HISTOIRE DE LA GUERRE DE VENDÉE ET DES CHOUANS

TOME PREMIER

 

LIVRE CINQUIÈME.

 

 

Manière dont combattaient les Vendéens. — Défaite des généraux Salomon et Lygonier. — Attaque et prise de Saumur. — Nomination d'un généralissime royaliste. — Évacuation d'Angers ; occupation de cette ville par les Vendéens.

 

A PEINE trois mois s'étaient-ils écoulés, que les royalistes occupaient militairement la presque totalité de la Vendée, des Deux-Sèvres et toute la partie méridionale de la Loire-Inférieure et de Maine et Loire. te territoire envahi formait un Cercle de vingt lieues de rayon. Chollet, Mortagne et Montaigu en étaient les points centraux. Les Vendéens y rassemblèrent leurs approvisionnements de campagne, principalement leurs bœufs qu'ils laissaient paître librement dans de fertiles prairies. Retenus dans la Vendée, ces nombreux troupeaux étaient perdus pour la capitale.

La masse des insurgés était innombrable ; elle égalait la presque totalité des habitants. On a vu dans le livre précédent le Vendéen agriculteur devenir tout à coup belliqueux ; les causes morales de ses succès ont été développées. Maintenant je ferai connaître sa manière de combattre. Les armées vendéennes n'étaient point régulièrement organisées ; l'on n'y voyait ni bataillons ni régiments ; chaque paroisse nommait son capitaine qui menait au combat tous les hommes en état de porter les armes ; chaque chef de paroisse se réunissait à son chef divisionnaire qui lui-même se ralliait soit au généralissime, soit à un chef supérieur. L'infanterie des Vendéens faisait leur principale force, vu la nature du terrain qu'ils avaient à défendre. Ils ne rassemblaient guère que huit à neuf cents chevaux, pris la plupart sur les patriotes. Si la cavalerie vendéenne, formée par la plus ardente jeunesse, se laissait entamer quelquefois clans la retraite, elle était terrible dans la poursuite de l'ennemi. Lorsqu'un point était menacé, lorsqu'une expédition était projetée, le commandant de l'arrondissement territorial expédiait des courriers pour faire sonner le tocsin dans toutes les paroisses, de son ressort ; les relais étaient préparés. Au moindre signal, le Vendéen quittait sa houe, saisissait son fusil pour voler, plein d'ardeur et de confiance, au rendez-vous général. Il marchait aux combats comme à une fête. Des femmes, des enfants prenaient aussi les armes ; on en a vu mourir au premier rang. Un fusil, et du pain pour quelques jours, tel était l'équipement de l'homme du Bocage qui jamais ne quittait son arme, même pendant son sommeil. Il n'était point soldé, et ne recevait en campagne que la nourriture. Sa manière de combattre, absolument étrangère à la tactique, déconcertait tous les plans. Réunis en divisions, ils marchaient en colonne de trois ou quatre hommes de front, la tête dirigée par l'un des chefs qui seul connaissait le point d'attaque. On voyait d'abord paraître de différents côtés quelques tirailleurs qui se glissaient le long des haies et des fossés, pour tirer le plus près possible sur les soldats qui se trouvaient hors de ligne. La masse suivait avec rapidité sans conserver aucun ordre, et en jetant des cris à la manière des Sauvages ; elle se repliait ensuite pour attirer l'ennemi, puis étendant ses ailes, elle formait un cercle pour l'envelopper en le débordant ; tous se précipitaient avec fureur et sans ordre sur les baïonnettes et les batteries, renversant ce qui s'opposait à leur choc, et ne recevant prisonnier que l'ennemi, désarmé. Cette manière de s'éparpiller, de s'étendre en éventail s'appelait s'égayer. C'est ainsi que les Vendéens s'emparaient des canons. Dix ou douze d'entr'eux désignés pour l'expédition, partaient en désordre, armés seulement de bâtons pour envelopper la pièce dont ils voulaient se rendre maîtres. Au moment où l'on y mettait le feu, ils se jetaient par terre et ne se relevaient qu'après le coup. La même manœuvre était répétée jusqu'à ce qu'ils fussent sur les canons qui se trouvaient presque toujours abandonnés parmi ennemi qu'effrayait une pareille audace. Les républicains, 'au contraire, marchant en colonnes serrées, engagés dans un pays couvert et montueux, avaient souvent des files entières emportées. Les Vendéens chargeaient ordinairement leurs fusils de quatre à cinq balles. Nés chasseurs et accoutumés au tir, ils pointaient juste. Étaient-ils repoussés ? ils se ralliaient sans peine et revenaient sans cesse à la charge : étaient-ils vainqueurs ? ils poursuivaient l'ennemi sans relâche. Cette manière de combattre adaptée à la nature du pays, tenait aussi à leur caractère. Ainsi l'art des combats pour les Vendéens ne consistait point en positions savantes, en batteries bien disposées, non plus qu'en manœuvres habiles, mais en surprises, et surtout en embûches où ils attiraient l'ennemi par des routes inégales et fangeuses. C'est alors qu'ils dispersaient pour se rallier de nouveau, souvent même dans les ténèbres. Des avis circulaient rapidement de village en village ; de tous côtés le tocsin sonnait, et au point du jour des masses d'hommes sortaient des forêts et des ravins en faisant retentir l'air de leurs cris affreux. On les voyait fondre en désordre sur un ennemi imprudent qui prenait bientôt la fuite. Le mas sacre commencé finissait toujours à plusieurs lieues da point tic l'attaque. Cette manœuvre redoutable formait le système distinctif de Bonchamp qui excellait à l'exécuter.

Les Vendéens n'avaient point d'uniformes militaires, mais un costume caractéristique. Ils portaient une grande veste, des pantalons de-laine brune ; sur leur tête un bonnet de poil ou un chapeau rabattu, et par-dessus leur vêtement une petite camisole blanche, traversée en avant d'une grande croix noire. Au bas de cette camisole pendaient ordinairement des reliques de saints ou des ossements de royalistes à venger ; un chapelet autour du cou achevait ce costume à la fois militaire et religieux. Qu'on s'imagine une multitude d'hommes ainsi vêtus, couvrant de tous côtés les hauteurs, marchant deux à deux à pas lents, la tête nue, l'œil baissé, l'air morne, le fusil en bandoulière, le chapelet à la main. En vain le canon et le feu de la mousqueterie essaient de troubler cette marche religieuse qu'un silence effrayant accompagne ; on n'entend que le bruissement lugubre et cadencé des psaumes récités à voix basse. Tout à coup la scène changer un mouvement convulsif succède ; les bonnets se trouvent à l'instant sur les têtes, et les fusils dans toutes les mains. Aux cris de vire le roi se joignent les cris horribles de tue les républicains ; ils deviennent le signal du massacre... L'histoire peut placer les Vendéens au premier rang des peuples soldats. Soumis et taciturne, tel était leur caractère distinctif ; singulier contraste avec la bruyante impétuosité du soldat patriote. Vainqueur ou vaincu, l'expédition finie, le Vendéen rentrait dans ses foyers pour reprendre ses travaux champêtres. Au moindre appel, au moindre coup de tocsin, il revolait au combat avec une ardeur toujours nouvelle. Quelles sont donc les causes d'un tel dénouement, d'une constance aussi héroïque ? l'enthousiasme et la religion, ces deux puissants mobiles du cœur humain Les prêtres s'exposant à tous les périls, parcouraient les rangs, animaient les forts, soutenaient les faibles. Armés seulement de la parole de Dieu, on les voyait sur le champ de bataille, bravant la mort dont ils étaient entourés, administrer avec calme, panser avec zèle les blessés, et prêcher à tous le mépris d'une vie périssable, pour mériter la plus glorieuse éternité. A l'enthousiasme de la religion se joignait aussi l'amour de la gloire et des louanges. Les chefs vendéens, presque tous jeunes et ardents, ne respiraient que pour combattre. Ils avaient pour juge suprême l'opinion de leurs compagnons d'armés, pour triomphe leurs suffrages. La gloire de l'emporter sur ses égaux transportait cette jeunesse bouillante, qui ne songeait qu'à se surpasser. Des femmes, après le combat, mettaient le comble à l'enthousiasme, en distribuant le prix du courage. L'amour, cet autre moteur si puissant, marchait sur leurs pas, lorsque fuyant devant le farouche patriote, elles venaient se réfugier dans les camps royalistes. Il adoucissait le courage et en tempérait la férocité.

L'attachement du Vendéen au sol natal, fut une des causes qui le firent échouer dans toutes les expéditions qui Je portèrent hors de sort territoire. On en eut la preuve dès la prise de Fontenay. Cette conquête laissait à découvert la ville de Niort, seule barrière qu'il y eut entre royalistes, la Rochelle et Rochefort. De-là, ils auraient pu tendre la main aux Anglais, et soulever les provinces du centre. Pleins de confiance, ils formèrent le projet de s'emparer par surprise de Niort, en y faisant entrer des soldats déguisés.

Au bruit du danger, tous les districts voisins se levèrent pour défendre la république ; l'armée de Niort, qui, le 26 mai, n'était que de 1.200 hommes, grossit subitement. Les renforts longtemps demandés, parurent enfin. Le département de l'Hérault avait donné l'exemple. Paris le surpassa ; le conseil-général de la commune, convoqué extraordinairement, arrêta la formation d'un corps de 12 mille hommes par voie de réquisition pour combattre les rebelles. La majorité des sections de la capitale rejeta ce mode, et le sort en décida non sans beaucoup de tumulte. Ce corps marcha sous le commandement de Santerre, ancien brasseur du faubourg Saint-Antoine, devenu célèbre par les insurrections de la capitale qu'il dirigeait lui-même dans les grands mouvements populaires. C'était ce qui lui avait valu le commandement de la garde nationale et ensuite le rang de général. Dans ces levées parisiennes, se trouvaient les l'éros de cinq cents livres, ainsi nommés parce qu'ayant remplacé à prix d'argent les riches appelés par le sort à la défense de la république, ils se signalèrent autant par leur indiscipline que par leur lâcheté. Ils arrivèrent les premiers, ainsi que les bataillons de la formation d'Orléans, les hussards des Alpes, ceux de la légion du Nord que commandait Westermann. La Convention y avait joint jusqu'à ses grenadiers. Biron, nommé général en chef de cette armée, quitta celle d'Italie, et vint établir son quartier-général à Niort. Il confia son avant-garde à Westermann. Des commissaires de la Convention nationale présidèrent à toutes ses opérations. Bourbotte et Thurreau marchaient à la tête des colonnes ; Bourdon de l'Oise, et Goupilleau disposaient l'armée à un mouvement simultané. Tandis que Richard, Choudieu et Ruelle formaient à Angers une commission centrale de surveillance, il s'en organisait une semblable à Tours.

Ces commissions avaient principalement pour objet de surveiller les opérations militaires et administratives, de régler le désarmement et l'arrestation des personnes suspectes de royalisme, la mise en réquisition des armuriers et de tous les objets nécessaires aux défenseurs de la république.

De toutes parts, les patriotes se hâtaient de marcher au secours de Niort ; mais peut-être seraient-ils arrivés trop tard, sans un de ces incidents qui tiennent aux hasards de la guerre.

Après le départ de l'armée vendéenne pour l'attaque de Fontenay, un corps de 3 mille républicains, sous les ordres du général Salomon s'était reporté à Thouars, d'où ses détachements répandaient l'alarme dans le pays insurgé. Pour contenir Salomon, le commandant vendéen d'Argenton rassembla 2 mille royalistes à la Fougereuse ; mais bientôt forcé de les, licencier faute de vivres, et comptant d'ailleurs sur l'inaction de Salomon, il ne garda que 403 hommes. Le général républicain, informé par ses espions de la faiblesse de ce corps, tomba inopinément sur la Fougereuse et s'en empara. Le commandant royaliste craignant pour Châtillon, envoya courrier sur courrier au quartier-général de Fontenay pour réclamer de prompts secours. D'un autre côté, le général Lygonier posté à Doué, faisait des incursions à Vihiers et menaçait Chollet. Dès qu'on en fut instruit à, Fontenay, les chefs de l'armée catholique se réunirent en conseil de guerre. Les opinions y furent partagées. On discuta le projet de l'attaque de Niort, les dangers de l'abandon du pays insurgé, les moyens d'empêcher la désertion des Vendéens toujours enclins à rentrer dans leurs foyers. Ces deux derniers motifs, ainsi que l'absence de Bonchamp et de d'Elbée, décidèrent la rentrée dans le Bocage. Le rendez-vous général fut donné à Châtillon.

Peu de jours après, 40 mille Vendéens s'y rassemblèrent, ayant à leur tête La Rochejacquelein, Lescure, Beauvollier, Stofflet et Cathelineau. Ils marchèrent sur Vihiers, occupèrent, et le lendemain sur Doué. L'armée républicaine commandée par le général Lygonier, était campée sur les hauteurs de Concourson, position avantageuse qui seule garantissait Saumur. Ce général n'en sut tirer aucun parti.

Le 7 juin, ses avant-postes vivement attaqués par les royalistes, lâchèrent pied sans combattre, et presqu'aussitôt l'armée entière imita ce funeste exemple. Quelques bataillons résistèrent, mais ne pouvant tenir seuls, tout prit la fuite. Maîtres bientôt dé Doué, les royalistes poursuivirent les républicains. Ces derniers ne se rallièrent que sur les hauteurs de Bournan, à une demi-lieue de Saumur. La bonté de la position et les batteries qui jouèrent avec succès, déterminèrent la retraite momentanée des Vendéens ; d'ailleurs, Beauvollier l'aîné qui connaissait parfaitement le théâtre de la guerre, jugea qu'il serait imprudent d'attaquer Saumur de front, et il ramena l'avant-garde à Doué, où il rendit compte aux autres chefs réunis des motifs de cette marche rétrograde. Il fut décidé sur son avis, qu'on attaquerait par la droite en filant sur Varin et sous lis hauteurs du château. En conséquence, l’armée s'avança obliquement par Montreuil, eu décrivant ainsi un angle dans sa marche.

L'armée de la république bivouaquait dans les redoutes de Bournan. Il fallait la réorganiser et remplacer les canons qu'elle avait perdus. Les commissaires de la Convention indignés de la conduite de Lygonier le destituèrent : le général Menou le remplaça dans le commandement.

Ce n'était point avec des troupes découragées et tant de fois battues, sans confiance dans leurs chefs, et d'ailleurs trop inégales en forces ; ce n'était point dans Saumur, qui n'offre aucun moyen de résistance du côté de Doué, que l'on pouvait espérer d'arrêter l'ennemi.

Les républicains voulurent, mais trop tard, resserrer leur ligne. Le général Salomon resté à Thouars, mauvaise position depuis la défaite de Lygonier, reçut l'ordre de marcher au secours de Saumur. L'armée royale était déjà dans Montreuil lorsqu'elle fut avertie de ce mouvement : elle se divisa. La majeure partie, commandée par Lescure, La Rochejacquelein et Stofflet continua sa route le long de Thoué, et prit position à Saint-Just ; le reste garda Montreuil pour ramasser les traîneurs, et arrêter la colonne ennemie qui venait de Thouars. Au coucher du soleil, les gardes avancées l'aperçurent au loin sur la grande route. Aussitôt Beauvollier l’aîné, Desessart, Villeneuve et Cathelineau rassemblent les Vendéens, et font disposer l'artillerie. Le général, trompé par ses espions, se trouve au milieu des royalistes. Il se défend avec intrépidité pendant trois heures, dans l'obscurité, et porte la mort dans les rangs ennemis. Après avoir perdu la moitié de sa troupe, son artillerie et ses bagages, il ne parvint qu'à la faveur de la nuit à Thouars, d'où, se repliant sur Niort, il abandonna Saumur à ses seules forces.

Cette ville, ouverte de tous côtés, n'avait pour défense qu'une redoute et un retranchement à l'entrée des faubourgs. A peine le château était-il à l'abri d'un coup de main. L'armée républicaine avait pris position au dehors, enveloppant toute la partie de la ville sur la gauche du fleuve, la droite appuyée sur Saint-Florent, la gauche sur les hauteurs en avant du château. Le centre défendit Bournan. Les forces de la république d'environ dix mille hommes, occupaient l'espace d'une demi-lieue ; mais découragées par la défaite précédente, la nouvelle de la retraite forcée de Salomon, acheva d'y répandre l'abattement. Les généraux divisionnaires Santerre et Coustard arrivèrent peu avant l'attaque, et prirent leurs rangs.

Le 9 juin à 2 heures après-midi, le gros de l'armée royale qui s'était porté sur Saint-Just, parut et menaça plusieurs points à la fois. Des corps d'observations, laissés au centre et à la droite des républicains, masquèrent la principale attaque faite contre leur position de gauche, qui défendait les approches du château. Les Vendéens attaquèrent sans attendre les ordres de leurs chefs : ils frémissaient d'impatience. Protégés à droite et à gauche par un mur et une colline qui les garantissaient des batteries du château, ils prirent à revers tous les avant-postes que l'ennemi avait placés sur le chemin de Doué. Cependant quelques tirailleurs républicains arrêtèrent les royalistes. Le feu le plus vif s'engagea des deux côtés, et même quelques bataillons en bon ordre se précipitèrent sur la première ligne des Vendéens qui, après avoir été rompus, firent volteface, malgré une perte de plus de trois cents hommes. Lescure ayant fait avancer sa seconde ligne, attaqua de nouveau, et fit à son tour plier les républicains que la cavalerie refusa de soutenir. Trois fois repoussés, les royalistes revinrent trois fois au combat. Les cuirassiers de la république, en les chargeant avec fureur, furent pris en flanc, et forcés à la retraite par un corps de cavalerie que commandait Domagné. L'infanterie républicaine résistait encore, et la victoire restait indécise, lorsque les tirailleurs vendéens qui s'étaient glissés à la faveur des murs, tournèrent les patriotes. Alors quelques lâches ayant crié à la trahison, sauve qui peut, nous sommes coupés., les nouvelles levées frappées de terreur, se débandèrent sans qu'aucun effort pût les rallier : et les royalistes sautant dans les retranchements s'emparèrent des canons. Quelques braves soldats du régiment de Picardie, plutôt que de se rendre, préférèrent se jeter dans la Loire où la plupart trouvèrent la mort. Les généraux Menou et Berruyer cherchèrent vainement à rallier leur cavalerie. Ayant été blessés, ils perdirent leurs chevaux, et furent entraînés par les fuyards, qui traversaient la ville, eu poussant le cri fatal de sauve qui peut. Dans cette déroute le conventionnel Bourbotte ayant eu son cheval tué sous lui, se trouva dans le plus grand péril. Ce fut Marceau, alors officier dans la légion germanique, qui s'exposant lui-même à être fait prisonnier, mit pied à terre pour lui donner son cheval. La fortune de ce jeune militaire date de cette époque.

Pendant que les royalistes forçaient les retranchements et les batteries de la position de gauche, le centre et la droite des républicains restaient immobiles. Le général Coustard qui commandait le centre, ordonna de secourir la gauche, et ne fut point écouté. Il allait enfin décider sa troupe, lorsqu'une batterie ennemie lui ferma le passage. A l'instant la cavalerie reçut l'ordre de l'enlever. Où nous envoyez-vous, lui dit le commandant ? à la mort, répond Coustard ; le salut de la république l'exige. Le brave Weissen, à la tête de sa cavalerie, emporta la batterie ; mais l'infanterie ayant refusé de le soutenir, ces intrépides cavaliers périrent presque tous : Weissen revint couvert de blessures. Alors le centre et la droite furent également forcés, tout fut entraîné et mis dans une déroute complète. Perdus dans un nuage de poussière, les fuyards furent bientôt enveloppés par la cavalerie qui, les poursuivant au galop, coupait leurs files inégales, et la plupart se voyant environnés mirent bas les armes, et furent faits prisonniers. Saumur, sans défense, allait tomber au pouvoir des royalistes. On se battait encore à l'entrée de la ville, lorsque La Rochejacquelein, emporté par sa bouillante intrépidité, pénétra jusques dans la grande place, suivi d'abord d'un seul officier, et bientôt par toute l'armée victorieuse. Les soldats de la république se jetèrent sur Beaugé, Angers la Flèche et le Mans, où ils répandirent la consternation. Près de deux mille hommes cernés dans le camp de Bourreau mirent bas les armes, et se rendirent par capitulation. Peu de batailles ont été aussi meurtrières. Les deux armées s'attaquèrent avec acharnement. Les chefs vendéens se signalèrent par des prodiges de valeur. Le jeune Baudry-d'Asson fut tué en combattant dans la division de Sapinaud. Lescure fut blessé en ramenant ses soldats à la charge, et Domagné perdit la vie en repoussant les cuirassiers républicains, dont le commandant, Chaillou de la Guérinière, fut lui-même grièvement blessé. La conquête de Saumur, qui coûta près de deux mille hommes aux Vendéens, était pour eux d'un immense avantage. Indépendamment d'une artillerie nombreuse, ils y trouvèrent des magasins et des munitions considérables. Quelques patriotes de la ville s'étaient jetés dans le château et résistaient encore. Le chevalier de Beau-voilier y fut envoyé en parlementaire. Il partit à la lueur des flambeaux, accompagné d'une multitude de femmes qui sollicitaient de leurs époux la reddition du château. Une décharge de mousqueterie accueillit Beauvollier att pied des remparts. Les chefs vendéens indignés, et craignant d'ailleurs un mouvement en faveur des patriotes, délibérèrent si l'on ne mettrait pas le feu à la ville. Joly, commandant du château, envoya enfin un trompette et un officier en parlementaire. Ses propositions furent rejetées ; mais sur les instances des habitants, Beauvollier l'aîné et Bernard de Marigny se transportèrent eux-mêmes au château, et réglèrent enfin la capitulation. La garnison resta prisonnière de guerre, à l'exception des officiers qui furent renvoyés sur parole. Les chefs royalistes s'assemblèrent ensuite, et décidèrent en conseil de garder Saumur, en se concertant avec ses principaux habitants. Saumur donnait aux Vendéens un passage important sur la Loire, des communications avec les départements de la Mayenne et de la Sarthe, et leur offrait des ressources immenses pour les approvisionnements de tout genre.

Au lieu de chercher à défendre Saumur, les républicains auraient dû l'évacuer, couper les ponts, et ne s'attacher qu'à disputer le passage de la Loire. En résistant ils se firent battre, diminuèrent leurs forces et augmentèrent le découragement : par cette faute, on livra la ville d'Angers, le pont de Cé, la navigation de la Loire. On compromit le sort de Nantes, on exposa les départements d'Indre et Loire et de la Vienne aux incursions de l'ennemi ; enfin, l'épouvante glaça tous les cœurs, et les habitants de ces contrées désespérèrent du salut de la république.

Bonchamp, guéri de ses blessures, arriva le lendemain de la bataille avec 5.000 hommes. Il était accompagné du jeune d'Autichamp, de Fleuriot aîné et cadet, de Scépeaux et des frères Martin de la Pommeraye, qui tous servaient sous ses ordres.

Ce fut à Saumur que le prince de Talmont, de la maison de la Trimouille, joignit les Vendéens. Il fut fait sur-Je-champ commandant de l'artillerie. Ce prince, arrêté en parcourant ses domaines au moment où devait éclater la conjuration de la Bretagne dont il était un-des chefs, venait d'échapper des mains des gendarmes qui le conduisaient d'Angers à Laval. Son arrivée fit sensation parmi les royalistes. Avec peu de moyens, et des talents militaires très-bornés, Talmont n'acquit qu'une réputation médiocre, mais son nom en imposait à la multitude. C'était d'ailleurs un des plus beaux hommes de l'armée. On eut à lui reprocher son faste, ses profusions, et sa passion immodérée pour les femmes, dans un n'ornent où tout ne respirait que la guerre.

L'armée catholique resta plusieurs jours à Saumur. Les principaux chefs s'assemblèrent pour délibérer sur leurs projets ultérieurs. Les uns voulaient marcher sur Tours, et delà, soulever les deux rives de la Loire ; d'autres étaient d'avis de fortifier Angers et Saumur, de se porter ensuite sur Niort et d'y battre l'armée de Biron, pour se délivrer de toute inquiétude de ce côté. Quelques-uns enfin opinèrent pour attaquer Nantes on ils avaient des intelligences. Cet avis prévalut, mais il n'y eut point de scission dans le conseil comme on l'a faussement publié. A la vérité, le parti breton conduit par Bonchamp, Talmont et Fleuriot, profita de son ascendant pour faire décider l'attaque de Nantes, et manifesta dès-lors l'intention de passer la Loire pour soulever la Bretagne, d'après les vues de La Rouerie. Ce plan devait nécessairement contrarier la majorité des Vendéens, en les arrachant à leurs foyers. Quoiqu'il en soit, les chefs royalistes arrêtèrent également, qu'il serait sur-le-champ transmis à tous les comités établis dans le sein de la, Vendée, une proclamation annonçant l'importante conquête de Saumur.

Aussitôt que d'Elbée en eut connaissance, il quitta le château de Landebaudière, et se rendit à Saumur sans attendre l'entière guérison de ses blessures. Il fit d'abord agiter dans, le conseil par ses partisans, la nomination d'un généralissime, idée heureuse si elle n'eût déguisé une arrière-pensée. Rattacher le pouvoir militaire à une seule volonté, enchaîner toutes les ambitions, diriger vers un seul but tous les moyens et les efforts de la confédération vendéenne, c'était là sans doute une grande conception. Mais d'Elbée ne pouvait se dissimuler le mérite de Bonchamp son émule, l'idole des Vendéens ; et n'osant cette fois briguer ouvertement le généralat, il proposa Cathelineau qu'il gouvernait. Il le proposa comme le plus brave, comme ayant été le premier à la tête des insurgés, comme appartenant à la classe plébéienne, à laquelle on devait, selon lui, donner la préférence, car il fallait prouver que ce n'était ni l'amour du pouvoir, ni l'intérêt particulier qui guidait les nobles Poitevins dans cette guerre. Ces motifs triomphèrent, et Cathelineau fut nommé à la pluralité. Cet homme, voiturier quatre mois auparavant se trouva tout-à-coup le généralissime d'une armée formidable et victorieuse.

Après avoir proclamé Cathelineau, les chefs. Vendéens sentirent qu'il était temps d'agir, et sur l'avis de d'Elbée ils résolurent l'attaque d'Angers et de Nantes. La Rochejacquelein garda Saumur avec sa division, tant pour couvrir la Vendée, que pour conserver l'une de plus importantes communications de la Loire.

Quelques chefs, notamment Lescure, jaloux de montrer aux Vendéens les lauriers qu'ils venaient de cueillir et de s'attacher davantage ce peuple religieux, se rendirent à Chatillon pour recevoir la bénédiction des mains de l'évêque d’Agra. Cet évêque multipliait les solennités religieuses, soit pour exalter les esprits, soit pour ajouter à l'importance qu'il se donnait lui-même en relevant les prêtres constitutionnels de leur serment. Lescure qui avait besoin de repos et de soins en quittant Chatillon, se rendit dans son château de Clisson ; les autres chefs délibéraient encore à Saumur, lorsqu'un détachement commandé par Beauvollier l'aîné, se porta sur Loudun ; un autre parti plus faible s'empara de Chinon. Les patriotes crurent un instant que l'armée ennemie se dirigeait sur Tours, mais Chinon et Loudun furent bientôt abandonnés.

A cette époque, la politique des chefs royalistes, était de.ne se porter à aucune violation des propriétés. Les députés de Chinon, qui réclamèrent des conditions supportables, en reçurent la réponse suivante ;

« Nous ne combattons point pour faire des conquêtes, pour prendre des villes, pour faire des prisonniers, acquérir une puissance ; nous venons seulement pour ramener l'ordre ; la religion et la paix dont vous sentez le besoin comme nous. Si vous vous défendez, nous vous combattrons loyalement, et après, nous vous regarderons comme des amis, et nous prendrons les mesures nécessaires pour ramener parmi vous le règne de ces choses que nous croyons indispensables à votre bonheur et au nôtre. Si, au contraire, vous nous tendez les bras, vous êtes d'avance nos amis et nous prendrons, de concert avec vous, les moyens les plus prompts, les plus sûrs pour parvenir à ce même but. »

C'est ainsi qu'alliant la politique à la force des armes, les royalistes savaient profiter de leurs succès pour se faire de nouveaux partisans.

Les républicains n'avaient plus à leur opposer qu'Angers, Niort et Nantes dans la basse-Vendée. Niort renfermait tout au plus 20 mille hommes, dont moitié seulement de troupes aguerries. Sept mille soldats défendaient Angers et le pont de Cé.

Les commissaires conventionnels s'empressèrent d'envoyer un de leurs collègues au général Biron, pour lui exposer l'état déplorable de l'armée de Saumur, et l'engager à faire une prompte diversion qui pût arrêter l'ennemi. Un autre porta l'ordre à Angers de se retirer sur Tours par la Flèche en cas d'échec. Un troisième se rendit auprès du comité de salut public, pour solliciter des secours ; mais ce comité, encore étourdi par la révolution du 31 mai, dont je parlerai bientôt, ne put rien accorder.

A la séance du 22 juin, des envoyés de Nantes, firent à la barre de la Convention le tableau déchirant de la malheureuse situation de cette ville, environnée de rebelles, livrée à ses propres forces ; ils réclamèrent de grandes mesures, proposèrent de sonner le tocsin dans toute la France et de se lever en masse ; étranges propositions, qui marquent l'exagération des idées à cette époque ! Elles furent tour à tour combattues et appuyées. Thuriot n'y vit qu'une source de désordres et de déchirements ; il demanda que l'assemblée ne prît que des mesures mûries dans le comité de salut public. Barrère qui en était déjà membre, observa que depuis son institution le comité avait senti que la plaie la plus dangereuse de la république était la Vendée ; « et c'est, dit-il, particulièrement sur ce chancre politique qu'il a porté ses soins et sa sollicitude. »

L'expression de Barrère fut bientôt répétée dans tonte la France. On verra quelle induction cruelle on en tira par la suite.

« Il est, ajouta Barrère, une peste qu'il faut détruire, et à laquelle le comité propose d'apporter le remède. Je veux parler de la désertion. »

Il suffisait, en effet, pour être libres que les prisonniers des Vendéens fissent le serment de ne jamais porter les armes contre Louis XVII, la religion catholique, et en particulier contre l'armée royale. On leur donnait acte du serment, puis on leur coupait trois touffes de cheveux, et ou les renvoyait dans leurs foyers. Tant de modération faisait non seulement des partisans aux royalistes, mais elle enchaînait encore le courage du soldat républicain.

Aussi la Convention nationale, sur la proposition de Barrère, prononça-t-elle les peines les plus sévères contre les déserteurs et contre les prisonniers qui, munis de passeports des Vendéens, se croiraient dispensés de rentrer sous les drapeaux de la république.

Les administrateurs d'Eure et Loire vinrent aussi déposer à la barre leurs inquiétudes au sujet de la prise de Saumur et de l'invasion présumée de la Mayenne et de la Sarthe, où l'alarme s'était répandue. Ils proposèrent également de sonner le tocsin, de se lever en masse, de faire porter à la tête de l'armée kt statue de la liberté environnée d'un certain nombre de législateurs. Tallien qui arrivait de Saumur s'éleva contre ces motions délirantes. Il dit que les républicains ne devaient leurs défaites qu'au morcèlement des troupes ; il annonça des dispositions plus fortes et mieux combinées.

Dans la capitale ce n'était que de l'agitation, dans l'Ouest de la frayeur. L'ennemi était aux portes d'Angers ; les patriotes voulaient se défendre. Un conseil de guerre décida l'évacuation de la ville, motivée sur des ordres supérieurs. « Angers, avait écrit le général Menou, ne pouvant être défendu, il faut pour ce moment l'abandonner à l'ennemi. » Cependant un décret ordonnait de ne point abandonner une place avant d'avoir constaté, par procès-verbal, qu'elle n'était pas tenable, et surtout avant l'arrivée de l'ennemi. Il y avait des forces derrière les murs d'Angers ; le général Barbasan y commandait 4 mille hommes ; l'ennemi n'avait point paru, et pourtant l'évacuation eut lieu avec une précipitation sans exemple. Ce fut plutôt une déroute qu'une retraite. Les troupes, la garde nationale, les magistrats, les citoyens abandonnèrent la ville dans le plus grand désordre, n'emportant que les papiers, les objets précieux, les caisses publiques, et vingt-deux pièces de campagne. Ils laissèrent, à l'ennemi, munitions, grosse artillerie et approvisionnements. La frayeur fut telle, qu'au lieu de prendre la route de la Flèche, on prit celle de Laval pour gagner Tours ; circuit de cinquante lieues, auquel la peur ne permit pas de songer. On voyait les Vendéens partout on ils n'étaient pas. Ce ne fut que six jours après l'évacuation, que les royalistes occupèrent la ville. Leur premier soin fut de délivrer les nobles et les prêtres incarcérés, que les administrateurs fuyards avaient oubliés, et qui grossirent les phalanges de la Vendée. Il fut établi une municipalité royaliste. L'enthousiasme des ennemis de la république fut bientôt à son comble ; on faisait publiquement des cocardes blanches, et l'on se disposait ouvertement à se ranger sous le drapeau royal. Les commissaires de la Convention devinrent plus sévères à mesure que le danger devenait plus pressant. Ils proclamèrent à Tours la peine de mort contre quiconque favoriserait l'ennemi, soit par des discours, soit autrement ; ils établirent une commission militaire, et en imposèrent par leur énergie à la multitude encore indécise : ils avaient tout à craindre de la force et de l'audace de l'ennemi, et suivaient avec inquiétude tous ses mouvements.

L'attaque de Nantes une fois résolue, toutes les divisions de la grande armée vendéenne se mirent en marche. Maîtresse du cours du fleuve, elle descendit vers Nantes par la rive droite.

Des courriers avaient été envoyés dans la Basse-Vendée pour engager les chefs principaux à concourir à l'expédition projetée. Tous y adhérèrent, et bientôt les deux armées combinées attaquèrent de concert le boulevard de la Loire.

Avant de présenter les circonstances de cet évènement, je dois résumer ici les opérations des chefs de la Basse-Vendée, que j'ai été forcé de perdre de vue pour suivre l'armée d'Anjou et du Haut-Poitou.

Charette, obligé d'abandonner Machecoult, reprit bientôt l'offensive. Retiré à Legé, il avait mis de l'ordre dans sa troupe ; des cavaliers envoyés par lui dans les paroisses environnantes, recrutèrent, et les Nantais étant venus l'attaquer furent battus. Charette leur prit deux pièces de canon et des munitions dont il avait grand besoin. Les bijoux et l'argent des Nantais restés sur le champ de bataille, dans ce combat, excitèrent la cupidité des soldats de Charette. Ce dernier n'osait occuper Lege plus longtemps ; d'un autre côté les habitants de ce bourg s'opposaient à son départ ; il laissa passer prudemment cette fermentation, et marcha ensuite sur Viellevigne et Saint-Colombin, où il surprit quatre cents hommes du régiment de Provence. Les prisonniers de ce corps furent traités avec plus d'égards que les volontaires nationaux ; Charette en garda même plusieurs avec lui pour instruire les paysans à la manœuvre : mais l'officier à qui l'on avait confié la garde du drapeau, l'ayant emporté à l'ennemi, tous les prisonniers de ligne furent alors assimilés aux gardes nationales. A cette époque Charette en fit proposer l'échange. Le refus des Nantais ne fit qu'aigrir les esprits. Peu de temps après, les habitons de Legé vinrent implorer le secours de Charette, qui leur promit d'un ton prophétique de chasser l'ennemi avant deux jours. L'ennemi se présente en effet, et à l'approche de Charette il prend la fuite sans combattre. Alors la réputation de ce chef se rétablit, un détachement armé et aguerri sortit du Loroux, pour venir se ranger sous ses drapeaux. Savin et Joly s'y réunirent également pour attaquer Palluau, niais l'expédition échoua faute d'accord et de précision. Le désordre fut tel que les Vendéens se fusillèrent entr'eux. Charette se replia de nouveau sur Legé où régnait encore l'abondance et même les plaisirs. Le quartier-général du Bas-Poitou était aussi le séjour d'une Vendéenne célèbre par ses grâces et sa beauté. Madame de La Rochefoucault attirait tous les regards, et particulièrement ceux de Charette. Tandis qu'elle se bornait aux conquêtes faciles de son sexe, la multitude qui, sans rien approfondir, saisit et propage tout ce qui semble extraordinaire, la transformait en amazone moderne, combattant aux premiers rangs pour le trône et l'autel. Cette darne n'a point survécu à la guerre civile : on la vit, dans des moments moins heureux pour son parti, voltiger à cheval sur le flanc des colonnes, pour éviter le danger des combats, sous la protection du fermier Thomaseau. Ce fidèle écuyer ne put la garantir : tous deux tombèrent dans un parti ennemi, et furent transférés aux Sables-d'Olonne. Ils marchèrent au supplice avec courage.

Jusqu'alors Charette n'avait eu à combattre que des corps de 2 à 3 mille hommes ; ce n'était rien en comparaison des batailles livrées par la grande armée d'Anjou. Appelé enfin à partager ses succès, Charette voulut agir de concert avec les autres divisions du Bas-Poitou, pour dégager le pays, et s'approcher de Nantes. Le rendez-vous général était à Legé où se fit le rassemblement le plus nombreux qu'on y eût vu jusqu'alors. La Cathelinière et Pajot parurent à la tête de l'avant-garde avec les paysans da pays de Retz et du Loroux. Charette, de concert avec les divisions de Joly, de Savin, de Vrignaux et de Couëtu, attaqua l'adjudant-général Boisguillon à Machecoult, le défit complètement, lui enleva son artillerie, ses bagages, et reprit possession de son premier quartier-général ; mais il eut à regretter quelques brases, surtout Vrignaux, commandant la division de Viellevigne. Cet ancien soldat, quoique simple sellier, était tellement cher aux Vendéens, que tous pleurèrent sa mort comme s'ils eussent perdu leur père. Charette garda toute l'artillerie enlevée à Machecoult, et agit dès-lors comme chef de toute l'armée, quoique les autres chefs se crussent indépendants. De là naquirent les premières semences de division. Les cantonnements républicains s'étant repliés sur Nantes, La Cathelinière qui marchait sur le port Saint-Père, le trouva abandonné ainsi que Bourgneuf. D'un autre côté, Lyrot et Designy rassemblaient toutes leurs forces à Lalloué pour seconder Charette. Beysser, avec la légion nantaise, chercha Lyrot pour le combattre. Le 20 juin, entre la Sèvre et Lalloué, soixante Vendéens se présentent en tirailleurs ; ils feignent de se replier ; l'impétueux Beysser les poursuit ; arrêté par des retranchements abandonnés, il les franchit sans obstacle ; derrière le dernier qui était le plus élevé, il aperçoit dix u Lille royalistes rangés en bataille : il n'était plus temps de les éviter. Une terrible fusillade s'engage ; les deux commandants de la légion nantaise tombent sous le feu des Vendéens ; Beysser a deux chevaux tués sous lui. La cavalerie ennemie charge avec fureur : les républicains étonnés, surpris, se débandent, fuient en désordre, et pour mieux fuir jettent leurs fusils et leurs sacs : les landes en furent couvertes. Poursuivis dans l'espace de trois lieues, ils ne s'arrêtèrent que lorsqu'ils se virent en sûreté dans Nantes même. Alors cette ville se trouva pressée sur la rive gauche par toutes les divisions du Bas-Poitou, tandis que la grande armée vendéenne marchait pour l'attaquer par la rive droite.

Cette armée approchait d'Ancenis. Les postes de Montrelais et de Tirades, furent culbutés par Bonchamp. Ancenis, dominé par des hauteurs, d'où l'artillerie pouvait le foudroyer, ouvrit ses portes, non sans hésiter. La garnison avant refusé de se défendre, les corps administratifs et les patriotes se réfugièrent à Nantes, où tout se disposait à la résistance.