HISTOIRE DE LA GUERRE DE VENDÉE ET DES CHOUANS

TOME PREMIER

 

LIVRE SEPTIÈME.

 

 

Influence du 31 mai sur la Vendée. — Défaite des républicains à Vihiers. — Rappel de Biron. — Élévation de Rossignol. — Décret d'extermination contre les Vendéens. — Secours promis aux chefs royalistes au nom de l'Angleterre. — Attaque de Luçon par Charette et d'Elbée. — Scission parmi les Conventionnels en mission dans la Vendée. — Conseil de guerre extraordinaire tenu à Saumur.

 

LA RÉVOLUTION du 31 mai n'eut qu'une influence indirecte sur la Vendée, soit par les troubles que suscitèrent les partisans du fédéralisme, soit par le changement de système qui en résulta dans la guerre contre les royalistes.

Dès l'ouverture de sa session, la Convention nationale fut déchirée par deux minorités. L'une ardente pour la démocratie, ne triomphait que par les excès ; l'autre, mystérieuse et politique, voulait rétablir l'ordre au sein de l'anarchie, et marcher avec la liberté pour la diriger. Une majorité pusillanime flottait entre ces deux factions ; et, malgré son penchant pour les modérés, la peur la ralliait aux démocrates. Plus la France était en péril, plus il y avait de dissensions. Une révolution dans l'Assemblée devint inévitable : les démocrates l'emportèrent. Ils expulsèrent violemment du sein de la Convention nationale, les chefs du parti modéré. Quelques-uns furent mis en arrestation. D'autres portèrent dans les départements agités pour leur cause, des projets de vengeance. Caen, et tout le Calvados, devinrent le foyer de cette nouvelle opposition. Le Finistère, l'Ille et Vilaine, l'Eure, la Seine-Inférieure et la Manche se coalisèrent eu faveur des députés proscrits. Un cri général d'indignation s'y éleva contre la Convention et la capitale, violatrices de la représentation nationale. A son tour le midi s'agita ; Bordeaux, Lyon, Toulon, Marseille, s'armèrent.

Ce fut particulièrement autour de la Vendée que le fédéralisme fit des progrès rapides. Poitiers convoqua les suppléants à Bourges ; Angers se déclara contre le 31 mai ; Niort vanta les avantages d'une constitution fédérative, et le conventionnel Carra y prêcha ouvertement en faveur de ce système. Aux Sables d'Olonne, deux bataillons bordelais abandonnèrent leurs drapeaux pour aller soutenir les intérêts de leur cité. A Laval, à Bennes, à Quimper, on ordonna une levée d'hommes pour le Calvados. Ce département, à l'aide des instigations : des généraux Wimpfen et Puysaie, préparait une seconde guerre civile. Nantes, qui venait de triompher des royalistes, profita du départ de l'armée républicaine, pour se déclarer aussi contre la Convention nationale. Ses commissaires y furent méconnus et insultés. Un comité central, les autorités constituées, Beysser lui-même, décidèrent de ne recevoir ni commissaires de la Convention, ni agents du conseil exécutif. Nantes voulait entrer dans la confédération du Calvados et de la Gironde.

Cette ligue, excitée par des discours, des proclamations et des provocations à la guerre civile, s'étendait et se fortifiait. Les corps administratifs envahissaient tous les pouvoirs, s'emparaient des caisses publiques, et s'envoyaient réciproquement des commissaires. Partout on ne reconnaissait plus la Convention, et l'on délibérait pour rassembler des forces, marcher sur Paris, et transférer à Bourges le sié4e de la représentation nationale. Partout des assemblées de sections, des comités centraux, des troupes départementales détachaient la France du centre commun, pour en isoler toutes les parties. Enveloppée par les armées de l'Europe, déchirée par une guerre intestine, sa dissolution, sa subversion paraissaient inévitables. Quel que fût le parti dominant, il était de l'intérêt national de s'y rallier. Que les royalistes dont les bannières flottaient dans la Vendée, restassent les armes à la main, rien n'était plus naturel, leur cause étant distincte ; mais les dangers de la patrie n'admettaient aucun milieu entre la Convention nationale et la république.

Ces déchirements donnèrent d'abord une nouvelle consistance aux Vendéens, et parurent à leurs chefs une occasion favorable d'agrandir leur puissance. La Convention exclusivement occupée à dissoudre la confédération départementale, semblait oublier la Vendée ; ses séances étaient uniquement consacrées à des débats sur le fédéralisme. Les royalistes, profitant de ses divisions, se concertaient sur les moyens de porter de nouveaux coups à la république. Mais les armées restèrent fidèles à la Convention. Si l'on ne peut pas dire que la France fut sauvée, au moins fut-elle préservée du joug étranger, et bientôt les royalistes eurent un plus grand nombre d'ennemis à combattre. Maître de la Convention et de Paris, le parti populaire déploya, pour dissoudre la ligue départementale, une incroyable activité. Des commissaires de l'assemblée, des agents du conseil exécutif et des sociétés patriotiques, inondèrent les départements, et à force de ruse, de violence et d'assignats, ils parvinrent presque partout à opérer une défection, en opposant les prolétaires aux propriétaires, en renouvelant les administrations et en paralysant l'action de la force publique. Celle du. Calvados et de l'Eure ne put résister au choc d'une armée parisienne. L'avant-garde fédéraliste, commandée par Puysaie, fut battue à Vernon ; le gros de l'armée se dispersa, et le Calvados se soumit à la Couvert-lion nationale. Tandis que Carrier étouffait le fédéralisme en Bretagne, Philippeaux achevait de le dompter à Nantes, où les autorités menacées avaient rétracté leurs actes anti-conventionnels. Beysser, lui-même, vint se soumet-Ire à la barre, et obtint sa réintégration dans l'armée. Le maire Baco conserva seul son caractère, et à la tête d'une députation nantaise, il vint braver la Convention dans le lieu même de ses séances. Enfin la coalition fédéraliste ne put se soustraire à la charte démagogique de 93, espèce de traité politique présenté à la hâte par le parti victorieux, à l'acceptation irréfléchie du peuple ; vaine constitution jetée dans l'oubli dès qu'elle eut fait diversion aux agitations convulsives, et rallié en apparence les partis les pins opposés ; ébauche imparfaite que sa mise eu activité aurait fait tourner contre l'ambition même de ses auteurs.

Ce levain de discorde amena de nombreuses proscriptions. Les démocrates abusèrent de la victoire ; et des hommes sincèrement patriotes, se voyant poursuivis par une faction implacable, se jetèrent dans le parti royaliste. La Bretagne éprouva plusieurs de ces défections ; Toulon, Lyon et Marseille encore davantage. Bientôt la Convention dirigea contre la Vendée les armes destinées à combattre les fédéralistes de l'Occident. On la vit frapper sans hésiter tout ce qui s'opposait à ses usurpations. Les opérations militaires contre la Vendée, un instant suspendues, furent reprises avec une ardeur nouvelle ; mais l'insurrection s'y étant entièrement organisée, avait pris un aspect imposant. Transformée en une vaste forteresse bien approvisionnée, couverte de forêts impénétrables, la Vendée militaire était défendue par Io° mille soldats aguerris et par une artillerie formidable. Cultiver son champ, se battre, étaient les occupations journalières des Vendéens. La défaite de Westermann, faisant oublier l'échec de Nantes, avait ranimé leur confiance. Tandis que Royrand, Baudry et Bejari contenaient avec leurs divisions les forces de Luçon, de Niort et de Fontenay, Joly en opposition à la garnison des Sables-d'Olonne, Cathelinière et Lyrot à celle de Nantes, se tenaient respectivement en observation. Les chefs de l'Anjou et du Haut-Poitou laissaient reposer leurs soldats, et cherchaient à pénétrer les projets des républicains ralliés à Tours et à Saumur où quelques renforts venaient d'arriver. Après la défaite de Westermann, Biron quitta son quartier-général de Niort pour visiter l'armée de Saumur qui se porta de suite sur Angers. Les commissaires de la Convention crurent Glue Biron proposerait un plan d'attaque et prendrait le commandement ; il ne fit ni l'un ni l'autre. Ce fut même en quelque sorte malgré lui, qu'on arrêta dans un conseil de guerre que l'armée pénétrerait dans la Vendée par le pont de Cé. Le plan consistait à attaquer successivement Brissac, Vihiers, Coron, Chollet et Mortagne, où devait s'opérer la jonction avec l'armée de Niort.

Biron partit pour son quartier-général. Labarollière ayant pris le commandement de toutes les forces d'Angers et de Saumur, rassemblées au pont de Cé, se mit en marche, et le i5 juillet, vint camper dans les environs de Martigné-Bryant à 3 lieues de Villiers. Bonchamp, La Rochejacquelein, Scépeaux et d'Autichamp y avaient rassemblé à la hâte 15 mille Vendéens pour s'opposer aux progrès de Labarollière. Attaqué sur deux colonnes, son avant-garde fut rompue, et, dès le premier choc, les royalistes lui enlevèrent trois pièces de canon ; bientôt l'affaire devint générale. Pour la première fois, l'armée de Saumur fit bonne contenance, et les bataillons de Paris soutinrent le feu. Quelques demi-brigades se portèrent à propos sur les hauteurs protégées par les hussards, et arrachèrent la victoire aux royalistes. Le conventionnel Bourbotte fondit sur leur flanc gauche à la tête de la cavalerie. Manqué d'un coup de carabine, il fut blessé d'un coup de crosse par un Vendéen qu'il étendit à ses pieds. Bonchamp emporté par sa bravoure, se précipita dans la mêlée, eut un cheval tué sous lui, reçut sept balles dans ses habits, et blessé au coude il fut forcé de se retirer au château de Jallais. Vainement La Rochejacquelein, quoique frappé d'une halle, essaya de ramener les Vendéens à la charge ; excédés de soif et de chaleur, ils se replièrent sur Coron.

Les républicains, voulant profiter de la victoire, se portèrent en avant. Le 17, leur avant-garde, commandée par le général Menou, occupa Villiers. Au moment où l'on faisait rafraîchir le soldat, six cents Vendéens n'ayant d'antres armes que des fusils et des piques, parurent sur les hauteurs en deux colonnes : leur choc fut tellement impétueux, que les républicains plièrent aussitôt ; mais soutenus par des renforts qui arrivaient successivement, ils reprirent leur position. Ce mouvement fut suivi d'une vive fusillade qui dura quatre heures, et ne finit qu'à la nuit. Tee général Menou ayant chargé presque seul avec quelques officiers, fut couché en joue à quinze pas, et reçut un coup de fusil au travers du corps, qui fit craindre longtemps pour sa vie. Les Vendéens se retirèrent pour éviter de s'engager avec toute l'armée républicaine ; mais le général Labarollière n'osa les poursuivre pendant la nuit dans ce pays difficile, où l'on pouvait être facilement surpris. Il fit bivouaquer toute l'armée pour conserver sa position, dans l'attente d'une nouvelle attaque pour le lendemain. Harcelée depuis plusieurs jours, l'armée n'avait pris aucun repos. Tout à coup trois caissons chargés de gargousses sautent au milieu du parc d'artillerie, et font un horrible dégât. Cet accident imputé à la trahison, jeta dans tous les esprits une impression de crainte et de terreur. Il n'en était pas de même du côté des Vendéens ; de tontes parts ils volaient au secours des paroisses menacées par l'ennemi. Rassemblés bientôt dans les bois qui entourent Villiers, leur impatience ne leur permit point d'attendre l'arrivée de leurs principaux officiers pour se mesurer avec les républicains. Piron et Marsange, jaloux de se distinguer, se mirent à leur tête. Le chevalier de Villeneuve et le transfuge Keller, tout aussi impatients de combattre, formèrent à la hâte un corps d'élite composé de six cents Suisses et Allemands, déserteurs de ]a légion Germanique, et d'un nombre égal de Vendéens les plus braves et les plus exercés. Ce corps fut placé au centre ; le gros des royalistes forma deux ailes ; Laguerivière et Boissy commandèrent la droite, Guignant de Tiffauges la gauche. A midi, le signal fut donné ; les Vendéens sortirent de leurs forêts dans le même ordre, s'emparèrent des hauteurs, et culbutèrent les avant-postes des républicains au moment où ceux-ci couraient aux armes pour se mettre en bataille. La canonnade fut vive de part et d'autre. Forestier, à la tête de la cavalerie vendéenne, animé par l'exemple du corps d'élite et sous la protection de l'artillerie commandée par d'Herboldt, chargea vigoureusement la droite des républicains qui occupait Villiers. Le combat devint opiniâtre et sanglant dans la ville et sur la place publique : les Vendéens se précipitant avec impétuosité sur les rangs ennemis, renversèrent tout ce qui s'opposait à leur passage. Bientôt les républicains se replient eu désordre sur le gros de l'armée. Ce mouvement jette partout l'effroi et devient le signal d'une déroute générale. De tous côtés on entend crier à la trahison ! sauve qui peut ! Les bataillons se débandent sans brûler une amorce ; on coupe les traits des chevaux de l'artillerie ; les soldats fuient en jetant leurs armes et leurs havresacs ; dans leur fuite ils sont écrasés par la cavalerie. Les généraux, les commissaires troublés eux-mêmes par le désordre qui les environne, font des efforts inutiles pour arrêter les fuyards. La lâcheté rend la déroute aussi rapide que générale, rien 11Q peut l'arrêter. Les royalistes poursuivent les vaincus sans relâche. Plusieurs emportés par la fureur les massacrent sans pitié, pour ne point s'embarrasser de prisonniers. Le brave Loiseau, le même qui avait terrassé trois cuirassiers en défendant Domagné à l'attaque de Saumur, s'attache an général Santerre. Ce dernier, sur le point d'être saisi, saute un mur de dix pieds de hauteur. Les commissaires, la plupart des généraux, coururent aussi les plus grands dangers. Bourbotte, blessé l'avant-veille, fut pour ainsi dire livré aux royalistes, par mi officier perfide : conduit au milieu d'eux, il essuya une fusillade à cinquante pas, et perdit son cheval. Poursuivi pendant deux lieues, il fut plusieurs fois sur le point de tomber entre leurs mains, et ne put se sauver qu'en se cachant dans les haies, d'où il gagna Saumur, dans l'état le plus déplorable. Les chemins de Martigné et les hauteurs de Concourson étaient couverts de fuyards, poursuivis par un ennemi aussi actif qu'intrépide. L'épouvante fut telle, que les débris de l'armée républicaine firent sept lieues en trois heures pour arriver à Saumur, où il fut impossible de les retenir. Même à Chinon, ville située à quinze lieues du champ de bataille, il ne se trouva trois jours après Faction que quatre mille hommes. Toutes les villes voisines étaient remplies de fuyards ; quelques-uns ne s'arrêtèrent qu'a Paris. Cette honteuse déroute coûta aux vaincus trois mille prisonniers, quinze pièces de canon, un grand nombre de caissons et de chevaux, deux chariots chargés de fusils, des approvisionnements de campagne, et mie partie des bagages. : deux mille républicains y perdirent la vie. Les nouvelles levées entraînèrent l'armée. On voulut en vain pallier leur lâcheté, en alléguant des circonstances fortuites, telles que trois jours de, bivouac, de fatigues et de combats consécutifs, telles qu'une pluie de trois heures tombée par torrents et l'attaque faite à l'improviste au moment de la soupe. On donna aussi pour excuse le trouble extraordinaire causé par l'explosion de quelques caissons. Quant à moi j'attribue cette humiliante déroute à des causes plus générales. Je pense qu'après tant de mal heureux essais, l'on eut tort d'aller combattre les Vendéens dans leur pays couvert. D'ailleurs, en admettant que les colonnes républicaines qui entouraient la Vendée fussent assez fortes pour agir offensivement, n'auraient-elles pas dû s'ébranler en même temps pour opérer une diversion ? Celle de Niort, la plus imposante, n'aurait-elle pas dû marcher simultanément et faire l'attaque principale ? Biron, au contraire, y laissa son armée inactive. Celle de Saumur, constamment malheureuse, au lieu d'attaquer par Doué, Thouars et Parthenay, d'où elle pouvait être soutenue par les forces de Niort et de Saint-Maixent, pénétra par les ponts de Cé, à trente lieues de Niort[1].

Cependant la bataille de Villiers n'eut point de résultats militaires importants. Saumur, quoique sans forces et abandonné même de ses habitants, ne fut point occupé par les vainqueurs qui rentrèrent au sein de la Vendée : ils crurent avoir assez fait en assurant leur tranquillité pour le temps de la moisson. Tel fut l'avis de d'Elbée, qui avait alors son quartier-général à Beaupréau.

Les débris de l'armée de Saumur, ralliés à Chinon et à Tours, ne s'y croyaient point encore en sûreté, tant l'effroi était général. L'indignation de la Convention fut au comble. Ses commissaires voulant mettre leur responsabilité à couvert, aigris d'ailleurs contre Biron, qu'ils avaient déjà dénoncé au comité de salut public, s'élevèrent fortement contre sa nullité, son inertie si funeste d'après les résultats de l'affaire de Villiers. Ils attaquèrent surtout son système de modération à l'égard des royalistes, et lui reprochèrent son attachement aux anciennes formes et aux vieilles théories militaires. Un des torts de Biron était aussi de porter un nom illustre sous la monarchie. Ce nom inquiétait les démocrates : ils regardaient comme impolitique de confier une armée d'hommes libres à un homme d'une si haute naissance ; ce qui le plaçait entre ses devoirs et ses opinions, en le forçant à combattre un parti qui redemandait un roi, des nobles et des prêtres. Biron n'avait qu'un seul moyen de confondre ses dénonciateurs : c'était celui de vaincre. C'est ce qu'il ne fit pas. Il crut qu'il suffirait de s'isoler pour ne point se faire battre. Il pensa qu'avec l'appui de sou état-major et celui des commissaires de son armée, il pourrait braver le parti de Saumur, en comprimant à Niort les militaires qui l'accablaient de personnalités offensantes. L'un d'eux, Rossignol, garçon orfèvre, appelé par la révolution au commandement d'une division de gendarmerie à pied, se faisait remarquer par son exaltation et sa rudesse plébéienne. Destiné à devenir tour à tour instrument et victime des factions, rien n'indiquait encore qu'il-dia jouer un premier rôle dans nos troubles politiques. Ce fut cet homme que les démocrates opposèrent à Biron. Les commissaires de Niort le firent arrêter comme prêchant l'indiscipline et désorganisant l'armée. Leurs collègues de Saumur prirent l'alarme, et ne manquèrent pas d'imputer à Biron l'emprisonnement arbitraire de Rossignol. « Ce brave homme, dirent-ils, est victime de son patriotisme, il n'est coupable que d'avoir manifesté avec chaleur sa haine contre les nobles et les intrigants. » Son arrestation fut dénoncée à la Convention nationale, et Danton profita de l'influence qu'il y exerçait pour demander l'examen de la conduite de Biron. Le député Thirion acheva d'aigrir l'assemblée en s'élevant arec chaleur contre l'inaction de ce général. « C'est là, dit-il, ce qui doit arriver tant que vous aurez des ex-nobles, des ex-conspirateurs à la tête des armées ! » Un décret ordonna donc la mise en liberté de Rossignol, et dès le lendemain Jean Bon Saint-André, au nom du comité de salut public, rappela les accusations de négligence et de perfidie qui avaient été portées contre Biron, provoqua son rappel, et fit décréter son remplacement. Heureux s'il n'eût perdu que le commandement de l'armée. Acharnés à le poursuivre, ses ennemis obtinrent son arrestation, et quelques mois après, sa traduction au tribunal révolutionnaire. Si Biron ne fut pas positivement un traître, s'il ne favorisa point secrètement les-Vendéens dont il était redouté, ses dernières paroles prouvent qu'il se repentit d'avoir servi la république. Il dit, en montant à l'échafaud : « J'ai été infidèle à mon Dieu, à mon ordre et à mon roi, je meurs plein de foi et de repentir. » Telle fut la fin d'un homme que la révolution surprit au faîte des grandeurs, qui s'était distingué dans la guerre d'Amérique sous le nom de Lauzun et qui ne dut peut-être la part active qu'il prit à nos dissensions politiques, qu'aux principes qu'il avait puisés dans la société de Washington. Ses liaisons avec le duc d'Orléans avaient pu contribuer aussi à l'entraîner.

D'abord, la Convention qui se constituait pouvoir exécutif, parut indécise sur le choix du successeur de Biron. Le ministre de la guerre proposa le général Dietmann : il fut écarté comme : ayant déjà refusé l'armée du Rhin. Beysser fut proposé, et accepté au moment même où il protestait avec les fédéralistes de Nantes contre le pouvoir de la Convention nationale. Bientôt instruite, elle révoqua sa nomination et le manda à sa barre. Le parti de Saumur, profitant avec adresse des circonstances, fit nommer Rossignol. Cette promotion, contre laquelle s'acharnèrent les partisans secrets de Biron, était un coup de parti. L'élévation subite d'un Plébéien sapait l'ancienne routine des camps, les préjugés monarchiques et surtout affaiblissait la confiance si souvent aveugle des soldats pour les anciens généraux. Malheureusement Rossignol, brave, franc, désintéressé, n'avait point les talents nécessaires à un officier général. Pénétré lui-même du sentiment de son incapacité, ce ne fut qu'après les plus vives instances que le parti de Saumur parvint à lui faire accepter le commandement.

Tandis que ce nouveau général visitait et réorganisait différentes divisions de son armée, fortifiait Saumur, rappelait sous le canon de cette place toutes les troupes cantonnées à Chinon, à l'exception de quinze cents hommes laissés sous le commandement du général Rey, tandis qu'il distribuait ses forces de manière à empêcher les royalistes de profiter de la victoire de Villiers, la plupart des généraux secondaires se livraient à des expéditions partielles qui, sans résultats décisifs, épuisaient en détail les forces de la république. Chaque chef agissant à son gré sur le point où il se trouvait, ne donnait pas même avis de ses mouvements aux colonnes qui l'environnaient. On eût dit qu'ils craignaient de faire partager à d'autres les victoires qu'ils se promettaient de remporter.

Pour remédier aux inconvénients des entreprises isolées, Rossignol défendit aux divisionnaires de tenter dorénavant aucune, expédition sans en avoir reçu l'ordre.

Mais déjà le général Tuncq, chargé du commandement de la division de Luçon, avait attaqué les postes de St.-Philibert et du Pont-Charron, occupés par les Vendéens du centre aux ordres de Royrand.

Le Pont-Charron, si renommé dans cette guerre, ne présentait qu'un fossé large et profond environné de retranchements, peu éloignés de la rivière du grand Lay, à l'entrée méridionale du Bocage. Le 25 juillet, le général Tuncq, à la tête de quinze cents hommes, tourna le l'ont-Charron par St.-Philibert, qui était également retranché. Ami était le-mot d'ordre des Vendéens ; un transfuge qui avait servi dans les volontaires de la république le livra', les sentinelles furent égorgées et le poste emporté. Sapinaud de la Verrie qui le commandait fut blessé, et-tomba au pouvoir des patriotes qui le mirent en pièces. Tuncq envahit et ravagea Chantonay ; mais déjà le tocsin des royalistes sonnait de toutes parts. D'Elbée qui était alors à Argenton-le-Château, ramasse 12 mille hommes, et court défendre le centre de la Vendée. Après s'être élevé dans une proclamation contre les cruautés des républicains qu'il menace de représailles[2], il rallie les fuyards de Royrand, et marche en-forces contre le générai Tuncq qui, craignant d'être enveloppé, évacue Chantonay après l'avoir livré aux flammes. Les royalistes réunis le poursuivent jusqu'à St.-Hermine, et s'avancent le 30 sur Luçon. L'armée républicaine les attendait, rangée en ordre de bataille au-delà de Bessai ; les royalistes l'attaquent avec vigueur ; leur artillerie bien servie, répondait par des décharges multipliées au feu terrible de l'ennemi. Chaque boulet emportait des rangs entiers de républicains leur centre plia et fut bientôt enfoncé. Tuncq, inférieur en forces, et voulant prévenir une déroute totale, ordonne la retraite : Ce mouvement de sa troupe fait croire aux Vendéens qu'ils vont être tournés. A ce moment, quoique tout leur présageât la victoire, des lâches qui se traînaient à l'arrière-garde, répandent l'alarme et prennent la fuite. Cette terreur panique suffit pour entraîner l'armée entière. Tuncq profita de ce changement de fortune, et fit poursuivre les Vendéens. Leprince de Talmont, qui protégeait leur retraite, s'élança plusieurs fois au milieu des hussards ennemis qu'il repoussa. D'Elbée s'exposa lui-même aux plus grands dangers, et contribua par son sang-froid à sauver l'armée. Lescure eut sou cheval blessé, et dispersa quelques cavaliers acharnés à sa poursuite. Le jeune Leriche de Langerie, qui faisait ses premières armes, eut un cheval tué sous lui. Les royalistes laissèrent deux pièces de canon et un grand nombre de morts sur le champ de bataille. Tuncq rentra victorieux à Luçon[3].

Cependant Joly inquiétait toujours les Sables-d'Olonne, et forçait la garnison à des mesures de défense. Baudry et Beaurepaire à la tête d'un rassemblement, retenaient dans Niort, par la crainte d'une attaque, la partie la plus imposante de l'armée républicaine, tandis que des détachements vendéens ravageaient, les plaines de Fontenay, que Bonchamp s'approchait en force des ponts de Cé, et que La Rochejacquelein prenant position à Doué, menaçait Saumur. Tous ces mouvements avaient pour principal objet de couvrir les travaux de la récolte, auxquels les Vendéens se livraient le fusil à la main. Dans le Bas-Poitou, Charette, stationnaire à Legé, n'attendait qu'une occasion pour agir.

Le 26 juillet, les chevaliers d'Autichamp et Duhoux, à la tête de l'avant-garde de Bonchamp, surprirent les hauteurs de l‘leurs et d'Erigné en avant du pont de Cé. Après quelques coups de canon, les républicains qui défendaient ce poste prirent la fuite et se sauvèrent à Angers. Poursuivis par les Vendéens jusqu'au pont de Cé, quatre cents hommes du huitième bataillon de Paris y furent coupés : la plupart essayèrent de passer la Loire à la nage ; ils y périrent. La garde nationale d'Angers prit les armes, et fit rétrograder l'ennemi. La crainte d'une surprise bu d'une attaque pour le lendemain détermina le chevalier Duhoux à couper les ponts, et à prendre position de l'autre côté de la Loire. Les patriotes prirent poste sur la rive opposée.

Le 28, Bonchamp, avec quelques renforts rentra dans les ponts de Cé, repoussa les républicains au-delà du fleuve, et s'empara du château. La situation d'Angers devint alors très-critique, cette ville n'ayant pour défenseurs que des soldats qui fuyaient depuis trois jours devant l'ennemi. On y parlait déjà de renouveler la honteuse évacuation du mois de juin. Le général Duhoux qui commandait les républicains en avait donné l'ordre, et faisait déjà filer l'artillerie. Philippeaux, commissaire de la Convention, réunit les corps administratifs, et parvint à faire prendre aux Angevins une attitude plus ferme. Bonchamp, après avoir ordonné une reconnaissance à un mille de la place, se replia sur les ponts de Cé, dont il coupa la première arche, pour tenir les patriotes en échec. Maître du château, qui de la rive opposée domine tous les bras de la Loire, il y établit un poste qui pouvait intercepter les convois et même surprendre la ville. Un coup d'audace éloigna le danger. Philippeaux alla reconnaître les Vendéens, et fit rétablir le pont. L'ardeur de quelques patriotes ne leur permit pas d'attendre : ils passent à la nage et gagnent la rive opposée. Ce trait de bravoure entraîne plusieurs compagnies. L'adjudant-général Talot, depuis député à la Convention nationale se met à leur tête, reprend les ponts, s'élance sur le château, en chasse les royalistes, les poursuit jusqu'aux rochers d'Erigné, et les disperse au village de Meurs. Depuis lors, les patriotes restèrent maîtres du poste important des ponts de Cé.

Peu de jours auparavant, La Rochejacquelein, avec une division royaliste, s'était porté sur Thouars, que les républicains lui avaient abandonné. Il s'avança jusqu'à Loudun, à la tête d'un parti de cavalerie, pénétra dans la ville à trois heures du matin, sans éprouver de résistance, fit sept gendarmes prisonniers, enleva la caisse du district, brûla les archivés, et détruisit tous les signes républicains : ensuite, voulant profiter de l'inaction de l'ennemi du côté de Saumur, il s'approcha de cette ville qu'il menaça d'une attaque sérieuse. Le 4 août, la cavalerie des républicains rencontra celle des royalistes, qui, plus faible, tourna le dos et rentra à Doué. La Rochejacquelein appela Lescure avec sa division pour attaquer de concert ; mais le général Rossignol, qui le soir même avait projeté de surprendre Doué, fit partir dans la nuit les généraux Salomon et Ronsin, avec environ trois mille hommes d'infanterie et quatre cents hussards, plaça un corps intermédiaire pour soutenir l'attaque, et ordonna au reste de l'armée de se tenir prêt à marcher. Tout réussit. Les Vendéens surpris avant d'avoir reçu des renforts, laissèrent trois cents des leurs sur le champ de bataille ; Doué fut fouillé, et comme ce coup de main n'avait pour objet que de dégager Saumur, les républicains y rentrèrent après l'expédition. Elle releva leur courage et l'anima leur confiance.

Ces tentatives partielles étaient aussi incomplètes qu'impuissantes. Il fallait de plus grands moyens, des mesures plus fortes pour attaquer la 'Vendée rebelle, et obtenir des résultats décisifs. La Convention nationale s'alarmait de cette guerre civile, qui prenait chaque jour un caractère plus prononcé et plus durable. Comment résister à toute l'Europe et à des ennemis intérieurs ? Déjà les armées de l'Autriche entamaient les frontières du nord ; Lyon était en révolte, et le midi en feu attendait les Anglais. A la vérité, la Convention subjuguée par une minorité courageuse, marchait alors sans être entravée, et déployait une vigoureuse défensive. Cent soixante-dix de ses membres envoyés pour la levée de trois cent mille hommes, avaient pris trois mille délibérations pour armer, équiper et organiser quatorze armées. Ils avaient approvisionné, en trois mois, cent vingt-six places ou forts menacés : c'était beaucoup. Cependant, comme les pouvoirs des commissaires étaient illimités, et parfois leurs opérations divergentes, l'abus était inséparable du succès. Le comité de salut public investi de la direction et de la surveillance du pouvoir exécutif, commença par faire déterminer et limiter les pouvoirs des représentants en mission ; et se dégageant des objets de détails qui entravaient sa marche, il se créa centre de gouvernement, et crut s'élever au niveau des circonstances et de ses fonctions, en proposant dos mesures terribles : Ses premières tentatives ne furent point heureuses, surtout contre la Vendée. Cette guerre dont il s'occupait sans relâche décelait son impuissance. « Elle devient extraordinaire et inexplicable, disaient à la tribune les organes du comité ; c'est un cancer politique qui creuse dans l'état une plaie profonde... Elle se compose de petits succès et de très-grands revers.... Votre armée ressembla à celle du roi de Perse : il y a cent soixante voitures de bagages, tandis que les brigands marchent avec leur arme et un morceau de pain noir dans leur sac...  Jamais vous ne parviendrez à les vaincre, tant que vous ne vous rapprocherez pas de leur manière de combattre... Faites la récolte des brigands ; portez le feu dans leurs repaires, envoyez-y des travailleurs qui aplaniront le terrain... »

Ces premières paroles de destruction prononcées le 26 juillet par Barère, déterminèrent à l'instant même la formation de vingt-quatre compagnies incendiaires, et de tirailleurs-braconniers. Cinq jours après, ce même orateur, à la suite d'un rapport inquiétant sur les revers de la république, proposa un projet organique de destruction et d'extermination contre la Vendée. « Le comité, dit-il, a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle de Vendéens, à faire disparaître leurs repaires, à incendier leurs forêts, à couper leur récolte. C'est dans les plaies gangreneuses que la médecine porte le fer et le feu : c'est à Mortagne, à Chollet, à Chemillé que la médecine politique doit employer les mêmes moyens et les mêmes remèdes : c'est faire le bien que d'extirper le mal ; c'est être bienfaisant pour la patrie que de punir des rebelles... Louvois fut accusé par l'histoire d'avoir incendié le Palatinat, et Louvois devait être accusé : il travaillait pour les tyrans. Le Palatinat de la république c'est la Vendée : détruisez-la, et vous sauvez la patrie ! »

Les bois taillis et les genets incendiés, les forêts abattues, les habitations détruites, la récolte coupée et portée sur les derrières de l'armée, les bestiaux saisis, les femmes et les enfants enlevés ci conduits dans l'intérieur, les biens des royalistes confisqués, pour indemniser les patriotes de la Vendée réfugiés, enfin une levée en masse des habitants des districts environnants préparée au son du tocsin, depuis l'âge de 16 jusqu'à 60 ans ; telles furent les dispositions de la loi adoptée sur la proposition de Barrère.

Le lendemain, le comité fit décréter que les braves troupes qui avaient défendu Mayence, seraient transportées en poste dans la Vendée.

Ces décrets, firent dans l'armée et les départements de l'Ouest, une impression profonde. Mais quel serait le mode d'exécution, et qui se chargerait d'une pareille responsabilité ? Les Vendéens réfugiés, craignant pour leurs propriétés, adressèrent des réclama-lions énergiques. N'espérant point faire révoquer la loi, les plus puissants se flattèrent de l'éluder ou d'en atténuer la sévérité. « Quel affreux exemple est réservé au monde, à la fin du dix-huitième siècle, au nom de la liberté et de la philosophie, dans l'empire le plus policé de l'Europe ! Quoi, nous irions porter la hache et le feu dans les plus riches provinces de la France. Hélas ! plus de pitié pour des français égarés. Faut-il donc abandonner tout espoir de les ramener, et ne suffit-il plus de combattre avec courage et loyauté ; faut-il encore s'entr'égorger avec une fureur aussi aveugle que féroce ? » Telles étaient les réflexions que faisaient naître de pareilles mesures et qu'adoptaient quelques soldats qui gémissaient d'en être les instruments.

Les révolutionnaires au contraire, cherchaient à justifier cette rigueur, par l'insuffisance reconnue des moyens employés jusqu'alors, par l'opiniâtreté des royalistes, et par les cruautés inutiles qu'exercèrent quelques-uns de leurs chefs envers des prisonniers de guerre vendéens.

Ainsi deux partis se fermèrent dans les états-majors, dans les autorités et parmi les commissaires de la convention. Saumur devint le foyer de la terreur. Niort, Luçon et Fontenay, furent les asiles-de l'indulgence. Mais aucune digue alors ne pouvait plus arrêter marche de la terreur, et dans son cours rapide elle devait écraser la malheureuse Vendée.

A la garnison de Mayence, le comité de salut public ajouta celle de Valenciennes, ce qui fit un renfort de 16 mille combattants aguerris. Il donna ensuite des ordres au général en chef Rossignol, pour se tenir sur la défensive, en attendant la réorganisation complète de l'armée, et la prochaine arrivée des troupes de Mayence et de Valenciennes.

Les républicains méditaient et préparaient une attaque générale, lorsque les chefs royalistes reçurent près de Chatillon le chevalier de Tinténiac, venu déjà trois fois dans le Poitou avant et depuis la mort de La Rouerie, pour y déterminer la guerre civile. Ce fut vers la fin de juillet qu'il y reparut, comme chargé d'affaires des princes français et du gouvernement britannique. La conférence (milieu au château de La Beulaye, sur la route de Mort agile à Chatillon. Tinténiac présenta des dépêches signées du comte de Moira, des ministres Pitt et Henri Dundas. Le cabinet de Londres demandait que les Vendéens passassent la Loire et envahissent un port de mer de la Bretagne, ce qui exit établi et lié des communications plus régulières. Il demandait en outre qu'on lui donnât connaissance des forces de la Vendée, de ses besoins, des plans ultérieurs arrêtés contre l'ennemi commun, promettant de puissants secours en armes, en argent et en hommes. Ce n'était que le plan de La Rouerie dont on voulait tenter encore l'exécution ; mais l'impression produite par l'échec de Nantes, rendait impossible toute expédition hors du pays insurgé. Tinténiac insista néanmoins, et promit à d'Elbée que les princes confirmeraient sa nomination au généralat. Quelques chefs présents à la conférence, élevèrent des doutes sur les intentions et la bonne foi du cabinet de Saint-James, et témoignèrent de la répugnance à traiter avec l'ancien et implacable ennemi du nom français. Le parti breton fit valoir un avis contraire ; Bonchamp, surtout, allégua la raison d'état et les considérations de la politique. Il enfla les avantages d'une alliance étrangère, qui n'était jamais à dédaigner dans aucune guerre civile, ni sous aucun chef. Il cita des exemples puisés dans l'histoire de la monarchie française, et parla du grand Coligny. « Alors, dit-il, on voulait dans l'occident attaquer la monarchie ; aujourd'hui notre but est de relever le trône et les autels. Tout doit être employé pour atteindre ce but ; ne dirigerons-nous pas d'ailleurs l'emploi des moyens qui seront mis à notre disposition ? » Il parvint sans peine à persuader ses compagnons d'armes. Comme tout dépendait des évènements, rien alors ne fut décidé. On remit seulement à Tinténiac des dépêches vagues, contenant la demande de développements sur les intentions du ministère britannique. Cet envoyé assura que son retour serait prochain ; comme il était dépourvu d'argent, les chefs de la Vendée lui firent compter cinquante louis par l'intendant général, en s'étonnant néanmoins de la détresse de cet agent de l'Angleterre.

La mission de Tinténiac ne changea rien aux affaires de la Vendée. Les vues de d'Elbée restèrent les mêmes : elles différaient de celles de Bonchamp et de Talmont, qui voulaient étendre l'insurrection en Bretagne. Au contraire, le généralissime était d'avis de s'éloigner de la Loire pour envahir le Poitou méridional, et venger l'échec de Luçon. Il forma même le projet d'emporter cette ville, où il espérait trouver de la poudre et des munitions, dont le besoin se faisait sentir dans l'armée.

D'Elbée jugea qu'il était nécessaire, pour le succès de l'expédition, de se combiner avec les forces du Bas-Poitou. Il expédia de suite des courriers à Roi rand et à Charette pour réclamer leur coopération, et leur donna communication du plan d'attaque. Des diversions devaient avoir lieu vers la Loire depuis Nantes jusqu'à Saumur.

La défense de l'Anjou et du Haut-Poitou fut confiée à Bonchamp. D'Elbée se mit en marche à la tête de 20 mille hommes, et se dirigea vers Luçon par les Herbiers. Charette s'adjoignit Joly et Savin, et partit avec 6 mille hommes. La jonction de toutes ces forces eut lieu le 12 août à Chantonay, où était l'armée de Royrand. L'attaque de Luçon fut remise au lendemain.

Cette ville, située à 5 lieues ouest de Fontenay, est à 3 lieues de la mer, au bord du marais sur un terrain horizontal, ce qui en fait un séjour malsain. Ses maisons vastes et coin-modes, d'un aspect agréable et ses nombreux jardins, la rendent plus grande que ne le comporte une population de deux mille âmes. Elle a un canal qui conduit à l'Océan. Quoique sans fortifications, ses dehors présentent quelques points d'appui qui peuvent suppléer à l'inégalité des forces, et procurer à une armée inférieure des avantages de position. Elle est d'ailleurs environnée de plaines, où l'on peut tirer parti de la cavalerie et de l'artillerie volante.

A cette époque Luçon était défendu par 9 mille républicains, sous les ordres du général Tuncq. Au moment où les divisions vendéennes opéraient leur jonction, ce général recevait d'un espion nommé Valée, dont l'exactitude ne s'était jamais démentie, l'avis certain de l'heure à laquelle il serait attaqué. Il fit aussitôt ses dispositions de défense ; et reçut le même jour du ministre de la guerre une lettre de destitution. Ce coup partait de Saumur, mi les opérations irrégulières de Tuncq, et son aversion pour Rossignol lui avaient aliéné les esprits. Les conventionnels Bourdon de l'Oise et Goupillent de Fontenay, alors en mission auprès de Tuncq, lui ordonnèrent, par un arrêté, de continuer-ses fonctions. Le lendemain, à cinq heures du matin, 35 mille royalistes réunis, après avoir reçu la bénédiction du curé de St.-Laud, passent la Semagne au pont Minclet, et se rangent successivement en bataille en face du camp républicain. D'Elbée commandait la gauche, Royrand le centre, et Charette la droite : Tuncq ne pouvant faire face de tous les côtés, voulant d'ailleurs cacher sa faiblesse, fit ranger son armée sur cieux lignes, et ordonna aux soldats de se coucher sur le ventre. L'artillerie légère était au centre, et les bataillons avaient dans leur intervalle quelques pièces de quatre. A peine le général républicain avait-il achevé ces dispositions, que plusieurs officiers envoyés pour reconnaître l'ennemi, vinrent annoncer qu'il se déployait lentement dans la plaine pour former sa ligne de bataille : Tuncq ne voulant point lui en donner le temps, fit marcher deux bataillons suivis de deux pièces d'artillerie volante avec ordre de s'avancer à demi-portée de fusil. Ils trouvèrent le centre en mouvement pour attaquer. A la vue des deux bataillons, les royalistes croyant n'avoir à combattre qu'une poignée d'hommes, s'ébranlent en désordre, jetant des cris affreux, pour accabler les républicains de leur masse. Ceux-ci ajustent, tirent avec précision, et s'ouvrant ensuite de droite et de gauche, démasquent l'artillerie légère dont le feu à mitraille foudroie l'ennemi rangé sur quinze à vingt hommes de hauteur. Revenus de leur première surprise, les Vendéens encouragés par leur chef, avancent courageusement. Les deux bataillons républicains se replient sur la ligne en continuant leur feu et leur manœuvre : l'ennemi fond avec impétuosité pour les atteindre ; alors Tuncq ordonne un roulement qui devait servir de signal à ses soldats. Tout à coup l'armée entière se lève et semble sortir de dessous terre. Son feu de file roulant et bien ajusté augmente l'impression de terreur qu'a faite à l'ennemi son apparition subite. Roy rand, imprudemment engagé, essuie non seulement le feu de la mousqueterie, mais le feu. bien plus meurtrier de l'artillerie légère. C'était la première fois que les républicains eu faisaient usage dans la Vendée. Le terrain était parfaitement uni, rien ne s'opposait aux évolutions de cette arme terrible ; la colonne de Royrand en fut criblée, et en moins d'une heure et demie on vit la plaine de Luçon couverte de cadavres. Charette avançait plus lentement sur la droite. Il avait promis d'enfoncer dans sept minutes la colonne qui lui serait opposée ; il tint parole : après neuf minutes de combat il fit plier les bataillons qui après s'être avancés évitèrent son choc. Sur la gauche, d'Elbée ne trouvant nul obstacle, avait obliquement dépassé la ligne, et ne voyant point de colonne à. combattre, il crut devoir renforcer le centre qui pliait : mais le ravage des obusiers avait fait une telle impression, de terreur sur les soldats de Royrand, qu'apercevant d'Elbée revenir sur ses pas, ils le crurent en-pleine déroute, s'en effrayèrent et se débandèrent, D'Elbée, trop faible pour résister, fut entraîné dans la déroute. Charette resté seul sur le champ de bataille, se vit bientôt assailli par toutes les forces républicaines. Accablé, foudroyé de toutes parts, il eut de la peine à sauver son armée dont il perdit l'élite, et fut poursuivi ainsi que d'Elbée qui abandonna son artillerie. Bernard de Marigny qui la commandait ne put la sauver. Royrand laissa également deux pièces de douze.

On croit que ce bit au premier moment de la bataille que Baudry d'Assen, animé d'un courage imprudent, suivi d'un domestique fidèle qui avait juré de mourir avec lui, courut s'exposer aux premiers coups, et se fit tuer en avant de sa troupe. Son domestique se précipitant sur son corps y fut percé de mille coups. Baudry, te premier champion de la guerre civile était d'un caractère dur ; il savait se faire craindre et obéir, et pourtant il fut regretté.

Jamais, depuis la guerre, les royalistes n'avaient essuyé de défaite aussi sanglante. Six à sept mille morts couvraient le champ de bataille, et un régiment de cavalerie poursuivait encore les fuyards le sabre à la main, sans faire de quartier. Dans sa fuite, l'armée fut tout à coup arrêtée au pont Minclet, seul passage qui lui restât. Deux pièces de canon démontées barraient le chemin, ce qui augmenta bientôt le désordre. Ç'en était fait de l'armée entière, sans la valeur des transfuges de la légion germanique. Ils se postent eu avant de la tête du pont, font face à l'ennemi, et donnent ainsi le temps aux Vendéens de filer dans le Bocage.

Les soldats d'Anjou et du Haut-Poitou imputèrent la perte de la bataille à la division du centre, dite le camp de l'Oie. Royrand voulant grossir sa troupe, avait fait marcher quelques paroisses protestantes, entr'autres Moncoutant, qui, pour ne pas combattre contre leur gré, jetèrent leurs armes, en criant sauve qui peut. Charette aigri contre les chefs du Haut-Poitou, auxquels il imputa sa défaite, s'en sépara mécontent, et se rendit à Legé. Ce levain de haine fermenta et fat le germe des divisions funestes qui éclatèrent dans la confédération vendéenne.

La diversion de la Cathelinière ne fut pas plus heureuse du côté de Nantes. Avec deux mille hommes il attaqua le Io août le château d'Au, dont la prise eût fait tomber en son pouvoir la fonderie d'Indret : il y fut blessé et se retira. Sept cents républicains défendirent ce poste important, dont l'attaque tardive aurait dit précéder celle de Nantes.

Quant au général Tuncq, il dut cette mémorable victoire, dont ses ennemis cherchèrent à obscurcir l'éclat, aux effets prodigieux de sou artillerie volante, à ses sages dispositions secondées par l'intrépidité de ses troupes. Il est constant que neuf mille républicains battirent ce jour-là près de trente-cinq mille royalistes.

Tuncq accusa l'adjudant-général Canier qui commandait son camp de réserve, de n'avoir point donné, lui eût réitéré par écrit l'ordre de s'avancer au premier feu pour prendre l'ennemi en flanc, et lui couper la retraite par le pont Minclet. Si ce mouvement eût été exécuté avec précision, peu de Vendéens seraient échappés an fer des patriotes.

Les commissaires Bourdon de l'Oise et Goupilleau, en rendant compte à la Convention de cette bataille, réclamèrent contre la destitution du général victorieux. « Tuncq, dirent-ils, a trente-un ans de service, dont huit de soldat. Il s'honore d'être le fils d'un honnête tisserand. » La Convention, non seulement le réintégra, mais encore lui accorda le grade de divisionnaire.

Ce général voulut profiter de ses avantages ; il s'empara de Chantonay, ce qui l'éloignant des divisions de droite et de gauche, ne tarda pas à lui devenir funeste.

Dans le même temps le général Rey partait de Chinon avec 1.400 hommes pour s'emparer de Chollet, et y délivrer 3.000 prisonniers ; mais Stofflet s'étant trouvé en force en avant de cette ville, les républicains furent forcés de se replier.

Le général Rossignol ne vit dans tous ces mouvements partiels que l'effet de l'insubordination des généraux divisionnaires ; il les blâma, et leur ordonna de rentrer dans leurs positions respectives.

Cet ordre déplut à Tuncq, enhardi également par sa victoire et par l'appui des commissaires Bourdon et Goupilleau de Fontenay. Dès ce moment, le quartier-général de Chantonay se fit remarquer par son opposition. Goupilleau de Montaigu y rejoignit ses deux collègues, dont il partageait les sentiments. Les deux Goupilleau qui avaient leurs propriétés et leurs familles dans la Vendée, ne voyaient point sans inquiétude approcher le moment des mesures de destruction. Ils formèrent une ligue contre les décrets du 1er août, dont le parti de Saumur voulait l'exécution littérale. Dans cette vue, le général Rossignol, pour disposer toutes les colonnes à agir simultanément, et profiter du peu de temps qui devait précéder l'arrivée des troupes de Mayence et de Valenciennes, alla visiter les différentes divisions de l'armée.

Il trouva Saint-Maixent et Niort dégarnis, les contingents épars, ses ordres oubliés, et le divisionnaire Chalbos entraîné dans des mouvements irréguliers pour soutenir Tuncq, engagé trop inconsidérément sous les auspices de Bourdon et de Goupilleau.

Rendu à Chantonay accompagné du Conventionnel Bourbotte, le général Rossignol y fut méconnu. Il rompit le premier le silence, en demandant compte de la position de l'armée. « Je n'en sais rien, lui répond sèchement Goupilleau de Fontenay ; si vous êtes ici comme général en chef, je vous préviens que nous vous avons suspendu de vos fonctions. » Il lui remet à l'instant l'arrêté pris en conséquence. « Je ne sais qu'obéir aux autorités supérieures, répond le général après avoir lu l'arrêté ; je n'en servirai pas moins bien la république. » Une vive explication s'engagea. Rossignol protesta de son obéissance aux décrets de la Convention nationale. « Je ne reconnais point la Convention, s'écria Bourdon avec véhémence, dans les décrets rendus contre la Vendée ; ce sont des lois contre-révolutionnaires. Tout ce que le comité de salut public et le ministre de la guerre ont fait à cet égard, je le regarde comme nul. »

Rossignol se retira et partit aussitôt. Bourbotte, resté avec ses collègues, leur reprocha amèrement l'injustice de l'acte arbitraire qu'ils venaient d'exercer contre un général en chef. Ils n'en persistèrent pas moins, ajoutant qu'ils poignarderaient de leurs mains celui qui oserait mettre les décrets à exécution. Ils menacèrent Bourbotte lui-même de le faire transférer à la Rochelle sur les derrières de l'armée.

Bourbotte contint son indignation. Il quitta Chantonay et vint à Paris exposer au comité de salut public toutes les circonstances de cette affaire.

« Vous le voyez, dit-il ; un brave général qui veut exécuter les décrets que vous avez fait rendre, est suspendu par des représentants qui méconnaissent votre autorité.

« Vous en savez la cause. Rien n'est plus impolitique, pour des missions si délicates, que d'envoyer des commissaires dans leurs propres départements ; les considérations de localités l'emportent sur l'intérêt de la république.

« Des succès éphémères, ordinairement suivis de revers occasionnés par l'imprudence et l'aveuglement, ont ébloui des chefs et des représentants peu instruits du métier des armes.

« Les forces de l'armée sont partiellement engagées au risque d'être coupées. Vos ordres, ceux du ministre de la guerre, ceux du général en chef, sont méconnus, ainsi que les décrets de la Convention nationale.

« C'est à vous, c'est à la Convention à réprimer, dès son origine, ce nouveau germe de rébellion qui s'élève dans la Vendée. »

Le comité n'osa pas décider à huit clos contre un parti qui venait de vaincre ; il crut plus convenable d'en référer à la Convention elle-même.

Bourdon et Goupilleau l'avaient déjà prévenue de la suspension de Rossignol, qu'ils accusèrent de brigandage et d'ivrognerie.

Le 28 août, Rossignol se présente à la barre et prie la Convention d'examiner sa conduite.

Bourbotte monte à la tribune, et au nom de la majorité de ses collègues en mission dans la Vendée, il dénonce Bourdon et les deux Goupilleau, demande leur rappel, défend Rossignol, et réclame sa réintégration.

La Convention, d'abord partagée entre le parti de Luçon et celui de Saumur, fut entrai, née par Tallien qui défendit Rossignol avec chaleur : elle leva la suspension de ce général, et rappela Bourdon et Goupilleau.

Rossignol eut les honneurs de la séance ; il remercia l'assemblée, et jura que sous trois semaines les brigands seraient exterminés.

A peine cette-affaire était-elle terminée, que des dissensions plus graves et éminemment influentes sur les évènements subséquents, éclatèrent entre les commissaires et les généraux chargés de terminer la guerre civile.

Il est nécessaire, pour plus de clarté, que je fasse connaître quelle était, à cette époque, la situation des forces de la république dans la Vendée. On les divisait en deux armées distinctes, celle des côtes de la Rochelle commandée par le général Rossignol, celle des côtes de Brest sous les ordres du général Canclaux. Chacune de ces armées avait sa commission centrale de surveillance. Bouillotte, Ruelle, Richard et Choudieu surveillaient celle de Rossignol ; Gillet, Thurreau et Cavagnac celle de Caudaux. Ces commissions avaient des vues et des projets différents. L'amour propre, les rivalités, et beaucoup d'autres passions divisèrent des hommes qui tendaient au même but.

L'armée de Mayence arriva, les deux commissions centrales se la disputèrent. Au lieu d'assurer le triomphe de la république, cette année fut, pour ainsi dire., la cause des divisions les plus funestes.

Philippeaux, homme dévoré de l'amour de la liberté et de son pays, mais irritable et passionné, ramassa la pomme de discorde.

Envoyé, dès le mois de juin, dans les départements de l'Ouest, il avait éprouvé à la commission centrale de Saumur des désagréments personnels. Mieux accueilli par celle de Nantes, il embrassa ses intérêts, et défendit ses plans. Le général Caudaux et le commissaire Gillet lui démontrèrent sans peine que le système offensif pratiqué jusqu'alors était aussi détestable en théorie qu'il avait été funeste dans l'exécution ; qu'il fallait s'attendre à une suite de désastres tant qu'on attaquerait par les points supérieurs de la Vendée, tandis qu'en balayant les rives maritimes depuis Nantes jusqu'aux Sables-d'Olonne, le succès était infaillible. La jonction de la garnison de Mayence à l'armée des côtes de Brest était une conséquence de ce plan. Philippeaux l'adopta avec ardeur, et se chargea de le porter au comité de salut public pour avoir son adhésion. Il partit donc prévenu d'avance qu'il rencontrerait des obstacles dans la commission et l'état-major de Saumur. En effet, Choudieu attaqua vivement le projet de Philippeaux. Celui-ci s'irrita sans se décourager, et ayant rencontré auprès d'Orléans l'armée de Mayence commandée par le général Aubert-Dubayet, il lui communiqua son plan, ainsi qu'à Rewbell-et Merlin de Thionville, commissaires près cette armée, qui l'adoptèrent. Encouragé par leurs suffrages, Philippeaux vole à Paris, et le 12 août se présente au comité de salut public, auquel il fait son rapport.

Après avoir parlé du résultat de sa mission dans l'Ouest, de ses succès contre le fédéralisme, et du dénuement des Nantais, il continua en ces termes :

« J'ai tout observé dans la Vendée d'un œil attentif, avec la seule passion du salut public. Je vous dois le tribut de mes recherches sans nul ménagement comme sans faiblesse.

« Vos plans, citoyens collègues, ne sont point exécutés. Vous avez deux armées en présence des rebelles ; celle des côtes de Brest, peu nombreuse, n'a jamais été battue que par vingt contre un ; elle fait trembler l'ennemi ; mais ayant tous les jours quarante-huit postes à défendre, elle ne peut hasarder l'offensive.

« Si elle eût égalé de moitié celle de Saumur, la guerre serait finie ; mais cela contrarierait trop les calculs infâmes de ceux qui ont fait de cette guerre une mine d'or. Qu'est devenue l'armée de Saumur ? Elle était de 25 mille hommes à Martigné-Briand ; le désastre de Villiers l'a réduite à 10 mille. Je jette un voile sur tout ce qui s'est passé depuis. Les brigands n'ont pas commis plus d'atrocités contre les citoyens paisibles que nos propres soldats. Les chefs ont encouragé le pillage dont ils ont partagé l'exécrable produit. On reproche à celui de nos collègues qui gouverne la commission centrale de Saumur, d'avoir fermé les yeux sur toutes ces horreurs. C'est au milieu de ces éléments d'anarchie et de dissolution qu'on voudrait conduire l'armée de Mayence ; elle s'y perdrait infailliblement, et les dangers publics n'auraient plus de terme. »

Ici Philippeaux développe son projet.

« Citoyens collègues, ajouta-t-il, je réclame votre approbation, sans laquelle nous tomberions dans un chaos inextricable. Le mouvement des armées serait soumis à cinquante volontés divergentes ; il faut qu'il soit réglé par une puissance centrale et tutélaire. »

Le comité entraîné accorda son adhésion.

Muni d'un arrêté qui ordonnait à la garnison de Mayence de descendre à Nantes pour attaquer avec l'armée des côtes de Brest, Philippeaux crut avoir remporté une victoire sur ses ennemis personnels.

Richard et Choudieu adressèrent leurs réclamations au comité, et cherchèrent à attirer Rewbell et Merlin de Thionville dans leur parti.

« L'arrêté da comité, dirent-ils, a été surpris par Philippeaux qui ne voit que Nantes, et dont les notions sur la guerre de la Vendée sont très différentes des nôtres. Il serait dangereux de déférer sans examen à une telle décision. Le plan d'attaque générale ne doit être que le résultat d'une mûre délibération. »

Après de longs débats, Rewbell et Merlin souscrivirent à la proposition d'un conseil de guerre extraordinaire tenu à Saumur, et auquel seraient appelés tous les commissaires des trois armées pour déterminer un plan d'attaque irrévocable. Philippeaux refusa de signer, ne voyant dans cet incident qu'un moyen indirect de paralyser l'exécution de la décision du comité.

Dans l'intervalle, la garnison de Mayence se dirigeait toujours vers Nantes. Le parti de Saumur espérant l'emporter, entrava un instant sa marche. Philippeaux s'en plaignit amèrement.

« Des commissaires désorganisateurs soufflent dans cette armée le poison de l'indiscipline et de la révolte. Sachez, ajouta-t-il au général Dubayet, que le passage de Saumur est une Vendée non moins redoutable que celle où nous allons faire la guerre. »

Dubayet s'en tint aux ordres du comité, et continua sa marche.

La tenue d'un conseil de guerre ayant été approuvée, on en fit l'ouverture à Saumur le 2 septembre, Rewbell le présida ; Lachevardière, commissaire national, en fut le secrétaire. Les Conventionnels présents étaient Rewbell, Merlin de Thionville, Choudieu, Richard, Bourbotte, Tureau, Meaulle, Fayau, Philippeaux et Cavagnac.

Philippeaux voulait que les seuls commissaires de la Convention eussent voix délibérative ; ce qui lui assurait la majorité. Choudieu opposa la décision du comité de salut public, portant que les généraux commandants concourraient avec les commissaires à former le résultat. Il en conclut que non seulement les généraux en chef de chaque armée, mais même tous les divisionnaires commandants devaient partager avec les commissaires le droit de suffrage. Philippeaux s'éleva contre ce système qui, selon lui, rompait tout équilibre, en laissant à l'état-major de Saumur l'avantage du nombre. Ses adversaires le menacèrent d'invoquer l'exécution d'un décret positif qui défendait à tout représentant en mission de s'immiscer dans les opérations militaires. Philippeaux céda, et les généraux divisionnaires furent admis. Il n'y eut de militaires délibérants que les généraux en chef Caudaux, Rossignol et Dubayet ; les divisionnaires Duhaux, Dambarrère, Menou, Santerre, Chalbos, Salomon, Mieskousky et Rey.

Attaquera-t-on Mortagne par tantes ou Dieu par Saumur ? Tel était le sens de la question soumise au résultat de la délibération. La garnison de Mayence était réservée à l'armée attaquante : on convint que les opinions seraient motivées.

Former avec l'armée de Saumur un corps de réserve pour préserver les rives supérieures de la Loire de toute irruption, combiner l’armée de Mayence avec celle des côtes de Brest, s'emparer du pays de Retz, grenier d'abondance, interdire aux Vendéens toute communication avec la mer, opérer en deux jours la jonction de l'aile droite avec la division des Sables-d'Olonne ; maîtres de toute la ligne occidentale, ayant à droite et à gauche deux divisions invaincues, communiquer en vingt-quatre heures à celle de Niort, combiner avec promptitude tous les mouvements ultérieurs, cerner, écraser l'ennemi sur tous les points ; tel était le plan de Philippeaux.

« S'il est adopté, je réponds, dit-il, sur ma tête que cette guerre, qui alarme la république, ne durera pas un mois. »

Il insista sur les mêmes considérations qu'il avait fait valoir auprès du comité de salut public, rejeta le blâme sur les opérations de ses adversaires, et déclara que l'armée de Mayence était perdue, si l'on ne se hâtait de la séparer de celle de Saumur, entièrement désorganisée et constamment malheureuse.

« Si l'on objecte, ajouta Philippeaux ironiquement, la nullité de l'armée de Saumur abandonnée à ses seuls moyens, je réponds qu'elle fera beaucoup en ne faisant point de mal. »

Choudieu prit froidement la parole ; il s'étonna que son collègue se plût à déverser le fiel et la diffamation sur une armée qui, si elle avait connu des défaites, pouvait aussi compter des victoires. « Nous n'avons point combattu derrière des murailles ni à l'abri des retranchements, dit Choudieu ; la Loire n'a point existé pour nous. De nouvelles levées ont été constamment chercher l'ennemi pour s'essayer aux combats. Elle serait terminée, cette guerre, s'il y avait eu plus d'obéissance chez les uns, moins d'orgueil chez les autres, et surtout plus d'ensemble dans les opérations. En admettant le plan de Nantes, les forces se trouveront encore une fois disséminées, lorsque tant d'expériences funestes font une loi de les réunir. Au lieu de se livrer à des personnalités offensantes, il serait plus utile de consulter les localités, de combiner un plan d'attaque, non pour favoriser telle ville, telle armée, telle opinion, mais pour abattre d'un seul coup l'hydre de la Vendée. J'en appelle aux braves généraux qui m'écoutent : en attaquant par Saumur, il ne faudra que deux jours pour être sous Mortagne, et par Nantes il s'en écoulera quinze avant d'avoir atteint l'ennemi. On veut que l'armée de Saumur se tienne en état de défense active ; pourra-t-elle conserver un terrain ouvert sur plus de soixante-dix lieues d'étendue où l'ennemi entrera nécessairement si l'armée attaquante a des succès ? Pour qui connaît l'art de la guerre, il faut ôter à l’ennemi que l'on veut détruire tout moyen de retraite. A Nantes, la Loire fut une barrière, le sera-t-elle ailleurs ? Ce n'est Ili la passion, ni l'orgueil, qui m'animent, c'est la force de l'évidence et l'amour de la patrie. Si la majorité décide eu faveur de Philippeaux, je prédis que, des défaites sans nombre suivront cette fatal e résolution. »

Sur onze commissaires, sept votèrent pour le plan de Philippeaux, trois le combattirent. Bourbotte voyant que la passion et l'intrigue l'emportaient des deux côtés, refusa de voter. Sur onze généraux, Aubert-Dubayet, Canclaux et Mieskousky, commandant la division des Sables-d'Olonne, se rangèrent de l'avis de Philippeaux, sept de l'avis de Choudieu ; le onzième demeura indécis. Le partage absolu des voix ne donnant aucun résultat, le président décida que l'arrêté du comité de salut public serait maintenu, et qu'on attaquerait par Nantes. Il y eut de très vifs débats, de l'aigreur de part et d'autre. Santerre présenta un plan qui fut rejeté ; le général Menou combattit celui du général Caudaux. Ce ne fut ni d'après les principes de la guerre, ni d'après la position topographique de l'ennemi qu'on se décida. La vérité est que personne ne voulait être commandé par Rossignol. En butte à celte espèce de ligue, il s'honora par un trait d'abnégation et de dévouement, en proposant au général Canclaux de lui abandonner le commandement s'il voulait entrer en campagne dès le lendemain par Saumur.

On en avait décidé autrement. Ainsi, après tant de discussion et de débats, il fut irrévocablement arrêté[4] que l'armée des côtes de la Rochelle se tiendrait dans un état de défensive active, excepté la division des Sables-d'Olonne qui agirait offensivement jusqu'à sa jonction aux deux ailes de Nantes et de Luçon. La marche des autres divisions fut réglée de manière qu'en avançant toutes à la fois, à partir du 10 septembre, elles cerneraient l'ennemi par tous les points, et se trouveraient réunies le 16 autour de Mortagne, après avoir balayé devant elles tous les corps royalistes qui s'opposeraient à leurs progrès.

Cette marche du général Canclaux était parfaitement calculée ; mais, pour son entière exécution, il fallait supposer que l'armée ne trouverait aucun obstacle depuis Nantes jusqu'à Mortagne, ou qu'elle les surmonterait tous dans le temps déterminé.

L'évènement prouva le contraire. Si l'intérêt de la chose publique fut compromis dans ce conseil de guerre, d'un autre côté il en résulta un grand bien, celui de faire reconnaître généralement le danger des agressions partielles ; car le projet d'une attaque générale était déjà une preuve qu'on sentait la nécessité de changer de système.

 

 

 



[1] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° XIII.

[2] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° XIV.

[3] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° XV.

[4] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° XVI.