Combat de Bressuire. —
Soulèvement des taxateurs. — Explosion du 10 mars. — Succès des Vendéens. —
Caractère de leurs chefs. — Massacre de Machecoult. — Première organisation
insurrectionnelle.
TANDIS que la Rouerie organisait en
Bretagne la guerre civile, on s'était préparé à la résistance sur la rive
gauche de la Loire : presque tous parents ou alliés, maîtres encore de leurs
châteaux, inaccessibles à l'action révolutionnaire, les nobles du Poitou et
de l'Anjou se confédéraient en secret. La plupart n'étaient qu'entraînés ;
quelques-uns connaissaient le plan de la Rouerie et le secondaient
puissamment. La
chute du tronc acheva d'entraîner la Vendée. Le sang y coula bientôt en
abondance, et avant même l'explosion générale, les forêts de Bressuire furent
le théâtre d'un combat meurtrier livré sous les bannières du double fanatisme
de la religion et de la liberté. Les prêtres opposèrent à leurs persécuteurs
des moyens surnaturels : à l'aide de prestiges, ils émurent les esprits déjà
disposés à l'enthousiasme et au merveilleux. On ne parlait que de miracles :
ici la Vierge avait apparu en personne pour sanctifier un autel provisoire
élevé dans les bois ; là, c'était le fils de Dieu qui était descendu lui-même
des cieux pour assister à une bénédiction de drapeaux. A Cheminé, on avait vu
des anges parés d'ailes brillantes et de rayons resplendissants, annonçant,
promettant la victoire aux défenseurs de l'autel et du trône. Un
arrêté sévère de l'administration départementale des Deux-Sèvres, contre les
prêtres insermentés, excita la fureur des pieux habitants du Poitou : ils se
préparèrent au combat ; des croix, des crucifix leur furent distribués pour
les rendre invulnérables. Huit mille paysans du district de Chatillon se
soulevèrent à la fois, il leur fallait un chef : Delouche, maire de
Bressuire, qui fomentait sourdement la révolte, n'était point assez courageux
: Gabriel Baudry d'Asson, gentilhomme, ancien militaire, fut choisi. Dès
l'origine de la révolution. il avait été nommé commandant de la garde
nationale du territoire de Brachain près la Chataigneraye, où il exerçait une
grande influence. A son premier penchant pour les idées libérales avait
succédé une haine implacable pour la révolution, depuis qu'elle abattait et
la noblesse et la royauté : son caractère fougueux et entreprenant était
connu. Au premier cri d'insurrection, les plus hardis se portent en foule au
château de Brachain, arrachent Baudry du sein de sa famille et le proclament
leur chef. On vit depuis, dans cette guerre, les nobles Poitevins suivre
l'exemple de Baudry, et comme lui se faire arracher violemment de leurs
châteaux pour être élus chefs de révolte ; sorte d'élection populaire qui,
pour combattre la démocratie, en consacrait les principes. Bientôt les
insurgés, armés de bâtons, de faux, de fourches et de fusils de chasse,
marchent au combat sur plusieurs colonnes, en récitant des prières ferventes.
En un instant, Chatillon et Bressuire sont cernés par ces furieux, qui
croyaient que la prise de ces deux villes intimiderait la France entière, et
ferait révoquer les décrets qu'ils foulaient aux pieds. Après avoir dévasté
Chatillon et brûlé les papiers du district, ils se portent sur Bressuire ; mais
le tocsin patriotique avait déjà répondu à celui de la révolte ; les gardes
nationales de Parthenay, Thouars, Niort, Saint-Maixant, Chollet, Angers,
Nantes, Saumur, Poitiers, Tours, celles même de la Rochelle et de Rochefort
s'étaient mises en marche par nombreux détachements pour combattre les
rebelles. A la nouvelle de ce soulèvement, la capitale, les provinces, le
Corps législatif, les chefs militaires, tout prit l'alarme, et les routes se
couvrirent de gardes nationales, seules troupes alors disponibles : le
rendez-vous général fut à Bressuire. Cette ville, pressée chaque jour
vivement par de nouvelles attaques, était vaillamment défendue par quelques
compagnies de chasseurs, de grenadiers de Thouars et d'Airvaux, et par une
poignée de citadins patriotes. Cependant elle allait succomber, lorsqu'on vit
flotter au loin les drapeaux tricolores des gardes nationales combinées. Ce
fut le 24 août que les deux partis s'attaquèrent avec acharnement sous ses
murs ; le combat ne fut pas long. En vain les insurgés formèrent une colonne
serrée : mal armés, pressés de toutes parts, ils furent entamés, mis en
déroute, et se sauvèrent dans le plus grand désordre. Leurs chefs divisés,
incapables d'un plan, vaste, ne songèrent, dès le commencement de l'action,
qu'à éviter la fureur des patriotes : six cents insurgés trouvèrent la mort
aux portes de Bressuire ; les blessés se traînaient dans les bois, où chaque
jour on trouvait des cadavres. Les patriotes n'avouèrent qu'une perte de
soixante hommes tués ou blessés : on eut à leur reprocher d'avoir souillé la
victoire par des cruautés ; des femmes et même des enfants furent égorgés ;
des membres sanglants mis au bout des baïonnettes, et portés en triomphe. Ces
horreurs, malheureusement inséparables des guerres civiles, et dont la
capitale n'avait que trop donné l'exemple, furent commises par quelques
scélérats étrangers à la saine majorité de l'armée. Quelques Vendéens faits
prisonniers se signalèrent par une fermeté invincible et par un mépris
stoïque de la mort : vainement leur offrit-on le pardon et la vie, à la seule
condition de crier, Vive la nation ! Vive la liberté ! Ils refusèrent,
se mirent à genoux sans faire paraître la moindre émotion, et ne demandèrent
d'autre faveur que celle d'être, après leur mort, couverts d'un peu (le
terre, pour échapper à la voracité des bêtes féroces. Delouche,
maire de Bressuire, se sauva et fut arrêté à Nantes. Baudry, proscrit, caché
d'abord avec son fils dans des champs de genets, accablé de soif et de faim,
erra longtemps la nuit sans guide, et se retrouvant près de son château
n'osait y rentrer. Poursuivi par les gardes nationales, il pratiqua, sous
terre, dans ce même château, un trou profond on il s'ensevelit avec son jeune
fils, ne recevant les rayons du jour que par une étroite ouverture, et
n'ayant pour aliments que du pain d'orge et de l'eau que lui apportait,
pendant la nuit, une servante affidée ; ils restèrent pendant six mois cachés
dans ce tombeau, sans aucune communication extérieure : voués à la mort, ils
entendaient souvent les gardes nationales faire, dans le château, les
perquisitions les plus exactes, marcher sur leurs têtes et menacer de tout
incendier. Baudry serrant son fils contre son sein fortifiait son courage :
ce ne fut qu'au moment de l'explosion générale qu'il 'sortit de sa prison
pour reprendre les armes et s'exposer à. d'autres dangers. Le
combat de Bressuire aurait pu terminer la guerre civile : il n'eût fallu que
frapper quelques chefs, couvrir le reste d'une prudente amnistie, et placer
dans chaque canton une force capable de contenir les mécontents ; mais dans
ces temps d'anarchie nul ne voulait obéir : départements, districts, clubs,
commissaires civils, commissaires de la législature, généraux, officiers et
même simples soldats, tous voulaient commander ; tant l'esprit
révolutionnaire de la capitale s'était déjà propagé dans l'armée. Dès que
l'insurrection parut étouffée, les patriotes abandonnèrent le théâtre de la
guerre. Chacun, jaloux de revoir ses foyers, courut y porter la nouvelle de
son triomphe. A peine laissa-t-on dans Bressuire une faible garnison ; mais
il y fut envoyé deux commissaires du conseil exécutif, Xavier Audouin, et
Loiseau-Grand-Maison, qui, au lieu de prendre des mesures efficaces, firent
des tournées, prêchèrent, établirent des sociétés populaires, et inondèrent
les Deux-Sèvres de missionnaires républicains, avec la prétention de conquérir
au patriotisme ce département, naguère insurgé. « Les cultivateurs
égarés, dirent-ils dans leur rapport, viennent les dimanches entendre les
commissaires à Bressuire. Cette réunion donne lieu à une fête qui commence
par une messe et le Te Deum. Cette fête est répétée à six lieues de
rayon, où il n'est pas une maison qui, ayant arboré le signe du royalisme, ne
déploie les couleurs nationales. A Châtillon, même scène. » Les
commissaires attribuaient donc à une conversion sincère, ce changement qui
n'était dû qu'à la crainte. Ils devaient aussi parcourir la Vendée, lorsqu'un
courrier extraordinaire les rappela. Ils y passèrent néanmoins, mais sans
caractère public, et firent pressentir dans leur rapport, d'ailleurs
insignifiant, que de nouveaux troubles éclateraient dais ce département, où
le fanatisme régnait dans toute sa force. Ils
rendirent un témoignage éclatant au patriotisme du chef-lieu des Deux-Sèvres. « A
Niort, dirent-ils, l'esprit public est excellent, les corps administratifs
pleins de civisme, et les dames mêmes sont patriotes ; elles ont formé clans
la maison commune un atelier où l'on travaille à l'équipement des armées.
Cette ville ne cesse de faire des sacrifices pour la liberté ; la présence
des commissaires civils y a développé cet élan patriotique. » Trop
ignorants sur les localités, sur les manœuvres employées par les ennemis de
la révolution, les commissaires ne firent que pallier le mal, dans
l'impuissance d'ailleurs d'étouffer le germe de la révolte. Leurs harangues
patriotiques pouvaient-elles balancer l'effet des sermons, des instructions
pastorales et des plans insurrectionnels ? Pouvaient-elles effacer
l'impression des cruautés commises à Bressuire après la victoire ?
Pouvaient-elles détruire, clans l'esprit du clergé et de la noblesse, le sentiment
de toutes les pertes que la révolution leur faisait éprouver ? Cependant, les
commissaires crurent avoir pacifié les Deux-Sèvres. Le
tribunal criminel établi à Niort instruisit le procès des fauteurs de la
révolte. On ne craignit pas alors de proposer à la Convention nationale, qui
venait d'ouvrir sa session, une amnistie générale que le parti populaire eut
de la peine à lui faire rejeter. Le tribunal criminel y suppléa. Quelques
hommes obscurs furent seuls condamnés à mort ; et presque tous les prévenus,
au nombre de trois cents, parmi lesquels figuraient plusieurs nobles, furent
acquittés et mis en liberté. Pendant
cette crise, l'Assemblée nationale voulant frapper les prêtres insermentés,
décréta leur exil de l'empire, sous peine de déportation-à la Guyane. Cette
loi sévère, à laquelle les ecclésiastiques se soumirent sur presque-tous les
points de la France, fut généralement éludée dans le Poitou et en Bretagne.
La plupart des prêtres insermentés s'y cachèrent, on se mirent dans le cas de
la réclusion, espérant s'y soustraire bientôt par la révolte. La
Convention nationale, maîtresse de tous les pouvoirs, était alors dominée par
le parti qui, ayant abattu le trône, essayait en vain de gouverner. Sans
cesse entravé, ce parti devenu modéré, luttait en vain centre l'exagération
des démocrates, tandis que l'autorité exécutive, sans force, laissait flotter
les rênes du gouvernement. Dans
l'intervalle de la révolte de Bressuire et de l'explosion générale de la
Vendée, on vit éclater vers la Loire, une rébellion d'un caractère mixte, et
qui, par cela même, ne causa qu'une commotion instantanée, mais tellement
vive, qu'elle mérite d'être consignée dans cette histoire. La
cherté, la disette des subsistances eu-furent ou le prétexte, ou le motif
réel. Cc soulèvement, qui avait pour objet la demande de la taxation des
denrées art maximum, prit naissance en novembre à Saint-Calais, dans la
Sarthe, et se propagea promptement dans Loir-et-Cher, Eure-et-Loir, et
Indre-et-Loire. Les habitants de Saint-Calais, rassemblés en tumulte,
marchèrent sur-Vendôme avec de la cavalerie, précédés de leurs autorités
constituées : ils entraînaient sur leur passage habitants et magistrats, et taxaient
les grains à bas prix. Égarés par des scélérats, ils massacraient tout ce qui
opposait de la résistance. Malheureusement la disette-était en même temps
réelle et factice. On citait des faits déplorables ; les-pauvres du district
de Romorantin se nourrissaient de son trempé clans de l'eau. Une malheureuse
femme du village de l'Hôpital, après, des démarches inutiles pour se procurer
des grains, avait égorgé son enfant pour ne pas le voir périr faute de
nourriture. La nouvelle de ces désordres occasionna une vive discussion dans
la Convention nationale ; Barrère les attribua tous à la désorganisation du
corps politique, qu'il rejeta sur les commissaires pouvoir exécutif. Il les
fit rappeler. La Convention en nomma d'autres, qu'elle prit dans son sein, et
qu'elle envoya dans les départements agités, pour y ramener la tranquillité
et l'abondance. Lecointre, Maure et Biroteau se transportèrent sur-le-champ
dans Eure-et-Loir, où la révolte faisait des progrès alarmants. En arrivant à
Chartres, ils se rendent au lieu du rassemblement, où se croyant forts de
leur qualité de mandataires du peuple, ils convoquent les révoltés au champ
de Mars. Maure, doué d'un organe éclatant, veut exposer l'objet de sa mission
: aussitôt les épithètes d'endormeur, de charlatan couvrent sa
voix. Les députés sont séparés violemment, et chacun d'eux croit son collègue
victime de la fureur du peuple. Biroteau voit déchirer ses vêtements ; un fer
meurtrier est suspendu sur sa tête. Maure ne dut son salut qu'à des
compagnons charpentiers. Il leur fit un appel, en criant à moi les enfants
du père Soubise. A l'instant, tous volent à son secours, écartent les
plus furieux avec les instruments de leurs travaux, et lui servent désormais
de gardes. Les trois commissaires, traînés au marché public à travers les
haches, les faux, les piques, les baïonnettes, sont contraints, pour sauver
leurs jours, de signer une taxe des denrées ; puis ils viennent immédiatement
en 'rendre compte à la Convention, indignée de leur faiblesse. « Parmi
cette faille d'hommes égarés, dirent-ils, les prêtres ont été les plus
acharnés à nous poursuivre pour se venger d'un décret sur la religion
catholique : quelques-uns demandaient la loi agraire. » A ces
récits désastreux, une consternation profonde se répand dans l'assemblée, il
se fait un moment de silence auquel succède un mouvement convulsif qui agite
à la fois tous les députés ; chacun veut parler, on se presse à la tribune ;
une phrase est commencée, des cris l'interrompent : enfin Pétion parvient à
fixer l'attention en improvisant ce discours : « Nos
ennemis sont repoussés loin de notre territoire et ne déchirent plus notre
sein, et cependant c'est pour ainsi dire au milieu de la paix que nous voyons
se rallumer les horreurs de la guerre civile. Le peuple n'a donc pas de plus
grand ennemi que lui-même ? C'est dans le département le plus tranquille, le
plus riche en grains, qu'on voit s'élever le monstre de l’anarchie. Les
propriétés sont dévastées, les lois méprisées, les représentants de la nation
insultés, au nom de la nation même vos commissaires vous n'avez plus de
pouvoir ! il faut le reprendre ; il faut envoyer contre ces hommes égarés par
des agitateurs, une force armée suffisante pour en imposer et épargner le
sang... » L'impétueux
Danton sembla oublier les maximes révolutionnaires, et s'écria d'une voix de
Stentor : « Toute
la France a les yeux attachés sur vous, la moindre de vos actions ne peut lui
échapper : on vous a présenté, sur le culte catholique, un projet de décret,
dicté., il est vrai, par la sagesse et la philosophie ; mais la sagesse et la
philosophie effraient le peuple qui tient encore à ses préjugés ; le pauvre,
victime des vexations du riche, se consolait par la pensée qu'il serait vengé
dans l'autre monde : si vous lui ôtez cette consolation, vous lui donnez
vous-même le signal de la rébellion : laissez-lui ses préjugés, et ne prenez
de grandes mesures, que lorsque le flambeau de la philosophie aura pénétré
jusque dans la chaumière. » Le
farouche Robespierre dit qu'il voit, dans Louis XVI, la cause de tous les
désordres : Louis jugé, les désordres, selon lui, devront disparaître !... Tandis
que la Convention s'agitait, et que de vaines harangues y tenaient lieu de
mesures efficaces, les villes d'Alençon, de Bellesme et de Mortagne faisaient
marcher leur garde nationale avec du canon pour combattre les taxa-leurs. Six
cents furent enveloppés, vingt-deux des phis coupables saisis et mis en
arrestation. La révolte d'Eure et Loire n'en gagnait pas moins de proche en
proche. Maîtres de Vouvray, Mont-Louis, Château-Renard, Amboise, les
taxateurs formèrent une masse de 10 mille hommes environ ; ils brûlaient sur
leur passage les maisons des patriotes, et se dirigeant sur Tours, ils
semblaient vouloir tendre la main à la Vendée. Quatre cents citoyens de cette
ville résistèrent et la défendirent contre les révoltés qui ne purent s'en
emparer. Déconcertés bientôt par l'arrivée des gardes nationales
environnantes, les insurgés se dispersèrent en un instant. Ainsi fut étouffée
aux portes de Tours cette sédition alarmante, dont les véritables moteurs
n'ont jamais été connus. La cherté des denrées et le recrutement servirent de
prétexte aux ennemis du système républicain pour chercher à le détruire. Le 10
février, la Convention nationale annula les taxes arbitraires imposées par
les taxateurs, et décréta après une vive discussion l'abolition de toutes les
procédures commencées sur les insurrections occasionnées par les subsistances
jusqu'au 21 janvier, jour de l'exécution de Louis XVI. Elle ordonna en outre
la mise en liberté de tous les individus incarcérés pour faits relatifs à la
taxation arbitraire des denrées. Cependant
le bruit du supplice de l'infortuné Louis XVI retentissait dans les sombres
campagnes de la Vendée. Le Poitevin encore indécis en frémissait de rage ;
les premiers essais de Baudry, quoique malheureux, avaient donné eux autres
cantons l'éveil de la révolte que provoquaient de plus en plus les excès
révolutionnaires. Les maisons riches dévastées, les châteaux pillés et livrés
aux flammes, les propriétaires paisibles des campagnes exposés à des
spoliations patriotiques, les ministres du culte persécutés, les nobles les
plus riches et jadis les plus puissants menacés dans leur liberté
individuelle. Que fallait-il de plus pour susciter des ennemis à la
révolution, et donner des successeurs à Baudry ? Aussi parurent bientôt des
chefs plus habiles qui surent profiter des circonstances et des dispositions
de la multitude. La fermentation était à son comble : chaque jour nouveaux
miracles, nouvelles apparitions, nouveaux sujets de terreurs, d'adoration et
de pèlerinage. Un homme d'un grand caractère parut, digne émule de la Rouerie
; mais plus adroit, il sut longtemps s'envelopper d'une sage obscurité pour
n'éclater qu'à propos. Gigot d'Elbée joignait à un physique agréable les
talents nécessaires à un chef de parti. Il s'exprimait avec grâce ; son
éloquence douce el persuasive savait varier les formes, les tons, selon les
circonstances. Né d'une mère saxonne, il avait passé très jeune en Saxe pour
y servir dans les troupes électorales. De retour en France, il fut nommé à
une lieutenance dans le régiment Dauphin, cavalerie ; mais n'ayant pu y
obtenir une compagnie qu'il sollicitait, il se retira mécontent dans sa terre
près de Beaupréau, où il jouissait d'une grande considération et d'une
confiance qu'il sut augmenter pendant la révolution, en formant des liaisons
locales qui lui ménagèrent dans le pays l'influence nécessaire pour diriger la
multitude. Ainsi que la Rouerie, d'Elbée avait condamné comme intempestives
les premières tentatives d'insurrection. Navré de la défaite de Bressuire, il
ne cessait de recommander l'exécution du grand plan, d'après lequel on
(levait éclater à la fois sur tous les points. Tinténiac, envoyé de la
Bretagne dans le Poitou par la Rouerie et les princes français pour y
concerter les mouvements des deux provinces, repassa en Bretagne avec
l'assurance d'un parfait accord, et arriva au moment où la Rouerie dénoncé,
poursuivi et caché venait d'expirer. Le bruit de sa mort ayant été étouffé
dans le Poitou comme dans la Bretagne, d'Elbée inquiet du silence des
con--fédérés de la rive droite, fit passer dans les différents cantons des
avis propres à modérer l’impatience générale ; mais les esprits étaient dans
un tel état d'irritation, que la moindre étincelle pouvait déterminer
l'explosion générale. D'Elbée qui prévoyait les inconvénients d'une ardeur
irréfléchie était bien décidé, ainsi que les principaux confédérés à ne se,
montrer que lorsque la révolte aurait pris un caractère imposant. Le moment
du recrutement qui coïncidait avec le plan médité, parut favorable : il fut
choisi. La
Convention nationale avait décrété une levée extraordinaire de 300 mille
hommes ; le 10 mars était le jour fixé pour l'exécution de cette loi. Ce même
jour vit la révolte gagner comme un vaste incendie la presque totalité du
département de la Vendée, partie de Maine et Loire, des Deux-Sèvres et de la
Loire-Inférieure. Le
tocsin sonna, et fit soulever spontanément les habitants de 900 communes ; en
vain les sages veulent différer pour avoir le teins de se procurer des armes
: déjà chaque chaumière est un atelier, le fer retentit sous les coups redoublés
du marteau, et les instruments de labourage grossièrement façonnés, se
changent en piques et en épées. Des bâtons ferrés, des fourches, des haches
et des fusils de chasse furent les premières armes des Vendéens. Des faux
emmanchées à rebours servirent de sabres à une cavalerie montée sur des
chevaux sans selle, et conduits par un licou. Les
efforts des insurgés dirigés d'abord du centre à la circonférence, tendaient
à franchir la barrière de la Loire qui les séparait des Bretons soulevés en
même teins. On n'a vu jusqu'ici que les tentatives impuissantes de ces
derniers, maintenant on verra comment triomphèrent les Vendéens, soit par
leur ensemble et leur masse, soit par leur inconcevable énergie. Déjà le
tocsin sonnait de toutes parts, lorsque, le 11 mars, près de 3 mille insurgés
dit district de Saint-Florent se portèrent au chef-lieu en demandant à grands
cris l'exemption de la milice nationale ; ils étaient animés par Laurent
Fleury de Saint-Florent, et André-Michel, dit Chapelle, qui venaient de
parcourir le district pour soulever les jeunes gens. Les administrateurs
employèrent inutilement les moyens de la persuasion ; des huées couvrirent
leurs voix : il fallut songer à se défendre. Tessier du Clauzeau, commissaire
particulier du gouvernement se mit, ainsi que les administrateurs, à la tête
de la gendarmerie et d'une poignée de patriotes que la terreur avait réunis.
Les deux partis furent bientôt eu présence sur la place même de Saint-Florent
; il y eut encore d'inutiles pourparlers. Quelques coups de fusils tirés sur
trois hommes écartés du gros du rassemblement, furent le signal. Le feu
s'engagea de part et d'autre. Quatre hommes furent tués des deux côtés, et il
y eut plusieurs blessés. On se sépara vers midi, après une demi-heure de
combat. A trois heures, les insurgés reviennent à la charge avec plus
d'impétuosité ; les patriotes moins nombreux fuient et se dispersent ; le
district est envahi, les papiers sont brûlés, et les assignats partagés entre
les vainqueurs, qui passent une partie de la nuit à chanter leur victoire.
Ils allaient se disperser n'ayant encore aucun chef apparent, et peut-être
l'insurrection se serait-elle assoupie si le bourg de Pin en Mange, entraîné
des premiers dans la révolte, n'eût renfermé dans son sein une de ces têtes
exaltées, une de ces âmes ardentes qu'électrisent, le danger et les orages
politiques. Cathelineau, fileur de laine, qui avait S'ait, quelques armées
auparavant, le commerce du lin dans les foires et marchés ; tel était l'homme
que d'Elbée sut discerner et mettre en œuvre. Sous l'habit d'un voiturier,
Cathelineau cachait une âme élevée, un cœur intrépide. Indigné de voir une si
haute entreprise sur le point d'avorter faute d'ensemble, et sans en calculer
les chances, sans comparer ses faibles moyens aux ressources immenses de ses
ennemis, sans sonder la profondeur de l'abîme où il entraînait ses
concitoyens, on le vit parcourir les rues et les cabarets de Saint-Florent,
rassembler les plus braves, en former un noyau d'environ trois cents, et se
mettant à leur tête, se porter sur Jallais défendu par les républicains. La
municipalité de Chalonnes y avait envoyé un détachement de sa garde
nationale, que devait commander le capitaine Bernard, et qui le fut à l'insu
de l'autorité, far le médecin Bousseau. Ce commandant divisa sa troupe en
trois pelotons, qu'il disposa sur les hauteurs du château dans un
retranchement défendu par une pièce de six appelée le missionnaire :
il laissa trop peu de monde pour la manœuvrer. Des cris confus annoncent les
insurgés ; les républicains se mettent en défense ; le boulet part et ne
blesse personne. A l'instant Cathelineau commande le pas de course, et en dix
minutes franchit le coteau à la tête des siens. Les patriotes sont ou blessés
ou faits prisonniers avec leur chef. Armes et munitions, tout tombe au
pouvoir des Vendéens. Le missionnaire si glorieusement enlevé fut leur
première pièce de canon. Ce combat n'était que le prélude d'une victoire plus
importante. Sans donner à sa troupe le teins de respirer, Cathelineau marcha
sur Chemillé, à deux lieues de Jallais. Deux cents républicains et trois
coulevrines défendaient cette ville qui semblait à l'abri d'un coup de main.
Le 14 mars, Cathelineau l'attaque : les républicains cherchent à l'intimider
par un feu soutenu. Sans s'amuser à riposter avec la pièce conquise à Jallais,
Cathelineau se précipite avec intrépidité sur ses adversaires. Après une
demi-heure de combat Chemillé est emporté ; les trois coulevrines, les
munitions, beaucoup de fusils et près de deux cents prisonniers tombent au
pouvoir du Vainqueur. Tel fut, dans l'Anjou et le Haut Poitou, le résultat
des trois premiers jours de l'insurrection. Dès-lors Cathelineau vit grossir
sou armée d'une foule de mécontents qui attendaient le succès pour se
déclarer. Ce corps d'abord si faible, comptait deux jours après plusieurs
milliers de combattants enhardis par ces avantages, et que l'enthousiasme
unissait par des liens plus forts que ceux du devoir et de la discipline. Cette
révolte soudaine fut d'abord attribuée nu recrutement qui ne servit tout an
plus que de prétexte à quelques communes éloignées ou environnantes,
étrangères à la confédération et qui s'y réunirent ensuite. Les mouvements
occasionnés par la levée clés 300 mille hommes avaient un tout autre
caractère, et furent facilement apaisés à Caen, au Mans, à Angoulême, à.
Clermont-Ferrand et à Grenoble. Il y eut à la vérité quelque résistance
accompagnée de propositions conciliatrices, faites par des hommes qui n'ayant
pas le secret de l'ensemble, se méprenaient sur les véritables motifs de
l'insurrection. Tel fut le soulèvement qui éclata sur la rive droite de la
Loire aux portes de Nantes, entre cette ville et la Vilaine. 20 mille paysans
armés à la fois et conduits par Richard Duplessis et Premyon-Morin, se
rassemblèrent en tumulte au bourg de Saint-Etienne-de-Montluc pour se donner
un chef. Leur choix tomba sur Gaudin-Laberillais, ancien lieutenant-colonel
du régiment d'Armagnac. Cet homme découragé depuis la mort de la Rouerie,
hésite longtemps ; il accepte enfin, mais il veut parlementer avant de
combattre, et adresse, le mars, aux corps administratifs de la
Loire-Inférieure, en qualité de médiateur de 21 paroisses révoltées, un
manifeste portant en substance qu'il n'y aurait plus de tirage de milice,
qu'il ne serait jamais pris de chevaux aux cultivateurs que de gré à gré, que
les impôts seraient répartis avec justice et sur des bases proportionnelles,
que les Directoires de départements n'attenteraient plus à la liberté des
citoyens-en faisant marcher contre eux la force armée qui serait désormais à
la seule réquisition des tribunaux et des juges de paix-; que la liberté des
cultes serait maintenue, et que tout prêtre jouirait de la tranquillité que
la loi doit lui assurer ; que les églises leur seraient ouvertes pour la
célébration de l'office divin, et que chacun en payant son ministre serait
libre de le choisir. A la
réception de ce manifeste, l'administration départementale demanda trois
jours. C'était pour gagner du temps et se préparer à la résistance. Pressé
sur les deux rives du fleuve, Nantes aurait pu être envahi si Laberillais eût
agi au lieu de négocier ; son caractère incertain sauva cette ville. N'ayant
pas le courage de s'engager dans une guerre intestine, il harangua les
insurgés pour les déterminer à se soumettre malgré l'opposition de Richard
Duplessis dont l'ardeur égalait l'intrépidité. Celui-ci accuse publiquement
Laberillais, lui reprochant de manquer aux devoirs que la croix de
Saint-Louis, dont il était décoré, lui imposait. Richard s'empare alors
lui-même de l'autorité ; mais le courage seul ne pouvait suppléer à la
capacité et à la considération. Il fallait à cette multitude un chef plus
marquant, plus expérimenté. Richard parvint néanmoins à réunir les insurgés
dans le village de Sautron. Il était secondé par Premyon-Morin, et
Charette-du-Kersant chargé de parcourir les campagnes pour soulever les
paysans, dans la vue d'attaquer Nantes ; mais leurs efforts réunis ne purent
balancer l'effet des exhortations de Laberillais. Au lieu de se recruter,
cette troupe diminuait chaque jour, et les Nantais profitèrent de
l'incertitude de ses mouvements pour prendre l'offensive. En vain Richard eut
recours aux ministres de la religion : plusieurs prêtres vinrent officier en
plein champ au milieu des insurgés. Le curé de Chollet, caché aux environs de
Nantes, employa toutes les ressources du fanatisme pour rappeler la masse des
paysans aux combats. Il était trop tard. Richard-Duplessis n'avait qu'une
poignée d'insurgés lorsqu'il fut attaqué par la garde nationale de Nantes.
Trois coups de canon suffirent pour les disperser. Les républicains entrèrent
à Sam-, trou sans y commettre de désordre, ce qui acheva de déterminer la
soumission des campagnes. Richard parvint à former un troisième rassemblement
à Cordemais ; il fut encore dissipé faute de secours et de liaison. Réduit à
se cacher sous des habits de paysan, il parvint à sauver sa tête, mise à prix
par les Nantais, et passa ensuite dans la Vendée pour se réunir à Lescure
dont il devint l'adjudant-général. Laberillais eut un tout autre sort ; son
caractère faible et incertain causa sa perte. Il voulut se rapprocher des
patriotes et sollicita une conférence avec les autorités pour se justifier.
Arrivé à Savenay, il est saisi, garrotté et conduit, à Nantes, où il est jugé
et acquitté. Quelques révolutionnaires altérés de sang en frémirent de rage.
L'un d'eux produisit un ordre souscrit par Laberillais en sa qualité de chef
des insurgés de Montluc. La loi était formelle ; de nouveaux juges lui en
tirent l'application et il fut conduit à la mort victime de son indécision ;
tant il est vrai qu'il est plus sûr dans les orages politiques de prendre une
résolution extrême, que de flouer entre deux partis opposés. Tandis
que sur la rive droite de la Loire les insurrections s'apaisaient, soit par
l'incertitude des chefs, soit par le défaut d'énergie et de persévérance des
paysans bretons, la généralité de la Vendée se soulevait franchement aux cris
de vive Louis XVII, vive le régent de France, vive la religion catholique
et romaine ! Pour
signe de reconnaissance, les insurgés du Bas-Poitou portaient une image en
médaillon consacrée à la Vierge Marie, et entourée de chérubins sortant des
nuages. Au plus fort de la mêlée, de nouveaux Moïses restaient près d'eux eu
prières. Souvent leurs prêtres célébraient la messe sur le champ de bataille,
après le combat. Moins
sanguinaires, mais non moins superstitieux, les insurgés de l'Anjou et
Haut-Poitou se couvraient de chapelets, de scapulaires, et plaçaient des
crucifix sur leurs pièces de canon. Le
temps se perdait rarement en vaines délibérations. Les plus hardis
attaquaient et combattaient les républicains avec fureur. Le 15
mars, Cathelineau marcha sur Chollet, et fut joint par un corps d'insurgés
que commandait Stofflet. Cet homme intrépide, né à Lunéville, avait été
soldat pendant seize ans. Retiré à Maulevrier, il y était garde-chasse du
marquis de ce nom, grand propriétaire, alors émigré. Dévoué à d'Elbée,
Stofflet avait dès le 11 mars rallié une cinquantaine de forgerons de
Maulevrier. Sa troupe s'étant successivement grossie, formait le 15 une
division redoutable, qui, renforçant celle de Cathelineau, le mit en état
d'attaquer Chollet. Cette ville n'avait qu'une faible garnison, hors d'état
de résister longtemps à une masse victorieuse ; les républicains en
défendirent les approches. Enfoncés dès le premier choc, ils s'y réfugièrent.
Les vainqueurs entrèrent pêle-mêle avec eux, la saccagèrent, et y trouvèrent
des ressources immenses. Le marquis de Beauveau, procureur syndic du
district, fut tué dans la mêlée. La prise de Chollet, en rehaussant la
réputation des insurgés, entraîna la Vendée entière. Ce fut alors que la
guerre changea de face. D'Elbée, qui s'était tenu derrière le rideau, parut
enfin parmi les royalistes victorieux. Secondé par Cathelineau et Stofflet,
il s'empara de Vihiers qu'il évacua le même jour, n'emmenant pour trophées
que des charriots chargés des papiers du district, destinés à faire des
cartouches. Les républicains, après avoir perdu leur artillerie et quelques
hommes, se replièrent sur Doué, puis sur Saumur. La consternation était
générale parmi eux ; elle augmenta encore par l'explosion du magasin à poudre
d'Angers, attribuée à la trahison. On vit paraitre alors à découvert, sous
les drapeaux de la révolte, d'autres chefs vendéens. Le jour même de la prise
de Chollet, les insurgés du district de Saint-Florent, qui n'avaient pas
suivi Cathelineau, se portèrent au château de la Baronnière, où résidait Artus de Bonchamp ancien capitaine
dans le régiment d'Aquitaine, militaire depuis l'âge de quatorze ans, ayant fait
la guerre dans les Grandes-Indes. Ils le proclamèrent leur chef. Humain et généreux, autant qu'on peut l'are au milieu des
fureurs de la guerre civile. Bonchamp s'occupa constamment d'en adoucir les
maux. Militaire éclairé, mais sans ambition, et ennemi de l'intrigue, il ne se soutint
que par sou propre mérite, et n'obtint jamais la suprématie que lui disputa
sans cesse d'Elbée, dont le caractère bouillant et emporté contrastait avec
la douce modération de son rival. Bonchamp sut néanmoins conserver le rang qui
convenait à ses talents et à son caractère. Ses conseils furent toujours réclamés
dans les occasions importantes ; mais trop peu suivis. Tandis
que l'insurrection se régularisait dans le pays de Mauges et dans l'Anjou
méridional, elle se développait dans la basse Vendée, où des chefs
sanguinaires commandaient à un peuple inhumain. Elle éclata d'abord dans le
pays de Retz. Dès le 8 mars, les paysans s'étaient ameutés dans la paroisse
de Chauvé, sous prétexte de prières publiques. Bientôt secondés par les
habitants du Port Saint-Père, de Bouguenais, de Bouais et de Brains, ils
prirent pour chef Danguy de Vue, propriétaire du château de Vue, à l'entrée
de la forêt de Princé. Ripault la Cathelinière et Flamingue fils suivirent
Danguy comme chefs secondaires. Le même jour, les insurgés marchèrent
sur-Paimbœuf, où ils avaient des intelligences ils attaquèrent trop tard, et
furent repoussés. Danguy blessé se cacha, fut découvert, conduit à Nantes, et
mis à mort. La Cathelinière prit le commandement des royalistes du pays de
Retz. Guérin le suivit. Le
nombre des insurgés augmentait chaque jour. Quinze cents paysans se portent à
Brains, chez Lucas-Championnière, qu'ils nomment commandant, pour aller
s'emparer du poste du Pellerin. On y entre sans peine ; le village est pillé.
Deux pièces de canon de fer enlevées d'un navire sont conduites au Port
Saint-. Père. Les paysans s'emparent également d'une barge qui descendait le
fleuve. Ils y trouvent des gazettes qui annonçaient la défection de Dumouriez.
Cette nouvelle répandit la joie parmi les insurgés ; ils ne doutèrent plus
alors du renversement de la république. Lucas-Championnière devint un des
principaux officiers de la Cathelinière, s'attacha ensuite à Charette, et fut
un des chefs les plus distingués du Bas-Poitou. Dès le 10
mars, les patriotes de Machecoult effrayés par le tocsin des communes
rurales, et par les rassemblements qu'ils apercevaient au loin, s'étaient mis
sur la défensive. Le lendemain, les insurgés des environs, commandés par les
frères Hériault et Léger, Paigné, homme d'affaire de M. de la Platrière,
Berthaud et Boursault de Saint-Lumine de Grand-Lieu, pénétrèrent par toutes
les issues de la ville, en poussant le cri de vive le Roi ! Cent
hommes de la garde nationale, placés à l'une des extrémités, marchèrent à
leur rencontre, ayant à leur tête Maupassant, ex-député à la Constituante,
.et commissaire du département pour le rétablissement de l'ordre : la
gendarmerie était à cheval. Bientôt débordés par cette multitude d'insurgés,
les patriotes fuient : il ne reste plus avec le commissaire que cinq hommes,
qui sont ainsi que lui massacrés sur-le-champ. Malheur à ceux qui tombaient
au pouvoir des rebelles. Les femmes criaient tue, tue ; les vieillards
eux-mêmes assommaient, et les enfants chantaient victoire. Un Vendéen courait
les rues avec un cor de chasse ; quand il apercevait un patriote, il sonnait
la vue, c'était le signal d'assommer ; puis il revenait sur la place sonner l’hallali
: les enfants le suivaient, en criant victoire ! vive le Roi ! Le curé
constitutionnel de Tort périt de coups de baïonnettes dans le visage. Le
patriote Pinot et son jeune fils ayant refusé de crier vive le Roi,
furent assommés. Ils tombent, et en rendant le dernier soupir, font entendre,
les mots vive la Nation. Pagnot, juge de paix, meurt en poussant le
même cri. Quarante-quatre
républicains furent égorgés ; les II et 12 mars, à peu près autant furent
jetés dans les cachots. Un comité royal présidé par Souchu, ancien receveur
des gabelles souillait ainsi la victoire, et ordonnait les massacres. De
semblables exécutions étaient imitées au camp vendéen de Guiové, près la
route de Paimbœuf. A Legé et à Montaigu, tout ce qui tenait à la révolution
fut impitoyablement massacré. On dressait des listes de proscription.
Quelques patriotes rachetèrent leur vie à force d'argent, et s'acharnèrent
ensuite contre leur propre parti ; plusieurs en devinrent même les bourreaux,
mais il ne suffisait pas d'égorger, il fallait vaincre. Les insurgés ayant à
leur tête La Roche Saint-André l'aîné marchèrent sur Pornic ; Saint-André
prit en passant la division de Cathelinière, alors à Bourgneuf. Pornic fut
pris à quatre heures du soir, et repris à six heures et demie par, les
républicains, que commandait le prêtre Abline. Les insurgés, au nombre d'environ
six mille, n'avaient que sept à huit cents fusils, point d'ordre, nul
ensemble dans l'attaque se livrant au pillage, s'enivrant de vin et d'eau de
vie ; aussi les républicains les surprirent-ils sans défense. Dans l'action,
St-André pressé par trois gendarmes en tua deux, et son pistolet lui ayant
crevé dans la main, il passa son épée au travers du corps du troisième ; mais
voyant que les Vendéens étaient ivres et ne combattaient plus, il s'écria : sauve
qui peut ! à l'instant tous fuient et se dispersent. Baudouin de Sainte-Pazanne
était à cette affaire ; Flamingue fils y fut tué. Arrivé à Machecoult, Saint-André
trouva Souchu occupé à dresser un procès-verbal pour le faire fusiller comme
ayant lâchement abandonné son poste. Les esprits étaient tellement aigris par
les insinuations de Souchu, qu'il était impossible de faire entendre la
vérité. Il fallut fuir pour éviter la mort ; Saint-André se cacha dans l'île
de Bouin : ainsi lui échappa le commandement. Attaché à sa cause, il reparut
depuis sur d'autres points de la Vendée, mais non comme chef principal. Il
fallut le remplacer. Les insurgés se portèrent en foule chez Athanase
Charette de la Contrie, lieutenant de vaisseau, alors à Fond de Close, chez
sa femme, près la Garnache. Ils le proclamèrent tumultuairement leur chef.
Charette les passa le même jour en revue, et employa quatre jours à les
organiser, et à former sa cavalerie, qui ne fut d'abord que de cent chevaux :
Il eut pour officiers, dès l'origine, les trois frères Laroberie, Duchaffaut
jeune, neveu du cordon rouge, le chevalier de Laroche-Lepinay et Dargens,
fils d'un chirurgien. Le 14, Charette vint à Machecoult, il y jura dans
l'église sur l'évangile, en présence des insurgés, qu'il périrait les armes à
la main plutôt que d'abandonner son parti, et les fixant fièrement, il leur
dit : Promettez comme moi que vous serez fidèles à la cause de l'autel et du
trône... Oui, oui,
s'écrièrent-ils unanimement en brandissant leurs armes et frappant du pied.
On marcha sur Pornic avec la division de Cathelinière ; cette fois Pornic fut
pris et livré au pillage. Charette y trouva trois pièces de canons qu'il fit
conduire à Machecoult. A cette
époque la puissance de Charette était resserrée dans un cercle étroit : il
n'avait sous son commandement que Machecoult, Touvois, la Garnache, Paulx et
quelques paroisses environnantes. La partie maritime du district de Challans,
Beauvoir, Saint-Jean-de-Mont, et toute la côte jusqu'aux Sables-d'Olonne
obéissait à Guery de Clauzy, gentilhomme qui fut pris et fusillé un an après.
Dabbayes et Guery-Fortinière étaient ses lieutenants. Le marais de Bouin
formait une division commandée par Pajot aîné, qui avait exercé jusqu'alors
la profession de marchand. L'arrondissement de Saint-Philibert reconnaissait
pour chef un ancien officier de cavalerie nominé de Couëtu. Le feu de
l'insurrection avait aussi gagné le district des Sables-d'Olonne : Joly de la
Chapelle Hermié avait formé, avec ses deux fils, entre Lamotte-Achard et
Saint-Gilles, une division appelée depuis l'armée des Sables, forte alors de
quatre mille hommes. Il était secondé par La Secherie. Savin forma la
division de Palluau, et organisa les 2 mille hommes qui la composaient.
Pinaud, ancien lieutenant dans le régiment de l'Ile-de-France, souleva Lege,
et y commanda. Vrignaux, ancien soldat, forma et organisa la division de
Viellevigne : il était lui-intime de cette paroisse, d'où son commandement
s'étendait sur Saint-Sulpice et sur tout le pays qui se trouve entre les
grandes routes de la Rochelle et des Sables : les deux frères Guéroult
étaient ses lieutenants. Au premier coup de tocsin Baudry d'Asson reparut :
porté aussitôt en triomphe, on le proclama chef d'insurrection ; il étendit
son pouvoir sur une partie des districts de Montaigu et de la Chataigneraye.
Je dirai ailleurs quel fut le sort de ce premier moteur de la guerre civile,
plus imprudent qu'habile chef de parti. Au centre de la Vendée, Royrand,
vieillard vénérable, ancien militaire, chevalier de Saint Louis, et
propriétaire à Saint-Fulgent, fut également entraîné. Ce fut lui qui forma
Par-niée dite alors armée du centre, qui embrassait la majeure partie des
districts de Montaigu, de la Chataigneraye et de la Roche-sur-Yon. Il établit
son quartier-général au château de l'Oie. Royrand avait sous lui Verteuil,
les Bejari, de Hargues, les deux Sapinaud de la Verie et Villeneuve ;
Vrignaux et Bart-dry d'Asson s'y réunissaient aussi avec leurs divisions.
Vers la Loire, Lyrot-de-la-Patouillère, ancien militaire, chevalier de
Saint-Louis, avait une division séparée qui occupait une partie de la rive
gauche. Il forma les camps de Saint-Julien et de Lalloué à deux lieues de
Nantes. Designy père et fils, et Devieux le secondaient. Ce fut à Lalloué que
Piron et d'Andigné de Maineuf, qui avait échoué sur la rive droite, firent
leurs premières armes. L'un et l'autre acquirent d'abord peu de réputation,
cc ne fut que trois mois après que Piron se distingua. Prodhomme, maitre
d'école au Louons, qui tenait plus au Haut-Poitou qu'à la Basse-Vendée, se
mit aussi à la tête des insurgés de sa paroisse. Telle fut la première
démarcation insurrectionnelle de la Basse-Vendée, qui devint par la suite le
domaine de Charette : confédération informe à laquelle le hasard et les
événements eurent plus de part que les combinaisons d'une tactique
prévoyante. Bientôt
Joli menace les Sables-d'Olonne ; les-volontaires de cette ville, devenue la
place de sûreté des patriotes, marchent au secours de Palluau, où ils sont
écrasés par Savin. Au même instant, Légé tombe au pouvoir de Pinaud, pour
éprouver le même sort que Machecoult. Saint-Fulgent arborait l'étendait
royal, Royrand battait la garde nationale de Fontenay et s'emparait du bourg
de Chantonay. Baudry repoussait la garde nationale de la Chataigneraye. Un
comité royaliste présidé par le Chevalier de Laroche-Saint-André,
s'établissait à Montaigu. Le torrent de l'insurrection forçait les
administrateurs et les gardes nationales d'évacuer leurs territoires qui
furent bientôt organisés dans le sens royaliste. Ainsi
la basse Vendée et le centre du Bocage se soulevèrent sans obstacles, et
devinrent le foyer de la révolte ; dans l'espace de cinq jours, les Vendéens
guidés par des chefs expérimentés, s'emparèrent de Saint-Florent, de Jallais,
Chollet, Vihiers, Challans, Machecoult, Legé, Palluau, Chantonay, Saint-Fulgent,
les Herbiers, Laroche-sur-Yon, menaçant Luçon, les Sables et Nantes même,
dont les avant-postes étaient journellement aux prises avec les soldats de la
Cathelinière, de Lyrot et de Guery. Déjà la terreur planait sur toutes les
villes voisines du foyer de l'insurrection. Dès le 11 mars, les
administrateurs de la Loire-Inférieure écrivirent la lettre suivante aux
départements environnants. « Frères
et amis, à notre secours ! Notre département est en feu : une insurrection
générale vient de se manifester ; partout on sonne le tocsin, partout on
pille, on assassine, on brûle ; partout les patriotes en petit nombre,
tombent victimes de la fureur et du fanatisme des révoltés... Avez-vous des forces à nous prêter, des
moyens de défense à nous fournir ? Avez-vous des soldats, des hommes, du fer
? Envoyez-les nous, jamais on n'en eut plus besoin... » Ce fut
à la séance du 18 mars que la Convention nationale reçut de son commissaire Niou,
le premier avis officiel de l'insurrection. Cette assemblée, déjà accoutumée
aux troubles et aux révoltes, n'en parut pas très-émue. Les administrateurs
de la Vendée et des Deux-Sèvres, transmirent aussi quelques détails ; mais
telle était leur ignorance, qu'ils présentèrent les rebelles comme étant
dirigés par un prétendu Gaston, personnage fabuleux, dont le nom retentit non
seulement dans toute la France, mais dans l'Europe entière. On vit même le
conventionnel Carra, pendant sa mission à Fontenay, mettre à prix la tête de
ce Gaston, généralissime des Vendéens : au même moment, Pons (de Verdun) interpellait à la tribune de la
Convention son collègue Gaston, de déclarer s'il n'était pas le frère de ce
chef des révoltés. A un
soulèvement si formidable, la Convention n'opposa d'abord que des moyens
législatifs ; elle lança le tg mars un décret de mise hors la loi, contre
tout individu prévenu d'avoir pris part aux révoltes contre-révolutionnaires,
ou seulement d'avoir arboré la cocarde blanche ou tout autre signe de
rébellion. Décret terrible qui, en suspendant l'institution des jurés,
livrait dans les 24 heures à l'exécuteur, pour titre mis à mort, tout homme
pris ou arrêté les armes à la main. Il suffisait que le fait attesté par un
seul témoin, eût été déclaré constant par une commission militaire. Cette loi
draconienne contenait en outre des dispositions exclusivement pénales contre
les prêtres et les nobles, et en prononçant la peine de mort, prononçait
aussi la confiscation des biens. Quoique modifiée le 10 mai, et restreinte
aux seuls chefs et instigateurs de la révolte, cette même loi fut constamment
la base de la législation républicaine dans la Vendée. De telles mesures ne pouvaient que provoquer la résistance du désespoir, et désormais les armes seules devaient décider entre les deux partis. |