LE SIÈCLE DE LA RENAISSANCE

 

CHAPITRE IV. — LA PAIX EXTÉRIEURE. - HENRI II.

 

 

Henri II, 1547-1539. La reine Catherine de Médicis et sa cour ; les enfants du roi ; Marie Stuart ; Diane de Poitiers ; les conseillers, le connétable de Montmorency, le duc François de Guise et la famille de Guise. Clarté et netteté de la politique française sous le règne de Henri II : renoncer à l’Italie, conquérir au nord, faire la paix. Courte guerre avec l'Angleterre et prise de Boulogne, 1550. Haine de Henri II contre Charles-Quint. Les princes allemands sollicitent son intervention : conquête des trois évêchés. Metz, Toul et Verdun, 1352. Charles-Quint fait la paix avec les princes allemands et vient assiéger Metz ; son échec 1552-1553. Les hostilités, le duc de Guise à Renty, 1554. Abdication de Charles-Quint ; trêve de Vaucelles, 1556. Reprise de la guerre et désastre de Saint-Quentin. 15.57. Guise s’empare de Calais, 1358. Traité de Cateau-Cambrésis, 1559. Les fêtes des mariages, suites delà paix. Henri II tué dans une joute, 1559.

 

Des trois garçons qu'avait eus François Ier, le second, qui lui succédait en 1547, à l'âge de vingt-neuf ans, Henri II, était bien celui que le père aimait le moins. Il y avait toujours eu opposition entre les deux natures : autant François Ier était vivant et en dehors, autant Henri, comme l'écrivait le Vénitien Dandolo, était d'une nature sombre et taciturne, riant rarement, au point que nombre de ceux qui sont à la cour assurent ne l'avoir jamais vu rire une seule fois. Très grand chasseur, tout muscles, il passait pour avoir développé ses qualités physiques aux dépens des autres : Il est plus de vertu corporelle que spirituelle, affirmait Tavannes. Sa mélancolie venait, assurait-on, de l'impression ineffaçable qu'avait produite sur lui son emprisonnement en Espagne. François Ier avait d'autres motifs de n'être pas très fier de son fds : son peu de zèle à l’étude, surtout l'histoire de Diane de Poitiers, une dame âgée de près de vingt ans de plus qu'Henri. Henri II allait régner douze ans et trois mois, et mourir à quarante et un ans, dans la force de l'âge, d'un accident.

Ce sentiment antipathique de François Ier pour son fils n'a pas été partagé par ceux qui ont approché de près le nouveau roi. De grande et haute taille, très élégant de sa personne, distingué, sentant la race, Henri II a été un des plus gentilshommes de nos anciens rois. Sur un corps bien proportionné il avait une tête plutôt petite, une tête fine, sans d'ailleurs beaucoup d'expression en raison de cette vague tristesse répandue sur ses traits. Il était très brun de teint, un peu moricaud, assure Brantôme ; ses cheveux et sa barbe étaient noirs, mais il grisonna de bonne heure. Il avait l'apparence d'un homme de bonne santé ; sain de corps, solide et robuste ; il aurait eu une tendance à devenir épais si une vie sobre et beaucoup d'exercice physique n'avaient maintenu sa prestance royale. Il ne se plaignait que île migraine.

Son existence était régulière et méthodique. Levé de bonne heure, il commençait par tenir conseil sur les affaires de l'État avec les trois ou quatre grands personnages de l'expérience et du jugement desquels il s'est l'ait aider durant son règne. On appelait ce conseil le conseil étroit. Puis il allait à la messe, tous les matins, et il y assistait avec dévotion, car il était religieux. Après quoi il dînait brièvement, il avait peu d'appétit ; il lisait un peu, montait à cheval, allait chasser deux ou trois fois par semaine, ou bien donnait audience. Son accueil était facile, courtois et aimable. En vrai homme du monde il s'appliquait à ne mécontenter personne. Nul ne le quittait autrement que satisfait, écrit Giovanni Soranzo qui a souvent été reçu par lui : il accordait, volontiers ce qu'on lui demandait, libéralement, se montrant pour tous fort affable et doux. Doué d'une très bonne mémoire, il n'oubliait jamais quelqu'un qu'il avait vu une fois, ce qui flattait. Il parlait l'italien et l'espagnol. A la fin de la journée il allait passer une heure chez Diane de Poitiers, soupait en public, aimant à causer avec ceux qui l'entouraient et enfin consacrait ses soirées aux réceptions de la reine, Catherine de Médicis, qui tous les soirs réunissait chez elle seigneurs et dames de la cour ; il causait avec tout le monde, aimablement et se couchait de bonne heure.

C'était surtout un homme de sport. Très bon cavalier, il avait la passion des chevaux, en possédait beaucoup, s'occupait personnellement de ses haras de Mehun, Saint-Léger, Oiron et aimait à montrer dans ses écuries ses plus belles bêtes La chasse surtout l'attirait, principalement la chasse au cerf, qu'il suivait avec sa meute de chiens gris et de chiens blancs. En voyage il chassait le long de la route pour se distraire. Tous les autres genres d'exercice physique étaient non moins goûtés de lui ; il jouait à la paume, à la balle, au ballon, au mail ; il tirait des armes, quoiqu'il eût gardé le souvenir pénible d'un jour où, étant dauphin, il avait crevé l'œil à un de ses écuyers, M. de Boucard ; il patinait admirablement et c'était la joie des courtisans de le voir, l'hiver, sur l'étang de Fontainebleau, exécuter des voltes élégantes et difficiles. Surtout il s'adonnait aux grands jeux du temps, la joute à cheval, dans laquelle, armés de pied en cap, deux cavaliers courant des deux côtés d une barrière l'un contre l'autre cherchent à se désarçonner d'un violent coup de lance, quitte à briser cette lance sur la poitrine bardée de fer de l'adversaire ; le tournoi, mêlée violente de cavaliers protégés de pesantes armures, tâchant de se renverser de leurs selles à coups de lance, image réduite des batailles véritables. C'était ce goût des sports qui l'avait décidé, un peu légèrement, au début de son règne, à autoriser certain duel afin d'en donner le spectacle, à la cour, entre deux jeunes seigneurs, Jarnac et la Châtaigneraie excités l'un contre l'autre à propos d’un mot infamant prononcé par le premier contre l'honneur du second. François Ier n'avait pas voulu de ce duel, le sujet en étant incertain et futile ; Henri II l'ordonna. Il eut lieu solennellement. De deux coups d'estoc Jarnac trancha le jarret de son adversaire qui s'effondra. On eut quelque peine à décider Henri II à mettre fin à ce duel, en consentant à ce que la Châtaigneraie eût la vie sauve.

Homme de sport, Henri II eut peu de goût pour les lettres et les arts. Il aimait assez la musique et allait volontiers écouter les concerts qui se donnaient chez la reine ; il n'y connaissait pas grand'chose. Il tenait tout ce qui était artistique pour superflu : il avoua cependant, que lui aussi, il aurait fait construire quelque grand château le jour où la cessation de la guerre lui en eût donné le loisir ; malheureusement la guerre ne cessa qu'au moment de sa mort. Ayant les lettres en minime estime il eut peu de considération pour les écrivains ; il préféra les hommes de guerre et réserva à ceux-ci les honneurs et les pensions.

En définitive, c'était un prince assez doux et aimable. Ses lettres, publiées par J.-B. Gail, révèlent chez lui beaucoup de grâce dans le sentiment, de l'attachement dans l'amitié, une amitié sûre, profonde, inaltérable, sans morgue aucune. Il fut un père excellent, adorant ses enfants, s'occupant beaucoup d'eux et de leur santé, veillant à les faire changer d'air dès que quelque danger menaçait. Revenait-il de voyage, il prenait le galop en avant de toute sa suite afin de les embrasser plus tôt. Sa tendresse était touchante. Il a bien aimé tous ceux qu'il a aimés. Sa femme, Catherine de Médicis, a-t-elle été du nombre ?

La reine Catherine de Médicis n'était guère une séduisante créature. Du même âge que son mari — elle avait à peine treize jours de moins que lui, — elle était affligée d'une grosse figure, épaisse, surmontée de cheveux noirs, avec deux gros yeux saillants, des sourcils accusés, un nez fort, des lèvres proéminentes et tombantes, le tout sur un corps qui devint difforme de bonne heure. Petite-fille peu distinguée de banquiers et de marchands florentins, elle était laide. Mais de bonne heure aussi elle devint une grande dame très importante. Intelligente, ayant beaucoup de jugement et de prudence, impénétrable d'ailleurs comme une Italienne qui a beaucoup souffert et beaucoup réfléchi, elle s'était appliquée, du temps de François Ier où elle se sentait mal vue, en raison de son origine, à se tenir sur une modeste réserve et à plaire à tout le monde par sa bonne grâce. Elle y avait réussi. François Ier, qu'elle suivait à cheval à la chasse, appréciait son intelligente fermeté, et l'aimait ; la duchesse d'Étampes eut de la sympathie pour elle, ainsi que Montmorency, Brion, d'Annebaut, tous les puissants. Elle surveillait extrêmement sa conduite.

Une fois reine, elle se transforma en maîtresse de maison accomplie, recevant beaucoup, multipliant ses amabilités, se faisant charmante et séduisante pour chacun. On fut enchanté d'elle : la cour entière la trouva parfaite. Elle s'habillait d'ordinaire assez simplement, d'une façon sévère ; mais, aux jours de réception, elle portait des habits extrêmement élégants et riches, couverts de nombreux joyaux ciselés dont elle indiquait elle-même les sujets aux orfèvres. Elle donna aux réunions de cour une régularité et un éclat incomparables. Très riche, de par sa famille, elle ne compta pas pour accroître le succès de ses réceptions. Sa table fut abondamment pourvue. Elle attacha à sa personne quantité de dames et de demoiselles d'honneur afin d'avoir des assemblées plus sûrement composées comme elle le voulait ; elle fit libéralement des cadeaux substantiels autour d'elle : elle se montra très bonne, mariant les jeunes filles en les dotant, dépensant beaucoup pour les siens en costumes, aidant généreusement les uns et les autres. Ce n'était pas calcul chez elle, car son mari étant jeune et fort, que pouvait-elle espérer ou craindre ? Femme du monde, aimant et pouvant recevoir, elle se livrait à son plaisir favori.

La cour devint le centre d'une des sociétés les plus brillantes. Jolies femmes et jeunes seigneurs, pleins d'entrain, en firent le noyau attirant ; et, de toutes parts, ce qu'il y avait de mieux dans le royaume accourut. Bals, soirées de musique, banquets se succédèrent sans interruption. La cour de Catherine de Médicis, écrivait Brantôme, était un vrai paradis du monde et école de toute honnêteté et l'ornement de la France ; on y voyait reluire les dames comme étoiles au ciel en temps serein. Elle présidait à tout avec dignité et grâce. Vous êtes seule reine, lui disait Pierre Arétin : il y a en vous de la femme et de la déesse ! Beaucoup plus intelligente que son mari, elle protégeait artistes et hommes de lettres, faisait travailler Della Robia, l'émailleur Léonard Limosin, choisissait Amyot comme précepteur de ses enfants, organisait des représentations d'œuvres de Mellin de Saint-Gelais. Plus tard, on crut, d'ailleurs à tort, au XVIIe siècle, que c'était elle qui avait introduit en France le raffinement de la vie de cour en y faisant connaître la politesse italienne. Entourée de princesses charmantes, sa belle-sœur Marguerite, toujours fine et distinguée — qui lui présenta Ronsard et encouragea du Bellay — sa petite bru, Marie Stuart, ses propres filles, elle dirigea avec tact toute cette vie de plaisirs et d'élégances.

A l'égard de son mari, cet homme élégant, un peu froid, très séduisant, elle avait une véritable passion ; elle l'adorait ; elle craignait toujours de lui déplaire ; elle sentait bien qu'Henri II n'avait pour elle que de l'estime. Elle écrivait en 1560 à sa fille la reine d'Espagne. Vous m'avez vue aussi contente que vous, ne pensant jamais avoir autre tribulation que de n'être assez aimée à mon gré du roi, votre père, qui m'honorait plus que je ne méritais ; mais je l'aimais tant que j'avais toujours peur, comme vous savez. Elle souffrait de ne pas posséder toute sa tendresse ; elle redoutait de l'éloigner davantage d'elle. Lorsque le roi s'en allait à la guerre, elle prenait le deuil et demandait à la cour de prier pour l'heureux succès du prince absent. Elle éleva ses enfants dans le respect de leur père. Elle devait lui conserver un souvenir vénéré.

Henri II apprécia infiniment sa femme. Il comprenait qu'elle lui était supérieure ; il avait grande confiance dans son jugement. Mais d amour, il n'en éprouva jamais pour elle. Avec le temps il se rapprocha, lui communiquant les secrets de la politique, sollicitant ses conseils, manifestant une sympathie que d'ailleurs il avait toujours eue. Publiquement il n'avait jamais manqué de lui donner toutes les marques possibles de respect, d'honneur et de déférence. Quant à son cœur et son affection, ils étaient ailleurs.

Le ménage attendit longtemps des enfants, pendant dix ans ; Catherine se désolait ; on parlait de répudiation. Elle s'était jetée en pleurant aux pieds de François Ier lui offrant de se sacrifier, et acceptant de s'en aller dans un couvent. En galant homme, François Ier l'avait relevée, embrassée et lui avait dit qu'elle était sa belle-fille et le resterait. Coup sur coup, elle eut ensuite dix enfants en treize ans. Cette fois on fut un peu effrayé. Leurs Majestés étant encore jeunes, écrivait un ambassadeur, craignent d'avoir plus d'enfants qu'il ne faut, car le roi voudrait bien laisser à chacun deux un héritage qui répondît à la grandeur de son nom. Catherine fut très bonne mère, s'appliquant avec sollicitude aux moindres détails de l'existence des petits princes, correspondant tous les jours avec la gouvernante Mme d'Humières, quand elle n'était pas près d'eux ; elle entendit élever elle-même ses deux filles Elisabeth et Claude.

De ces dix enfants trois moururent en bas âge, un garçon et deux jumelles ; sur les sept autres il y eut quatre fils et trois filles : l'aînée des filles, Elisabeth sera reine d'Espagne, la seconde, Claude sera promise au duc de Lorraine, et la troisième, Marguerite, sera cette vive, intelligente et sémillante Marguerite de Valois, femme d'Henri IV, la reine Margot, à la vie si joyeuse et si spirituelle. Des quatre fils, le quatrième, François, duc d'Alençon, mourra de bonne heure et les trois autres seront ces derniers Valois François II, Charles IX, Henri III, fin de race épuisée, s'achevant dans les plaisirs, les fêtes et les drames sanglants d’une politique inextricable.

L'aîné de tous les sept, le dauphin François, était à quatorze ans assez gentil garçon, bien proportionné, rendu séduisant par ce joli costume Henri II de vers 1555, et tenant plutôt de sa mère que de son père. D'humeur mélancolique, avec des accès de colère et d'obstination, il était paresseux, ce qui irritait fort le roi. Henri II adoptant le système contraire à celui qu'avait suivi à son propre égard François Ier, le fit venir au conseil de bonne heure pour l'initier aux affaires. C'est à quatorze ans, en 1558, qu'il le maria avec la fille unique du roi d'Ecosse, Marie Stuart, laquelle vint vivre à la cour de France : charmante et fine enfant toute blonde, aux traits délicats, dont la fin devait être si triste ! Elle fut la joie de la cour, cette petite reinette écossaise, qui n'avait qu'à sourire, pour tourner toutes les têtes françaises, ainsi qu'écrivait Catherine de Médicis et qui, chantant bien, jouant du luth, très bonne musicienne, avec cela instruite, connaissant plusieurs langues, écrivant en latin, prenant des leçons de poésie de Ronsard, fut aimée de chacun. Henri II raffolait d'elle. Le roi prend tel goût à la reine votre fille, écrivait le cardinal de Lorraine à la reine d'Ecosse mère de Marie Stuart, qu'il passe bien son temps à deviser avec elle l'espace d'une heure et elle le sait aussi bien entretenir de bons et sages propos comme ferait une femme de vingt-cinq ans !

Mais à côté de Catherine de Médicis et de Marie Stuart, la femme qui a rempli la cour d'Henri II de l'éclat de son nom et de sa réputation brillante, est Diane de Poitiers. Singulière histoire, étrange roman que celui de l'héroïne que les poètes ont tant célébrée, que les artistes ont représentée sous tant de formes admirables et qui garde à travers les siècles on ne sait quelle auréole de beauté et d'amour ! La réalité est plus modeste et peut-être plus énigmatique !

Née en 1499, Diane était la fille aînée de Jean de Poitiers, sieur de Saint-Vallier, gentilhomme dauphinois, qui fut compromis dans la trahison du connétable de Bourbon pour n'avoir pas révélé la conspiration qu'il connaissait. On a dit qu'elle sauva la tête de son père en se déshonorant et Victor Hugo a écrit le Roi s'amuse avec cette aventure. Mais il est prouvé que le fait n'était ni possible ni vraisemblable. Mariée à quinze ans à un vieux seigneur bossu, Louis de Brézé, comte de Maulevrier, grand sénéchal de Normandie, elle lui fut fidèle, lui donna deux filles, et se trouva veuve à trente-trois ans. Elle éleva à son mari le superbe mausolée qu'on voit à la cathédrale de Rouen et se voua au blanc et au noir. C'était une grande et belle femme, au port majestueux, fière et imposante. Elle avait quelque chose de la comtesse de Châteaubriant, avec moins de finesse dans les traits, à en juger par les crayons de l'époque, mais plus de distinction de nature et d'esprit. Très froide et calme, elle possédait un esprit ferme et un jugement équilibré. Ses lettres qu'on a publiées ne révèlent aucune imagination romanesque, mais un bon sens précis et net, avec quelque sécheresse, sans élan ni expansion.

En la voyant à la cour, Henri II, encore dauphin, s'éprit vivement d'elle. Il avait dix-sept ans ; elle en avait trente-six. La famille fut très contrariée. François Ier chapitra fortement son fils, sans succès, et plus tard Henri II rappelait à Diane qu'il n'avait pas craint de perdre les bonnes grâces de son père à cause d'elle. Catherine de Médicis était navrée : Henri II tint bon. Une fois roi, il ne se cacha plus. Il créa Diane duchesse de Valentinois ; il l'accabla de dons d'argent ; il lui livra les joyaux de la couronne qu'elle gardera jusqu'à sa mort, il la prit avec lui dans ses voyages, et partout où il était reçu, les autorités, dans leurs discours, faisaient des allusions à la favorite pendant que sur les arcs de triomphe des croissants ou des Dianes chasseresses figurés soulignaient la flatterie intentionnelle. Il prit ses couleurs, le noir et le blanc : il adopta comme signe un croissant de lune et quand il lui écrivait, il signait de ce monogramme connu formé d'un H et de deux D qui se croisent (Diane) et qui tout aussi bien pourraient être des C (Catherine). Ses lettres, qui ont été publiées, témoignent de sa tendresse extrême : Je ne puis vivre sans vous, lui disait-il ; celui qui vous aime plus que lui-même ; je vous supplie avoir souvenance de celui qui n'a jamais connu qu'un Dieu et une amie. Or Henri II à conservé cette passion intacte et vibrante jusqu'à sa mort. Il écrivait à Diane en 1558 : Je vous supplie avoir toujours souvenance de celui qui n'a jamais aimé ni n'aimera jamais que vous ; je vous supplie, ma mie, vouloir porter cette bague pour l'amour de moi. Et il avait quarante ans, et elle, l'âge d'une grand'mère, près de soixante, les cheveux gris, la peau ridée !

Cette passion s'est gardée intacte jusque dans la vieillesse, avec la fidélité de l'amitié. Henri et Diane étaient tous deux religieux ; ils priaient l'un pour l'autre : N'oubliez pas mes patenôtres, écrivait le roi, souvent, quand il était en campagne, à son amie. D'autre part, bien qu'elle fût violemment jalousée par Catherine de Médicis, Diane prit dans la famille royale un rôle inattendu, celui d'une amie attentive et remplie de sollicitude. Sous son influence Henri fut un mari affectueux et prévenant. Elle vit avec joie naître l'un après l'autre les dix enfants du ménage royal. Si l'un d'eux, ou la reine, tombait malade, elle se montrait d'un dévouement touchant, les soignant elle-même, passant les nuits, pleine d'attentions. Tout le monde remarqua qu'Henri II ne la traitait jamais qu'avec le plus grand respect. Le roi avait une vie très régulière. D'ailleurs, comme le fait remarquer Contarini, nul ne pouvait à ce sujet formuler la moindre critique. Marino Cavalli entretenant le Sénat vénitien de cette question au cours d'une lettre de 1546, comparait les rapports de Diane avec Henri II à ceux d'une mère avec son fds. Si l'on songe que Diane s'est fait représenter sur une médaille sous les traits de la belle déesse dont elle portait le nom, foulant aux pieds l'amour, avec cette devise symbolique autour : Omnium victorem vici, j'ai vaincu le vainqueur de tous ; que Catherine de Médicis écrivait plus tard à son gendre Henri de Navarre, le futur Henri IV, ces lignes très nettes : De Mme de Valentinois, c'étoit en tout honneur ; mais celles qui étoient si sottes que d'en faire voler les éclats, il (le roi) eût été bien marri que je les eusse retenues près de moi ; qu'Henri II enfin, dans une pièce de vers d'ailleurs laborieuse et pénible, composée par lui en l'honneur de son amie et dont on a le manuscrit original corrigé de sa main, trahit le caractère chevaleresque de sa passion :

Et si n'estime rien que sa bonne grâce...

Car autre chose ne veux ni ne pourchasse...

insiste sur le calme de Diane,

Et si ne crains tromperie qu'on me fasse

Etant tant sûr de sa grand fermeté :

Impossible est qu'un autre ait donc ma place,

M'ayant donne si grande sûreté !

avoue à quel point il est respectueux,

Quand j'aperçois mon parlement soudain

Et que je laisse ce que tant estimai

Je la supplie de vouloir donner

Pour grand faveur de lui baiser la main...

on se demande si Brantôme et la postérité n'ont pas été dupes d'apparences, qui du reste, semblent justifier toutes les suppositions et si nous ne sommes pas en présence du cas particulier dune femme intelligente et ambitieuse, qui flattée de provoquer une passion aussi ardente, l'a accueillie, mais par calcul, Ta contenue dans les limites d'une amitié respectueuse, en a profité pour exercer un ascendant se traduisant par des conseils utiles et salutaires, et a ainsi amené Henri II à rester fidèle à un sentiment dont il ne rougissait ni devant Dieu, ni devant sa famille, ni devant son royaume. Il y a au moins des doutes.

Femme intelligente, de sens modéré et rassis, Diane avait une conversation qui plaisait infiniment à Henri II. Celui-ci lui communiqua tous ses secrets, la consulta sur toutes ses affaires. Elle avait de la fermeté et du caractère ; elle inspira heureusement le prince. C'étoit une dame très habile et généreuse, écrit Brantôme, et qui avait le cœur grand et très noble ; étant telle, ne pouvoit-elle rien conseiller, prêcher et persuader à son roi que toutes choses grandes, hautes et généreuses, comme certes elle a fait, ainsi que je le tiens de bon lieu. Elle était bonne, charitable et grande aumônière envers les pauvres, continue le même auteur. Elle fut une femme de goût : elle embellit Chenonceaux qu'Henri II lui avait donné. A la place du vieux manoir d'Anet, propriété de la famille de Brézé, elle fit construire par Philibert Delorme le magnifique château que l'on sait et elle appela les meilleurs artistes du temps à le décorer. Le roi venait souvent la voir dans cette résidence somptueuse, demeurait quelque temps près d'elle avec toute la cour, y recevait les ambassadeurs. Etant très riche du fait des dons du roi, Diane pouvait sans trop de peine supporter de telles charges.

Mais quelles souffrances et quelles tortures de jalousie devait éprouver Catherine de Médicis ! Elle se taisait. Sa haine contre la favorite, malgré les apparences correctes, fut violente. Lorsque Henri II sera mort, la duchesse de Valentinois devra quitter immédiatement la cour ; on lui reprendra les joyaux de la couronne et Chenonceaux. La reine l’avoit tellement à contrecœur, ajoute Régnier de la Planche, qu'elle vouloit bien pis, la ruiner et dépouiller de ses richesses. Saulx-Tavannes offrira sérieusement de couper le nez à Diane. Catherine refusera. Elle avait à ménager. Mais en attendant et du vivant du roi, Diane fut toute-puissante dans l'Etat. Chacun s'adressait à elle. On ne peut dire, déclare le Florentin Ricasoli, à quel point est parvenue la grandeur et l'omnipotence de la duchesse de Valentinois. Elle fut un des membres importants du conseil du roi. Des autres membres de ce conseil, les uns durent leur influence à elle, les autres à ce que leur esprit offrait de ressemblance dans leurs qualités avec le sien.

Le plus considérable de ces conseillers a été le connétable Anne de Montmorency. Le lendemain du jour où il était monté sur le trône, Henri II, que son père avait tenu écarté des affaires et qui manquait d'expérience, avait fait appel à celui qui si longtemps, sous le règne de François Ier, avait dirigé le royaume : le connétable. Dauphin, il ne l’avait pas beaucoup aimé ; roi, il fit passer les intérêts du royaume avant son goût personnel. Bien lui en prit. Agé de cinquante-six ans, solide de corps, intelligent, très au fait de l'administration, Anne de Montmorency était un homme de bon sens pratique, de prudence et surtout heureux, car tout, à peu près, lui avait assez bien réussi jusque-là. On lui reprochait seulement d'être orgueilleux et dur. On ne l'aima pas beaucoup à la cour. Il eut des heures de brutalité inexorable. Ainsi en 1548, Bordeaux s'étant révolté à propos d'un impôt de la gabelle et ayant assassiné son gouverneur Monneins, le connétable accourut avec 20 canons et des troupes, rasa la maison de ville, supprima les privilèges de la cité, obligea les bourgeois à faire amende honorable, à déterrer le corps de Monneins avec les doigts pour l'enterrer honorablement, puis pendit, roua et décapita plus de 100 individus, s'il faut en croire Vieilleville. Par contre, on lui reprochera à d'autres moments son extrême prudence qu'on taxera de lâcheté. Henri II eut une très grande confiance en lui ; il le consulta sur toutes les affaires et éprouva pour lui une amitié très vive. Nous avons de ses lettres au connétable ; il l'appelle mon ami, il se dit son bon ami. Cette affection est familière et touchante. Elle provenait d'une sympathie étroite d'idées et de manières de voir sur la plupart des points qui faisaient l'objet de leurs délibérations communes. Bien qu'au dire de Lorenzo Contarini, Diane et Montmorency ne se soient pas souvent entendus, à en croire les lettres que les personnages s'écrivent, il semble au contraire qu'il veut entre eux une sympathie analogue dont le roi formait le lien. Le prince et la favorite écrivent ensemble au connétable et signent la même lettre : Vos anciens et meilleurs amis, Henri, Diane. Père de 42 enfants, 5 garçons et 7 filles. Montmorency s'occupera beaucoup de les faire avancer ou de les caser. Il poussera surtout les enfants de sa sœur, Louise de Montmorency, qui avait épousé Gaspard de Châtillon, sire de Coligny, fait maréchal sous le règne précédent. Il avait de ce côté trois neveux qui allaient devenir illustres et passer tous trois au protestantisme, Odet de Châtillon, archevêque de Toulouse puis cardinal de Châtillon ; Gaspard de Coligny, l'amiral ; François, seigneur d'Andelot, colonel général.

Avec Montmorency, Henri appela au conseil Jacques d'Albon de Saint-André, son ancien gouverneur, qu'il estimait beaucoup et qu'il fit maréchal de France, puis le duc François de Guise : curieuse et attachante figure que celle de ce Guise, qui va devenir si populaire par ses victoires, devra finir assassiné au milieu des guerres religieuses et dont la famille occupe une telle place dans l'histoire.

Au commencement du siècle un cadet de la maison de Lorraine, le troisième fils du duc René II, qui ne pouvait rien faire chez lui, était venu s'établir en France pour chercher fortune : il s'appelait Claude de Lorraine, comte d'Aumale. Il se battit bravement à Marignan et pour la peine, en 1527, François Ier le créa duc de Guise. Son frère, devenu le cardinal de Lorraine, avait été fort influent dans le conseil du roi. La famille accrut sa puissance avec une extrême rapidité. Claude qui avait épousé Antoinette de Bourbon, grand'tante d'Henri IV, en eut 8 garçons et 4 filles, lignée brillante : elle allait remplir la seconde moitié du XVIe siècle de l'éclat de ses hauts faits. L'aîné est ce François de Guise. Il était à peu près du même âge que Henri II ; ils avaient été élevés ensemble et éprouvaient l'un pour l'autre une vive sympathie provoquée par la communauté identique de goûts et d'idées. C'était un homme de grande valeur, ayant du bon sens, du jugement, beaucoup de clarté dans l'esprit, et une fermeté à toute épreuve. Il a été un des plus remarquables capitaines de notre histoire, actif, voyant bien ce qu'il fallait faire, l'exécutant avec une élégante maestria et entraînant admirablement ses soldats qui avaient la plus grande confiance en lui. Monluc lui a rendu justice : Il n'y avoit homme, dit-il, qui ne le jugeât un des vigilants et diligents lieutenants qui aient été de notre temps, au reste si plein de jugement à savoir prendre son parti qu'après son opinion il ne falloit pas penser en trouver une meilleure. Au conseil il fut toujours pour les décisions vigoureuses. Avant la mort de son père (1550), il portait le titre de duc d'Aumale. Devenu duc de Guise après le vieux Claude, il passa son titre d'Aumale à son troisième frère, appelé aussi Claude. De ces autres frères, l'aîné Charles, né en 1524, fait archevêque de Reims à quatorze ans, devint cardinal de Lorraine après son oncle qui se nommait ainsi. Il avait vingt-trois ans à l'avènement d'Henri II qui l'appela au conseil. Il allait diriger les finances avec habileté, mais se faire peu aimer par son avarice et son caractère dénué de franchise. Le troisième, Louis, entré aussi dans les ordres, fut fait archevêque de Sens et cardinal en 1553 ; c'est le cardinal de Guise. Le cinquième se nommait François, comme l'aîné, et sera général des galères, grand prieur de France. Le dernier, René, est le marquis d'Elbeuf. Quant à la sœur aînée, Marie, on trouva le moyen de lui faire épouser le roi Jacques V d'Ecosse dont elle eut Marie Stuart, et ensuite de donner Marie Stuart au dauphin, fils de Henri II.

Tous ces Guises firent de belles alliances. Le duc François épousa une Italienne, Anne d'Esté, petite-fille de Louis XII par sa mère Renée, duchesse de Ferrare ; le duc d'Aumale épousa une des deux filles de Diane de Poitiers, profitable union qui, par l'intermédiaire de la favorite, contribuera avec tant d'autres éléments à assurer à la cour la situation unique d'une famille de plus en plus puissante. Quel prestige en effet était le sien ! Branche cadette d'une maison étrangère régnante — la maison de Lorraine ; apparentés avec la famille royale par Renée de France ; frères d'une reine, la reine régente d'Ecosse ; oncles de la future reine de France, Marie Stuart ; appuyés sur deux cardinaux dont l'un, dit-on, songea même à la tiare, les Guises étaient au-dessus de toutes les meilleures familles françaises, dans une situation politique sans égale !

Montmorency, François de Guise et le maréchal Saint-André, tel fut le noyau du conseil qu'Henri II constitua près de lui pour l'aider à gouverner le royaume. Ce furent les trois personnages prépondérants. Par les mains de ces trois, tout passoit, dit Monluc : ils ont été les dirigeants de la politique. Montmorency eut la prééminence : Celui des conseillers dont le roi fait le plus de cas, écrivait Capello, c'est le connétable, comme le plus âgé et celui dont les avis et les exploits ont le mieux montré le dévouement et le zèle. Au début même il chercha à accaparer le roi, le conduisant surtout dans ses châteaux, Chantilly, Ecouen, l'Isle-Adam, tâchant d'être seul le maître. Il n’y réussit pas.

On a dit qu'Henri II n'avait été qu'un pâle fantôme sans initiative et sans intelligence, mené exclusivement par ces conseillers qui firent tout ce qu'ils voulurent. Pour se convaincre du contraire il n'y aurait qu'à penser à ce qu'il advint le lendemain du désastre de Saint-Quentin où le roi, privé de ses trois aides, releva seul les affaires avec résolution. De fait, ayant pris ce conseil au début de son règne en raison de son inexpérience, il se trouva si bien de ses délibérations qu'il ne jugea pas utile d'en changer. Avec des tendances très opposées, — le goût de la temporisation chez Montmorency, celui de l'action vigoureuse chez Guise, — ces conseillers se trouvaient d'accord avec lui sur des idées de bon sens pratique. Or Henri II a eu beaucoup de netteté dans l'esprit, Il est très net, écrivait Marino Cavalli, très ferme dans ses opinions ; ce qu'il a dit une fois, il s'y tient. Dès la première heure il avait marqué ses préférences pour une sobriété précise, en changeant le ton trop dissipé que son père avait donné à la cour, en diminuant les bals, les réunions, réduisant les dépenses de faste, exigeant moins de bruit, plus de réserve et de tenue. En politique, de concert avec ses conseillers, il a adopté une ligne de conduite qui fait de son règne un des plus remarquables de notre histoire, nul autre n'ayant, à un égal degré, poursuivi des desseins plus judicieux, plus sains, plus clairement français et uniquement soucieux de réalités utiles et concrètes. Cette politique peut se résumer en trois termes : finir les guerres interminables qui depuis un demi-siècle ruinaient le royaume ; renoncer définitivement à la chimère absurde de l'Italie qui entraînait la France hors de ses voies naturelles ; rétablir enfin ou créer ces voies naturelles, à savoir porter l'effort des armes là où vraiment il y avait nécessité à chercher à s'étendre, c'est-à-dire vers l'est et le nord, dans la région, française de langue et de race, où la proximité trop voisine de la frontière, par rapport à Paris, rendait les attaques de l'ennemi si dangereuses et la moindre défaite si menaçante. Il engagea trois guerres successivement ; dans la première il prit Boulogne, dans la seconde Metz, Toul et Verdun, dans la troisième Calais, toutes conquêtes qui restèrent. Il a achevé son règne par la paix de Cateau-Cambrésis qui terminait pour toujours les chevauchées décevantes vers la conquête de Milan ou de Naples et consacrait ces acquisitions. Sa Majesté causant avec moi, écrivait nu ambassadeur, paraissait plutôt envier la paix que souhaiter les plus grandes victoires ; mais s'il fallait faire la guerre pour contraindre l'ennemi à la paix, les Français, disait le roi, feroient mieux leur profit de ce côté (l'est et le nord) qu'en Italie. Le problème était ainsi clairement posé ; il a été fermement résolu. C'est l'honneur d'Henri II.

 

De tous les sentiments que pouvait éprouver Henri II en devenant roi en 1547, il n'y en avait aucun d'aussi profond et d'aussi vivace que sa haine contre Charles-Quint. La mémoire des dures heures passées dans les cachots espagnols avait laissé dans son cœur un souvenir ineffaçable. Quant à l'empereur, disait l'ambassadeur vénitien, le roi le hait et montre hautement sa haine ; il lui souhaite tout le mal qu'on peut désirer au plus mortel de ses ennemis : cette maladie est si profonde que la mort seule ou la ruine totale de son ennemi pourra le guérir ! Le premier acte d'Henri II fut contre son ennemi un geste de déli et de colère. Oubliant que par des traités formels la France avait renoncé à toute suzeraineté sur la Flandre, il convoqua l'empereur à son sacre à titre de vassal. L'empereur fit répondre qu'il irait, mais à la tête de cinquante mille hommes. Evidemment la trêve entre le royaume et l'empire ne pouvait pas durer. Le roi de France le comprit et se prépara. Il leva des troupes, s'assura des alliances ordinaires, la Turquie, le pape Paul III et au printemps de 1548 alla soigneusement visiter ses frontières de Champagne et de Bourgogne, les pays qu'il occupait, la Savoie, le Piémont.

Avant d'en venir aux mains il y eut un intermède avec l'Angleterre. La sœur des Guises, Marie, reine régente d'Ecosse, avait de grandes difficultés avec ses sujets luthériens que soutenait le roi d'Angleterre Edouard VI. Sur le conseil instant des Guises, Henri II consentit à l'aider et lui envoya 6.000 hommes. Il s'agissait entre autres d'empêcher Edouard VI d'épouser Marie Stuart — par là le roi d'Angleterre eût réuni l'Ecosse à son royaume — et de donner la jeune princesse en mariage au dauphin, fils du roi de France. Naturellement la rupture s'ensuivit avec l'Angleterre ; des hostilités eurent lieu ici et là : finalement Henri II et Montmorency marchèrent sur Boulogne, alors possession anglaise, et la bloquèrent. Le gouvernement de Londres était à ce moment paralysé par des conspirations, il traita et céda la ville moyennant 400.000 écus, le 24 mars 1530. C'était la première conquête du jeune souverain.

La situation en Allemagne devenait propice pour une attaque. Après avoir vaincu les princes luthériens soulevés et écrasé l'électeur de Saxe à Muhlberg en 1546, Charles-Quint s'était cru définitivement le maître de l'empire. On lui prêtait le dessein d'en changer la constitution, de substituer à l'élection impériale l'hérédité dans sa propre famille, d'établir sa toute-puissance incontestée. Il se montrait dur et autoritaire. Pour écarter la question religieuse irritante, il avait eu la singulière idée de l'aire rédiger par deux théologiens catholiques, en collaboration avec un luthérien, une espèce de déclaration, un compromis, contenant ce qu il autorisait ses sujets réformés à croire — en attendant qu'un concile général en eût décidé — et à pratiquer : la communion sous les deux espèces, le mariage des prêtres, etc. On appela cette base de croyances tolérées l'Intérim d'Augsbourg. Ce fut un toile dans l'empire : que venait l'empereur s'occuper de questions qui ne le regardaient pas ? Que tranchait-il de points de doctrines qui n'étaient pas son affaire ? Les villes refusèrent d'accepter l'Intérim. Devant les menaces d'accaparement de la toute-puissance impériale et les procédés despotiques du souverain, les princes allemands cherchèrent à se soulever de nouveau. Seuls, ils n'avaient pas pu grand'chose : force leur était de solliciter la paix de celui qu'ils savaient être l'ennemi irréconciliable de Charles-Quint, et d'ailleurs le seul prince assez fort en Europe pour les aider à ce moment, Henri II. D'Augsbourg où se tenait la diète du Saint Empire, une ambassade comptant plus de cent chevaux et à la tête de laquelle trouvait le comte de Nassau, Guillaume, père du Taciturne, partit pour Fontainebleau. Elle fut 1res bien reçue ; les Français multiplièrent les amabilités : une grande fête fut donnée en son honneur dans la salle de bal de Fontainebleau, après quoi on causa. Les Allemands expliquèrent qu'ils étaient envoyés par les États du Saint Empire afin de solliciter du roi de France son alliance. Ils étaient excédés des agissements de l'empereur : celui-ci menaçait tous les droits, privilèges et statuts de l'Allemagne ; les villes libres impériales, surtout, se trouvaient menacées, trop faibles pour résister, incapables de s'opposer aux entreprises de Charles-Quint qui simplement mettait la main sur leurs territoires en les joignant à ses domaines. Il était trois de ces villes, à proximité de la frontière française, Metz, Toul, Verdun, qui actuellement se trouvaient sous le coup des visées de ce genre de l'empereur. Si Henri II consentait à soutenir les princes allemands, ceux-ci ne voyaient aucun inconvénient à ce que le roi de France occupât provisoirement les trois villes en question afin de les mettre à l'abri de l'ambition impériale.

Au conseil, Henri II se déclara tenté par l'offre des trois villes françaises qu'on lui proposait ; il comptait bien non les occuper temporairement, mais en faire état pour l'étendue des limites de la couronne. Seulement c'était la guerre immédiate. François de Guise appuya vivement. Excellent homme de guerre, habile et vigoureux, il avait hâte d'entrer en campagne. Anne de Montmorency eût préféré attendre encore. De toutes façons la réponse à faire aux Allemands ne pouvait être que favorable. Toutefois il fallait un traité en bonne et due forme. L'ambassade repartit satisfaite. En Allemagne les princes acceptèrent le traité et on leur nom, après discussion, Maurice de Saxe signa avec Henri II la convention secrète de Friedwald, d’octobre 1551, aux termes de laquelle le roi de France recevait le titre de vicaire de l'empire dans les quatre villes impériales de Metz, Toul, Verdun, Cambrai, — ainsi les Allemands tournaient la difficulté d'abandonner des villes à un étranger, en faisant entrer cet étranger dans le système de l’empire — moyennant quoi, indépendamment du secours de ses armes, le roi de France promettait aux princes un subside immédiat de 240.000 écus d'or et des mensualités régulières de 60.000 écus.

Il ne restait plus qu'à entrer en action. En février 1552, Henri II se décida. Par un manifeste public il déclara la guerre à l'empereur et après avoir confié la régence à Catherine de Médicis, il partit pour Châlons où avait été rassemblée une armée de 40.000 hommes sous les ordres du duc François de Guise et du neveu de Montmorency, Gaspard de Coligny. La noblesse était accourue ; les troupes étaient pleines d'enthousiasme ; il semblait qu'en prenant le chemin de l'est pour aller conquérir des territoires français dans la direction du Rhin on retrouvât la route qui menait aux efforts vraiment utiles. En réalité Henri II et François de Guise avaient des intentions un peu plus étendues que celles que nécessitait le rôle de vicaire impérial dans trois ou quatre villes. Pont-à-Mousson fut occupé sans coup férir ; Toul envoya ses clefs ; Nancy ouvrit ses portes. A Metz une escorte pénétra sous un prétexte, puis s'empara des ponts-levis et fit entrer le reste des troupes. Les allures du roi de France donnèrent quelque inquiétude. L'armée française jusque-là s'était avancée en disant qu'elle allait pour la liberté de l'Allemagne, suivant le mot de Tavannes, et les villes, apeurées par la crainte de l'empereur, avaient accueilli avec joie les libérateurs. Au lieu de s'arrêter ou de retourner vers Verdun, Henri II maintenant poussait de l'avant et pénétrait en territoire de langue allemande. Il voulait, répétait-on, faire boire à ses chevaux de l'eau du Rhin. La réception fut cette fois plus froide. Le roi de France put entrer dans Haguenau et Wissembourg, mais Strasbourg ferma ses portes et déclara que pas un piquier français ne pénétrerait. A Spire, les gens de la ville notifièrent à Henri qu'ils le recevraient volontiers, mais seul, sans ombre d'escorte. L'opinion s'alarmait. On voyait le roi de France parcourir la région jusqu'au Rhin ; on lui prêtait des propos troublants, par exemple : que ces contrées avaient autrefois fait partie de la France, y compris l'Alsace entière, l'Austrasie et ce mot était assez étendu, le pays y passait, loin, du côté du nord. Partout les murailles se hérissèrent. Il devenait difficile d'avancer sans que la promenade, qui avait été jusque-là paisible, ne devînt sanglante. Les princes allemands grondèrent. Henri II inquiet jugea prudent, pour le moment, de ne pas aller plus loin afin de ne pas compromettre les premiers résultats obtenus. Il revint. C était la sagesse même. Un de ses corps alla occuper Verdun. Mais alléchés par les facilités de la conquête et l'occupation des territoires qui leur semblaient devoir si naturellement revenir au royaume, les troupes murmurèrent de ce quelles appelèrent une faiblesse.

Pendant ce temps, en Allemagne, les événements se précipitaient. Attaqué brusquement par les princes, Charles-Quint surpris, était bousculé, traqué par Maurice de Saxe qui le suivait vivement l'épée dans les reins ; il fuyait à Innspruck, où Maurice pénétrait derrière lui ; se sauvait précipitamment, presque seul, sur une mule, à travers le Tyrol et allait se réfugier en Carinthie. Son frère Ferdinand, obligé de signer en son nom le traité de Passau du 2 août 1552, accordait aux princes allemands tout ce qu'ils désiraient : la confirmation de la constitution allemande, c'est-à-dire de la Bulle d'or, et la faculté pour les protestants de pratiquer sans entrave leur religion. Les princes allemands, cette fois contents, jugèrent qu ils n'avaient plus besoin de l'alliance d'Henri II dont la conduite les irritait, et Charles-Quint se trouva libre de se retourner avec toutes ses forces contre le roi de France, afin de reprendre les villes que le vicaire impérial français s'était cru le droit de s'adjuger. Bien mieux, les princes se joignirent à lui et en septembre 1552, 80.000 Allemands marchaient sur Metz pour en chasser les troupes françaises.

C'était François de Guise qui avait été l'âme de la conquête ; ce fut François de Guise qu'Henri II chargea d'aller défendre Metz contre le choc, avec le titre de lieutenant général du roi dans les Trois-Évêchés. L'affaire promettait d'être considérable ; une foule de gentilshommes et des meilleures familles du royaume accoururent pleins d'ardeur : le prince de Condé, le duc d'Enghien, le duc d'Aumale, le prince de la Roche-sur-Yon, M. de Nemours, le marquis d'Elbeuf, le vidame de Chartres. Cette défense de Metz allait être, en effet, un des plus beaux faits d'armes du siècle ; elle allait surtout fonder dans l'esprit des populations, la renommée guerrière de l'habile et énergique général commandant la place et mettre merveilleusement en relief ses qualités actives d'intelligence et d énergie.

Aidé par les ingénieurs Pierre Strozzi et Marini, Guise rempara immédiatement les murailles branlantes de la ville, creusa, épaula, abattit des maisons et des quartiers entiers de faubourgs afin de déblayer les en tours. Matin et soir, sur les chantiers, il excitait les soldats de la voix et du geste. On dit même qu'il porta la hotte avec ses officiers. Par ses soins, des vivres en grande quantité furent amoncelés. Les munitions abondaient ; il fit installer des ateliers de poudre, organisa d'avance des hôpitaux où allait se distinguer l’illustre Ambroise Paré qui nous a laissé un piquant récit du siège, et installa ses canons ; il en monta jusque sur les clochers des églises en utilisant les plates-formes. Non content des effectifs qu'il avait amenés avec lui, il embrigada les hommes valides de la contrée, les répartit en douze enseignes ou compagnies de fantassins, les fit instruire, entraîner, avec une discipline rigoureuse. Il avait divisé la défense de la place en secteurs, mettant à la tète de chacun d'eux un officier responsable et distribuant habilement son monde. Il assura qu'il pouvait tenir dix mois.

Le 15 septembre, Charles-Quint en personne à la tête de son armée que commandaient le marquis de Marignan et le duc d'Albe, franchissait le Rhin et, le 19 octobre, commençait l’investissement de la place. Les troupes impériales, amplement munies d'approvisionnements de toutes sortes, mirent en ligne 114 canons. Guise tenta quelques sorties pour se donner de l’air et dans l'une d'elles son frère d'Aumale fut fait prisonnier. L'empereur avait réparti son armée en trois camps et achevé d'environner la place. Le 26 novembre commença le bombardement ; la tranchée était déjà ouverte. Les assiégés se défendirent vigoureusement. Toujours au rempart, le duc de Guise donnait ordre à tout avec sang-froid et précision, faisant boucher les brèches au fur et à mesure, remonter les murs, réparer les terre-pleins. Un mois durant le bombardement donna. L'armée impériale tira plus de 15.000 coups de canon. Grâce à la ténacité des défenseurs le résultat fut inefficace. Les cheminements des tranchées n'avaient pas été plus heureux. Cependant l'hiver se faisait sentir âpre et dur : la neige tombait ; des gelées violentes figeaient la terre. L'armée assiégeante insuffisamment abritée eut à subir des souffrances terribles. Les hommes tombèrent au fond des tranchées pour ne plus se relever ; le reste se traînait congestionné, les pieds dans la boue glacée, grelottant. Des épidémies survinrent. Ce fut une hécatombe : on parlait de 20 à 30.000 hommes déjà morts, et les autres terrifiés voulaient fuir. Charles-Quint comprit que la partie était perdue ; le 26 décembre, après trente jours de bombardement, quarante-cinq de tranchée et soixante-huit de siège, il donnait le signal du départ. Bertrand de Salignac qui nous a laissé le récit de l'événement raconte quelle impression horrible les défenseurs de Metz éprouvèrent lorsque venant visiter les camps abandonnés ils rencontrèrent au milieu des amas misérables de débris de toutes sortes, des morts, des mourants, des soldats à demi gelés, d'autres, malades, croupissant dans la fange. Guise fit transporter ceux qu'on pouvait soigner dans les hôpitaux. Paré en amputa un grand nombre. Le nom du duc de Guise retentit dans la France entière.

Trois mois après (avril 1553), toujours tenace, malgré une goutte douloureuse qui le torturait des pieds à la tète, Charles-Quint envoyait sur la frontière du Nord une nouvelle armée qui envahissait la Picardie, prenait Hesdin et Thérouanne. En apprenant que cette dernière ville était entre ses mains, l'empereur ordonna de la raser ; la destruction produisit un deuil général. Les armées françaises ne furent en marche qu'en juillet : on le reprocha vivement à Montmorency qui, désirant toujours la paix, l'espérant, n'était jamais prêt en temps voulu. Encore cette armée de 40.000 hommes, commandée par le connétable lui-même, trop circonspect, ne fit-elle pas grand'chose, demeurant en observation et surveillant le pays.

Les hostilités reprirent en 1554. L'armée impériale attaquée du côté du Hainaut par Antoine de Bourbon et le maréchal de Saint-André recula d'abord, puis reprit l'offensive sous le commandement du jeune et distingué Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, qui, poussant les Français vers le Boulonnais, leur livra bataille près de Saint-Omer, à Renty. Charles-Quint était là, porté dans une litière à cause de la goutte qui le rongeait. Le duc François de Guise, qui se trouvait en avant, subit le choc. D'un vigoureux élan il chargea, et enfonçant les lignes ennemies parvint à enlever 17 enseignes, 5 cornettes et 4 canons. Malheureusement, Montmorency, qui commandait le corps de bataille, ne crut pas devoir le soutenir par prudence, et, les Impériaux demeurant sur leurs positions, l'affaire parut plutôt indécise ; finalement les Français se retirèrent. Mais la brillante conduite de Guise avait accru sa popularité. Le mois suivant, tout traîna, les deux adversaires se trouvant impuissants à rien avancer. Charles-Quint était rentré à Bruxelles.

Tout à coup se répand il la nouvelle inattendue qu'il abdiquait ! On s'est perdu en conjectures pour savoir quelles raisons ont pu déterminer le puissant empereur à descendre ainsi de son trône, lui le maître des trois quarts de l'Europe, le souverain de possessions si étendues que depuis Charlemagne on n'avait vu prince aussi redoutable, homme autoritaire, froid et déterminé que l'on sait. On a parlé de découragement devant l'insuccès : La fortune est femme, disait-il, elle n'aime pas les vieillards ! On a invoqué sa lassitude en présence des complications extrêmes d'un gouvernement qui avait à lutter en Allemagne, à lutter sur les frontières, à discuter et combattre partout : on a mis en ligne ses sentiments religieux, le besoin chez lui de se retirer dans la retraite d'un cloître pour finir ses jours dans le silence et la pénitence. Il y a du vrai dans toutes ces raisons, bien que le caractère entier, maître de lui et soutenu de Charles-Quint inspire des réserves sur ce prétendu découragement. En réalité son corps était brisé par la souffrance ; il lui était impossible de s'occuper d'affaires. La goutte lui nouait tous les membres, le torturant dans des douleurs aiguës et perpétuelles : Je souffre tellement, avouait-il à l'ambassadeur vénitien, que je suis quelquefois forcé de me mordre la main et de désirer la mort ! Et un jour où Coligny était venu lui apporter une lettre de la part d'Henri II, pouvant à peine ouvrir cette lettre tant ses doigts étaient perclus, il disait tristement à son interlocuteur : Suis-je pas un brave chevalier, pour courir et rompre une lance, moi qui ne puis qu'à grand'peine ouvrir une lettre ! Le mal l'avait affreusement vieilli. Bien qu'il n'eût que cinquante-cinq ans il était usé, blanchi avant l'âge, ridé, flétri. Il se tenait, courbé, sur une chaise couverte de drap noir, au milieu d'une pièce que par fantaisie lugubre il avait fait tendre entièrement de noir. Il n'en pouvait plus. L'idée d'abdiquer lui est venue bien avant de l'exécuter ; il y pensa longtemps. Il eût voulu transmettre à son fds Philippe, qui va être Philippe II d'Espagne, alors âgé de vingt-huit ans, l'ensemble de sa puissance, y compris l'empire. Mais les princes allemands ne voulaient plus être gouvernés par un Espagnol qui avait autre chose à faire qu'à s'occuper deux ; les protestants, d’autre part, ne se souciaient pas d'un prince catholique qu'ils avaient des raisons de croire dangereux. Aux premières ouvertures ils refusèrent d'accepter Philippe pour empereur. Après de cruelles réflexions, Charles-Quint se décida à laisser à son frère Ferdinand la couronne du Saint Empire et à réserver à son fils le reste de ses possessions. Il les lui livra une à une, comme à regret, et à titre d'essai, demeurant, au-dessus, le maître qui décide en dernier ressort et peut se reprendre. Successivement il lui passa le gouvernement de Milan, de Naples, des Pays-Bas et enfin de l'Espagne. La scène finale de l'abdication définitive eut lieu à Bruxelles devant une grande assemblée de seigneurs, de courtisans et des représentants des Etats des Pays-Bas, le 23 octobre 1555. Ce fut un spectacle impressionnant dans sa grandeur que celui de ce vieillard rabougri, tout blanc dans un costume noir, les traits contractés par la souffrance, prononçant de son fauteuil, élevé sous un dais, les quelques mots qui de l’empereur du Saint Empire, roi des Espagnes, qu'il était, obéi ou redouté de l'Europe entière, et au nom connu et respecté de l'univers, allaient faire un simple particulier, bientôt une manière de moine. Il parla lentement. Il dit que l'état de sa santé lui rendait impossible la continuation de l'exercice du pouvoir ; qu'il se voyait obligé de transmettre ce pouvoir à son fils : il le recommandait à tous. Philippe d'Espagne s'était agenouillé devant lui ; il lui posa la main sur la tête et d'une voix tremblante lui dit : Mon cher fils, je vous donne absolument tous mes pays patrimoniaux vous recommandant le service de Dieu et la justice ; puis il le bénit. Son émotion était telle que de grosses larmes, écrit François de Rabutin, coulaient le long de sa face ternie et pâle et lui arrosaient la barbe blanche. Il se leva, pria Philippe de s'asseoir dans son fauteuil et descendant deux marches écouta le nouveau souverain le remercier en quelques mots d'une voix non moins troublée. L'assistance était immobile. On termina par la prestation des serments et hommages des seigneurs présents. Charles-Quint allait se retirer en Espagne, dans l’Estramadure, au monastère de San Yuste où il devait mourir deux ans après.

Lui disparu, il était plus facile à la France, qui avait accueilli avec une joie non dissimulée l'abdication de l'ennemi irréconciliable, d'accepter une cessation des hostilités. Henri II avait témoigné toujours de l'estime pour Ferdinand, parlant avec respect de ses rares vertus et de la bonté de son caractère ; il n'avait aucune animosité contre Philippe II. A défaut de la paix, trop malaisée à régler d'un coup, une trêve fut signée à Vaucelles, près de Cambrai, sur le principe du statu quo des deux côtés, le 5 février 1556, pour cinq ans. C était un répit. Le royaume était las ; l'état précaire des finances exigeait le repos. Mais, comme le mot l'indiquait, ce n'était qu'une trêve. Du moment qu'il avait été reconnu impossible aux premières discussions de s entendre pour convenir d'une paix définitive, la perspective s'ouvrait de nouveau de campagnes futures à entreprendre. On finirait bien, en frappant l'adversaire dans ses parties sensibles, par le contraindre à en venir à la fin cherchée. Provisoirement, il fallait attendre.

Alors le duc François de Guise, soit impatience de se battre, soit ambition, soit toute autre cause obscure, excipant des droits qu'il tenait de Renée d'Anjou, son aïeule, sur le royaume de Naples, demanda la permission daller conquérir le pays italien. Allait-on voir maintenant reprendre les fastidieuses chevauchées d'antan" ? Montmorency s'éleva vivement contre le projet. Il était d'avis de se réserver pour les luttes prochaines, de consolider les frontières en observant religieusement la trêve. Soutenus par Diane de Poitiers qui voyait déjà son gendre d'Aumale frère de roi, par toute la jeune noblesse qui brûlait d'envie de suivre l'heureux duc François à des victoires nouvelles, les Guises finirent par obtenir ce qu'ils demandaient. Ils ne purent avoir que 13.000 hommes. Déjà en 1554 le roi avait favorisé les menées de M. de Termes et de quelques cardinaux en Toscane pour obtenir le soulèvement des villes contre l’autorité impériale : Sienne, entre autres, avait pris les armes, chassé la garnison espagnole et obtenu du roi de France qu'il lui envoyât, au cas où elle serait attaquée, du monde pour la défendre. Strozzi y était allé avec Monluc et des troupes : la ville avait été investie ; Monluc l'avait détendue dune manière valeureuse en un siège mémorable qu'il a rendu illustre par un récit non dépourvu d'une certaine exagération gasconne ; mais finalement la ville avait capitulé. Guise partit. Il manœuvrait habilement, soucieux surtout de ne pas laisser entamer ses forces médiocres, lorsque subitement lui arriva un courrier qui lui apprenait que le roi de France venait d'éprouver un terrible désastre à Saint-Quentin et qu'il le rappelait immédiatement. Que s'était-il donc passé ?

L'entreprise engagée contre le royaume de Naples avait rendu la guerre inévitable avec l'Espagne. Elle avait été déclarée le 31 janvier 1557. Le gouvernement de Philippe II, résolu à mener vigoureusement les choses, avait rassemblé 50.000 hommes auxquels la reine Marie d'Angleterre, à titre d'alliée, en avait joint 6.000, le tout sous les ordres de l'habile et actif duc de Savoie, Emmanuel-Philibert. Franchissant la frontière, cette armée était venue mettre le siège devant Givet. On a beaucoup reproché à Montmorency son indécision, sa faiblesse. Espérant toujours que les hostilités ne seraient pas poussées à fond, qu'il pourrait encore temporiser en maintenant une paix apparente, il n'avait pas réuni de troupes suffisantes, 26.000 hommes à peine, et encore demeurait-il dans une circonspection prudente. L'opinion s'impatientait, le traitant de pusillanime, de lâche, d'homme sans cœur ; des sonnets satiriques couraient sur son compte. S'enhardissant, l'armée impériale prononça alors un fort mouvement en avant et vint mettre le siège devant Saint-Quentin. Cette fois la partie devenait grave. Saint-Quentin pris, le chemin de Paris était ouvert : les Parisiens s'affolèrent. Coligny s'était jeté dans Saint-Quentin avec 700 hommes, chiffre insuffisant ; il n'avait ni vivres, ni munitions en quantité convenable. Montmorency s'avança à marches rapides pour tâcher d'introduire dans la place, s'il en était temps encore, des renforts et des provisions que menait d'Andelot, frère de Coligny. Avec une imprudence, incompréhensible chez ce général, d'ordinaire si timoré, le connétable osa s'aventurer jusque sur les lignes des assiégeants et poussa une pointe vers des marais qui bordaient un côté de la ville, afin de faire avancer ses renforts par bateaux, de nuit. Les bateaux s'enlisèrent dans la boue ; l'affaire était manquée. Alors Philibert-Emmanuel profitant de la position fausse du connétable, ainsi en l'air, en pointe, avec des effectifs très inférieurs aux siens, s'élança. Un habile capitaine eût taché de se replier en bon ordre, protégeant sa retraite par une série de défenses protectrices organisées dans de bonnes positions, en échelons. Montmorency donna l'ordre précipité de partir en colonne, comme s'il n'avait personne à ses trousses. Le comte d'Egmont rassemblant toute la cavalerie espagnole, chargea vigoureusement l'arrière-garde française et l'enfonça. Le connétable chercha à mettre le gros de son armée en carrés, mais les bandes impériales arrivant au pas de course, appuyées de toute l'artillerie, donnèrent en masse ; il n'y eut pas moyen de résister : ce fut un écrasement qui dura quatre ou cinq heures. A la fin, l'armée française était détruite, le comte d'Enghien, frère d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre, tué, avec nombre de nobles et de soldats, Montmorency blessé et fait prisonnier ; pris aussi, le maréchal de Saint-André, Longueville, Montpensier, toute l'artillerie, les bagages, les convois et 80 drapeaux. C'est à peine si Î\L de Nevers, rassemblant au loin les fuyards, put reconstituer une troupe d'un millier d'hommes d'armes et d'un millier de cavaliers. Depuis Pavie on n'avait rien vu de pareil.

La consternation fut générale. Le roi n'ayant plus d'armée pour défendre son royaume, l'adversaire n'avait qu'à marcher droit sur Paris, il ne rencontrerait aucune résistance. De fait, Philibert-Emmanuel conseilla aussitôt à Philippe II accouru jouir du triomphe de ses armes, d'aller de lavant. Mais, après réflexion, Philippe II estima qu'il était nécessaire au préalable de s'emparer des places situées sur la route afin d'avoir, en après, le chemin plus ouvert et assuré pour enjamber et empiéter plus avant, dit François de Rabutin. Le siège de Saint-Quentin fut poussé vivement. Le 27 août, l'assaut était donné sous la conduite du duc de Savoie, la ville emportée, pillée, brûlée, saccagée et Coligny envoyé prisonnier aux Pays-Bas, De là, Philippe II s'avança vers Noyon.

Lorsqu'on apprit enfin en France que le duc François de Guise, rappelé d'Italie et rentrant précipitamment, venait de débarquer à Marseille, ce fut dans le royaume un soupir de soulagement. Une joie s'émut partout de lui, écrit Brantôme, et de lui partout une voix s'épandit telle qu'on disoit : Or c'est à ce coup que cet homme nous remettra et restituera la chose toute revirée et contournée à rebours d'un gond à l'autre !

Henri II n'avait pas attendu son retour pour prendre les mesures que comportaient les circonstances. Il agit virilement. Privé de ses conseillers ordinaires, il montra qu'il était homme d'initiative et de volonté. Par ses soins, de toutes parts, des troupes lurent rassemblées et dirigées sur les points qui étaient menacés. Les places de Picardie furent munies de défenseurs et de munitions. A sa prière, Catherine de Médicis se rendit au conseil de ville de Paris et demanda 300.000 livres qui lui furent accordées. De tous côtés la noblesse prenait les armes à l'appel de son souverain. Les villes rivalisaient d'ardeur, se mettaient en état de défense et envoyaient des secours. Il y eut comme un élan populaire général. Aussi, lorsque pour conclure on conseilla à Henri II de quitter Paris et d'aller se réfugier derrière la Loire, il refusa : Reste à avoir bon cœur et à ne s'étonner de rien, écrivait-il fortement à François de Guise.

Le duc de Guise était le seul homme en effet sur lequel le roi et le royaume pouvaient compter pour rétablir les affaires si compromises. Afin de lui donner pleine autorité on le nomma lieutenant général en chef dans l'intérieur et hors du royaume, titre exceptionnel qui, à côté du connétable, prisonnier, lui conférait les mêmes pouvoirs qu à celui-ci. Il prit le commandement de la petite armée qu'Henri II venait de rassembler à Compiègne.

Ce seul mouvement opéra un résultat inattendu. Après la prise de Saint-Quentin et la marche sur Noyon, l'armée de Philippe II s'était mise à flotter. Les Anglais fatigués avaient lâché pied, des mutineries s'étaient produites. A l'annonce de l'arrivée d'un général aussi décidé que le duc de Guise, Philippe II ne disposant que d'éléments incertains, jugea impossible de marcher vers Paris. Mieux valait finir la campagne sur la favorable impression des derniers succès. En octobre, subitement, il battait en retraite et il rentrait à Bruxelles.

Qu'allait faire François de Guise de son armée prête et impatiente ? L'opinion réclamait un effort après l'élan général que tout le pays avait donné. Il y allait de la popularité du jeune héros. C'est alors que le duc de Guise conçut le hardi dessein de courir sur Calais, — ville anglaise, prise par Édouard III il y avait longtemps, deux cent dix ans, en 1347, maintenant si anglaise qu'on ne croyait pas qu'elle pût jamais redevenir française, — la surprendre derrière ses marais, désarmée, au cours de l'hiver, et s'en emparer. Personne ne se doutait d'une semblable entreprise, les Anglais moins que les autres, persuadés qu'ils étaient que Calais était imprenable derrière sa ceinture de larges marécages, ses fossés profonds, dans lesquels une rivière coulait, ses hautes murailles. Le gouverneur, lord Wentworth, avait renvoyé en Angleterre une partie de ses troupes. Il avait bien entendu dire que M. de Sénarpont, gouverneur du Boulonnais, caressait l'idée vague d'une surprise de la ville ; mais le projet était si absurde qu il ne s'y était pas arrêté.

L'ingénieur Strozzi, déguisé, vint examiner les remparts. De tous les points de la côte, Guise, dans le plus grand secret, fit rassembler des barques ; puis, rapidement, après une fausse pointe dans une autre direction, le 31 décembre, par un temps glacial, il accourait devant Calais. Des forts avancés gardaient la chaussée passant sur les marais : il les canonna violemment, les enleva par surprise, après quoi se portant du côté de la mer attaqua la forteresse placée au-dessus du port. La garnison était ahurie : un feu intense en eut raison. De là, Guise dirigea ses efforts contre le château, mit ses batteries sur la plage : il tirait à marée basse et couvrait ses pièces quand le flot montait. La brèche pratiquée, d'Aumale monta vivement à l'assaut ; le château fut enlevé, la ville capitula. Il n'y avait que 500 hommes de troupes anglaises, mais des munitions en quantité, des magasins énormes et 300 canons.

Ce fut une stupéfaction quand on apprit la nouvelle ! Enlever avec pareille prestesse une des places de guerre les plus imprenables de l'Europe était un des miracles et cas émerveillables de ce siècle ! François de Rabutin écrivait que c'était l'œuvre de Dieu et non des hommes : Les faits de l'omnipotent surpassent, disait-il, toutes les puissances et préméditations des hommes, quelque grands qu'ils puissent être ! On fit des feux de joie dans tout le royaume. Henri II s'empressa de venir visiter sa nouvelle ville, prescrivit d'expulser les Anglais installés dans Calais en les forçant de vendre leurs maisons et acheva la prise de possession de ce qu'on appela le pays reconquis en s'emparant de Guines et de Ham. Lorsqu'il rentra à Paris avec Guise à ses côtés, l'accueil de la population fut enthousiaste. Les acclamations étaient délirantes. L'heureux général jouissait d'une popularité extraordinaire : la royauté était encore trop forte pour en prendre ombrage. Quant aux Anglais le coup fut un dos plus terribles qu'ils eussent subis. La reine Marie disait que si on lui ouvrait le cœur on y trouverait gravé le nom de Calais, tellement la perte de cette place lui avait causé une inconsolable douleur.

L'année suivante, 1558, — hésitation chez Philippe II, désir d'arriver à la paix chez Henri II, — les hostilités traînèrent. A tout hasard Guise avait réuni une armée de 50 à 60.000 hommes. Pour les utiliser il marcha sur Thionville et s'en empara avec le bonheur et la rapidité dont il était coutumier ; en revanche, dans le nord, M. de Termes, gouverneur de Calais, se faisait battre à Gravelines.

Il parut en 1559 qu'il était temps de voir si les circonstances ne seraient pas meilleures pour discuter une entente définitive. Les plénipotentiaires français et espagnols se réunirent à l'abbaye de Cercamps. Au nom de Philippe II traitaient le cardinal de Granvelle, le duc d'Albe, le prince d'Orange ; et au nom d'Henri II, Montmorency, le maréchal de Saint-André, laissés libres pour négocier, le cardinal de Lorraine. La discussion fut orageuse. Des deux côtés on demandait que toutes les conquêtes respectives fussent de part et d'autre restituées : la France y eût le plus perdu. Les Anglais insistaient surtout pour qu'on leur rendît Calais. Mais sur ces entrefaites, Marie Tudor étant morte et ayant été remplacée par Elisabeth, fille de Henri VIII et de Anne Boleyn, Elisabeth se tourna vers la Réforme, moitié par goût, moitié par intérêt, et Philippe II, ou[ré, décida de ne pas soutenir les prétentions anglaises. Finalement, il fut décidé que Henri II garderait Calais huit ans, après quoi il paierait 100.000 écus d'or s'il ne rendait pas la ville : on sait que Calais est demeurée française. Du côté de l'est, Henri II entendait conserver les Trois-Évêchés. C'était l'affaire de l'empereur Ferdinand. Ferdinand, très absorbé par les protestants et les Turcs, ne résista que pour la forme et céda. Avec l'Espagne on fit une cote mal taillée. Philippe II rendit Saint-Quentin et les places environnantes, Henri II restitua Thionville et Marienbourg. Quant à l'Italie, le gouvernement français trancha dans le vif et renonça résolument à toute attache. Il renouvela solennellement l'abandon définitif de ses droits sur Naples et Milan. Il tenait toujours la Savoie et le Piémont ; il les remit à leur duc Philibert-Emmanuel qui les avait réclamés avec véhémence : Henri estimait qu'en conscience il ne pouvait spolier injustement un tiers. Pour sauver les apparences il fut convenu que Philibert-Emmanuel épouserait la sœur de Henri II. Cette princesse Marguerite qui attendait depuis si longtemps un mari, n'était plus toute jeune — elle avait plus de trente-six ans — n'était ni belle ni bien portante, mais gracieuse, aimable, très aimée de toute la cour, fort instruite, et on lui donna en dot précisément la Savoie et le Piémont. Par précaution, toutefois, Henri II conserva provisoirement quelques places, Turin, Pignerol, Chivasso, Villanova. Afin de cimenter la réconciliation avec l'Espagne, il fut décidé que Philippe II épouserait la fille de Henri II, Elisabeth. Tout étant enfin conclu, on signa le traité définitif à Cateau-Cambrésis le 3 avril 1559.

Ce traité de Cateau-Cambrésis est un des plus importants de notre histoire. Après le rude et dur labeur des premiers Capétiens qui avaient eu à établir leur autorité dans leurs propres possessions ; après le travail pénible de leurs successeurs qui eurent à rassembler la terre de France sous leur sceptre, la royauté avait entrepris de porter ses efforts hors du royaume : ses campagnes en Italie avaient été une erreur, elle n'avait eu que faire à s'entêter après des conquêtes de régions étrangères impossibles à conserver, ruineuses à reprendre, lointaines, pour délaisser des pays bien français, dont la trop grande proximité de Paris rendait la conquête deux fois indispensable. Cateau-Cambrésis a mis définitivement fin aux guerres italiennes qui duraient depuis soixante-cinq ans et a orienté la politique française vers le nord et vers l'est, c'est-à-dire dans sa voie normale. La foule ne s'y trompa pas et elle accueillit la paix avec une joie profonde.

Par contre, chez les militaires, ce fut un concert de récriminations et de colères. Abandonner ainsi l'Italie, disaient-ils, qui, depuis un demi-siècle, était un champ d'exercice incomparable pour ceux qui voulaient apprendre le métier de la guerre ; sacrifier la Savoie, le Piémont, nombre de villes, de places, quantité d'approvisionnements, sans coup férir, dune simple signature, il ne se pouvait rien imaginer de plus exorbitant ! Ceux qui aimoient la France en pleuroient ! gémit Brantôme. En une heure et par un trait de plume, tout rendre et souiller et noircir toutes nos belles victoires passées de trois ou quatre gouttes d'encre, cela troubloit l'esprit et dragonnoit l'âme, s'écriait Vieilleville. Brissac, Monluc, faisaient chorus. Monluc compta qu'on donnait 180 places et estima qu'on livrait quelque chose comme le tiers du royaume. Pour Brissac, le Piémont à lui seul valait autant que la Bourgogne et la Champagne. Ainsi on quittait tant de provinces, villes et châteaux avec une si émerveillable étendue de pays qui avait coûté au feu roi et à la couronne de France plus de 40 millions d'or et cent mille tètes à conquérir ! Mais l'ambassadeur à Constantinople, M. de la Vigne, écrivait avec plus de jugement et de sens politique : Il faut faire une seconde loi salique que le premier conseiller qui parlera d'entreprendre plus la guerre en Italie et de jamais rendre ni changer les villes de Metz ou de Calais, soit bridé comme un hérétique ! Il avait raison.

Pour mieux faire participer le peuple à la joie de la paix obtenue, Henri II décida que les mariages de sa sœur et de sa fille auraient lieu solennellement à Paris, au cours d'une longue série de fêtes fastueuses, en juin 1559. Le duc d'Albe arriva pour représenter le roi d’Espagne, avec une magnifique suite de 500 cavaliers. Emmanuel-Philibert de Savoie vint personnellement : on déménagea le parlement qu'on envoya aux Augustins, sur le quai, afin de disposer de tout le Palais qu'on tendit de tapisseries. Aux Tournelles, où Henri II habitait, — le Louvre avait été réservé au duc d'Albe, — on dressa une vaste salle provisoire pour la circonstance. Dans la grande rue Saint-Antoine, des lices, champs clos pour les tournois et les joutes, furent organisées avec barrières et échafauds tendus de tapisseries.

Les fêtes commencèrent : il y eut des festins et des banquets. Le prévôt des marchands et les échevins de Paris reçurent les hôtes du roi à l'Hôtel de Ville. Les tournois et les joutes se succédèrent au milieu d'un grand concours de peuple venu de toutes les provinces et à la satisfaction de ce peuple qui constatait la supériorité des Français sur les Espagnols. Henri II ne craignit pas de prendre part aux jeux ; monté sur un dextrier, couvert d'une puissante armure, il voulut rompre lui aussi des lances. Le 30 juin avaient lieu aux lices de la rue Saint-Antoine des joutes à cheval. Le roi manifesta l'intention de courir. Selon l'usage il devait rompre trois lances sur trois adversaires sans broncher de la selle. Il rompit dans de bonnes conditions les deux premières contre le duc de Savoie et le duc de Guise. Au troisième coup se présenta devant lui le fils de de Lorges, son capitaine des gardes, M. de Mongommery, grand et roide jeune homme, dit Vieilleville. Les deux cavaliers s'élancèrent et Mongommery, de sa lance, ébranla si fort le prince, qu'il manqua lui faire vider les étriers. Très dépité, Henri II exigeait sa revanche ; l'autre, hésitant, déclinait ; le roi insista ; il fallut courir de nouveau. Celte fois, les deux lances se brisèrent ; mais, en relevant le tronçon de la sienne, Mongommery attrapa la visière d'Henri II qui fut soulevée, et, emporté par l'élan de sa monture, engagea dans l'œil du roi son arme cassée qui défonça le crâne. Le roi tomba sur le col de son cheval, l'étreignant de ses bras ; on arrêta la bête ; on descendit le prince, on le coucha, on le déshabilla, puis on le porta dans sa chambre où cinq à six chirurgiens tâchèrent en vain d'extraire les esquilles ; Henri II resta sans connaissance pendant neuf jours ; le dixième, il expirait ; il avait quarante et un ans. La veille de sa mort à minuit, dans l'église Saint-Paul, on avait rapidement célébré les cérémonies religieuses des mariages : Cela ressemblait mieux à un convoi mortuaire et à des funérailles qu'à autre chose. La consternation du peuple était générale. Catherine de Médicis, bouleversée, demeura un jour prostrée de douleur, sans pouvoir dire un mot : Je crains une grande maladie, mandait Marie Stuart à sa mère. Catherine de Médicis portera toute sa vie le deuil de celui qu elle avait tant aimé et qu'elle perdait brusquement d'une façon si tragique !

 

SOURCES. Lettres de Catherine de Médicis, éd. La Ferrière et Baguenault de Puchesse ; Brantôme, Œuvres complètes, éd. Lalanne ; Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, 1838 ; Alberi, Belazioni degli ambasciatori veneti al senato, 1839 ; Maréchal de Vieilleville, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat (sur ce texte, voir G. Marchand, Le maréchal de Vieilleville et ses mémoires, 1893) ; Gaspard de Saulx-Tavannes, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat ; Monluc, Commentaires et lettres, éd. de Ruble, 1864 ; François de Rabutin, Commentaires sur le fait des dernières guerres, éd. Buchon, 1836 ; Pierre de la Place, Commentaires de l'état de la religion et république, 1565 ; Lettres inédites de Henri II, 1818 ; J.-B. Gail, Lettres inédites de Henri II, Diane de Poitiers, Marie Stuart, 1828 ; G. Guiffrey, Lettres inédites de Diane de Poitiers, 1866 ; Amb. Paré, Relation du siège de Metz en 1552, 1847 ; Bertrand de Salignac, Le siège de Metz en l'an 1552, éd. Michaud et Poujoulat.

OUVRAGES. Léopold Ranke, Histoire de France pendant le XVIe et le XVIIe siècle, traduction Porchat, 1834 : E. de la Barre-Duparcq, Histoire de Henri II, 1887 ; H. Bouchot, Catherine de Médicis, 1899 ; M. Hay, Madame Dianne de Poytiers, 1900 ; F. Décrue, Anne de Montmorency, 1889 : H. Forneron, Les ducs de Guise et leur époque, 1877 ; J. Delaborde, Gaspart de Coligny, amiral de France, 1879 ; Chabert, Le siège de Metz en 1552, 1856 ; Mignet, Charles-Quint, son abdication, 1857 ; Gachard, Retraite et mort de Charles-Quint, 1852 ; La guerre de 1557 en Picardie, bataille de Saint-Laurent, siège de Saint-Quentin, 1896 ; A. de Ruble, Le traité de Cateau-Cambrésis, 1889.