Conjuration de la Rouerie.
SOUS plusieurs aspects, les troubles
politiques de la Bretagne et de la Vendée sont indivisibles. Dans le système
militaire et insurrecteur, la Loire sépare les deux pays. Les Bretons,
maîtres de la rive droite, les Poitevins de la gauche, pouvaient, en agissant
de concert, faire tomber cette barrière commune, s'emparer du cours du
fleuve, et envahir des villes florissantes. Alors des Sables-d’Olonne aux
rochers du Calvados, tout eût été entraîné ; l'occident de la France détaché
du centre eût pressé l'intérieur, tandis que la coalition entamait les
extrémités de l'empires Une
aussi vaste conception ne pouvait appartenir qu'à un génie à la fois
extraordinaire et audacieux : ce génie parut en Bretagne. Armand Tuffin,
marquis de la Rouerie, joignait à des passions ardentes un grand caractère,
aux talents des négociations les vues d'un général et l'intrépidité d'un
soldat. Il avait embrassé dès sa plus tendre jeunesse la carrière des armes.
Officier dans les Gardes-Françaises, il s'y était montré frondeur original du
gouvernement monarchique et des étiquettes de la cour. Son début dans le
monde fut marqué par des dissipations et des désordres. Éperdument épris des
charmes de la Beaumesnil, actrice célèbre de l'Opéra, il voulut même
l'épouser, et ne put l'y résoudre. Accablé de ce refus et du courroux du
monarque, que lui avait attiré, à la même époque, son duel avec le duc de
Bourbon-Busset, il s'empoisonna ; secouru à temps, il alla s'ensevelir à la
Trape. Arraché par ses amis à ce tombeau vivant, le bruit de la trompette
guerrière le réveilla soudain : il défendit dans le Nouveau monde et à la
tête d'une légion, sous le nom de colonel Armand, l'indépendance et la
liberté des' Américains, se distingua et revint en France. Son séjour dans
les États-Unis, première cause de sa célébrité, avait trempé son caractère.
Dès les troubles précurseurs de la révolution, la Rouerie se déclara le
champion de la noblesse et des parlements qui luttaient alors contre la cour.
L'un des douze députés envoyés auprès du roi pour réclamer impérieusement la
conservation des privilèges de sa province, il subit à la Bastille un
emprisonnement qui excita en sa faveur l'intérêt de toute la Bretagne. Avide
de révolutions, la Rouerie vit d'abord avec joie celle de 1789 ; mais bientôt
mécontent de n'y point figurer à son gré, il s'indigna de voir la noblesse
bretonne succomber sans appui sous une majorité plébéienne. Il l'excite à la
résistance ; il provoque son refus d'envoi-er des députés aux états-généraux,
ne voulant point, disait-il, que cette noblesse antique se courbât devant la
double représentation du tiers ; enfin, il conseille cette protestation
chevaleresque, signée individuellement du sang des nobles bretons ; et,
jaloux de marquer d'une manière éclatante, il voulut, quoique amant de la
liberté, la faire rétrograder à l'instant même où toute la nation croyait
s'élancer vers elle. Le rôle de chef de parti convenait à son génie, à son
finie ardente, à son infatigable activité, et les dangers de la guerre civile
lui paraissaient préférables à l'humiliation du joug populaire. A Rome, il eût
combattu les Gracques ; en Suède, son roi. Devenu
l'espoir des mécontents de la Bretagne il les rallia pour jeter ensuite les
fondements de cette fameuse association qui souleva l'occident de la France.
Plein de cette grande idée, la Rouerie quitte son château, se rend à Coblentz
auprès du comte d'Artois, et lui présente son plan[1], après l'avoir soumis à Calonne,
alors conseiller de ce prince. Tout fut approuvé et revêtu, le 5 décembre
1791, de la sanction des frères de Louis XXI. La Rouerie, regardé clés-lors
comme l'âme et le chef de la confédération, est autorisé à faire usage de
tous ses moyens pour en assurer le succès. L'association réglait d'abord
l'établissement de commissions centrales d'insurrection dans chaque ville
(l'évêché, et leur composition élémentaire puisée dans les trois ordres. Elle
réglait ensuite la correspondance directe avec le chef, établissait des
commissions secondaires dans les villes et arrondissements d'un ordre
inférieur, mais toujours sous l'autorité du chef commun et la direction des
comités supérieurs. Les travaux de tous devaient avoir constamment pour objet
de procurer des hommes et de l'argent, la séduction des milices nationales et
des troupes de ligue ; le sacrifice de l'intérêt local à l'intérêt commun, le
concert, l'ensemble dans les opérations, étaient vivement recommandés, et
tout mouvement partiel interdit. Le retour de la monarchie dans toute sa
pureté, la conservation des propriétés particulières, des droits de la
province et de l'honneur breton, devaient être le prix de tant d'efforts, de
travaux et de sacrifices. La Rouerie se réservait de régler à temps
l'organisation militaire. Il partit de Coblentz où son plan resta secret, ne
laissant auprès du comte d'Artois que le jeune Fontevieux qui, ayant servi
sous lui en Amérique, était seul initié dans ses projets. L'origine
de l'influence anglaise en Bretagne remonte à cette époque. Réfugiés à Jersey
et à Guernesey, les émigrés de cette province, dirigés par le comte de
Botherel, ancien procureur-général-syndic des états de Bretagne, s'étaient
rangés sous la protection du gouvernement britannique, et ce gouvernement
méditant déjà le bouleversement de la France, voyait dans cette classe de
mécontents des auxiliaires qu'il fallait secrètement encourager. C'était à
Jersey que l'on devait former les dépôts d'armes et de munitions pour la
Bretagne ; mais il était à craindre que Botherel, animé par une rivalité
d'ambition, ne contrariât les projets de la Rouerie. De retour en Bretagne,
ce dernier, après avoir mûri son plan, le mit en action. Bientôt
Saint-Malo, Rennes, Dol, Fougères, eurent leurs comités insurrecteurs. On y
fit d'abord le recensement de tous ceux qui avaient perdu au nouvel ordre de
choses pour les exciter ensuite à se confédérer. Des émissaires royalistes se
glissèrent dans les corps administratifs et judiciaires ; dans les
établissements publics ; et surtout dans les douanes, la garde. e. es ports,
les forts et les arsenaux. Une multitude d'écrits sur les intentions des
princes et de la coalition ; propagèrent la résistance et fomentèrent le
fanatisme politique. Il fut arrêté que moyennant le sacrifice d'une année de
son revenu, on obtiendrait un sauf-conduit pour sa personne et ses propriétés
dans tout le cours de la guerre, et que dès-lors on serait autorisé à se
joindre en apparence aux patriotes. Les associés qui jouissaient, de ce
privilège étaient invités à se marier avec les autorités constituées. Les règlements
militaires et civils délibérés dans les diverses réunions insurrectionnelles,
et envoyés au conseil des princes, y furent approuvés avec des changements
proposés par Calonne, devenu le rapportent' de toutes les affaires relatives
aux royalistes de l'occident : Le comité de Saint-Malo qui correspondait plus
directement avec Jersey et Guernesey, rédigea des instructions locales qui
furent également adoptées. La Rouerie, l'âme de cette vaste conjuration, y
consacrait ses veilles, sa fortune, toutes ses facultés. Une femme le
secondait puissamment : Thérèse Moelien, de Fougères ; jeune, belle,
courageuse, attachée à son chef par les liens du sang et de l’amour,
parcourait avec lui les campagnes ; elle portait, cousus dans ses habits
d'Amazone, les pouvoirs donnés à la Rouerie par le comte d'Artois, et lui
gagnait partout des partisans. Dans leurs courses hardies, ces deux amants
qui n'avaient qu'une même âme et une même existence partageaient les mêmes
dangers. L'actif, l'infatigable Loisel, contrôleur des actes à Plancouet et à
Saint-Malo, ne quittait point la Rouerie, dont il était à la fois le
confident et le secrétaire. Le major Chafner, Américain, ami intime de la
Rouerie, était également initié dans tous les-secrets de l'association. Un
rôle important et actif lui était réservé au moment où l'on prendrait les
armes. Parmi les conjurés se faisait aussi remarquer Désilles, chef d'une
famille malheureuse : il pleurait encore sou jeune fils, massacré à Nancy.
Retiré à la Fosse-Ingant, plein de haine contre les démocrates, c'était lui
qui régularisait l'administration de la ligne bretonne dont il était le
caissier ; Picot-Limoelan, son beau-frère, le secondait. Plus actif et non
moins dévoué, le jeune Fontevieux avait la confiance de tout le parti dont il
était le tourier ; c'était lui qui, dans les occasions importantes, se
rendait auprès des princes français, recevait et rapportait leurs ordres.
Grout de Lamotte, capitaine de vaisseau, Loquet de Grenville, Delaunay,
ancien lieutenant-général de l'amirauté, et Lamotte-Laguyomarais, jouissaient
aussi dans le parti d'une grande considération. Charles Bertin et Prigent de
Saint-Malo, quoique nés dans la classe plébéienne, figuraient aussi dans la
coalition bretonne, et s'y distinguaient déjà par leur zèle ardent pour la
cause royale. Le jeune Pontavice, officier dans le régiment d'Armagnac, d'un
caractère éprouvé, résidait ordinairement dans la capitale où il était en
observation pour les intérêts du parti. Les trois aides-de-camp de la
Rouerie, Tuffin, son neveu, le jeune Limoelan, et le chevalier de Tinténiac,
étaient chargés des commissions délicates et périlleuses. Le commandement
militaire se trouvait à peu près réparti de la manière suivante : le prince
de Talmont dans la Mayenne ; dans 1'Avranchin le marquis de Saint-Gilles ;
Lahaye Saint-Hilaire entre Dol et Rennes ; Duboisguy à Fougères ;
Labourdonnaye et De Silz dans le Morbihan ; à l'embouchure de la Vilaine les
Dubernard et Caradeuc ; Palierne et Laberillais dans le pays nantais ;
Dubaubril-Dumoland près Montfort ; le baron Daupherné au Finistère, et
Charles Boishardy dans les Côtes-du-Nord. Chaque chef d'arrondissement avait
sous lui des chefs secondaires chargés d'organiser militairement les cantons
qui leur étaient confiés. Tous apportaient dans leurs opérations cet ardent
dévouement qui tient à l'esprit de parti et à la bravoure personnelle. Mais un
plan si vaste ne pouvait rester longtemps secret. Les passions déchaînées et
même la seule divergence des opinions mettaient alors la délation au rang des
vertus civiques. Le républicain n'hésitait pas à devenir dénonciateur pour
déjouer un complot de royalistes ; il se couvrait au besoin du masque de
l'amitié ; et l'ardent défenseur du trône sacrifiait jusqu'aux affections de
la nature pour le succès de sa cause : effet déplorable de l'esprit de parti
toujours aveugle, toujours cruel ! Ainsi, l'on vit Latouche-Schevetel
surprendre et trahir la con-, fiance des conjurés. Ce jeune médecin breton,
cloué de qualités brillantes, connaissait l'art de-s'insinuer clans les
cœurs. Quoiqu'il professât ouvertement les principes de la révolution, la
Rouerie, dont il était connu, lui avait souvent témoigné une sollicitude
affectueuse pour fat, tirer dans son parti. Latouche résidait à Paris, et la
Rouerie ayant besoin d'argent pour ses opérations, lui confia des billets de
caisse qu'il tenait de Calonne pour les convertir en or. Ces billets ne
pouvaient être admis qu'avec précaution, à défaut d'un nouveau signe qui leur
manquait. La Rouerie, pressé d'avoir des fonds, expédia Tuffin, son neveu,
jeune homme inconsidéré, qui, prenant Latouche pour un des conjurés, lui
dévoila tout. Fontevieux apporta bientôt de nouveaux billets pour être
échangés comme les précédents ; il trouve Latouche au fait de la conspiration
et lui en révèle tous les détails ; ensuite il part pour Coblentz à l'effet
d'accélérer les secours promis par le comte d'Artois. Fontevieux voyageait en
toute sûreté au moyen d'une commission du prince des Deux-Ponts auprès des
États-Unis d'Amérique. Latouche,
accablé du poids d'un secret aussi important, hésite d'abord ; enfin, il
court dévoiler tout à Danton, son ami, le plus audacieux des
révolutionnaires. Les avis de Latouche parviennent au comité de sûreté
générale de l'assemblée législative, qui en prévient les administrations
départementales des Côtes-du-Nord et d'Ille et Vilaine. Mais au milieu des
convulsions qui précédaient la chute du trône, il ne pouvait exister une
surveillance capable d'étouffer un pareil complot. On
touchait alors à la crise qui devait changer les destinées de la France. Tout
s'apprêtait à la guerre, l'Europe contre la France, la France contre
l'Europe. Les conjurés impatients n'en attendaient que le signal. Enfin,
l'assemblée législative la proclama, et la France en eut la funeste
initiative. Jamais les espérances des ennemis de la révolution ne furent
fondées sur de plus puissants motifs : la Rouerie n'attendait que ce moment
pour organiser définitivement son parti, afin d'être en mesure d'éclater
selon qu'il en recevrait l'impulsion du dehors. Dans cette circonstance, il
crut devoir rassembler les principaux conjurés au château de la Rouerie,
situé entre Saint-Malo et Rennes : la réunion fut complète. Après un repas
non moins enivrant par l'exaltation des propos que par l'abondance des
liqueurs, la Rouerie fit passer les convives dans une salle mystérieuse. Tous
se rangent autour de lui ; le fidèle Loisel fait d'abord lecture à haute voix
de la commission, datée de Coblentz, le 2 mars 1792[2], par laquelle les princes
Stanislas-Xavier et Charles-Philippe, après avoir donné à la Roua-rie, comme
chef des royalistes de l'occident, tous les pouvoirs militaires, ordonnent
aux sujets restés fidèles en Bretagne, de le reconnaître et de lui obéir, et
autorisent la Rouerie à joindre à l'association bretonne les parties
limitrophes des autres provinces, et à retenir ses compatriotes dans
leurs foyers où ils pourront rendre au roi et à l'état des services plus
importants que ceux qu'ils rendraient au-dehors en prenant le parti de
l'émigration. Après
la lecture de cette pièce, la Rouerie se leva, harangua les conjurés,
provoqua leur vengeance et excita leur courage en leur montrant le trône et
l'autel attaqués par des novateurs et des impies, la noblesse en péril,
l'anéantissement des privilèges. Ensuite il développa son plan militaire, et
annonça la coalition de l'Europe, le soulèvement des deux rives de la Loire ;
et Four prix de tant d'efforts et de persévérance, la conservation de la
monarchie ou l'indépendance de la Bretagne. Puis il s'écria avec véhémence : « Braves
compagnons d'armes ! si vous me croyez digne d'être votre chef et de vous
mener à la victoire, jurez avec moi fidélité au roi, haine aux démocrates,
soumission aux ordres des princes, et dévouement à l'association bretonne. »
A l'instant les conjurés, qui déjà partageaient l'ardeur et la confiance dont
leur chef était animé, prononcent tous ce serment à haute voix avec l'accent
de l'enthousiasme. Ils se livraient à peine à cet élan unanime, qu'une des vedettes
du château, car le service s'y faisait comme dans une place menacée,
introduisit dans la salle un émissaire envoyé par le comité de Dol. Il
annonça que des volontaires marchaient sur le château pour le livrer aux
flammes, sous le prétexte qu'il s'y était formé un rassemblement de prêtres
et de nobles. A cette nouvelle, tous furent d'avis de se soustraire par la
fuite aux recherches des patriotes ; mais la Rouerie, instruit depuis
longtemps que des révolutionnaires avaient formé le projet d'incendier ses
propriétés, se mit sur la défensive ; et conservant seul toute son audace, il
jura qu'il les défendrait au péril de sa vie, et qu'il s'ensevelirait plutôt
sous leurs ruines que de les abandonner lâchement. Il fit un appel aux
braves, et inspira une confiance telle que chacun se rallia autour de lui en
demandant des armes et un poste à défendre. Des fusils déposés dans les
archives, des balles renfermées dans une caisse de fer cachée dans les caves,
furent à l'instant distribués. On, fit des cartouches, on fit le dénombrement
des combattants, on disposa les postes, on posa les sentinelles, on barricada
Ventrée du château avec des charrettes, derrière lesquelles furent embusqués
des paysans armés de fusils. Au milieu de, ces dispositions parut un second
émissaire ; il assura positivement que loin d'être menacé par un
rassemblement illégal, le château allait être assailli par quatre cents
gardes nationales de Saint-Malo et des environs, ayant à leur tête des
officiers de police et des commissaires des autorités constituées. On tint
conseil, et il fut décidé qu'on ne compromettrait pas les intérêts du parti
par une vaine et inutile résistance. La Rouerie ordonna la retraite ; elle
s'effectua avec une telle prudence et un sang-froid si admirable, qu'aucun
détail ni aucune mesure de précautionne furent négligés. On démeubla le
château pour donner à croire qu'il était inhabité. Les conjurés s'esquivèrent
par des sou, terrains inconnus ; le concierge et quelques vieux et fidèles
domestiques restèrent seuls. A minuit les patriotes arrivent, pénètrent sans
peine, mais avec précaution, interrogent le concierge, et ne trouvant rien de
suspect, dévastent les caves et les cuisines. Les plus furieux veulent mettre
le feu au château ; déjà les torches sont allumées ; quelques affidés
royalistes qui s'étaient glissés parmi les révolutionnaires, parviennent, non
sans peine, à empêcher l'incendie. Le château est abandonné le lendemain. L'inutilité
de cette expédition, sans dissiper les inquiétudes auxquelles avaient donné
lieu la découverte de quelques fils de la conjuration, rendit les autorités
moins surveillantes. Les conjurés, au contraire, redoublèrent d'ardeur et de
précautions. La Rouerie rentra dans son château, le mit en état de défense,
exerça sa petite troupe aux manœuvres militaires à pied et à cheval, fit
monter la garde jour et nuit comme dans une place de guerre. Au dehors il
distribua de l'argent, se fit de nouvelles créatures, soudoya des espions qui
le prévenaient exactement de tout ce qui se passait dans les villes voisines,
de sorte qu'instruit à l'avance des visites domiciliaires, il avait le temps
de s'y soustraire ou de s'y préparer. Tout
annonçait en France une explosion prochaine ; le mois de juillet devait être
fertile en évènements ; mais les tentatives malheureuses des royalistes du
Finistère et de l'Ardèche forcèrent la Rouerie de se renfermer dans le
système d'une prudente circonspection. Allain-Nedellec,
cultivateur et juge de paix à Fouesnant, près Quimper, dans les possessions
de Chefontaine, dont il était l'agent, proclama la révolte à l'issue de la
messe paroissiale. Des hommes armés s'assemblent près la chapelle de
Kerbader, lieu indiqué pour former le noyau de l'insurrection : déjà quatre à
cinq cents paysans y étaient réunis. Des émissaires de Nedellec parcouraient
les campagnes, des détachements entraînaient les habitants et menaçaient
d'incendier les propriétés de ceux qui ne se déclareraient point en faveur de
la royauté et de la religion. Le tocsin sonnait de toutes parts. Ce fut alors
que les gardes nationales se levèrent en armes, et marchèrent contre les
insurgés ; le combat s'engagea près de Fouesnant, et après quelque perte des
deux côtés les royalistes furent vaincus et dispersés. Quarante-trois
insurgés faits prisonniers furent conduits dans les prisons de Quimper.
Nedellec échappe d'abord aux recherches, tantôt dans un tonneau, tantôt sous
une trappe ; il est enfin arrêté, s'évade, est repris. Traduit au tribunal
criminel à Quimper, c'est en vain qu'on cherche à lui faire déclarer quels
sont les véritables moteurs de la révolte. L'espérance d'être sauvé ne peut
l'ébranler ; il s'obstine à se taire, et s'impute à lui seul l'insurrection
dont il n'était le chef qu'en apparence. Il refusait de marcher au tribunal ;
il fallut l'y porter. Vous êtes faits pour cela, disait-il aux
gendarmes. Il fut à Quimper la première victime de cet instrument de supplice
appelé guillotine ; il mourut avec intrépidité. Dans
l'Ardèche, du Saillant se proclame lieutenant-général de l'armée des princes,
gouverneur du Bas-Languedoc et des Cévennes. A la tête de deux mille
royalistes, il s'empare soudain des châteaux de Jalès et de Bannes ; mais
déconcerté par la vigueur du directoire du département, accablé par le nombre
et l'énergie des gardes nationales, il vit bientôt sa troupe se disperser et
fuir. Tombé lui-même dans les mains des patriotes, il fut à l'instant passé
au fil de l'épée, ainsi que ses principaux officiers. Les deux châteaux
furent incendiés. Ces
revers désastreux intimidèrent les royalistes de la Bretagne et du Poitou. La
Rouerie les attribuait, avec raison, à une précipitation irréfléchie, au
défaut d'ensemble et de liaison. Cependant, la révolution marchait à pas de
géant ; le 10 août approchait. Le 10 août, les révolutionnaires attaquent le
séjour des rois, qui mal défendu, tombe en leur pouvoir. Le trône s'écroule,
la royauté n'est plus ! Une si terrible catastrophe devait
nécessairement changer le caractère et la direction de la conjuration
bretonne. Au moment de prendre l'offensive, il fallut bien attendre les
évènements de la guerre et les ordres ultérieurs. Pour mieux préparer les
esprits à un soulèvement général, la Rouerie fit répandre secrète-teillent
une proclamation en son nom comme chef royaliste : il y exhortait
particulièrement les Bretons à se coaliser, à se réunir à lui sous
l'autorisation et l'approbation des princes, frères du roi captif, pour
combattre et exterminer dans l'intérieur les factieux, pendant que les
troupes étrangères les combattraient au-dehors. Délivrer Louis XVI, le faire
remonter sur le trône de ses ancêtres, rétablir l'ancienne constitution monarchique
relever l'église catholique et les anciennes cours souveraines, voilà ce que
promettait la Rouerie. Le
succès du 10 août donnait aux révolutionnaires tous les moyens d'étouffer la
conspiration ; mais l'invasion de la Champagne par les Prussiens, et les
grands évènements de cette époque, firent une heureuse diversion en faveur
des conjurés. Il paraît même que le conseil exécutif provisoire, à peine
assis sur les débris du trône, aurait laissé échapper tous les fils de la
conspiration, si Latouche, alarmé des dangers de la nouvelle république,
n'eût provoqué de nouveau l'attention du conseil sur les évènements de la
Bretagne. Il en arrivait avec des informations récentes, ayant appris d'un
des couinés que la Rouerie, animé par les progrès des coalisés en Champagne,
n'attendait plus pour agir que l'ordre des princes. Tout était prêt, et la
descente sur les côtes de Saint-Malo, par les émigrés réunis à Jersey et à
Guernesey, devoir avoir lieu le 10 octobre. Latouche en instruisit son ami
Danton. Ce dernier, alors ministre de la justice, convoque le conseil, y
développe avec clarté tous les projets de la Rouerie, et demande qu'il soit
pris des mesures promptes pour les entraver ou les anéantir. Il n'y
avait pas de temps à perdre pour dissoudre cette ligue formidable ; les
administrations locales étaient suspectes, l'opinion publique se prononçait
contre l'anéantissement de la royauté ; l'association, d'ailleurs
clairvoyante, avait trop de partisans pour craindre d'être écrasée ; il
fallait apporter dans cette opération délicate autant de prudence que
d'activité : on ne pouvait y employer indistinctement les magistrats et les
gardes nationales. Le
conseil exécutif délibère : il décide qu'on enverra en Bretagne un
commissaire avec des pouvoirs illimités, conférés concurremment par le comité
de sûreté générale de la Convention. Ce fut à Laligant-Morillon, l'ami, le
compatriote du député Bazire, alors l'un des membres les plus influents du
comité de sûreté générale, que les nouveaux gouvernants confièrent la mission
importante de déjouer la conjuration de Bretagne. Morillon
était un de ces vils instruments de révolution dont se servent les hommes
pour le malheur de leurs semblables. Chassé de la grande gendarmerie, il
avait été successivement musicien, espion, faux monnayeur. Il trahit ensuite
à Coblentz les intérêts des princes, et rentra eu France pour se vendre aux
patriotes. Employé par la législature dans les affaires de police secrète, il
venait de livrer les principaux membres d'une association royaliste qui
embrassait 8o lieues d'étendue, dans les ci-devant provinces du Dauphiné, de
la Provence et du Languedoc, depuis Grenoble jusqu'à Nîmes. Dans cette
importante occasion, ce scélérat s'était fait remarquer par une audace
inébranlable et par un tact perfide ; à travers mille dangers, il avait sauvé
miraculeusement sa vie. Morillon
se rendit avec Barthe, homme de son choix, dans le département d'Ille et
Vilaine, foyer de la nouvelle conjuration. Muni de notes suffisantes, de tous
les titres pour se faire reconnaître au besoin, il était maitre d'ailleurs de
requérir à son gré les officiers civils et militaires, pour s'en faire
assister hors de leurs arrondissements, s'il le jugeait indispensable au
succès de sa mission. A leur
arrivée en Bretagne, ces deux émissaires trouvent l'association consternée,
par la nouvelle de la retraite du roi de Prusse. Les revers de la coalition
avaient jeté le parti dans l'abattement. La
Rouerie seul n'a rien perdu de sa fierté. Cet infatigable conspirateur court
de château en château, de comité en comité, pour réveiller toutes les
espérances ; il se repose rarement. Toujours errant dans les forêts et les
montagnes, armé de toutes pièces, il ne tient jamais les sentiers battus,
passe souvent la nuit dans des grottes inaccessibles, au pied d'un chêne,
dans un ravin. Jamais il ne s'arrête deux fois de suite au même endroit.
Comment se saisir de cet homme extraordinaire, aussi prudent qu'intrépide, et
que le courageux Cadenne, lieutenant de gendarmerie, suit partout sans jamais
pouvoir l'atteindre ? D'un autre côté le défaut de preuves matérielles arrête
les agents du pouvoir exécutif. Alors
Morillon s'arme de toute son audace ; il se présente chez Désilles, à la
Fosse-Ingant, comme un royaliste fugitif et malheureux qui a vainement
combattu pour son roi à la journée du 10 août. Les conjurés étaient sur leurs
gardes. Ils ne s'ouvrent point à Morillon, et lui indiquent seulement les
moyens de passer furtivement à Jersey. Il y envoya son affidé Barthe. Arrivé
à Jersey, Barthe y trouve les émigrés français divisés en deux classes. Les
prêtres, au nombre de 1200, formaient la première, qui n'était dangereuse aux
républicains que par ses correspondances dans l'intérieur. Les nobles ou
privilégiés de la Bretagne, du Maine, du Perche, de la Normandie, de l'Anjou
et de la Touraine, formaient la seconde classe, à la tête de laquelle se
faisait remarquer le comte de Botherel. Cet agent, avoué des émigrés auprès
du ministère britannique, venait de faire un voyage à Londres pour les
intérêts du parti. Toujours secrètement opposé à la Rouerie, ou lui
reprochait d'avoir fait mettre à Jersey l'embargo sur des armes et des
munitions de guerre destinées pour la Bretagne. Huit bateaux de débarquement
et deux barques de 200 tonneaux devaient servir de transport. Botherel
s'était assuré de huit cents hommes, tant matelots que soldats de Jersey, qui
devaient se joindre aux mécontents de l'intérieur, dès qu'ils auraient
l'ordre d'agir. L'île, qui était gardée par 8.000 hommes d'excellente milice
se disposait à armer en course contre la France : et tout s'y préparait avec
ardeur pour la guerre prochaine, ce pays étant très-attaché au gouvernement
anglais, parce qu'il ne paie point d'impôt. Barthe y apprit que déjà ce
gouvernement avait fait fabriquer 200 millions de faux assignats, pour
acheter des partisans dans l'intérieur de la France et y porter atteinte au
crédit public. D'un
autre côté, Latouche, qui était en Angleterre, avec des instructions de Danton,
pénétrait chaque jour plus avant dans les projets des princes français.
Initié dans la conspiration, lié avec le secrétaire de Calonne, il obtint
aisément une entrevue de cet ancien ministre, qui s'ouvrit à lui sur les
plans ultérieurs de la coalition et des princes. Après
avoir longuement interrogé Latouche sur le 10 août et ses résultats, après
s'être plaint de la contradiction des rapports venus de Pinté-rieur, Calonne
en vint, sans aucune réserve, aux questions les plus importantes. « J'ai
quitté les princes, dit-il, au moment de leur départ de Verdun, pour
m'occuper ici de pourvoir au besoin de leur armée. La situation des émigrés
et de leurs chefs est déplorable : ils sont tous en pleine retraite,
abandonnés du roi de Prusse et même des Autrichiens. Je l'avais prévu, mais
le baron de Breteuil, l'envoyé du roi auprès des princes, a contrarié tous
mes plans. Dans le conseil tenu à Verdun ; je proposai de faire fabriquer des
assignats pareils à ceux qui circulent eu France, pour que l'armée des
émigrés payât tout au comptant, et pourvût même aux besoins des troupes
coalisées ; mais, rentrés à Paris, ce papier n'en eût pas moins été annulé,
comme provenant d'une assemblée de rebelles. Contre mon avis, le baron de
Breteuil a fait créer des bons royaux, dont personne n'a voulu ; et
les princes n'ayant pu subvenir à l'entretien de leur armée, non plus qu'à
celle du roi de Prusse, ce monarque a traité avec la Convention et nous a
abandonnés. Dans ce moment les princes français sont à Liège, où leur
détresse les force de licencier tous les braves qui ont volé à leur secours.
En vain le comte d'Artois me presse de le joindre ; je m'occupe ici plus
utilement de ses intérêts. Je lui ai déjà fait passer trois millions en
assignats, parfaitement imités. Cette somme a fait subsister l'armée royale
pendant quinze jours dans le pays de Liège et de Stavelot. J'en fais
fabriquer de nouveaux ; dès que cette opération sera terminée, je m'occuperai
de la Bretagne ; j'en ai reçu l'ordre spécial du comte d'Artois. Nous avons
obtenu l'autorisation de Monsieur, et maintenant l'intention du comte d'Artois
est de diriger seul ce qui est relatif à cette province. Les deux princes
vont se séparer ; ils ne doivent plus rien attendre de l'Europe, et il ne
leur reste qu'à soulever l'intérieur. Nous réussirons moyennant mes projets
de finances. Il faut aussi que d'un bout de la-France à l'autre on suive le
plan de la Rouerie. Déjà l'on s'en occupe sur différents points : les ordres,
les commissions sont expédiés. L'on n'opposera plus au comte d'Artois la
volonté de Louis XVI, qui ne sortira du temple que pour aller à l’échafaud...
C'est la faiblesse de ce malheureux monarque qui a tout perdu... » Ici,
Calonne prononça le nom de Monsieur, et s'arrêta... Il fit ensuite un éloge
pompeux des qualités du comte d'Artois, qui devait, disait-il, faire revivre
Henri IV, et se montrer en France à la tête du parti des Bourbons, aussitôt
qu'on aurait une place de sûreté. « Je viens, ajouta-t-il, d'expédier à
la Rouerie l'ordre de redoubler de zèle, et d'éviter surtout un éclat avant
d'être sût du succès ; j'ai la promesse d'être secondé par le gouvernement
britannique. La Rouerie aurait déjà recru de Jersey des munitions de guerre,
sans Botherel, qui, faute d'accord, en a suspendu le départ. Je sais que les
chefs des émigrés de Bretagne ne croyant pas la Rouerie d'une noblesse assez
illustre, lui ont vu conférer avec peine le commandement de la province ;
mais il lui était dû ; nous n'avons d'ailleurs besoin que d'un homme
audacieux... Restez à Londres, ajouta Calonne, et quand il en sera temps,
vous passerez en Bretagne. » Latouche
transmit une partie de ces détails à Danton ; mais ce dernier n'était déjà
plus ministre, et ce fut Garat qui reçut sa correspondance. En même
temps Fontevieux, qui s'était rendu auprès du comte d'Artois, tournait
habilement les vues de ce prince du côté de la Bretagne et de la Normandie.
Il insistait pour faire filer vers l'Angleterre et les îles de Jersey et de Guernesey,
tous les émigrés qui pourraient entreprendre ce voyage. D'après le système de
l'ex-constituant Malouet, il proposait de réunir à l'intérêt des princes tous
les partisans du régime constitutionnel de 1791, qui se trouvaient alors dans
l'intérieur de la France ; il montrait enfin combien, avec la certitude
d'avoir Saint-Malo, Cancale et le fort de Châteauneuf, il était facile de
conserver le Clos-Poulet en cas d'échec. Le zèle avec lequel Fontevieux
s'acquittait de sa mission lui avait valu la confiance du comte d'Artois. Ce
prince fit tout dépendre de l'arrivée de Calonne. Il ne se dissimulait point
l'état précaire de son parti, et le peu d'espoir que donnait la conduite du
duc de Brunswick, généralissime des coalisés. Il suspendit la réponse que lui
demandait la Rouerie jusqu'au retour du comte de la Palisse, qu'il envoya
pour presser l'arrivée de Calonne. Ce dernier était arrêté à Londres, pour
dettes. Le prince, dans une seconde conférence avec l'émissaire breton, lui
parla (les difficultés d'obtenir des secours pour seconder l'insurrection. Il
fut enfin décidé qu'on s'armerait en Bretagne, aussitôt que les émigrés
auraient gagné l'Angleterre et l'archipel normand. Fontevieux, porteur de cet
ordre, arrive à Londres, quelques jours après l'entrevue de Calonne avec Latouche.
Calonne lui remet des dépêches et de faux assignats pour la Rouerie, auquel
il marque de temporiser encore, vu qu'on agirait en grand dans le mois, de
mars. Il ajoutait qu'il espérait rejoindre bientôt les princes et rapporter
des ordres plus précis. Le 24
janvier 1793, Latouche, véritable Protée politique, revint du pays de
l'émigration, apportant la nouvelle que tous les plans étaient repris pour le
mois de mars suivant, et qu'à cette époque la descente sur les côtes
occidentales, et la levée de bouclier dans les départements de la ligue,
devaient se faire simultanément avec l'invasion de la France par les
puissances belligérantes. Son
rapport détaillé coïncidait avec les renseignements contenus dans la
correspondance de Morillon, sur la situation politique des départements
d'Ille et Vilaine, des Côtes du Nord et de la Manche. Ces données positives
ne laissèrent plus aucun doute clans l'esprit des gouvernants républicains,
sur le complot formé dans l'intérieur, de concert avec les émigrés. Lebrun,
alors ministre des affaires étrangères et rapporteur de l'affaire de
Bretagne, présenta au conseil exécutif un mémoire détaillé sur tous les
renseignements recueillis à ce sujet. Il demanda qu'il fût pris des mesures
immédiates pour faire arrêter tous les chefs connus, et saisir leurs papiers.
Le 3 février, des commissions furent expédiées pour l'arrestation des
principaux conjurés ; mais Garat, alors ministre de la justice, ayant observé
que le conseil n'avait pas le droit de lancer des mandats d'arrêt, on en
référa au comité de sûreté générale de la Convention. Le comité s'assembla le
6. Lebrun fit son rapport. Bazire, ami de Morillon et membre du comité,
observa qu'il n'était pas impossible de porter la Rouerie à appeler le comte
d'Artois pour se mettre à la tête des émigrés dans la descente projetée,
tandis que les républicains seraient en mesure de s'assurer de la personne de
ce prince, de celle de Calonne et de plusieurs émigrés marquants, qui
seraient infailliblement à sa suite. Il ajouta que le parti breton n'était
pas éloigné d'appeler le frère de Louis XVI, et qu'on pourrait l'y
déterminer. Si cette affaire eût été bien conduite, le succès en devenait
probable ; mais le conseil exécutif, plus timide que les comités, y trouva
quelques dangers, et le ministre Lebrun, qui en eût été personnellement
responsable, ne se sentit pas le courage de l'entreprendre. Après une mûre
délibération, l'on convint de se borner à l'arrestation des chefs contre
lesquels on avait acquis assez de preuves. Le comité décida que le conseil
avait très-bien fait de s'abstenir de lancer des mandats d'arrêt qui lui
étaient interdits par la loi ; il en décerna le lendemain contre les chefs
connus et leurs complices, nomma Morillon et Barthe ses commissaires
d'exécution, avec ordre de transférer à Paris les coupables, saisis (le leurs
papiers et de toutes les pièces de conviction. Comme on prévoyait les
dernières convulsions de leur fureur, au moment de te coup d'état, Morillon
demanda sept mille hommes, qu'on lui promit ; il en régla le mouvement, de
concert avec les ministres Lebrun et Pache. Rempli de confiance dans ce qui
venait d'être décidé, il se rendit de suite en Bretagne, pour être à portée
de recevoir les renseignements nécessaires, et remplir avec exactitude toutes
ses instructions. Tout
avait changé de face en Bretagne : les tergiversations des princes, et la
nouvelle du supplice de Louis XVI avaient consterné les conjurés. L'impétueux
la Rouerie, dont la raison avait jusqu'alors suffisamment guidé les passions,
n'avait plus été maître de se contenir. Il venait d'expirer dans des accès de
rage. Les circonstances de sa mort, l'effet qu'elle produisit dans son parti,
et les évènements qui en furent la suite, méritent d'être consignés dans
cette histoire. Vivement
poursuivi après le lo août, dénoncé publiquement dans les affiches de Rennes
et à la société populaire de cette ville, forcé par les ordres
contradictoires des princes de passer l'hiver sans rien entreprendre,
impatient d'atteindre le mois (le mars, errant et fugitif, exposé aux
atteintes d'une saison toujours rigoureuse dans ces climats, la Rouerie, dont
la santé s'altérait, éprouva le besoin du repos. Il cherchait un toit
hospitalier où il pût, à l'abri des républicains, méditer sa grande entreprise
et en préparer le succès. Mais la Rouerie ne pouvait guères trouver de
retraite assurée que chez mi membre de l'association. Il choisit le château
de Laguyomarais, à une lieue de Lamballe, comme point central. Il s'y
présente un soir sous le nom de Gosselin, accompagné de Saint-Pierre, son
domestique, et du fidèle Loisel qui ne le quittait pas. La Roua-rie n'était
Gosselin que pour les personnes étrangères à la conspiration. D'abord
Saint-Pierre tombe malade ; la Rouerie seul le soigne. Saint-Pierre guérit,
et le 16 janvier, la Rouerie tombe malade à son tour. Le deuxième jour, la
famille Laguyomarais, qui redoute les visites domiciliaires, lui fait dire
par Loisel qu'il serait prudent de quitter le château. La Rouerie part ; mais,
succombant bientôt sous le poids du mal, il s'arrête ; il est forcé d'entrer dans
une chaumière ; deux heures après on le ramène au château. La maladie fit des
progrès alarmants. Le médecin Taburel trouva la Rouerie en proie à une fièvre
putride et à des accès délirants ; le supplice de Louis XVI, qu'il venait
d'apprendre, avait achevé de troubler sa raison. Le malheureux la Rouerie
voyait son roi arraché des bras de sa famille, traîné à l'échafaud. Ce
spectacle d'horreur lui arrachait d'affreux gémissements, et le rendait furieux.
En proie au délire, il s'exhalait en imprécations contre la France, contre
ses concitoyens. Taburel annonça que le malade était en danger ; l'alarme se
répandit dans le château. En cas de mort, que faire du cadavre ? Cette idée
trouble Laguyomarais et sa famille. On cherche des expédients. Madame
Laguyomarais s'adresse à Périn, son jardinier, et lui témoigne ses
inquiétudes. Périn, cédant aux instances, promet ses services. Taburel et le
chirurgien Morel sont congédiés, comme n'inspirant point assez de confiance. Le 30
janvier, après quatorze jours de maladie, la Rouerie expire vers les quatre
heures du matin. Son cadavre, enlevé mystérieusement, est porté au clair de
la lune dans un bois voisin du château ; on le dépose ensuite dans une fosse
commencée par le jeune Lachanvenais, précepteur des enfants de Laguyomarais,
et qu'achève le jardinier Périn. Le chirurgien Masson fait au cadavre
plusieurs incisions, dans lesquelles on verse de la chaux vive ; la fosse en
est ensuite comblée et recouverte de terre. Le même
jour, Saint-Pierre et Loisel disparurent. Les chefs de l'association,
inconsolables de la perte d'un homme dont le caractère et les talents étaient
si nécessaires au parti, gardèrent sur cet évènement le plus profond silence,
pour ne pas décourager les princes et les royalistes bretons. Pendant la
maladie de la Rouerie qu'on avait tenue secrète, ils avaient eu la précaution
de lui faire signer beaucoup d'ordres en blanc[3], dans la vue de cacher plus
longtemps sa mort. Au milieu des craintes qui les agitent, dans la
fluctuation de leurs pensées, ils décident que tous les papiers de la Rouerie
seront transportés chez Désilles père, à la Fosse-Ingant. Laguyomarais les y
porte lui-même, et les met dans un bocal de verre qui est enterré à six pieds
de profondeur, dans un des carrés du jardin. Mais,
qui pouvait remplacer la Rouerie ? Nul en Bretagne ne l'eût osé. Les conjurés
jetèrent les yeux sur Malseigne, militaire intrépide, émigré depuis les
troubles sanglants de Nancy, où il s'était fait remarquer par une résistance
courageuse. Il n'y
avait point à balancer : l'association voulait cacher la mort de la Rouerie
jusqu'à l'arrivée de Malseigne. Morillon sentit qu'il fallait tout dévoiler,
le moment étant venu de s'emparer des chefs, de saisir leurs papiers. Mais il
était sans forces ; il craignait les dernières convulsions du parti ; les
sept mille hommes qui devaient protéger ses opérations n'arrivaient pas. Bournonville,
porté au ministère de la guerre, n'exécutait point les engagements pris par
son prédécesseur, et Lebrun, auquel Morillon écrivait dans les termes les
plus pressants, laissait sa correspondance sans réponse. Abandonné à
lui-même, et calculant tous les maux que l'indifférence du ministère allait
causer, si Malseigne se montrait avant qu'il eût frappé de grands coups,
Morillon se décide à braver la rage des conjurés, avec le faible secours de
quelques républicains, tels que Cadenne, lieutenant de la gendarmerie, Bellanger,
fils du commissaire national, et plusieurs volontaires des communes de
Saint-Malo et de Saint-Servan. Persuadé d'ailleurs que la publicité suffit
pour anéantir une conspiration, et que s'il expose sa vie et celle de ses
amis, dans les premiers moments d'un combat inégal, ce ne sera pas du moins
sans fruit, il en prend la ferme résolution, et se porte de suite à
Laguyomarais et à la Fosse-Ingant. Là, s'environnant d'un grand nombre de
témoins, et assisté de Renoul, juge de paix du canton de Saint-Servan, il
appelle hardiment le public à ses opérations, et fait exhumer avec éclat le
cadavre de la Rouerie, que la chaux n'avait pas encore dévoré. L'association,
interdite par tant d'audace, croit que Morillon a des forces : elle n'ose le
troubler. Morillon se hâte de faire proclamer la mort de la Rouerie et les
circonstances qui l'ont accompagnée ; il instruit les patriotes des projets
médités par les conjurés, leur dévoile l'existence d'une conspiration, dont
les moyens sont détruits, et les principaux chefs entre les mains de la
justice. Thérèse Moelien, cette femme courageuse, dépositaire des secrets de
la Rouerie qui, en mourant, lui avait confié mille louis en or et la liste
des conjurés, fait trêve à sa douleur, brûle cette liste la veille de son
arrestation, et parvient à soustraire l'argent. Désilles, caissier de
l'association, également averti de l'arrivée des commissaires, se sauve de la
Fosse-Ingant et va se cacher à Jersey, avec Prigent et Charles Bertin,
laissant sa famille éplorée, en butte à des coups inévitables. Tinténiac,
alors en tournée, Boishardy, Labourdonnaye, Talmont et les autres chefs militaires
de la conjuration, la plupart dans leurs arrondissements respectifs, hors des
atteintes de Morillon, se tinrent sur leurs gardes ou se cachèrent ; d'autres
émigrèrent. La foudre ne menaçait que très-peu de conjurés. Morillon
savait que les papiers de la Rouerie étaient enfouis dans le jardin de la
Fosse-Ingant ; il s'y présente, impatient de parvenir à cette précieuse
découverte, et fait amener devant lui les demoiselles Desille. Elles arrivent
tremblantes cinq carrés du jardin sont fouillés sans succès. Les travailleurs
découragés allaient abandonner leurs recherches, Morillon s'obstine ; à
l'approche du sixième carré les demoiselles Desille pâlissent, et font un
mouvement involontaire qui n'échappe point à l'ardent commissaire, dont les
yeux étaient fixés sur ces femmes timides. A l'instant l'endroit suspect est
fouillé ; on enlève quelques arbustes qui le couvraient et on trouve à six
pieds sous terre le bocal hermétiquement fermé. Les jeunes Desille tombent
évanouies, et Morillon triomphant contemple sa proie et ses victimes ! On
procède à l'ouverture du bocal eu leur présence, et devant Picot-Limoelan,
beau-frère de Desille et membre de l'association. Dès-lors toute la
conjuration fut matériellement dévoilée ; niais la liste complète des
conjurés était anéantie, grâce à la prévoyance de Thérèse Moelien. Cette
zélée royaliste ne se doutait pas qu'en sauvant quelques individus de son
parti, elle sauvait peut-être la république d'une attaque générale. Si cette
liste eût été divulguée, la nécessité, le désespoir auraient armé tous les
conjurés : d'abord déconcertés par la découverte de la conspiration, ils se
rassurèrent bientôt, voyant qu'ils restaient inconnus ; n'étant pas d'ailleurs
forcés de se défendre, la plupart se cachèrent pour ne point éveiller le
soupçon, et le mouvement insurrectionnel fut incomplet. Immédiatement
après la découverte du bocal mystérieux, vingt-six individus, la plupart
complices de la Rouerie, sont arrêtés par ordre de Morillon. Le bruit de ce
coup d'état le précède à Rennes et y sème le trouble. Des partisans secrets
de la conjuration l'attendent à son passage par cette ville, où ils avaient
un comité ; ils méditent d'enlever les prisonniers et de tuer Morillon. Les
paysans soulevés se portent en foule sur son passage ; les routes en sont
couvertes. De toutes parts se forment de nombreux rassemblements ; Morillon
arrive à Rennes à travers mille obstacles ; l'administration départementale
d'Ille et Vilaine le requiert de se mettre à la tête du peu de forces dont
elle peut disposer, pour conjurer l'orage. Morillon Se porte partout inférieur
aux insurgés, et partout il les repousse jusqu'à ce qu'enfin dégagé par
Beysser, fait récemment général, il reste uniquement occupé de la translation
de ses prisonniers. Il parvint à les traduire à Paris devant le tribunal
révolutionnaire, nouvellement institué, et qui bientôt devait exterminer et
royalistes et républicains. Les
prévenus furent jugés révolutionnairement, mais avec une apparence de formes
régulières, et après des débats prolongés et solennels. Tous se renfermèrent
dans un système de dénégation absolue : mais les preuves étaient évidentes.
Sur vingt-sept accusés, douze furent condamnés à mort, conformément à la
seconde partie du code pénal. La même
condamnation frappait à la fois Laguyomarais et sa femme,
Thébault-Lachauvenais, Picot-Limoelart père, Angélique Desille, femme
Déclos-Lafauchais, Maurin-Delaunay, Loquet de Grenville, Grout de la Motte,
Thérèse Moelien, Georges Fontevieux, dit le Petit, Vincent, interprète de
langue anglaise, et Pontavice, arrêté à Paris. Le maçon
et le jardinier Périn qui avaient indiqué à Morillon le cadavre de la
Rouerie, ne furent condamnés qu'à la déportation. Tous
écoutèrent leur sentence avec calme, et marchèrent au supplice avec fermeté,
refusant l'assistance des prêtres constitutionnels, qu'ils regardaient comme
des intrus. Tous s'embrassèrent au pied de l'échafaud, et la plupart crièrent
vive le Roi. Angélique Desille, condamnée pour sa sœur, ne voulut point
éclairer le tribunal sur 'sa méprise, et périt avec courage. Pontavice mourut
le dernier. En treize minutes, le même fer trancha douze têtes. Le peuple,
déjà accoutumé aux 'échafauds-, s'étonna cependant de la promptitude de
l'exécution et du nombre des victimes. Morillon
récompensé d'abord par de nouveaux pouvoirs[4], voulut ensuite jouir avec
audace du fruit de ses rapines et de ses vexations. Son odieuse conduite
ayant été dévoilée, il suivit de près sur l'échafaud ses nombreuses victimes. Il est
un rapprochement que l'histoire ne doit point négliger : la découverte des
papiers de la Rouerie eut lieu le 3 mars, et sept jours après une partie de
la Bretagne, l'Anjou et le Poitou étaient en insurrection pour la royauté. L'ombre
de la Rouerie planait sur la Bretagne au moment où toute la Vendée
s'insurgeait, et l'on vit une multitude de paysans bretons attaquer à la fois
et le même jour le Faouet, Guéméné, Pontivy, Lominé, Aurey, Vannes,
Roche-Bernard, Pontchâteau, Savenay, Oudon et Guérande. Les ouvriers des
mines de Montrelais se soulevèrent ; Piron de Lavarène près Oudon et Schetou
se mirent à leur tête. Oudon fut envahi ; mais les Nantais unis aux Angevins
dégagèrent la rive droite de la Loire et dissipèrent les insurgés. Piron et,
Schetou ayant échoué de ce côté, passèrent sur la rive gauche. A Savenay,
quelques patriotes succombent ; ceux de Nantes revolent, mais trop tard, à leur
secours. Avec ses seuls moyens la ville de Nantes secourt et conserve
Ancenis, Nort, Mauves, Çoueron, Savenay, Guerand et le Croisic. Mais la
rive gauche de la Vilaine, jusqu'aux portes de Nantes, était en pleine
insurrection ; les paysans forçaient les voyageurs à arborer la cocarde
blanche. La ville de Fougères, foyer d'une brûlante démocratie, fut investie
par 3 mille paysans royalistes, marchant sur deux colonnes, avec le projet de
la mettre au pillage et de la brûler. Rennes se vit aussi à la veille d'être
la proie des insurgés ; 500 révoltés marchèrent sur cette ville sans oser
l'attaquer : les patriotes y étaient en armes ; la générale y battait à
chaque instant, et des détachements nombreux en sortaient successivement pour
coin-battre les royalistes. A Bain, plusieurs volontaires sont faits
prisonniers ; à Pacé, quarante succombent ; à Mordeilles, les insurgés sont défaits.
4.000 paysans que Dubobril Dumoland dirige en secret, attaquent Montfort ;
cent cinquante patriotes de Rennes et trois brigades de gendarmerie les
dispersent. Montauban, Saint-Aubin Baubigné, Saint-Aubin Ducormier sont le
théâtre de combats sanglants ; Dinan est en pleine insurrection ; une force
imposante sauve Vitré du pillage ; Phédon est débloqué ; Vannes, chef-lieu du
Morbihan, est attaqué par 7 mille Morbihannais que dirigent les frères de
Silz ; le général Petit-Bois les repousse à la tête de douze cents hommes ;
il leur enlève le château de Rochefort, où étaient réunis des moyens de
défense : deux cents Bretons y sont tués. En même temps Pontivy se soulève ;
vingt patriotes y sont massacrés ; le lendemain, 3 mille insurgés s'y portent
sur trois colonnes : ils sont repoussés. Les troubles s'étendent jusque dans
les campagnes qui avoisinent Brest. Blabenec s'insurge ; les Dubodyès y soufflent
le feu de la révolte ; mais le calme est bientôt rétabli, et le général
Caudaux, qui commandait dans le Finistère, peut conduire un corps de douze
cents hommes vers la Loire. Dans les districts de Blin, Roche-Bernard et
Guérande, les insurgés massacrèrent les autorités et brûlèrent les papiers
des administrations. Bodinet, maître des postes, souleva Pontchâteau, attaqua
la Roche-Bernard, et fut tué au moment où il opérait sa jonction avec les
Dubernard qui étaient à la tête des insurgés de cette ville. Un trait
d'héroïsme marqua la mort de Sauveur, président du district : ce patriote
intrépide 'est d'abord mutilé, puis jeté dans un brasier ardent, où il expire
pressant sur ses lèvres sa médaille ci-igue. La Convention rendit hommage à ce
martyr de la révolution : elle décréta que la ville de la Roche-Bernard se
nommerait désormais la Roche Sauveur, et que ce nom serait inscrit au
Panthéon français. Peu de
chefs d'insurgés osèrent, à cette époque, paraître à découvert. Si
quelques-uns se montrèrent un moment, espérant que l'insurrection pourrait se
consolider, désabusés bientôt, ils se replongèrent dans les ténèbres :
excepté Boishardy du district de Lamballe, dont le nom fut cité, mais qui
échappa aux recherches, excepté Caradeuc et les Dubernard, qui étant tombés
dans les mains des patriotes, montèrent à l'échafaud, les autres chefs
restèrent inconnus. Des rapports secrets indiquèrent Laberillais, Gérard et
Mercier le jeune, appelé depuis Mercier-la-Vendée, comme cherchant à soulever
le pays renfermé entre l'embouchure de la Loire et le Morbihan. La
Convention nationale, effrayée, se hâta d'envoyer des commissaires en
Bretagne : elle choisit Billaud de Varennes et Sevestre : le premier si
fameux par sa sombre énergie. Ils trouvèrent les campagnes aux prises avec
les villes, plus de cent communes soulevées, aucun régiment complet. Mais les
patriotes, quoiqu'en petit nombre, se groupaient et déployaient le plus grand
courage. On vit la garde nationale de Rennes se porter avec un zèle
infatigable partout où le danger nécessitait des secours, et celles de
Fougères, Saint-Malo, la Guerche et Dinan, se distinguer par des efforts
dignes d'éloge. La-tiédeur et la négligence qu'on reprochait aux
administrations furent rachetées par leur réveil et leur dévouement. Les
insurgés, immédiatement attaqués à la réquisition des corps administratifs,
furent atteints et dispersés avant qu'ils eussent pu réunir leurs colonnes
pour former une armée. Que pouvaient-ils entreprendre sans chefs
inexpérimentés ? Quels succès pouvaient-ils obtenir en agissant partiellement
et sans aucun ensemble ? La Rouerie n'était plus ; l'impétueux Beysser,
qu'animait la présence des commissaires de la Convention, brûlait de se
signaler. Il imprimait à ses opérations un mouvement rapide qui déconcertait
les insurgés : cependant Redon allait tomber en leur pouvoir ; les
commissaires conventionnels n'avaient trouvé dans ses murs que vingt-deux
patriotes qui eussent voté pour se défendre. Les Bretons étaient déjà maîtres
des postes d'Auquefer et de Saint-Pereux, réputés imprenables. Beysser les attaque,
et emporte ces deux positions avec des troupes peu nombreuses, mais pleines
d'ardeur et de confiance. En
moins de trois semaines, ce général révolutionnaire, poursuivant ses succès,
lit rentrer dans le devoir toute la rive gauche de la Vilaine jusqu'aux
portes de Nantes. Les campagnes étaient aussitôt désarmées que soumises ; on
leur imposait l'obligation de payer, dans un court délai, toutes les
contributions arriérées, et on les forçait à fournir leur contingent poulie
recrutement national ; de sorte que sous ce point de vue leur sédition tourna
au profit de la république. De cette époque, date eu Bretagne l'emploi des
mesures dites révolutionnaires, ressources toujours extrêmes qui ne pouvaient
qu'aggraver les maux de la guerre civile. Ainsi
les commissaires conventionnels, préludant au régime de la terreur,
ordonnèrent la démolition des châteaux, l'arrestation des prêtres et (les
nobles. Le
paysan épouvanté ne se montrait plus dans les villes ; et, ne pouvant les
attaquer de vive force, il s'en vengeait en désertant leurs marchés pour les
priver de subsistances. Le 5
mai, les commissaires parurent à la tribune de la Convention nationale, pour
rendre compte de leur mission. Ils dénoncèrent le conseil exécutif et les
ministres. « On a
peine à croire, dirent-ils, comment, le mouvement de soixante bataillons
ayant été arrêté, dès le 5 janvier, pour la formation de l'armée des côtes,
le ministre Beurnonville a constamment refusé de consommer cette mesure. Ce
n'est que vers le 15 du mois de mars qu'il s'y est déterminé, et encore les
soixante bataillons ont-ils été réduits à quatorze. Cependant, à cette
époque, les insurrections menaçaient d'un embrasement total, depuis les bords
de la Vilaine jusqu'aux rives des Deux-Sèvres : cependant le ministre des
affaires étrangères avait instruit, depuis plus de quatre mois, le conseil
exécutif, de la conjuration de la Rouerie ; il avait été chargé de prendre
toutes les mesures capables de l'étouffer dans son origine ou de l'arrêter
dans son explosion, et cependant vos commissaires ont trouvé plus de cent
communes soulevées, et pas un régiment complet. Certes, on découvre ici une
négligence bien coupable ; et si les hommes qui ont compromis si imminemment
le salut public, ont encore l'art de se soustraire au bras vengeur de la
justice, c'est que la responsabilité ne sera jamais qu'un vain mot inventé
pour endormir et abuser le peuple. » Cette
harangue accusatrice, soustraite aux journaux du temps parce qu'elle
attaquait le parti qui dominait alors dans la Convention et dans le conseil,
décelait déjà combien la guerre civile servirait de prétexte aux
récriminations et aux violences du parti démocratique. Les
commissaires terminèrent par une pompeuse apologie des sociétés populaires :
« ardent foyer de la liberté, si utiles à la révolution, si terribles
aux despotes. » Les
démocrates eu conclurent que c'était aux sociétés patriotiques, aux gardes
nationales et aux mesures révolutionnaires, qu'étaient dus leurs triomphes et
la compression des royalistes de. Bretagne. Ainsi fut étouffée, dans cette province, pour renaître bientôt de ses cendres, une vaste conspiration qui devait entraîner tout l'occident de la France. |