LE SIÈCLE DE LA RENAISSANCE

 

CHAPITRE VI. — L'ANARCHIE SANGLANTE. - CHARLES IX.

 

 

Charles IX, 1560-1574 ; Catherine de Médicis régente ; son chancelier Michel de l'Hôpital. Changement de politique à l'égard des protestants ; les effets de cette nouvelle politique, le Journal de Faurin à Castres. Le triumvirat Montmorency, Saint-André, Guise ; résistance des catholiques. Tentative d'entente, le colloque de Poissy, 1561, son échec. Violence des passions ; le massacre de Vassy, 1562. Première guerre civile, horribles désordres de l'année 1562. Bataille de Dreux ; les protestants vaincus se replient sur Orléans ; assassinat du duc de Guise, 1563. Paix et édit d'Amboise, 1563. Voyage de la cour à travers la France. Entrevue de Rayonne, 1563. Tentative d'enlèvement de la cour par les protestants, 1567. Deuxième guerre civile ; bataille de Saint-Denis, 1567 ; paix de Longjumeau, 1568. L'Hôpital disgracié. Troisième guerre civile ; bataille de Jarnac gagnée par le duc d'Anjou, 1569 ; mort de Condé. Coligny chef des protestants ; sa défaite à Moncontour, 1569, mais paix désastreuse de Saint-Germain par suite de la détresse du gouvernement, 1570. Mariage d'Henri de Béarn avec Marguerite de Valois ; la Saint-Barthélemy, 24 août 1572. Mort de Charles IX, 1574.

 

A François II, qui venait de s'éteindre à l'âge de dix-sept ans, après dix-sept mois de règne, succédait un enfant de neuf à dix ans, Charles IX, son frère. C'était, et ce sera à mesure, un garçon aimable, vif, très éveillé, assez gracieux, comme tous ces élégants Valois, avec beaucoup d'aisance ; homme de sport, aimant montera cheval, chasser, faire des armes, jouer à la paume ; de goûts ou de tendances artistiques, s'occupant de peinture et de ciselure, mais, par ailleurs, détestant l'étude et les affaires. Sa santé, délicate dès l'origine, trahissait la dégénérescence de la race : haut, maigre, de jambes grêles, la respiration courte, mangeant et buvant peu, vite accablé par la fatigue, visage pâle, tète courbée, il donnait l'impression d'un tempérament plutôt débile. L'ambassadeur vénitien, Jean Michiel, qui lui reconnaît de la générosité, de l'ardeur et de l'intelligence, le trouve joli. Il avait de beaux yeux, un regard qui n'était pas désagréable, mais son angle facial trop aigu donnait à sa bouche proéminente une expression de moue fâcheuse. La personne de ce prince qui n'a pas dépassé ses vingt-cinq ans, a les défauts et les qualités de la jeunesse. Le malheur a voulu que son règne ait été un des plus sinistres de l'histoire, ce qui a suffi pour rendre sa figure presque odieuse.

De par les lois et les traditions du royaume qui fixaient la majorité des rois à quatorze ans, François II avait été censé majeur en montant sur le trône, ce qui avait permis aux Guises de s'emparer du pouvoir sous la fiction que le prince disposait librement de son autorité. Avec Charles IX, il en était autrement, il y avait minorité ; il devait y avoir régence. De par ces mêmes traditions, c'était la reine mère qui généralement était régente. Précise et habile, Catherine de Médicis n'attendit pas que François II eût expiré pour s'assurer du gouvernement. En droit, les Guises n'avaient rien à réclamer ; ils allaient en effet se taire ; les princes du sang, seuls, à savoir les Bourbons, auraient pu prétendre au pouvoir. Catherine s'entendit avec eux, leur promit ce qu'ils voulurent : à Condé la liberté ; au roi de Navarre l'admission au conseil et à la direction des affaires avec le titre de lieutenant général du royaume, à condition qu'il fit quelque profession de foi catholique ; elle obtint leur concours : ils étaient trop heureux d'un changement déjà si considérable. Pour les empêcher de poursuivre leur vengeance contre les Guises, elle leur demanda de se réconcilier avec eux. Elle accueillit Montmorency, se montra aimable pour les Châtillon, parla d'être tolérante envers les huguenots. Elle était conciliante avec tous. Il faut comprendre sa politique.

Femme, étrangère, d'une origine modeste de marchands enrichis, elle se sentait sans autorité : Dieu m'a laissée avec trois enfants petits, écrivait-elle à sa fille, la reine d'Espagne, et un royaume tout divisé, n'y ayant un seul à qui je me puisse du tout fier. La prudence — et elle en avait — lui conseillait d'agir avec beaucoup de ménagements, de calmer, de pacifier. Au milieu des passions contraires, elle devait tâcher de faire bon visage à tous. On lui a reproché d'être dissimulée. Son rôle, sa nature italienne, son éducation, ses habitudes antérieures l’y contraignaient. Elle n'a eu qu'un but : maintenir intacte l'autorité du roi et la sienne ; à tort ou à raison, elle a cru ne pouvoir employer qu'un seul moyen, la conciliation ; elle a échoué ; on l'a accusée de faiblesse et de fourberie : plus habile, plus chanceux, ou se trouvant dans des conditions meilleures, Henri IV a réussi, il est un grand homme ; au fond les deux politiques étaient analogues.

Son caractère la prédisposait d'ailleurs à cette attitude conciliante. Bien portante, robuste, mangeant beaucoup, faisant beaucoup d'exercice, très leste et vive malgré un embonpoint si énorme que Brantôme l'appelle une dame hommasse en forme, elle était plus que jamais bonne et aimable. On s'accordait à la trouver gente princesse bien agréable et douce. Le sourire ne quittait pas sa pauvre figure laide au teint blême et olivâtre, aux triples bajoues, aux gros yeux saillants ; elle se montrait affable et modeste, tout en restant grande dame. Libérale, jusqu'à la prodigalité et au désordre, aimant le confort, les réceptions, toutes les splendeurs d'une vie de cour aussi fastueuse que possible, elle était honorée et aimée des courtisans qui s'empressaient autour d'elle. Sa joie était de voir la noblesse en paix se divertir à ses fêtes. Mais elle était trop intelligente pour être dupe. Il est si difficile que cette farce (le gouvernement du royaume) se joue à tant de personnages sans qu'il n'y en ait quelqu'un qui ne fasse mauvaise mine ! écrivait-elle mélancoliquement à son ambassadeur en Espagne, l'évêque de Limoges. Devant tous elle affectait un calme et une maîtrise de soi paisible. Correro assure l'avoir trouvée plus d'une fois pleurant à chaudes larmes dans son cabinet de ce qu'elle appelait ses détresses et les malheurs de la France. Mais que pouvait-elle faire autre chose que concilier ? La raison n'était-elle pas d'accord avec la nécessité ? Parlant du protestantisme et de son système de tolérance à son égard : Nous avons durant vingt ou trente ans, écrivait-elle, essayé le cautère pour cuider arracher la contagion de ce mal parmi nous et nous avons vu par expérience que cette violence n'a servi qu'à le multiplier. J'ai usé en cela, ajoutait-elle, comme femme, mère d'un roi pupille, qui a pensé la douceur plus convenable à cette maladie que nul autre remède. Elle avait le sentiment de son impuissance et des nécessités de la politique.

N'eût-elle pas eu ce sentiment que l'homme qui allait être son conseiller écouté, le chancelier Michel de l'Hôpital, l'en eût pénétrée. Froid et sec, esprit net et précis, l'Hôpital cachait sous sa figure maigre et osseuse rendue vénérable par une longue barbe blanche et qu'illuminaient deux yeux clairs au regard droit et pénétrant, une intelligence ferme dont les idées étaient arrêtées. Il était partisan résolu et réfléchi de la liberté de conscience à l'égard des protestants, de la conciliation à l'égard des grands. Il a soutenu, inspiré et animé Catherine de Médicis.

François II mort, Charles IX devenu roi, Catherine, régente, commença par en finir rapidement avec les États généraux. L'Hôpital vint y faire un éloquent discours dans lequel, prônant les idées de tolérance, il prononça sa phrase célèbre : Otons ces mots diaboliques, noms de partis, de factions et de séditions, luthériens, huguenots, papistes : ne changeons le nom de chrétiens ! Les Etats rédigèrent leurs cahiers de doléances qui manifestèrent une grande diversité dans les vœux des trois ordres. Le 31 janvier 1561, ils étaient déclarés clos et pour leur faire suite, conformément à l'usage, le chancelier obtenait de la régente la publication d'une grande ordonnance en 150 articles dans laquelle il insérait nombre de ses idées de réforme : rétablissement des élections canoniques de l'Eglise, supprimées par le Concordat, abolition de la vénalité des charges judiciaires, limitation de la juridiction des tribunaux ecclésiastiques, obligation aux baillis et sénéchaux de laisser le soin déjuger à des lieutenants gradués, etc. : toutes réformes qui ne devaient être que peu ou mal appliquées.

Puis le gouvernement fit connaître sa résolution à l'égard des protestants. Après tant d'années de répression, reconnue inefficace, on allait enfin tenter, comme l'expliquait Catherine, la politique de douceur et de libéralisme. Le 24 février 1561 parut un édit aux termes duquel tous les réformés mis en prison devaient être relâchés, les poursuites judiciaires engagées contre eux arrêtées ; les huguenots bannis étaient autorisés à rentrer et ceux qui avaient été envoyés aux galères, rappelés : l'acte ajoutait, il est vrai, à condition que tous se fissent catholiques, mais on ne fit pas attention à la phrase. Cet édit libérateur allait en réalité donner au protestantisme le plus décisif élan qu'il eût jamais eu. Jusque-là restreint, menacé et dangereux, le culte protestant ne parvenait à grouper qu'un petit nombre de fidèles. Dès lors il va s'afficher. Par curiosité, les gens viendront au prêche. La simplicité pieuse de la nouvelle religion en attirera beaucoup qui suivront ; peu à peu, un mouvement se fera, un entraînement, une mode, qui accélérera le développement du protestantisme, en présence des catholiques étonnés et arrêtés par l'idée que le roi approuve ou que ce mouvement est irrésistible. Au bout de six mois, dans telle ville du midi, les huguenots étaient devenus virtuellement la majorité. Il n'est, pour s'en rendre compte, que de suivre le curieux Journal de Jean Faurin, chaussetier protestant de Castres, consignant jour par jour ce qui se passe dans sa petite ville :

La fin de l'année io60 a été marquée à Castres par une persécution terrible. Magistrats de Toulouse et de Carcassonne sont venus multiplier les ajournements, les prises de corps, les incarcérations ; de nuit, secrètement, les prêches ont eu une peine extrême à se tenir sans provoquer les éclats d'une populace ardente qui lapide les huguenots qu'elle déteste. Arrive l'édit de février 1561 : tous les protestants incarcérés sont élargis ; le ministre huguenot, M. de Lostau, se met à prêcher dans les maisons ; on ne lui dit rien ; il va prêcher publiquement à l'école le 18 avril devant 5 à 600 personnes qui accourent ; les magistrats se fâchent et lui ordonnent de sortir de la ville ; il refuse ; on n'ose pas le contraindre, craignant une émotion populaire. Des ministres de Genève arrivent les 26 et 28 avril. Le 5 juin a lieu par la ville la procession du Saint Sacrement de la Fête-Dieu ; les réformés, pour la première fois, ne parent pas leurs maisons de tentures : personne ne s'en émeut. 6 juillet, la sainte cène est célébrée à l'école devant 600 personnes qui reçoivent le sacrement. En août, le mardi, à midi, les protestants ferment leurs boutiques et vont aux prières avec leurs domestiques ; ils continueront tous les mardis : personne ne dit rien. Dimanche, 31 août, premier enterrement huguenot : nul ne s'est ému. 1er septembre, on a procédé à l'élection des consuls de la ville et du procureur du roi : ils sont tous protestants. En corps, les consuls et les membres du consistoire vont trouver le clergé de la seconde paroisse de la ville, Notre-Dame de la Plate, et lui demandent les clefs de l'église afin d'y célébrer le culte calviniste ; le vicaire de service refuse ; on enfonce les portes de l'église et le prêche se fait quand même dans l'édifice : personne ne s'est ému. 5 octobre, on célèbre la cène à la Plate. Fin octobre, du commandement de Messieurs magistrats, on abat toutes les idoles — les statues — et tous les autels de la Plate ; sans aucune contradiction. Ainsi, avant la fin de l'année 1561, le protestantisme, au début contenu, réprimé, châtié, était installé à Castres avec pleine liberté de conscience et libre exercice du culte, maître de la municipalité et des églises. Il en était de même dans tout le royaume. D'un bout à l'autre de la France, les catholiques ne comprenant plus rien, demeuraient interdits.

Cependant, à la cour, les choses se gâtaient. Conformément à sa promesse, Catherine de Médicis avait relâché Condé, mais celui-ci voulant être judiciairement réhabilité et non gracié, avait demandé et obtenu un arrêt du parlement qui l'innocentait. Les Guises, déjà outrés de tout ce qui se passait, firent entendre de vives protestations : cet arrêt, déclarèrent-ils, était le désaveu d'un acte du roi précédent. Le cardinal de Lorraine quitta la cour. Condé fit savoir à Catherine qu'il ne reviendrait la trouver que si le duc François de Guise, son mortel ennemi, était chassé de sa présence. A force d'adresse, Catherine parvint à calmer ce premier orage. Elle appela Condé à Fontainebleau, le reçut d'une façon charmante ; lui-même, comme dit Brantôme, fort agréable, accortable et aimable, se laissa toucher. Le nuage passa. Le roi de Navarre avait reçu la lieutenance générale du royaume.

Mais les catholiques ne pouvaient demeurer indéfiniment silencieux devant les changements qui s'opéraient au détriment de leur religion. Causant avec le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André de la situation, le duc de Guise convint avec eux qu'il fallait s'entendre afin de résister au mouvement qui menaçait de perdre l'État. Les trois hommes conclurent un pacte : ils constituèrent une manière de triumvirat. Dès que cette entente fut connue, de toutes parts les adhésions affluèrent. Comme Chantonnay, l'ambassadeur du roi d'Espagne Philippe II, chacun estimait que, volontairement ou non, par sa politique de tolérance, Catherine de Médicis préparait le triomphe du protestantisme. Ne voyait-on pas déjà Condé appeler librement des ministres huguenots à prêcher à la cour ? Les protestants n'étaient-ils pas assez influents pour faire disgracier des agents catholiques trop zélés contre les calvinistes, tels que le beau-frère de Montmorency, Villars, en Languedoc ? Le triumvirat fut approuvé et acclamé ; le cardinal de Tournon, les ducs de Montpensier et de Brissac lui apportèrent leur concours. Les souverains catholiques, le pape, le roi d'Espagne, le duc de Savoie, manifestèrent leur vive sympathie ; car l'Europe suivait avec une grande attention ce qui se passait en France, surtout Philippe II, préoccupé de savoir si le protestantisme allait gagner un grand royaume de plus, question troublante pour le roi espagnol en raison de ses Pays-Bas acquis déjà à la religion nouvelle. Catherine, très ennuyée, chercha à calmer, à rassurer sur ses intentions. Elle écrivait à sa fille Élisabeth d'Espagne : Je suis contrainte d'avoir le roi de Navarre auprès de moi : les lois de ce royaume le portent ainsi. Elle expliquait à son ambassadeur en Espagne qu'en réalité, au milieu des protestants et des catholiques, des Bourbons et des triumvirs, elle cherchait à trouver un chemin moyen entre les deux. Elle mandait aux cours étrangères, au pape, que rien n'était changé en France à l'égard des protestants ; qu'on ne s'alarmât pas. Les sujets de s'alarmer davantage n'allaient pas tarder à se multiplier.

De plus en plus, comme une tache, le protestantisme se propageait avec une rapidité surprenante. Mais par une conséquence inévitable, là où il était la majorité, il déclarait, comme à Genève, ne plus pouvoir tolérer près de lui ce qu'il appelait l’idolâtrie, le scandale de la superstition romaine. Il avait demandé la tolérance de conscience, on la lui avait donnée ; il avait pris la liberté du culte, on avait été obligé de le laisser faire ; intolérant à son tour, il entendait maintenant détruire le catholicisme. Excités principalement par le culte des images, les protestants se mirent à briser de tous côtés les statues des églises.

Les catholiques résistant, il y eut des conflits, des morts Les huguenots se jetaient sur les processions pour les troubler ; les catholiques envahissaient les prêches : c'étaient des désordres dans tout le royaume. Et de tout le royaume montait vers le gouvernement, vers l'Hôpital, une plainte universelle des catholiques contre sa politique de concession et de faiblesse. Le chancelier était traité de huguenot. Que faisait-il des anciennes lois ? Les avait-il ou non rapportées ? Un peu ému, le gouvernement publia un nouvel édit en juillet I06I qui recommandait de demeurer pacifiques et tolérants, défendait de porter des armes, et tout en renouvelant l'amnistie prononcée à l'égard des réformés pour le passé, leur défendait, comme par le passé, et conformément aux anciens édits, de tenir des réunions publiques ou privées, sous peine d'être traduits devant les tribunaux civils et de se voir emprisonner, condamner à la confiscation des biens, la peine de mort étant interdite. Cet expédient timide ne contenta personne. L'effervescence générale ne fit que continuer. On déclara que l'Hôpital était impuissant. Alors, le chancelier eut une idée inattendue ; c'était de réunir les deux communions protestante et catholique, en tâchant d'accorder les doctrines. Les catholiques feraient des concessions sur la discipline et les cérémonies ; les protestants céderaient de leur côté sur le dogme. Une conférence serait provoquée entre évêques et ministres protestants où seraient discutées les conditions de l'entente. Catherine approuva. Les protestants acceptèrent. Les évêques humiliés d'un pareil débat n'eussent jamais consenti à s'y rendre, si le cardinal de Lorraine, espérant par son éloquence obtenir un beau succès oratoire, ne les y avait décidés. Le colloque — on appela la réunion un colloque — fut convoqué à Poissy pour août 1561. Douze ministres réformés arrivèrent ayant à leur tête l'illustre Théodore de Bèze, le disciple préféré de Calvin, esprit souple, élégant et caractère ardent, et Pierre Martyr de Zurich. Ils passèrent par Saint-Germain où était la cour qui les reçut d'une façon gracieuse, mieux que n'eût été le pape de Rome s'il fût venu, écrit avec humeur Claude Haton dans son Journal. L'assemblée commença le 0 septembre et se tint dans le vieux réfectoire du couvent des dominicaines de Poissy, datant de Saint-Louis, au milieu d'une affluence énorme. Le petit roi Charles IX présidait ayant auprès de lui Catherine de Médicis. Théodore de Bèze prenant la parole, — il avait, dit Haton, une langue diserte et bien affilée par un beau et propre vulgaire françois, la mine et les gestes attrayant les cœurs et vouloirs de ses auditeurs — fut modéré. On l'écouta. Malheureusement il eut une comparaison fâcheuse au sujet de l'Eucharistie : l'assemblée éclata en exclamations ; le cardinal de Tournon apostropha violemment l'orateur. Peu s'en fallut, écrivait Catherine après, que je lui imposasse silence ! A la séance suivante, le cardinal de Lorraine répondit. Les harangues se succédèrent sans succès. Finalement on jugea préférable de nommer une commission de dix membres, cinq catholiques, cinq protestants, chargés de trouver une formule d'entente ; ils ne la trouvèrent pas. L'affaire devait se terminer sans résultat ; l'impossibilité d'une réunion était constatée.

Mais le colloque de Poissy ne fit qu'accroître le désordre général. Les protestants se considérèrent comme vainqueurs. Les réformés, écrivait d'Aubigné, élevés de leurs droits, chantaient la victoire de leurs ministres. Quelle gloire, en effet, et quelle dignité d'être admis à discuter de pair à pair avec des prélats qui jusque-là ne connaissaient les huguenots que comme criminels et infâmes hérétiques ! La Réforme devenait donc une religion reconnue, véritable, digne de respect et d'attention ! Le courage des calvinistes enfla et de toutes parts, dans les provinces, le résultat s'en fit immédiatement sentir. Reprenons le Journal de Faurin.

14 décembre 1561, à l'église cathédrale Saint-Benoît, de Castres, un cordelier, Claude d'Oraison, prêchant, s'élève avec véhémence contre la Réforme ; un écolier protestant l'interrompt et tout haut lui dit qu'il en a menti. Les fidèles chassent l'écolier de l'église à coups de pied. Grande émotion chez les huguenots de la ville. Le soir ils s'attroupent en armes, vont au cloître Saint-Benoît où habite le religieux cordelier, le prennent et le mettent en prison. Les catholiques intimidés ne disent rien. Le lendemain, on reconduit le Père d'Oraison à la porte de la ville et on le prie de s'en aller. 31 décembre, les magistrats de la vil le, toujours protestants, ordonnent d'abattre les statues et images se trouvant dans les églises. 1er janvier 1562, ils interdisent formellement aux ecclésiastiques romains de dire la messe dans l'intérieur de la ville : ainsi voilà le culte catholique aboli à Castres. 4 janvier, les magistrats en force se rendent au couvent de Sainte-Claire et en expulsent les 20 religieuses qui s'y trouvent. Lundi, 2 février, on a surpris un religieux trinitaire disant la messe secrètement devant quelques fidèles. Il est appréhendé, juché sur un âne, la figure tournée du côté de la queue, qu'il tient des deux mains ; promené ainsi, revêtu de ses habits sacerdotaux, dans toutes les rues ; puis amené à la place, on le met sur une chaise, on le tond, après quoi, lui montrant son hostie consacrée on lui demande s'il veut ou non mourir pour elle ; l'autre épouvanté faiblit et dit non ; on brûle ses vêtements sacerdotaux et on le chasse après lui avoir fait promettre de ne plus célébrer la messe.

Ce qui se passait à Castres se produisait partout. Partout les protestants envahissaient les églises, chassaient les prêtres et s'installaient ; les cloches étaient supprimées, remplacées par des tambourins ; on renversait les autels, on brisait les images des saints. Moins endurants ou plus forts qu'à Castres les catholiques ici et là se jetaient sur leurs adversaires. En décembre 1561 il y eut une échauffourée à Paris, faubourg Saint-Marcel, au cours de laquelle les huguenots envahirent Saint-Médard et le saccagèrent. Par représailles les catholiques coururent au lieu du prêche et brûlèrent le mobilier.

En présence de la marée qui montait, Michel de l'Hôpital estima qu'il fallait suivre le flot afin de le contenir ; il fit publier un édit, en janvier 1562, qui autorisait les protestants à s'assembler — c'était reconnaître légalement un fait existant — mais à condition que les réunions n'auraient lieu que hors des villes, par exemple dans les faubourgs, avec défense de bâtir des temples ; et en outre que les calvinistes rendraient aux catholiques toutes les églises dont ils s'étaient emparés. Les protestants furent satisfaits de cette concession. Elle était considérable. Pour la première fois on les reconnaissait officiellement ; on autorisait leurs assemblées ; leur culte n'était plus un délit, mais l'exercice régulier d'un droit. Ils acceptèrent. A Castres les huguenots abandonnant la Plate et Saint-Benoît allèrent se réunir au boulevard de la porte de l’Albinque sous des toiles qu'on tendit. Seulement aucun prêtre n'osa venir célébrer la messe en ville.

Mais alors ce fut chez tous les catholiques une explosion d'indignation. Ainsi le gouvernement cédait définitivement aux hérétiques. Ceux-ci qui n'étaient qu'une minorité et l'erreur gagnaient peu à peu des privilèges égaux à ceux de la majorité restée fidèle à la vraie religion. Les catholiques n'en étaient plus à prétendre que les calvinistes ne pratiquassent pas leur religion, ils allaient avoir à se défendre contre des adversaires qui après avoir réclamé et obtenu la liberté de leur culte, prétendaient enlever aux autres celle de pratiquer le leur, et de persécutés se transformaient en persécuteurs. Il n(y avait donc plus de doute ; la régente et son chancelier protestantisaient le royaume ! De l'étranger des plaintes vives furent adressées au gouvernement sur sa faiblesse. Si la régente n'était pas en mesure d'avoir raison des hérétiques, écrivait Philippe II irrité, il offrait, lui, ses propres troupes ; et comme Catherine offensée répondait qu'il n'était pas admissible que les affaires du royaume fussent menées par d'autres que ceux du gouvernement, le roi d'Espagne ripostait qu'alors il les enverrait aux catholiques, ce qui avait achevé d'indigner la reine mère. Mais quoi" ? il valait mieux, disait Philippe II, inquiet du contrecoup des événements de France dans ses provinces des Pays-Bas, aller éteindre le feu dans la maison du voisin qu'attendre en la sienne. La régente écrivait lettres sur lettres pour expliquer son attitude et la justifier ; elle assurait demeurer ferme dans son intention de réprimer l'hérésie : on la jugeait double et Maisonfleur l'appelait : Madame la Serpente. Le duc d'Albe, gouverneur des Pays-Bas, concluait qu'il faudrait bien finir par intervenir en France. Grâce à l'absence de forces suffisantes pour maintenir l'ordre public dans le royaume, le moindre incident pouvait faire éclater la guerre civile imminente. Cet incident se produisit le 1er mars 4562 ; ce fut l'affaire de Vassy.

Le duc François de Guise revenait de Saverne à Paris escorté de plus de deux cents cavaliers, lorsque traversant Vassy, sur la frontière de Champagne, un dimanche matin, il passa devant une grange où se tenait un prêche de 4 à 500 protestants. Il y eut entre les gens de sa suite et des assistants au prêche échange de mots provocants : on en vint aux coups ; les gentilshommes de François de Guise soutinrent les leurs ; toute la troupe attaqua l'assemblée ; les huguenots cherchant à se défendre, jetèrent des pierres dont l'une vint blesser le duc ; les gens de celui-ci furieux mirent l'épée à la main et frappèrent ; les protestants s'enfuirent de tous côtés ; il y eut vingt-trois tués, et plus de cent blessés. C'était le premier grave événement, le premier aussi sanglant de la lutte qui couvait.

L'affaire fut exploitée ; elle souleva dans le monde protestant une émotion considérable. Des catholiques cherchèrent à atténuer ce qu'ils appelaient un accident, un désordre. Les huguenots ne parlèrent que du massacre de Vassy et soutinrent avec indignation que le projet de leurs ennemis de les détruire apparaissait clairement. Catherine effrayée donna l'ordre à François de Guise de ne pas se rendre à Paris où le populaire, fervent catholique, eût pu, par son enthousiasme, provoquer de nouvelles complications, mais de venir la rejoindre à Montceaux. Les passions déchaînées étaient trop fortes. Guise n'obéit pas. Il gagna Paris où l'attendaient les deux autres triumvirs et fut reçu par les acclamations d'une foule en délire. Le prévôt des marchands l'accueillit à la porte Saint-Denis, le traitant de défenseur de la foi. De plus en plus inquiète, Catherine de Médicis quitta Montceaux avec la cour et alla s'enfermer dans le château de Melun, place sûre et solide. De là elle gagna Fontainebleau. Qu'allait-il arriver ? Le prince de Condé était dans Paris, très entouré de partisans résolus, ne sortant jamais sans être armé et accompagné : un éclat entre les deux ennemis était inévitable. A force d'instances, le cardinal de Bourbon obtint de Condé qu'il sortît de la ville. Il se rendit à Meaux. Là il appela tous les siens, ses amis, ses serviteurs, ses fidèles ; les Châtillon le rejoignirent, Coligny, à contrecœur ; —il pressentait que cette concentration à Meaux était l'ébauche de l'armée de la révolte et sa conscience ne pouvait se faire à l'idée de devenir un rebelle. En peu de temps un millier de gentilshommes et 1 500 cavaliers se trouvèrent réunis. Afin de calmer les scrupules de Coligny, Condé expliqua que le roi était prisonnier de conseillers dont ils étaient eux, les victimes : qu'il ne s'agissait pas de prendre les armes contre Sa Majesté, mais delà délivrer pour, sous son nom, appliquer une politique plus sage. Par là on sauvait la face de la légalité. De fait, la question se posa à la cour de savoir si entre les deux partis en présence, celui des triumvirs catholiques et celui des Bourbons protestants, on devait se prononcer en faveur des uns ou des autres. Paris était dans une agitation extrême. A tout hasard Catherine de Médicis décida de s'avancer afin de s'interposer, et elle vint avec le roi, s'enfermer dans le château de Vincennes. Mais alors les triumvirs prirent cette démarche pour l'aveu public que le gouvernement se mettait de leur côté. Un conseil fut tenu au Louvre avec la régente. Ils proposèrent de marcher résolument sur Condé. Catherine et l'Hôpital s'y refusèrent.

La cour, en fait, se trouvait entre les mains des catholiques. Condé crut comprendre que le sort en était jeté. Il quitta Meaux, trop voisin de Paris — ses forces étant insuffisantes — il gagna Orléans, publia un manifeste dans lequel il déclarait que le roi n'était plus libre, qu'il fallait le délivrer ; il demandait à toutes les églises calvinistes du royaume de lever des troupes et de les lui envoyer ; il déclinait la responsabilité de la lutte qui était le fait des Guises et de leurs provocations ; il terminait en répétant qu'il voulait libérer le roi, son frère, la reine mère et assurer l'observation des édits. A l'entendre c'était donc de son côté qu'était le droit.

Pendant ce temps, sur tout le territoire, la guerre civile éclatait. Les catholiques tombaient sur les protestants, ceux-ci sur les catholiques. Les Parisiens refusant d'admettre l'édit de janvier ne toléraient la présence d'aucun huguenot connu pour tel dans leur ville. En province, l'anarchie était complète. Par troupes, les protestants attaquaient les églises, cassaient à coups de mousquet les statues, enfonçaient les portes, mettaient en tas, dans le chœur, ornements, châsses, ciboires, calices et brûlaient le tout, puis s'en prenant aux sépultures les défonçaient, jetaient les squelettes ; la tombe de Louis XI fut ainsi violée à Cléry et les Bourbons furent déterrés à Vendôme. Claude de Sainctes, qui nous raconte ces faits, en est scandalisé. D'assaut ils enlevèrent des bourgs et en chassèrent les prêtres catholiques. La ville de Puylaurens, écrit Jean Faurin, a été prise par escalade par ceux de la religion réformée. Etant dedans, on a abattu l'idolâtrie et la messe ; le ministère de la parole de Dieu dressé suivant le Saint Evangile. Cette façon de faire est suivre le bon Josias. Le culte catholique fut aboli partout où les protestants se trouvèrent les plus forts, dans le midi, en Normandie, à Caen, Rouen, Bayeux. De ville à ville ils s'envoyaient des secours, à longues distances, de Castres à Montauban, par exemple. Les champs, sillonnés par des compagnies en expédition marchant sur les places, n'étaient plus sûrs ; c'étaient des coups de feu de tous côtés. Les officiers du roi se trouvaient impuissants ; des émeutiers massacraient les gouverneurs. En Dauphiné on vit le terrible baron des Adrets, huguenot, courant la campagne, tuant, brûlant saccageant. Des bandes de catholiques ou de réformés, chassés des villes, erraient jusqu'au moment où elles étaient rencontrées par des troupes armées qui les massacraient. Alors des catholiques ardents menaient rudement la répression, tel Monluc, sur les bords de la Garonne, qui pendait tout huguenot qu'il rencontrait, un pendu, disait-il, étonnant plus que cent tués ; il y allait vivement sans sentence ni écriture, ajoutait-il, car en ces choses j'ai ouï dire qu'il faut commencer par l'exécution. Si tous eussent fait de même ayant charge es provinces, on eût assoupi le feu qui a depuis brûlé tout. Cette année 1562 a été une des plus lamentables de notre histoire. Jamais le royaume n'a présenté un spectacle aussi horrible, même pendant la guerre de Cent ans où le mal n'a pas été à ce point général. Il n'y a pas un coin de terre qui échappe à la dévastation, écrivait Hubert Languet. Toutes les affaires dans ce royaume sont suspendues, mandait Chantonnay, l'ambassadeur d'Espagne, à Marguerite de Parme ; c'est grand pitié ! et Castelnau constatait : La guerre civile est comme une rage et un feu qui brûle et embrase toute la France.

Pendant ce temps Catherine de Médicis désespérée faisait ce qu'elle pouvait afin de retarder encore le conflit avec le prince de Condé ; elle écrivait à celui-ci, cherchant à le calmer, à le ramener, lui disant de venir la voir, lui demandant ses conditions ; et Condé répondait qu'il exigeait l’éloignement des triumvirs, le châtiment du massacre de Vassy. Les triumvirs acceptaient de s'éloigner, mais ils entendaient au préalable qu'on assurât l'exercice de la seule religion catholique en France : c'était insoluble. Des provinces arrivaient coup sur coup des nouvelles qui ne faisaient qu'exciter les esprits. A Toulouse on s'était battu quatre jours dans les rues, un quartier avait été incendié, 400 personnes tuées. Les impôts ne rentraient plus. Le pays entier était dans la terreur. Sous la pression de l'opinion exaspérée, devant les instances du nonce et de l'ambassadeur d'Espagne, Catherine de Médicis se décida à laisser partir l'armée marchant sur Condé ; cette armée forte de 6.000 fantassins et de 4.000 cavaliers était commandée par le roi de Navarre, Antoine de Bourbon, lieutenant général du royaume, cet homme léger, inconsistant et indifférent qui, tout compte fait, préférant rester dans les honneurs et les dignités de l’Etat, avait abandonné les protestants et fait profession de catholicisme : les circonstances l'amenaient à conduire des troupes contre son propre frère.

Avant le choc, Catherine essaya encore d'une entente ; des conférences eurent lieu à Toury ; de deux côtés les prétentions continuaient à être inconciliables. Les protestants déclarèrent que ces pourparlers n'étaient que des feintes et les gentilshommes de Condé réclamèrent la bataille. Peu à peu la cour se pénétrait de cette pensée qu'il en arriverait au gouvernement ce qui se produisait dans les villes ; une fois tolérés les huguenots voudraient l'égalité, l'égalité acquise ils prétendraient être les maîtres, et devenus les maîtres ils détruiraient le catholicisme en France.

Le 3 juillet, Condé tenta un coup de main, la nuit, pour surprendre l'armée catholique ; il échoua ; il recula vers Blois, Tours ; l'armée des triumvirs le suivait ; Poitiers fut occupé par le maréchal de Saint-André sans difficulté. Les troupes protestantes mal cohésionnées se débandaient et ne présentaient pas de résistance. Alors le gouvernement décida de marcher sur Rouen. Le bruit courait que Condé était entré en négociations avec la reine d'Angleterre, Elisabeth, afin de lui demander son appui. Envoyés par Condé, en effet, La Haye et Jean de Ferrières s'étaient rendus à Hampton Court afin de discuter avec Elisabeth : celle-ci, intéressée et égoïste, avait spécifié qu'elle consentait à fournir 6.000 hommes et à donner 100.000 couronnes sous condition qu'on l'autoriserait à occuper le Havre ; ajoutant qu'aux termes du traité de Cateau-Cambrésis elle devait recouvrer Calais dans huit ans ; qu'elle tiendrait le Havre comme gage de cette place et qu'elle l'évacuerait si on lui rendait immédiatement Calais. La Haye et Jean de Ferrières crurent que l'occupation du Havre intimiderait la cour de France : ils signèrent. Lorsque les clauses de cette convention furent connues, elles provoquèrent une vive indignation. Condé et Coligny protestèrent ; ils firent dire à la reine d'Angleterre par son ambassadeur Throckmorton qu'ils tenaient l'occupation du Havre pour provisoire, que sinon c'était une tache d'infamie à jamais sur leur mémoire et que si la paix des huguenots faite avec le roi de France les Anglais n'évacuaient pas sans condition la place, toutes les forces du royaume marcheraient contre eux. Jean de Ferrières, navré de la faute qu'il avait commise, écrivait au ministre d'Elisabeth, lord Cecil : Je ne puis vous dire l’affliction que je ressens ! Faites que je n'aie occasion d'être tenté de désespoir de voir jacturam honoris esse sine fructu. Il avait conscience qu'il s'était déshonoré.

Avec 18.000 hommes, Charles IX en personne se dirigea vers Rouen dont 500 Anglais, le Havre occupé, étaient venus renforcer la garnison que commandait Mongommery, l'ancien meurtrier d'Henri II. Le roi de Navarre accompagnait le roi de France. L'assaut fut donné le 26 octobre ; il réussit ; la ville fut prise ; Mongommery se sauva ; cette victoire coûta la vie au malheureux roi de Navarre, Antoine de Bourbon, qui, atteint d'un coup d'arquebuse, fut tué. Il mourait à quarante-quatre ans au service des catholiques, après avoir été le soutien et l'espoir des huguenots. Personne ne le regretta.

Pendant ce temps Condé qui avait reformé son armée à Blois, appelé d'Allemagne 2.600 reîtres et 3.000 lansquenets, marchait audacieusement sur Paris et venait camper à Gentilly, Arcueil, Montrouge. La ville, bien gardée, tint bon. Sur quoi le prince se repliant vers Chartres songeait à gagner la Normandie pour donner la main aux Anglais, lorsque l'armée catholique et royale qui le cherchait, commandée par les trois triumvirs en personnes, le rejoignit à Dreux ; elle comptait 14.000 fantassins et 3.000 cavaliers ; le choc était cette fois inévitable, il eut lieu le 19 novembre 1562. C'était la première bataille des guerres civiles. Tout le monde était ému : Chacun, dit la Noue, repensoit en soi-même que les hommes qu'il vojoit venir étaient francois entre lesquels il y en avoit qui étoient ses parents et amis et que dans une heure il faudroit se tuer les uns et les autres, ce qui donnoit quelque horreur du fait. Pour se reconnaître, les huguenots avaient adopté l'uniforme qu'ils conserveront dans toutes les guerres civiles, une casaque de drap blanc, et les catholiques arboraient à leurs chapeaux croix et images. Menée par l'habile et vigoureux général qu'était François de Guise, la bataille fut décisive. A cinq heures du soir tout était fini, les protestants culbutés et en déroute ; mais le succès avait coûté cher. Le maréchal de Saint-André était tué ; le vieux connétable de Montmorency tombé de cheval, blessé, avait été fait prisonnier par les huguenots qui l'entraînaient dans leur fuite. En revanche Condé enveloppé était aux mains des catholiques. Six mille morts restaient couchés sur le sanglant champ de bataille.

La nouvelle de la victoire excita dans toute la France une allégresse sans pareille. On fit des processions et on chanta des Te Deum. La mort d'Antoine de Bourbon laissant la lieutenance générale du royaume vacante, on la décerna à Guise qui prit le commandement des troupes.

Après Condé, c'était à Coligny que revenait la direction de l'armée protestante. Coligny battit prudemment en retraite et se retira dans Orléans où il s'enferma. Avec sa décision habituelle. Guise le poursuivit, résolu, suivant son mot, à saisir les renards dans leurs terriers. Il établit son camp près des murs de la ville. Il s'était logé avec sa famille aux Valins à quelque distance. Dans le camp toute la journée, il revenait à la nuit chez lui. Le 9 février, le fort des Tourelles fut enlevé ; l'affaire marchait à souhait. Le 18, comme Guise rentrait à sa résidence entre six et sept heures du soir, on vit un cavalier qui faisait les cent pas sur la route demandant aux passants si c'était bien par là que devait venir le duc. Guise avait expédié en avant au galop un de ses gentilshommes afin de prévenir la duchesse qu'il était en retard, mais qu'il arrivait. Il s'avançait au pas, à cheval, précédé d'un page monté sur une mule et accompagné de Tristan de Rostaing. Dès qu'il aperçut le groupe, le cavalier qui guettait se jeta dans un fourré, laissa passer Guise, puis, dès que celui-ci eut fait cinq ou six pas, le visant à la tête de son pistolet, il tira. Le coup chargé de trois balles porta sur l'aisselle droite. Le duc s'affaissa, criant : Je suis mort ! il se redressa violemment et voulut dégainer : il n'en eut pas la force. Rostaing s'était précipité du côté d'où le coup de feu était parti : le meurtrier le tint quelque temps à distance de la pointe de son épée, après quoi piquant des deux, disparut dans l'obscurité du bois ; il erra toute la nuit, se perdit. Au matin, harassé de fatigue, il entra dans la grange d'une ferme pour se reposer et s'endormir. Croyant s'éloigner du camp, en réalité il s'en était rapproché en tournant sur lui-même, et il se trouvait au pont d'Olivet, près du quartier des Suisses. Un lieutenant de Guise, M. de Seurre, le trouva dans la grange et l'arrêta ; il ne résista pas : c'était un jeune homme de vingt-six ans, protestant, originaire de l'Angoumois et nommé Poltrot de Méré.

Six jours durant, Guise resta entre la vie et la mort ; il supporta son mal avec courage ; le 24 février, entre dix et onze heures du matin, il expirait. La nouvelle causa une profonde émotion. C'était le chef qui disparaissait, l'habile et heureux général, le glorieux vainqueur en tant de batailles. Il a été, écrivait l'ambassadeur anglais Smith à la reine Elisabeth, le plus grand homme de guerre de France et on peut dire de toute la chrétienté ; dur à la fatigue, courtois et éloquent, aimé du soldat et des gentilshommes. D'une commune voix l'opinion accusa Coligny d'avoir armé le bras de l'assassin : ce n'est pas démontré et ce n'était guère vraisemblable. Poltrot interrogé avoua avoir reçu de l'amiral 100 écus pour faire le coup et le gouvernement publia partout cette déposition. Coligny était obligé de répondre. Sa réponse fut maladroite. Il reconnaissait avoir donné à deux reprises 50 et 300 livres à Poltrot. Le duc de Guise était un ennemi de Dieu, du roi et du royaume, continuait-il, qui avait l'intention de le faire tuer, lui Coligny, on le lui avait dit. Si Coligny n'avait jamais poussé personne à frapper le duc, il n'avait pas davantage détourné ceux qui pariaient de l'exécuter ; et il terminait cette réponse adressée à Catherine en disant : Ne pensez pas, Madame, que ce que j'en dis soit pour regretter la mort de M. de Guise ; j'estime que c'est le plus grand bien qui pouvait advenir à ce royaume et à l'Eglise de Dieu et particulièrement à moi et à toute ma maison. La lettre fit un déplorable effet. S'il n'avoue pas franchement avoir consenti à cette mort, écrivait Pasquier, aussi s'en défend-il si froidement, que ceux qui lui veulent du bien souhaiteraient ou qu'il se fût tu ou qu'il se fût mieux défendu ! Et Brantôme ajoutait : Plusieurs s'étonnèrent comment lui qui était fort froid et modeste en paroles il allât proférer celles-là qui ne servaient de rien et dont il se fût bien passé ! Avec ses grandes qualités, Coligny avait des erreurs de jugement. La famille de Guise convaincue que Coligny était l'assassin n'aura plus que l'idée de venger dans le sang de l'amiral la mort du duc François. Poltrot de Méré fut écartelé en place de Grève le 18 mars.

Condé prisonnier. Guise mort, Coligny déconsidéré, la tâche devenait plus simple pour Catherine de Médicis. On put s'entendre : la paix fut conclue ; un édit royal en proclama les conditions convenues, l'édit d'Amboise du 19 mars 1563. Des deux côtés les prisonniers, Montmorency et Condé, étaient rendus à la liberté ; l'exercice du culte protestant se trouvait définitivement autorisé dans une ville par bailliage et dans les villes où les calvinistes étaient les maîtres incontestés, mais il demeurait interdit à Paris ; tout gentilhomme huguenot avait le droit d'entendre le prêche chez lui. En retour, les protestants devaient évacuer les églises qu'ils rendraient aux catholiques et ils restaient exclus des charges publiques. Condé fut très mécontent ; il eût désiré mieux ; mais la hâte qu'il avait à sortir de sa détention le contraignait à subir cette paix. Les catholiques, qui ne voulaient entendre parler que de répression lurent encore plus choqués. Catherine de Médicis prétendait à tout prix rétablir la tranquillité publique ; celle-ci était nécessaire ; dans le royaume la misère était effroyable, les cultures abandonnées, la vie interrompue. La régente ne se faisait d'ailleurs aucune illusion : Nous n'avons reculé que pour mieux sauter, avouait-elle tristement dans une de ses lettres. Le tout était de gagner du temps. Provisoirement on marcha sur le Havre afin d'en chasser les Anglais, ce qui se fit sans difficultés et, au retour, Charles IX fut proclamé majeur à Rouen ; il avait quatorze ans ; il pria sa mère de continuer à diriger le gouvernement.

Chefs catholiques et protestants se retrouvèrent à la cour, mais dans quel état d'esprit réciproque ! Les Guises — la mère surtout et la veuve du duc François — réclamaient la mise en jugement de Coligny. Le fils de l'assassiné, Henri, nouveau duc de Guise, et son oncle le duc d'Aumale, proféraient de perpétuelles menaces contre l'amiral. Celui-ci n'osait plus venir qu'entouré d'un grand nombre de gentilshommes. Quant à Condé, heureux d'être libre, il jouissait de la vie de cour avec insouciance et légèreté ; les ministres protestants se scandalisaient devoir ce petit homme vif assidu auprès de la maréchale de Saint-André, puis auprès de Mlle de Limeuil. Chacun avait la sensation que la paix d'Amboise n'était qu'une trêve.

Alors Catherine de Médicis décida d'emmener tout ce monde, afin de l'occuper, dans un grand voyage à travers la France. Elle donnerait des fêtes, distrairait la noblesse, l'empêcherait ainsi de se jeter dans les complots ; elle montrerait surtout au nouveau souverain son royaume ; elle apprendrait aux provinces perdues dans l'anarchie qu'elles avaient un roi, auquel elles devaient obéir.

Le 24 janvier 1564, elle partit. La longue caravane passa par Troyes, les pays lorrains, Dijon, Lyon, le Dauphiné. Les catholiques accouraient sur son passage, assurant de leur dévouement, réclamant une politique énergique. Ceci est à vous, disait Tavannes au roi à Dijon, en montrant son cœur, et voilà de quoi vous servir, ajoutait-il, en frappant la poignée de son épée. Les entrées solennelles, les réceptions, les banquets, les bals se suivirent. Et tout danse ensemble, mandait Catherine à la duchesse de Guise, huguenots et papistes, si bien que je pense qu ils ne seraient pas où ils en sont si Dieu voulait que l'on fût aussi sage ailleurs ! On traversa la Provence, le Languedoc, lentement, avec de très longs séjours dans les villes. La cour ne fut à Toulouse qu'en février 1565 ; elle gagna Bordeaux et fut en mai à Mont-de-Marsan ; le 3 juin elle atteignait Bayonne. Là Elisabeth, reine d'Espagne, fille de Catherine de Médicis, vint voir sa mère accompagnée du duc d'Albe. Cette entrevue de Bayonne a eu un très grand retentissement.

Depuis longtemps Catherine de Médicis rêvait d'une manière d'entente internationale entre les puissances catholiques afin de convenir de l'altitude à prendre à l'égard du protestantisme. Cette sorte de sainte alliance eût fortifié sa propre situation en France. Pour y arriver elle désirait avoir des entrevues avec l'empereur germanique, le roi des Romains, surtout le roi d'Espagne ; le but auquel je tends, écrivait-elle le 9 novembre 1563 à l'évêque de Limoges, un de ses ambassadeurs, n'est autre que de voir si nous, qui sommes les plus grands et les plus puissants princes chrétiens, étant assemblés ensemble, pourrions convenir et nous accorder d'un bon moyen autre que celui des armes pour la pacification et le repos de la chrétienté. Mais les princes répondaient mal à ces ouvertures. Le roi d'Espagne et son lieutenant le duc d'Albe, aux prises avec les protestants des Pays-Bas soulevés, ne comprenaient qu'une chose, c'était que le roi de France les secondât en étouffant l'hérésie dans son royaume. Je vois bien, répondait Catherine, que le duc d'Albe voudrait que tout le monde fût à la danse où est son maître ; quant à nous, puisque Dieu nous a fait la grâce d'en sortir, je me contente de n'y entrer jamais, si je puis. Philippe II ne tenait pas à l'entrevue. Qu'y ferait-on ? il voulait le savoir d'avance. Sur les longues instances de Catherine et de sa femme Elisabeth il finit par consentir, malgré lui. Cette entrevue a été différée pour plusieurs motifs, écrivait-il à Granvelle ; enfin j'ai cédé aux instances des deux reines, mais elle n'aura aucun but politique ; il importe bien de le faire connaître et de présenter cette entrevue sous son véritable jour. Puis, à la dernière minute, il décida que lui-même n'irait pas et que la reine Élisabeth se rendrait seule à Rayonne accompagnée du duc d'Albe. Le duc d'Albe reçut des instructions précises : il devrait insister avec force pour que le roi de France réprimât énergiquement l'hérésie dans son royaume, chassât tous les ministres protestants, interdît formellement l'exercice du culte public ou privé, cassât tous juges et fonctionnaires calvinistes et promulguât les décrets du concile de Trente qui venait de finir et que les juristes français n'admettaient pas sous prétexte qu'ils étaient contraires aux lois du royaume. Grand, très droit, maigre, doué d'une longue figure jaune et creuse qu'animaient deux yeux noirs, vifs, le duc d'Albe — il avait cinquante-sept ans — allait remplir son rôle avec une rigueur brutale.

L'entrevue eut lieu en juin. Dès ses premières conversations le duc d'Albe parla à Charles IX de châtier les offenses qui chaque jour se commettaient contre la religion. Mais Charles IX qui commençait à penser par lui-même, éluda : Je ne veux pas prendre les armes, répondit-il, ce serait la ruine de mon royaume. Avec Catherine de Médicis, la discussion fut serrée. L'Espagnol abordant résolument la question, réclama des mesures rigoureuses contre les hérétiques : Il faut bannir de France cette secte, dit-il, le roi votre fils n'a plus que cette ressource. Catherine riposta en proposant sa ligue avec l'empereur Maximilien. Cela est impraticable, dit le duc. La conversation devint vive. A un moment d'Albe ayant affirmé que l'Hôpital était huguenot, Non, il ne l'est pas, fit la reine. — Vous êtes la seule en France, Madame, de cette opinion, répliqua le duc. Sur le concile de Trente il n'eut pas plus de succès. Catherine acceptait évasivement de nommer une commission pour examiner si les décrets qui y avaient été rendus n'avaient rien de contraire aux libertés de l'Eglise gallicane. En somme, l'entrevue n'aboutissait pas. Une dernière conférence solennelle eut lieu le 30 juin. Afin de donner plus de poids à ses déclarations qui étaient celles du gouvernement, Catherine convoqua à la réunion, où était Charles IX, les principaux chefs catholiques, le connétable de Montmorency, le duc de Montpensier, les cardinaux de Guise et de Bourbon. Montmorency prit la parole et, résumant les sentiments de tous, dit qu'ils étaient bons catholiques, mais qu'ils estimaient la guerre civile dangereuse et incertaine : le roi saurait cependant réprimer l'hérésie. Cette dernière déclaration était vague, faite pour sauver la face. Le 6 juillet Catherine répétait par lettre à Philippe II l'affirmation : Vous pouvez vous assurer de la volonté et zèle que nous avons à notre religion et envie de voir toutes choses au contentement du service de Dieu, chose que nous n'oublierons et nous mettrons en peine de si bien exécuter qu'il en aura le contentement. Mais en même temps elle écrivait aux ambassadeurs du roi à l'étranger : Tant s'en faut que Leurs Majestés aient pensé ou traité de rien innover de ce qui a été promis (aux protestants) par les édits de pacification et les déclarations qui en ont été depuis expédiées ! Ainsi des deux côtés on avait échoué, Catherine pour un projet de ligue, le duc d'Albe dans sa tentative d'entraîner le gouvernement français vers une politique de violence.

Seulement cette entrevue, dont le public ne connut pas les détails, produisit une inquiétude extrême chez les huguenots. Ils furent convaincus qu'on avait demandé leur extermination, ce qui était vrai, et qu'on l'avait obtenue, ce qui ne l'était pas. Après la Saint-Barthélemy, sept ans plus tard, l'entrevue de Bayonne aura un reflet sinistre. En réalité, le duc d'Albe ayant consulté quelques catholiques français sur ce qu'il y aurait à faire pour arrêter l'hérésie en France, avait reçu du confesseur du duc de Montpensier cette réponse : Le moyen le plus court, serait de trancher la tête à Condé, à l'amiral, à d'Andelot, à la Rochefoucauld et à Grammont. C'était tout ce qui avait été dit et ce n'était que l'opinion individuelle d'un personnage non qualifié.

De Bayonne, la cour revint sur Paris par Nérac, Angoulême, Tours, Blois. Elle passa à Moulins où Michel de l'Hôpital fit signer une de ces grandes ordonnances, complétant celle d'Orléans et continuant les réformes simplifiantes de la justice. A Paris on retrouva toutes les haines et toutes les passions religieuses plus excitées que jamais. Les Guise et les Châtillon se menaçaient et se déliaient journellement, le duc d'Aumale parlant de provoquer Coligny ; et d'Andelot, disait-on, voulant faire tuer d'Aumale. En province l'intolérance réciproque des catholiques et des protestants était à son comble. Appliqué avec une rudesse brutale, l’édit d'Amboise avait été par endroits le point de départ d'une réaction rigoureuse. A Castres, des troupes royales envahissant la ville avaient ramené le clergé, les religieuses, contraint les réformés à reprendre leurs prêches secrètement, dans les greniers, déménagé toutes les armes et pièces d'artillerie dont auparavant les huguenots avaient garni la place. En Provence on bannissait les protestants en les contraignant à vendre leurs biens ; le bailli de Troyes interdisait toute réunion de réformés. Mais ailleurs les hérétiques demeuraient les maîtres et n'admettaient pas les édits. Les forces nous manquent, écrivaient de Saintonge Bourneuf et Masparault, pour faire observer l'édit ; pas un homme d'église n'ose se hasarder à revenir dans le plat pays et pas un officier de justice n'ose faire son devoir ! De Thouars M. de Sanzay mandait : Il y a cent paroisses où depuis deux ans il ne s'est fait de service divin. De-ci de-là on annonçait des assassinats d'ecclésiastiques ; les gentilshommes, disait-on, vendaient leurs biens pour acheter des armes ; les rixes sanglantes ne se comptaient plus.

Il fallait enfin le reconnaître ; si la politique de répression d'Henri II et de François II n'avait pas arrêté le développement du protestantisme, la politique de conciliation de Catherine de Médicis aboutissait à des résultats bien autrement désastreux. Le désordre, l'anarchie, la guerre civile, toutes les pires conditions d'un Etat se dissociant en étaient le lamentable résultat. On allait à la ruine. Alors une lente évolution se produisit dans l'esprit de Catherine de Médicis découragée. Ainsi il n'y avait donc rien à faire avec les protestants qui ne songeaient évidemment — la conviction peu à peu s'affermissait — qu'à s'emparer du pouvoir pour détruire le catholicisme et obliger tous les Français à être huguenots malgré eux ! Le voyage à travers la France avait permis à la vieille reine de constater qu'ils n'étaient en somme que la minorité, que les catholiques étaient les plus nombreux, les plus forts. Fallait-il donc subir la tyrannie des hérétiques ? Charles IX jeune, ardent, commençait à s'exaspérer plus que tout le monde. Dans une discussion avec Coligny il s'était échappé à lui dire avec emportement : Il n'y a pas longtemps que vous vous contentiez d'être soufferts par les catholiques ; maintenant vous demandez à être égaux ; bientôt vous voudrez être seuls et nous chasser du royaume ! Il comprenait. La colère montait contre les rebelles ; les imprudences et les provocations des réformés allaient exaspérer le gouvernement.

Sans tenir compte de ce que leurs coreligionnaires, en nombre d'endroits, violaient les édits et demeuraient les maîtres exclusifs, les protestants formuleront des plaintes vives contre le fait que l'édit d'Amboise n’était pas appliqué en beaucoup de lieux, à leur détriment, ce qui était exact. Des meurtres de huguenots restaient impunis. A ces réclamations le gouvernement de Catherine tit des réponses sèches et dilatoires. Je n'ai plus rien à faire ici, s'écria Condé hors de lui et il quitta la cour. Des conférences se tinrent chez lui au château de Valéry, chez Coligny à Châtillon, entre chefs protestants. Il fut effectivement constaté qu'on les trompait, que l'édit d'Amboise n'était pas appliqué — résultat de l'impuissance du gouvernement plutôt que de sa mauvaise volonté — qu'on ne leur laissait même pas une ville par bailliage. Il fut question de troupes que le roi faisait venir de l'étranger, de Suisse, d'Allemagne. Le bruit même courait que le gouvernement voulait faire arrêter les chefs. Evidemment ils étaient menacés. Mieux valait alors prévenir la cour que d'attendre son attaque ; et, audacieusement, d'Andelot proposa de tenter ce qui avait réussi en Ecosse contre Marie Stuart : enlever le roi et la famille royale à Montceaux ! Coligny se récria. Mais la majorité adopta l'idée ; il fut convenu qu'on réunirait secrètement des troupes et qu'on envelopperait Montceaux.

Catherine de Médicis fut prévenue à temps ; ce fut à peine si elle put, le 25 septembre 1567, quitter précipitamment Montceaux et s'enfuir derrière les murailles de Meaux. Mais la honte, la colère, l'humiliation que firent éprouver cet attentat et cette fuite à une reine si pénétrée de sa dignité, déjà ulcérée, et surtout à l'impétueux jeune homme qu'était Charles IX, furent inimaginables. Jamais, écrivait Catherine au duc de Savoie, je n'eusse pu penser que si grands et malheureux desseins pussent entrer es cœurs de sujets à l'endroit de leur roi !On ne me donnera plus de pareilles alarmes, s'écriait Charles IX avec plus de jurements qu'il ne faudrait, raconte Bouchefort dans une lettre à Renée de Ferrare, j'irai jusque dans leurs maisons et dedans leur lit chercher ceux qui me les baillent ! Tavannes avait raison ; les protestants en avaient trop fait en concevant une pareille aventure et pas assez en ne réussissant pas. Cette affaire va peser sur l'avenir d'un poids terrible en aliénant d'abord définitivement Catherine des huguenots, et surtout en lui donnant l'obsession affolante du danger perpétuel d'un enlèvement et peut-être d'un massacre.

Etroitement entourés de 6.000 Suisses le roi et la cour rentrèrent à Paris. Condé sentant qu'une nouvelle guerre civile, la seconde, commençait, appela ses partisans, rassembla 4.000 hommes et se mit à battre l'estrade autour de Paris. Avec 16.000 hommes le connétable de Montmorency, le maréchal de Damville et le duc d'Aumale sortirent de la ville pour le traquer ; ils le rejoignirent à Saint-Denis ; c'était le 10 novembre 1567. Le vieux Montmorency, malgré ses soixante-quatorze ans, chargea comme un jeune homme. Frappé mortellement il tomba de cheval ; il allait mourir trois jours après ! Les huguenots ne tinrent pas ; au bout d'une heure ils s'enfuirent : leurs troupes se débandèrent. Quelque temps les hostilités traînèrent. Puis Michel de l'Hôpital proposa de faire la paix : le bon pilote ne s'obstine jamais contre la tempête, disait-il mélancoliquement, il baisse les voiles et se tient coi. On céda : la paix fut signée à Longjumeau le 23 février 1568 ; elle confirmait l'édit d'Amboise et en promettait l'exécution. Mais les catholiques firent entendre des récriminations sans nombre. Maintenant le roi traitait donc d'égal à égal avec des rebelles, ses sujets ! Et il leur cédait par faiblesse ! Ce devait être le dernier succès du chancelier. Le temps marchait ; les idées se modifiaient ; sa politique ayant échoué, l'heure était passée de la conciliation et du libéralisme décidément néfastes. C'est vous, lui disait Catherine désillusionnée, vous qui, avec vos grands mots de modération et de justice, nous avez mis là où nous sommes ! A la fin de ce même mois l'Hôpital rendait les sceaux et s'en allait disgracié.

Tout le monde eut le pressentiment que la paix de Longjumeau n'était qu'une trêve. D'ailleurs dans les provinces, que ce fût la paix, que ce fût la guerre, l'état d’anarchie demeurait toujours le même, intolérances réciproques, surprises, massacres. Après ce qui s'était passé pour Montceaux, Condé et les chefs sentaient qu'ils ne pouvaient pas revenir à la cour ; ils y eussent été trop peu en sûreté. Dans toutes leurs conversations les catholiques répétaient que le mal provenait de cinq ou six meneurs ; que si on les supprimait les affaires s'en trouveraient mieux ; cette opinion devenait courante : elle n'était pas rassurante. Condé se retira à la Rochelle avec les Châtillon ; leurs partisans vinrent les rejoindre ; une armée protestante se reconstituait insensiblement. L'ardente Jeanne d'Albret amena son fils Henri de Béarn, le futur Henri IV, alors âgé de quinze ans. La troisième guerre allait éclater.

Alors le gouvernement jeta le masque et, ne gardant plus aucun ménagement, publia, le 28 septembre 1568, un édit par lequel il interdisait purement et simplement toute espèce de culte réformé en France, ordonnait aux ministres protestants de vider le royaume dans les quinze jours et excluait les calvinistes des fonctions publiques. C'était le retour à la politique répressive de Henri II. Pour toute réponse Condé se mit en marche avec son armée ; elle était forte de 21.000 hommes dont 3.000 cavaliers et représentait la plus considérable troupe que les protestants eussent encore mise sur pied. Le gouvernement ayant assez péniblement rassemblé 20.000 hommes les envoya à la rencontre sous le commandement du jeune frère du roi, le duc d'Anjou, qui sera Henri III, assisté de Tavannes. Longtemps les deux armées s'observèrent, évoluèrent, n'osant pas en venir aux mains. Le contact eut lieu à Jarnac le 13 mars 1569, un peu par surprise. Condé chargea avec 250 hommes contre 2.500, et fut enveloppé. Un coup de pied de cheval lui brisa la jambe ; il fut renversé, sa monture s'étant abattue ; il rendait son épée lorsqu'un gentilhomme, Montesquieu, arrivant par derrière, lui cassa la tête d'un coup de pistolet. Ainsi mourait à trente-neuf ans, ce prince, brillant et entraînant général, homme souple et gracieux, volontaire et tenace, mais léger et inégal. On conserve à la Bibliothèque Nationale une lettre qui fut trouvée dans sa poche sur le champ de bataille et que lui adressait le matin même Jeanne d'Albret afin de lui parler de son fils Henri. Cette lettre est toute tachée du sang du prince !

Le désastre de Jarnac et la perte de leur chef découragèrent les protestants. Il n'était plus possible, maintenant, pour se révolter, de prétexter le dessein de délivrer le roi, puisqu'on avait combattu contre le frère du roi lui-même. Avoir à sa tête un prince du sang sauvait encore les apparences et à l'heure qu'il était les hérétiques n'en avaient plus. Jeanne d'Albret accourut présenter aux calvinistes son fils, le jeune Henri de Béarn et son neveu Henri de Condé, tous deux à peu près du même âge, quinze et seize ans ; elle harangua ses coreligionnaires à Saintes, tâchant de relever les courages. Comme chef effectif, à Condé, allait succéder Coligny, esprit beaucoup plus calme, pondéré et rassis, mais sans les qualités de vigueur de l'autre. Le frère de celui-ci, d'Andelot, étant mort deux mois après Jarnac, Coligny demeurait virtuellement le chef des protestants de France.

Il marcha sur Poitiers dans l'intention de se diriger vers Paris, perdit sept semaines à assiéger la ville, 3000 hommes, et ne réussit pas. Le duc d'Anjou, accompagné toujours de Tavannes arrivait sur lui avec une armée. La rencontre se produisit à Moncontour le 30 septembre 1569. Après un instant d'indécision, les lignes protestantes flottèrent, puis se brisèrent et prirent la fuite. On fit un véritable carnage, près de 5 à 6.000 hommes restèrent sur le terrain. Coligny s'enfuit à Niort, de là s'en alla dans le midi où il recruta une nouvelle armée, avec l'intention de remonter du côté de Paris par l'est. Il était doué de cette patience, de cette constance dans la défaite, de cette fermeté froide et calme qui inspire confiance aux troupes. Simple de manières, facile à aborder, quoique sa figure, en même temps qu'elle était très douce, eût quelque chose de triste, il obtenait de l’ascendant par sa dignité et son absence d'ambition personnelle. On le suivait.

En juillet 1570, il atteignit la Charité-sur-Loire. Abattus, les protestants renaissaient donc toujours. Mais à ce moment la situation du gouvernement était des plus misérables, il n'avait plus d'argent : après plusieurs années de troubles généraux, les impôts ne rentrant plus, il ne savait comment vivre ; impossible de recruter des troupes et de les payer. Allait-on se trouver à la merci du chef huguenot ? Peut-être s'exagéra-t-il même l'état critique de sa situation. Dans cette détresse il parut à Catherine et à Charles IX qu'il fallait traiter à tout prix et passer par les conditions qui seraient proposées quelles qu'elles fussent : elles furent désastreuses. La paix, dite de Saint-Germain, du 8 août 1570, stipula que la liberté de conscience et la liberté du culte étaient décidément accordées aux protestants dans tout le royaume, sauf à Paris et autour de la cour ; amnistie générale était prononcée en faveur des rebelles ; les huguenots étaient admissibles à tous les emplois ; pendant deux ans, comme garantie de l'exécution du traité, ils recevraient quatre villes de sûreté : la Rochelle, Montauban, Cognac et la Charité ; à ce prix le catholicisme était rétabli partout où les protestants l'avaient supprimé. Ainsi, d'un coup, le roi accordait à l'hérésie toutes les libertés ; c'était la première fois que le fait se produisait dans le royaume ; le souverain traitait avec des rebelles qu'il avait vaincus en subissant leurs conditions ; il leur livrait des villes en gage de sa parole, chose énorme ! Ce fut une stupeur chez les catholiques : on appela cette paix une humiliante capitulation ! Monluc écrivait : Nous avions battu et rebattu nos ennemis, nous gagnions par les armes, mais ils gagnaient par ces diables d'écritures ! Les cours catholiques protestèrent. Charles IX répondit qu'il avait reconnu par expérience ne pouvoir par les armes mettre fin aux troubles ; il avait agi sous l'empire de la nécessité. Au pape, Catherine écrivait que le roi avait fait la paix avec les huguenots pour avoir plus de moyens de remettre toutes choses selon son intention. Les politiques dirent philosophiquement avec Pasquier que c'était finir par où on aurait dû commencer.

Mais cette fois, les protestants satisfaits, on eut la paix. Catherine profita de ce répit pour marier d'abord Charles IX, et lui faire épouser la fille de l'empereur Maximilien II, Élisabeth d'Autriche. Les protestants parlant vaguement de donner leur prince Henri de Béarn en mariage à Elisabeth d'Angleterre, la reine se décida à faire épouser à Henri de Béarn sa propre fille Marguerite de Valois, puis de proposer à la reine d'Angleterre, son second fils, le duc d'Anjou. Sur ce dernier point elle ne réussit pas. Elle tenait beaucoup à ce duc d'Anjou qui était son fils préféré, l'enfant choyé, docile, très dans sa main. A l'entrevue de Bayonne, elle avait déjà essayé de lui faire épouser une infante d'Espagne, sans succès. D'Angleterre, pendant quelque temps, on tint les choses en suspens, par politique. Mais l'union était impraticable : Élisabeth, très ardente protestante, avait trente-sept ans ; le duc d'Anjou, catholique non moins ardent, qui entendait conserver sa religion en Angleterre, et même l'y restaurer, n'en avait que dix-neuf. Les pourparlers ne devaient pas aboutir.

Il en fut autrement du mariage de Henri de Béarn avec Marguerite de Valois. Catherine voyait à cette union plusieurs avantages ; elle donnait sa fille à un roi, le roi de Navarre ; elle mettait la main sur le chef nominal des huguenots, prince du sang, dans la vague espérance de le convertir un jour ; elle réalisait un projet caressé depuis de longues années par Henri II. Il y eut des difficultés du côté de Jeanne d'Albret d'abord, sur le chapitre de la religion. Jeanne espérait que Marguerite de Valois se ferait protestante, mais Marguerite avait refusé. Catherine avait ensuite prétendu que la cérémonie du mariage eût lieu à l'église. Jeanne n'avait pas voulu. En fin de compte la reine de Navarre, assez fière au fond de faire épousera son fils la sœur du roi de France avait cédé. Ce furent de Rome alors que vinrent les contestations ; le pape exigeait que Henri de Béarn fît profession de foi catholique : Catherine de Médicis devait passer outre et résoudre le cardinal de Bourbon à célébrer la cérémonie en attendant la dispense. Ce mariage décida le rapprochement entre la cour et le monde huguenot. Jeanne d'Albret et son fils vinrent à Blois, Coligny aussi (18 septembre 1571), avec plus de 500 gentilshommes protestants. On les reçut le mieux possible. Par un effet d'indécision de pensée, Catherine et Charles IX étaient tout à l'impression pacifique du moment. Le jeune roi parut touché du caractère de Coligny ; la figure fine, mélancolique, aux yeux doux et voilés de l’amiral l'attirait ; il éprouva une soudaine sympathie pour cette nature droite et honnête. Dans leurs longues conversations ensemble, le jeune prince de vingt ans se prit de confiance à l'égard de ce vétéran quinquagénaire de tant de guerres, contemporain de quatre règnes. Leur intimité grandit. Coligny profita de cette confiance pour entretenir Charles IX d'une idée à laquelle il tenait. Les Pays-Bas s'étant révoltés contre Philippe II, pourquoi n'irait-on pas à leur secours afin de mettre la main sur les provinces françaises susceptibles de revenir au royaume ? Ce serait détourner vers une guerre étrangère les ardeurs guerrières d'une noblesse qui sans cela chercherait à les satisfaire dans la guerre civile : Si on ne les amuse pas au dehors, disait Coligny, il recommenceront à brouiller au dedans. Puis le roi, ajoutait-il, devait être excédé des façons de Philippe II, de ses remontrances perpétuelles, de son allure protectrice ; le duc d'Albe n'avait-il pas offert de venir commander en France l'armée catholique ? Philippe II ne négociait-il pas avec les Guises sans tenir compte de la cour ; ne faisait-il pas le maître en France ? Il était légitime de l'attaquer. Charles IX entra assez bien dans cette voie.

Mais alors les catholiques élevèrent leurs réclamations véhémentes. Donc, non seulement le traité de Saint-Germain avait tout donné aux protestants, mais maintenant le roi lui-même se livrait à eux ! Les Guises quittèrent Blois. Parmi eux commençait à se faire remarquer le fils du duc François, le nouveau duc, Henri de Guise, jeune homme ambitieux, très brave, volontaire, brillant, et son frère Mayenne. La haine de la famille contre Coligny, l'assassin du duc François, ne faisait que croître de toute la faveur menaçante de l'amiral.

Le contrat de mariage de Marguerite de Valois et d'Henri de Béarn fut signé le 11 avril 1572, à Blois, et la cérémonie du mariage décidée pour plus tard, en août. Jeanne d'Albret ne devait pas la voir ; elle mourait en juin, assez rapidement, grande reine, dit d'Aubigné, qui n'avait de la femme que le sexe, l'âme entière aux choses viriles, cœur invincible aux adversités.

Faisant état des bonnes dispositions de Charles IX, Coligny commença comme amiral des préparatifs militaires en vue de la guerre des Pays-Bas et leva des troupes. Son influence était à ce moment prépondérante ; on le disait chef du gouvernement. Une opposition très forte se manifesta contre lui. Catherine de Médicis et ses conseillers ne voyaient pas sans appréhension cette influence. Comme l'expliquait ensuite le chancelier de Birague à l'ambassadeur vénitien Jean Michiel, Coligny se trouvait en fait le chef incontesté des protestants : les protestants n'exécutaient un édit royal qu'après avis favorable de ce chef ; ils étaient capables de lui amener en quatre semaines 7 à 8.000 cavaliers, 23 à 30.000 fantassins, ce que le roi ne pouvait réunir qu'en quatre mois. Il y avait donc dans le royaume un maître autre que le roi, situation intolérable. Pour ce qui était des Pays-Bas, d'autre part, le projet de guerre de Coligny était déraisonnable : le royaume était obéré, les troubles intérieurs à peine calmés ; engagerait-on la guerre étrangère avec l'Espagne pour voir derrière soi se soulever les provinces ? Les catholiques iraient-ils, sous les ordres des vaincus de Jarnac et de Moncontour, faire les affaires des huguenots à l'étranger, et par là fortifier si bien Coligny en France qu'au retour celui-ci serait en mesure de protestantiser le royaume ? Par dépit, Tavannes menaça de quitter la cour. De quel droit maintenant Coligny levait-il des troupes sans l'ordre du roi ? Ces préparatifs alarmèrent les esprits.

Impatient de l'opposition qu'il sentait gronder autour de lui, Coligny demanda que la question des Pays-Bas fût résolue dans un grand conseil. Le conseil fut tenu : il était en majorité Hostile à l'intervention. Coligny s'irrita : il avoua qu'il avait promis au prince d'Orange, chef des révoltés des Pays-Bas, l'appui de la France et que si le roi se dérobait, il serait obligé, lui, de partir, avec ses amis et ses partisans pour tenir à titre privé son engagement ; puis se tournant vers Catherine de Médicis il termina en disant : Madame, le roi renonce à entrer dans une guerre. Dieu veuille qu'il ne lui en survienne une autre, à laquelle, sans doute, il ne lui sera pas aussi facile de renoncer ! Etait-ce une menace ? Catherine fut choquée. Elle commençait à être sérieusement inquiète.

Août arrivait et la date du mariage d'Henri de Béarn. On annonçait de toutes parts que la noblesse protestante avait l'intention de venir en masse assister aux fêtes. Hantée par l'appréhension d'un enlèvement comme celui de Montceaux ou pire encore, Catherine de Médicis n'avait pas voulu que la cérémonie eût lieu dans une petite ville de province où la cour serait à la merci des huguenots, mais à Paris, la ville populeuse et catholique. A l'époque dite, Henri de Béarn et Condé arrivaient à Paris suivis dune escorte de 800 cavaliers. Par toutes les routes s'acheminaient des gentilshommes protestants s'empressant de venir prendre part à des fêtes qui consacraient le triomphe de leur église et curieux des splendeurs qui allaient se dérouler. L'afflux de tous ces hérétiques mit le gouvernement et les catholiques dans un état de nervosité extraordinaire. Seul Charles IX, toujours au mieux avec Coligny, demeurait calme. Fixé au 10 août, le mariage n'eut lieu que le 18. Il se passa suivant les conventions, devant Notre-Dame, dehors, et la messe fut dite à l'intérieur en présence de la mariée seule. Les fêtes suivirent. Mais les conversations trahissaient les préoccupations irritées des esprits. Du côté protestant on s'indignait du refus du gouvernement à décider l'intervention aux Pays-Bas ; on répétait le dilemme de Coligny : Ou la guerre civile ou la guerre étrangère. On s'exprimait publiquement en termes vifs sur le compte du roi, de Catherine de Médicis, des chefs catholiques, des Guises, Du côté catholique l'exaspération montait. On constatait que la cour était noyée dans le flot protestant : on parlait à mots couverts d'un nouveau coup de force des huguenots analogue à celui de Montceaux ayant pour objet de mettre la famille royale entièrement entre les mains des réformés. La situation de Coligny surtout excitait la colère et chez les Guises on entendait proférer des menaces furieuses. L'effervescence était générale. Il y avait comme une émotion sourde et contenue ; l'air alourdi se trouvait chargé de deux électricités contraires, dont la première étincelle ferait exploser la charge. Cette étincelle se produisit le vendredi, 22 août. Ce jour-là, vers onze heure du matin, Coligny allait au Louvre de sa maison située au coin de la rue de l'Arbre-Sec et de la rue de Bétizy (la rue de Rivoli actuelle) lorsque dans une petite rue qui longeait l'hôtel du Petit Bourbon, entre la rue des Fossés-Saint-Germain et le quai, au moment où il se baissait pour rajuster sa chaussure qui ne tenait pas bien au pied, un coup de feu partit de derrière le rideau d'une petite fenêtre ; la balle coupa l'index de la main gauche de l'amiral, laboura le bras et alla se loger dans le coude. Voilà comment l'on traite les gens de bien en France ! s'exclama Coligny. Ceux qui l'accompagnaient s'étaient rués sur la maison, avaient enfoncé la porte, mais n'avaient trouvé qu'une arquebuse fumante, l'assassin s'étant sauvé par derrière, achevai. On sut que la maison appartenait aux Guises, que le meurtrier, nommé Maurevert, était de leur suite, que le cheval sortait de leurs écuries ; ce ne fut qu'un cri : c'étaient les Guises qui étaient les auteurs de l'attentat. On ramena Coligny à sa maison où Ambroise Paré vint le soigner ; la balle extraite péniblement, au prix de souffrances vives et en charcutant le bras, l'opérateur avait répondu de la vie du blessé.

Charles IX jouait à la paume lorsqu'on vint lui annoncer le crime : Je n'aurai donc jamais de repos ! s'écria-t-il en jetant sa raquette d'un violent mouvement de colère et il rentra au Louvre. L'émotion y était considérable. Il ne fallait plus se faire d'illusion, cet accident pouvait être le signal de la catastrophe. On fit immédiatement évacuer le palais royal et les gardes furent doublés aux portes.

A la maison de Coligny accouraient, fiévreux tous les protestants : le prince de Condé, le roi de Navarre, les chefs, une foule incessante de huguenots allant et venant, demandant des nouvelles, au milieu d'un concert de paroles violentes, de malédictions et d'imprécations furieuses. Il fallait se venger des Guises sur-le-champ, répétait-on, les tuer si c'était nécessaire, en présence du roi lui-même, en plein Louvre ; ils fusèrent, écrit Brantôme, de paroles par trop insolentes, disant qu'ils frapperoient, qu'ils tueroient ! Coligny exprima le désir de voir le roi. Dans l'état où étaient les affaires, le gouvernement fut d'avis que toute la famille royale devait aller rue de Bétizy ; cette démarche courtoise calmerait peut-être un peu les protestants. L'après-midi en effet la visite eut lieu ; Catherine de Médicis accompagnait Charles IX avec ses deux autres fils. Le mal est pour vous, dit le roi en abordant l'amiral, la douleur pour moi, et il l'assura qu'il lui ferait rendre une stricte et exemplaire justice. Il lui proposa même de le faire transporter au Louvre, mais Coligny refusa. Ils causèrent : Coligny revenait à son idée de l'expédition des Pays-Bas, seul remède, répétait-il, aux difficultés de l'heure présente. Le soir Charles IX prévint tous les ambassadeurs de l'attentat. Ce méchant acte procédoit, déclarait-il, de l'inimitié d'entre la maison de Châtillon et celle de Guise et je saurai bien donner ordre qu'ils ne mesleront rien de mes sujets en leur querelle ; il tâchait de circonscrire le danger ; je suis résolu, continuait-il, d'en faire si grande justice que chacun y prendra exemple en mon royaume.

Le lendemain au matin, samedi 23 août, les ducs de Guise et d'Aumale se présentèrent au roi et lui demandèrent la permission de quitter Paris. Allez où bon vous semblera, leur fit sèchement Charles IX, et lorsqu'ils furent partis il ajouta : Je saurai bien les retrouver ! Au lieu de s'en aller les Guises rentrèrent à leur hôtel de Lorraine où ils se barricadèrent. Sous les fenêtres passaient des huguenots poussant des cris de mort. Par précaution la cour envoya 50 arquebusiers garder Coligny ; une enquête fut prescrite sur l'attentat, que commença le premier président de Thou.

Cependant l'effervescence des protestants ne faisait que grandir. A la maison de la rue de Bétizy, dans la petite cour, sur les escaliers, remplis de monde, c'étaient des propos véhéments : Ce bras coûtera 30.000 autres bras ! On voulait aller égorger les Guises, toujours au Louvre, s'il le fallait, en enfonçant les portes et en massacrant les gardes ; d'autres noms étaient prononcés, celui du duc d'Anjou, qu'on soupçonnait de connivence avec les Guises ; mais alors dans le tumulte qu'arriverait-il au roi, à la reine mère, aux princes ? En vain Briquemaut cherchait à faire cesser ces discours. Dans les rues l'agitation commençait ; le peuple irrité de l'attitude des huguenots sortait, formant sur les places, aux carrefours, des groupes menaçants : des gens portaient des armes.

Le soir un conseil fui tenu chez Catherine de Médicis ; le duc d'Anjou, le chancelier de Birague, Nevers, Tavannes, Gondi y assistaient. Il ne fallait pas se le dissimuler, les circonstances étaient des plus critiques ; on se trouvait à deux doigts de la guerre civile dans Paris ; au milieu du peuple si ardent, ce serait une boucherie. La vie du roi et celle de la famille royale étaient en danger. Du dehors parvenaient les échos des paroles menaçantes prononcées autour de Coligny ; en tous cas la lutte, ici ou en province, était de nouveau fatale. L'angoisse était grande, lorsque tout à coup arriva Bouchavannes qui venait de la maison de la rue de Bétizy, annonçant comme chose sûre la nouvelle que la décision était prise par les protestants d'attaquer le Louvre et de massacrer le roi, son frère, la reine mère, le lendemain, à l'heure du souper. Qu'y avait-il de vrai dans cet effroyable complot ? Il est possible et même probable que Bouchavannes a pris pour une décision générale ce qui n'était que le désir affirmé comme un fait prêt à se réaliser par des personnalités secondaires. Quoi qu'il en soit l'effet produit fut terrible. L'épouvante delà catastrophe imminente surgissant aux yeux de Catherine de Médicis et de ses conseillers, déjà troublés, acheva l'affolement qui se préparait depuis plusieurs heures. Ils se crurent perdus. Ordonner d'arrêter les coupables était impossible ; leurs amis les eussent défendus ou délivrés ; après tout Charles IX était, comme l'expliquera Catherine à son ambassadeur Du Ferrier roi et prince souverain, juge suprême, — les magistrats ne rendant d'arrêt que par délégation de sa puissance unique, — pouvant, motu proprio, et immédiatement, décider du châtiment des coupables, reconnus pour tels. Depuis dix ans, tout le monde répétait à satiété qu'en abattant cinq ou six têtes de meneurs on arrêterait définitivement cette satanique conspiration d'hérétiques qui ruinait le royaume : l'heure était venue : il fallait frapper ou périr ; mieux valait eu finir d'un coup de la guerre qui allait éclater que de traîner des mois entiers au milieu des hasards et dans la misère. Le duc d'Anjou se montra particulièrement emporté. Restait à décider le roi ; on alla chez lui : il y eut une scène horrible. Ainsi que nous l'apprend Pibrac, que l'on Informa exactement ensuite, Charles IX déconcerté commença par résister avec violence, il proposa qu'on arrêtât les coupables du complot dont on lui parlait et qu'on ouvrît une enquête ; il lui fut répondu que le temps pressait et que si on n'en finissait pas, dans quelques heures, la famille royale était perdue. Mais du moment que la conspiration est découverte, criait le prince, on peut bien y parer sans être réduit à tuer !Ils sont trop nombreux, ripostait-on ; vous en prendrez un ou deux et encore non sans être contraint de tuer et vous n'échapperez pas à une quatrième guerre civile. Deux heures durant la discussion se poursuivit, passionnée, haletante ; Charles IX résistant, en proie à une agitation fébrile, Catherine, d'Anjou et les autres, assiégeant, suppliant, emportés par la terreur. Enfin le roi céda, mais ce fut dans un cri de fureur et de rage et il clama : Eh bien, tuez-les tous, afin qu'il n'en reste pas un seul pour me le reprocher après !

Le sort en était jeté ! Dans la pensée de Catherine et de ses conseillers, il ne s'agissait que de cinq ou six têtes à faire tomber, Coligny, le comte de la Rochefoucauld, Téligny, Caumont la Force, Mongommery, le marquis de Resnel. On prépara le coup. Le prévôt des marchands appelé au Louvre, il lui fut expliqué la conspiration qui menaçait le roi et on lui donna l'ordre de fermer immédiatement les portes de Paris, de mettre sur pied et d'armer toutes les milices bourgeoises en les concentrant sur les quais et les places, de masser l'artillerie devant l'Hôtel de Ville pour la porter partout où besoin serait et d'attendre les ordres. Afin d'exécuter la décision prise contre Coligny nul n'était mieux qualifié que les Guises. On manda le duc Henri et le duc d'Aumale et on leur confia la mission qu'ils acceptèrent. Ceux qui devaient procéder aux autres exécutions furent également désignés. Malheureusement les instructions ne furent pas précises. Il était entendu que le signal serait donné le lendemain, 24 août, fête de Saint-Barthélemy, à trois heures du matin, par la cloche du Palais de Justice. Ce soir-là personne ne dormit au Louvre. Le roi, sa mère, ses frères veillaient en proie à une émotion indicible. Anxieux au dernier point, ils pensèrent même un instant renoncer à tout et rapporter les ordres. Mais vers une heure du matin on leur annonça que des rixes éclataient dans Paris. Etaient-ils prévenus ? Ils décidèrent d'avancer le signal et envoyèrent faire sonner la cloche de Saint-Germain l'Auxerrois. A une heure et demie la sonnerie fatale retentissait dans le silence de la nuit. Guise, qui était prêt, monta à cheval accompagné du bâtard d'Angoulême et suivi de 300 soldats, gagna rapidement la maison de la rue de Bétizy qu'il cerna. Coligny, couché, était gardé par Ambroise Paré, le ministre protestant Merlin et son domestique Nicolas. Le bruit, dans la rue, de la troupe qui arrivait, joint au son du tocsin, le réveilla. On entendait en bas des coups violents ; il était ordonné d'ouvrir de par le roi. La porte fut ouverte. Au tumulte des soldats pénétrant dans la cour, Coligny comprit. Il se leva, passa sa robe de chambre, demanda à Merlin de lui lire des prières ; Cornaton entrait précipitamment criant : On enfonce la porte, nous sommes perdus ! La dernière heure était arrivée. Coligny dit avec calme : Il y a longtemps que je suis préparé à la mort ; vous autres sauvez-vous. Je recommande mon âme à la miséricorde de Dieu ! Dans l'escalier montaient des pas lourds et précipités. Les soldats firent irruption avec en tête un certain Besme, Allemand d'origine. Es-tu l'amiral ? fit-il brutalement. — Oui. Alors Besme planta son épée dans la poitrine de Coligny, la retira, puis piqua au visage. L'amiral était tombé ; tous le lardaient de coups. D'en bas, de la cour, une voix cria : Est-ce fait ? c'était Guise. — Oui, répondit un soldat. — Eh bien, jette-le. Par la fenêtre ouverte on passa le corps ; Coligny qui n'était pas mort se cramponna au rebord ; on le fit lâcher ; le corps s'effondra sur le pavé. Alors Guise s'approchant, Angoulême, de son mouchoir, essuya un peu le sang de la figure de Coligny et dit : Oui, c'est bien lui, puis lui donnant un coup de pied : Aux autres maintenant, fit-il, et remontant achevai ils allèrent continuer leur besogne.

Ce fut une chasse à l'homme. Le comte de la Rochefoucauld poignardé expira dans son lit ; Téligny courut sur les toits de trois ou quatre maisons et fut descendu d'un coup d'arquebuse ; on égorgea Caumont la Force avec son fils ; Resnel fut achevé d'un coup de pistolet et jeté à la Seine ; Mongommery eut le temps de monter à cheval, de franchir le fossé de la ville et de fuir.

Mais à l'annonce de ce qui se passait, le bruit se répandit instantanément dans tout Paris qu'on massacrait les huguenots : gentilshommes catholiques, soldats de la garde, archers, gens du peuple, tout le monde se précipita dans les rues, les armes à la main, afin de participer à l'exécution et le massacre général commença aux cris féroces de : Au huguenot ! au huguenot ! Tue ! Tue ! On assomma on noya, on pendit. Tout ce qui était connu comme hérétique y passa : les vengeances particulières achevèrent ce que les passions religieuses provoquaient ; il y eut des détails atroces, d'illustres victimes, Ramus, des innocents frappés, puis, comme il était inévitable, le pillage s'ensuivit. L'envoyé de Mantoue écrivait : J'ai vu de mes yeux les soldats de la garde du roi emmener des chevaux, emporter de l'argent et des objets précieux. Paris, dit Tavannes, semblait une ville conquise ; le sang étanché, le sac commença. A onze heures du matin les échevins épouvantés vinrent avertir le roi que des princes et des seigneurs de sa cour, tant gentilshommes, archers, soldats de sa garde que toutes sortes de gens et peuple mêlés, parmi et sous leur ombre, pilloient et saccageoient et tuoient par les rues. Ainsi le gouvernement en donnant le signal avait lâché la bête ; maintenant tout était débridé, à l'état de sauvagerie sanguinaire et destructrice : il n'y avait plus d'ordre public.

Effrayés de leur œuvre Charles IX et les siens essayèrent d'arrêter ; ils firent partout crier à son de trompe que chacun rentrât chez soi ; des patrouilles d'archers à cheval, de gardes, d'officiers de la ville furent envoyées à travers les rues et le tumulte parut s'apaiser l’après-midi ; il reprit la nuit suivante ; on finit par le faire cesser le lendemain 26. Combien y avait-il eu de victimes ? On ne le sait pas au juste ; de Thou dit 2.000.

Le gouvernement avait Immédiatement expédié des lettres à tous les gouverneurs de province pour leur dire qu'il y avait eu à Paris une terrible querelle entre les maisons de Guise et Châtillon et que le roi n'avait pu la contenir. Le soir Charles IX écrivit aux ambassadeurs de France à l'étranger qu'on avait commencé à découvrir la conspiration que ceux de la religion prétendue réformée avaient faite contre lui-même, sa mère et son frère. Il s'en était suivi une émotion ; il fallait ne rien dire avant de connaître les détails. Evidemment, désemparé, le gouvernement ne savait quelle attitude prendre. Le lendemain 20, les Guises se refusant à assumer la responsabilité de ce qui s'était passé, force fut d'avouer ; d'ailleurs on annonçait que les catholiques exultant de joie acclamaient leur prince vengeur de la religion. Charles IX alla au Parlement et, dans un lit de justice, déclara que les Guises n'avaient agi que par ses ordres, pour la punition de ceux qui souvent et tout de nouveau avaient conspiré contre sa personne pour anéantir la religion, renverser la monarchie et, avec l'hérésie, établir une nouvelle forme de gouvernement en France. Prêches et assemblées étaient interdits dans le royaume. Puis de nouvelles lettres furent adressées aux gouverneurs de provinces, leur ordonnant impérieusement de maintenir l'ordre. Embarrassé, confus, le gouvernement ne balbutiait que des choses contradictoires.

En province, la nouvelle des événements de Paris avait eu son contrecoup. Des massacres se produisirent dans plusieurs villes : Orléans, Troyes, Meaux, Bourges, la Charité, Rouen, Lyon, Toulouse, surtout Lyon et Orléans où on tua dans les prisons ; d'après de Thou il y eut 800 morts à Lyon et 1.000 à Orléans. Des gouverneurs s'appliquèrent énergiquement à maintenir leurs populations ; rien ne bougea en Bourgogne, Bretagne, Provence, Dauphiné ; la Saint-Barthélemy avait touché moins la province que Paris.

Mais, comme écrivait Tavannes, le coup fini, le péril passé, le sang blessa les consciences ! Certes la Saint-Barthélemy avait été une effroyable surprise. La soudaineté du danger, disait de la part du gouvernement l'ambassadeur de France de la Mothe-Fénelon à la reine Elisabeth d'Angleterre, n’avoit pas même laissé au roi le temps de la réflexion ; il avoit été contraint de laisser exécuter contre l'amiral et les siens tout ce que ceux-ci avoient prémédité contre sa personne. La conspiration prête à s'exécuter, mandait de son côté le premier président de Bordeaux, avoit été si pressante qu'on n'avoit pu attendre la voie ordinaire de la justice et qu'il avoit mieux valu commencer par prévenir que d'être prévenu, comme le roi déclara en sa cour de parlement l'avoir fait pour cette seule cause. L'événement avait été, disait Tavannes, une résolution de nécessité et conseil né de l'occasion par faute et imprudence des huguenots. Et Catherine de Médicis à qui l'envoyé du duc de Savoie trouvait l'air d'une personne qui viendrait d'échapper à un grand danger, répétait à tous : qu'il valait mieux que cela fût tombé sur eux que sur nous ! Assurément, les catholiques de France approuvaient, disant qu'à une situation intolérable on avait répondu par une mesure de salut public et qu'aux entreprises révolutionnaires dont la famille royale était menacée il avait bien fallu opposer des mesures exceptionnelles légitimes. Philippe II transporté de joie avait fait chanter un Te Deum, écrivant à son ambassadeur en France : C'est une des plus grandes joies de ma vie tout entière, ce sera le plus grand titre de gloire du roi mon frère auprès de la postérité ! A Rome, le pape Grégoire XIII, radieux, était allé entendre à la chapelle Saint-Louis une messe d'actions de grâces, avait fait frapper une médaille représentant un ange exterminateur avec la devise Ugonotorum strages et avait prescrit un Te Deum dont l'anniversaire devait se perpétuer plus longtemps qu'on ne le croit. Mais il fallait maintenant subir toutes les conséquences.

A Vienne l'impression fut lamentable. L'empereur Maximilien le fit sentir. En Angleterre Elisabeth reçut l'ambassadeur de France tout en deuil et lui parla avec une gravité attristée ; son ministre de son côté ne se cacha pas pour dire durement à l'envoyé du roi que cet acte était trop plein de sang ! En Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, l'effet fut déplorable ; on conta l'événement en l'aggravant, disant que le mariage d'Henri de Béarn et de Marguerite de Valois n'avait été qu'un guet-apens monstrueux ; et l'ambassadeur français, Schomberg, écrivait navré : Ces calomnieuses opinions nous renversent quasi tout sens dessus dessous ; je meurs de dépit. A Genève des pamphlets s'imprimèrent pour stigmatiser la honte du roi meurtrier de son peuple ; dans son De furoribus gallicis, François Hotman attaqua le principe de la royauté ; le Réveille-matin des François se complut à donner de frémissants détails : on l'épandit la légende que de sa fenêtre du Louvre Charles IX avait tiré sur les huguenots à coups d'arquebuse et il est vrai que le bruit courut avec persistance, mais, en réalité, personne n"a vu le geste, invraisemblable, d'ailleurs, ne fût-ce que pour des raisons matérielles. En Italie, sous prétexte d'exalter l'acte, on le compara à ceux de César Borgia ou de Catherine Sforza ; le représentant comme savamment et machiavéliquement préparé depuis de longues années, amené avec un sang-froid et une audace incroyables, exécuté de façon incomparable par un à-propos merveilleux. Le cardinal de Lorraine, alors à Rome, et flatté, eut l'air de laisser entendre qu'il en était ainsi. Cela ne fit qu'accroître l’impression horrible faite sur l'Europe. Le roi Charles IX, écrivait Guillaume d'Orange à son frère Ludovic de Nassau, est décrié non seulement par deçà mais par tous les endroits du monde ; et le même osait dire à Mondoucet l'envoyé du roi, que jamais son maître ne se laverait les mains de la tache de sang de la Saint-Barthélemy.

De tous côtés, par ses ambassadeurs, le gouvernement français sut l'exacte vérité de l’impression qui avait été produite. Catherine de Médicis, au moins publiquement, tint bon et paya d'audace, soutenant qu'il n'avait été question que de 5 à 6 têtes et que le reste était des excès de populaire, quelle déplorait hautement. Charles IX, accablé, s'affaissa. Ainsi aux yeux du monde, il n'était qu'un criminel, un infâme assassin, un misérable couvert du sang de son peuple. On le vit sous le poids de la douleur et du remords changer peu à peu ; il n'allait pas survivre longtemps à la Saint-Barthélemy ; sur ce corps que le chagrin anémiait, la tuberculose, dont il avait le principe, commençait ses rapides ravages.

Les protestants de France, atterrés et déconcertés, sur le moment eurent peur : beaucoup abjurèrent. Henri de Béarn et le prince de Condé qu'on avait gardés au Louvre par précaution, invités à changer de religion, cédèrent. Pour mieux fixer dans les esprits l'affaire du complot, point initial de l'événement que le public oubliait devant l'horreur des suites, le gouvernement fit rendre par le parlement un arrêt pour ainsi dire confirmatif, aux termes duquel Coligny était reconnu coupable de conspiration et de rébellion, condamné à être pendu en effigie à Montfaucon, ses biens confisqués, ses enfants dégradés. On trouva deux complices qui avaient échappé aux assassinats, Briquemaut et Cavagnes ; ils furent publiquement jugés et solennellement exécutés. Ces mesures ne servirent à rien. Les contemporains et la postérité devaient vite oublier la cause occasionnelle qui avait fait perdre tout sang-froid au gouvernement de Charles IX pour ne retenir que l'atrocité de l'événement.

Sous le ciel sombre créé par le 24 août et dans l'isolement humiliant où la Saint-Barthélemy avait mis le gouvernement français, il devait cependant y avoir un dernier rayon, un demi-succès diplomatique. Le trône de Pologne étant devenu vacant, Catherine de Médicis parvint à y faire monter son fils préféré, le duc d'Anjou. Anjou, élu roi de Pologne, partit à la grande satisfaction de Charles IX, jaloux de lui, et qui avait avec son frère des scènes dont Catherine pleurait amèrement. Pour le duc d'Alençon, le dernier fils. Catherine reprit les projets de mariage avec Elisabeth d'Angleterre. Mais d’Alençon, jeune homme d'humeur légère et frondeuse, inconsidéré, qui s'enorgueillissait de ce projet, fit dire à la reine d'Angleterre qu'il ne serait pas aussi irréductible que son frère sur la question de religion ; il montra de la sympathie pour le calvinisme ; il passa pour favorable à l'hérésie : Élisabeth éludait. Finalement il résolut de fuir de la cour avec Henri de Béarn, manière de complot qui donna une nouvelle panique à la famille royale et eut pour conséquence l'arrestation, le jugement et l'exécution de deux gentilshommes tenus pour les organisateurs de cette comédie, la Môle et Coconas.

Pendant ce temps, petit à petit, Charles IX déclinait. Depuis la lugubre affaire il était méconnaissable ; frappé d'une mélancolie que rien ne pouvait distraire il ressemblait à une ombre attristée et craintive. Les ambassadeurs étrangers, Jean Michiel, observaient qu'il tenait toujours la tète basse, n'osant plus regarder les gens en face, fermant les yeux. Parfois, lorsqu'on lui parlait, il relevait les paupières avec effort et après un rapide coup d'œil inquiet, les rabaissait. Un portrait du temps, de l'école de Clouet, naguère encore au château d'Azay-le-Rideau, le représente la figure pâle et fatiguée, l'œil hagard, la main diaphane, tremblante, image saisissante de l'homme bourrelé de remords devant la pensée de qui l'idée fixe, obsédante, revient perpétuellement. Il crachait le sang ; les médecins l'avaient jugé pulmonique. De jour en jour il s'affaiblissait, se courbant, maigrissant, la fièvre le brûlant à mesure. Au printemps de 1574 ce n'était plus qu'un squelette qui se traînait. En mai il s'alita, en proie aune faiblesse extrême ; il ne devait plus se relever. Dans la nuit du 29 au 30 il eut une crise au cours de laquelle on crut qu'il allait passer. Il disait avec un accent d'angoisse : Que de sang ! Que de sang !... Mon Dieu, pardonnez-moi !... Je ne sais plus où je suis !... Je suis perdu ! Il était en nage ; il pleurait. Sa nourrice qui le veillait lui essuya la figure d'un mouchoir. Le 30 au matin il fit appeler le duc d'Alençon et le roi de Navarre et leur dit qu'après lui la régence appartiendrait à la reine sa mère, qu'il faudrait lui obéir ; il recommanda à Henri de Béarn un petit enfant qu'il avait et il communia. On lui donna l'extrême-onction. Le 31, Catherine de Médicis qui ne le quittait pas, cherchant à lui dire quelques mots des affaires de l'Etat, il fît comprendre que toutes choses humaines ne lui étaient plus de rien. Il râla. A quatre heures du soir il expirait ; le dernier mot qu'il avait prononcé avait été : ma mère !...

 

SOURCES. Les textes cités au précédent chapitre, plus : Monluc, Commentaires et lettres, éd. de Ruble, 1864 (voir sur cet auteur, P. Courteault, Blaise de Monluc historien, 1908) : Michel de Castelnau, Mémoires, éd. Le Laboureur, 1731 ; Claude Haton, Mémoires, éd. Bourquelot, 1857 ; La Noue, Discours politiques et militaires, 1587 ; Jean Faurin, Journal, éd. Pradel, 1878 ; Claude de Sainctes, Discours sur le saccagement des églises en 1562 dans Cimber et Danjou, Archives curieuses, t. IV ; Mémoires-Journaux du duc de Guise, éd. Michaud et Poujoulat ; Mémoires de Marguerite de Valois, éd. Guessard, 1842 ; J. Blanchet, Recueil de lettres missives adressées à Antoine de Bourbon (1553-1562), 1905 ; Saulx-Tavannes, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat ; Vicomte de Turenne, Mémoires, éd. Baguenault de Puchesse, 1901 ; Michel de la Huguerye, Mémoires, éd. de Ruble, 1877 ; Bertrand de Salignac-Fénelon, Correspondance, éd. Teulet, 1840 ; Cardinal de Granvelle, Papiers d'État, éd. G. Weiss, 1841 ; Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, 1851 ; Correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau, éd. Grœn van Prinsterer, 1836 ; Jeanne d'Albret, Mémoires et poésies, éd. de Ruble, 1883 ; Et. Pasquier, Œuvres, 1723 ; de Thou, Histoire universelle, 1734, t. IV.

OUVRADES. H. de la Ferrière, Le XVIe siècle et les Valois, 1879 ; Soldan, Geschichte der Protestantismus in Frankreich bis zum Tode Karl's IX, 1855 ; Kervyn de Lettenhove, les Huguenots et les Gueux, 1883 ; Amphoux, Michel de l'Hospital et la liberté de conscience au XVIe siècle, 1900 ; H. Klipffel, Le colloque de Poissy, 1867 ; A. de Ruble, Le colloque de Poissy, 1889 ; J. Calas, Le massacre de Vassy, 1887 ; Coynart, L’année 1562 et la bataille de Dreux, 1894 ; H. Hauser, François de la Noue, 1892 ; de Ruble, L'assassinat de François de Lorraine, duc de Guise, 1897 ; F. Combes, L'entrevue de Bayonne, 1882 ; Kervyn de Lettenhove, La conférence de Bayonne, 1883 ; H. de la Ferrière, L'Entrevue de Bayonne de 1565, 1883 ; G.-G. Soldan, La France et la Saint-Barthélemy, 1855 ; H. Bordier, La Saint- Barthélemy et la critique moderne, 1879 ; J. Loiseleur, Les Nouvelles controverses sur la Saint-Barthélemy, 1881 ; du même, Trois énigmes historiques, la Saint-Barthélemy, 1883 ; H. de la Ferrière, La Saint-Barthélemy, 1892 ; H. Monod, Un document sur la Saint-Barthélemy (Revue de Paris, août 1908).