Élévation du général
Lechelle. — Divisions parmi les chefs royalistes. — Batailles de Châtillon,
de Mortagne et de Chollet. — Héroïsme et mort glorieuse de Bonchamp.
DEUX jours avaient suffi dans
l'Anjou pour dissiper deux armées ; dans la Basse-Vendée, l'on venait de voir
en cinq jours quatre combats sanglants, une armée deux fois repoussée, deux
autres complétement défaites. Les
deux commissions conventionnelles s'imputèrent réciproquement ces désastres,
en s'accusant de s'être écartées du plan de campagne. Philippeaux s'élevant
avec amertume contre ce qu'il appelait la cour de Saumur, provoqua une
dénonciation formelle à la Convention. Ses adversaires, Choudieu et Richard,
s'étayèrent du désavantage de leur position, du défaut de communication avec
l'armée agissante ; ce qui forçait à faire un circuit de près de cent lieues
pour connaître ses mouvements. De là nulle précision, nul ensemble.
« Telles, disaient-ils, sont les combinaisons du conseil de Saumur, que,
le 16 septembre, l'armée du général Canclaux était encore à plusieurs marches
de Mortagne, quoiqu'elle dût y entrer ce jour-là aux termes du plan dont l'on
veut s'appuyer. » Pendant
ces débats qu'aigrissait la plus vive animosité, les divisions républicaines
se disposèrent à rentrer dans la Vendée pour tenter tut dernier effort. On
tint à Nantes et à Saumur des conseils de guerre séparés, où furent discutées
de nouvelles dispositions. Dès le 25 septembre, la division de Mayence,
pressée par les clé-pêches de Saumur, marcha en avant, et reprit. Clisson et
Montaigu sans rencontrer d'obstacles. Mais quel fut l'étonnement de ses
généraux, de ses commissaires, lorsqu'ils eurent connaissance d'un nouveau
conseil tenu le 2 octobre à Saumur, à la suite duquel on avait résolu la
jonction des divisions de Luçon et de Fontenay, non pas avec l'armée du
général Caudaux, mais avec celle de Rossignol qui devenait armée attaquante.
Cette jonction devait se faire à Bressuire, le 7 octobre ; la division de
Mayence était ainsi livrée à ses seuls moyens. La fureur de Philippeaux et de
ses partisans ne connut plus de bornes : ils accusèrent leurs collègues de
Saumur d'infidélité, même de malveillance, et crièrent à la trahison.
« Je me souvins alors, écrivit Philippeaux, de ce que me dit Choudieu à
table, le jour de notre départ de Saumur : Vous usez, vous autres, de la
faculté de penser ; eh bien ! nous userons, nous, de la faculté d'agir. » Mais ne
se bornant point à des plaintes stériles, la commission de Nantes dénonça
formellement à la Convention nationale les infractions faites au plan de
campagne par l'état-major et les commissaires de Saumur. La Convention
s'étonna d'autant plus des suites malheureuses de l'attaque générale, que
récemment encore on venait de lui annoncer l'affaiblissement des royalistes
et presque la soumission de la-Vendée. « On vous en a imposé, lui
écrivirent les commissaires de Nantes, par des nouvelles exagérées ou mensongères.
Les Vendéens ont trois armées commandées par Charette, Bonchamp et d'Elbée.
Des renseignements certains portent le nombre d'hommes qui les composent
à 100 mille au moins, dont 50 mille bien armés et disciplinés. » C'était
la première fois que, dans la Convention, l'on déchirait le voile qui
couvrait la Vendée. Le
comité de salut public, craignant de compromettre sa responsabilité,
approfondit enfin les causes de tant de revers. Après une longue
délibération, il arrêta un ensemble de mesures qu'il soumit à la ratification
de la Convention nationale elle-même, et, comme la vérité sur la Vendée
venait d'échapper, il crut cette fois pouvoir la proclamer tout entière. Barère
parut le premier octobre à la tribune. Voici quelques traits de son rapport : « L'inexplicable
Vendée existe encore.... Ce creuset où s'épure la population nationale
devrait être anéanti depuis longtemps ; il menace de devenir un volcan
dangereux. « Vingt
fois depuis l'existence de cette rébellion, les représentants, les généraux,
le comité lui-même, vous ont annoncé la destruction prochaine des rebelles.
De petits succès étaient suivis de grandes défaites. « On
croyait pouvoir les détruire : le 15 septembre, le tocsin avait réuni, vers
le même but, un nombre étonnant de citoyens armés de tout âge... La terreur
panique a tout frappé, tout effrayé, tout dissipé comme une vapeur. « Si
la Vendée a fait de nouveaux progrès, c'est par l'envoi fréquent et trop
nombreux de commissaires de la Convention, par l'insatiable avarice des
administrations militaires qui agiotent la guerre, spéculent sur les batailles
perdues, et s'enrichissent sur des tas de morts. « Voilà,
s'écria Barère, après avoir tracé le tableau des progrès de la Vendée, voilà
le chancre politique qui dévore le cœur de la république ; c'est là qu'il
faut frapper. « Voilà
les maux, voici les remèdes. A trop de représentants en substituer un petit
nombre, à trop de généraux un seul général en chef d'une armée unique. Il ne
faut à l'armée chargée d'éteindre la Vendée qu'une même vue, qu'un même
esprit, qu'une même impulsion ; il faut épurer les états-majors de ci-devant
nobles, d'hommes suspects. « Les
brigands doivent être exterminés d'ici au 20 octobre. Semblable au géant de
la fable qui n'était invincible que quand il touchait la terre, il faut les
soulever, les chasser de leur propre territoire pour les abattre. » Barère
fit approuver la réunion des deux armées en une seule, sous le nom d'armée de
l'Ouest, et la nomination du général Lechelle au commandement en chef. Le
croira-t-on ? Il fit, par un décret, assigner un terme à cette guerre ; et la
Convention adopta la proclamation suivante adressée à l'année : « Soldats
de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant
la fin du mois d'octobre ; le salut de la patrie l'exige, l'impatience du
peuple français le commande ; son courage doit l'accomplir. La reconnaissance
nationale attend à cette époque tous ceux dont la valeur et le patriotisme
auront affermi sans retour la liberté de la république. » Ces
mesures mirent fin, dans l'armée, aux factions de Nantes et de Saumur. Tous
les commissaires, excepté Bourbotte et Turreau, furent rappelés, ainsi que
les généraux Canclaux, Dubayet, Rey et Grouchy ; le général Rossignol passa à
Rennes au commandement de l'armée des côtes de Brest et de Cherbourg. Le
comité envoya pour présider à ces changements deux commissaires, Hentz et
Prieur de la Marne. Philippeaux
rentra mécontent dans le sein de la Convention nationale, où bientôt il
provoqua sa mort. Pendant
que les républicains substituaient à l'anarchie meurtrière qui avait régné
dans leurs opérations, l'ordre, l'unité d'action et de mouvement, sans lequel
on ne peut remporter de victoires, les chefs royalistes, en se divisant,
rompaient le faisceau de la confédération redoutable qui avait fait trembler
la république ; désunis, ils ne pouvaient plus vaincre. Lorsque
Bonchamp et Charette eurent triomphé ensemble et séparément, Bonchamp fut aux
Herbiers où Charette le rejoignit le lendemain. Dans la route, un coup de
fusil tiré d'une lande par un officier républicain échappé de Saint-Fulgent,
faillit tuer Charette, qui fondit à l'instant sur son ennemi ; et lui passant
plusieurs fois sur le corps, l'écrasa sous les pieds de son cheval. Les deux
armées fouillèrent le bois des quatre chemins, et saisirent quelques fuyards
ennemis. Près de cent républicains surpris dans une grange, n'ayant pas voulu
mettre bas les armes, furent tous égorgés. Tout en
défendant la même cause, ces deux armées réunies ne tardèrent pas à voir se
développer des germes de division. Ici l'esprit de la troupe de Bonchamp
était en opposition avec celui de la troupe de Charette. Cette dernière,
composée d'une soldatesque effrénée, blasphémait, pillait, se livrait à tous
les désordres, et ne faisaient plus de quartier aux prisonniers. Au
contraire, les soldats de Bonchamp revenaient des combats en chantant des
cantiques, se distinguaient par leur docilité et leur tempérance ; loin de
massacrer leurs prisonniers, ils s'emparaient rarement de leurs dépouilles.
Des rixes éclatèrent entre ces deux armées, d'abord pour le partage du butin
; ensuite h s soldats de Charette furent aigris par la brutalité de quelques
allemands venus de l'Anjou. Ces transfuges s'emparèrent de plusieurs tonneaux
d'eau-de-vie et ne voulurent pas même en délivrer pour les blessés. Il fallut
les leur arracher avec violence. Charette ayant ensuite manqué de vivres, ses
soldats se jetèrent sur les rations de l'armée d'Anjou abondamment pourvue.
Peut-être des sentiments de rivalités et d'amour-propre firent-ils oublier à
ce chef qu'il venait d'être sauvé par Bonchamp. Les deux armées se séparèrent
aux Herbiers, chaque parti s'imputant des torts réciproques. Bonchamp qui
prévoyait les suites de cette funeste mésintelligence, fit tout pour la
prévenir ; mais Joly, la Cathelinière et Savin, alléguant le mécontentement
de leurs soldats, s'éloignèrent les premiers, et rentrèrent dans leurs
arrondissements respectifs. Chacun avant contribué à écarter le danger, se
fit illusion sur l'avenir, et s'isola de nouveau pour commander exclusivement
dans son territoire. Les vues de Bonchamp furent pl us profondes ; il sentit
qu'au moment 'où les républicains adoptaient le système des masses, il
fallait leur opposer une offensive énorme, et il conçut le projet de réunir
toutes les divisions vendéennes en une seule armée. C'était depuis longtemps
l'objet des espérances de d'Elbée. Le dévouement de La Rochejacquelein, et
même de Lescure, et la générosité de Bonchamp pouvaient sauver cc parti ;
l'obstination et l'aveuglement des divisionnaires du Bas-Poitou le perdirent.
En vain offrit-on à Charette le commandement de l'avant-garde ; il aima mieux
s'isoler ; il éluda toutes les propositions, et promit vaguement des secours
ou bien une diversion puissante. Resté avec un noyau de huit cents hommes, il
fit revenir son artillerie qui, dans un premier élan de reconnaissance,
filait déjà sur la route de Mortagne, pour l'exécution du projet de Bonchamp,
et après six jours de réunion aux Herbiers, il se retira sur son territoire
et reprit le cantonnement de Legé ou il lui fallut chercher des vivres sur
les ruines d'un pays incendié et désert. Les
ambulances de Charette et ses bagages qu'il avait fait conduire à Chollet
lors de l'invasion des Mayençais, ayant été pillés dans les cours du château
par les soldats de d'Elbée, il s'en plaignit amèrement, et envoya un
détachement de cavalerie commandé par Bodereau pour ramener le convoi. La
discorde qui planait sur toute la Vendée s'agitait en tous sens. Les talents
et la loyauté de Bonchamp faisaient envie à quelques chefs jaloux. D'autres
ne pardonnaient point à d'Elbée de s'être fait nommer généralissime. Le
prince de Talmont et même Lescure, qu'excitait en secret Donissant,
ambitionnaient ce grade suprême. Ces levains de division fermentaient depuis
la prise de Saumur. Dès cette époque, il s'était formé divers partis dans
l'état-major-général ; les succès constants de l'armée catholique n'avaient
servi qu'a augmenter les prétentions individuelles. Chaque chef, en voulant
agir séparément, contrariait le système des masses. La Rochejacquelein,
Talmont et d'Autichamp, jeunes et impétueux voulaient combattre sans relâche.
D'Elbée qui connaissait mieux le caractère des Vendéens, prescrivait des
intervalles de repos consacrés aux travaux champêtres et domestiques. D'un
autre côté, rien n'avait pu effacer la ligne de démarcation qui séparait la
Vendée supérieure de la Basse-Vendée ; or il y eut deux armées distinctes,
l'armée catholique et royale, et celle de Jésus ou du Bas-Poitou. On a vu
que dès le 28 septembre la division de Mayence s'était reportée sur Clisson
et Montaigu sans rencontrer l'ennemi. Dans sa première invasion, elle avait
balayé le pays de Retz et le territoire de Charette. Cette fois, elle laissa
sur sa droite l'espace qui est entre la Sèvre et la mer, soit qu'elle fût
affaiblie, soit qu'elle voulût gagner promptement et sans diversion les points
d'où l'ennemi l'avait chassée. Ce mouvement opéré au moment même où les
divisionnaires du Bas-Poitou se séparaient de Bonchamp, sauva Charette et
perdit la Vendée. Maîtres de Clisson et de Montaigu, les Mayençais formant
flèche dans le pays insurgé, se portèrent sur Mortagne, non sans crainte
d'être accablés dans leur marche ; mais Bonchamp seul les observait ; et
cette fois ce fut lui qui réclama des secours. Charette et. Lescure lui en
promirent. Le premier ayant assemblé son conseil de guerre, transmit à
Bonchamp le résultat de la délibération, portant que chaque chef devait
désormais défendre son territoire. Quant à Lescure, il était lui-même en
péril, Chatillon se trouvant menacé par les divisions de Fontenay et de
Saumur. Malgré les représentations de d'Elbée, Charette demeura inflexible.
Bonchamp, abandonné à ses seules forces, voulut néanmoins arrêter les progrès
des Mayençais, en les attaquant seul à Saint-Symphorien entre Tiffauges et
Mortagne, avec moins de 8 mille hommes. Après deux heures d'un combat inégal,
l'ennemi le força de se retirer avec perte de deux pièces de canon, de trois
à quatre cents hommes, et d'un de ses officiers. Cet avantage honora
doublement Dubay et qui, recevant sa destitution au moment où il allait livrer
la bataille, se battit, remporta la victoire et quitta l'armée. Ainsi que
lui, le général Canclaux fut l'objet des regrets du soldat. Les Mayençais qui
auraient pu envahir Mortagne sur le champ, s'arrêtèrent au milieu de leur
triomphe en attendant un général en chef. Quelques
officiers vendéens encore existants m'ont assuré que les Mayençais, furieux
de se voir enlever leurs généraux, envoyèrent au chevalier Desessart, alors
posté à Saint-Fulgent, une députation de huit grenadiers, avec l'offre de
passer tous au service des royalistes, sauf la garantie d'une solde
régulière. Le chevalier Desessart expédia de suite un courrier à
l'intendant-général de l'armée, qui communiqua sa dépêche au conseil
supérieur à Chatillon. Beauvollier proposa de pourvoir aux fonds nécessaires,
en convertissant en monnaie les vases et argenterie d'église trouvés à
Fontenay-le-Comte. Cette proposition fut repoussée, comme sacrilège, par le
curé de Chollet, le prieur de Saint Laurent, et par d'autres conseillers
vendéens. L'intendant-général et les autres officiers qui l'appuyaient,
n'osèrent insister davantage, dans la crainte que leur avis ne parvînt à la
connaissance des Vendéens, et n'excitât leur fanatisme et leur indignation.
Ces mêmes vases sacrés, auxquels on n'osa toucher alors, devinrent ensuite la
proie des républicains. En déterminant la défection de la garnison
mayençaise, ils auraient pu sauver la Vendée. Trois
jours après, le général Lechelle arriva au camp des patriotes, accompagné de
Hentz et de Prieur de la Marne, qui l’installèrent dans le commandement des
deux armées réunies. Les généraux Dubayet et Canclaux lui communiquèrent
loyalement toutes les notions acquises depuis l'ouverture de la campagne, et
livrèrent avec un abandon généreux, à celui qui les remplaçait, jusqu'au
secret de leurs fautes. Lechelle concilia leurs vues avec le plan arrêté à
Saumur, le 2 octobre, approuvé par le comité de salut public. Il fut donc définitivement
résolu que les divisions de Saumur, de Thouars et de Fontenay se réuniraient
le 7 à Bressuire pour de là marcher sur Chatillon. Le général Lechelle partit
pour se mettre à leur tête, laissant aux généraux Beaupuy et Kleber le
commandement des Mayençais. Tout prit dès-lors plus de rectitude et
d'ensemble. On ne connut plus dans l'armée républicaine ces mouvements
partiels et irréguliers, qui avaient presque toujours éloigné la victoire. Déjà la
division de Fontenay, commandée par le général Chalbos, après avoir été huit jours
stationnaire à la Châtaigneraie, s'était mise en marche pour Bressuire,
chassant devant elle tous les partis ennemis, portant sur son passage
l'effroi et la mort, brûlant tous les villages, les hameaux, les fermes et
les moulins, prélude épouvantable de la lutte sanglante qui allait s'engager. L'historien
doit s'armer lui-même d’inflexibilité, lorsqu'il n'a plus à rapporter que des
scènes de carnage et de désolation. Celles dont je vais rendre compte
attachent par leur énorme atrocité. S'il était réservé à la France de donner
au monde l'exemple de la révolution la plus gigantesque et la plus extrême
dans ses effets, il devait résulter aussi de cette révolution toutes les
horreurs de la guerre civile la plus mémorable et la plus désastreuse, sujet
d'effroi et leçon terrible pour la postérité ! Après
avoir fait sa jonction avec l'armée de Saumur, Chalbos, à la tête de 22 mille
combattants, marcha droit à Chatillon sur trois colonnes. Lescure et
Beaurepaire couvraient cette ville avec leurs divisions sur la hauteur du
moulin du bois des Chèvres, l'aile gauche se déployant vers les Aubiers. Les
républicains firent halte un moment, et placèrent l'artillerie sur la
hauteur. Les deux armées s'avancèrent poux combattre, et bientôt le feu de la
mousqueterie remplaça le feu du canon. Westermann était à la queue du centre
des républicains ; il connaissait et le théâtre de la guerre-et l'ennemi qui
lui était opposé. Chalbos lui ordonna d'avancer avec sa légion ; toute sa
brigade le suivit. Westermann forma l'attaque, niais il ne put soutenir une
charge très vive d'un corps d'élite commandé par Lescure en personne. Les
colonnes de droite et de gauche ployèrent aussi sous le feu des tirailleurs
ennemis, qui, suivant leur usage, cherchèrent à tourner les canons. Atteint
d'un coup mortel, le général Chambon s'écria : vive la république ! Le
centre des patriotes ayant été enfoncé, leur droite ébranlée, leur gauche
entièrement rompue, les royalistes crurent tenir la victoire et poursuivirent
Westermann au moment où les grenadiers de la Convention arrivaient pour le
soutenir. Alors faisant un mouvement sur sa droite, ce général culbuta l'aile
gauche des Vendéens et la mit en déroute. En même temps le général Chalbos
rétablit le combat sur sa gauche, et battit la droite de l'ennemi avec le
même succès. Blessé grièvement, Beaurepaire dut à quelques braves qui se
dévouèrent de ne pas rester parmi les morts. Le général Westermann poursuivit
les fuyards avec deux mille et le même jour à 5 heures du soir il entra pour
la seconde fois triomphant dans Chatillon. Le conseil supérieur était eu
fuite vers Chollet ; ses papiers tombèrent au pouvoir de Westermann ; il y
trouva le plan de campagne du 2 septembre. Les
soldats de Lescure errèrent dans les campagnes, la plupart vers les Aubiers,
pour éviter le fer des patriotes, qui, loin de les poursuivre, pillèrent
Chatillon, s'enivrèrent et négligèrent les postes. Bonchamp qui accourait au
secours de Lescure, mesurant la grandeur du péril qu'entraînerait le
découragement des royalistes, fondit le lendemain sur les avant-postes
républicains avec une fureur aveugle. Son choc fut tellement violent que tout
céda devant lui, et fut bientôt en pleine déroute : canons, caissons, vivres,
bagages, trésor, tout lui fut abandonné. Ses soldats, surtout les Allemands,
jaloux de célébrer une victoire si subite, burent avec excès de l'eau de vie,
dont plusieurs chariots tombés en leur pouvoir étaient chargés. Plongés
bientôt dans l'ivresse, ils n'écoutèrent plus la voix de leurs chefs. Pendant
ce temps, les républicains fuyaient en désordre vers Bressuire. Les
grenadiers de la Convention s'étaient seuls rangés en bataille derrière
Chatillon ; Westermann sortit le dernier de la ville, et abattit d'un coup de
sabre un Vendéen qui s'attachait à la queue de sou cheval. Les grenadiers
auxquels il ordonna de partir s'y refusèrent, voulant mourir à leur poste.
Westermann employa la menace ; et, pour favoriser la retraite de ces braves,
il en fit mettre plusieurs eu croupe derrière les cavaliers de sa légion. La
nuit couvrait déjà l'horizon, lorsque Westermann trouva non loin de Bressuire
Chalbos avec huit à neuf cents hotu-mes. Il court à ce général, et lui dit en
lui présentant son sabre : « Tout le monde m'a abandonné, je ne veux
plus servir avec des lâches. » Les soldats l'entourent, et jurent qu'ils ne
quitteront plus Westermann. « Eh bien ! si vous aimez encore la
république, retournez avec moi à Châtillon reprendre ce que nous avons laissé
ou mourir avec moi. » Tous le suivent, courent droit à Chatillon, et, en
criant vive le roi ! taillent en pièces les avant-gardes royalistes,
pénètrent dans la ville, trouvent les Vendéens épars, étendus, ivres morts,
et en font un horrible carnage. A peine les chefs eurent-ils le temps de
monter à cheval pour se sauver, abandonnant les drapeaux et un énorme butin.
Westermann les poursuivit avec sa cavalerie, et brûla en leur présence le
village du Temple. De retour à Châtillon, il n'y trouva plus ni son
infanterie, ni le général Chalbos, ni le trésor de l'armée. Irrité de voir Châtillon
abandonné, il résolut clans sa colère de détruire une ville si souvent
funeste aux républicains. Sa cavalerie mit pied à terre, pilla, incendia les
maisons, et rejoignit l'armée près de Bressuire. La reprise de Chatillon
avait plutôt consterné qu'affaibli les royalistes. Après avoir rallié les
fuyards et reçu quelques détachements, ils s'y représentèrent en force. Au
lieu d'ennemis à combattre, ils ne trouvèrent plus qu'une ville en feu, et
des milliers de cadavres à demi brûlés ou écrasés sous les décombres, en
voulant échapper aux flammes. L'image de la désolation les arrêta, et, la
rage dans le cœur, ils se donnèrent rendez-vous à Mortagne. A peine
y furent-ils réunis, que les divisions de Mayence et de Luçon marchèrent sur
eux, menaçant à la fois Mortagne et Chollet. Le danger était imminent ; il
fallait de grands efforts pour opposer une digue au torrent des républicains
; l'aveugle destin en décida autrement. Charette persista dans son système
d'isolement, et abandonna la Haute-Vendée à ses propres forces pour se livrer
à la stérile expédition de Noirmoutiers ; mais rien ne put abattre la
courageuse constance des deux colosses vendéens. Bonchamp et d'Elbée se
disposèrent à une bataille générale. Dans ces terribles conjonctures,
Bonchamp rappela de nouveau la nécessité d'une diversion sur la rive droite,
soit pour détourner l'attention de l'ennemi, soit pour se ménager une
retraite en cas d'échec ; le reste devait dépendre des évènements. En
conséquence, deux cents hommes d'élite des compagnies bretonnes allèrent
au-delà du fleuve emporter le poste de Varades, à la vue de Saint-Florent. La
division républicaine de Luçon venait d'entrer le 14 à Mortagne, évacué par
les royalistes, et s'y était réunie à la division de Mayence, après avoir
chassé devant elle aux Herbiers 3 mille Vendéens du centre commandés par
Royrand. Quatorze à quinze cents prisonniers patriotes renfermés à Mortagne
recouvrèrent la liberté. L'horreur et l'infection des cachots les avaient
changés en autant de spectres ; l'impression de l'air faillit leur donner la
mort. Ainsi que Chatillon, Mortagne fut livré aux flammes. D'Elbée et Lescure
postés au-delà de cette ville, sur les hauteurs de Saint-Christophe-du-Bois,
couvraient Chollet, bien décidés à défendre opiniâtrement ce boulevard de la
Vendée. De tous côtés il arrivait des renforts. Bonchamp amena 4 à 5 mille
hommes, et Royrand tout ce qui venait d'échapper aux Herbiers. Le
lendemain, le général Lechelle donna ordre à la division de Luçon, qu'il fit
soutenir par celle de Mayence, de se porter rapidement sur Chollet. A peine
eut-elle défilé au-delà de Mortagne, que le canon annonça une attaque.
Arrivés à la hauteur de Saint-Christophe, les républicains y furent assaillis
par l'armée royale. Les deux partis, au coucher du soleil, s'entrechoquèrent
avec fureur. Fatigués par plusieurs marches pénibles, les républicains
plièrent d'abord ; mais le Conventionnel Tuffeau les rallia, aidé de son
collègue Carrier, dont la funeste apparition dans la Vendée doit faire époque
; il pressa la marche des Mayençais que conduisait Beaupuy. Ce général par un
circuit tourna avec sa division la droite de l'armée catholique restée sur
une hauteur d'un accès difficile ; ensuite il fondit brusquement sur cette
colonne commandée par Lescure. Une attaque aussi imprévue étonna les Vendéens
; ils plièrent à leur tour. Lescure d'abord entraîné rallia quelques braves,
et s'élança avec eux sur les patriotes ; blessé mortellement, il tomba dans
la mêlée. Ses officiers l'arrachèrent sanglant des mains de l'ennemi pour le
transporter à Beaupréau. La chute de ce chef acheva la déroute. Déjà la
division de Luçon avait profité de la manœuvre hardie des Mayençais pour
reprendre l'offensive. Les royalistes ne reconnaissant plus les républicains
qui jusqu'alors avaient fui devant eux, prirent tous l'épouvante, et se
replièrent en désordre, laissant la route et le champ de bataille couverts de
morts. Poursuivis sur le grand chemin de Chollet à Mortagne, ils ne se
rallièrent qu'à Beaupréau. Sans attendre la fin de la bataille, le prince de
Talmont y avait fait filer l'artillerie. Le désordre et la consternation y
étaient au comble ; le conseil militaire s'assembla pour délibérer à la hâte.
Atterrés par les pertes qui venaient d'éclaircir leurs rangs, aussi bien que
par l'opiniâtreté d'un ennemi jusque-là si facile à décourager les chefs
vendéens soudèrent la profondeur de l'abîme ouvert sous leurs pas ; mais plus
le danger était imminent, moins ils semblaient pouvoir s'accorder. Chacun
voulait faire prévaloir son avis, lorsqu'il n'eût fallu qu'une seule volonté.
Ce fut dans ces conférences alarmantes que Talmont, désespérant de pouvoir
résister à la fureur républicaine insista sur l'avantage de la diversion de
Varades pour traverser la Loire et se jeter en Bretagne. Talmont assura que
la présence seule des Vendéens suffirait pour soulever cette province, où la
fermentation était au comble. Il promit des renforts puissants dans ses
immenses propriétés de Vitré, (le Laval et de la Gravelle. Ce projet fut
regardé par d'Elbée comme un moyen désespéré de salut. Bonchamp démontra
victorieusement l'impossibilité du passage du fleuve, tandis qu'on avait à
dos toutes les forces de l'ennemi ; ne dissimulant point que la perte de
Chollet pouvait entraîner la destruction totale de la-Vendée, il fit décider
qu'on tenterait sur le champ un dernier effort pour reprendre ce poste
important, ramener enfin la victoire sous les drapeaux royalistes, et passer
ensuite la Loire en vainqueurs. La majorité vota dans ce sens, et persuadée
qu'en cas de revers il n'y aurait plus aucun lieu de retraite, voyant dans
l'invasion de la Bretagne. un moyen de s'unir à l'Angleterre, cette même
majorité voulut s'assurer du passage de la Loire, et fit détacher à l'instant
même un corps vendéen pour soutenir les deux cents Bretons envoyés par
Bonchamp. Le même jour, ceux-ci, avant l'arrivée du renfort, plantèrent
l'étendard royal à Varades. En se séparant ainsi d'une partie de leurs forces
dans un moment si décisif, non seulement les royalistes s'affaiblirent, mais
ils perdirent encore de leur audace ; et pendant le combat qui suivit, ils
durent nécessairement porter leurs regards vers le fleuve dont on leur avait
préparé le passage. Quoi qu'il en soit, vainqueurs et vaincus étaient décidés
à combattre à outrance. Les
républicains n'osèrent entrer dans Chollet pendant la nuit ; ils
bivouaquèrent au milieu des cadavres. Le lendemain, les éclaireurs n'y
pénétrèrent qu'avec une extrême précaution. Au même instant les divisions de
Saumur et de Fontenay, victorieuses à Chatillon, parurent à la vue de Chollet
conduites par les commissaires Fayan, Bourbotte et Bellegarde. Dès-lors la
jonction de toutes les divisions républicaines fut entièrement consommée ;
celle de Mayence transformée en corps de réserve resta en arrière-garde, et
l'armée tout entière fut postée sur les hauteurs de l'est qui dominent la
ville. Le général Lechelle fit mettre à bas les havresacs, et ordonna que
chacun se tiendrait à son poste. Cette précaution sauva peut-être l'armée ;
car à peine les généraux assemblés à la hâte eurent-ils résolu de marcher à
une attaque nouvelle, que l'ennemi arrivant à l'improviste, se précipita sur
les avant-gardes avec la rage du désespoir. La générale fut battue sur tous
les points ; en un instant l'armée républicaine se trouva rangée en bataille.
Dépourvus d'artillerie, les royalistes commencèrent la fusillade à
demi-portée de carabine et au pas de course. Bientôt Bonchamp et d'Elbée
dirigèrent tous leurs efforts vers le centre, commandé par le général
Chalbos. Malgré sa résistance et celle de quelques bataillons ; malgré le
zèle des commissaires de la Convention, la troupe de Chalbos fut enfoncée. Le
général Bard reçut une blessure en chargeant avec les grenadiers ; Carrier
lui-même eut un cheval tué sous lui. Dès-lors ce ne fut plus une bataille,
mais une mêlée d'hommes furieux ne respirant que le sang et le carnage. En
même temps La Rochejacquelein et Stofflet attaquaient l'aile droite, et leur
premier choc fut tellement violent, que de ce côté les Vendéens pénétrèrent
jusqu'aux faubourgs de Chollet. Tous les efforts des républicains pour
repousser un ennemi si acharné furent d'abord inutiles ; quelques
demi-brigades s'élancèrent sur les phalanges de Stofflet, mais rien ne put
leur rendre l'avantage du combat. Déjà la moitié de l'armée républicaine
avait pris la fuite, lorsque le général Bard, couvert de blessures, rallia
les grenadiers et leur dit en montrant la division de Mayence qui arrivait
par Chollet au secours de l'armée : « Camarades ! souffrirez-vous que
les Mayençais viennent vous arracher le fruit de cette journée ? Voulez-vous
passer pour des lâches ? A moi, grenadiers républicains ! marchons, chargeons
encore une fois les rebelles, et je vous promets la victoire. » Aussitôt les
grenadiers font volte-face, et forment un mur d'airain qui arrête l'ennemi.
Quelques demi-brigades lâchent encore le pied. Bonneval à coups de crosse
essaie de ramener les fuyards ; il atteint et renverse parmi eux un officier.
Alors une compagnie encore incertaine bat la charge ; et la division entière
marche au feu. Bientôt les grenadiers républicains attaquent à la baïonnette
cette masse énorme qui venait de percer la ligne. Partout on se mêle, on se
serre, on se saisit ; le champ de bataille devient une arène de gladiateurs
forcenés qui, fatigués d'une lutte trop longue, semblaient ne chercher que la
mort. Tandis que le centre présentait cet affreux tableau, et qu'à l'aile
droite la fortune se déclarait encore peur les Vendéens, les Mayençais, après
avoir traversé Chollet, les chargent avec vigueur sur leur flanc. Ce premier
choc est soutenu et même repoussé. Aussitôt le brave Beaupuy commande une
seconde charge, et, s'élançant dans les rangs ennemis, abat à coups de sabre
tout ce qui se présente. Les Vendéens furieux ne pouvant atteindre les
hommes, s'attachent aux chevaux et roulent avec eux. Ici, l'intrépidité de
Beaupuy et des Mayençais, au centre l'opiniâtreté des grenadiers, triomphaient
de l'acharnement aveugle des royalistes. En vain d'Elbée, Bonchamp, Duhoux,
Desessart, d'un côté ; Stofflet, La Rochejacquelein, Royrand, de l'autre,
cherchent à ranimer leurs troupes découragées : quelques lâches avaient déjà
regardé en arrière, et parlé hautement de fuir vers la Loire. L'artillerie
filait à Saint-Florent par ordre de Talmont, non qu'il Mt un lâche, mais il
voulait déterminer le fatal passage, et presser une entreprise hasardeuse qui
devait entrainer sa perte en causant celle. de la Vendée. Bientôt des cris de
lâcheté étouffent la voix de quelques braves restés fidèles : Un sentiment de
trouble et de vertige s'empare des Vendéens découragés ; tout ce qui est
saisi d'effroi, tout ce qui craint la mort se débande et court vers Beaupréau
pour gagner la Loire. Les efforts héroïques de d'Elbée, de Bonchamp, de La
Rochejacquelein ne peuvent plus rien contre ce découragement universel ; ils
appellent en vain la cavalerie ; le plus grand nombre est en fuite. Ces trois
illustres chefs voulant se sauver par un prodige ou s'ensevelir glorieusement
sous les ruines de leur parti, parcourent les rangs ébranlés, éclaircis,
rallient environ deux cents cavaliers et mie poignée de fantassins. Tous ces
braves se grouppent et attendent, sans presque nul espoir de vaincre, le
signal de la charge. Guidés par ces mêmes chefs, ils partent au cri de tue
les républicains ! cri de rage qui devient le signal de nouveaux massacres.
Tous se précipitent sur les vainqueurs comme des animaux furieux et
déchaînés, laissant partout des traces de sang et de carnage. Le vaillant
Beaupuy emporté par sa bouillante valeur, se trouve bientôt entouré d'ennemis
; un cavalier vendéen l'attaque ; Beaupuy lutte en combat singulier, et
bientôt il le renverse. Les grenadiers mayençais chargent au milieu de la
cavalerie les soldats de Bonchamp et de d'Elbée : tout est confondu ; rangs,
drapeaux, chefs, soldats, amis et ennemis s'entrechoquent, se mêlent et ne se
reconnaissent que pour se fusiller à bout portant ou s'égorger à coups de
sabre et de baïonnettes. Beaupuy pare miraculeusement un grand nombre de
coups : trois chevaux sont tués sous lui ; entouré, pressé de tous côtés, de
nombreux escadrons arrivent et le dégagent. Bonchamp et d'Elbée cernés à leur
tour, voient la mort moissonner tout ce qui les entoure ; leurs meilleurs
officiers ne sont déjà plus, eux-mêmes sont atteints ; couverts tous deux de
blessures mortelles, ils combattent encore ; renversés enfin, leurs corps
seraient restés parmi les morts, si Piron n'eût bravé tous les périls pour
les retirer des mains de l'ennemi. Ce brave homme arrivait à l'instant même
sur le champ de bataille à la tête de l'avant-garde de la division de Lyrot
la Patouillère qui marchait à grand pas, mais trop tard, au secours de la
grande armée. Le généralissime épuisé par la perte de son sang, fut porté par
ses soldats à Beaupréau, puis à Noirmoutiers. Bonchamp blessé plus grièvement
encore, et arraché également du milieu du carnage, fut transporté à
Saint-Florent. Quelques soldats pleins d'admiration le suivaient en versant
des larmes de rage. Ceux qui ont échappé au fer des républicains, et croyant
d'ailleurs tout perdu, voient moins de danger à tenter le passage du fleuve
qu'à résister plus longtemps. Ces débris courent en désordre vers Beaupréau,
laissant 10 mille morts moissonnés en deux jours sur les hauteurs et dans les
champs de Mortagne et de Chollet. L'armée républicaine marchant dans le sang,
pénètre dans Chollet la torche à la main, au lieu de poursuivre les fuyards.
La ville fut incendiée, les manufactures au pillage ; les ballots de mouchoirs,
les chevaux, le bétail, rassemblés eu grand nombre dans la ville et aux
environs, tout fut partagé. Un bœuf, un cheval étaient donnés au plus vil
prix par les soldats qui ne s'occupaient qu'à grossir leur butin au lieu de
profiter de la victoire. Westermann,
arrivé de Chatillon après le combat, s'était mis à la poursuite des vaincus
en fuite vers la Loire. Un corps d'infanterie conduit par Haxo et Beaupuy le
suivait. Le
torrent des fuyards entraîna La Rochejacquelein jusqu'à Beaupréau. Devenu l'âme
de son parti, ce jeune guerrier, dont le courage indomptable s'alliait
toujours à la modestie la plus simple, se vit engagé sous ces funestes
auspices dans le hardi passage de la Loire. Sa première pensée fut de couvrir
et d'assurer sa retraite. Il laisse d'abord une forte arrière-garde à
Beaupréau, lui ordonne de se défendre avec vigueur, et de se porter ensuite
rapide-meut sur les bords du fleuve ; niais l'effroi glaçait tous les esprits
; peu de Vendéens auraient attendu l'ennemi, si la plupart succombant de
fatigue et d'accablement n'avaient cherché inutilement le repos. Ils
commençaient à se rassurer, lorsque l'infatigable Westermann, à la faveur des
ténèbres, et après avoir égorgé trois avant-postes, pénètre au pas de charge
dans Beaupréau même, renversant, taillant en pièces tout ce qui se présente
devant lui. Les royalistes qui peuvent échapper au carnage prennent la fuite,
après avoir tiré le canon d'alarme, abandonnant dix pièces d'artillerie,
trente mille rations de pain, un magasin à poudre, beaucoup d'eau de vie et
des prisonniers. C'en était fait des Vendéens, si les soldats de Westermann
avaient poussé de suite à Saint-Florent ; mais, épuisés par tant de marches
et de combats, ils éprouvèrent, de même qu'à Chollet, la nécessité du repos
qu'ils semblèrent ne trouver que dans les excès et le pillage. Les généraux
ne surent point profiter de cet instant décisif ; en poursuivant jusqu'aux
bords du fleuve l'ennemi saisi de terreur, on pouvait l'y précipiter sans
peine, car malgré les efforts et l'énergie de La Rochejacquelein, la retraite
des royalistes n'était plus qu'une fuite honteuse et désolante. L'aspect
de Bonchamp blessé à mort de plusieurs coups de fusil dans la poitrine, et
porté sur une civière, suspendit un moment la déroute. Bientôt les fuyards
plus occupés de sa fatale destinée que de leur propre danger, lui servent
d'escorte. Bonchamp arrive sur les bords de la Loire au moment mi les
Vendéens s'y rassemblaient en tumulte. Toute la population de la Haute-Vendée
s'était réfugiée à Saint-Florent ; les cris douloureux des enfants des
femmes, des vieillards et des mourants augmentaient encore la désolation et
le désordre. C'était à qui gagnerait le plutôt la rive opposée. Quelques-uns,
la rage dans le cœur, troublés par l'idée de ne pouvoir échapper aux
républicains, demandaient à grands cris l'égorgement de 5 mille prisonniers
renfermés dans l'église de Saint-Florent. « Vengeons-nous, s'écriaient ces
forcenés, vengeons-nous, il est temps. Voyez les flammes dévorer nos villes,
nos hameaux ! Nos barbares ennemis ne nous font point de quartier, usons de
représailles. Serions-nous assez imprudents pour laisser derrière nous 5
mille ennemis de plus ? Tuons-les ; massacrons les républicains. » Ce
cri devint général. Déjà les canons avançaient pour mitrailler les
prisonniers, lorsque le généreux Bonchamp, expirant d'une blessure mortelle,
frappé de ces cris de rage et de mort, ranime ses forces défaillantes,
appelle ses officiers et ses soldats plongés dans la douleur. Il sollicite et
obtient de leur dévouement la grâce de tant de malheureux : ils lui font le
serment de les sauver. Mais comment imposer à cette tourbe furieuse qui
voulait leur mort ? La voix mourante de Bonchamp ne peut se faire entendre ;
un roulement annonce une proclamation. Les plus mutins accourent, ils
écoutent : c'est un ordre donné par Bonchamp aux portes du tombeau ; il veut
qu'on respecte la vie des prisonniers ; il menace de la mort quiconque
oserait y attenter. Au nom de Bonchamp, le calme renaît ; le recueillement
succède à la fureur ; ou verse des larmes ; les canons déjà braqués sont
détournés ; de tous côtés on entend crier : grâce, grâce, sauvons les
prisonniers, Bonchamp le veut, Bonchamp l'ordonne... il est obéi. Telle
fut la dernière action de ce héros chrétien. Parmi ces prisonniers qui lui
doivent la vie, était un républicain digne de figurer à côté de Bonchamp.
Plein d'ardeur pour la république, Haudaudine, négociant de Nantes, avait
marché dès l'origine contre les insurgés du Bas-Poitou. Fait prisonnier à
Legé en secourant un de ses camarades, il est conduit à Montaigu en présence
d'un comité royal qui le charge de se rendre à Nantes pour proposer l'échange
des prisonniers républicains. Ce comité fait dépendre leur sort de son retour
dans la Vendée. Domet, président du district, partageait la mission
d'Haudaudine. Tous deux arrivent à Nantes, y sont mal accueillis. Les
patriotes rejettent avec dédain la proposition des royalistes ; ils
enjoignent aux deux prisonniers de rester, car, disent-ils, l'ou peut être
parjure aux brigands. Haudaudine n'écoute que sa conscience ; elle lui
rappelle son serment : nouveau Regulus, il veut se dévouer pour le salut des
prisonniers ; il rentre seul dans la Vendée, et se remet à la disposition de
ses ennemis, étonnés eux-mêmes de son rare dévouement. Ce fut après avoir
erré de prison en prison, qu'ayant été conduit à Saint-Florent, Haudaudine y
fut menacé de la mort, et ne dut la vie qu'à l'héroïsme de Bonchamp. Époque
féconde ! sujets inépuisables de méditation ! C'est au sein des guerres
civiles que les vertus les plus sublimes s'élèvent avec gloire du milieu des
crimes les plus atroces ! Plus malheureux peut-être, les jours moins orageux,
mais non moins corrompus, qui, dans leur honteuse uniformité, présentent trop
souvent les vertus sans énergie, et les triomphes du vice sans compensation ! Lescure
ni Bonchamp ne furent abandonnés aux républicains, qui ne les eussent point
respectés ; tous deux transportés sur les bords du fleuve, abordèrent sur la
rive opposée. Bonchamp n'y fut pas plutôt, qu'il expira au hameau de la
Meilleraye. Son âme noble et généreuse quitta la terre, emportant pour
consolation le salut de 5 mille victimes. Ses restes furent déposés dans
l'église de Varades vis à vis Saint-Florent, encore rempli de sa gloire. Le 19 octobre, l’avant-garde républicaine parut à la vue de cette ville, mais les bateaux voguaient depuis trois jours. Déjà l'arrière-garde vendéenne touchait au rivage opposé, lorsque l'ennemi entra dans Saint-Florent. Quelques coups de canon tirés sur l'armée royale réunie à Varades, signalèrent à la fois l'impuissance et l'arrivée des républicains. |