LE SIÈCLE DE LA RENAISSANCE

 

CHAPITRE IX. — LA CIVILISATION SOUS LES DERNIERS VALOIS.

 

 

Part des derniers Valois dans le mouvement de la Renaissance : leur luxe : influence de Catherine de Médicis. Le cérémonial royal ; règlement de 1585. Somptuosités de la cour : costumes, objets d'art. Inventaire de l'hôtel de Catherine de Médicis. Les grands seigneurs imitent la reine mère. Caractéristique de l'art du temps : étude de l'Antiquité facilitée par l'imprimerie ; goût français ; réglementation doctrinale dogmatique. La Renaissance : les érudits, les historiens, les publicistes, les jurisconsultes ; les poètes, Ronsard et la Pléiade ; l'Académie du palais ; les indépendants : Noël du Faïl, Montaigne, Ambroise Paré, Palissy. Les arts : l'architecture ; les architectes, Androuet du Cerceau, Pierre Lescot et le Louvre, Philibert Delorme et les Tuileries, Jean Bullant et Écouen ; sculpture, Jean Goujon et Germain Pilon ; peinture : les dessins, Clouet, Corneille de Lyon ; la tapisserie, les émaux, les vitraux ; la musique, Goudimel.

 

Malgré les troubles des guerres civiles et les désordres sanglants dont tout le royaume fut le théâtre, la seconde partie du XVIe siècle a été marquée en France par un éclat remarquable de l'érudition, des lettres et des arts. L'état général du pays n'a pas fait tort au développement des individualités brillamment douées et entre celles-ci même s'est établi un lien constitué par une tendance générale, une mode, donnant à ce qui a été proprement la Renaissance française sa valeur particulière. C'est un hasard, à peu près, que cette époque remarquable de notre civilisation ait coïncidé avec les règnes de Henri II et de ses fils. Les rois du XVIe siècle n'ont guère exercé d'influence sur le mouvement littéraire et artistique de leur temps. Henri II ne s'occupa pas de littérature ; si Charles IX composait des vers et favorisa Ronsard ou s'intéressa à la Pléiade, si Henri III accueillit Henri Estienne et fournit des sujets de discours à traiter à l'Académie du palais, on ne peut pas dire que sans eux les talents des artistes de leur siècle eussent été différents. C'est d'une autre manière qu'ils ont leur place dans le mouvement général de la civilisation de leur époque, place un peu spéciale : ils ont aimé le luxe et la représentation, ils ont fait bâtir.

Peu de cours ont laissé dans l'histoire un souvenir de somptuosité plus riche que la cour des Valois. Fêtes, bals, tapisseries, joyaux, costumes, étoffes chatoyantes, velours, brocarts, tout se mêle dans un tableau un peu confus, aux tons chauds et colorés. A tous les âges, au XIVe comme au XVe siècle, surtout sous François Ier, les réunions de cour s'étaient signalées par le souci d'un étalage de luxe artistique aussi bien dans les parures des courtisans que dans le cadre des fêtes. Les derniers Valois ont poussé ce luxe à l'extrême.

Ce fut leur mère Catherine de Médicis qui leur en donna le goût. Elle était riche, elle était Italienne, de cette maison des Médicis qui, à Florence, avait aimé les belles choses et les avait accumulées par goût et par ostentation. A son exemple, ses fils affectionnèrent toutes les élégances. Chez Catherine il y avait une arrière-pensée politique. Elle voulait par l'éclat extérieur de la représentation rendre à la royauté un peu de ce prestige que les circonstances et l'absence d'autorité morale lui enlevaient. Il faut, écrivait-elle à Charles IX, que votre cour soit remise avec l'honneur et police que j'y ai vue autrefois. A la recherche de la mise en scène et du costume, la reine mère ajouta comme indispensable cette élégance de tenue qui s'appelle l'étiquette ; ses fils, et surtout Henri III, ont réalisé ses désirs au delà de ses espérances. Avec le goût des toilettes et des bijoux, l'organisation de l'esthétique royale du cérémonial est la plus sûre contribution des fils de Henri II, au développement artistique du XVIe siècle.

Ils ont, sinon créé, du moins développé considérablement cet état de représentation perpétuelle dans lequel devait vivre le roi de France, depuis son réveil le matin, jusqu'à l'instant où il s'endormait le soir, existence solennelle et fastidieuse que seul Louis XIV sera de taille à observer scrupuleusement. Catherine de Médicis en avait esquissé les premières lignes dans une lettre à Charles IX : se lever à heure fixe ; admettre la noblesse dans la chambre à coucher quand le roi prend la chemise et que les habillements entrent ; puis conseil, messe à dix heures ; le roi s'y rendra processionnellement escorté de ses gardes, environné de la cour ; à onze heures dîner, auquel assistent les courtisans debout ; puis deux fois par semaine audience, après quoi le roi est libre en son étude ou en son privé, mais jusqu'à trois heures ; à trois heures, promenade à pied ou à cheval avec la cour ; souper le soir en compagnie de la famille royale et, deux fois par semaine, après souper, bal ; en somme se donner en spectacle constamment, parce que cela fait plaisir à la noblesse ; ne pas quitter celle-ci des yeux et l'amuser ; surtout veiller à ce que le respect soit observé partout. Catherine assurait que c'était ainsi qu'elle avait vu faire du temps de François Ier. Henri III renchérit. Il entendit isoler de plus en plus la personne royale du reste des humains afin de mieux inspirer le respect et il édicta, le 1er janvier 1585, une grande ordonnance pour contenir chacun en l'honneur et révérence de Sa Majesté. Désormais il était interdit de s'approcher du roi ni au palais ni dehors, à moins que le souverain ne vous appelât ; il fallait se tenir en sa présence découvert, ne pas s'asseoir, ne pas se promener dans son appartement, ni toucher à quoi que ce soit. Des règlements rigoureux fixèrent les gestes de ceux qui devaient entourer le prince et les listes mêmes de ces privilégiés, sous le titre de : L'ordre que le roi veut être tenu en sa cour et la façon qu'il veut être honoré, accompagné et servi. Au lever, le matin, les séries de ceux qui étaient admis à pénétrer dans les diverses pièces successives de l’appartement royal, antichambre, cabinet, chambre de parade, chambre du roi, étaient fixées par écrit ; il y avait des gradations compliquées et les huissiers tenaient la main à ce que les droits de chacun fussent respectés. Le roi s'habillant, c'était en cérémonie qu'on allait lui chercher l'eau de sa toilette ; en cérémonie qu'on lui apportait le bouillon de son déjeuner ; un paragraphe détaillé traitait de ceux qui pouvaient offrir au prince sa serviette et son pain. L'étiquette des repas était prévue ; on savait qui pouvait y assister pour regarder, qui devait présenter la serviette ; il était interdit aux gens présents de parler au roi, sinon hautement et de sujets propres à édifier l'entourage : au besoin des barrières isolaient Sa Majesté en même temps que les Suisses. Le roi sortait-il ? les heureux admis à le suivre à pied, à cheval ou en carrosse étaient prévus. Les audiences n'étaient pas moins réglées, deux fois par semaine, les lundis et les mercredis après midi, le roi recevant assis dans sa chaire la personne admise, laquelle devait se tenir à distance et était invitée à être brève pour n'ennuyer pas Sa Majesté. L'ordonnance arrêtait même les jours de bals, les dimanches et jeudis après souper, fêtes auxquelles devaient se trouver princes, seigneurs et gentilshommes. Ces bals réguliers ont été une innovation des Valois, ce qui explique que dans les châteaux royaux du XVIe siècle on ait fait de grandes salles de bal, — celle de Saint-Germain-en-Laye, de Fontainebleau, — tandis qu'auparavant on n'avait que des salles. Les prescriptions de ce protocole royal ainsi rendues rigoureuses ont été plus ou moins bien observées à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, très incomplètement par Henri III lui-même, fort mal par Henri IV dont la libre allure spirituelle s'accommodait mal de la parade, peu aussi par Louis XIII qui était de goûts modestes. Le souci de Louis XIV de n'en manquer aucun détail et de les augmenter même, révélera plus tard leur grandeur représentative et leur tyrannique sujétion.

Dans ces cadres aux gestes réglés de la mécanique royale s'étala tout le luxe débordant de jeunes rois très élégants, très riches — ou se croyant tels — et très dépensiers. Ils créèrent des modes d'habillements, des modes jugées ridicules par les sages du moment, surtout dispendieuses et extraordinairement changeantes. Bon gré, mal gré, les seigneurs et courtisans suivirent : ce fut un débordement de toilettes magnifiques, soieries et velours multicolores, fourrures fines, broderies d'or et d'argent, le tout recouvert, pour les hommes comme pour les femmes, de monceaux de bijoux représentant des fortunes ridicules. Au mariage de Henri de Béarn, en 1572, le duc d'Anjou, écrit le Vénitien Giovanni Michiel, portait à son béret 32 perles de 12 carats achetées par lui 23.000 écus d'or ; quant au roi lui-même, son costume, joyaux compris, représentait une valeur de 5 à 600.000 écus. Autour des princes chacun rivalisait par le nombre et le prix de ces élégants costumes du temps, aux formes sveltes et capricieuses, sinon confortables. Un homme de la cour, mandait Lippomano, n'est pas estimé riche s'il n'a pas de 25 à 30 habillements de différentes façons et il doit en changer tous les jours. Les étrangers relevaient avec étonnement le contraste que présentait ce gaspillage déraisonnable avec la misère d'un royaume ruiné par les guerres civiles et couvert d'édifices effondrés. Insouciante et légère, amie du plaisir, la jeunesse qui entourait les fils de Catherine de Médicis n'en avait cure et se donnait à cœur joie au luxe du travesti.

Avec les toilettes éclatantes, la seconde mode qui sévit sous les Valois fut celle de la beauté des objets servant à parer les intérieurs des demeures : tapisseries, bois sculptés, rideaux, tapis, bibelots. On a publié l'inventaire fait après décès de tous les meubles que possédait Catherine de Médicis. Cet inventaire va nous donner une idée de ce que fut au XVIe siècle le cadre de la vie intime de celle que de Thou appelait femina superbi laxus, une femme au luxe superbe. Il est vrai qu elle a été une de celles qui ont le plus royalement dépensé pour s'entourer d'objets de prix, et que malgré son opulente fortune de fille de banquier de Florence, elle est morte couverte de dettes.

L'hôtel qu'elle habitait à Paris, et qu'elle avait fait construire était situé sur l'emplacement actuel de la Bourse de Commerce ; on l'appellera plus tard l'hôtel de Soissons ; il est aujourd'hui détruit. Tous les murs étaient tendus de tapisseries, tapisseries flamandes ou françaises, tapisseries de Beauvais, verdures, — on dit bocages, — sujets quelconques, tels que l'histoire d'Annibal, qui recouvrait une grande tapisserie de 12 pièces, destinée à garnir la grande salle de l'hôtel, l'histoire de Vulcain ; armoiries et devises. On les changeait souvent de façon à varier le cadre et on mettait ce qui ne servait pas en réserve dans les galetas. En tout, la reine disposait ainsi de 129 tapisseries. Au lieu de tapisseries on mettait aussi sur les murs des tentures de cuir travaillé, à fonds de couleur, orange, noir, vert, rouge, bleu, rehaussées d'or et d'argent ; il y en avait 134. 44 tapis d'Orient étaient destinés à couvrir les parquets. Nombre de salles de l'hôtel avaient des lambris sculptés dans lesquels, pour l'ornementation, étaient enchâssés de petits tableaux, des émaux ou des miroirs de Venise : il y avait un cabinet, dit cabinet des miroirs, qui comptait ainsi 119 miroirs, un autre, le cabinet des émaux, qui offrait 71 émaux de Limoges, dont 39 sujets à forme ovale et 32 portraits de princes, seigneurs et dames, d'environ un pied de haut. D'ailleurs très riche en émaux de tous genres, Catherine de Médicis en possédait jusqu'à 259. Le mobilier était à la hauteur d'un tel cadre. Sous les plafonds à compartiments de bois sculpté rehaussés d'or, se dressaient les grands lits à colonnes enveloppés de courtines de damas blanc à franges d'or avec passementerie et broderie d'or. Le lit de la reine — la princesse veuve portait toujours le deuil — était de velours noir brodé de perles, avec des colonnes de jais ou d'ébène, garni d'argent ; les sièges et chaires ou fauteuils étaient d'ébène, marquetés d'ivoire ; les candélabres de jais, les tables recouvertes de tapis de velours noir brodé de blanc. Ailleurs, c'étaient des guipures blanches sur satin noir, des étoffes d'or et d'argent, des crêpes brodés, des satins incarnadins, des toiles d'or. Mais en même temps, au milieu de cette décoration somptueuse, il y avait un amas d'objets de collections de toutes sortes, dont les moindres valaient des prix élevés. Catherine de Médicis avait 476 tableaux dont 341 portraits, de ces portraits, il est vrai, petits, destinés à s'enchâsser dans les boiseries, si agréables aujourd'hui par la vérité de l'expression et l'exactitude du costume — il en reste quelques-uns au Louvre et à Versailles. Dans son cabinet personnel, elle conservait 20 tableaux de genre, paysages et autres. Après les tableaux, les pièces de faïence ; Catherine avait 141 pièces de Palissy, plats, bassins. Puis sur les meubles c'était une infinité de bibelots artistiques dont un certain nombre, conservés à la galerie d'Apollon, permettent d'apprécier l'élégance des formes et le fini du travail, aiguières, coupes, flacons, gondoles en cristal de roche ciselé ou en pierre dure montée sur pieds d'or émaillés, laques de Chine, pièces d'ivoire, de nacre, de corail, reliures artistiques, bronzes, bustes, médailles antiques, éventails, verreries de Venise. Toutes les formes modernes de la curiosité la plus intelligente et la mieux avertie se retrouvaient chez elle ; il n'y avait pas, jusqu'aux livres et aux manuscrits dont elle n'eût voulu posséder une collection de valeur ; elle a laissé 4.500 volumes et 776 manuscrits anciens, qui témoignent non de son savoir — ces manuscrits étaient en latin et traitent de sujets austères, elle ne les lisait pas — mais de son éclectisme ; et nous ne parlons ni de ses bijoux, ni de ses pièces d'orfèvrerie.

Quelque considérables qu'aient été ces collections, elles ne représentent pas une exception démesurée par rapport à celles des contemporains. Les inventaires après décès des seigneurs révèlent les mêmes tendances. Mme de Sainte-Aulaire possédait dans sa demeure 45 tapisseries et les Guises, au château de Joinville, en avaient 77. Tous n'ont pas eu autant de Palissy que Catherine de Médicis, mais tous avaient des tableaux, des émaux, des pièces de cristal ; tous surtout acquéraient de ces étoffes brodées à fond de soie ou de velours qui, quoique effacées maintenant nous donnent une si vive impression de la richesse des draperies de cette époque. C'est en encourageant les arts somptuaires que princes et grands ont contribué dans une certaine mesure à leur développement. Mais, par ailleurs, princes et grands, pas plus que les rois, n'ont pu grand'chose sur l'ensemble du mouvement artistique de la seconde moitié du XVIe siècle.

Le mouvement très considérable est caractérisé par plusieurs éléments distincts : sa prétention à ne pas être empirique comme dans l'âge précédent, mais érudit et de trouver son point de départ dans l'étude de l'Antiquité ; tout de même le fait qu'il demeure français et, sans s'en apercevoir, continue étroitement, en l'améliorant, la tradition de l'époque antérieure ; l'unité relative de toutes les manifestations artistiques du temps en raison de cette double condition ; le sentiment enfin de la dignité de l'art qui produit ce résultat qu'architectes et poètes ne se considèrent plus comme des praticiens d'un métier manuel, mais comme des créateurs ou des savants d'un ordre relevé. C'est proprement la Renaissance française qui commence, par opposition à la première Renaissance qu'on peut arrêter vers 1550, puisque, à cette date, les représentants les mieux qualifiés de l'âge où l'individualisme des talents, assez isolés, s'accorde avec le maintien d'une tradition française continuée depuis le Moyen âge, ont disparu ou vont disparaître : Marot mourant en 1544, Rabelais vers 1553, Marguerite d'Angoulême en 1549.

La multiplication par l'imprimerie des éditions d'auteurs anciens, grecs et latins, avait créé au XVIe siècle une vogue extraordinaire à l'étude de l'Antiquité. Ce mouvement, commencé lentement au Moyen âge, était allé en s'accentuant depuis le début du XVIe siècle. Il fut admis qu'être savant était un titre de gloire et qu'on ne pouvait l'être si on ne connaissait à fond la littérature des anciens. Les anciens avaient tout dit, en morale, en droit, en art ; ce fut la mode de ne jurer que par eux. La Réforme n'avait-elle pas trouvé ses meilleurs et ses premiers représentants parmi les érudits familiers avec la philologie classique et capables de recourir victorieusement aux textes ? A l'imitation des anciens, on s'avisa qu'il était nécessaire d'apporter, en tout ordre d'études, des méthodes et des règles. Qu'était une langue sans grammaire, sans syntaxe, sans orthographe ? De là vint l'idée, par exemple, de fixer la langue, d'élaguer tout ce qui était superfétation, défaut de goût et de mesure, de supprimer dans le fatras linguistique ou littéraire, hérité du Moyen âge, ce qui était désordonné. Par surcroît, le développement chaque jour grandissant des imprimeries et la multiplication des ouvrages publiés en français, amenaient insensiblement à la pensée d'unifier les formes grammaticales ou orthographiques, de façon à rendre les livres uniformément lisibles. Ainsi se faisaient jour les idées de réglementation et de mesure, à l'imitation de l'Antiquité, qui allaient caractériser tout le mouvement artistique et littéraire de la seconde moitié du XVIe siècle. En 1549 parut un livre qui formula en termes retentissants la nouvelle doctrine, c'était la Défense et illustration de la langue françoise de Joachim du Bellay. Tandis que jusque-là on admettait et longtemps encore on admettra, que les livres de science fussent écrits en latin en raison de la noblesse de la langue et afin surtout que les savants de tous les pays pussent s'entendre entre eux, du Bellay voulait qu'on écrivît en français, influence sans doute des protestants qui ne célébraient leur culte qu'en langue vulgaire et — tel Calvin publiant son Institution chrétienne en français — ne voulaient plus employer que le langage accessible à tous. Mais en retour, du Bellay exigeait que cette langue fût appropriée, c'est-à-dire purifiée, accrue, si besoin était, par créations philologiques savantes, des mots qui lui manquaient et surtout douée d'un style. Afin de réaliser ces désirs, il n'était, continuait-il, que de se retourner vers les écrivains anciens et de leur demander des règles. Qu'on renonçât donc à toutes ces inventions du Moyen âge, insuffisantes et laides, ballades, rondeaux, virelais, et qu'on reprît uniquement la vieille tradition, illustrée par Horace ou Virgile, des épopées et des odes, en établissant une prosodie française, une syntaxe française, une manière française. Les idées de du Bellay firent fortune ; elles ont été celles de la Pléiade. Elles aboutissaient à trois résultats : une imitation de jour en jour plus étroite, presque un plagiat de l'Antiquité, une éducation classique à donner à toutes les générations futures de plus en plus rigoureuse, un dédain méprisant à l'égard des œuvres dites barbares du Moyen âge : le tout pour aboutir d'ailleurs au résultat artificiel d'une littérature très savante, nullement populaire et même aristocratique.

L'imitation de l'Antiquité devint en effet la mode générale. La mythologie envahit la littérature et l'art jusqu'à les encombrer. On ne vit partout que les dieux et les déesses de l'Olympe ; les nymphes figurèrent à l'infini dans les vers ou les bas-reliefs ; il ne fut discours qui n'évoquât les héros de l'Antiquité et pas de personnage historique qui n'eût son émule dans la galerie de Plutarque. Le côté excellent de cette mode était qu'au lieu de se perdre dans la glose et le commentaire comme l'avaient fait les âges précédents, on étudiait directement les textes eux-mêmes. Mais tous les textes prirent une importance et une valeur sans pareilles ; on pesa les moindres mots d'une phrase classique comme s'ils avaient le sens exclusif d'une formule juridique ; la mode devint une superstition.

Dès lors il fut reconnu qu'en dehors des œuvres de l'Antiquité aucune production de l'esprit humain ne valait la peine d'être étudiée. Les auteurs du XVIe siècle seront les premiers à subir les conséquences de cette étroite théorie, car on les négligera, si tant est qu'on ne les méprisera pas entièrement aux âges suivants. Sauf la reine Marguerite de Valois (qui aura leurs œuvres dans sa bibliothèque), tout honnête homme du XVIIe et du XVIIIe siècle se constituant une librairie ne se croira pas tenu d'y faire figurer les écrivains de la Renaissance et la Bibliothèque royale elle-même, notre Bibliothèque nationale, comptera peu de fonds aussi pauvres que celui des auteurs français du XVIe siècle. Cette tournure d'esprit qu'on a appelée le classicisme a pesé lourdement sur la formation de l'esprit français depuis le XVIe siècle ; Rome a été l'école devant suffire à tout. De là cette indifférence pendant si longtemps pour tout ce qui était étranger aux Romains, la littérature originale, libre et spontanée du Moyen âge, ou des pays anglo-saxons, Shakespeare, par exemple ; le dédain des spéculations scientifiques et politiques, au moins dans leurs applications industrielles et pratiques. On acquerra ou on développera des qualités appréciables de tenue, de goût, de mesure, mais au détriment de l'inspiration indépendante, variée et vivante ; dans l'Etat on réalisera l'uniformité romaine sous l'absolutisme de Louis XIV devenu l'expression de l'idée juridique du princeps romanus et le nivellement classique détruira l'infinie diversité des institutions communales ou provinciales du Moyen âge, si curieuses dans leur jeu libre et autonome.

Surtout le mépris de ce Moyen âge fut un des dogmes que la nouvelle école professa avec le plus de vivacité. Il sembla que cette partie négative dût être la raison d'être. L'école s'était formée pour mener la guerre et une belle guerre, écrivait Pasquier, contre l'ignorance. Le Moyen âge était l'ignorance, l'ancienne barbarie ; ce qu'il avait produit en fait de littérature n'était qu'épiceries ; on vivait maintenant en un meilleur âge, l'âge qui tâchait de mettre les choses en leur perfection. Ainsi, contrairement aux artistes de l'époque antérieure qui cherchaient chacun de leur côté à faire du mieux qu'ils pouvaient suivant leur goût personnel, leurs tendances, leur tempérament ou leurs fantaisies, on établissait maintenant qu'il y avait un idéal destiné à devenir commun à tous, une théorie de la beauté, renouvelée des anciens, une norme. Dogmatistes, les nouveaux théoriciens devinrent exclusifs.

Ils s'en rendirent compte : ils comprirent aussi que leur effort savant et réfléchi ne pouvait aboutir à des œuvres accessibles au grand public, c'est-à-dire populaires, qu'ils étaient condamnés à demeurer une élite, dans un certain sens isolés ; ils acceptèrent cette allure aristocratique et s'en firent gloire. Mais, malgré leurs dires, ils n'étaient pas si absolument les créateurs du mouvement qu'ils représentaient ; ils étaient, dans une série, les anneaux d'une chaîne. Avant eux, les humanistes cherchant dans les œuvres latines des modèles de beau langage à imiter, leur avaient, en un certain sens, tracé la voie. On a aussi parlé de l'influence exercée par les Italiens, de la colonie italienne des banquiers de Lyon, des Italiens attirés en France par Catherine de Médicis, mais en réalité cette prétendue influence n'est pas aisée à déterminer et on avoue qu'elle aurait cessé de bonne heure. Surtout ils étaient plus tributaires qu'ils ne le croyaient de la tradition. En fait, comme pour toutes les modes, les conditions du développement de ce mouvement étaient obscures ; il y avait évolution tenant à des raisons générales.

Ce qui le prouverait, c'est la diversité d'origine, de conditions et de lieux des premiers représentants de cette seconde Renaissance française. Si Ronsard, du Bellay et du Bartas sont nobles, Montaigne et Pasquier des bourgeois, beaucoup sont des professeurs de modeste extraction, voire même populaire. Henri Estienne est un ouvrier imprimeur. La Pléiade peut-être réside à Paris ; mais Antoine de Baïf, Pontus de Thyard, Louise Labé et son groupe habitent à Lyon près de leur imprimeur Jean de Tournes, Muret ou Vauquelin de la Fresnaye sont à Poitiers. Au point de vue artistique la province brille autant que Paris.

Logiquement, étant donné le point de départ de la Renaissance, résurrection de l'Antiquité, la première place reviendrait aux érudits et aux philosophes ; ils ont donné aux autres les éléments de leurs doctrines ou les moyens de les formuler. A ce titre le premier serait le savant imprimeur Henri Estienne, — fils du non moins savant imprimeur Robert Estienne, — qui a édité de si nombreux textes d'auteurs grecs et latins, surtout un dictionnaire grec, le Thesaurus græcæ linguæ, ancêtre des lexiques de nos jours ; homme intelligent et précoce, très doué, d'un caractère détestable. Après avoir t'ait de fortes études et avoir beaucoup travaillé, il avait été obligé de fuir à Genève en raison de ses idées protestantes, était revenu auprès de Henri III, lequel l'accueillit avec bienveillance et à la suite de nombre d'ennuis causés par son humeur ardente, était mort en 1598 à Lyon, ruiné ou à peu près. L'œuvre d'Henri Estienne est considérable ; il a publié presque tous les auteurs grecs, traduit en latin Pindare, Théocrite, édité Platon en entier, donné les éditions princeps d'Appien ou d'Anacréon. Ses productions ont fourni amples aliments aux études des philologues.

Un de ceux-ci, Jacques Amyot, a voulu rendre le texte grec plus particulièrement accessible au public, en le traduisant en français. Né à Melun de parents pauvres, en 1513, Amyot avait eu la fortune la plus brillante ; après avoir embrassé l'état ecclésiastique, il était devenu professeur de grec et de latin à l'université de Bourges, avait attiré l'attention par la traduction des Amours de Théagène et de Chariclée d'Héliodore et de Daphnis et Chloé de Longus ; et s'était vu nommer précepteur des enfants de Henri II qui, devenus rois, l'accablèrent d'honneurs ; il fut évêque d'Auxerre, grand aumônier de France, commandeur du Saint-Esprit. Il était adroit ; cette adresse ne l'accompagnera pas jusqu'à sa mort, car il finit fort impopulaire en 1593 en raison de son amitié pour Henri III. Sa traduction des œuvres de Plutarque est célèbre ; elle a eu un grand succès à cause du sujet et du charme simple d'un style naïf ; elle a contribué plus que beaucoup d'éditions de textes à rendre familière la figure des héros de l'Antiquité. Toutes les bibliothèques privées pendant plus de deux siècles compteront au premier rang un Plutarque d'Amyot.

Les méthodes exactes que les philologues appliquaient à l'établissement ou à la traduction des textes, des historiens les appliquaient à leur tour à l'histoire, et notamment le digne homme que fut Etienne Pasquier. C'était un avocat né à Paris en 1529, jurisconsulte de valeur qui fit parler de lui à propos de procès retentissants, celui de l'Université contre les jésuites, par exemple, fut député aux États généraux de 1588 et vécut dans une retraite respectée de 1604 à 1615, date de sa mort. Au cours de ses Recherches de la France dont le premier livre parut en 1561, le second en 1565 et les huit autres au début du XVIIe siècle, il tâche de renouveler l'histoire du royaume en interrogeant directement les documents et en ayant recours aux témoignages immédiats des auteurs contemporains.

A la suite de Pasquier, les publicistes se mettent à manifester le même souci. Jean Bodin né à Angers en 1530, mauvais avocat, lourd écrivain, mais riche d'idées traditionnelles, attaché au duc d'Anjou, lequel le fit nommer grand maître des eaux et forêts, puis à Henri IV, publiait en 1500 la Méthode pour étudier l'histoire, après quoi, en 1576, son volumineux ouvrage De la République (littéralement de la chose publique) où il cherchait à montrer en s'inspirant d'un passé attentivement étudié, que la monarchie de France ne pouvait pas être absolue et tyrannique, mais tempérée et contenue dans des limites légales ; son gros livre est très mêlé.

François Hotman, autre publiciste, celui-ci calviniste (1524-1590), fils d'un conseiller au parlement, savant professeur, polémiste combatif, qui manqua être compromis dans la conjuration d'Amboise et quitta définitivement la France après la Saint-Barthélemy, publiait l'année suivante (1573), son grand livre, Franco-Gallia, sive tractatus de regimine regum Galliæ et de jure successionis, où reprenant lui aussi l'étude des antiquités nationales il voulait prouver que la monarchie en France doit être élective et non héréditaire, qu'en tous cas les États généraux régulièrement assemblés doivent contenir son autorité.

Après l'histoire et la politique théorique, le droit à son tour subit les effets des nouvelles tendances des esprits, le droit romain avec Jacques Cujas, le droit coutumier avec Charles du Moulin. Cujas, né à Toulouse en 1522, professeur de droit vagabond qui enseigna un peu partout, à Cahors, à Bourges, à Valence, à Turin, à Paris, à Bourges où il mourut en 1590, a connu comme personne le droit romain ; les étudiants se pressaient en foule autour de sa chaire afin d'écouter ses lumineux commentaires de textes juridiques anciens à l'éclaircissement desquels il appelait le témoignage des littératures contemporaines pour situer chaque loi et chaque jurisconsulte dans son temps ; il savait admirablement le grec et écrivait purement le latin. Ses Commentaires du Corpus juris civilis, ses éditions critiques de Justinien et d'Ulpien forment des monuments ; son nom est resté une autorité vénérable dans le monde judiciaire de l'ancien régime.

Moins célèbre aujourd'hui, mais presque aussi réputé jadis dans les prétoires était Charles du Moulin, un Parisien, né en 1500, noble d'origine, forte tête bien organisée, mais auquel sa religion, protestante, valut des malheurs ; emprisonné, il se sauva en Allemagne ou il professa à Tubingen, revint, de nouveau alla en prison pour avoir publié en 1564 un Conseil sur le fait du Concile de Trente qu'on jugea impertinent, et mourut en 1566. Assez mauvais orateur, il s'était fait avocat consultant. Son grand travail, les Commentaires sur la coutume de Paris, est une œuvre considérable dans laquelle du Moulin explique, avec des vues historiques intéressantes, ces mille prescriptions du droit coutumier, origine en partie de notre droit français. Il est l'érudit par excellence du droit coutumier, à la fois juriste, historien, philosophe et savant informé. Il sera continué par Guy Coquille et Antoine Loisel.

L'érudition avait donc donné l'exemple. A sa suite la littérature se piqua aussi de revenir à l'Antiquité, et d'abord les poètes.

Il y a eu beaucoup de poètes au XVIe siècle. Etienne Pasquier parle de la grande flotte de poètes que produisit le règne de Henri II. Beaucoup sont oubliés et parmi ceux dont les noms sont restés, aucun n'a laissé un ensemble d'œuvres d'une beauté aussi soutenue que celle de tels auteurs du XVIIe siècle. De savoir si la préoccupation de l'antiquité classique a nui ou profité à leurs productions est un problème délicat ; ce qui paraît en tous cas certain est que là où les auteurs du XVIe siècle nous plaisent le plus, c'est lorsqu'ils se laissent aller à des qualités de simplicité, de charme, de naturel, de grâce spontanée et émue, toutes qualités claires qui paraissent être essentiellement françaises. Deux courants se dessinent dans leur littérature : l'idée de l'érudition antique, la continuation de la tradition française avec les caractéristiques du tempérament national. Simultanément les deux courants vont apparaître côte à côte, puis nous verrons chez certains écrivains isolés le second prédominer, conflit inévitable entre une éducation imposée du dehors et l'instinct traditionnel d'une race qui se défend.

Le premier groupe de poètes qui attira l'attention fut un groupe lyonnais — Lyon était à ce moment un centre important, le point d'aboutissement des relations avec l'Italie, la Suisse et l'Allemagne. Deux noms sont restés de ce groupe, ceux do Maurice Scève et de Louise Labé, qui ont esquissé ou ébauché la tentative de la Pléiade. Mais à force de vouloir se faire antique, l'honnête et savant échevin qu'était Maurice Scève devient inintelligible et son principal travail, les 449 dizains de sa Délie, objet de la plus haute vertu, une gageure de subtilité pédante. Quant à Louise Labé, la Belle Cordière, comme on l'appelait (1526-1566), qui après une jeunesse étrange dans laquelle, habillée en garçon, elle était allée assister au siège de Perpignan sous le nom de capitaine Louis, puis avait épousé raisonnablement un marchand de Lyon nommé M. Perrin, plus spontanée elle a écrit des sonnets et des élégies à la manière grecque dont les accents passionnés ne sont pas toujours dépourvus de naturel. Elle est plus estimée que Scève. Ses contemporains la surnommaient Sapho.

Mais qui parle de la poésie du XVIe siècle pense surtout au groupe autrement illustre qu'a été ce qu'on a appelé la Pléiade. La Pléiade, association de sept auteurs, d'inégale valeur, synthétise le mouvement poétique du XVIe siècle. Ils étaient moins de sept quand ils eurent l'idée de se réunir, vers 1350 ; ils s'appelèrent la Brigade ; ce ne fut que lorsqu'ils eurent atteint leur chiffre symbolique en 1356, qu'ils adoptèrent le mot Pléiade. C'étaient Ronsard, du Bellay, Baïf, Belleau, Pontus de Thyard, Jodelle et Daurat. Daurat, un helléniste qui n'a rien écrit en français, paraît avoir été un moment l'âme de l'entreprise et quelle entreprise ! Renouveler les thèmes poétiques, changer les genres, refaire la langue. Leurs prétentions eussent pu paraître plaisantes, si un succès partiel n'avait ennobli leurs ambitions excessives. Deux surtout d'entre eux ont eu une valeur, Joachim du Bellay et Ronsard.

Du Bellay, un ecclésiastique, chanoine de Notre-Dame de Paris (1524-1560), était tout désigné par sa Défense et illustration de la langue française, manifeste de la nouvelle école, pour faire partie du cénacle ; c'était un Angevin, délicat de santé, à l'imagination vive, qui après avoir voyagé en Italie de 1533 à 1557, se fixa à Paris. Ses Poésies françaises, ses deux recueils de sonnets, Olive et les Regrets, sont l'application du système de l'imitation de l'Antiquité ; et là où il imite il n'est pas toujours heureux, plutôt gauche et obscur ; là où il suit sa propre verve française, naturelle, charmante, douce et gracieuse, la vieille tradition, la vraie, il est au contraire excellent ; c'est un poète exquis :

Quand reverrai-je, hélas ! de mon pauvre village

Fumer la cheminée et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ?...

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux

Que des palais romains le front audacieux...

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.

Et plus que l’air romain, la douceur angevine.

Supérieur à du Bellay a été Ronsard, le plus grand poète de la Renaissance, et un de nos meilleurs écrivains de la langue. Né au château de la Poissonnière dans le Vendômois, en 1524, Pierre de Ronsard, un gentilhomme, se mêla d'abord à la vie de cour, eut des missions politiques à l'étranger, puis devenu sourd en 1540 renonça au monde et fit des vers. C'était sa voie. Il fut le chef incontesté de la Pléiade. Il a défait la poésie laide, grossière, fade, sotte, mal rimée qui estoit auparavant, écrit Brantôme, et a fait cette tant bien parée que nous voyons aujourd'hui. Ses premières Odes parurent en 1550, ainsi qu'un recueil de sonnets intitulé Amours. En 1556 il donna des Hymnes et une suite des Amours ; la première édition de ses Œuvres est de 1560 ; elles sont considérables et réunissent 8 volumes aujourd'hui de l'édition Blanchemain, avec des élégies, des épithalames, des églogues et un commencement d'épopée. Les rois le comblèrent d'honneurs ; il fut illustre et reçut de nombreuses abbayes. Après avoir pris une part active à la lutte contre les protestants, il mourut paisiblement, assez isolé et loin en 1585. Lui aussi avec ses prétentions d'être grec et latin a les meilleures qualités françaises : de l'éclat, de la diversité, de l'harmonie délicate et mélancolique, tour à tour gracieux et fougueux, exquis ou ardent ; mais lorsqu'il veut suivre les anciens, il devient énigmatique et pédant ; sa mythologie fatigue, et ses pensées sont obscures. Il a rendu de grands services en retrouvant des rythmes variés, en purifiant une langue un peu mêlée, en associant la pensée antique dans ce qu'elle avait de noble à l'esprit français. C'est un vrai poète.

A eux deux, Ronsard et du Bellay ont été les chefs de toute une école de poésie dont les effets se sont fait sentir jusque sous le règne de Henri IV. Des auteurs comme Philippe Desportes, Vauquelin de la Fresnaye sont de leurs émules et aussi Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas, un Gascon, né près d'Auch (1544-1590), soldat qui eut quelques missions diplomatiques en Angleterre, en Danemark et fut tué à Ivry. Huguenot fervent et mystique, il mit en vers l'histoire de la création, ce qui eut un grand succès.

Ronsard et les siens eurent l'idée, à l'image des aèdes de l'Hellade, de faire chanter leurs poésies. De là vint le projet d'une association entre écrivains et musiciens, association qui fut fondée en 1570 et se transforma en une académie dite l'Académie du palais. Cette académie intéressa beaucoup les rois, entre autres Charles IX qui s'en déclara le protecteur et lui octroya des privilèges ; elle se développa, admit dans ses rangs peu à peu toute espèce de membres, des littérateurs, des gens du monde, des femmes, Mme de Retz, Mme de Lignerolles ; fit prononcer des harangues qu'Henri III venait écouter et dont il donnait les sujets. Un moment cette réunion prit même le nom d'Académie française : elle était l'ébauche de celle qui devait être créée par Richelieu. Elle accentuait et consacrait le caractère aristocratique, restreint, de tout ce mouvement littéraire de la Renaissance.

Mais contre ce caractère aristocratique de la littérature des protestations s'élevaient au nom même du génie de la race. La Défense de du Bellay avait été attaquée par le Quintil Horatian, œuvre, suppose-t-on, de Barthélemy Aneau. Si quelqu'un, par fortune, prend plaisir à mes passe-temps, écrivait Sibilet dans sa préface de l’Iphigénie, je ne suis pas tant envieux de son aise que je veuille défendre la communication de mes ébats pour les réserver à une affectée de demi-douzaine estimés princes de notre langue. Et des écrivains surgissaient, çà et là, indépendants, se laissant aller à leur libre talent, continuant la tradition des écrivains personnels de la première moitié du siècle, avec toute la richesse d'une langue abondante et déréglée, d'une imagination plaisamment vagabonde, mais tout de même touchés eux aussi par la manie d'érudition classique, marque et mode de l'époque.

C'était par exemple Noël du Faïl, un magistrat du parlement de Rennes, digne gentilhomme breton qui, né vers 1520, voyagea, alla étudier à Paris, Angers, Blois, Bourges, Avignon, publia en 1547 sous le pseudonyme de Léon Ladulfi ses Propos rustiques, en 1548 ses Baliverneries ou Contes nouveaux d’Eutrapel, se retira en 1585, et mourut en 1591. Nos ancêtres, disait-il, avoient non si rhétoriquement parlé que nous, mais mieux, et leur langage étoit plus clair et plus entendible. Et dans ses contes rustiques pleins de naïveté, de bonhomie spirituelle, témoignant d'un sentiment de la nature charmant par des tableaux champêtres exquis, il reprenait la vieille tradition des conteurs gaulois. S'il n'a pas la puissance de Rabelais, il en a l'esprit libre, un peu la gaieté joviale et le réalisme. Il connaît bien les auteurs anciens et le montre.

C'était surtout Montaigne, l'illustre Michel de Montaigne, Périgourdin, né en 1533, mort en 1592, fils d'un négociant aisé, qui après avoir été conseiller au parlement de Bordeaux, renonça en 1570 à la carrière judiciaire pour vivre en campagnard dans son logis paternel des champs, ce qui ne l'empêcha pas d'ailleurs d'aller voyager en Allemagne, en Suisse, en Italie, d'être maire de Bordeaux de 1581 à 1585, fonctions dans lesquelles il ne fit pas preuve d'un courage civique remarquable, et d'accepter le titre de gentilhomme de la chambre d'Henri III. En 1580, à quarante-sept ans, il faisait paraître deux livres de ses Essais ; en 1588 il en donnera un troisième ; œuvre unique dans laquelle l'auteur philosophe écrit paisiblement sur les choses de la vie, de sa bibliothèque ou librairie située au deuxième étage de son château de Montaigne, lequel domine, du haut d'une colline la Lidoire, affluent de la Dordogne, à six lieues de Libourne. Libre du monde, indépendant et tranquille, il juge les gens et les faits avec douceur et scepticisme. Il est de la lignée dont nous parlons, de celle de Rabelais par la facilité de son humeur, son goût de la nature, cette indulgence souriante qui est une forme du doute et de l'indifférence, et que traduit bien un style ondoyant et souple. Et lui aussi, imprégné de lectures d'auteurs anciens, farcit son livre de citations et de souvenirs classiques.

Il faudrait citer encore Pierre La Ramée, de son nom latinisé Ramus, né de pauvres gens du Vermandois, vers 1515, simple domestique au collège de Navarre, s'instruisant, devenant professeur. Il osa s'attaquer à Aristote, la grande autorité, depuis le Moyen âge ; dire que beaucoup de ses prétendus écrits étaient apocryphes, que le reste était contestable, que les commentateurs étaient abusifs. L'Université l'attaqua vivement. Il avait fini par être nommé professeur au Collège de France où il enseignait d'un esprit net et original, un peu de tout, grammaire, rhétorique, mathématique, philosophie. Le calvinisme le perdit ; il fut tué à la Saint-Barthélemy. C'était un indépendant jaloux.

Ambroise Paré (1517-1590) fut également un homme à part, le célèbre chirurgien qui ne savait lui, ni le grec, ni le latin, fit son chemin par l'Hôtel-Dieu de Paris, étant sorti d'une famille modeste des environs de Laval, et suivit les armées en campagne comme praticien. La Faculté ne le reçut docteur qu'en 1554, sous prétexte que le peu de latin qu'il avait pu apprendre était détestable, et cependant, opérateur, il était d'une habileté qui confine au génie. Bravement il écrivit en français ses traités d'anatomie et de chirurgie, ce qui le fit attaquer. Il a fondé la chirurgie française.

Bernard Palissy non plus ne savait ni le grec ni le latin, et il fut également un savant en même temps qu’un grand artiste. C'était un ouvrier du midi, natif de l'Agenais ; il se fit géomètre-arpenteur, s'installa on Saintonge, embrassa le protestantisme. On sait comment il s'acharna à découvrir le secret de la poterie émaillée italienne et y arriva. Ses plats, ses rustiques figulines, comme il disait, recouverts d'un émail jaspé qui donne l'illusion des jeux du lapis, de l'agate et des pierres précieuses sous la forme de lézards, d'écrevisses, d'animaux de toutes sortes, plus tard de scènes à personnages, ont fait surtout sa célébrité. D'intelligence curieuse et ouverte, il lut les traductions de Pline, étudia les sciences naturelles, les enseigna et publia en 1563 un Traité des sels dicers et de l'agriculture, en 1580, l'Art de terre, De la nature, des eaux et fontaines, des métaux, des terres, la Recepte véritable, les Discours véritables qui attestent un esprit scientifique très avancé pour l'époque, presque un précurseur en agriculture méthodique. Il mourut obscurément, embastillé, dit-on, pour opinions religieuses.

Même aux indépendants de cette seconde moitié du XVIe siècle, à ceux qui n'acceptent pas la discipline étroite subie par Ronsard et les siens, et demeurent fidèles à la tradition du pays d'humeur joyeuse, pleine de naturel et d'abondance, l'étude de l'Antiquité s'est donc imposée. Ces deux caractéristiques se retrouvent plus nettement encore dans le domaine des arts.

De tous les arts, celui qui a le plus brillé dans la seconde moitié du XVIe siècle est l'architecture. Quand on songe aux œuvres delà Renaissance, on évoque surtout le souvenir des beaux monuments de ce temps avec leur cortège obligé d'ornementation sculpturale variée et gracieuse. Or tandis qu'auparavant il n'y avait pas d'architecte dans le sens rigoureusement précis du mot, mais des maîtres maçons édifiant, en collaboration avec le propriétaire, des édifices qui s'élevaient détails par détails, un peu au hasard de l'effet final, en tous cas sans symétrie préconçue ; à partir d'Henri II, au contraire, nous avons des théoriciens, des hommes de science qui posent des principes et prescrivent des règles ; il existe des architectes, des artistes imaginant un ensemble exactement proportionné, arrêtant sur le papier leur œuvre d'art complète avant de la bâtir, et concevant d'ailleurs, très grand et très compliqué. Du coup, l'architecture française atteignait un degré de beauté incomparable. La cause initiale de cette évolution est toujours l'influence de l'Antiquité.

Deux Italiens, l'un du XVe siècle, l'autre du XVIe siècle, Alberti et Serlio, avaient révélé Vitruve, l'architecte du temps de César et d'Auguste et son savant livre De architectura. Le goût de l'étude des anciens atteignit les constructeurs comme les autres. Le Livre d’architecture de Serlio avait paru en français en 1545 ; en 1547 fut publiée la première traduction de Vitruve ; comme commentaires de ce texte on avait les monuments romains encore debout en Italie : après l'étude des principes, les constructeurs passèrent les monts, se rendirent sur place, regardèrent, toisèrent, dessinèrent, puis, revenus en France, publièrent des ouvrages dans lesquels ils dégagèrent les principes de l'art. La Règle d'architecture de Jean Bullant paraît en 1564, l’Architecture de Philibert Delorme en 1567. Au nom de l'autorité des anciens, les nouveaux théoriciens formulaient les idées directrices de leur métier manuel ; ils élevaient celui-ci à la dignité d'un art raisonné ; d'ouvriers obscurs et de praticiens empiriques qu'étaient auparavant les bâtisseurs, ceux-ci devenaient des architectes, gens d'une valeur sociale plus relevée. Comme la poésie avec la Pléiade, l'architecture se faisait savante. Comme la Pléiade aussi, les nouveaux artistes étaient pleins de mépris à l'égard des gothiques du Moyen âge, de cette architecture démodée, barbare, écrivait Philibert Delorme, abandonnée de ceux qui ont quelque soupçon de la vraie architecture Ils étaient leur tributaire pourtant plus qu'ils ne le croyaient. Mais moins aristocrates que les poètes du cénacle de Ronsard, ils admettaient travailler pour tout le monde et non pour une élite.

Pratiquement, ce que l'Antiquité apprit surtout à nos architectes, ce fut non pas le sens des proportions, car tous les bons constructeurs précédents, par un sentiment inné, obscur et exquis, ont toujours apporté dans leurs édifices les plus variés, un goût admirable des proportions artistiques ; mais plutôt le sens de la symétrie classique. On étudia les ordres grecs, on s'initia aux calculs des éléments architecturaux antiques, colonnes ou pilastres, frontons, métopes ; on sut toutes les nuances des chapiteaux ioniques, corinthiens, toscans ou composites ; on se passa les dessins des temples grecs et latins et de l'ensemble résulta la nécessité nouvelle d'apporter dans la conception des édifices le souci d'un équilibre parfait entre les diverses parties et de correspondances minutieusement précises. Il y avait maintenant une discipline. Un des noms les plus connus de ces théoriciens est celui de Jacques Androuet, dit du Cerceau.

On connaît peu de constructions de lui, sinon l'église de Montargis qui est assez médiocre. Du Cerceau, chef d'une dynastie d'architectes qui ont travaillé jusque dans le premier tiers du XVIIe siècle, a surtout écrit. Son Livre d'architecture et ses autres œuvres gravées lui firent une réputation considérable dès son temps. Né en 1512, il voyagea en Italie, alla à Rome, dessina les monuments de 1530 à 1540, commença à publier ses recueils en 1545 et mourut en 1584. Ses livres, où il propose des modèles de construction, offrent un curieux mélange d'influences combinées de l'Antiquité, de la Renaissance italienne — qui avait de beaucoup précédé notre Renaissance française dans l'application des principes empruntés aux Grecs et aux Romains, mais avait appliqué ceux-ci avec le goût italien et les conditions de la vie italienne — de la tradition française et d'une fantaisie personnelle parfois bizarre et dépourvue d'esprit pratique. Ce qui nous intéresse surtout est la persistance de la tradition française révélée chez lui par des dessins qui font penser au château de Blois de Louis XII et par le plan carré des châteaux, dérivé des édifices du XVe siècle, plan carré qui va avoir une si grande fortune aux XVIe et XVIIe siècles.

C'est qu'en effet, et malgré les exemples de l'Antiquité, le génie de notre sol demeure fidèle à lui-même. On peut suivre à travers tout le XVIe siècle les preuves de cette fidélité. Ce même Blois de Louis XII avec ses hauts combles, sa jolie tonalité de briques et de pierres, ses hautes souches de cheminées, ses fenêtres régulières, son ensemble d'aplomb, se retrouve dans les grands châteaux de la Renaissance : Ancy-le-Franc si remarquable, Folembray, Valery, Villers-Cotterêts ; le plan carré, qui est très français, est le type commun de Charleval, d'Anet, d'Écouen, de Bury, de Saint-Maur, des mêmes Ancy-le-Franc et Villers-Cotterêts, de Verneuil. Si on compare un château du XVIIe siècle, tel celui de Pont en Champagne, avec les constructions de la fin du XVe siècle, début du XVIe en France, Blois, Amboise, ou les édifices soit antiques, soit de la Renaissance italienne, on jugera que la filiation avec les monuments français de la fin de notre Moyen âge est incontestable. Seule la décoration s'est ressentie des études étrangères. Là où la construction prête à des développements d'ornementation sculpturale, l'influence antique ou italienne apparaît caractérisée par les éléments classiques : ordres grecs, colonnes et pilastres, oves, bucranes et le reste, surtout les sujets mythologiques qui abondent : l'inspiration païenne prédomine. Mais même sur ce point la tradition en France ne date pas de 1550 et de la publication de Vitruve : elle est antérieure et se perd plus loin. Nous allons le constater en parlant brièvement des artistes et de leurs œuvres.

Ces artistes ont eu la bonne fortune de vivre en un temps où les conditions de l'existence rendaient désagréable aux gens la vie renfermée dans les forteresses obscures du XVe siècle, et où tout le monde substituait aux sombres murailles de défense de l'âge gothique les claires façades ouvertes des nouvelles maisons de plaisance. On bâtit beaucoup. Les princes, princesses et dames illustres donnèrent l'exemple en dépensant libéralement. Catherine de Médicis devait édifier les Tuileries, Diane de Poitiers Anet et Chenonceaux, le connétable de Montmorency Écouen ; mais celui qui donna l'exemple, et l'exemple le plus remarquable, fut le roi en rebâtissant le Louvre.

Lorsque Charles-Quint était passé en France en 1539, François Ier, dit-on, avait été un peu humilié de ne lui montrer comme palais royal que la rébarbative prison de Philippe Auguste, un peu améliorée par Charles V, qu'était le Louvre. Il résolut de l'abattre pour substituer à la place un édifice aéré, ordonné et seyant. C'est le brillant roi de Marignan qui demeure l'initiateur de l'art architectural de la seconde moitié du XVIe siècle. Il s'adressa à un homme de talent nommé Pierre Lescot. Né vers 1510, ce Pierre Lescot était un ecclésiastique, fils d'un procureur du roi à la Cour des aides, qui, doué du génie de l'architecture, dessinait depuis son enfance, était très instruit et très riche Amplement pourvu de bonnes places, fait aumônier ordinaire du roi, abbé de Clermont au diocèse de Laval, chanoine de Notre-Dame de Paris, seigneur de Clagny, à Versailles, il s'occupait d'architecture par goût : c'était sa passion. Connaissant sa valeur, François Ier" lui demanda le 2 août 1546, comme le portent les lettres patentes que nous avons conservées, de bastir et construire en nostre chasteau du Louvre un grand corps d'hostel au lieu où est à présent la grand salle, c'est-à-dire la partie du Louvre actuel où se trouve la salle des Cariatides et la salle Lacaze au-dessus. L'idée de François Ier était donc assez restreinte. On ignore ce que fit Lescot du temps de ce prince, probablement peu de chose. Henri II continua à l'architecte sa faveur et sa commande qu'il confirma le 14 avril 1547, dès son avènement. Mais à ce moment Lescot proposa à Henri II qui accepta un plan grandiose à exécuter, plan qui depuis a été réalisé, au moins dans ses dimensions. L'architecte se mita l'œuvre ; il restera attaché au Louvre jusqu'à sa mort, en 1578, dans une situation privilégiée, indépendant du surintendant des bâtiments, traitant lui-même avec les ouvriers, les entrepreneurs et les artistes, les dirigeant seul. Il travailla jusqu'en 1568 ; par suite des événements politiques les travaux furent arrêtés de 1568 à 1578, reprirent en 1580-81 sous la direction de Baptiste Androuet du Cerceau. Henri II avait élevé l'aile occidentale du Louvre, c'est-à-dire la partie de la salle des Cariatides, puis le pavillon d'angle du côté de la Seine (le pavillon du roi) et le premier avant-corps de l'aile en retour du côté du quai ; Charles IX continua cette dernière aile jusque vers le milieu de la façade actuelle : ce fut tout ce qui se fit au XVIe siècle autour de la cour carrée du Louvre. Après une existence paisible, très prôné par ses contemporains, aimé des poètes, de Ronsard qui chanta sa gloire, des hommes de lettres qu'il fréquentait, Pierre Lescot mourut en septembre 1578 dans sa petite maison du cloître de Notre-Dame de Paris où il habitait comme chanoine et fut enterré dans une chapelle de la cathédrale. En dehors du Louvre, il ne paraît pas avoir beaucoup construit ni cherché à construire.

Il est, on peut le dire, le premier en date de nos grands architectes français, et par une singulière fortune, ayant eu à donner le plan du plus grand palais qu'on eût à élever en France, il se trouve que ce palais est en même temps le plus magnifique qui soit. Evidemment ce qui a été réalisé depuis n'est pas de lui. Ce qui est sûrement de lui, c'est l'idée de la grande cour carrée et l'aspect des façades occidentales de cette cour.

Peu de monuments donnent une impression de beauté plus achevée que la façade du Louvre de Pierre Lescot sur la cour. Comme proportions harmonieuses, élégance, noblesse, équilibre, goût délicat, justesse exacte des détails faits pour contribuer à l'ensemble, aucun édifice n'a réalisé une aussi heureuse perfection. Ce n'est ni grec, ni romain, ni italien, c'est français. La sculpture décorative est faite pour accompagner et relever les lignes architecturales ; elle n'est ni trop effacée, ni trop saillante, à la mesure précise et fondue. La façade extérieure plus simple pratiquée sur l'ancien mur du Louvre de Philippe Auguste conservé et d'une épaisseur énorme, s'élevant au-dessus des fossés, offrait par ses grandes fenêtres peu décorées relativement, ses hauts combles, ses souches de cheminées, l'aspect des constructions françaises traditionnelles, telles qu'on les retrouvait à Ancy-le-Franc — un peu antérieur, dit-on, au Louvre — et à Amboise. Les nouveautés, répète-t-on, de la façade intérieure du Louvre, celles qui auraient été inspirées à Lescot par l'étude de l'Antiquité ou des édifices italiens seraient : les colonnes corinthiennes engagées entre des arcades de plein cintre et séparées par des niches à statues, le tout surmonté de frises sculptées ; il est vrai que ces éléments sont couramment utilisés dans les édifices italiens de la Renaissance ; mais en France Lescot ne faisait qu'appliquer des principes déjà connus et pénétrés chez nous lentement depuis nombre d'années. Les arcades de plein cintre existaient déjà au château de Madrid ; pilastres corinthiens engagés, niches à statues, frises se rencontraient auparavant à Blois et même à Amboise pour certains de ces détails. Ancy-le-Franc présente d'une façon si frappante l'application des mêmes principes qu'on peut supposer que Lescot en a été l'architecte pour n'avoir pas à l'accuser de plagiat. En somme Lescot a utilisé des éléments auxquels les Français étaient déjà habitués, mais ce qui lui est personnel c'est la manière habile dont il les a appliqués pour aboutir à un effet architectural remarquable. La tradition, l'étude, l'inspiration se sont associés chez lui, guidés par un instinct artistique sûr. Toute l'école architecturale du temps s'inspirera des mêmes données. En 1566, Charles IX faisant construire par Pierre Chambige le rez-de-chaussée de la petite galerie du Louvre — la galerie d'Apollon — et le bas de la première moitié de la grande galerie du bord de l'eau, ces édifices garderont comme aspect décoratif, le même ton que le Louvre. Les travaux arrêtés en 1572 à la Saint-Barthélemy, Henri IV les reprendra après sa rentrée à Paris en 1594 ; il continuera la galerie du bord de l'eau jusqu'aux Tuileries ; il l’élèvera d'un entresol ou mezzanine et d'un premier étage dont il fera une grande galerie, comme il élèvera l'étage de la petite galerie ; ses architectes Métezau, du Pérac, Androuet du Cerceau, Fournier conserveront les mêmes idées.

Avec des tempéraments très divers, les autres grands architectes de la seconde moitié du XVIe siècle présentent les mêmes traits essentiels que Lescot : à côté de Lescot un des plus célèbres est Philibert Delorme.

C'était aussi un ecclésiastique, né dans le Lyonnais vers 1515, fils d'un maître des œuvres, qui voyagea en Italie où il dessina beaucoup. A son retour, le cardinal du Bellay s'intéressa à lui et lui fit bâtir le château de Saint-Maur, monument qui attira l'attention. Diane de Poitiers le chargea en 1548 de bâtir Anet, somptueux édifice auquel Delorme s'appliqua avec tout son génie, qu'il considère comme son œuvre maîtresse et dont il reste à peine, du grand carré de constructions qui fut édifié, une aile et la chapelle. Henri II s'intéressa vivement à Anet, se prit de sympathie pour l'architecte, le nomma conseiller et architecteur du roi, surintendant des bâtiments, pour qu'il se fît obéir des entrepreneurs, son aumônier ordinaire ; il le fit maître des comptes, l'accabla d'abbayes : celles de Saint-Barthélemy-lès-Noyon, d'Ivry, au diocèse d'Evreux, de Saint-Serge-lès-Angers ; le fit nommer chanoine de Paris, comme Lescot. En 1564, Catherine de Médicis lui demanda d'élever le palais qu'elle rêvait de construire à une petite distance du Louvre, les Tuileries. Depuis la mort d'Henri II elle n'aimait pas les Tournelles, et cherchait à habiter ailleurs. Delorme lui dessina un plan immense, un rectangle de 269 mètres de large sur 166 mètres de profondeur avec cinq cours intérieures et des amphithéâtres. Catherine ne devait élever qu'une partie de la moitié de la façade du côté du couchant et une écurie. Mort en 1570, Delorme ne fit même pas entière cette partie de sa façade ; Jean Bull an t qui le remplaça allait substituer ses idées aux siennes. En 1572, d'ailleurs, après la Saint-Barthélemy, les travaux étaient arrêtés.

Philibert Delorme a beaucoup bâti ; nous ne connaissons pas toutes ses œuvres, et ce que nous savons être de lui est détruit ou très modifié. Mais il a publié un Traité d'architecture et de Nouvelles inventions pour bien bâtir. Nous en possédons assez pour apprécier son tempérament. C'est un savant, un mathématicien qui cherche avec attrait les difficultés afin de les résoudre par des calculs. Il a fait faire des progrès à la technique de l'art surtout pour la coupe des pierres, la stéréotomie. Mais chez lui la science fait tort à l'inspiration. Quand il cherche à être majestueux il devient lourd ; il n'a pas la pureté de style de Pierre Lescot, il n'aura même pas la science plus poussée de Jean Bullant ; on devine trop le labeur du calcul. Quand il se livre à l'imagination comme dans quelques projets de son livre de l’Architecture, il aboutit à des résultats bizarres, mélanges artificiels d'art ancien, italien et français. Sa chapelle d'Anet est presque un édifice italien et l'avant-corps de ce monument, conservé à l'École des Beaux-Arts de Paris, présentant trois étages, chacun d'un ordre différent, dorique, ionique, corinthien, du plus lourd au plus svelte, indique cette recherche mathématique. Mais le tombeau de François Ier à Saint-Denis, qui est de lui, manière d'arc de triomphe romain avec trois arcades portant le roi et la reine sa femme en prières, pendant qu'au-dessous les deux princes gisent en des sculptures d'un réalisme presque gothique, et que tout autour sont figurées des scènes de batailles non moins réalistes, est un monument harmonieux et dégagé, Philibert Delorme eut un mauvais caractère, et, quoique chanoine, une existence d'une moralité incertaine. Il se brouilla avec beaucoup de monde et tomba même en disgrâce après la mort d'Henri II. La faveur de Catherine fie Médicis devait le relever.

Jean Bullant, son continuateur, naquit à Ecouen en 1510, — génération brillante que celle qui naît vers les années 1510-1515 et qui a compté tant d'illustrations. Comme tous les autres il alla faire son voyage de Rome et d'Italie, apprentissage inévitable maintenant de toute éducation artistique. A son retour à Écouen le connétable Anne de Montmorency qui y résidait se l'attacha ; Montmorency en disgrâce eut l'idée de reconstruire son château et chargea de l'entreprise le jeune architecte. L'édification d'Ecouen, encore debout, fit la gloire de Jean Bullant. Revenu en faveur pendant le règne de Henri II, Montmorency amena à la cour l'architecte, le recommanda ; par lui Bullant fut nommé en 1557 contrôleur des bâtiments de la couronne, puis, comme Delorme, il semble avoir subi une éclipse, peut-être une disgrâce, en tout cas une retraite. Il en profita pour publier deux livres : un Recueil d’horlogiographie, 1561, et sa Règle générale d'architecture, 1568. Cette Règle générale d'architecture montre que Bullant est un savant mathématicien qui étudie en calculs serrés, d'une façon scientifique, tous les éléments de son art et notamment les ordres grecs, les colonnes et les chapiteaux. Il est presque plus ingénieur qu architecte. Pour un peu il se dirait comme Philibert Delorme curieux de ces inventions si belles qui se trouvent par les mathématiques. Il a beaucoup pratiqué Vitruve. Il a subi l'influence de l'Antiquité, s'il est vrai qu'il ait reproduit sur une façade d'Ecouen une disposition du temple de Jupiter Stator à Rome. En 1570, à la mort de Philibert Delorme, Catherine de Médicis le prit à son service et le chargea de continuer les Tuileries. Bullant n'a guère construit qu'un pavillon des Tuileries et n'a pas autrement poursuivi l'édifice. Il est mort la même année que Lescot. Son nom est très connu : son œuvre en définitive est assez mince ; nous le connaissons surtout par ses livres. Des trois architectes que nous venons de citer, Lescot, Delorme et lui, il est le plus instruit, comme Lescot demeure le plus artiste.

Érudition et tradition, ces deux termes associés que nous venons de constater dans l'art architectural. nous allons toujours les retrouver pour caractériser quelques-unes des nombreuses manifestations de ce XVIe siècle qui a eu l'instinct du beau à un si haut degré. Nous les constaterons d'abord dans la sculpture. Deux noms résument cette sculpture, Jean Goujon et Germain Pilon.

Peu d'artistes — à la réputation aussi assise que celle de Jean Goujon — ont une biographie moins connue. On croit qu'il est né en Normandie, sans qu'il y en ait de preuve. Les comptes de la cathédrale de Rouen qui le mentionnent pour la première fois en 1540-41, à propos des colonnes soutenant les orgues de Saint-Maclou, faites par lui, ainsi que les portes de l'église, le traitent de tailleur de pierre et maçon, ce qui est modeste. Il avait fait la statue de Georges d'Amboise au tombeau de la cathédrale. On le retrouve à Paris en 1543 sculptant sous la direction de Pierre Lescot le jubé de Saint-Germain-l'Auxerrois. A ce moment, il devient célèbre. L’Épitomé de Vitruve imprimé à Toulouse en 1556 l'appelle sculpteur de grand bruit et Ronsard parle de lui dans ses vers. On le fit collaborer à toutes les grandes œuvres du temps : Jean Bullant utilisa ses services à Ecouen en 1544 ; Philibert Delorme à Anet en 1553 ; Pierre Lescot à la fontaine des Innocents et surtout au Louvre à partir de 1550. Il a énormément travaillé : nous avons perdu un grand nombre de ses œuvres. On ne sait quand il est mort, sans doute vers 15G5, et non à la Saint-Barthélemy, car il n'est pas sûr qu'il ait été protestant. Ce qui nous reste de certain parmi ses sculptures est encore notable : la Diane du château d'Anet, aujourd'hui au Louvre, la fontaine des Innocents, les sculptures du palais du Louvre, sur la façade de Pierre Lescot, la voûte de l'escalier Henri II et les cariatides de la grande salle qui porte ce nom. Par ces cariatides mêmes qu'on retrouverait un peu dans Vitruve, par cette mythologie abondante qui fait le sujet de ses œuvres, dieux et déesses, faunes, nymphes, dauphins, tritons et naïades représentés. Goujon est bien l'élève de l'Antiquité, un peu à travers la Renaissance italienne ; mais comme il est français par sa grâce, sa délicatesse, son élégance discrète et de bon aloi ! Fidèle à la vérité plutôt qu'au réalisme, il figure des femmes de son temps, qu'on reconnaît bien et auxquelles il sait donner cette allure souple qui est la marque de son génie. Lescot a probablement sa part dans la conception de l'ornementation sculpturale de la façade du Louvre, mais celle de Goujon demeure considérable et elle révèle un juste sens de la décoration par la sculpture,le goût plein de tact du grand artiste et son habileté à s'adapter aux conditions prescrites pour compléter harmonieusement un ensemble.

Germain Pilon est resté plus franchement fidèle à la tradition réaliste. C'était un ouvrier parisien né en 1535 ; son talent le mit hors de pair ; il fut le sculpteur préféré de Charles IX, lequel lui donna un atelier à l’hôtel de Nesle ; les commandes abondèrent, et Catherine de Médicis surtout le fit travailler à cette chapelle des Valois, grande rotonde à deux étages de colonnes qu'à l'imitation de la chapelle des Médicis à Florence, la reine fit élever tout contre le croisillon méridional de l'église Saint-Denis afin d'y abriter les tombeaux des Valois, mais qui n'a jamais été achevée et depuis a été démolie. C'était une œuvre presque entièrement italienne à laquelle collaborèrent Lescot, Bullant et Du Cerceau dans des conditions diverses. Pilon fut chargé du tombeau d'Henri II qui existe encore et où il a sûrement sculpté de 1565 à 1583 les statues priantes du roi et de la reine, revêtues du costume royal, les corps ligures des défunts gisants et les quatre figures de bronze des angles du monument : la foi, la tempérance, la prudence et la justice, allégories à l'antique. Mais à côté, quel réalisme dans la représentation des cadavres des princes, quelle crudité, d'ailleurs habile et artistique ; puis dans le modelage du costume royal, quelle précision toute réelle, d'une exactitude étroite et minutieuse ! Si dans les fameuses trois Grâces faites par lui pour le monument du cœur de Henri III, apparaît davantage l'idéalisme cher à la Grèce et à la Renaissance italienne, combien les statues de Birague et de sa  femme exécutées pour leur tombeau révèlent au contraire le sentiment de la vie dans toute sa puissance ! Mais que dire des bustes et surtout des médaillons de Germain Pilon représentant tous les rois Valois, merveilles de précision admirable, de vie saisissante et d'art élégant ! Il est un des plus remarquables artistes de la France.

Beaucoup moins connu et qui mériterait de l'être mieux est ce Pierre Bontemps qui a sculpté les bas-reliefs du tombeau de François Ier à Saint-Denis, œuvre de tous points excellente par l'exactitude des détails des batailles, costumes, mouvements, gestes, d'un réalisme poussé, non à la manière un peu brutale du Moyen âge, mais avec une souplesse, une liberté aisée et ordonnée. Ce Pierre Bontemps n'est ni romain, ni italien. Malheureusement nous ne savons presque rien de lui et de ses œuvres.

Si la sculpture est bien représentée dans la seconde moitié du XVIe siècle, — et nous n'avons pas parlé des infinis détails décoratifs, bas-reliefs et autres, figurés sur tous les monuments et révélant plus d'un talent ignoré, — en revanche la peinture l'est faiblement. Nous sommes pauvres en tableaux de cette époque, qu'il y en ait eu peu ou qu'ils aient été détruits. Ceux qui nous restent ne sont pas signés. Tels que, ils rejoignent les dessins au crayon au contraire très nombreux à ce moment, qui sont surtout des portraits eux aussi malheureusement anonymes. Quelques noms d'artistes se détachent, celui de Jean Cousin par exemple, mais la plupart des attributions prétendues de ses œuvres ne sont pas certaines et en somme on ne connaît rien de lui ; celui de François Clouet dit Janet, surtout. François Clouet serait né vers 1520 et moi-t en 1572. C'était le fils de Jean Clouet, peintre de François Ier. Il fut extrêmement à la mode, reçut le titre honorifique de valet de chambre du roi, resta attaché aux rois Henri II, François II et Charles IX. Il a portraituré tous ces princes, nombre de fois, les membres de la famille royale, les seigneurs, les grands. Nous avons conservé des crayons de lui, surtout aux trois couleurs, on quantité respectable. Il est vrai qu'il a fait école — ou qu'il a suivi une mode, car les crayons de ce genre abondent en ce temps — qu'est-ce qui est de lui ou de ses imitateurs ? Il n'est pas toujours aisé de le dire. Ces portraits sont remarquables par la sincérité et l'exactitude ; ils sont français, charmants souvent de vivacité, parfois d'une force impressionnante : leur simplicité, leur réalisme les ferait plutôt appartenir à la vieille école gothique, si une sobriété de bon aloi et une élégance discrète ne venaient tempérer ce que l'ancienne école avait de trop rude.

Corneille de Lyon aussi est de cette école. Corneille de Lyon a également dessiné des portraits à la façon de Clouet, mais il est encore plus difficile d'identifier ses œuvres, bien que des spécialistes croient pouvoir distinguer une manière de l'un et une manière de l'autre. Les qualités sont les mêmes, ce sont celles de tous les auteurs de ces portraits. Ils forment une galerie incomparable au point de vue iconographique et artistique, et ils illustrent l'histoire du XVIe siècle comme peu de siècles l'ont été.

Nous voudrions être mieux renseignés que nous ne le sommes sur un art qui a été florissant au XVIe siècle, au moins pour ce qui est de la mode et l’usage, la tapisserie. On a vu combien Catherine de Médicis et les grands tenaient à honneur d'avoir nombre de tapisseries et de très belles dans leurs demeures. On tapissait tous les murs et on changeait souvent les tentures afin de varier l'aspect des appartements. Or ce sont surtout les pays étrangers qui ont produit des tapisseries : la Flandre principalement, Bruxelles, Valenciennes, Tournai, Gand, Bruges. François Ier avait fait de nombreuses acquisitions dans ces pays et y avait acheté, entre autres, certaine grande histoire de Scipion qui comptait vingt-deux pièces, avait coûté 40.000 livres et que Catherine de Médicis fit apporter aux conférences de Bayonne de lo6o où elle excita une grande admiration. Ces tentures flamandes offraient ou des sujets reproduits d'œuvres italiennes telle que des tableaux de Jules Romain, de Raphaël, ou des scènes de la vie réelle telles que chasses, paysages, guerres contemporaines. L'industrie de la tapisserie, très prospère en France aux XIVe et XVe siècles, l'était moins au début du XVIe Les rois cherchèrent à la rénover. François Ier fit installer un atelier à Fontainebleau, Henri II un autre à Paris. C'est celui de Paris qui tissa pour Catherine de Médicis une tapisserie connue dite tapisserie d'Artémise, vers 1570. Il y avait aussi un atelier à Tours. Sujets mythologiques, dieux, déesses, histoires antiques avec des chars et des temples, bordures offrant des arabesques à la manière italienne, mais aussi sujets réalistes, bals du temps, réceptions, fêtes et scènes champêtres, chasses avec des portraits assez fidèlement tracés, les tapisseries françaises du XVIe siècle qui sont très décoratives et se signalent par la variété de tons, d'ailleurs fondus en un harmonieux ensemble, ainsi qu'une grande richesse de coloration, présentent elles aussi les effets de la double inspiration qui domine l'art du temps.

Les émaux du XVIe siècle ont plus de réputation. Limoges a été le centre d'une production notable de ces belles œuvres dont nous avons conservé d'assez nombreux spécimens ; il y avait à Limoges des ouvriers habiles et de goût se succédant de père en fils dans la même profession, les Courteys, les Reymond, les Pénicaud. Le plus connu est Léonard Limousin que les rois gratifièrent des titres de valet de chambre, de peintre ordinaire et émailleur du roi. La galerie d'Apollon au Louvre contient, exposés, des exemples de son talent, émaux d'une pureté et d'un soutenu de ton admirables. Ici encore, comme toujours, doubles sujets, les uns mythologiques et antiques, héros de Plutarque, dieux de l'Olympe dans des cadres empruntés aux édifices romains, puis aussi des portraits du temps, personnages historiques et autres, moins souples que ceux de Clouet et de son école, moins vivants, mais rendus avec une préoccupation d'exactitude réaliste ; nous connaissons près de 130 portraits de contemporains sur émail provenant de Léonard Limousin.

On a fait beaucoup de vitraux pendant la Renaissance et nous en avons beaucoup conservé. On leur reproche d'être inférieurs à ceux des âges précédents en raison de la trop grande multiplicité des détails et des personnages, — ce qui produit, à distance, un effet de confusion, —et de la prédominance ou de la trop grande fréquence des blancs, qui donne une impression d'ensemble indistincte et brouillée. Mais ces vitraux se signalent dans le détail par de beaux effets de coloration nuancée, un dessin varié et précis, beaucoup de richesse de tons — plus nombreux qu'aux époques précédentes, ce qui n'est rigoureusement pas un progrès, étant donné le genre ; certaines couleurs sont très belles. Quant aux sujets, ou ils sont religieux dans les églises, ou, comme cette suite de grisailles à Ecouen représentant l'histoire de Psyché, d'après les dessins de Michel Coxcie, ils se ressentent des modes ambiantes.

Il faut enfin, dans cette trop rapide esquisse des arts de l'époque des Valois, faire aussi sa place à la musique. Les gens du XVIe siècle ont beaucoup aimé la musique ; ils l'ont employée sous toutes les formes, graves et légères : musique d'église chez les catholiques, chant des psaumes chez les protestants, danses et ballets aux réunions de cour, chansons dans le peuple. La Pléiade, nous l'avons vu, s'avisa que la poésie gagnerait à être associée à la musique, et l'Académie du palais fut fondée pour organiser cette association. Marot avait traduit les psaumes en vers afin qu'ils fussent mis en musique. Sous l'influence de Catherine de Médicis, qui donnait régulièrement des concerts plusieurs fois par semaine, ses fils affectionnèrent la musique, notamment Charles IX. L'application de la musique qu'ils ont préférée a été la danse ; ils ont beaucoup dansé, ironie et contraste avec un temps si tragique. Ces danses du XVIe siècle, la pavane et autres danses traînantes et graves, dans lesquelles les couples doivent évoluer avec grâce, souplesse, élégance, sont un art délicat qui demande de la distinction ; la musique qui les accompagne est tour à tour elle-même molle et lente ou alerte et gaie, en somme variée. Une forme de danse raffinée a eu un vif succès à la fin du XVIe siècle, succès qui s'est continué au XVIIe c'est le ballet. On avait tenté en Italie des représentations de pastorales avec texte mêlé de chants. Le ballet est une manière d'opéra comprenant un sujet qui se développe par des scènes chantées, mimées ou dansées. Le plus célèbre de ces ballets a été celui de Balthazard Beaujoyeux exécuté en 1581 à propos des noces du duc de Joyeuse sous le titre de Ballet comique de la reine. Chaque année ensuite, aux jours gras, les rois de France de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, montèrent un ballet, affaire compliquée, luxueuse et dispendieuse.

Ce Balthazard Beaujoyeux était un Italien, de son vrai nom Baldassarini, qui résida longtemps en France. Nos grands musiciens du siècle sont en effet un peu des étrangers : Orlando de Lassus est flamand, Willaert est flamand aussi, Goudimel est de la Franche-Comté, pays alors espagnol ; nous pouvons cependant considérer ce dernier comme français et il est un des plus illustres ; c'était un protestant, ou suspect de protestantisme, car il fut tué au moment de la Saint-Barthélemy en 1572 à Lyon. Il avait été à Rome et y avait tenu une école d'où sortit Palestrina. Ses messes, ses motets, ses chants de psaumes — il a fait la musique des vers de Marot — sont remarquables de pureté d'harmonie. Mais pour la musique d'église la transformation devait venir d'Italie et de Palestrina dont la messe du Pape Marcel est de 1565. La fugue et le contrepoint ont été la grande méthode de cette nouvelle école, pendant que les auteurs de chansons, Costeley et Orlando de Lassus, conservaient la libre inspiration spontanée, originale, variée ; toujours, en musique comme dans toutes les formes de l'art au XVIe siècle, cette dualité parallèle de l'étude savante et du jeu libre et naturel des qualités instinctives.

 

SOURCES. Lettres de Catherine de Médicis, éd. La Ferrière et Baguenault de Puchesse ; de Thou, Histoire universelle, 1734 : Et. Pasquier, Recherches de la France, 1561 ; Brantôme, Œuvres complètes, éd. Lalanne ; Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, 1838 : Alberi, Relazioni degli ambasciatori Veneti al senato, 1838 ; A. du Cerceau, Les plus excellens bastimens de France, 1576 ; Les toilettes d'Eléonore d'Autriche (dans Revue des Sociétés savantes des départements, 1876) ; de Montégut, Inventaire des bijoux de Jeanne de Bourdeille dame de Sainte-Aulaire en 1595, 1881 ; E. Bonnafé, Inventaire des meubles de Catherine de Médicis en 1589, 1874 ; Lettres et devis de Philibert Delorme relatifs à la construction du château de Chenonceaux, par Chevalier, 1864.

OUVRAGES : H. Lemonnier, Les origines de l'art classique en France au XVIe siècle (dans Revue universitaire, 1895) ; Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature françaises, t. III, 1807 ; Darmesteter et Halzfeld, Le XVIe siècle en France, 1883 ; E. Bourciez, Les mœurs polies et la littérature de coursons Henri II, 1886 ; E. Frémy, L'Académie des derniers Valois, 1887 ; Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, t. VIII, 1903 ; Palustre, L'Architecture de la Renaissance, 1860 ; du même, La Renaissance en France, 1879-85 ; Geymüller, Geschichte der Raukunst der Renaissance in Frankreich, 1896 : A. Berty, Les grands architectes de la Renaissance, 1860 ; du même, Topographie histo'ique du Vieux Paris, le Louvre et les Tuileries, 1866 ; F. Bournon, Blois, Chambord et les châteaux du Blésois, 1908 ; Gonse, La Sculpture française depuis le XIVe siècle, 1895 ; H. Bouchot, Les Clouet et Corneille de Lyon, 1892 ; E. Moreau-Nélaton, Les Clouet, peintres officiels des rois de France, 1908 ; du même, Les frères Du Monstier, peintres de la reine Catherine de Médicis, 1908 ; J. Guiffrey, Histoire de la tapisserie, 1886 ; L. Boudry et E. Lachenaud, Léonard Limousin, 1897 ; O. Merson, Les Vitraux, 1889 ; H. Expert, Les maîtres musiciens de la Renaissance française, 1894 ; E. Lavisse, Histoire de France (les chapitres concernant la Renaissance rédigés par H. Lemonnier.)