
qui leur donnaient la mort. L'attaque et la défense se prolongèrent jusqu'à
la nuit avec une égale fureur. Le conseil défensif était en permanence, et
semblait craindre que les faubourgs qui servaient d’asile aux assaillants, n'entrainassent,
en favorisant un assaut de nuit, la perte de la place. Après
une longue délibération, Lecarpentier proposa le sacrifice d'une portion de
Granville pour en sauver le reste ; mesure extrême dont l'ordre fut à
l'instant, donné. On dépava les rues : hommes, femmes, enfants, tous les bras
furent indistinctement employés. Les bombes »et les boulets rouges dirigés
sur les faubourgs, ne répondent point assez vite à l'impatience des
républicains. L'adjudant-général Vachot s'élance, à la faveur des ténèbres,
la torche à la main, à la tête de quelques soldats intrépides. Bientôt la
flamme pétille, et les Vendéens se-trouvent forcés d'abandonner un poste d'où
le feu d'une artillerie formidable n'avait pu les chasser. Quelques
imprudences dans l'exécution de l'incendie et la violence du vent du
nord-ouest qui s'éleva tout à coup, firent bientôt craindre que la ville
entière n'eût le sort des-faubourgs. Déjà
des masses de fumée, des tourbillons étincelants s'élevaient au-dessus des
remparts, des gerbes de feu couvraient les toits ; Granville offrait partout
l'image d'une irruption volcanique, dont les flammes menaçaient de tout
dévorer. Dans ce moment terrible, les assiégés placés dans une ville étroite,
entre la mer et le feu, prennent la résolution de passer à travers les
flammes pour se précipiter, le fer à la main, sur l'ennemi. Avant d'user de
ce moyen désespéré, on tente d'arrêter les progrès du feu. L'on vit alors ces mêmes
soldats qui étaient restés sans nourriture depuis le commencement de
l'attaque, déposer leurs armes pour combattre et arrêter l'incendie. Ils
montrèrent dans cette lutte nouvelle la même intrépidité : la ville est
préservée de la communication des flammes, malgré l'ennemi qui, revenu d'un
instant de stupeur causé par l'aspect de la désolation générale, se détermine
à livrer un second assaut. La Rochejacquelein et Stofflet parcourent les
rangs, trouvent les esprits abattus, et cherchent en vain à les ranimer par
l'espoir de la victoire ; leurs ordres sont à peine écoutés. L'évêque d'Agra
revêt alors ses habits sacerdotaux, et, le crucifix à la main, il multiplie
ses exhortations au nom de la foi catholique et de la royauté. La religion
parait réchauffer le courage des soldats ; les chefs en profitent et donnent
eux-mêmes l'exemple, en se mettant à la tête des plus courageux qui les
suivent. On attaque de nouveau du côté de l’isthme et par la grève ; les uns
filent sur les remparts, les autres s'approchent des palissades ; le roc même
est gravi par plusieurs. Les batteries et les tirailleurs secondent l'attaque
; mais partout les républicains se défendent avec une égale bravoure ; le
canon de la place démonte quelques pièces des assaillants, et le feu des
remparts porte la mort dans leurs rangs découragés. Les chefs provoquent en
vain une attaque générale ; les braves marchent seuls ; on refuse bientôt de combattre,
et tous abandonnent leurs postes, après un siège de vingt-huit heures, laissant
les faubourgs et la grève couverts de quinze cents morts ou mourants. Partout
on voit des canons sans affûts, la terre couverte de drapeaux en pièces,
d'armes brisées, de cadavres dont les membres épars sont à demi-brûlés.
Plusieurs victimes périssent encore sous les décombres embrasés ; Lemaignan,
membre du conseil supérieur, dont le bras droit a été emporté d'un coup de
canon, expire faute de secours ; les chevaliers de Royrand, de Beauvollier et
de Villeneuve, le brave Roger-Monlinier, Guien de Montreuil et Pérault sont
blessés grièvement. Les Vendéens, aigris par leurs prêtres contre leurs chefs
et par tout ce qui s'offre à leur vue, s'éloignent la rage dans le cœur ; la
plus vive fermentation les agite ; tantôt ils s'arrêtent, tantôt ils courent
en désordre, s'assemblent en tumulte, déplorent amèrement leur sort, et
accusent hautement ceux qui les ont arrachés à leurs ravins, à leurs champs
fertiles. « Au moins, s'écrient quelques furieux, nous pouvions, après
un échec, braver la rage de l'ennemi ; nous trouvions un asile et des
secours. Ici nous ne voyons qu'une plage stérile, un pays dévorant et la
mort. Puisse la foudre écraser les conseillers perfides qui, dans leur folle
ambition, nous ont, tous poussés à notre perte. » De tous côtés on n'entend
qu'invectives et menaces ; les ordres des chefs ne sont plus écoutés ; en
vain ces derniers cherchent-ils à calmer cet esprit de révolte. « Encore
un moment de persévérance, et, nous trouverons, disent-ils, le salut sur ce
rivage. La Providence nous secondera ; la flotte anglaise couvre les mers ;
des secours vont arriver. Qu'avons-nous à craindre ? Ici nul ennemi n'ose
combattre en rase campagne ; cette presqu'île est féconde ; sa position est
heureuse, et nous pourrons nous y maintenir, en attendant les renforts qui
assureront nos succès. » Tels étaient leurs discours, auxquels on ne
répondait que par des plaintes amères et des cris de rage. Une seule volonté
bientôt se manifeste, elle est tumultueuse, mais énergique. Tous veulent à
tout prix regagner la Vendée, tous promettent de surmonter les obstacles qui
s'opposeraient à ce retour ; un grand nombre abandonne ses chefs pour suivre
ses prêtres ; l'armée se divise, elle allait se désorganiser entièrement, lorsqu’il
se fit tout à coup, dans ce qui restait, un moment de silence ; quelques voix
en profitèrent pour réclamer l'attention : la multitude écoule ; on entend
d'abord distinctement ces mots : fuite, désertion, trahison. Les noms
de Talmont, de d'Autichamp, de Beauvollier, de Solérac, du curé de Saint-Laud
sont ensuite répétés : « Ils ont quitté l'armée, ils gagnent la plage,
ils vont s'embarquer et fuir en Angleterre. » Voilà ce dont on les accuse
hautement. Des cris d'indignation et de rage se succèdent ; ce n'est plus une
armée, c'est une horde décile née, furieuse, en pleine révolte contre ses
chefs ; La Rochejacquelein lui-même est méconnu. Un simple garde-chasse,
Stofflet, conserve seul de l'ascendant sur cette
multitude séditieuse ; les autres chefs intimidés n'osent plus commander à leurs
soldats. Ceux-ci se groupent §e séparent pour se rassembler encore. Talmont,
regardé comme l'instigateur de la fatale transmigration, n'est plus aux yeux
des Vendéens qu'un lâche déserteur. on répète
partout qu'il veut fuir sur mi bateau ; que cent louis et ses plus beaux chevaux
ont été offerts et refusés. Les avis extrêmes sont seuls écoutés. Par une espèce
d'esprit de vertige, on allait s'entre-tuer, lorsque Stofflet, à la tête d'un
piquet de cavalerie, accourt et trouve en effet Talmont près de quitter le rivage.
Il veut à l'instant le faire saisir ; ses cavaliers n'osent porter la main sur
le prince ; il fond alors sur eux le sabre à la main, et les force d'exécuter
son ordre. Le prince est désarmé ; un détachement l'entoure, le ramène 'au
camp avec les autres chefs qui l'avaient suivi. Stofflet parvient à le
garantir de la fureur de l'armée, en faisant serrer les rangs de la troupe
qu'il commande. Dans quelques groupes, les esprits sont encore exaspérés,
mais le désarmement du prince, sa situation humiliante, calment la
fermentation, et cet exemple de sévérité inspire à la multitude un sentiment
de pitié qui remplace tout à coup la fureur. Talmont et les autres chefs
parviennent à se faire entendre. « Ils n'avaient voulu passer à Jersey
que pour presser l'arrivée des secours d'Angleterre, et en attendant l'issue
de l'expédition, sauver un grand nombre de Vendéennes. Du reste, ils
protestent qu'ils vaincront ou mourront avec leurs compagnons d'armes. »
A l'instant où la multitude commençait à s'apaiser, La Rochejacquelein
paraît, accompagné de ces mêmes Vendéens qui s'étaient séparés de l'armée
pour suivre leurs prêtres. Il adresse à tous une harangue courte, mais
énergique, les menaçant d'abandonner le commandement dans le cas où leur
insubordination continuerait. La fermeté de ce jeune guerrier, sa mâle
éloquence, font verser aux soldats des larmes de repentir. Le curé de Saint-Laud,
quoiqu'il eût lui-même suivi Talmont, acheva par ses exhortations pathétiques
'de calmer les esprits, en les ramenant à l'obéissance. Presque tous
reprirent leurs rangs, et l'armée se mit en marche dans le plus grand ordre. En
s'éloignant du rivage, les royalistes perdirent à jamais l'occasion
d'acquérir par la jonction des forces anglaises la consistance politique et
militaire qui pouvait les sauver. Alors les secours de l'Angleterre étaient
réels ; et l'expédition n'attendait plus qu'un vent favorable. Les éléments
seuls se jouèrent des combinaisons les plus sages, et trempant les espérances
des royalistes, ils causèrent leur ruine. Pour remonter à la source de ces
tentatives si longtemps infructueuses, il me faudra suppléer, comme j'y suis
souvent forcé dans cette histoire, par des notions secrètes, mais sûres, aux
lacunes qui résulteraient nécessairement de la stérilité des mémoires et des
journaux du 'temps. Lorsque Prigent eut facilité la communication de Saint-Hilaire et Freslon avec l'armée 'royale, il se hâta'' de quitter les cotes de Saint-Malo, et passa de Jersey en Angleterre pour y rendre compte du résultat de sa mission. Le cabinet de Saint-James lui fut ouvert, et Pitt lui accorda une longue conférence. Prigent donna toutes les notions qu'il avait acquises sur la situation intérieure de la France, sur la position, sur les malheurs et les ressources de l'armée vendéenne. Le roi d'Angleterre et ses ministres, Pitt et Henri Dundas, tinrent un conseil privé, où il fut résolu que l'on enverrait aux royalistes de France de prompts secours en tout genre. Lord Moira, nommé général en chef de l'expédition, et l'amiral Macbride commandant de l'escadre, ne reçurent les ordres du roi que le 17 novembre. Lord Moira avec une diligence extraordinaire, rassembla à la hâte plusieurs régiments ; il organisa des compagnies d'artilleurs français, et s'entoura de quelques émigrés bretons qui connaissaient les localités. En peu d'heures, soixante navires de transport et vingt vaisseaux de ligne abondamment pourvus de munitions de tous genres, furent chargés de troupes. Pitt, après avoir donné de nouvelles instructions à Prigent, lui recommanda verbalement de rejoindre les chefs vendéens, pour les presser de favoriser le débarquement sur les points indiqués. Prigent fut chargé en outre de donner l'assurance positive que l'armement était prêt, et n'attendait que la présence des royalistes sur la cote. Lord Moira lui donna les mêmes instructions. L'expédition n'attendait à Portsmouth qu'un vent favorable. Prigent, Bertin et Dufour, partis d'Angleterre du 6 au 7 novembre, n'arrivèrent près de Dol qu'après l'attaque de Granville, et ne purent parvenir à l'armée vendéenne faute de guides. Dans l'intervalle, Saint-Hilaire et Freslon arrivèrent de Dol en Angleterre, mais des obstacles imprévus avaient retardé leur re, tour jusqu'au 25 novembre. Ils communiquèrent les signaux convenus et indicatifs des points favorables au débarquement. Lord Moira, contrarié par les vents, ne put mettre à la voile que le premier décembre. D'après les avis apportés par les émissaires, la flotte longea pendant plusieurs jours la côte de la presqu'île Normande ; mais aucun signal ne la mit en mesure d'effectuer la descente. Le retour d'un aviso expédié à l'amirauté, rapporta au général en chef l'ordre de gagner la rade de Guernesey. Plusieurs émissaires furent encore expédiés sur les côtes de Bretagne. On apprit bientôt que les royalistes avaient échoué devant Granville : Quelques journaux français parvenus à lord Moira, et contenant la nouvelle de la marche d'une colonne de Vendéens sur Caen abusèrent ce général, qui remit à la voile, et longea de nouveau les côtes de Normandie. A son départ, lord Moira forma un état-major de quelques officiers bretons et normands, dont les connaissances locales et les notions particulières pouvaient lui devenir utiles. Deux aides-de-camp, un secrétaire et un quartier-maître général composaient ce petit état-major auxiliaire. Quoique séparé d'une partie de sa flotte — la rade de Guernesey n'étant déjà plus tenable —, lord Moira reparut, mais inutilement, devant les côtes de France. Ses émissaires ne pouvant communiquer qu'avec peine, lui firent parvenir, vers le commencement de janvier, la nouvelle de la défaite des royalistes et de l'entier anéantissement de leurs projets. Sa flotte regagna les ports d'Angleterre. Tel fut le sort de cette expédition, bien plus célèbre par ses promesses que par les services qu'elle rendit au parti royaliste. |