Attaque et défense
mémorable de Nantes. — Mort du généralissime Cathelineau. — Attaque de Luçon.
Trouée de Westermann ; défaite de ce général. Formation et organisation du
conseil supérieur. Régime intérieur de la Vendée.
AU CONFLUENT de trois rivières, Nantes placé
sur une colline presque continue de l'est à l'ouest, est arrosé au midi par
la Loire, dans laquelle l'Erdre se perd après avoir baigné la ville au nord.
Ses dehors fertiles et pittoresques présentent au sud des prairies immenses,
coupées par divers bras de la Loire, et couronnées de coteaux ornés de
maisons de campagne. Une population de 75 mille âmes, trois cents rues,
trente places publiques, dix-huit ponts, dont six d'île en île se prolongent
sur le fleuve ; cent cinquante navires rapportant les productions des deux
mondes, rendaient cette ville avant la révolution l'une des plus florissantes
de l'empire. Ceinte
autrefois de fortes murailles armées de dix-huit tours, mais ouverte
aujourd'hui de toutes parts, elle ne présentait aux Vendéens qu'une faible
contrevallation de près de deux lieues d'étendue. Ses fortifications se
réduisaient à quelques bouts de fossé, quelques parapets faits à la hâte, une
artillerie augmentée de quelques bouches à feu empruntées à la marine, mais
presque inutiles par le peu d'avantage des Positions. Avec de
si faibles moyens, les Nantais ne pouvaient guère espérer de résister à une
année formidable ; cependant cette armée ne put les intimider. On
croit, peut-être avec raison, que les destinées de la république étaient
alors attachées à la résistance de Nantes, et que cet évènement militaire est
l'un des plus importants de 'la révolution. Sous ce rapport, les détails
suivants, recueillis avec soin, méritent d'être connus. Le 24
juin, deux prisonniers nantais envoyés par d'Elbée en parlementaires remirent
à Baco, maire de cette ville, une sommation des chefs de l'armée catholique
et royale[1], portant que le drapeau blanc
serait arboré, la garnison désarmée par capitulation, les caisses publiques,
approvisionnements et munitions livrés sans délai ; en outre, que les députés
de la Convention eu mission à Nantes seraient remis comme otages. A ces
conditions, les chefs vendéens s'engageaient à préserver la ville de toute
invasion, de tout dommage, et la mettaient sous la sauvegarde et protection
spéciale de l'armée catholique. En cas de refus, ils menaçaient de la livrer
à une exécution militaire, et de passer la garnison au fil de l'épée. Les
corps administratifs, les chefs militaires, les commissaires de la
Convention, Merlin de Douai et Gilet, furent convoqués à l'instant. Après la
lecture de la sommation, il fut décidé qu'on se défendrait. Baco fit amener
devant lui les parlementaires, et leur dit : voici ma réponse : Nous périrons
tous ou la liberté triomphera. La sommation resta secrète pour ne pas grossir
le danger, eu jetant l'effroi parmi les lâches, et en donnant un nouvel
encouragement aux partisans des Vendéens. Les
commissaires de la Convention déclarèrent la ville en état de siège, et en
confièrent le commandement à Beysser, sous Canclaux, général en chef de
l'armée. Dans
une proclamation énergique, Beysser annonça que, dès ce moment, la police
sévère-des camps gouvernait la cité ; et mettant ensuite tous les Nantais en
réquisition permanente, il leur parla de leurs premiers élans pour ébranler
le trône et fonder la république ; il leur rappela leur serment pour la
conservation de la liberté ; il excita leur courage pour la défense de leurs
propriétés et de leurs richesses... « Mais, ajouta-t-il, si par l'effet de la
trahison ou de la fatalité cette place tombait au pouvoir de l'ennemi, je
jure qu'elle deviendra leur tombeau et le nôtre, et que nous donnerons à
l'univers un grand et terrible exemple de ce que peut inspirer à un peuple la
haine de la tyrannie et l'amour de la liberté. » Cette proclamation enflamma
le courage des républicains. Quoique la ville fût divisée en plusieurs
factions, et que les royalistes y eussent des partisans secrets, le danger en
ralliant les patriotes, fit que la masse se dévoua pour la résistance.
D'ailleurs l'impression des cruautés commises à Machecoult n'était point
effacée ; l'indignation encore dans les cœurs inspirait le désir de la
vengeance. Les
corps administratifs, la garde nationale et les sociétés populaires réunis
dans la cathédrale, firent serment de s'ensevelir sous les ruines de la cité,
plutôt que de la livrer aux insurgés : Les
républicains sociétaires firent un appel à ceux des départements voisins ; en
voici quelques traits : «
Levez-vous, fiers enfants de l'Armorique ! levez-vous, il n'est plus
temps de délibérer ; votre salut ou votre perte sont ici... sous nos
murailles. Accourez, les brigands ne délibèrent pas... Entendez, entendez les
cris de vos frères.... qu'ils soient pour vous le canon d'alarme ! ....
Frères, si l'on vous dit que des forces imposantes marchent à notre secours,
n'en croyez rien et partez ; si l'on vous parle de victoires remportées sur
les rebelles, n'en croyez rien et pressez encore plus vos pas... et si l'on
vous disait que Nantes capitule ou s'est rendu... ah ! frères et amis ! alors
surtout hâtez-vous, hâtez-vous d'accourir.... Venez, nous vaincrons ensemble
ou nous vous laisserons un exemple à suivre. « Descendants
des anciens Bretons dont Tacite disait qu'ils ne voulaient pas même que leurs
regards fussent souillés par l'aspect de l'esclavage, rappelez-vous la gloire
de vos ancêtres. Les Romains ne purent vous soumettre, et des esclaves vous
apportent le joug ! Baisserez-vous la tête ? Non, non : aux armes ! le
rendez-vous est à Nantes ; aux armes ! levez-vous tous, pressez la terre,
volez ! Ce n'est qu'en, nous levant en masse que nous sauverons la liberté. » Mais il
n'était plus temps d'appeler des secours éloignés ; 50 mille royalistes
étaient aux portes de Nantes. Cathelineau et d'Elbée, à la tête de 12 mille
hommes, se dirigeaient d'Ancenis sur la ville pour l'attaquer du côté du
nord. Bonchamp avec 4 mille Vendéens, s'avançait par la route de Paris pour
l'attaquer à l'est entre la Loire et l'Erdre. Les forces de la Basse-Vendée
qui serraient-Nantes au midi étaient plus imposantes, mais arrêtées par la
barrière de la Loire. Avec 10
mille hommes et douze pièces de canon, Lyrot de la Patouillère occupa la
croix Moriceaux. Charette, après avoir réuni toutes les divisions du
Bas-Poitou, campa dans les Landes du Ragon et aux Cléons pour attaquer par le
pont Rousseau. A
l'exception de quelques corps formés eu bataillons, composés de transfuges,
notamment de la légion germanique, imprudemment licenciée après l'échec de
Saumur pour cause d'incivisme ; à l'exception des compagnies bretonnes,
organisées par Bonchamp, l'armée catholique marchait sans ordre, quoique les
paysans fussent distingués par paroisses. Beaucoup de prêtres les suivaient,
dépouillés de leurs costumes ; mais on les reconnaissait facilement aux
marques de déférence qui leur étaient prodiguées. Ils s'efforçaient, par
leurs prières et leurs exhortations, d'arrêter la désertion et de prévenir
l'indiscipline. Les insurgés du Bocage ne manquaient aucune occasion de
rentrer dans la Vendée, qu'ils n'avaient pas revue depuis la prise de Saumur.
A défaut de solde régulière, cette masse se procurait çà et là dans les
routes, des subsistances, surtout quand le pain qui suivait dans les chariots
venait à Manquer. Pour attacher les Vendéens à leurs drapeaux, d'Elbée, sans
leur promettre le pillage de Nantes, leur faisait entrevoir un riche butin. Les
Nantais qui voyaient le danger sans en être abattus, n'avaient néanmoins dans
leurs murs que peu de troupes aguerries, et quelques bataillons de gardes
nationales ; au dehors, un camp assez faible dans la position de Saint-Georges,
sur la route de Paris ; le cent-neuvième régiment affaibli aux Antilles,
couvrant les chemins de Rennes et de Vannes ; le brave bataillon des Côtes du
Nord gardant la partie du pont Rousseau, qui est au-delà de la Sèvre. Immédiatement
après la proclamation d'état de siège, le général Canclaux fit doubler tous
les postes. Des barrières armées de canons fermèrent les issues de la ville ;
des batteries furent dressées à l'ouest, et des bateaux armés y stationnèrent
au milieu de la Loire. Près le château, à l'est, une batterie protégea
également le cours du fleuve et la partie occidentale de la prairie de
Mauves. Le 27,
d'Elbée attaqua le poste du bourg de Nort, pour de là tomber sur Nantes, et
prendre le camp de Saint-Georges à, revers. A cette nouvelle, le général
Canclaux accourut au camp pour faire partir un renfort qui ne put arriver
assez tôt. Nort n'était défendu que par le troisième bataillon de la
Loire-Inférieure. Cette poignée de braves commandés par Meuris, soutint
pendant douze heures le feu continuel de l'avant-garde des royalistes.
D'Elbée, découragé par la résistance qu'il éprouvait, et croyant avoir à
combattre une armée entière, allait ordonner la retraite, lorsqu'une femme
échappée de Nort vint lui assurer qu'il n'était défendu que par quatre cents
hommes. D'Elbée
attaqua de nouveau, et fit lui-même des prodiges. Réduits à cinquante hommes,
les républicains évacuèrent le poste, et emportèrent avec eux leurs drapeaux
; dix-sept de ces braves purent seulement rentrer à Nantes. Cette glorieuse
résistance, à laquelle d'Elbée ne s'était point attendu, retarda sa marche,
et donna le temps au général Caudaux de faire arriver un convoi de vingt-cinq
milliers de poudre et de six millions de cartouches, sans lequel il eût été
impossible de se défendre. Nort étant au pouvoir des royalistes, Canclaux eut
dès ce moment de l'inquiétude sur sa position, qui ne couvrait plus les
routes de Rennes et de Vannes. Il eût été imprudent d'attendre l'en nervi
dans le camp de Saint-Georges, les ouvrages n'y étant point encore achevés ;
son flanc gauche était à découvert, et d'ailleurs Bonchamp avançait par la
route d'Ancenis. Maître de celles de Vannes et de Rennes, d'Elbée pouvait
soulever le pays, y vivre à discrétion, et renforcer son armée. Il ne fallait
donc plus penser qu'à la seule défense de Nantes. La levée du camp fut
décidée, et, pour voiler son mouvement aux yeux des royalistes, le général
Canclaux ordonna à l'avant-garde de tenir en cas d'attaque, ce qui eut lieu
en effet. Pendant ce temps le camp se levait, les équipages, le parc
d'artillerie filaient vers la ville dans /e silence et sans précipitation.
Bientôt les demi-brigades suivirent ; les unes occupèrent les postes qui leur
étaient assignés dans l'intérieur, d'autres bivouaquèrent au dehors près des
barrières. A onze heures et demie toute l'armée était à son poste : les
généraux tinrent conseil de guerre. Le général Bonvoust, commandant l'artillerie,
déclara qu'il ne pouvait répondre d'une place ouverte de toutes parts, ayant
deux lieues de circonférence, sans fortifications. Le général Caudaux et les
commissaires Merlin et Gilet, voyant l'appareil formidable que déployait
l'ennemi, se rangèrent de l'opinion du général Bonvoust, et mirent
l'évacuation de la ville en délibération. Mais les autorités constituées, les
députations de la garde nationale et des sociétés populaires réunies, et
surtout Beysser, votèrent avec fermeté pour la défense de la ville. Elle fut
donc décidée, et chacun courut à son poste en attendant le jour. Charette
instruit de la marche et des succès de d'Elbée, avait fait ses dispositions
pour l'attaque du pont Rousseau. Un détachement de sa cavalerie était venu
insulter les avant-postes. Beysser, supposant que ce côté allait devenir le
point principal de l'attaque, avait fait évacuer la partie du faubourg,
au-delà de la Sèvre. Le bataillon des Côtes du Nord, qui avait protégé la
retraite des habitants, eut aussi l'ordre de rentrer. Il
régnait un silence profond dans le tort intervalle qui sépare la nuit et le
jour. Les patriotes accablés se livraient au repos ; la garde seule veillait.
Tout à coup l'artillerie de Charette commence son feu : le bruit redoublé du
canon, le son des instruments guerriers appellent les Nantais au combat :
l'ennemi s'avance. Les divisions du Bas-Poitou se déploient au-delà de la
Loire, sur tous les points accessibles de la rive gauche, pour les attaquer à
la fois ; mais quoique bien servie, l'artillerie de Charette ne cause que peu
de dommage ; celle des républicains ménageant son feu est tellement bien
dirigée, qu'elle abat trois fois le drapeau blanc qui flottait au-delà de la
Sèvre. Cette
attaque de Charette n'était qu'une diversion, la principale, dirigée par
Cathelineau et d'Elbée, commença sur les routes de Rennes et de Vannes. Au
premier coup de canon tiré de ce côté, la générale bat dans tous les
quartiers de la ville, chacun prend les armes et se séparant de cc qu'il a de
plus cher, vole sur la place publique couverte de bataillons nombreux. Le'
canon gronde, ses coups redoublés précipitent la marche de 12 mille
défenseurs, dont la moitié appartient à la garde nationale. On distingue
surtout la belle légion nantaise, exposée au premier feu aux portes de Vannes
et de Rennes. Avant quatre heures du matin, le bataillon des vétérans
nationaux est sur pied. « Citoyens vétérans ; leur dit le commandant, ce
jour va couvrir les Nantais de gloire, ou d'une honte éternelle ; persuadés
de leur courage et de leur énergie, jurons tous de ne point parler de
capitulation, et de mourir plutôt que de nous rendre aux rebelles. » Tous
s'écrient : je le jure, vive la république ! Déjà
l'avant-garde de Cathelineau traînant 3 pièces de canon et deux pierriers,
avait sommé le faubourg du Marchix, tandis que d'Elbée renforcé par 500
Bretons, se jetait sur les chemins de Vannes et de Rennes. Le cent neuvième
régiment, trop faible pour résister à tant de forces, se hâte de rentrer dans
les barrières ; alors d'Elbée ne trouvant plus d'obstacle, s'avance à
demi-portée du canon. Ses phalanges présentèrent un front menaçant ; des
files prolongées s'emparent des hauteurs de la grande route et des champs qui
l'avoisinent. Cathelineau place sur sa gauche un corps nombreux qui répand
sur la route de Vannes, dans les chemins adjacents, des détachements
considérables. Une multitude de tirailleurs s'engagent dans des routes
couvertes ; à la faveur des blés et des haies, ils pénètrent dans les vergers
et les jardins qui entourent la ville, et s'emparent de diverses maisons d'où
ils foudroient les républicains. A 8
heures, l'artillerie de d'Elbée tire à demi-portée de la hauteur de Barbin,
dont la batterie riposte avec vivacité. Le bataillon nantais de Saint-Nicolas
y soutient le feu courageusement. Un canon placé près la porte de Rennes,
ayant été démonté par les royalistes, les canonniers républicains qui
servaient la batterie, périrent presque tous ; c'était un spectacle horrible.
On voyait la terre couverte de membres déchirés et séparés de 'leurs corps.
Les morts étaient à l'instant remplacés. L'avant-garde
de Bonchamp, à peine arrivée par la route de Paris, foudroya les avant-postes
du faubourg Saint-Clément. Fleuri° t de la Fleuriaye aîné, qui la commandait,
encourageait les Vendéens par son exemple. Lyrot
attaquait en même-temps le poste de Saint-Jacques, défendu par
l'adjudant-général Boisguillon qui, malgré le nombre des assaillants et le
feu continuel de l'artillerie, les contint pendant toute l'action. Sur ce
point, la seule garde nationale nantaise fut opposée aux forces de Charette
et de Lyrot-la-Patouillère. Plus hardis, les soldats de ce dernier passèrent
la Loire sur des bateaux du côté de Richebourg, couvrirent les prés de
Mauves, et ripostèrent avec avantage au feu des républicains. Nantes
était assailli sur sept points principaux, par le feu continuel du canon et
de la mousqueterie ; cependant l'ordre et la discipline ne cessaient d'y
régner. Le général Caudaux se tint à la porte de Rennes, poste le plus
dangereux. Beysser parcourant tous les points animait le soldat. Jeune,
bouillant, bel homme de guerre, monté sur un cheval superbe que couvrait une
peau de tigre, on l'aurait pris plutôt pour un dictateur que pour un général
subalterne ; son éclat contrastait avec la modestie et la simplicité du
général en chef. A 10 heures, l'attaque devint des plus vives aux portes de
Paris et de Rennes. La cavalerie des républicains chargea et repoussa les
assaillants, Fleuriot de la Fleuriaye ordonne aux compagnies bretonnes de
Bonchamp, d'avancer au pas de charge et marche à leur tête : un coup de feu
l'étend aux pieds de ses soldats. De leur
côté, Cathelineau, d'Elbée et Talmont font des prodiges de valeur ; ils
parcourent les rangs et parviennent à ramener au combat, leurs bataillons
dont les canons sont démontés. A l'aspect des Nantais, les royalistes excités
par la voix de leurs chefs et de leurs prêtres, resserrent leurs rangs et
redoublent leur feu qui devient meurtrier. Celui des républicains, plus
habilement dirigé, ne porte que des coups réglés, sûrs, qui brisent les
caissons des Vendéens et renversent leurs meilleurs pointeurs. Les royalistes
reculent, la rage les ramène, le combat se soutient, et la mort vole dans
tous les rangs. Des tourbillons de poussière et de fumée enveloppent les
combattants, dont le sang baigne la terre jonchée de cadavres ; des voix
menaçantes se joignent aux coups redoublés d'une nombreuse artillerie ; des
cris de fureur se mêlent aux derniers soupirs des mourants ; les hôpitaux
s'encombrent de blessés ; le plus affreux tumulte remplit la ville ; ce
combat meurtrier se prolonge et malgré les pertes des deux partis, la
victoire reste indécise. L'ardent Cathelineau veut enlever la batterie de la
porte de Rennes et pénétrer de ce côté. Il donne le signal de la charge et
s'élance à cheval à la tête des siens. Les plus braves pénètrent même jusqu'à
la place Viarme, mais une balle habilement dirigée atteint Cathelineau d'un
coup mortel. Il tombe ; les Vendéens consternés le relèvent, le pressent,
déplorent la perte de leur généralissime, et l'emportent derrière leurs
rangs. Le découragement s'empare de tous les cœurs ; ils n'ont plus l'espoir
de vaincre, Cathelineau n'est plus à leur tête. En vain d'Elbée cherche à les
rallier et à ranimer leur courage ; il n'est plus en son pouvoir de les
ramener aux combats. Forcé
d'abandonner l'attaque et d'ordonner la retraite, d'Elbée laisse sur le
chemin de Rennes, une pièce de canon et un caisson brisé. Il n'est point
poursuivi. Bonchamp fait aussitôt les mêmes dispositions, en continuant son
feu par intervalle pour couvrir sa marche. Charette ne ralentit point le
sien, et sa diversion quoique impuissante, favorise néanmoins la retraite de
l'armée d'Anjou. Le jour était fini, le feu durait encore, mais enfin
l'obscurité de la nuit força les combattants au repos. Au
point du jour, la canonnade recommença vers le pont Rousseau et au poste de
Saint-Jacques. Beysser ordonna une sortie, dans laquelle les soldats de
Charette furent repoussés. Peu à peu toutes les troupes du Bas-Poitou
s'éloignèrent, et les Vendéens regagnèrent leurs foyers pour y goûter un
repos qui pût leur donner les moyens de revoler à de nouveaux combats. Les
rapports officiels évaluèrent la perte des Nantais à 150 hommes et 200
blessés ; des renseignements plus sûrs, l'élèvent à 2 mille sur la totalité
de la garnison. Elle doit être imputée en partie au zèle trop ardent des
volontaires. La hauteur des blés, l'épaisseur des haies ne permettant pas
toujours de se reconnaître, il y eut de fatales méprises ; aucun officier
supérieur ne fut cependant atteint. Le maire Baco se distingua par son
énergie et son courage ; il reçut à la tête de la garde nationale un coup de
feu. Tout le
temps que dura le combat, l'ordre et le silence le plus profond régnèrent
dans l'enceinte des postes ; et tandis que la ville était foudroyée par une
artillerie formidable, tandis que les gémissements des mourants et des
blessés, ajoutaient encore à l'horreur de cette journée, on voyait les
patrouilles des vétérans, relever les postes avec l'intrépidité la plus
calme. Les femmes mêmes oublièrent jusqu'à la faiblesse de leur sexe ; dévorant
leurs alarmes, elles prodiguèrent sans relâche des soins aux blessés et aux
mourants. Il y eut des traits particuliers de bravoure et de désintéressement
qui méritent d'être cités. Gombart,
vicaire de la paroisse de Sainte-Croix, et grenadier du sixième bataillon de
la première légion nantaise, voyant un père de famille trop exposé : «
retire-toi, lui dit-il, c'est à moi d'occuper ce poste » : il prend sa
place, et reçoit aussitôt un coup mortel. Désiré
Dubreuil, sergent au onzième bataillon de Seine et Oise, atteint un chef vendéen au moment où celui-ci le couche en joue : il
le pourfend, lui prend son fusil, son chapeau orné d'une bande de gaze blanche et
d'un chapelet, laissant prendre à d'autres 50 louis dans la poche de son
ennemi, sans même vouloir en accepter la moitié. Les balles
qui servirent aux républicains pour repousser les royalistes furent faites
avec du plomb tiré des tombeaux des nobles et des prélats nantais. La
perte des Vendéens, impossible à évaluer, fut plus considérable encore que
celle des patriotes. Beysser la porta à 9 mille, ce qui parait exagéré. On dut
le salut de Nantes an sang-froid du général Canclaux, au courage de Beysser
et à l'activité du général Bonvoust qui dirigeait l'artillerie ; on le dut
surtout à l'intrépidité des volontaires et de la légion nantaise. Nantes,
sans fortifications, n'eut que leur courage à opposer aux moyens d'attaque
multipliés des royalistes. Les événements qui auraient suivi son invasion
sont incalculables. C'eût été le signal du soulèvement général de la
Bretagne, de la perte de tous les points conservés à l'embouchure de la
Loire. Le Château d'Au, Paimbœuf, le magnifique établissement d'Indret, tous
les postes situés sur la cote depuis la Loire jusqu'aux Sables, les des Bouin
et Noirmoutiers seraient tombés nécessairement au pouvoir des royalistes. S'il y
eut de l'ordre, de l'accord, de l’ensemble dans la défense, jamais attaque ne
fut plus mal combinée, plus mal dirigée. Tous
les corps vendéens devaient donner simultanément le 29 au point du jour. Le
retard de la prise du bourg de tort, que d'Elbée aurait cli\ prévoir,
dérangea cette combinaison-Les chefs comptèrent trop sur les intelligences
qu'ils avaient à Nantes. Que pouvaient quelques amis timides contre tant
d'ennemis courageux ? Bonchamp et d'Elbée avaient d'ailleurs trop peu de
inonde, vu la désertion des insurgés. Enfin, le plan d'attaque était
essentiellement vicieux. Au lieu de laisser toutes les forces de la Basse-Vendée,
presque inactives au-delà de la Loire, un simple corps d'observation aurait
suffi pour simuler la fausse attaque. Alors i5 à 20 mille hommes auraient pu
joindre Bonchamp sur la route d'Ancenis, et sous la conduite de ce chef
expérimenté, attaquer en force à l'est et à l'ouest, profitant des inégalités
du terrain : alors Nantes une fois envahi, et les royalistes arrivés à ce
degré de puissance et de gloire, auraient pu espérer de rétablir en France
l'ancienne monarchie. Si
Nantes ne fut point leur tombeau, c'est là que vint échouer leur puissance. Le
généralissime Cathelineau, blessé à mort, transporté à Ancenis en voiture,
puis en bateau à Saint-Florent, sur la Loire, mourut dans cette ville, douze
jours après. Il y fut inhumé avec pompe. Cet homme, qui mérita une élévation
si extraordinaire, quoique dépourvu d'éducation, possédait un sang-froid, une
tactique naturelle, qui en auraient fait un grand capitaine si la mort ne
l'eût arrêté. Les
armées de Bonchamp et de d'Elbée repassèrent en totalité sur la rive gauche,
et furent momentanément licenciées, en attendant un appel nouveau pour
réparer l'échec de Nantes. Après avoir célébré leur triomphe, les Nantais
reçurent un témoignage de la reconnaissance publique : la Convention
nationale décréta qu'ils avaient bien mérité de la patrie. Le
général Caudaux dirigea une partie de ses forces sur Ancenis, que les
Vendéens avaient évacué, après y avoir établi un comité provisoire. Le 7
juillet il occupa cette place, et rétablit les communications entre Angers et
Nantes, entre son armée et celle du général Menou, qui, après s'être ralliée
à Tours, était rentrée à Saumur dès le 30 juin. Tels
sont les événements relatifs à l'attaque et à la défense de Nantes. Je me
suis appesanti sur les détails pour rendre aux braves Nantais l'hommage dû à
leur dévouement. A leur
rentrée dans Saumur, les commissaires de la Convention déployèrent une grande
sévérité. Un comité de surveillance rechercha les soldats transfuges et les
habitants qui s'étaient déclarés pour les royalistes. Le jeune Montboissier
fut arrêté et fusillé comme espion : Boisbernier, ancien noble, et maire
d'Angers, fut traduit au tribunal révolutionnaire comme ayant arboré la
cocarde blanche. Conduit à l'échafaud„ il montra beaucoup de fermeté, et sa
figure mâle et à caractère, fit dire au peuple que c'était le chef des
rebelles. A Tours, le marquis du Sanglier fut aussi condamné à mort comme
étant d'intelligence avec les Vendéens. La Convention nationale, irritée de
la défaite de Saumur, de l'invasion d'Angers et, de l'attaque de Nantes, décréta,
le 6 juillet, que les membres des comités rebelles, les prêtres et les nobles
marchant sous leurs bannières, seraient assimilés aux chefs, et comme tels
soumis à la peine capitale. Au
moment même mi la presque totalité des forces vendéennes s'emparaient de
Saumur, occupaient Angers et attaquaient Nantes, Royrand, commandant l'armée
du centre, et Baudry, tenaient en échec l'armée de Niort et la division de
Luçon. D'un
autre côté, Beaurepaire qui avait formé une division insurrectionnelle près
les Herbiers, venait de marcher sur Hermenault, où. il était entré sans
opposition. Les habitants ne penchaient nullement pour le parti royaliste. En
général, le midi de la Vendée, ancien foyer d'un protestantisme opiniâtre,
résistait à l'insurrection. Maître d'Hermenault, Beaurepaire envoya quelques
cavaliers à la découverte du côté de Pouillé. Ils rentrèrent bientôt vivement
poursuivis par les hussards républicains. Les habitants d'Hermenault
profitèrent de cette escarmouche pour répandre l'alarme. En un moment, toute
la division de Beaurepaire fut entraînée. Les plus lâches jetaient leurs
armes ; quelques coups de fusils augmentèrent l'épouvante. Beaurepaire
lui-même fut forcé de prendre la route du Bocage, où il parvint enfin à
rallier sa troupe. L'adjudant-général Sandoz qui commandait les républicains,
entra dans Hermenault ; mais craignant un piège, il n'osa pénétrer plus
avant, et revint même à Luçon. Pour effacer l'impression produite par sa
honteuse retraite, Beaurepaire marcha de suite sur Tiré et Saint-Étienne, où
il fut plus heureux. Rien ne s'opposa à ses progrès. Il enleva des provisions
et plusieurs attelages de mules d'un grand prix, avec lesquelles il rentra
dans le pays insurgé, pour suivre la direction de la grande année catholique.
En même temps, Royrand, pour faire diversion à l'attaque de Nantes, se porta
sur Chantonay, où il rassembla toutes ses divisions commandées par Baudry-d'Asson,
Bejari, Sapinaud-Laverie, Verteuil et de Hargnes. S'étant présenté devant
Luçon le 28 juin, il n'était qu'à deux cents toises des portes, lorsque les
républicains se mirent eu bataille : la canonnade commença des deux côtés.
Les royalistes, au nombre de huit mille, se déployèrent pour envelopper les
républicains qui n'étaient que douze cents. Alors Sandoz ordonna la retraite,
et se retira avec un bataillon de la Charente. Les chefs de ses deux ailes
n'ayant pas reçu ses ordonnances, restèrent sur le champ de bataille, et
soutinrent le choc de l'ennemi. Plusieurs prisonniers et déserteurs du
régiment de Provence que Royrand avait mis en première ligue, voyant les
républicains, firent volte-face, et se rangèrent sous leurs anciens drapeaux.
Cette défection jeta le désordre parmi les royalistes. Le Comte, chef du
bataillon le Vengeur, en profita : il commandait la gauche. Après avoir fait
des prodiges de valeur, il enfonça l'ennemi avec une poignée de braves, et le
poursuivit longtemps. Cette fois, les royalistes laissèrent quatre cents
morts, cent vingt prisonniers, mi canon et un caisson. Sandoz,
dénoncé à la Convention pour avoir abandonné l'armée au moment du combat, fut
mis en arrestation et en jugement. Un conseil de guerre extraordinaire
l'ayant acquitté, il reprit le commandement, qu'il remit presque aussitôt au
général Tuncq ; mais les soldats se mutinèrent, et voulant conserver Sandoz,
refusèrent de reconnaître Tuncq pour général. Sandoz contribua lui-même à les
faire rentrer dans l'ordre. Des
événements plus décisifs se préparaient eu même temps du côté de Niort. Un
général qui se rendit célèbre depuis, allait pénétrer le premier au cœur de
la Vendée. On a vu qu'après la défaite de Saumur, un commissaire de la
Convention s'était transporté auprès du générai Biron, stationnaire à Niort,
pour le presser de faire une diversion capable d'arrêter les progrès des
royalistes vers la Loire. D'après
l'ordre donné par le général Biron à Westermann, ce dernier posté à Saint-Maixent
avec l'avant-garde, fait un mouvement sur Parthenay. Lescure sort de Clisson
pour voler au secours de Parthenay, avec six mille hommes rassemblés à la
hâte. Le 20 juin, Westermann par une marche forcée arrive à deux heures du
matin aux portes de la ville, avec douze cents hommes. Il égorge les
avant-postes, enfonce les portes à coups de canon, et pénètre avec son
infanterie au pas de charge. Un prêtre vendéen allait mettre le feu au ca,
non, à l'instant même un officier républicain l'abat d'un coup de sabre.
Lescure surpris résiste faiblement, ses soldats l'abandonnent, lui-même ne
doit son salut qu'à l'obscurité qui le dérobe aux poursuites des
républicains, et aux coups d'un gendarme qui le manque à bout portant.
Laville-Beauqé également poursuivi, traverse la rivière à la nage, une
décharge de mousqueterie tue son cheval et lui perce la jambe. Il eût péri
sans les secours d'un meunier de la rive opposée. Westermann
n'osant point s'engager dans le pays insurgé, retourne à Saint-Maixent.
Lescure rentre à Parthenay et livre la ville au pillage, en haine des
habitants qui, par affection pour le parti républicain, avaient favorisé
Westermann. Ce général, qui avait trouvé quelques renforts à Saint-Maixent,
s'avance de nouveau avec 3 mille hommes sur Parthenay que lui abandonne Lescure. L'ardent
Westermann ne lui donne pas le temps de rassembler ses soldats découragés et
les moins braves de la Vendée. Il lui prend Amaillou, le premier juillet,
après une faible résistance ; fait saisir quatre membres d'un comité
royaliste, livre la ville au pillage, fait distribuer aux patriotes de
Parthenay une part du butin, ne quitte Amaillou qu'après l'avoir fait
incendier, se porte sur Clisson, s'empare du château de Lescure, le fait
piller et réduire en cendres. Lescure qui du haut du clocher de-Bressuire
voit embraser son château, crie à la vengeance, et fait sonner le tocsin de
toutes parts. A peine peut-il rassembler 6 mille paysans mal armés, et 4
pièces de canon. Mais La Rochejacquelein forcé déjà de quitter Saumur, où ses
soldats l'abandonnaient pour rentrer dans la Vendée, réunit aussitôt les
insurgés de son arrondissement, et vole au secours de Lescure. Ce dernier
venait d'évacuer Bressuire pour défendre Chatillon. Westermann le poursuit et
s'empare de Bressuire. Le 3 juillet, il trouve Lescure et La Rochejacquelein
en position, ayant leurs canons sur la hauteur du Moulin aux Chèvres,
à 2 lieues de Chatillon. Le téméraire Westermann, sans consulter le nombre,
ordonne l'attaque. Après deux heures d'une lutte sanglante, il s'empare des
hauteurs et des canons. Les Vendéens fuient ; plusieurs fois Lescure et La
Rochejacquelein à force d'efforts et de courage, parviennent à les rallier,
mais leurs meilleurs officiers sont hors de combat : une balle frappe à la
tête l'adjudant-général Richard-Duplessis et lui crève un œil ; un coup de
canon emporte un bras à la Bigotière. Le fougueux Westermann se jette à la
tête de sa cavalerie dans les rangs vendéens et y porte le désordre et la
mort. Rien ne peut l'arrêter ; il franchit un retranchement et une chaussée
qui avait été coupée en avant de Chatillon. A 5 heures du soir, il entre au
pas de charge dans cette ville, où siégeait depuis peu le conseil supérieur.
Il se rend maître de ses archives, de son imprimerie, délivre un grand nombre
de prisonniers républicains et s'empare de magasins immenses. Les vaincus
emmenèrent leur artillerie et se rallièrent à Mortagne et à Chollet. Après
avoir fait incendier le château de La Rochejacquelein, à Saint Aubin de
Beaubigné, Westermann prit position sur les mêmes hauteurs qu'il venait
d'enlever si glorieusement. Il espérait y recevoir les renforts qu'il
attendait ; mais il ne fut joint le 5 juillet que par 2 mille gardes nationales
de Saint-Maixent et de Parthenay qu'il n'eut pas le temps d'organiser. « Il
est essentiel, écrivit-il à Biron, que vous marchiez aussi vers les rebelles
pour empêcher que toute leur masse ne se porte » sur moi. » En effet,
vivement pressé par un ennemi infatigable, Lescure avait expédié courrier sur
courrier à d'Elbée pour réclamer des secours. Bonchamp arrive le premier avec
sa division et propose d'attaquer sur le champ. La Rochejacquelein et Lescure
n'hésitent point ils avaient à venger la dévastation de leurs propriétés.
Westermann qui méditait de nouvelles conquêtes, méprisa les rapports de ses
espions. Surpris au milieu des ténèbres, son bataillon d'avant-garde prit la
fuite et abandonna ses fusils en faisceau. Cette lâcheté favorisa l'approche
de l'ennemi. Cependant, deux décharges à mitraille ayant fait reculer les
soldats de La Rochejacquelein, Bonchamp ordonna aux siens de se glisser
ventre à terre à portée du fusil, et de tuer les canonniers républicains à
leurs pièces ; ce qui fut exécuté avec un grand courage. Un canonnier
patriote voyant la défaite de l’armée, se fit sauter en se mettant à la
bouche d'un canon. Vainement Westermann conserva son audace ; abandonné de
ses soldats, n'ayant plus d'artillerie, ses efforts furent inutiles. Furieux,
il tourna la bride de son cheval, et se sauva en fugitif de ce même
territoire où la veille il était entré en vainqueur. Canons, armes, munitions,
bagages, tout devint la proie des royalistes. Les deux tiers de l'armée
vaincue, restèrent sur le champ de bataille ou mirent bas les armes ; le
reste se rallia péniblement à Parthenay. Telle fut l'issue d'une entreprise
formée contre toutes les lois de la prudence. Ne consultant que son audace,
Westermann avait conçu l'espérance d'anéantir la Vendée. La prise de Chatillon
avait enflé ses prétentions et exalté toutes les têtes. C'était à qui
entrerait le plutôt dans le pays révolté. Les autres généraux craignaient
déjà que Westermann n'eût tout soumis, et ne leur ôtât la gloire et les récompenses
destinées aux vainqueurs. Toutes ces illusions furent dissipées en un
instant. Accusé de trahison, Westermann fut mandé à la barre de la Convention
nationale où sa conduite fut discutée. Selon ses accusateurs, nul n'était à
son poste ; ses bataillons étaient dispersés, aucune garde avancée n'avait
reconnu l'ennemi, personne n'avait donné l'alarme, l'artillerie était placée
dans un enfoncement, et si presque toute l'infanterie avait été égorgée dans
sa fuite, c'était faute d'avoir été protégée par la cavalerie perfidement
disposée en avant-garde. Selon Westermann, tout avait été prévu, préparé ; sa
déroute, il l'attribua à la négligence, à la fuite précipitée des volontaires
chargés de la garde de l'artillerie. Il les accusa d'avoir crié vive le
roi ! vice Louis XVII ! Il signala comme traître un de ses lieutenants
colonels, le jeune Decaire, ancien page du comte d'Artois, qui, d'après
Westermann, avait disparu la veille de l'attaque, et s'était rendu auprès de
La Rochejacquelein et de Lescure pour leur faire connaître la force et la
position des républicains. Où était %Yes-lb-man au moment de l'attaque ? il
donnait l'ordre de service, fixait les distributions. S'il a été entraîné,
c'est parce qu'on ne lui a point obéi. La
Convention ne voyant point de traces de trahison dans la conduite de ce général,
le renvoya devant les tribunaux de l'armée, et le lieutenant-colonel Decaire
devant le tribunal criminel révolutionnaire. Traduit à Niort, Westermann fut
acquitté et renvoyé de suite à son poste. Il a
écrit lui-même sa défense ; elle porte le cachet de la présomption. Il
prétendit avoir reçu de Biron l'ordre de marcher au secours de Nantes.
Comment son général aurait-il pu lui ordonner de marcher avec 3 mille hommes
au secours d'une ville cernée par 40 mille royalistes ? C'est d'ailleurs le
29 juin qu'eut lieu l'attaque de Nantes, et ce n'est que le premier juillet
que Westermann sortit de Parthenay, qui en est à quarante lieues, pour
chercher l'ennemi. Biron
ne fut point exempt de blâme. On lui reprocha d'être resté dans l'inaction
avec 16 mille hommes, au lieu de soutenir son avant-garde engagée à vingt
lieues de Niort. Au
reste, la diversion de Westermann set', vit les républicains, en leur
montrant le chemin de Châtillon, devenu le siège du conseil supérieur de la
Vendée. Ce
conseil, formé après la prise de Saumur, époque où les Vendéens étaient à
l'apogée de leur puissance, fut l'ouvrage de quelques prêtres ambitieux, de
citadins étrangers au métier des armes, et de chefs tels que d'Elbée, qui
voulaient un marchepied pour arriver au premier rang. Il
était composé de la manière suivante : Gabriel Guillot de Folleville, se disant évêque
d'Agra, président. Michel Desessart, des environs de Bressuire,
vice-président. Bernier, curé de Saint-Laud, d'Angers. Bodi, avocat à Angers. Michelin, homme de loi à Chantoceau. Bousiller-Deshomelles, de Mortagne. De Larochefoucault, doyen de... Lemaignan, gentilhomme poitevin. Paillon, sénéchal de Laflocellière. Lenoir de Pas-de-Loup, ex-officier des carabiniers,
de Saumur. Thomas de Saint-Philibert, de Grand-Lieu. Duplessis, avocat à la Roche-Sauveur. Gendron, du port Saint-Père. Coudraye, notaire à Châtillon. Brin, doyen de Saint Laurent-sur-Sèvre. Bourasseau, de la Renollière. Lyrot, de la Patouillère. De la Roberie. Carrière, avocat à Fontenay-le-Comte, procureur-général
du roi. P. Jagault, de Thouars, secrétaire-général
bénédictin. Barré de Saint-Florent, secrétaire-général du
bureau des dépêches. Une
semblable institution ne pouvait être composée que d'éléments hétérogènes. Il
eut été plus sage de ne point l'établir. La Vendée n'aurait pas dû cesser de
se gouverner militairement ; mais les partisans du conseil ne manquèrent pas
de prétextes. Ils alléguèrent la nécessité d'une administration supérieure
pour régulariser la marche politique, et empêcher tant d'intérêts divers de
s'isoler, de se croiser et de nuire par des prétentions individuelles à
l'ensemble des opérations. Au lieu d'atteindre ce but, on ne fit que la part
des petites ambitions. Une grande dictature pouvait seule sauver la Vendée.
Le titre de généralissime aurait suffi peut-être, s'il n'eût été envahi par
l'intrigue, et s'il eût été conféré à un grand capitaine par le vœu général.
Cathelineau n'avait eu qu'une puissance nominale. A sa mort, d'Elbée qui
l'avait dirigé, brigua ouvertement le généralat. Par ses
vertus et ses talents, Bonchamp y avait aussi des droits. Il y était porté
par des amis puissants ; mais sa modestie, son amour pour le bien général
prévalurent ; maître de se faire nommer, il fit voter ses propres officiers
en faveur de son ambitieux rival, pour éviter de nouvelles dissensions. Trop
généreux dévouement ! Cette fatale renonciation fit peut-être sacrifier
l'intérêt de tous à l'ambition d'un Seul. Ce fut à Châtillon, vers le 15
juillet, que les chefs vendéens nommèrent d'Elbée généralissime. Tous furent
convoqués, Charette seul ne s'y trouva pas, et n'envoya point de commissaire.
Le conseil supérieur, depuis six semaines en exercice, ne réunissait que
l'autorité administrative et judiciaire. Les actes qui en émanaient se
faisaient au nom de Louis XVII ; les anciennes lois substituées aux
nouvelles, conservaient à la Vendée les formes monarchiques. Pour nourrir
chez le Vendéen la haine de la république, l'attachement à la religion et à
la royauté, le conseil supérieur faisait de fréquentes proclamations. Il
avait soin de répandre dans toute la Vendée un bulletin imprimé, dans lequel
exagérant officiellement les succès des ennemis extérieurs et les avantages
remportés par les royalistes, on dissimulait les victoires de la république. Son
premier acte d'administration, daté du 8 juin, limitait la circulation des
assignats en faveur de ceux à effigie royale. Un règlement général sur les
biens dits nationaux, rendu à Châtillon le 11 juillet, et signé de tous les
membres du conseil[2], annula, sans distinction,
toutes les ventes de ces biens faites en vertu des décrets des soi-disant
assemblées nationales, et en fit passer l'administration à des
commissaires régisseurs nommés par le conseil, et placés sous la surveillance
locale des conseils particuliers. Ce même règlement autorisait les titulaires
et possesseurs légitimes résidant alors dans le pays insurgé, à rentrer de
suite en jouissance, Les autres dispositions réglaient la gestion de ces
biens, et la perception de ce qui était attribué à la caisse royale. Un chef
de régie fut établi postérieurement par le conseil[3]. Un
second règlement général du 2 août[4], sur les assignats marqués au
coin de la prétendue république française, n'en autorisait la circulation
qu'après avoir été préalablement signés et admis, au nom du roi, par des
officiers du conseil supérieur délégués à cet effet. Enfin, le conseil s'occupa
d'un règlement général sur l'ordre judiciaire[5]. Il établit dans chaque
chef-lieu d'arrondissement du pays conquis un siège royal provisoire de
justice formé d'un sénéchal ou baillif, un procureur du roi et un greffier.
Les juges devaient connaitre de toutes les matières civiles et criminelles ;
ils devaient exercer toutes les fonctions attribuées précédemment aux juges
royaux. Une cour royale supérieure et provisoire jugeait les appels ; elle
était composée de sept Membres, y compris le président. Le conseil supérieur
s'était réservé toutes les nominations des juges. Son régleraient statuait
aussi sur les officiers inférieurs et ministériels. Quoique
président du conseil, l'évêque d'Agra n'était considéré par la plupart des
chefs que comme un instrument propre à exalter la multitude crédule et
grossière. Il n'avait que peu d'influence. Le curé de Saint-Laud d'Angers
était l'âme de l'administration civile de la Vendée. Michel Desessart,
magistrat probe et estimé, le secondait par ses lumières et ses travaux. Le
conseil devait d'abord administrer toute la Vendée. ; c'est dans cette vue
qu'on y avait introduit Lyrot de la Patouillère, Gendron du port Saint-Père,
Larochefoucault et la Roberie mais les chefs de la Basse-Vendée persistant à
s'isoler, et les membres de leurs arrondissements ne venant point siéger,
leur admission devint illusoire, et le conseil n'administra réellement que
l'Anjou et le Haut-Poitou, c'est-à-dire, le territoire occupé par la grande
armée. Il
avait sous sa direction immédiate les conseils secondaires et provisoires
établis dans chaque, connu-une, lesquels étaient chargés des détails de
l'administration locale, de la transmission des divers ordres, des
distributions de vivres et munitions aux soldats qui partaient pour l'armée.
Ils faisaient chaque mois le recensement de tous les hommes en état de porter
les armes, nommaient les capitaines de paroisse, désignaient le nombre de
soldats qui devaient marcher, et réglaient leur route. Les
officiers généraux n'étaient pas membres du conseil ; il n'y eut de nommé que
Lyrot de la Patouillère, qui n'y parut point. Bonchamp n'aimait ni
l'institution ni ses actes, qu'il regardait comme impolitiques et
intempestifs. Les
affaires militaires étaient décidées en conseil de guerre, où les principaux
officiers avaient voix consultative et délibérative. Ordinairement les
marches, plans de défense, projets d'attaque, étaient admis ou rejetés à la
pluralité des voix. Cependant le conseil déférait presque toujours aux avis
de d'Elbée, de Bonchamp, de La Rochejacquelein et de Lescure. Dans leur
système d'isolement, les chefs de la Basse-Vendée se concertaient, peu avec
ceux de l'Anjou et du Haut-Poitou, et même entr'eux ils agissaient rarement
de concert. Le
généralissime était nommé par tous les chefs et officiers réunis, et les
officiers parleurs chefs respectifs, auxquels ils s'attachaient
personnellement. Le conseil supérieur ne participait nullement à ces
nominations ni à celle du gouverneur de la Vendée et pays adjacents. Le
marquis de Donnissan, porté de droit à cette place comme le plus ancien
officier général qui fût alors dans le pays insurgé, eut pour conseils le
chevalier Duhoux-d'Auterive, de Boissy, beau-frère de d'Elbée, et
Beauvollier, intendant-général de l'armée. En
organisant la force militaire, on s'était occupé du matériel comme du
personnel de l'armée ; elle avait ses commissaires, ses trésoriers, des
agents intelligents et actifs. On forma des magasins et des établissements
militaires ; on fabriqua de la poudre à Mortagne et à Beaupréau Ainsi
il y eut de l'ordre au sein même du désordre, et tandis qu'on s'occupait à
organiser, à administrer, on se battait souvent même sur-plusieurs points à
la fois. Ce qui étonnera davantage, c'est qu'au milieu de cette agitation, de
ce mouvement continuel, inséparables d'une guerre civile terrible, les champs
étaient cultivés, et l'agriculture ne paraissait pas souffrir de l'absence
fréquente, mais toujours momentanée, des Vendéens. Au commencement de la guerre, leurs chefs s'habillaient et vivaient comme eux, affectant les plus grands dehors de piété, et le dévouement le plus pur pour le bonheur général, empruntant pour se populariser davantage quelques-unes des formes républicaines, et admettant aux premiers emplois militaires des hommes nés dans la classe du peuple, mais connus par leur influence sur les habitants des campagnes. Amour de l'ordre, désintéressement, modération, générosité, telles furent les vertus pratiquées par les premiers chefs vendéens. S'étonnera-t-on qu'ils aient pu disposer la multitude à la confiance, au respect, et lui inspirer le dévouement le plus absolu à leur volonté, à leurs projets ? Ces hommes qui se croyaient spécialement consacrés à la défense de Dieu ne voyaient dans les plus grands dangers que le chemin d'un glorieux martyre, et la source d'une éternelle félicité. Aussi vit-on dans le commencement de la guerre le Vendéen vainqueur se prosterner dans les temples, et rendre-grâce au dieu des armées. Dans les camps on n'eût pas entendu un seul blasphème ; la prière et divers exercices de piété précédaient toujours les combats ; une discipline exacte régnait dans les rangs ; nul n'exigeait, en campagne, de son hôte, que la nourriture et le logement. Mais ces vertus ne tardèrent point à s'altérer. |
[1]
Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° VIII.
[2]
Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° IX.
[3]
Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° X.
[4]
Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° XI.
[5]
Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° XII.