HISTOIRE DE LA GUERRE DE VENDÉE ET DES CHOUANS

TOME PREMIER

 

LIVRE HUITIÈME.

 

 

Défaite de l'armée de Luçon par d'Elbée et Royrand. — Levée en masse des républicains. — Attaque générale. — Défaites de Santerre à Coron, de Duhoux à Saint-Lambert, des Mayençais à Torfou, de Beysser a Montaigu, et de Mieskousky à Saint-Fulgent.

 

LE PLAN d'agression adopté dans le conseil de guerre tenu à Saumur n'était que le complément du code d'extermination voté par la Convention nationale. Alors commença une latte si terrible que tous les évènements antérieurs semblèrent n'en avoir été que le prélude. S'il survint quelques incidents, ce fut moins pour suspendre tant de calamités que pour démontrer aux hommes qu'il est des chances qui échappent à leurs calculs, et paraissent ne dépendre que du hasard.

Pendant que les patriotes préparaient une attaque générale, les Vendéens moins occupés de leurs travaux agricoles se livraient à des expéditions partielles : toutes ne furent pas sans succès.

Depuis l'échec de Luçon, Charette s'était emparé de Challans qui lui avait tant de fois résisté ; attaquant ensuite Saint-Gilles, un orage sépara sou armée et le força de se retirer. Il revint de Challans à Legé, son quartier-général, qu'une position avantageuse lui faisait toujours préférer. La troupe de Charette était assez bien organisée ; lui-même affectait une grande tenue militaire. Il avait alors pour décoration un panache blanc et une écharpe de même couleur, fleurdelisée en or, qui avait été brodée par madame de Larochefoucault. Charette attaqua ensuite Laroche-sur-Yon de concert avec Joly et Savin, ayant l'espoir de s'en emparer par surprise. Le 26 août, les trois colonnes royalistes donnèrent en même temps ; Joly par Lamotte-Achard Charette par le Poiré, Savin par les Essards ; mais le général Mieskousky, commandant la division des Sables-d'Olonne, culbuta les avant-gardes ennemies, et ne fit point de quartier. Après d'inutiles efforts, les trois chefs furent forcés de se retirer. Une belle femme âgée de trente ans, madame de Beauglie, se fit remarquer dans la division de Joly. Elle était à la tête d'une compagnie à sa solde. On la vit protéger la retraite et combattre en véritable amazone. Charette revint à Lege et fut ensuite attaquer sans succès Challans. C'était un préjugé parmi les paysans de la Basse-Vendée de croire un poste imprenable quand ils y avaient échoué. Charette alors se porta sur Machecoult et faillit tomber au pouvoir des républicains. Poursuivi par la cavalerie de Beys-sec, il fut sur le point d'être atteint au passage d'un ruisseau entre Pauli et Machecoult. Le port Saint-Père, occupé par la Cathelinière, étant menacé, Charette-y marcha renforcé par la division de Pajot. Après avoir repoussé les patriotes, il revint à Machecoult, et quelques jours après se porta sur Saint-Gervais. Joly par une attaque tardive fit manquer cette expédition. Charette revint alors à Machecoult, et reporta son quartier-général à Legé.

Cependant l'armée de Mayence approchait de Nantes. La nouvelle de sa marche rassurait autant les patriotes qu'elle inquiétait les royalistes qui s'agitèrent dans la Basse-Vendée. Ils firent un appel aux braves dont les nouveaux rassemblements se formèrent à Villeneuve et à Torfou. Le camp de Villeneuve qui s'étendait jusqu'aux Sorinières était commandé par de Goulène, celui de Torfou par la Secherie et Massip. Il parait que ces deux divisions se réunirent à celle de Lyrot, dont il fut peu question depuis cette époque. Ces trois chefs firent une tentative contre le camp qui couvrait-Nantes, dans la vue de prévenir la jonction de l'armée de Mayence. Le 31 août, les royalistes s'y présentèrent à portée du canon. Le général Emanuel Grouchy les repoussa la baïonnette dans les reins, et leur enleva à la tête d'un corps de grenadiers leurs retranchements ainsi que les villages voisins qu'ils avaient crénelés. Revenus en force le 5 septembre, les Vendéens attaquèrent sur trois points à la fois ; 4 mille républicains les mirent en fuite, et leur tuèrent cinq à six cents hommes ; une pièce de canon resta an pouvoir des vainqueurs. Le même jour la tête de la colonne de Mayence parut à Nantes ; le corps de bataille entra dans la ville et se forma sur deux lignes dans la prairie de Mauves. La précision de ses manœuvres et sa discipline étonnèrent les Nantais qui accoururent en foule, et passèrent dans les rangs de ces braves aux cris répétés de vive la république ! L'administration départementale présenta une couronne murale aux généraux et à chaque drapeau de la division. Le commandant en chef, Aubert-Dubayet, prononça un discours martial et patriotique. A l'instant même, les Vendéens revenus à la vue du camp le saluèrent par une fusillade. Les balles sifflèrent autour des généraux et des commissaires conventionnels. Merlin de Thionville, emporté par la fougue de son caractère, s'avance vers les royalistes, leur parle d'une voix ferme et tellement assurée, qu'elle s'élève au-dessus du bruit des armes. Le silence succède à la curiosité, et bientôt les Vendéens se disent les uns aux autres que l'année de Mayence est arrivée. Étonnés, interdits, leurs chefs ordonnèrent la retraite.

Dans le Haut-Poitou, d'Elbée, pour réparer l'échec de Luçon, se concerte avec Royrand. Il juge qu'il est temps d'assurer ses derrières avant de laisser commencer l’attaque générale qui se préparait vers la Loire. En conséquence, il ordonne à Royrand de rassembler toutes ses forces, et de dégager Chantonay où s'était imprudemment avancé le général Tuncq avec sa division. Le 5 septembre, Royrand, à la tête de quinze mille hommes, suivis de vingt pièces de canon, investit le camp républicain en avant de Chantonay. Lecomte, chef du bataillon le Vengeur, fait récemment général de brigade, en avait pris le commandement en l'absence du général Tuncq. Les forces qu'il Commandait s'élevaient à 6 mille hommes environ. Royrand divisant les siennes, se chargea' de l'attaque de front, tandis qu'un de ses officiers devait tourner le camp. A quatre heures du soir, les royalistes commencèrent leur feu ; les républicains ripostèrent, mais leur cavalerie refusa de donner. Une vive fusillade succéda aux coups de canon, et se prolongea fort avant dans la nuit. Le général Lecomte résistait avec courage ; mais ayant été blessé mortellement, le désordre se mit dans le camp républicain, et tous les corps se débandèrent, à l'exception de deux bataillons qui protégèrent la retraite. Accablés bientôt par le nombre, ils furent également contraints de se disperser, et de fuir à la faveur des ténèbres du côté de Mareuil. De cette brave armée de Luçon, il ne resta plus que quinze cents combattants. Vivres, munitions, artillerie, charriots, chevaux, effets de campement, tout tomba au pouvoir des royalistes. Ce succès, il est vrai, leur coûta près de 3 mille hommes qui, voulant forcer les retranchements, périrent presque tous par l'arme blanche. Le brave et malheureux Lecomte, couvert de blessures, échappé miraculeusement des mains de l'ennemi, éleva de son lit de mort des plaintes douloureuses contre son prédécesseur. « Le général Tuncq, dit-il, a quitté son poste l'avant-veille de la bataille sans avoir jamais fait aucune disposition pour assurer les derrières de sa troupe avancée à huit lieues de Luçon sans postes intermédiaires ; il est parti sans laisser aucun renseignement, et emportant avec lui les cartes, le livre d'ordre, les notes secrètes. Le défaut de pièces me met hors d'état de préciser nos pertes. »

Les commissaires ordonnèrent l'arrestation de Tuncq, mais ce général allégua qu'il avait quitté l'armée, parce qu'ayant été destitué, il ne pouvait plus la commander.

Le général Chalbos, craignant que les Vendéens ne profitassent de cette victoire pour marcher sur Fontenay qu'on ne pouvait défendre, fit sa retraite sur Niort ; mais bientôt rassure par la marche rétrograde de l'ennemi qui gagna le centre de la Vendée, il reprit sa première position.

D'Elbée convoqua un conseil de guerre à Chatillon pour délibérer sur les moyens de résister à l'attaque générale que méditaient les républicains. Alors tout semblait conspirer eu faveur des royalistes. La prise d'un courrier qui portait à Nantes le plan arrêté à Saumur, leur fit connaître tous les desseins de l'ennemi. Avec une pièce aussi importante, connaissant d'ailleurs le nombre et la qualité des troupes qui leur étaient opposées, placés au centre du cercle dans un terrain presque inaccessible aux agressions, et pouvant y rassembler cent mille combattants pour se porter à propos sur les points menacés, il était facile aux chefs royalistes de faire avorter les projets des républicains. Ceux-ci, au contraire, n'ayant que des divisions en quelque sorte isolées, et ne pouvant se secourir mutuellement, se trouvaient exposés au choc des masses vendéennes.

Cet aperçu saisi par Bonchamp et clairement développé dans le conseil, servit de base au plan qu'il proposa. Il consistait à se placer au centre des mouvements de l'ennemi pour le laisser s'engager dans le Bocage, et à prendre l'offensive contre chacune de ses divisions séparément, avec des forces supérieures. On eût ensuite profité de sa défaite pour effectuer en grand le passage hardi de la Loire. « Quel heureux hasard, dit Bonchamp, nous a fait connaitre les plans de l'ennemi ? J'y vois la main de Dieu qui veut sauver la Vendée ! Ceci nous impose de nouveaux efforts et de plus grands sacrifices. Nos ennemis connaissent enfin le secret de la victoire, puisqu'ils veulent former des masses pour nous accabler. Nous saurons repousser cette armée de Mayence qu'on dit être formidable ; mais n'est-il pas à craindre qu'elle ne revienne à la charge plus terrible encore ? Comment nous garantir de l'acharnement d'ennemis implacables qui se recrutent sans cesse malgré leurs défaites ? Au contraire, chacune de nos victoires s'achète par la vie de quelques braves que nous ne pouvons remplacer. Hâtons-nous, par une expédition hardie, de déconcerter les projets des républicains. La Bretagne nous appelle ; les Anglais nous offrent des secours : marchons, agrandissons nos destinées ! Ne nous berçons pas plus longtemps du rétablissement de la monarchie par les puissances étrangères : c'est à nous que doit en appartenir la gloire. La position des coalisés ne nous est pas plus connue que celle de notre ennemi commun. Atteindrons-nous jamais le but de nos généreux efforts sans sortir de ces forêts, de ces ravins impénétrables qui nous séparent du reste des hommes ? Franchissons le fleuve, et que la France étonnée nous voie parcourir la Bretagne en vainqueurs ; l'armée s'y grossira de tout ce qui aime encore son Dieu et son roi. Bientôt maîtres d'un port sur l'Océan, nous donnerons la main à nos alliés, à nos princes, et nous acquerrons enfin cette consistance politique, sans laquelle nous ne pouvons remplir l'espoir de l'Europe. Surtout craignons d'attendre pour passer la Loire que la fortune vienne à changer ; alors il ne serait plus temps. »

De son côté, d'Elbée opposa les raisons suivantes : « J'adopte volontiers la première partie de ce plan ; mais j'écarte la proposition du passage de la Loire qui ne présente qu'un avenir incertain. Nos guerriers renonceront-ils jamais au sol qui les a vus naître ? Serait-il prudent de se laisser entraîner par des promesses vagues que nous font des amis douteux ? Quelle est notre position ? La Loire garantit nos frontières septentrionales ; nos forces se partagent en trois armées ; l'une vers l'ouest se défend de Nantes et des Sables-d'Olonne, ses mouvements sont distincts et séparés ; la seconde au sud fait face à Luçon et à Fontenay ; enfin, la troisième, la plus forte, celle qui a le plus d'ennemis à combattre, observe à l'est et au nord Saumur, Angers et les environs. Que devons nous faire ? asseoir habilement ces trois armées qui sont sur un terrain difficile mais favorable pour la défense ; les réunir suivant les circonstances, ou les subdiviser à volonté. Depuis six mois, nous nous signalons tous les jours ; les armées que nous avons eu à combattre ont été défaites. L'intérieur de la Vendée ressemble aux îles de l'Océan qui demeurent florissantes et tranquilles au milieu des vagues irritées qui les menacent de toutes parts. Prenons garde, par des vues trop ambitieuses, de dépasser le but au-delà duquel serait notre ruine. Une ambition raisonnable ne nous conseille pas d'envahir, mais seulement de nous défendre. Songeons moins à la destruction de la république qu'à l'affermissement de la royauté parmi nous. C'est par des victoires qu'il faut l'obtenir, et bientôt nous saurons marquer le poste où tout bon Français doit se rendre. Formons d'abord autour de nos champs et de nos familles une enceinte impénétrable, en présentant à l'ennemi un front menaçant et terrible ; que nos femmes, nos enfants, nos vieillards puissent encore jouir du charme de la paix, des douceurs du repos. »

Cet avis prévalut, et chaque chef ne pensa plus qu'à combattre. D'Elbée conserva la direction des forces de l'Anjou et du Haut-Poitou. Quant à celles du centre sous Royrand, elles devaient se replier devant les divisions de Luçon et de Fontenay jusqu'aux Herbiers, pour reprendre ensuite l'offensive selon les circonstances.

Comme de tous les chefs de la Basse-Vendée Charette était celui qui avait acquis le plus de réputation et d'influence, on lui abandonna la direction des divisions du Bas-Poitou, pour s'opposer, d'après le plan général, aux progrès des Mayençais, troupe redoutable contre laquelle Bonchamp devait aussi se réunir pour frapper (les coups décisifs.

Ces dispositions supposaient une sage distribution des divisions vendéennes, et une parfaite harmonie parmi les chefs.

Ainsi la Vendée allait opposer trois armées principales aux huit divisions républicaines qui, distribuées sur autant de rayons du cercle, devaient, en se rapprochant des points centraux, se lier et se soutenir pour envelopper et détruire la Vendée.

Cependant les commissaires de la Convention, voulant faire précéder l'attaque générale par ce qu'on appelait alors une grande mesure, et opposer à la masse des insurgés une masse plus grande encore, arrêtèrent qu'an tocsin général sonnerait le 12 septembre dans tous les districts environnant la Vendée ; que tous les hommes depuis dix-huit jusqu'à cinquante ans prendraient les armes, et se rendraient chacun avec des vivres pour quatre jours auprès des divisions qui leurs seraient assignées, sous peine d'être emprisonnés comme suspects. On eut ainsi beaucoup d'hommes et peu de soldats. Jamais depuis les croisades on n'avait vu se réunir spontanément autant d'hommes qu'il y en eut tout à coup pour marcher contre la Vendée. Près de 300 mille individus en état de porter les armes formèrent cet énorme contingent. L'expérience ne tarda pas à prouver le danger de ces masses irrégulières qui jetaient partout la confusion et le désordre : elles formèrent d'abord un cordon autour du pays insurgé ; mais l'inaction et le mouvement leur furent également funestes.

L'armée de Mayence réunie à celle des côtes de Brest, pénétra dans la Basse--Vendée en deux grandes divisions ; l'armée des côtes de la Rochelle se dirigea vers les points du Bocage, assignés respectivement aux six divisions qui la composaient. Soixante-dix mille hommes de troupes régulières, formant la totalité de ces forces, précédaient ainsi la levée en masse.

Déjà d'Elbée avait fait la proclamation suivante à tous les habitants de la Vendée en état de porter les armes[1] : « Accourez, pieux Vendéens, levez-vous, courageux royalistes, pour défendre ce que vous avez de plus cher ; votre Dieu, voire roi vous appellent : venez couronner vos efforts. Les puissances généreuses qui combattent pour le rétablissement de l'ordre, sont aux portes de Paris ; et sous peu de jours notre bon roi remontera sur le trône. C'est en son nom que je promets aux braves défenseurs de l'autel et de la monarchie, des secours, des récompenses et l'exemption du paiement des contributions. S'il était parmi vous des lâches qui se refusassent à marcher pour une cause aussi sainte, je déclare qu'ils seraient non seulement assujettis au paiement rigoureux de leurs impositions, mais qu'ils seraient aussi regardés comme complices de la Convention nationale et punis comme tels. »

Bientôt le tocsin sonna une seconde fois dans toutes les paroisses de la Vendée. L'impatience et la précipitation de Lescure, de d'Autichamp et de Talmont faillirent déranger les combinaisons de d'Elbée et de Bonchamp. Lescure qui n'avait cessé avec sa division de harceler celle du général Rey, posté à Airvaulx, instruit que la levée en masse du district se rassemblait à Thouars, conçut le dessein de la dissiper. A la tête de 2 mille hommes, il marcha sur Airvaulx pour inquiéter les républicains ; revenant ensuite tout à coup sur Thouars, il se trouva peu avant la nuit à deux lieues de cette ville. Lescure l'eût emportée, si les Vendéens moins attachés à leurs préjugés eussent profité des ombres de la nuit ; mais n'ayant pu vaincre leur répugnance pour les attaques nocturnes, il ne s'avança que vers le point du jour sur le pont de Vrille, s'en empara ; et pénétrant dans le faubourg, il dispersa la levée en masse qui couvrit la plaine (le ses fuyards. Il allait se rendre maître de la ville, lorsque le général Ney parut tout à coup avec sa division. A cet aspect inattendu, Lescure rassemble à la hâte ses soldats acharnés à la poursuite des fuyards ; il présente mi front menaçant, et opère sous le feu des républicains étonnés la première retraite régulière des Vendéens. Ce fut à cette affaire que mourut, les armes à la main, une paysanne de Courlay, nommée Jeanne. Depuis le commencement de la guerre, elle n'avait cessé de combattre avec le plus grand courage. Elle donna lieu, avant et après sa mort, à des bruits populaires. C'était, selon les républicains, la sœur de Lescure ; elle seule avait soulevé les districts de Thouars et de Chatillon. Selon les Vendéens, c'était une femme miraculeuse, la Jeanne-d'Arc de la Vendée.

Le même jour, ni septembre, Talmont et d'Autichamp attaquèrent la division de Santerre contre l'avis de d'Elbée. Posté à Doué, le général républicain, averti de l'approche des royalistes, mit au point du jour sa troupe en bataille hors de la ville. L'ennemi parut sur une seule colonne, et se déploya par la route d'An, Bers sous le feu du canon. A l'incertitude de ses mouvements, les généraux de la république jugèrent que d'Elbée ni Bonchamp ne dirigeaient l'attaque. Cependant l'aile gauche des patriotes plia d'abord sous un feu terrible de mousqueterie ; mais leur cavalerie ayant pris les royalistes en Banc, tandis que l'aile droite ; commandée par le général Turreau, chargeait et rompait leur aile gauche, ils furent mis en déroute et poursuivis avec perte. Santerre ne dut le succès de cette journée qu'aux sages dispositions du général Dambarrère, de l'arme du génie, qui indiqua la position et forma la ligue.

Ne connaissant point la véritable situation de l'armée de Mayence dans la Basse-Vendée et croyant que les royalistes ne se jetaient sur lui que par suite des progrès de cette armée, encouragé d'ailleurs autant par les succès qu'il venait d'obtenir que par les conseils de quelques généraux en opposition au plan de Saumur, le général Rossignol ordonna aux divisions des généraux Santerre et Duhoux d'aller en avant pour se diriger sur Chollet. Il expédia en même temps aux colonnes de Luçon et de Fontenay l'ordre aussi extraordinaire qu'inconcevable de reprendre leur première position. Le général Chalbos obéit et rétrograda. L'alarme et la consternation se répandirent dans son armée ; on y cria à la trahison, et la levée en niasse déserta. Il est vrai que Rossignol désavoua et révoqua sur le champ cet ordre qualifié par lui, de malentendu ; mais le parti de Nantes crut apercevoir dans l'état-major de Saumur l'intention de transgresser le plan de campagne, au risque de retomber dans le malheureux système des attaques séparées.

Le général Santerre parut le 17 à Vihiers sur deux colonnes ; chacune d'elles vit replier l'ennemi, l'une à Gomord, l'autre à Vihiers. Les républicains bivouaquèrent dans la nuit en avant de la ville, près le château du Coudray-Montbault, ayant leurs avant-postes à une demi-lieue de Coron. C'est là que l'avant-garde prit position, le 18 au matin pour attaquer le village.

D'Elbée qui s'était mis à la tête de l'armée catholique, forte de 20 mille hommes, avait reçu la veille à Chollet un renfort de 4 mille combattants. Il fit occuper Coron par son avant-garde, avec ordre de se replier à la vue des républicains pour les attirer et leur faire abandonner les hauteurs. Santerre donna dans le piège ; il ordonna au général Turreau, qui commandait son avant-garde, d'entrer dans Coron. Son corps d'armée se mit aussitôt en bataille sur la hauteur de la grille à une demi-lieue du village, tandis que les forces vendéennes se déployaient à l'opposite sur les hauteurs du bois de la Roche, ayant Coron et la route de Vezin en face. Les tirailleurs républicains s'éparpillèrent, et fouillèrent ce village. D'Elbée forma aussitôt le croissant, et balança avec trois pièces de 8, placées au centre, l'effet de l'artillerie des patriotes mise en batterie sur la grande route. Alors Santerre fit avancer de nouvelles troupes et quelques pièces d'artillerie légère pour soutenir ses tirailleurs ; mais cette disposition fut si mal exécutée qu'on y traîna tout le parc d'artillerie. Le village enfoncé entre les deux hauteurs en fut engorgé, et le mouvement des troupes ralenti. On voulut dégager le terrain et retirer les canons ; les volontaires aux prises avec les royalistes, ne se voyant point soutenus se replièrent. Ce mouvement rompit la ligne, et le désordre se manifestant de toutes parts, devint le signal d'une déroute générale. Chacun chercha son salut dans la fuite, les Vendéens fondirent sur les fuyards ; la levée en masse encore plus frappée de terreur, fut aussi la plus maltraitée. Tous ceux qui périrent ne tombèrent pas sous le fer, un grand nombre succomba de frayeur et de fatigue ; le champ de bataille en fut couvert. L'épouvante fut telle parmi les républicains, Glue plusieurs se serrant de près eux-mêmes, et se croyant vivement poursuivis, s'entre-tuèrent. Tout fuyait, lorsque sur les hauteurs de Concourson, en avant de Doué, deux bataillons se mirent sous les armes, et arrêtèrent les débris de l'armée qui couraient à Saumur. Les généraux vaincus prirent la position de Doué. D'Elbée s'empara de la plus grande partie de l'artillerie de Santerre, de beaucoup de fusils, et d'une prodigieuse quantité de piques, dont la levée en masse jalonnait la route en fuyant. Telle fut la fameuse défaite de Coron, plus connue sous le nom de déroute de Santerre.

Sans perdre un moment, d'Elbée fit marcher 7 mille Vendéens d'élite pour attaquer la division d'Angers, sous les ordres du général Duhoux, posté à quelques lieues de Coron ; ce général avait aussi donné dans le piège. Il crut avoir fait fuir les royalistes au pont Barré, parce qu'un de leur détachement feignit de se replier en désordre. Les Vendéens trouvèrent l'ennemi dans la position de Beaulieu. La nouvelle de la défaite de Coron commençait à s'y répandre ; le général Duhoux disposa sa troupe en tirailleurs sur trois colonnes ; l'une sous Beaulieu, l'autre sous le pont Barré, la troisième dans un enfoncement coupé par des chemins vicinaux. D'abord les deux ailes des Vendéens plièrent, soit que ce mouvement fût simulé, soit que le premier feu des patriotes leur en eût imposé réellement ; mais le centre, que dirigeait le chevalier Duhoux en personne, courut sur les républicains qui, se voyant à demi-portée de l'ennemi, se dispersèrent sans combattre. Quelques bataillons, tels que ceux de Jemmapes et d'Angers, tinrent et furent hachés. Les bagages engagés dans des chemins affreux, tombèrent avec l'artillerie au pouvoir des Vendéens, auxquels il ne fallut ainsi que deux jours pour gagner deux batailles. La levée en masse abandonna ses piques et ses sabots ; cinq cents pères de famille tant d'Angers que des environs, ayant été tournés au pont Barré, y furent presque tous égorgés en fuyant. Dans son bulletin officiel, le conseil supérieur des royalistes éleva la perte des républicains à 4 mille tués, blessés ou faits prisonniers. Le général Duhoux fut traduit au tribunal révolutionnaire. On l'accusa non seulement de négligence et d'impéritie, mais d'intelligences criminelles avec le chevalier Duhoux, son neveu, qui venait de le battre. On prétendit que ce lieutenant de d'Elbée avait dit aux Vendéens à Chalonnes : « Prenez patience, mon oncle ne nous laissera pas manquer de munitions. »

On s'indigna également contre le général Santerre qui avait rangé processionnellement son armée à Coron, et qui avait placé dans l'enfoncement son artillerie, avec laquelle les Vendéens le foudroyèrent après s'en être emparés ; enfin on lui reprocha aussi d'avoir négligé les hauteurs du bois de la Roche, malgré l'avis des guides.

Cependant de si graves reproches n'eurent aucune suite : Santerre parvint à se faire oublier. On a exagéré ses forces dans la malheureuse journée de Coron ; son armée ne s'élevait guère qu'à 8 mille hommes de troupes régulières, auxquelles s'étaient joints ro à I2 mille hommes de la levée en niasse. Le général Duhoux avait encore moins de troupes réglées ; mais il est sûr que tous deux au lieu de combattre, évitèrent l'ennemi par une fuite honteuse.

Il n'en était pas de même de la brave armée de Mayence. Dès le 9 septembre, elle avait pénétré dans la Basse-Vendée, sa division de droite sous Beysser, le corps de bataille sous Canclaux et Dubayet.

Les chefs du pays de Retz ne voulurent point se replier sans disputer le terrain. Malgré les dispositions défensives de la Cathelinière et de Pajot, les Mayençais emportèrent successivement le port Saint-Père, Pornic et Bourgneuf. Le port Saint-Père était la clef de tout le pays. Les républicains y lancèrent les premiers obus ; ce qui jeta l'effroi parmi les paysans. On vit à l'attaque de ce poste le lieutenant-colonel Targe, de la légion des Francs, se précipiter à la nage, le sabre entre ses dents, gagner la rive opposée, suivi d'une poignée de braves, et s'emparer, sous le feu de l'ennemi, de quelques bateaux gardés par les Vendéens.

La Cathelinière, dans sa fuite, courut à Saint-Philibert, où commandait Couëtus. Ce dernier ne savait s'il devait attendre ou fuir l'ennemi. Charette parut, et détermina les deux divisions royalistes à se replier sur Legé.

Le rassemblement des Sorinières opposé à la colonne de gauche, commandée par le général Grouchy, plia également, non sans avoir tenté de se défendre dans Vertou, qui fut pris et brûlé par les républicains, taudis que la garde nationale nantaise faisait une diversion sur Saint-Sébastien et Basse-Goulène.

Joly, surpris dans son camp de la Chapelle-Palluau par un détachement de l'armée des Sables-d'Olonne, perdit son artillerie, et se replia sur la division de Savin. Ce dernier s'était jeté sur Legé, ce qui força Joly de regagner le Grand-Luc. Le poste de Lee ayant été renforcé par ces divisions, tous les chefs réunis déférèrent provisoirement à Charette le commandement en chef. Les colonnes républicaines marchaient la torche et le glaive à la main, et certes, si k décret d'extermination ne fut pas entièrement exécuté, c'est qu'il fallut employer à combattre une partie du temps destiné à détruire. Toute la population du Bas-Poitou reculait effrayée devant les Mayençais qu'avait devancés leur réputation d'invincibles. L'incendie indiquait leur approche. Les Vendéens livrés à l'incertitude et aux alarmes, sortent de Lege pour y rentrer encore. Enfin, Couëtus veut reconnaître l'ennemi avec l'avant-garde, et tombe dans une embuscade au bois du Coin ; Charette le sauve et protège sa rentrée dans Legé. De tous les points de la Basse-Vendée, on venait y chercher un refuge. Les femmes traînaient sur des charrettes leurs enfants, les vieillards, et tout ce qui pouvait être sauvé des mains d'une soldatesque furieuse et avide : on ne voyait partout que l'image de la désolation. Charette, hors d'état de se défendre au milieu d'un peuple épouvanté, annonça lui-même l'ennemi, et donna ainsi le signal de la fuite tout se dispersa sur la route de Montai u. Au milieu de ce désordre extrême, Charette, tous jours calme, protégeait la retraite par sa droite, faisant filer son artillerie sur la Roche-Servière. Dans sa route, il entraîne Joly à la défense commune. Tandis que les Mayençais entraient à Legé au pas de charge, croyant y trouver les Vendéens, ceux-ci se refugiaient à Montaigu. Les chariots, les équipages, les fuyards, les femmes désolées couvraient les routes ; il ne restait d'autre-espoir que dans l’armée d'Anjou. Charette expédia des courriers à Bonchamp pour presser sa marche : le rendez-vous était à Montaigu ; mais, dès le lendemain, Charette y fut attaqué par la colonne de droite, sous les ordres de Beysser. D'abord les républicains parurent sur les hauteurs qui dominent la ville ; Charette, quoiqu'abandonné d'une partie des siens, et malgré des torrents de pluie, marcha au-devant de l'ennemi jusqu'au bourg de Saint-George, où s'engagea une vive fusillade. Beysser arrivait par deux routes différentes, celles de la Rochelle et de Nantes. A la Vile de sa seconde colonne, l'effroi fut tel parmi les Vendéens, qu'ils s'écrasaient entr'eux, en fuyant dans les rues de Montaigu ; d'autres se laissaient égorger par l'ennemi qui arrivait au pas de charge, la baïonnette en avant. Une vingtaine de hussards républicains sa jettent dans le gros des royalistes et sabrent de droite et de gauche avant de trouver la mort. L'un d'eux, Louis-Guillaume, dit Téméraire, noir Africain, est renversé avec son cheval qu'il croit mort ; il veut se brûler la cervelle pour ne pas tomber vivant au pouvoir de l'ennemi. Un Vendéen se présente, Téméraire l'ajuste et le tue d'un coup de pistolet. L'explosion alors fait relever le cheval, Téméraire saute dessus, traverse un peloton de Vendéens qu'il écarte à coups de sabre, et regagne son corps sans une blessure.

Beysser força Montaigu sans poursuivre les royalistes, dont six cents venaient de perdre la vie dans la mêlée ; le reste fuyait dans le plus grand désordre vers Clisson et Tiffauges, par des chemins que les pluies rendaient impraticables.

En huit jours, les Mayençais avaient fait pins que toutes les armées de l'Ouest en six mois. Le port Saint-Père, Pornic, Bourgneuf, Machecoult, Villeneuve, Aigrefeuille, Legé, Palluau, Montaigu et Clisson avaient été enlevés successivement et de vive force à des corps royalistes de 10, 15 et 20 mille hommes. Selon Philippeaux qui a laissé des mémoires sur cette guerre, les Mayençais trouvèrent dans le pays de Retz des coulevrines aux armes d'Angle-. terre, de la poudre anglaise et des signaux anglais.

Maîtres de Montaigu et de Clisson, les républicains se dirigèrent sur Mortagne. Charette avait eu le temps de réunir toutes ses forces à Tiffauges. Le ciel s'éclaircit, on distribua des vivres en abondance, et l'armée se trouva réparée. Charette la rangea en bataille, et chaque division défila en bon ordre. La vue d'un si grand nombre de combattants inspira plus de courage, et chacun se promit de faire son devoir. Quelques officiers de l'armée d'Anjou arrivèrent pour annoncer des renforts : tous les chefs tinrent conseil. Le passage de la Loire ayant été dès-lors proposé à Charette, il s'y refusa constamment, et résolut d'attendre la principale colonne mayençaise qui, maîtresse de Clisson, suivait la ligne de la Sèvre pour envahir Tiffauges et Mortagne. Le lendemain, l'incendie du bourg de Torfou signala de nouveau la marche de l'ennemi.

C'était le 19 septembre, jour même ou d'Elbée dans l'Anjou détruisait une division républicaine à Beaulieu. Toutes les forces de la Basse-Vendée réunies étaient en bataille sur les bords de la grande route, entre Tiffauges et Torfou. Charette donna le signal du combat et fondit le premier sur l'avant-garde mayençaise. Kleber qui la commandait eut de la peine à réunir ses soldats qui pillaient et brûlaient Torfou. Cependant vingt-cinq mille Vendéens l'avaient déjà investi, et de part et d'autre on commençait à escarmoucher. Kleber étant parvenu à rallier les siens, et ayant reçu des renforts, les deux armées en vinrent à une bataille rangée. A la première charge, la cavalerie de Charette plia ; ce qui jeta le désordre dans les rangs vendéens ; des lâches prirent aussitôt la fuite. L'année, en péril, n'avait plus que le refuge incertain de Mortagne, lorsque Bonchamp parut à la tête de 5 mille hommes. Ses soldats tombent sur les fuyards du Bas-Poitou, en leur reprochant leur lâcheté ; se voyant soutenus, tous retournent à l'ennemi, en jetant des cris affreux. Les Mayençais, à leur tour, s'étonnèrent de l'arrivée de cette nouvelle troupe et (le sou attitude imposante. Les soldats de Bonchamp contrastaient par leurs habits gris-bleus avec ceux de Charette couverts d'habits bruns. On s'observa mutuellement pendant quelques minutes. Enfin, Bonchamp et Charette ordonnèrent une charge générale de cavalerie : elle fut exécutée avec précision. Kleber qui en reçut le choc à la tête de sa colonne, tomba percé de coups ; ses grenadiers le sauvèrent de la mêlée. Déjà l'infanterie royaliste avait pris part au combat, devenu général. Dans ce moment décisif, on vit Bonchamp mettre pied à terre, saisir une carabine, et charger à la tête des compagnies bretonnes qui enfoncèrent l'ennemi. Un bataillon de la Nièvre qui gardait les cramons des Mayençais plia sous le nombre ; les canons furent emportés. Bientôt le bruit de cet avantage retentit d'un bout à l'autre de l'armée vendéenne, qui se précipite en masse sur l'ennemi sans avoir besoin d'être excitée par les chefs ; mais les braves Mayençais se faisaient hacher plutôt que de rendre les armes. Entourés de tous côtés, entamés sur quelques points, ils reculèrent, mais avec ordre, et par intervalle présentaient un front menaçant. Trois fois la cavalerie vendéenne s'élança dans leurs rangs, et trois fois un feu meurtrier et-les baïonnettes croisées l'en écartèrent. Malgré le poids de leur butin, malgré des chemins étroits et difficiles, et le nombre toujours croissant de leurs ennemis, les Mayençais reculaient trente pas et se remettaient en bataille, en faisant des feux de file semblables au roulement des tambours. Cependant des colonnes de royalistes les suivaient de droite et de gauche le long des fossés, et tiraient à vingt pas dans leurs pelotons. A la vue de l'artillerie conquise, d'une partie du butin abandonné sur le champ de bataille ; à l'aspect de tant d'ennemis morts et couvrant la terre, le délire s'empara des Vendéens, et tous voulurent participer à la victoire. Lus Mayençais, poursuivis avec acharnement dans l'espace de 3 lieues jusqu'à Getigné, eussent infailliblement succombé, sans le dévouement de Schouardin, lieutenant-colonel des chasseurs de Saône et Loire. Arrive ; à un pont sur la Sèvre près Clisson, il y pose deux pièces de 8, demeure immobile à ce poste périlleux, y meurt avec cent de ses camarades, et assure ainsi la retraite. Pendant que Schouardin servait de rempart aux Mayençais, deux brigades amenées de Clisson par les généraux Dubayet et Vimeux, prirent un instant l'offensive, mais sans pouvoir recouvrer les canons et les obusiers enlevés au commencement de l'action. Charette et Bonchamp déployèrent toutes leurs forces, et conservèrent le champ de bataille.

Tel fut le célèbre combat de Torfou. Deux mille républicains et près de mille royalistes y perdirent la vie. Le nombre des blessés surpassa celui des morts. Les Vendéens ne firent point de prisonniers. Le conventionnel Merlin-de-Thionville courut lui-même de grands dangers : Rifle, son aide-de-camp, patriote de Mayence, tomba percé de coups à ses côtés. Dans cette guerre, les deux partis ne s'étaient point encore battus avec autant de constance et d'acharnement. Le sang coula pendant sept heures. Les femmes des environs de Tiffauges, redoutant les torches des républicains, rallièrent elles-mêmes les Vendéens fuyards et les ramenèrent au combat. Après la victoire, Charette et Bonchamp firent halte à Tiffauges, et se décidèrent à attaquer sur-le-champ la colonne républicaine, entrée le 16-septembre à. Montaigu, sous les ordres de Beysser, afin d'empêcher sa jonction à celle des Sables-d'Olonne, arrivée à Saint-Fulgent.

Le 21 septembre, les deux chefs Vendéens-se mirent en marche, séparément, pour attaquer Montaigu par les routes de Clisson et du Boussay. Le général Beysser venait, de recevoir l'ordre de quitter sa position, pour renforcer les Mayençais défaits à Torfou. Sa troupe allait se rassembler, lorsqu'on vint lui annoncer la marche de l'ennemi. Beysser croyant que c'était un renfort, continua tranquillement le repas qu'il venait de commencer. Tout-à-coup, on entend crier aux armes ! Le commissaire Cavagnac revenait des postes avarices où il avait essuyé la plus vive attaque. Beysser se hâta de ranger, quelques bataillons sous les murs de la ville, mais il n'était plus temps : tous les postes étaient forcés. Les cris de victoire poussés par les royalistes, leurs canons déjà braqués sur Montaigu augmentaient le désordre qui, en un montent, devint général. En vain Beysser voulut-il opposer son artillerie ; alors commença la manœuvre accoutumée des "Vendéens : ils évitent le feu en se jetant à terre, et se relèvent précipitamment pour fondre sur les canons. C'eût été le moment de les charger, mais les chemins étaient impraticables ; d'ailleurs la cavalerie refusa de donner et se débanda. Bonchamp eut bientôt gagné la grande route et dirigé son feu contre les patriotes. Beysser troublé, se mit à l'arrière-garde, et y eut une côte enfoncée par un biscaïen. Sur le point d'être tournés, les volontaires se crurent trahis, et la retraite alors ne fut plus qu'une déroute. Reproches, menaces, prières, tout fut inutilement employé pour arrêter les fuyards. Le conventionnel Cavagnac y épuisa infructueusement tous ses efforts : il faillit périr dans la mêlée. Le carnage fut grand dans la ville. Les royalistes y passèrent les prisonniers au fil de l'épée. Charette, le plus acharné, poursuivit les républicains jusqu'à Aigrefeuille. La nuit seule l'arrêta. Quant aux fuyards, ils ne se crurent en sûreté que sous le canon de tantes, abandonnant à l'ennemi-artillerie et bagages. Beysser blessé, suivit tristement les débris de son armée, navré de douleur d'avoir vu s'échapper en un moment le fruit de 15 jours d'une campagne jusque-là fort heureuse.

Le détachement de son armée qui était resté dans le château de Montaigu, se fit jour l'épée à la main, tandis que le gros des royalistes était à la poursuite de l'armée sur la route de Nantes. Ce détachement gagna Vieille-Vigne et se rendit ensuite sans danger jusqu'aux Sorinières.

Instruit &cette déroute, le général Caudaux qui occupait Clisson avec le corps de bataille, voulut rétrograder. Mais Bonchamp enhardi par deux avantages successifs, espérant détruire entièrement cette brave garnison de Mayence qu'il venait d'entamer, propose de marcher sur Clisson ; Charette promet de le suivre. Le 22, Bonchamp secondé par Lyrot la Patouillère, attaque le général Canclaux dans sa marche, se jetant tout-à-la-fois sur les flancs et la queue de sa colonne. Trois fois repoussés, les royalistes revinrent trois fois à la charge, après avoir enlevé les bagages, les ambulances et une partie de l'artillerie. Dans la chaleur du combat, les soldats de la Patouillère animés d'une rage aveugle, et n'écoutant plus la voix de leur chef, égorgèrent les blessés dans les chariots d'ambulance. C'en était fait de l'armée républicaine, si les Vendéens eussent pu l'entamer ; l'absence de Charette les priva cette fois d'un avantage décisif. D'un autre côté, la fermeté des Mayençais, et le sang-froid de leurs généraux, arrêtèrent l'ennemi ; n'espérant plus les vaincre, il se contenta de les forcer à la retraite. Il y eut beaucoup de sang versé de part et d'autre : près de 900 royalistes périrent. Ainsi de trois corps d'armée qui avaient pénétré dans la Basse-Vendée, celui de Saint-Fulgent était le seul qui fût encore intact. C'était la division des Sables-d'Olonne sous le général Mieskousky, redoutable non par le nombre, mais par sa discipline, ses fréquents succès et sa nombreuse artillerie. D'après le plan de Saumur, cette division alors à trois lieues de Montaigu, devait se lier à celle de Mayence ; c'est coutre elle que Charette dirigea sa marelle au lieu de seconder Bonchamp à Clisson. Il envoya d'abord une ordonnance à Royrand, campé près les Herbiers, pour l'engager à s'embusquer aux quatre chemins, et à fondre sur les patriotes au moment où ils seraient chassés de Saint-Fulgent et poursuivis.

Plusieurs chefs de la Basse-Vendée voulaient renvoyer l'attaque au lendemain et laisser reposer les troupes. Charette s'y opposa en observant que le succès dépendait du moment. On marcha donc, et au coucher du soleil, la tête de la colonne royaliste fut devant Saint-Fulgent. Des deux côtés le canon commença le combat ; les paysans poitevins ne marchaient à l'approche de la nuit qu'avec crainte dans un pays qui leur était inconnu. Ils s'éparpillaient croyant éviter le feu du canon, et se fusillaient entr'eux dans l'obscurité. Ils cernèrent ainsi l'ennemi, sans en avoir le dessein. L'artillerie des patriotes servait peu, les canonniers ne sachant où pointer les pièces. Au contraire, les Vendéens, à couvert derrière les haies, faisaient pleuvoir de fort près une grêle de balles sur leurs ennemis qui étaient plus exposés. Les obusiers tonnaient ; mais les royalistes, divisés par pelotons, évitaient facilement leur feu, en se couchant ventre à terre. Six heures d'un combat opiniâtre au milieu de la nuit, n'avaient pu décider la victoire, lorsqu'enfin le grand nombre d'assaillants, leurs cris affreux, l'obscurité, la confusion, la crainte de ne plus avoir de retraite, alarmèrent les républicains qui abandonnèrent le camp en désordre, malgré les efforts que leurs généraux firent pour les retenir. Les munitions, les bagages, et vingt-deux pièces d'artillerie tombèrent au pouvoir des vainqueurs, qui auraient pu exterminer jusqu'au dernier fuyard, si Royrand se fût trouvé aux quatre chemins avec toutes ses forces ; mais croyant l'attaque remise au lendemain, il fit occuper Chantonay par son infanterie ; et arrivant trop tard avec trois cents chevaux, il n'atteignit que les traîneurs. Mieskousky rassembla ses débris pour se replier sur Chantonay, croyant y trouver encore la division de Luçon. Il n'y trouva que des royalistes, et fut obligé de s'ouvrir un passage, le sabre à la main.

Le massacre avait été horrible pendant la nuit ; il continua le lendemain sur les fuyards qui s'étaient cachés dans les genets et les sailli On imputerait injustement au général républicain une défaite éprouvée par 3 à 4 mille braves qui ne purent résister à une multitude de combattants déjà victorieux. Les royalistes déployèrent, ii est vrai, dans toutes ces marches, dans tous ces combats, autant de valeur que de constance et d'activité. La victoire de Saint-Fulgent, qui fut, pour ainsi dire, le dernier prix de leur courage, mit le sceau à la réputation des deux illustres chefs qui les avaient conduits.

 

 

 



[1] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° XVII.