HISTOIRE DE LA GUERRE DE VENDÉE ET DES CHOUANS

TOME DEUXIÈME

 

LIVRE DIXIÈME.

 

 

Passage de la Loire par les Vendéens. — La Rochejacquelein est élu généralissime. — Défaite des républicains à Laval. — Mort du général Lechelle. — Alarmes et confusion en Bretagne. — Incursion triomphante des Vendéens. — Mort du général Lescure. — Attaque de Granville. — Expédition de lord Moira.

 

LES Vendéens fuyant leur pays livré aux flammes et à toutes les calamités d'une ville prise d'assaut, rappellent ces anciens peuples dont les restes malheureux couraient au loin chercher une nouvelle patrie. C'était à la fois une horde nomade, une armée fugitive qui errait dans des contrées inconnues, sans munitions, sans vivres, traînant à sa suite une foule de vieillards, de femmes éplorées, d'enfants timides, poursuivis par tut ennemi victorieux. Bientôt quelques lueurs d'espérance vinrent adoucir leur infortune. Au moment même où l'on proclamait la destruction des guerriers de la Vendée, ceux-ci sur un théâtre nouveau préparaient encore des prodiges. La France, l'Europe entière admirant leur indomptable audace, crurent voir se réaliser la fable de l'hydre.

L'insubordination, le défaut d'ensemble, qui avaient causé tant de maux aux républicains sur la rive gauche, s'introduisirent encore dans leurs rangs. L'on vit sept à huit armées agir sans liaison, et ne retrouver la victoire que lorsque l'autorité supérieure concentrée de nouveau dans une seule volonté, rendit aux mouvements des troupes l'accord qu'elles n'avaient plus.

Cette transmigration vendéenne a donné lieu à des récits absurdes, à des exagérations que l'histoire doit rejeter. J'ai tout examiné sur le théâtre même de la guerre ; guidé, par des mémoires authentiques, appuyé sur des-autorités dignes de foi, je n'avancerai que des faits certains.

Ce fut le 16 octobre, au moment même où se livrait la sanglante bataille de Mortagne, quo les deux cents Bretons détachés par Bonchamp s'emparèrent <de Varades sut la rive droite. On vit une poignée de braves voguant d'île en île, sur quelques barques légères, fondre à l'improviste, mais en plein jour, sur huit cents républicains chargés de défendre ce poste. Surprise et attaquée avec une vigueur extraordinaire cette troupe lâcha honteusement le pied pour se réunir, non loin de là, au cantonnement d'Ancenis, qui partagea sa défaite et se replia également. C'est à l'officier républicain qui commandait à Varades que furent imputés, avec raison, les malheurs qui fondirent sur trois provinces. Quoi qu'il en soit, les deux cents Bretons, conduits par d'Autichamp, furent bientôt renforcés par les fuyards de Mortagne et de Chollet ; en moins de trois jours, quatre-vingt mille Vendéens des deux sexes eurent touché la rive opposée. Une foule de témoignages et de renseignements recueillis sur les lieux mêmes, constatent toutes les circonstances de ce passage mémorable, opéré presque à la pue de l'ennemi, sans préparatifs, sans pontons. Sept à huit barques suffirent, malgré la quantité prodigieuse de bagages, de charriots, de voitures, de canons, de caissons, malgré la multitude de bouches inutiles. A la vérité, Lyrot et Designy, Rostaing et Saint-André, traversèrent la Loire devant Ancenis avec trois k paire mille fuyards, encore furent-ils inquiétés. Merlin de Thionville, sur l'avis d'un espion, se met à la tête de trois cents hommes de cavalerie, et force Rostaing à s'embarquer en désordre ; il sabre et noie quelques soldats, fait plusieurs femmes prisonnières, et tue de sa main le curé Rodrigues, de Basse-Goulène, au moment de son embarquement. Quelques pièces de canon et deux obusiers restés sur la Grève tombent aussi en son pouvoir. Les royalistes, malgré les coups de fusils, effectuèrent leur passage, pendant que ceux des leurs qui étaient déjà sur l'autre rive faisaient pleuvoir sur les républicains une grêle de mitraille et brûlaient les bateaux.

Une forte garnison et la présence du conventionnel Meaulle n'empêchèrent point le poste d'Ancenis de tomber au pouvoir des Vendéens ; ses barrières et ses grilles de fer ne purent le garantir ; il est vrai qu'il fut aussi mal défendu que Varades. Tout ce qui se porta sur ce dernier point y parvint tranquillement, à l'exception de quelques canons et caissons, que les Vendéens jetèrent dans la Loire, n'ayant pu les passer. Le 19, les républicains arrivèrent en force à Saint-Florent ; ils engagèrent une canonnade inutile, à laquelle les royalistes répondirent au moyen d'une batterie qu'ils avaient établie au hameau de la Meilleraye. L'armée catholique, réunie tout entière à Varades, occupait déjà une bonne position, défendue par quarante bouches à feu ; elle poussait même ses avant-postes jusqu'à Saint-Georges, à quatre lieues d'Angers. Les chefs vendéens sentirent la nécessité de se donner un commandant en chef qui eût la confiance générale. Ils s'assemblèrent à Varades, et nommèrent La Rochejacquelein généralissime, Stofflet major-général de l'armée, le prince de Talmont général de la cavalerie, et le chevalier Duhoux adjudant-général. Ces nominations se firent toutes à la pluralité des voix. L'artillerie resta sous les ordres de Bernard de Marigny. Le conseil décida qu'on marcherait sur Laval, où l'on espérait trouver de puissants secours. Il était temps de quitter Varades et ses environs : cette multitude errante manquait de vivres et affamait tout sur son passage, sans pouvoir subsister autrement qu'en parcourant chaque jour un nouveau pays. Les royalistes qui s'étaient réfugiés dans la Vendée pour s'y mettre en sûreté, tout ce qu'il y avait d'étrangers parmi les Vendéens, avaient aussi passé la Loire, tant l'effroi était général. Après le passage, plusieurs se dispersèrent ; d'autres, et ce fut le plus grand nombre, suivirent le sort des vaincus. C'était un spectacle à la fois touchant et déplorable que celui qu'offraient neuf à dix mille Vendéennes associées avec résignation au malheur de leurs époux, de leurs pères, de leurs enfants.

A la vue de l'armée royale, passée tout entière de l'autre côté du fleuve, les républicains furent saisis d'étonnement. Ce passage effectué contre leur attente, déjouait entièrement tout projet d'extermination. Les généraux et les commissaires de la république, déconcertés, s'assemblèrent précipitamment à Beaupreau pour tenir un conseil de guerre. Il fallut d'abord changer les dispositions arrêtées la veille. Le général Lechelle fut d'avis de faire passer la Loire à son armée pour la mettre à la poursuite de l'ennemi ; mais de grandes difficultés s'y opposaient : d'abord l'on manquait d'embarcations, et l'artillerie de l'ennemi, déjà retranchée, annonçait qu'il était résolu à défendre vigoureusement le passage. Cependant il fallait plutôt agir que délibérer. L'on pouvait craindre que, dans leur désespoir, les Vendéens ne se portassent sur Nantes ou sur Angers — c'était l'avis de Lescure —. Alors plus de moyens de les détruire. Le général Lechelle se rendit au vœu de la majorité, et l'armée prit séparément la double direction de Nantes et d'Angers, pour passer le fleuve devant ces deux villes. La plus forte colonne se mit en marche sur Plantes pour y arriver le 20, et en repartir le 21 en deux divisions, l'une se dirigeant sur Rennes, l'autre, aux ordres du général en chef, sur Ancenis. L'avant-garde marchait déjà, aux ordres du général Beaupuy, pour garantir Angers. Quelques bataillons restèrent dans la Vendée, avec ordre de continuer les massacres et l'incendie.

Tandis qu'une demi-brigade passait la Loire avec de la cavalerie légère à Ancenis, les uns à cheval, les autres dans des barques à demi-brûlées, Carrier, à la tête d'une division, éclairait la route de Beaupreau à Nantes. L'alarme était dans cette ville. L'armée républicaine n'ayant ni souliers, ni subsistances, Carrier mit tout en réquisition pour parer à ses besoins.

L'on était encore dans l'incertitude sur les mouvements de l'ennemi. Dès le 18 octobre, deux à trois mille Vendéens, arrivés des premiers à Varades avec Desessarts, Dehargues et le chevalier Duhoux, avaient repoussé jusqu'aux portes d'Angers le peu de troupes que leur avait opposé l'adjudant-général Tabari, auquel était confiée la défense d'Ingrandes, poste intermédiaire entre Varades et Angers. Tabari perdit deux canons. En vain, pour le soutenir, une partie des antiennes garnisons de Condé et de Valenciennes sortit des ponts de Cé ; le général Aulanier avec cette petite armée ne fut pas plus heureux.

Dans ces conjonctures alarmantes pour la ville d'Angers, l'administration départementale de Maine et Loire, se défiant des généraux, envoya deux commissaires pour surveiller les opérations. Son choix tomba sur Benaben et Jacques Duverger, administrateurs du département. Angers était alors rempli de fuyards, et Aulanier bivouaquait sous ses murs. Déjà les éclaireurs royalistes occupaient le bourg de Saint-Georges, entre Ingrandes et Angers. Ils s'y tinrent, dans la nuit du 19 au 20, sur le qui-vive, craignant d'être attaqués, et se replièrent-le lendemain sur Candé. L'adjudant-général Tabari et le commissaire Duverger les suivirent, entrèrent à Saint-Georges avec quelques hussards ; et voyant les avant-postes ennemis se replier à leur approche, ils s'engagèrent imprudemment à trois lieues de l'armée, sans pouvoir en être soutenus. Arrivés à Ingrandes, ils mirent pied à terre. Les éclaireurs vendéens, pour les envelopper, filèrent dans les vignes qui bordent la route. L'adjudant-général Tabari s'élança sur son cheval et prit la fuite au grand galop ; le commissaire Duverger voulut le suivre, mais sa selle tourna et le fit tomber. Il reçut à l'instant un coup de fusil ; et voulant se rel e ver mal gré sa blessure, il fut achevé à coups de sabre par des cavaliers royalistes. Les hussards se sauvèrent bride abattue du côté de Champtocé, à travers une grêle de balles : un seul républicain, le gendarme Marchand, au lieu de prendre la fuite, préféra se faire massacrer à côté du malheureux Duverger, son ami. Dans cette rencontre, quelques dragons d'Orléans passèrent du côté des royalistes.

Le général Aulanier fit halte au château de Sérent, sans oser poursuivre l'arrière-garde vendéenne, qui, rassemblée à Saint-Augustin-des-Bois pour rallier les traîneurs, prit aussitôt la route de Candé. Legros de l'armée catholique occupait déjà cette ville, dont la faible garnison n'avait opposé qu'une faible résistance. Le premier séjour des Vendéens fut marqué par les honneurs funèbres qu'ils rendirent à la mémoire de Bonchamp, dont la perte était profondément sentie, Toute l'armée éleva des vœux à l'Éternel pour la gloire et le repos de cet illustre chef. Le 21, La Rochejacquelein marcha sur Château-Gonthier. La garnison, encouragée par les patriotes, voulut tenter le sort des armes ; mais après une escarmouche de quelques heures contre l'avant-garde ennemie, elle abandonna son poste aux vainqueurs. Treize républicains composant les autorités révolutionnaires de Château-Gonthier, furent pris et fusillés par les royalistes ; un curé constitutionnel eut le même sort.

Le 22, à dix heures du soir, La Rochejacquelein, impatient d'arriver à Laval, fit battre la générale et ordonna le départ. Il plaça le gros des tirailleurs et deux pièces de canon en avant-garde, et les bagages au milieu de l'armée. Dans cet ordre, et sans trop s'écarter les uns des autres, les royalistes marchèrent sur Laval, que Talmont ne cessait de leur présenter comme le foyer d'une seconde Vendée. L'armée fit halte à Antrames pour se rallier. Des bruits Confus et contradictoires avaient répandu dans Laval l'agitation et le trouble. A la nouvelle de l'approche de l'ennemi, le conventionnel Esnue-Lavallée qui parcourait le district de Craon, fait sonner le tocsin, fait tirer le canon d'alarme, et demande du secours à tous les districts voisins. Laval donne deux bataillons armés, trois pièces de canon et de la cavalerie ; les volontaires d'Ernée, de Craon et de Mayenne s'y réunissent. Des vedettes sont placées sur toutes les routes ; le tocsin redouble et l'on bat la générale : cinq à six mille hommes se rassemblent, armés de fourches, d'instruments aratoires et de fusils de chasse. Des avant-postes bivouaquent pendant toute la nuit, se tenant sur le qui-vive.

Au point du jour l'on aperçut l'armée royale tout entière. Son aspect en imposa, malgré les dispositions qui avaient été prises. A huit heures du matin commence l'attaque : les avant-postes sont forcés, les royalistes pénètrent sur plusieurs points à la fois ; deux administrateurs de la Mayenne, combattant à la tête des troupes, tombent percés de coups. Les républicains ébranlés semblaient n'attendre que le signal de la déroute, lorsque l'adjudant-général Letourneux la détermina lui-même ; ayant pris la fuite à cheval, à travers les rangs de ses soldats, il les entraîna tous. La cavalerie vendéenne acheva de tout disperser. Laval fut envahi, et les patriotes fusillés : cinq à six cents périrent victimes d'un dévouement aveugle et inutile. Les vainqueurs perdirent peu de monde ; mais la mort du chevalier de la Guerivière, qui fut tué à côté de La Rochejacquelein, en entrant dans la ville, les irrita contre les vaincus, auxquels ils ne firent point de quartier. Plusieurs républicains trouvèrent un asile chez madame de Montfranc, qui sollicita leur grâce, et l'obtint de Lescure mourant, que les Vendéens transportaient partout avec eux. Cette dame généreuse périt ensuite pour ses opinions, dans un cachot où la fit jeter le conventionnel Esnue-Lavallée.

Depuis cinq jours l'armée catholique s'éloignait de l'armée républicaine, qui, divisée en deux colonnes, décrivait un cercle dans sa marche. Quant à la petite armée du général Aulanier, le défaut de vivres, et plus encore sa faiblesse, l'empêchèrent de rien entreprendre.

Les royalistes avaient deux jours de marche sur les patriotes ; ils auraient pu parcourir sans obstacle toute la Bretagne, si la nécessité du repos, si le besoin de se réorganiser, et surtout l'espoir de se recruter, n'avaient déterminé leur séjour à Laval.

Déjà les têtes des colonnes républicaines qui s'étaient portées sans relâche de Nantes et d'Angers sur Château-Gonthier, y étaient arrivées le 24, instruits de leur approche, les chefs vendéens se réunirent en conseil de guerre pour décider si l'on se porterait à leur rencontre, ou si, profitant des deux jours de marche, l'armée catholique poursuivrait sa route en Bretagne. La majorité résolut d'aller à l'ennemi.

Westermann qui commandait l'avant-garde des républicains, marchait déjà sur Laval, qu'il croyait évacué, d'après un faux rapport. Il était à six lieues de l'armée qui devait le soutenir, et n'avait que quatre mille hommes, ayant négligé Ide concerter ses mouvements avec le général Aulanier, auquel il aurait pu se joindre entre Candé et Segré. Persuadé qu'il n'atteindrait que l'arrière-garde vendéenne, il marcha pendant toute la nuit, et arrivé à la lande de la Croix-de-Bataille, à trois quarts de lieue de Laval, il trouva l'ennemi embusqué de droite et de gauche. Quoiqu'assaillie à l'improviste par une vive fusillade, l'infanterie mayençaise n'en fut point ébranlée ; elle y répondit au contraire avec intrépidité. Le combat dura deux heures avec le même acharnement de part et d'autre ; mais, criblés par les tirailleurs vendéens, et sur le point d'être tournés par Stofflet, les républicains firent leur retraite en bon ordre, et bivouaquèrent à une demi-lieue du champ de bataille. L'obscurité rendit cette action meurtrière. On publia faussement que les Mayençais avaient été enveloppés et taillés en pièces. Il n'y eut dans cette affaire que la cavalerie qui ne fit pas tout ce que l'on pouvait en attendre. Ce combat fut le prélude d'une action plus générale.

Le 25 octobre, le général Lechelle parut avec toute son armée, forte d'environ vingt-cinq mille hommes. Les généraux, à la suite d'un conseil de guerre, résolurent d'attaquer le lendemain Laval, tandis que les colonnes des généraux Chambertin et Aulanier agiraient séparément ; l'une en coupant la retraite à l'ennemi, l'autre en attaquant Laval par Cossé. Le premier manqua de précision, le second reçut les ordres trop tard. Il fallait, pour arriver à Laval, traverser un point dominé par deux hauteurs au-delà du village d'Antrames. Westermann et Danican s'y établirent avec une avant-garde de trois cents hommes. Le général Lechelle qui avait placé l'année à deux lieues en arrière, leur donna l'ordre de quitter cette position. Westermann assure dans ses mémoires qu'il lui fit sentir cette faute, et lui prédit une défaite.

La Rochejacquelein, instruit par ses espions que l'armée républicaine, réunie à Antrames se disposait à une attaque générale, rassembla ses forces à la hâte, dans l'intention de prévenir l'ennemi. Il parcourt les rangs, anime ses soldats. « Il faut, leur dit-il, effacer aujourd'hui la honte des combats précédents. Il ne s'agit pas seulement de vous défendre et de sauver la vie à vos femmes, à vos enfants ; votre cause est celle de tous les royalistes de France ; c'est celle de Dieu et de la foi de vos pères. Marchons à la victoire. Les Bretons nous tendent les bras ; ils nous aideront à reconquérir nos foyers mais il faut d'abord vaincre ; une défaite serait irréparable. »

Lescure, voyant le danger, se fit porter dans les rangs. La présence de ce chef blessé à mort enflamma le courage des Vendéens„ qui demandèrent aussitôt à combattre, avec cette confiance qui présage la victoire. L'armée s'empara des hauteurs que venait de quitter Westermann ; et, dès qu'on fut à portée du canon, Bernard de Marigny ordonna de faire feu à mitraille sur les Mayençais qui formaient l'avant-garde des républicains. Ceux-ci avaient à soutenir la gloire de Mortagne et de Chollet ; ils se battirent avec la plus grande intrépidité.

Le général Lechelle avait placé toute l'armée sur une seule colonne, le terrain ne permettant pas de la diviser avec avantage, d'après l'intention qu'il avait eue d'attaquer le premier. Prévenu et assailli brusquement, il crut pouvoir se développer ; mais sa mauvaise position, ainsi que le défaut de combinaison et d'ensemble, firent manquer tous ses mouvements. Déjà la tête de la colonne républicaine était enfoncée, les tirailleurs vendéens se précipitaient sur elle par pelotons, et faisaient tout plier : le désordre de l'avant-garde gagna bientôt le corps d'armée.

La division de Blosse, partie le même jour de Château-Gonthier pour se réunir aux combattants, arrive au pas de course, et ne peut empêcher la déroute dans laquelle elle est entraînée. Le général Lechelle veut en vain arrêter la colonne de gauche ; tous ses efforts sont inutiles. Quoique forcés, les républicains se battaient encore en retraite ; mais, en reculant devant les Vendéens, ils s'étaient préparé une entière défaite. En effet, aux approches de Château-Gonthier, Stofflet, après cinq heures de combat, se glisse, à la chute du jour, à la tête des tirailleurs d'élite, derrière les colonnes républicaines ; il les assaillit en flanc, ne faisant feu qu'à quarante pas, et les culbute à la baïonnette. Cette brusque attaque devient bientôt décisive : les deux partis s'entremêlent, se confondent, et prennent des cartouches aux mêmes caissons ; bientôt les fusils deviennent inutiles, on ne se bat plus qu'à l'arme blanche ; on se poignarde sans se distinguer : tous se saisissent, tous se renversent, et le champ de bataille est couvert de morts. Des corps entiers, malgré des prodiges de valeur, sont coupés et faits prisonniers par l'armée catholique ; les Mayençais, accablés, ne peuvent ni combattre, ni se rallier, ni faire leur retraite en bon ordre. Ce qui n'a pas trouvé la mort ne songe plus qu'à fuir : le désordre est tel, que plusieurs se noient dans la Mayenne ; trois cents se sauvent à la nage et gagnent Craon. Un corps entier met bas les armes. Schetou, chef secondaire de la division de Stofflet, fait entourer les prisonniers dans un vallon, où ils sont tous fusillés : action atroce, causée par l'horreur des temps, et que ne peut justifier le droit de représailles.

Les fuyards crurent trouver un asile à Château-Gonthier ; mais l'acharnement des vainqueurs était tel, que les distances, le canon, non plus que les retranchements, ne purent arrêter leurs rapides succès. Le général Beaupuy qui avait rallié quelques bataillons mayençais, soutint longtemps sur les ponts de Château-Gonthier les efforts de l'armée royale. Blessé d'une balle dans la poitrine, il s'écrie en tombant : « Je n'ai pu vaincre pour la république, je meurs pour elle ! » Emporté loin du champ de bataille, il envoya sa chemise teinte de sang à ses grenadiers. A cette vue, les braves Mayençais redoublèrent d'efforts pour arracher la victoire aux Vendéens ; mais ne se voyant point soutenus, et forcés de céder à leur destinée, ils abandonnèrent enfin ce dernier champ de bataille. La perte des républicains en hommes, en bagages et en artillerie, fut immense ; quinze mille fuyards ne se crurent en sûreté que derrière les murs d'Angers, et douze jours leur suffirent à peine pour se réorganiser complètement. Le général Lechelle, insulté par ses propres soldats, menacé par Merlin de Thionville, n'eut pas la consolation de périr les armes à la main ; peu de jours après la bataille, il mourut à Nantes de honte et de douleur. Cet homme présomptueux, ancien maître d'armes à Saintes, devenu chef de bataillon, élevé subitement au généralat, fut un exemple de ces fortunes rapides et passagères, dont la révolution a offert tant d'exemples. On lui dut en peu de temps le gain de trois grandes batailles, que la défaite de Laval fit bientôt oublier. Le général Aulanier qui n'avait point pris part an combat, se jeta dans Craon. Sa colonne était faible, mais intacte. La Rochejacquelein, pour profiter de la victoire et se délivrer de toute inquiétude de ce côté, détacha sept à huit mille hommes, et se retira de suite à Laval avec le reste de l'armée. La division d'Aulanier, déjà réduite par la désertion, fut renforcée à Craon par l'adjudant-général Chambertin ; mais que pouvaient cinq mille hommes découragés qui croyaient avoir toute l'armée royale à combattre dans une ville ouverte ? On tint conseil ; les généraux furent d'avis de se retirer ; mais les conventionnels Esnue-Lavallée et Meaulle, craignant pour Rennes, décidèrent qu'on attendrait l'ennemi. Le général Aulanier fit renforcer le poste de Cossé. Tous les ponts sur la route de Château-Gonthier furent coupés, sans que ces obstacles pussent arrêter les royalistes. Ils attaquèrent sur tous les points avec tant de promptitude et de vigueur, que les républicains, accablés, eurent à peine le temps de gagner la route de Nantes. Un instant plus tard leur arrière-garde eût été coupée.

Les vainqueurs trouvèrent dans la ville quelques cadavres sanglants : c'étaient ceux de plusieurs prisonniers royalistes que les généraux républicains avaient voulu sauver, et que le commissaire Esnue avait fait fusiller au moment de la retraite. Cette cruauté devint funeste-aux patriotes qui ne purent joindre l'armée. Les Vendéens ayant placé une pièce de douze dans la cour du château de Craon, la direction de son feu porta le désordre dans tous les rangs des patriotes. Déjà quelques fuyards avaient jeté leurs fusils et leurs havresacs, lorsque deux pièces de huit bien servies forcèrent la cavalerie vendéenne à rétrograder, et permirent aux républicains de gagner insensiblement les hauteurs. Cependant la frayeur du soldat était telle, qu'à chaque coup de canon qui protégeait sa retraite, il doublait le pas, croyant essuyer le feu de l'ennemi. Le général Aulanier se tint constamment à la queue de la colonne, portant lui-même les gargousses aux canonniers. Il ne reparut à la tête de sa troupe que lorsqu'elle fut parfaitement ralliée. Le détachement vendéen rentra aussitôt à Laval.

Déjà l'alarme était à Reflues, lorsque le général Aulanier y rentra. Les patriotes avaient coupé les arbres sur les routes pour se faire des retranchements. De tous côtés l'on courait aux armes, mais sans aucun espoir de résistance. En effet, quelle barrière pouvait-on opposer à l'ennemi ? Maître de Laval et de Château-Gonthier, il n'avait plus à redouter l'armée de l'Ouest, et pouvait marcher droit à Rennes, sans que Vitré fût un obstacle suffisant pour l'arrêter. Rennes renfermait les dépôts de l'armée, un arsenal, une fonderie : cette conquête aurait peut-être entraîné toute la Bretagne. Les Vendéens eussent pu s'y maintenir, en donnant la main au Morbihan, où des tentatives d'insurrection coïncidaient avec leur marche et leurs projets. La Bretagne n'était cependant pas dépourvue de républicains ; mais, au lieu de rassembler une armée capable de résister au vainqueur, le général Rossignol qui y commandait, avait disséminé ses forces à Vitré, à Ernée, à Fougères ; voulant tout couvrir à la fois, il ne put rien sauver.

Ce n'était partout que confusion et sujet d'alarme. Paris même était livré, relativement à cette guerre, à des transitions subites, à des impressions contradictoires qui souvent changeaient en stupeur let transports de la veille. « La Vendée n'est plus, avait dit Barère à la séance, du 25 octobre ; Mortagne et Chollet sont en notre pouvoir ; les brigands sont presque, tous exterminés ; une solitude profonde règne maintenant dans la Vendée, couverte de cendres et arrosée de larmes. La perte de Bonchamp vaut pour nous une victoire. » D'après ces mots, la Convention, les sociétés populaires, les autorités, les sections du peuple, les soldats s'étaient livrés à une joie immodérée. On avait dansé dans les rues, sur les places publiques, et toutes les bouches répétaient : Il n'y a plus de Vendée.

Qu'on juge de la profonde surprise que causèrent les bruits presqu'immédiatement répandus de la prise de. Noirmoutiers par Charette, du passage de Loire et de la défaite de Laval. Par une lâcheté inouïe, dix mille hommes venaient de livrer et d'abandonner le passage. L’adjudant-général Tabari paya de sa tête la perte d'Ingrandes, et Fabrefond qui avait le commandement général, ne fut pas mis en jugement. Il en fut de même du commandant de Varades. Telle est, en révolution, la justice des hommes !

Inculpé sourdement, le comité de salut public se trouvant dans l'impuissance de rien déguiser, fut forcé de récriminer. Son orateur, toujours inépuisable en ressources révolutionnaires ; parut à la tribune, et détourna le blâme en le déversant sur tous. Ces phrases de son discours ne seront point oubliées. « Tout a changé par le défaut d'activité et d'énergie dans les mesures, par le manque d'intelligence et d'ensemble dans leur exécution.

« Victoires simulées, prises mensongères, demi-succès exagérés, récits fabuleux, tout aura sa place, et la nation sera vengée.

« Il approche, ce jour où le comité, d'une main assurée ; déchirera le voile épais qui couvre toutes ces intrigues lointaines toutes ces manœuvres totales, toutes ces trahisons militaires, toutes ces ambitions diverses des généraux, toutes ces passions minutieuses d'une foule d'agents qui ont trop longtemps circulé dans les départements rebelles. Administrations départementales, administrations militaires, états-majors, conseils de guerre, intrigants de tous genres, aristocrates de l'intérieur, et vous-mêmes, généraux, vous serez tous marqués du sceau de la réprobation que vous méritez. »

Barère ne dissimula point les malheurs qui venaient de fondre sur la Bretagne ; il avoua la défaite de Laval. Indigné du peu de résistance qu'opposaient lei villes envahies par les royalistes, il fit décréter que celles qui leur donneraient des secours ou qui ne les repousseraient point, seraient rasées. La Convention y ajouta la confiscation des biens des habitants.

Effrayé par cette invasion, le comité jugea que c'était une issue, et non un établissement, que cherchaient les Vendéens en Bretagne. Il pensa que leur but devait être de s'emparer d'un port de mer ; en conséquence il arrêta le premier novembre différentes mesures, telles que l'organisation et la direction des rassemblements formés dans l'Orne et la Sarthe, l'ordre aux généraux Sepher et Rossignol dé couper aux royalistes, l’un le chemin de la mer par le Calvados et la Manche, l'autre par le département d'Ille et Vilaine ; la mise en état de siège des places de Granville et de Cherbourg, l'envoi d'armes, de munitions et de forces suffisantes. D'autres dispositions furent également ordonnées pour empêcher l'ennemi de repasser la Loire.

Ainsi la défaite des Vendéens dépendait encore une fois de la réunion de plusieurs armées. A celle des côtes de Brest, à celle de l'Ouest, devait se joindre l'armée des côtes de Cherbourg, venant du Calvados, sous le commandement du général Sepher. Malheureusement la direction de toutes ces forces fut confiée au général Rossignol, incapable de porter un pareil fardeau. Le génie transcendant qui, planant sur tout e aurait pu tout régulariser, ne se montrait pas encore ; nul n'était assez puissant pour vaincre l'anarchie qui s'attachait même alors aux armées. Bientôt les fautes que le comité de salut public avait eu tant de peine, à réprimer sur la rive gauche, se renouvelèrent en Bretagne. Une foule de commissaires de la Convention fatiguèrent ces départements, en n'y cherchait que le pouvoir et une armée à diriger. Nantes était le théâtre des opérations révolutionnaires de Carrier. Angers avait dans ses murs l'ardent Francastel ; Pocholle tourmentait à Rennes les troupes et le général ; Thirion parcourait la Sarthe pour y trouver des armes et lever des bataillons ; Letourneur préparait à Alençon des moyens de défense ; Laplanche conduisait l'armée des côtes de Cherbourg vers le :Cotentin ; Garnier de Saintes et Lecarpentier donnaient au département de la Manche l'impulsion révolutionnaire ; Esnue-Lavallée se vengeait par des cruautés de n'avoir pu défendre la Mayenne ; Bourbotte et Thurreau, Merlin de Thionville et Choudieu réorganisaient à Angers les colonnes battues à Laval. Mais une volonté unique et prédominante manquait pour assurer le succès de tous ces mouvements divers qui tendaient à cerner et à détruire les Vendéens, de quelque côté qu'ils se dirigeassent.

Tandis que les patriotes s'épuisaient dans cette tourmente révolutionnaire, les royalistes, maîtres de Laval, cherchaient à y acquérir plus de force et de consistance. La victoire qu'ils venaient de remporter était d'autant plus surprenante, que le gros de l'armée n'ayant pas eu le temps de donner, les plus braves seulement, au nombre.de sept à huit mille, s'étaient précipités avec leurs officiers, mais sans ordre, sur trente mille républicains, qu'ils avaient totalement défaits. Un tel avantage les avait enivrés ; aussi dédaignèrent-ils les conseils de la prudence. Leurs chefs s'étant assemblés, Beauvollier, intendant-général de l'armée, proposa de profiter de la victoire pour rentrer dans le pays vendéen. Son avis fut appuyé par La Rochejacquelein et Lescure, qui s'était fait porter au conseil ; mais Talmont et les autres chefs firent décider qu'on irait en avant.

La Rochejacquelein avait ordonné le recensement de l'armée. Parmi cette prodigieuse multitude, on ne trouva que trente mille fantassins et douze cents chevaux. Le tout se rangea par paroisses, et fut partagé en cinq grandes divisions, commandées par Fleuriot de Lafleuriaye cadet, de Rostaing, Desessarts, d'Autichamp et Piron. Un petit nombre d'insurgés du Loroux et de la Basse-Vendée qui avaient passé la Loire, se réunirent à Lyrot et à Designy. Cent quatre-vingts canonniers, partagés en quatre compagnies, furent attachés au service de cinquante-quatre pièces de différents calibres. Delaville-de-Beaugé, ingénieur artilleur, ancien officier au régiment R oy al-Marine ; Greslier, commandant l'artillerie légère ; Duchesnier, natif de Saintes„ ancien officier d'artillerie, et Pérault, ancien major du même corps, dirigeaient cette arme sous Bernard de Marigny. Royrand et Laroche-Saint-André figuraient aussi parmi les principaux chefs royalistes ; Desessarts père et fils rédigeaient les proclamations et les adresses, et Beauvollier l'aîné faisait les fonctions d'intendant-trésorier-général. Telle était la composition de l’armée catholique. Elle comptait aussi plusieurs chefs secondaires : Dehargues et le chevalier Duhoux, tous deux adjudants-généraux ; Allard ; Herbault ; Bernez, l'ami de d'Autichamp ; Sarazin, Dieuzy, Caquerey, tous anciens pages du roi ; le vicomte de Scépeaux, beau-frère de Bonchamp ; le chevalier de Villeneuve, les deux jeunes Beauvollier, Verteuil, Solerac, ancien exempt de la maréchaussée ; la Bigotière, Bonein, officier d'un rare mérite ; le chevalier de Chantereau, le comte de Bellevue, Amédée Bejari, Forestier, Berard, Daniaud-Duperat, Jarry, Solibac Gareau, Keller, etc.... Le marquis de Donnissan, gouverneur du pays, conquis, en sa qualité d'ancien officier-général, présidait aux délibérations du conseil militaire, : où tout se décidait, même ce qui était relatif à l'administration civile. Dissous depuis la prise de Chatillon, le conseil supérieur, n'existait plus ; : ses membres ne s'étaient plus réunis. L'évêque d'Agra et le curé de Saint-Laud suivaient l'armée, et stimulaient par leurs prédications le zèle et la ferveur de ces nouveaux croisés.

Ils ne trouvèrent point à Laval les secours promis par Talmont, soit que le temps eût manqué, soit que les dispositions eussent été mal, prises. Il fut donc impossible d'y établir le foyer d'une Vendée indigène. Cependant Besnier de Chambré, homme à caractère, proscrit alors par les républicains comme fédéraliste, offrit à Talmont quatre mille hommes, dont il se réserva le commandement. Il se Chargea de faire les premières levées auxiliaires ; mais le succès ne répondit point à ses espérances, quoiqu'il eût commandé la garde nationale de Laval.

Pendant dix jours de résidence dans cette ville, les chefs vendéens se signalèrent par leur modération. La discipline la plus exacte fut observée. On ne mit en réquisition que les subsistances ; tout le reste fut respecté. Un habitant de Laval, nommé Desprez, auquel un Vendéen avait volé un objet de peu de valeur, s'étant plaint à Talmont, le soldat fut à l'instant fusillé.

Le conseil chercha des moyens de suppléer au défaut d'argent. Comment pourvoir aux besoins pressants et multipliés de l'armée, dont le trésor était vide ? Comment liquider les dettes urgentes contractées, soit pour le service des vivres, soit à titre d'indemnité pour les dommages occasionnés par le passage et le séjour des Vendéens ? Toutes ces questions furent agitées. L'intendant-général proposa l’émission d'un papier-monnaie, non seulement comme un gage fictif qui pourrait faire face aux réquisitions, comme pouvant balancer l'influence des assignats républicains, en liant tous les porteurs de bons royaux à la cause vendéenne. Après quelques débats, la proposition de Beauvollier prévalut. Le conseil arrêta la création de bons ou effets royaux commerçables, portant, intérêts, hypothéqués sur le trésor royal, et remboursables à la paix. On en fit imprimer pour 900.000 livres tournois, depuis cinq jusqu'à trois cents livres inclusivement Tous ces billets furent signés par Donnissan, le prince de Taleront et Beauvollier, tous membres du conseil, ainsi que par le curé de Saint-Laud, qui avait concouru à la rédaction, du projet[1].

Le même jour une division, entraînée par Stofflet, s'ébranla pour s'avancer vers Mayenne, sans que les chefs fussent encore bien d'accord sur leur marche, les uns voulant se porter à Rennes, d'autres sur la côte, et quelques-uns à Alençon. D'Autichamp fut d'abord pour ce dernier parti. Le reste de l'armée quitta Laval et marcha droit à Mayenne, en se tenant sur la défensive, ayants à craindre les patriotes de la Sarthe plus que l'armée de l'Ouest, qui se trouvait entièrement hors d'état d'agir. Ces levées n'osèrent pourtant se mesurer avec les vainqueurs ; elles abandonnèrent quelques retranchements faits à la hâte, et l’armée catholique entra le premier novembre dans Mayenne sans éprouver de grands obstacles. Le conseil militaire y fut assemblé ; en se plaignit du peu de succès de la cause royale dans la province du Maine, et de la légèreté des promesses faites par Talmont. Bientôt le choc des opinions et leur contradiction aigrirent les esprits. On assure que La Rochejacquelein fit à peu près le discours suivant : « Si notre cause était désespérée, il ne nous faudrait que le L'audace : nous marcherions droit sur Paris ; nous frapperions au cœur le colosse de la république ; et si nous étions repoussés, nous courrions prendre à dos l'armée du Nord, tandis que les Autrichiens l'attaqueraient en tête. » Une opinion si hardie étonna, sans qu'il lui fût donné aucune suite. Il fut décidé que l'on marcherait sur Alençon pour délivrer des prisonniers royalistes et pour chercher de nouveaux secours. Le conseil s'étant encore assemblé le lendemain, les partisans de l'étranger s'y montrèrent en forces. Le prince de Talmont insista pour gagner la côte ; son avis fut appuyé par d'Autichamp : « Vous vous plaignez des Bretons, dit le prince, et nous ne sommes pas encore en Bretagne. A Laval n'avons-nous pas trouvé quelques secours ? Les campagnes ne nous en préparent-elles pas de plus puissants encore ? En proposant de gagner la cote, je ne fais que reproduire les vues d'un chef que nous, regrettons tous. Bonchamp vous a prouvé que nous n'aurions jamais de consistance par nous-mêmes ; qu'il nous fallait l'appui de l'étranger. Si les promesses de Tinténiac ne se sont point réalisées, il faut peut-être nous en accuser nous-mêmes : il fallait passer la Loire plus tôt. Qu'avons-nous fait dans la Vendée ? Au lieu de nous emparer des Sables-d'Olonne, nous n'avons même pu envahir Luçon, faute d'accord. Maintenant l'armée est une et ne connaît qu'un seul chef. Quant à Tinténiac, il ne nous a pas trompés : l'Angleterre soutient la cause des rois ; ses dispositions nous sont favorables. La communication est établie entre Jersey et la Bretagne ; Que nous demande-t-on ? d'occuper un point sur la cote pour favoriser le débarquement. Marchons donc vers Saint-Malo ; là nous trouverons quelque issue, et nous déciderons ce qu'il conviendra d'entreprendre. »

Rostaing, Fleuriot, Saint-André, Donnissan, Desessarts, Piron et Beauvollier soutinrent fortement cet avis, qui fut adopté. Le même jour l'armée marcha sur Dol par Ernée et Fougères. Ces deux villes, peu éloignées l'une de l'autre, n'étaient défendues que par quatre mille républicains, placés en échelons dans des postes intermédiaires. Le dix-neuvième régiment d'infanterie légère, en avant-garde à Ernée, devait, en cas d'échec, se replier successivement sur la Pèlerine et Fougères. Cette troupe, abusée par la faiblesse apparente d'une colonne royaliste, s'avança pour la combattre. La Rochejacquelein qui avait divisé son armée en trois corps, fit reculer au petit pas celui du centre à la vue des républicains. Ceux-ci, emportés par une ardeur imprudente, poursuivirent les royalistes, et s'éloignèrent des corps qui devaient les protéger. Bientôt dans le piège qu'on leur avait tendu, ils y furent assaillis en queue et en flanc, et taillés en pièces par les deux ailes de l'armée royale. Un tiers s'étant échappé, se replia sur Fougères, où il jeta l'épouvante. Les canonniers du Contrat-Social avaient établi une batterie en avant de cette ville, sur la principale route, et le reste de la petite armée républicaine, sous k commandement de l'adjudant-général Brière, s'était rangé en bataille des deux côtés ; après s'être couvert par des abattis et des tirailleurs. Ceux-ci ayant refusé de se battre autrement qu'en masse, la cavalerie vendéenne passa sans obstacle par les chemins de traverse pour tourner la position de Fougères, pendant que le gros de l'armée attaquait de front. Les républicains soutinrent d'abord le choc, grâce aux canonniers de Paris ; mais bientôt, craignant de partager le sort de l'avant-garde, ils s'enfuirent en désordre vers Fougères, où ils trouvèrent l'ennemi qui forçait, déjà les prisons pour délivrer deux cents prisonniers du parti royaliste. Atteints de tous côtés, les fuyards tombent sous les coups d'un ennemi victorieux ; quelques-uns se jettent dans les maisons et s'y cachent pour échapper à la mort, mais les Vendéens les poursuivent et ne leur font point de quartier ; aussitôt découverts, aussitôt fusillés. Ce qui peut se soustraire au carnage fuit à Vitré, à Rennes même à Avranches, jetant fusils, havresacs, et jusqu'aux certificats de civisme. Les républicains durent cette funeste déroute à leur manque de cavalerie. Ceux qui se réfugièrent à Rennes, et ce fut le plus grand nombre, firent, sans s'arrêter, neuf lieues en neuf heures, malgré la pluie et les mauvais chemins. L'alarme se répandit de nouveau dans l'ancienne capitale de la Bretagne. Les généraux, les commissaires conventionnels furent extraordinairement convoqués pendant la nuit : l'assemblée se tint chez le général en chef, en présence de toutes les autorités. Ira-t-on courageusement à la rencontre de l’ennemi, ou l'attendra-t-on de pied ferme en bataille aux portes de la ville ? Telles furent les questions agitées dans le conseil. Aucune ne fut adoptée, et l'ordre fut donné aux troupes qui étaient imprudemment disséminées dans des postes différents, de se replier sur Rennes, où l'on forma un corps d'armée capable de quelque résistance.

Dépourvu de notions exactes sur la position et la force de l'ennemi, le général Rossignol avait imputé à la lâcheté de l'armée une défaite due plutôt à l'impéritie de ses chefs. Un commandant de bataillon lui ayant fait observer le danger du morcellement des troupes, en reçut pour toute réponse : « N'avez-vous pas juré de » mourir à votre poste ? » En effet, les soldats y moururent.

Les dispositions des républicains pour garantir Rennes devinrent inutiles. Les Vendéens restèrent quatre jours à Fougères. Ce district, berceau de la conjuration de la Rouerie, renfermait des éléments de royalisme ; mais il ne s'y trouvait aucun chef accrédité. Quelques rassemblements obscurs, connus sous le nom de petite Vendée, s'étaient bien formés récemment aux enviions de Vitré, entre Rennes et Fougères ; mais les chefs vendéens dédaignèrent d'admettre dans leurs rangs des hommes qui n'avaient aucune consistance politique. Fougères fournit cependant quelques renforts. Putaud de la Baronnie, médecin de cette ville, se mit à la tête d'une troupe de paysans, et s'attacha comme auxiliaire à l'armée Catholique : mais l'exemple du Morbihan, de Laval et de Fougères n'entraîna point la masse de la Bretagne ; bientôt étouffées, ces insurrections partielles furent perdues pour les Vendéens. Je ne les indique ici que légèrement, me réservant d'entrer à cet égard dans de plus grands détails quand je traiterai de la chouannerie.

Ce fut à Fougères que Georges Cadoudal, devenu depuis si fameux, joignit l'armée vendéenne, à la tête d'une troupe de cent cinquante Morbihannais. Dès-lors son caractère audacieux et entreprenant s'annonça. Tout jeune et à peine sorti du collège de Vannes, il, devint l'un des moteurs des insurrections de son-département. Ses premières tentatives ne furent point heureuses. Dès qu'il Connut le passage de la Loire, il conçut le projet de joindre l'armée catholique. Ce fut à la tête de cette poignée de paysans déterminés, la plupart mal armés, les cheveux épars à la manière des Bas Bretons, qu'il traversa les forêts, essuyant plusieurs engagements en route, et qu'il arriva à Fougères. Les chefs vendéens firent distribuer à sa troupe des fusils neufs. Georges suivit l'armée jusqu'à Savenay ; mais il fut peu remarqué à cette époque.

Le séjour de Fougères fut marqué également par la mort de Lescure et par la douleur qu'en ressentit l'armée. Ce chef célèbre, grièvement blessé à la tête, avait été porté sur un brancard de Varades à Laval ; deux cents Vendéens, commandés par le chevalier de Beauvollier, lui servaient d'escorte. Il mourut entre Ernée et Fougères, le lendemain du jour où il avait encore paru au conseil pour y donner son avis : sa mort ne fut bien connue qu'à Fougères. Lescure s'était toujours signalé par son courage et sa modération ; aussi laissa-t-il un nom illustre parmi des Vendéens, Fils d’un père prodigue, il fit le meilleur emploi de sa fortune ; doux, poli, sensible, il mérita, par ses vertus privées et sa bienfaisance, les regrets de son parti. Brun, et d'une taille élevée, ses traits étaient beaux ; mais il était maigre et pâle sans être néanmoins efféminé il avait plutôt l’air triste et malade ce qu'on attribuait son goût excessif pour l'étude et à sa rare piété. Intrépide et calme dans les dangers, jamais son courage tranquille ne se démentit. Les Vendéens placèrent son corps dans un cercueil, qu'ils traînèrent avec eux.

L'armée royale partit séparément de Fougères, en deux colonnes, pour trouver plus facilement des vivres, et se réunit le 9 novembre à Dol, où elle prit deux jours de repos. Des charriots couverts, faits à la hâte à Fougères, servirent à transporter les blessés.

Pendant la route se forma la bande noire, ainsi appelée, parce que ceux qui la composaient portaient un crêpe noir au bras gauche, en signe de ralliement. Cette troupe de pillards était conduite par la Bigotière, Renou et les frères Toutan, tous deux de Loudun, et transfuges du parti républicain : il s'y était joint des Allemands et autres déserteurs étrangers. Ces hommes commirent tant d'excès, qu'il fut souvent question de les traduire devant un conseil de guerre ; mais les circonstances étaient tellement pressantes, que les chefs de l'armée se virent dans l'impuissance d'ordonner cet acte de vigueur ; on les força seulement de déposer dans la caisse de l'armée 15.000 fr. qu'ils avaient volés à un curé après l'avoir massacré.

Le jour même de l'arrivée de l'armée catholique à Dol, Freslon et Raoul-Saint-Hilaire, en habits de paysan et accompagnés d'un guide, joignirent l'armée, au moyen des communications établies par Prigent, de Saint-Malo, l'intermédiaire le plus actif qu'il y eût entre le cabinet de Londres et la Bretagne. Prigent lui-même, envoyé directement par le ministère britannique, avait débarqué de nuit sur les côtes de Saint-Malo, vers les premiers jours d'octobre. Il s'y était tenu soigneusement caché et n'avait vu qu'un petit nombre de personnes sûres. Chargé de recueillir des notions exactes sur la situation des royalistes, il apprit le passage de la Loire et en rendit compte de suite à MM. de Cray et Dudresnay, le premier commandant de Guernesey, le second chargé des affaires militaires de la Bretagne, depuis la mort de la Roua-rie. D'après le rapport de Prigent, le cabinet rie Londres envoya en toute hâte Saint-Hilaire et Freslon, et ensuite Bertin, de Saint-Malo, avec des dépêches pour les chefs de la Vendée. Un chasse-marée jeta les deux premiers, pendant la nuit, sur la plage de l'anse de Genet, d'où ils parvinrent par des communications secrètes au quartier-général de Dol. Ils furent conduits aussitôt devant l'intendant-général et le généralissime, auxquels ils remirent leurs dépêches, signées du comte de Moira, de Henri Dundas et de Pitt. Le conseil fut assemblé aussitôt pour en connaître l'objet. Le ministère britannique réitérait les mêmes demandes que celles qui avaient été précédemment apportées par Tinténiac. Il annonçait en outre des secours prompts et efficaces ; il engageait les royalistes à faire une tentative sur Saint-Malo ; et, dans le cas où cette place serait d'un trop difficile accès, il laissait l'alternative d'une attaque sur les hauteurs de Granville pour favoriser le débarquement. Le conseil vendéen dressa rapide ment l'état des besoins de l'armée ; il insista particulièrement sur des effets de campement, des artilleurs, de la farine et du riz. Dès Laval, la disette s'était fait sentir dans l'armée : les paysans vendéens n'avaient pour toute nourriture que de la galette de bled noir, aliment grossier auquel ils n'étaient point accoutumés, et qui occasionnait beaucoup de maladies. Quant à l'attaque de Saint-Malo, elle fut jugée impraticable, les républicains ayant fait des préparatifs pour s'y défendre : le conventionnel Gilet venait d'approvisionner le fort de Châteauneuf et la citadelle de Saint-Servan. Il fut donc arrêté qu'on se porterait sur Granville ; l'on convint également des signaux et du jour de l'attaque. Dans le conseil, présidé par Donnissan, le chevalier Desessarts rédigea les réponses et la lettre au roi d'Angleterre, que les principaux chefs signèrent individuellement. Les deux émissaires partirent le lendemain à la pointe du jour, ayant laissé l'assurance qu'ils arriveraient le même jour à Jersey pour déterminer le départ de l'expédition anglaise. Tout, dans cette affaire importante, fut traité avec précipitation et légèreté ; on n'eut égard ni aux obstacles ni aux distances, tandis qu'au contraire tous les hasards devaient se calculer pour assurer l'exécution d'un plan subordonné aux chances des éléments comme à celles des combats.

L'armée royale resta deux jours à Dol ; elle .se mit en marche le 11 novembre, et occupa Pontorson le même jour, après avoir rétabli le pont sur la chaussée de cette ville. Dans la route, les hussards républicains, commandés par Marigny, atteignirent des femmes et quelques traîneurs qui furent massacrés. Un détachement vendéen resta à Pontorson. Lyrot-Lapatrouillère, Verteuil et l'intendant de l'armée, qui étaient à l'arrière-garde, firent couper les chaussées, afin d'arrêter l'ennemi. Le général Rossignol, dont les forces étaient réduites à douze mille combattants, n'osa point poursuivre lei 'royalistes sans l'armée de l'Ouest, également diminuée de moitié depuis sa défaite et sa réorganisation. La jonction de toutes ces forces ne put avoir lieu que le 17 novembre, à Rennes. Les Vendéens auraient pu sans doute profiter de cet intervalle, mais le destin en décida différemment.

Depuis la victoire de Fougères, le département de la Manche était ouvert aux royalistes. Il n'y avait plus ni bataillons ni chefs pour la défense de la presqu'île ; mais à rapproche du danger, et malgré la stupeur générale, les conventionnels Lecarpentier et Laplanche firent sonner le tocsin et tirer coup sur coup le canon d'alarme. Ce mouvement devint bientôt électrique. Administrateurs, hommes, femmes, enfants, tout en un instant fut debout pour la république : doute mille hommes se réunirent à Saint-Lô en vingt-quatre heures, sans armes et sans pain. Cette masse ne pouvant rien garantir, il fallait une mesure hardie pour sauver Granville. Lecarpentier n'hésite point ; il appelle ce qui restait de troupes disponibles à Cherbourg et à la Hogue, et réunissant près de quatre mille soldats de ligne et quinze pièces de canon, il dirige le tout sur Coutances, et couvre Granville, qu'il déclare en état de siège. Les débris des troupes battues à Fougères accoururent également à la défense de cette place, où il se forma un conseil défensif. Vu l'état de ses fortifications, Granville ne fut considéré que comme un poste militaire.

Lecarpentier pressait le comité de salut public de faire couvrir la presqu'île. Lès le 7 novembre, les généraux et les commissaires de la Convention avaient arrêté à Rennes, en conseil de guerre, après une longue délibération, que l'armée de l'Ouest se rendrait, dans le plus court délai, à Fougères par Laval, où se tiendrait encore un conseil de guerre pour régler les opérations Ultérieures ; il avait été également décidé que le général Peyre prendrait le commande-nient de la place de Granville, et que le général Sepher, arrivant de Caen avec quatre mille hommes, couvrirait Saint-Lô, ferait replier sur-Cherbourg les poudres, les canons et munitions, et couvrirait aussi le Calvados et le département de la Manche, au moyen de quelques renforts réunis à Alençon.

Cette colonne du général Sepher, qui ne tarda point à se signaler sous le nom d'armée des côtes de Cherbourg, venait de partir de Caen pour se porter sur Vire.

Lecarpentier ordonna une levée extraordinaire depuis vingt-cinq jusqu'à trente ans ; et, pour remédier au découragement causé par les bruits sinistres et alarmants semés de toutes parts, il fit proclamer la peine de mort contre tout alarmiste : dénomination inventée dans ces temps de crise pour imposer silence à ceux qui osaient publier les revers ou douter des succès de la république.

L'armée royale, inquiète, quitta Pontorson et se hâta d'éviter les colonnes ennemies en marchant droit sur Avranches, d'où elle pouvait te porter sur Granville et envahir tout le Cotentin par Villedieu. Il lui était également facile de pénétrer dans le Calvados, pays rempli de-mécontents.

Précédée par la terreur, elle franchit les abattis, les fossés et tous les obstacles répandus sur sa route ; elle investit Avranches, dépourvu de remparts et de grosse artillerie. Une garnison, composée de nouvelles levées, abandonne cette ville, qui ouvre aussitôt ses portes. Un renfort envoyé pour la secourir, n'ayant pu la sauver, fit une marche rétrograde. Les Vendéens trouvèrent intacte à Granville cette même garnison d'Avranches, qu'ils eussent indubitablement massacrée si elle eût osé résister.

Pendant la marche de Pontorson à Avranches, un piquet de cavalerie vendéenne se porta au mont Saint-Michel. Les républicains l'avaient évacué avec une telle précipitation, que les royalistes y trouvèrent encore plusieurs prêtres, qui, s'attachèrent pour la plupart à leurs libérateurs, dont ils partagèrent le sort.

A Avranches, le conseil vendéen s'étant assemblé, on y éleva des doutes sur le succès de l'attaque de Granville les uns alléguèrent la position de la place et son état de défense ; d'autres, la répugnance des Vendéens pour les sièges, leur inaptitude aux attaques régulières. « Temporisons, disaient les plus prudents ; faisons une trouée dans la presqu'île, et marchons d'abord à Villedieu ; ensuite nous dissiperons la levée en masse ; nous repousserons la division républicaine qui vient de Caen, et qui est trop faible pour pouvoir résister. Alors il nous sera facile de nous maintenir dans la presqu'île, à la proximité des côtes, jusqu'à l’arrivée des Anglais. » Mais la crainte d'être enveloppés par toutes les forces ennemies, les promesses de d'Openheim, officier du génie, fait prisonnier à Fougères, qui répondit de la prise de Granville, dont il prétendait connaître le côté faible, et surtout l'impatience française, déterminèrent l'attaque.

La Rochejacquelein, Stofflet, Desessarts, le chevalier de Beauvollier, Villeneuve et d'Autichamp marchèrent sur Granville avec la moitié de l'armée. Talmont se mit à la tête de la cavalerie. Fleuriot, Rostaing et Royrand restèrent à Avranches pour couvrir le siège et faire diversion.

Le conseil défensif de Granville ayant été averti, la moitié de la garnison marcha pour défendre les approches de la place. Le conventionnel Lecarpentier était à la tête de la colonne avec le général Peyre qui la commandait ; ils avaient du canon, deux mille hommes, quelques hussards et des gendarmes. On se porta sur la route de Villedieu et' d'Avranches ; un corps de réserve se tint à l'embranchement des deux routes ; à droite, un détachement fut envoyé pour protéger la grève vers le continent et le fort de la Roche-Gauthier qui, n'étant point tenable, resta sans défense.

L'adjudant-général Vachot, avancé sur la foute d'Avranches, fut bientôt attaqué par les tirailleurs de Stofflet. Sur le point d'être tourné, il n'eut que le temps de se replier sur la réserve ; le détachement placé sur la route de Villedieu en fit autant. On était encore dans le doute si l'on disputerait ou si l'on cèderait le passage, lorsqu'une ordonnance vint avertir le général Peyre que la cavalerie vendéenne s'étant détournée par la grève, avait culbuté le détachement dirigé sur ce point, et s'avançait au trot pour tourner sa colonne : à l'instant même l'ordre fut donné de rentrer dans la place. La retraite se fit sous le feu des batteries, et les troupes, en rentrant successivement, furent réparties sur l'isthme, sur l'esplanade et sur les remparts : en un moment tous les postes se trouvèrent gardés.

Taudis qu'une division de l'armée royale investissait Granville, dix à douze mille Vendéens, à l'instigation de leurs prêtres et de quelques chefs subalternes, s'obstinèrent à rester dans Avranches. On les avait aigris en publiant que les chefs ne voulaient s'emparer d'un port de mer que pour passer en Angleterre et abandonner l'armée : cependant Fleuriot, Lyrot et Royrand parvinrent à faire sortir un détachement qui, marchant sur Villedieu, menaça tout le Cotentin. Villedieu fut envahi, malgré quelques patriotes qui périrent victimes de leur intrépidité. Les vainqueurs, pour venger la mort d'un adjudant-général, ancien garde-chasse, qui se nommait Richard, mirent le feu à quelques maisons, brûlèrent les archives de la municipalité et rançonnèrent les bourgs voisins. Ils pouvaient de là marcher sur Saint-Lô pour faire une trouée dans le Calvados : Saint-Lô n'avait ni troupes ni canons ; il n'y avait que des paysans sans armes et point de soldats. Le général Beaufort, chargé de couvrir Cherbourg pourvut à tout par son incroyable activité et en électrisant la levée en masse. En quinze heures, des retranchements furent élevés, et tous les passages de la Vire en état de défense. Enfin, après avoir réuni trois mille hommes de troupes réglées, ce général appuyant sa droite à Saint-Gilles, poussa ses avant-postes à Marigny ; sa cavalerie, postée dans la plaine en face la redoute de Gonfaleurs, attendait de pied ferme l'ennemi sur ce point, qui était le seul où il pût se déployer. Malheureusement le soldat n'avait de vivres que pour quatre jours : le général Beaufort voulait absolument attaquer ; lei commissaires de la Convention s'y opposèrent. Tout alors dépendait des hasards qui pouvaient éterniser tant de calamités ; aussi l'armée royale, garantie d'un côté par la diversion de Villedieu, n'ayant sur ses derrières qu'un ennemi imprévoyant et encore abattu, attaqua sans hésiter Granville.

Deux prisonniers républicains envoyés comme parlementaires, se présentèrent aux postes avancés de la ville ; ils remirent deux sommations, rune au commandant de la place, l'autre aux officiers municipaux. Les chefs royalistes, au nom de Louis XVII, rendaient les commandants et les officiers de la garnison responsables des malheurs qui allaient fondre sur les habitants de Granville. Leur sommation aux officiers municipaux était encore plus menaçante. En voici la substance : « Les généraux de l'armée catholique et royale préfèrent la conquête des » cœurs à celle des villes ; ils ne demandent qu'à épargner le sang français. Ouvrez vos portes sans résistance ; un peuple d'amis entrera dans vos murs avec la branche d'olivier pour y faire régner, à l'ombre de l'autorité royale, l'ordre, la paix et le bonheur que vos tyrans vous promettent en vain. Evitez les malheurs d'une résistance inutile ; songez qu'un feu vengeur arme nos bras ; songez que les indomptables habitants de la Vendée, vainqueurs et destructeurs des garnisons de Valenciennes et de Mayence, sont là, et qu'ils peuvent s'ouvrir un passage par le fer et par le feu. Tous les vôtres qui sont nos prisonniers, otages de ceux que nous vous envoyons comme parlementaires, répondront sur leurs têtes du retour de leurs camarades... Si, dans une heure précise, nous n'avons reçu de vous aucune réponse, le canon vous annoncera que ces mêmes prisonniers ne sont plus...[2]

Ces menaces furent inutiles ; de pareils sacrifices ne coûtaient rien alors à la fureur des partis : les républicains ne daignèrent pas même répondre, et des deux côtés on ne songea plus qu'à combattre. Les remparts de Granville commencèrent le feu, et les batteries des royalistes, placées sur les restes du fort Gauthier, ripostèrent aussitôt. Leur cavalerie occupa les hauteurs du faubourg Saint-Nicolas ; l'infanterie se jeta rapidement dans les maisons de la rue des Juifs, placées immédiatement sous les murs de la ville. C'est de là qu'à travers les lucarnes et les toits, un nombre infini de tirailleurs firent pleuvoir une grêle de balles sur les canonniers républicains, forcés de se découvrir pour servir leurs pièces. Maîtres du faubourg, les Vendéens se glissèrent au pied des murailles et montèrent à l'assaut. Forestier, suivi de quelques Vendéens, était déjà sur les remparts, quand lm déserteur cria à la trahison ; un officier royaliste lui brûle à l'instant la cervelle : mais l'impulsion était donnée ; ces braves qui étaient en trop petit nombre, hésitent reculent et culbutent Forestier dans un fossé, où il resta longtemps évanoui. Les assiégés reprennent les remparts, et bientôt le feu redouble. Clément Desmaison, officier municipal, fut tué à la tête des patriotes, dont il animait le courage. Sa mort ayant amené un instant de confusion, l'on craignit que le désordre ne se répandit dans la ville ; ce qui obligea Lecarpentier à faire une proclamation sévère pour en imposer aux lâches et aux traîtres.

L'ennemi cependant faisait très peu de progrès ; il ne pouvait gravir des murs que défendait le feu le-mieux soutenu. Les assiégés conservaient une intrépidité héroïque, et les blessés encourageaient eux-mêmes leurs camarades ; partout les canonniers de la marine portaient le carnage et la mort, et ne répondaient aux cris de vive Louis XVII que par des coups redoux blés. On voyait des flemmes, des enfants transporter les boulets et la mitraille des magasins de l'esplanade aux batteries de l'isthme. Étonnés d'une telle résistance, les royalistes se retranchèrent dans les faubourgs pour se mettre à l'abri du feu des assiégés, et bientôt les soldats, et surtout, les canonniers patriotes, tombèrent sans qu'on pût juger d'où partaient les coups qui leur donnaient la mort. L'attaque et la défense se prolongèrent jusqu'à la nuit avec une égale fureur. Le conseil défensif était en permanence, et semblait craindre que les faubourgs qui servaient d’asile aux assaillants, n'entrainassent, en favorisant un assaut de nuit, la perte de la place.

Après une longue délibération, Lecarpentier proposa le sacrifice d'une portion de Granville pour en sauver le reste ; mesure extrême dont l'ordre fut à l'instant, donné. On dépava les rues : hommes, femmes, enfants, tous les bras furent indistinctement employés. Les bombes »et les boulets rouges dirigés sur les faubourgs, ne répondent point assez vite à l'impatience des républicains. L'adjudant-général Vachot s'élance, à la faveur des ténèbres, la torche à la main, à la tête de quelques soldats intrépides. Bientôt la flamme pétille, et les Vendéens se-trouvent forcés d'abandonner un poste d'où le feu d'une artillerie formidable n'avait pu les chasser. Quelques imprudences dans l'exécution de l'incendie et la violence du vent du nord-ouest qui s'éleva tout à coup, firent bientôt craindre que la ville entière n'eût le sort des-faubourgs.

Déjà des masses de fumée, des tourbillons étincelants s'élevaient au-dessus des remparts, des gerbes de feu couvraient les toits ; Granville offrait partout l'image d'une irruption volcanique, dont les flammes menaçaient de tout dévorer. Dans ce moment terrible, les assiégés placés dans une ville étroite, entre la mer et le feu, prennent la résolution de passer à travers les flammes pour se précipiter, le fer à la main, sur l'ennemi. Avant d'user de ce moyen désespéré, on tente d'arrêter les progrès du feu. L'on vit alors ces mêmes soldats qui étaient restés sans nourriture depuis le commencement de l'attaque, déposer leurs armes pour combattre et arrêter l'incendie. Ils montrèrent dans cette lutte nouvelle la même intrépidité : la ville est préservée de la communication des flammes, malgré l'ennemi qui, revenu d'un instant de stupeur causé par l'aspect de la désolation générale, se détermine à livrer un second assaut. La Rochejacquelein et Stofflet parcourent les rangs, trouvent les esprits abattus, et cherchent en vain à les ranimer par l'espoir de la victoire ; leurs ordres sont à peine écoutés. L'évêque d'Agra revêt alors ses habits sacerdotaux, et, le crucifix à la main, il multiplie ses exhortations au nom de la foi catholique et de la royauté. La religion parait réchauffer le courage des soldats ; les chefs en profitent et donnent eux-mêmes l'exemple, en se mettant à la tête des plus courageux qui les suivent. On attaque de nouveau du côté de l’isthme et par la grève ; les uns filent sur les remparts, les autres s'approchent des palissades ; le roc même est gravi par plusieurs. Les batteries et les tirailleurs secondent l'attaque ; mais partout les républicains se défendent avec une égale bravoure ; le canon de la place démonte quelques pièces des assaillants, et le feu des remparts porte la mort dans leurs rangs découragés. Les chefs provoquent en vain une attaque générale ; les braves marchent seuls ; on refuse bientôt de combattre, et tous abandonnent leurs postes, après un siège de vingt-huit heures, laissant les faubourgs et la grève couverts de quinze cents morts ou mourants. Partout on voit des canons sans affûts, la terre couverte de drapeaux en pièces, d'armes brisées, de cadavres dont les membres épars sont à demi-brûlés. Plusieurs victimes périssent encore sous les décombres embrasés ; Lemaignan, membre du conseil supérieur, dont le bras droit a été emporté d'un coup de canon, expire faute de secours ; les chevaliers de Royrand, de Beauvollier et de Villeneuve, le brave Roger-Monlinier, Guien de Montreuil et Pérault sont blessés grièvement. Les Vendéens, aigris par leurs prêtres contre leurs chefs et par tout ce qui s'offre à leur vue, s'éloignent la rage dans le cœur ; la plus vive fermentation les agite ; tantôt ils s'arrêtent, tantôt ils courent en désordre, s'assemblent en tumulte, déplorent amèrement leur sort, et accusent hautement ceux qui les ont arrachés à leurs ravins, à leurs champs fertiles. « Au moins, s'écrient quelques furieux, nous pouvions, après un échec, braver la rage de l'ennemi ; nous trouvions un asile et des secours. Ici nous ne voyons qu'une plage stérile, un pays dévorant et la mort. Puisse la foudre écraser les conseillers perfides qui, dans leur folle ambition, nous ont, tous poussés à notre perte. » De tous côtés on n'entend qu'invectives et menaces ; les ordres des chefs ne sont plus écoutés ; en vain ces derniers cherchent-ils à calmer cet esprit de révolte. « Encore un moment de persévérance, et, nous trouverons, disent-ils, le salut sur ce rivage. La Providence nous secondera ; la flotte anglaise couvre les mers ; des secours vont arriver. Qu'avons-nous à craindre ? Ici nul ennemi n'ose combattre en rase campagne ; cette presqu'île est féconde ; sa position est heureuse, et nous pourrons nous y maintenir, en attendant les renforts qui assureront nos succès. » Tels étaient leurs discours, auxquels on ne répondait que par des plaintes amères et des cris de rage. Une seule volonté bientôt se manifeste, elle est tumultueuse, mais énergique. Tous veulent à tout prix regagner la Vendée, tous promettent de surmonter les obstacles qui s'opposeraient à ce retour ; un grand nombre abandonne ses chefs pour suivre ses prêtres ; l'armée se divise, elle allait se désorganiser entièrement, lorsqu’il se fit tout à coup, dans ce qui restait, un moment de silence ; quelques voix en profitèrent pour réclamer l'attention : la multitude écoule ; on entend d'abord distinctement ces mots : fuite, désertion, trahison. Les noms de Talmont, de d'Autichamp, de Beauvollier, de Solérac, du curé de Saint-Laud sont ensuite répétés : « Ils ont quitté l'armée, ils gagnent la plage, ils vont s'embarquer et fuir en Angleterre. » Voilà ce dont on les accuse hautement. Des cris d'indignation et de rage se succèdent ; ce n'est plus une armée, c'est une horde décile née, furieuse, en pleine révolte contre ses chefs ; La Rochejacquelein lui-même est méconnu. Un simple garde-chasse, Stofflet, conserve seul de l'ascendant sur cette multitude séditieuse ; les autres chefs intimidés n'osent plus commander à leurs soldats. Ceux-ci se groupent §e séparent pour se rassembler encore. Talmont, regardé comme l'instigateur de la fatale transmigration, n'est plus aux yeux des Vendéens qu'un lâche déserteur. on répète partout qu'il veut fuir sur mi bateau ; que cent louis et ses plus beaux chevaux ont été offerts et refusés. Les avis extrêmes sont seuls écoutés. Par une espèce d'esprit de vertige, on allait s'entre-tuer, lorsque Stofflet, à la tête d'un piquet de cavalerie, accourt et trouve en effet Talmont près de quitter le rivage. Il veut à l'instant le faire saisir ; ses cavaliers n'osent porter la main sur le prince ; il fond alors sur eux le sabre à la main, et les force d'exécuter son ordre. Le prince est désarmé ; un détachement l'entoure, le ramène 'au camp avec les autres chefs qui l'avaient suivi. Stofflet parvient à le garantir de la fureur de l'armée, en faisant serrer les rangs de la troupe qu'il commande. Dans quelques groupes, les esprits sont encore exaspérés, mais le désarmement du prince, sa situation humiliante, calment la fermentation, et cet exemple de sévérité inspire à la multitude un sentiment de pitié qui remplace tout à coup la fureur. Talmont et les autres chefs parviennent à se faire entendre. « Ils n'avaient voulu passer à Jersey que pour presser l'arrivée des secours d'Angleterre, et en attendant l'issue de l'expédition, sauver un grand nombre de Vendéennes. Du reste, ils protestent qu'ils vaincront ou mourront avec leurs compagnons d'armes. » A l'instant où la multitude commençait à s'apaiser, La Rochejacquelein paraît, accompagné de ces mêmes Vendéens qui s'étaient séparés de l'armée pour suivre leurs prêtres. Il adresse à tous une harangue courte, mais énergique, les menaçant d'abandonner le commandement dans le cas où leur insubordination continuerait. La fermeté de ce jeune guerrier, sa mâle éloquence, font verser aux soldats des larmes de repentir. Le curé de Saint-Laud, quoiqu'il eût lui-même suivi Talmont, acheva par ses exhortations pathétiques 'de calmer les esprits, en les ramenant à l'obéissance. Presque tous reprirent leurs rangs, et l'armée se mit en marche dans le plus grand ordre.

En s'éloignant du rivage, les royalistes perdirent à jamais l'occasion d'acquérir par la jonction des forces anglaises la consistance politique et militaire qui pouvait les sauver. Alors les secours de l'Angleterre étaient réels ; et l'expédition n'attendait plus qu'un vent favorable. Les éléments seuls se jouèrent des combinaisons les plus sages, et trempant les espérances des royalistes, ils causèrent leur ruine. Pour remonter à la source de ces tentatives si longtemps infructueuses, il me faudra suppléer, comme j'y suis souvent forcé dans cette histoire, par des notions secrètes, mais sûres, aux lacunes qui résulteraient nécessairement de la stérilité des mémoires et des journaux du 'temps.

Lorsque Prigent eut facilité la communication de Saint-Hilaire et Freslon avec l'armée 'royale, il se hâta'' de quitter les cotes de Saint-Malo, et passa de Jersey en Angleterre pour y rendre compte du résultat de sa mission. Le cabinet de Saint-James lui fut ouvert, et Pitt lui accorda une longue conférence. Prigent donna toutes les notions qu'il avait acquises sur la situation intérieure de la France, sur la position, sur les malheurs et les ressources de l'armée vendéenne. Le roi d'Angleterre et ses ministres, Pitt et Henri Dundas, tinrent un conseil privé, où il fut résolu que l'on enverrait aux royalistes de France de prompts secours en tout genre. Lord Moira, nommé général en chef de l'expédition, et l'amiral Macbride commandant de l'escadre, ne reçurent les ordres du roi que le 17 novembre. Lord Moira avec une diligence extraordinaire, rassembla à la hâte plusieurs régiments ; il organisa des compagnies d'artilleurs français, et s'entoura de quelques émigrés bretons qui connaissaient les localités. En peu d'heures, soixante navires de transport et vingt vaisseaux de ligne abondamment pourvus de munitions de tous genres, furent chargés de troupes. Pitt, après avoir donné de nouvelles instructions à Prigent, lui recommanda verbalement de rejoindre les chefs vendéens, pour les presser de favoriser le débarquement sur les points indiqués. Prigent fut chargé en outre de donner l'assurance positive que l'armement était prêt, et n'attendait que la présence des royalistes sur la cote. Lord Moira lui donna les mêmes instructions. L'expédition n'attendait à Portsmouth qu'un vent favorable. Prigent, Bertin et Dufour, partis d'Angleterre du 6 au 7 novembre, n'arrivèrent près de Dol qu'après l'attaque de Granville, et ne purent parvenir à l'armée vendéenne faute de guides. Dans l'intervalle, Saint-Hilaire et Freslon arrivèrent de Dol en Angleterre, mais des obstacles imprévus avaient retardé leur re, tour jusqu'au 25 novembre. Ils communiquèrent les signaux convenus et indicatifs des points favorables au débarquement. Lord Moira, contrarié par les vents, ne put mettre à la voile que le premier décembre. D'après les avis apportés par les émissaires, la flotte longea pendant plusieurs jours la côte de la presqu'île Normande ; mais aucun signal ne la mit en mesure d'effectuer la descente. Le retour d'un aviso expédié à l'amirauté, rapporta au général en chef l'ordre de gagner la rade de Guernesey. Plusieurs émissaires furent encore expédiés sur les côtes de Bretagne. On apprit bientôt que les royalistes avaient échoué devant Granville : Quelques journaux français parvenus à lord Moira, et contenant la nouvelle de la marche d'une colonne de Vendéens sur Caen abusèrent ce général, qui remit à la voile, et longea de nouveau les côtes de Normandie. A son départ, lord Moira forma un état-major de quelques officiers bretons et normands, dont les connaissances locales et les notions particulières pouvaient lui devenir utiles. Deux aides-de-camp, un secrétaire et un quartier-maître général composaient ce petit état-major auxiliaire. Quoique séparé d'une partie de sa flotte — la rade de Guernesey n'étant déjà plus tenable —, lord Moira reparut, mais inutilement, devant les côtes de France. Ses émissaires ne pouvant communiquer qu'avec peine, lui firent parvenir, vers le commencement de janvier, la nouvelle de la défaite des royalistes et de l'entier anéantissement de leurs projets. Sa flotte regagna les ports d'Angleterre. Tel fut le sort de cette expédition, bien plus célèbre par ses promesses que par les services qu'elle rendit au parti royaliste.

 

 

 



[1] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° Ier.

[2] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° II.