LE SIÈCLE DE LA RENAISSANCE

 

CHAPITRE II. — LE ROI ET L'EMPEREUR.

 

 

François Ier, 1510-1547. Conquête du Milanais et victoire de Marignan, 1515 ; le concordat de Bologne de 1516. Candidature de François Ier à l'empire d'Allemagne, élection de Charles-Quint, 1519. Conflit entre le roi de France et l'empereur. Entrevue du camp du Drap d'or avec Henri VIII, 1520. Les hostilités, 1521. Lautrec battu en Italie à la Bicoque, 1522. Trahison du connétable de Bourbon, 1523. Bonnivet battu en Italie à Rebecco et à Romagnano, 1524 ; Charles-Quint envahit la Provence et recule. Descente de François Ier en Italie, désastre de Pavie, 1525. La captivité du roi de France et traité de Madrid, 1526. La sainte ligue de Cognac. Sac de Rome par les soldats impériaux que conduit Charles de Bourbon, 1527. Paix de Cambrai, 1529. Nouveaux préparatifs de guerre de François Ier, son alliance avec les Turcs. Reprise des hostilités, 1535. Second envahissement de la Provence par Charles-Quint et sa retraite, 1536. Trêve de Monçon, 1537 : nouvelle rupture, 1544 ; descente en Italie et victoire du duc d'Enghien à Cérisole. Traité de Crépy, 1544. Mort de François Ier, 1547.

 

De sa beauté il est blanc et vermeil.

Les cheveux bruns, de grande et belle taille :

En terre il est, comme au ciel, le soleil ;

Hardi, vaillant, sage et preux en bataille ;

Il est bénin, doux, humble en sa grandeur.

Fort et puissant et plein de patience.

Le portrait que traçait de son frère, François Ier, la charmante Marguerite de Navarre, était à peu près exact. Très grand, fort, avec une puissante carrure — quoique la jambe fût un peu grêle — la figure massive et large, le nez trop aquilin, mais les traits assez fins, le regard droit et franc, les cheveux noirs sur un fond de chair blanc, le nouveau roi de vingt ans qui succédait au squelettique Louis XII justifiait l'exclamation de son prédécesseur : Ah ! le beau gentilhomme ! C'était surtout un garçon délicieux, plein de vie et d'entrain, vigoureux, imprudent, léger, prodigue, spirituel, plaisant infiniment à tous ceux qui l'approchaient, gaspillant l'argent sans compter, chevaleresque, généreux, heureux de vivre, un vrai Français avec les meilleures qualités de la race et les pires défauts. Nous besognons en vain, disait en hochant la tête Louis XII, ce gros garçon gâtera tout !

Il avait été élevé à Cognac et à Amboise par deux femmes qui l'adoraient : sa mère, Louise de Savoie, et sa sœur Marguerite, plus âgée que lui de deux ans. Veuve à dix-huit ans de Charles d'Angoulême, Louise de Savoie avait entouré l'éducation de son fils de toutes les grâces qu'un caractère facile et dépourvu d'expérience sait trouver. Cet enfant avait été son orgueil ; elle l'avait gâté. Dans le cadre aimable de la petite cour de Louise, au milieu d'une existence adonnée au goût des arts, à la poésie, et aux fêtes, le jeune prince avait développé sa nature gracieuse et légère. Sa sœur Marguerite avait contribué fortement à cette éducation. Très fine elle-même, intelligente, instruite, — elle en savoit plus que son pain quotidien, écrivait Brantôme, — spirituelle, d'une morale pas trop sévère, et d'une grande indépendance d'esprit, mais par ailleurs supérieure et digne de considération, elle avait enveloppé ce frère, qui fut la passion de sa vie, d'une tendresse dévouée. François grandit dans cette atmosphère d'amour. On lui laissa faire ce qu'il voulait. Vingt fois, emporté dans des jeux violents de chasse et de courses, il manqua se tuer. Il étudia peu ou pas du tout, lut des romans de chevalerie, mena la vie joyeuse d'un fils de famille riche, fit des vers, eut des aventures et arriva au pouvoir avec tout ce qu'il faut pour faire un roi exquis, un mécène de goût, et un politique détestable. En dehors de sa mère et de sa sœur, avec qui il resta toujours très uni, il aima aussi sa femme, Claude, la fille de Louis XII, bonne princesse, modeste, raisonnable, assez bien de figure, mais petite, grosse, boitant un peu ; il conserva à la bonne dame honnête et de bonne vie une fidélité de principe, sinon de fait, et quand lui ayant donné sept enfants, celle-ci mourut à la peine, âgée de vingt-cinq ans, en 1524, il la regretta sincèrement. La reine Claude n'est plus guère connue que par les prunes auxquelles elle a laissé son nom.

Un jour, à Amboise, causant avec ses amis, François s'était diverti à les écouter dire, en plaisantant, quelles étaient les grandes charges de la couronne qu'ils rêveraient d'avoir. Devenu roi, la première chose qu'il fit fut de réaliser le rêve de chacun d'eux : Arthur de Gouffier, sieur de Boissy, fut nommé grand maître de France ; son frère Bonnivet grand amiral ; Anne de Montmorency plus tard sera connétable. Il distribua en homme généreux, honneurs et argent ; sa mère eut le duché d'Anjou et le Maine ; son beau-frère, le duc d'Alençon, mari de Marguerite, le duché de Berry et le gouvernement de Normandie ; Charles de Bourbon reçut l'épée de connétable et le gouvernement du Languedoc ; Lautrec et La Palice furent nommés maréchaux de France. La place de chancelier était vacante : il appela pour la remplir le premier président du parlement de Paris, Antoine Duprat, qui allait être son conseiller si important !

A ce roi jeune, vigoureux, léger et plein d'ardeur, il fallait la gloire d'une campagne militaire. Le sujet n'en fut pas long à trouver. Héritier de Louis XII par sa femme Claude, ayant par conséquent des droits sur l'éternel Milanais, François Ier n'avait qu'à les faire valoir l'épée à la main contre le duc de Milan Maximilien Sforza. Ce fut une heure brillante. On rassembla une puissante armée de 30.000 fantassins, 10.000 chevaux, avec 72 canons ; toute la jeunesse accourut ; les princes et les meilleurs capitaines voulurent en être et dans l'été de 1515, passant par le col âpre et dur de Largentière, au milieu de difficultés inouïes, où l'on n'aurait jamais cru qu'une armée pourrait aller, tenant les chevaux à la bride, traînant les canons, faisant sauter les rochers, on franchit les Alpes. Les Suisses à la solde du duc Sforza reculèrent jusque sous les murs de Milan et François Ier vint prendre position dans une localité située auprès et qu'allait illustrer une éclatante victoire, Marignan. L'attaque eut lieu fortuitement, par une escarmouche d'éclaireurs. Un fougueux prélat, Mathias Schinner, évêque de Sion, qui détestait les Français, excitant les Suisses, faisait sonner le tocsin, battre le tambour et le 13 septembre, vers quatre heures du soir, les colonnes suisses, au son des cornets d'Uri, d'Unterwalden, de Schwytz, s'ébranlaient vers l'armée du roi de France, Schinner en tête, monté sur un genêt d'Espagne. Les Français étaient mal placés, en ligne sur la route de Milan à Marignan. A la charge des ennemis s'avançant piques baissées, ils durent opposer des séries de contre-attaques partielles ; Bourbon et La Palice donnèrent avec les gens d'armes, François Ier chargea avec 600 chevaux pour défendre son artillerie menacée. A la nuit tombante la bataille était indécise, et chacun coucha sur ses positions. Avant le jour le roi de France, qui avait passé la nuit accoté à un affût de canon, parvint à ramener son monde sur un seul front : Bourbon à droite, Alençon à gauche, les canons en batterie au centre. 8.000 Suisses abordèrent ; l'artillerie les contint. Pendant que d'un côté Alençon fléchissait mais que Bourbon de l'autre restait le maître, François Ier s'élançait vigoureusement avec toute sa cavalerie, et les Suisses écrasés, décimés, prenaient la fuite. Le jeune roi victorieux se fit armer chevalier par Bayard sur le champ de bataille. Le Milanais était conquis et le duc Maximilien, moyennant une rente annuelle, consentait à abandonner son bien pour se retirer en France.

Ce fut l'aube rayonnante du règne. Cette victoire remplit François Ier de joie et d'espérance. La longue série de défaites et de malheurs qui allaient suivre devait bien détromper ces premiers auspices ! Sur le moment, tout sourit au vainqueur. Le pape qui avait fait cause commune avec le duc de Milan, atterre par la nouvelle de Marignan, voulut faire la paix ; François Ier y était disposé ; une entrevue magnifique entre les deux souverains eut lieu à Bologne, le jeune roi escorté de 1.200 hommes d'armes et de 6.000 lansquenets, le pape entouré de trente cardinaux. François et Léon X rivalisèrent d'amabilités, prirent leur repas ensemble, eurent de grandes cérémonies. Au cours I de la discussion du traité, Léon X fit observer au roi qu'il existait en France une pragmatique sanction de Charles VII aux termes de laquelle les archevêques, évêques, abbés de monastères étaient élus ; un certain droit dit d’annates que le pape avait de prélever, pendant une année, les revenus d'un siège nouvellement pourvu d'un titulaire, était aboli ; le Saint-Siège n'avait pas la faculté de juger les causes ecclésiastiques de France ; or, cette pragmatique sanction, le Pape ne pouvait pas l'admettre comme hérétique et attentatoire à ses privilèges ; la paix était au prix de sa révocation. François Ier et ses conseillers trouvèrent un moyen terme qui était de signer une convention en vertu de laquelle à l'avenir ce serait le roi qui désignerait archevêques, évêques et abbés, point capital ; quelques mots vagues étaient dits du troisième point et rien du tout du second. La convention fut conclue, c'était le célèbre concordat de 1516 qui livrait l'Eglise de France à la nomination du roi. Les parlements firent une vive opposition. Le traité a eu encore bien autrement de portée dans la suite des siècles que ne l'ont pu voir les contemporains de Léon X !

François Ier rentra en France auréolé de gloire. II était le souverain le plus en vue de l'Europe, le plus heureux : toutes les espérances lui semblaient permises. A ce moment se posait la question de la prochaine élection en Allemagne d'un empereur ; il s'estima en mesure de briguer la place et de tâcher d'obtenir cette couronne : jamais dans l'histoire, depuis les anciens empereurs romains ou depuis Charlemagne, prince n'aurait été aussi considérable que lui ; il se prépara ; il s'engageait dans l'aventure qui allait être la cause des désastres de sa vie et des plus graves complications pour le royaume !

Grand corps mou, l'empire germanique se composait d'une diversité infinie de petits Etats moitié indépendants et fédérés. En vertu d'antiques usages, l'empereur était élu à Francfort par sept électeurs qui étaient : les archevêques de Mayence, de Cologne et de Trêves, le roi de Bohême, le duc de Saxe, le comte palatin, le margrave de Brandebourg. Les électeurs choisissaient l'empereur avant la mort du précédent, et, en attendant le trône, l'héritier présomptif prenait le titre de roi des Romains. Or l'empereur régnant, Maximilien, avait un candidat, c'était son petit-fils Charles, le futur Charles-Quint ! Pour comprendre la mosaïque de pays que Charles-Quint a eu à gouverner, il faut se rappeler que son grand-père, l'empereur Maximilien, avait épousé Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire : de ce chef, la famille était héritière de la Bourgogne et de la Flandre ; — que son père, l'archiduc Philippe le Beau, mort en 1506, avait épousé Jeanne la Folle, fille de Ferdinand, roi d'Aragon, et d'Isabelle, reine de Castille : de ce chef, Charles-Quint était héritier de l'Espagne et de Naples. C'était donc le maître de l'Espagne, de la Flandre et de Naples que l'empereur Maximilien voulait faire nommer empereur d'Allemagne. Dans le dessein que conçut François Ier de solliciter les voix des électeurs de l'empire, il n'y eut pas que le rêve d'une monarchie de toute l'Europe, il y eut aussi l'intention légitime d'empêcher cette monarchie de se constituer au profit d'un autre. S'il avait été plus politique, le roi de France aurait compris le danger qu'il y avait pour lui à placer les peuples dans l'alternative de deux périls dont, à tort ou à raison, ils considéreraient son élection comme le plus grave, et pour faire échec au succès du petit-fils de Maximilien, il aurait été chercher quelque troisième candidat inoffensif. Il ne le vit pas. Il se jeta dans la campagne électorale. L'adversaire auquel il s'en prenait allait être, en raison de son caractère, l'artisan le plus implacable du drame qui commençait. Né presque en même temps que le siècle, en 1500, Charles-Quint offrait un contraste complet avec la nature de François Ier. De stature moyenne, le teint pâle, le nez aquilin et pincé, bouché d'ailleurs par des végétations adénoïdiennes, des yeux gris, un vilain menton avançant beaucoup et tenant toujours la bouche ouverte, ce qu'on appelle le prognathisme, signe de dégénérescence, disent les médecins, le prince n'était pas beau. Toutefois, à en juger par le portrait du Titien, il était d'un ensemble distingué. C'était un homme froid, calme, parlant peu, pas aimable, pas accueillant, mais très maître de lui, calculant, judicieux, net, mettant du temps à se décider, puis une fois résolu, ne cédant jamais, d'une ténacité impitoyable et glacée. Son regard, qui était celui d'un homme qui ne perd jamais la tête, gênait par une fixité révélatrice d'un caractère redoutable en raison de cette maîtrise supérieure de soi-même et de l'inexorable volonté. Pour l'achever, il était avare. Autant François Ier plein d'exubérance et d'entrain joyeux était en dehors, autant celui-ci était contenu et renfermé ; autant le roi de France, prodigue et homme de fête, traitait les affaires vivement et légèrement, autant son adversaire, calculateur et administrateur, détestant la chasse et les plaisirs, s'adonnait aux questions sérieuses avec application ; autant François Ier était nerveux, ardent, instable, autant Charles-Quint avait de sang-froid, d'intelligence équilibrée, de finesse de jugement et d'opiniâtreté. Leurs politiques n'eussent-elles pas été opposées, jamais leurs caractères n'auraient pu se comprendre, comme la reine Marguerite le déclarait à l'ambassadeur vénitien Giustiniano. Ils étaient faits pour se haïr jusqu'à la mort î

Dès 1516, François Ier envoya en Allemagne des émissaires afin d'acheter les électeurs. Il fit promettre tout ce qu'on voulut, alliances matrimoniales, pensions, sommes de deniers. Ce fut un marchandage éhonté. Deux électeurs se distinguèrent par leur âpreté, le margrave de Brandebourg Joachim, et son frère l'archevêque de Mayence ; ils se donnèrent. Trêves et le comte palatin suivirent : cela faisait quatre voix, la majorité ! En même temps le roi de France gagnait à sa cause des gens de-ci de-là ; entre autres un vigoureux soldat des bords du Rhin, très populaire, Franz de Sickingen, homme d'esprit distingué, l'ami de Ulrich de Hutten, le lettré de la petite cour de l'archevêque de Mayence, capable de rassembler à son appel une multitude de lansquenets autour de sa citadelle d'Ebernbourg près de Kreuznach et de terrifier le pays. Franz vint à Amboise où il reçut de riches présents et une pension.

Du fond de l'Espagne où il était, Charles d'Autriche apprenant ce qui se passait, prévint immédiatement son grand-père. Maximilien lui répondit qu'il fallait surenchérir : avait-il de l'argent ? Au milieu de grandes difficultés causées par des sujets qui ne pouvaient souffrir les conseillers flamands de leur roi, pauvre, sans autorité encore à cause de sa jeunesse, Charles d'Autriche parvint cependant à emprunter 300.000 ducats : il les expédia. C'était insuffisant, répondait le vieil empereur qui n'entendait pas y aller de ses deniers. Maximilien emprunta aux banquiers Fugger, pour le compte du roi d'Espagne, 30.000 florins d'or ; Charles d'Autriche trouva moyen d'envoyer encore 100.000 ducats d'or et on travailla. Sur des offres tentantes, Joachim de Brandebourg et son frère de Mayence abandonnèrent François Ier. Le comte palatin ne fut pas plus difficile. On tenait le roi de Bohême et l'archevêque de Cologne. Cinq voix, cette fois, étaient acquises à Charles, mais l'affaire avait coûté 514.000 florins d'or, plus de 27 millions de nos jours, sans compter les promesses de privilèges, de droits et le reste. Maximilien envoya à son petit-fils la note, en y ajoutant 50.000 florins d'or pour ses menus frais personnels ! Puis il convoqua les électeurs ; mais le 12 janvier 1519, cet homme bizarre mourait !

François Ier ne se découragea pas. Il lança de nouveau des agents en Allemagne, les uns ambassadeurs officiels, Jean d'Albret, Bonnivet, le président Guillart, les autres, des individus déguisés ; il s'agissait de rattraper les électeurs à force de tentations. S'il le faut, s'écriait François, je dépenserai trois millions pour être empereur ! Il écrivait crûment : Je veux qu'on soûle le margrave Joachim ! et on multiplia les avances. Charles de son côté augmentait ses prix : ce fut une dispute fiévreuse, ardente, acharnée, comme de longtemps on n'en avait vu de pareille. Goguenards et avides. Brandebourg, le comte palatin, Mayence et Cologne, moyennant des conditions exorbitantes, consentirent à revenir au roi de France ; puis lorsque Armestorff, l'envoyé de Charles d'Autriche, se présenta, ils lui avouèrent ce qui en était, ajoutant que moyennant 100.000 florins de plus ils marcheraient avec lui ; Armestorff obtint sur ces 100.000 florins une petite diminution et ils marchèrent. François Ier expédia 400.000 écus dans des sacs de cuir et réunit des troupes pour intimider. Mais de fait, lorsque les électeurs se réunirent le 18 juin 1519 à Francfort, personne n'était plus sûr de rien. Ils discutèrent, ils émirent des idées raisonnables sur les dangers que présenterait pour l'Allemagne le choix du roi de France et finalement Charles d'Autriche fut élu sans grande difficulté. François Ier était à Poissy, quand le 3 juillet on vint lui apporter la nouvelle de son échec. Il demeura impassible et même se félicita publiquement de n'avoir pas à assumer les charges de l'empire germanique ; il ne se doutait pas qu'il venait de se faire un ennemi irréconciliable et que jamais Charles-Quint ne lui pardonnerait d'avoir essayé de lui enlever une couronne depuis quatre-vingts ans dans sa famille !

Entre les deux hommes la lutte était inévitable ! Enveloppant le royaume de France de ses possessions, Charles-Quint était un danger perpétuel. De plus, les causes de querelle étaient toutes trouvées : héritier de Charles le Téméraire, l'empereur réclamait la Bourgogne dont Louis XI s'était emparé ; la France exigeait la restitution à Henri d'Albret du royaume de Navarre que Ferdinand le Catholique avait pris ; en Italie Charles-Quint allait vouloir chasser les Français du Milanais et les Français vouloir chasser les Espagnols de Naples. C'eût été miracle que le choc ne se fût pas produit, en un temps où la guerre éclatait pour des riens.

Avant d'en venir aux mains, dans un corps à corps qu'ils sentaient fatal, les deux rivaux tâchèrent d'attirer à eux les deux souverains de l'Europe dont l'alliance était la plus précieuse, le pape et le roi d'Angleterre Henri VIII. Il en advint comme avec les électeurs allemands : ce fut à qui offrirait le plus. François Ier promit à Léon X la moitié du royaume de Naples lorsqu'il l'aurait conquis ; Charles-Quint consentit à donner Parme, Plaisance, Ferrare, parla de chasser les Français de Milan et de mettre à leur place un Italien, un Sforza ; le pape estima les conditions de l'empereur plus sûres et traita secrètement. Avec Henri VIII ce fut plus mortifiant encore. L'entente anglaise était nécessaire afin d'empêcher le roi Henri de venir attaquer le nord de la France pendant que François Ier se battrait en Italie. François Ier proposa au prince anglais qui accepta, une entrevue entre Calais et Ardres. Ce devait être la célèbre entrevue du camp du Drap d'or. Dès que Charles-Quint fut avisé de cette rencontre, il s'embarqua immédiatement d'Espagne, courut à Londres en cinq jours et promit à Henri VIII, s'il était vainqueur, de lui livrer plusieurs provinces françaises ; puisse tournant vers le cardinal Wolsey, ministre tout-puissant et écouté du prince, il lui offrit la tiare pontificale. En débarquant à Calais pour aller trouver François Ier, Henri VIII était déjà tout acquis à l'habile et astucieux empereur !

Quelle scène, dès lors, mélancolique et humiliante devait être cette magnifique représentation du camp du Drap d'or puisque le résultat négatif, avant même qu'elle eût lieu, en était décidé. François Ier voulut frapper Henri VIII par un luxe et un éclat sans égal. Il vint avec une suite fastueuse de 3.172 personnes et de 2.865 chevaux ; toute la cour y était, les reines Louise et Claude, Marguerite, quatre cardinaux, les princes et les grands du royaume. Près d'Ardres il fit établir un camp de 300 tentes recouvertes de toile d'or et d'argent, tendues à l'intérieur de velours et de soie ; au-dessus de la tente du roi, également en toile d'or, s'élevait une statue de saint Michel en or. L'ensemble offrait une masse étincelante. Pour ne pas demeurer en reste, Henri VIII dut monter un petit palais de bois tendu aussi de velours et de soie et garni de tapisseries d'Arras. L'entrevue eut lieu le 7 juin dans des formes solennelles. Les deux rois allèrent au-devant l'un de l'autre montés sur des chevaux caparaçonnés d'or et d'argent ; ils étaient ruisselants chacun de perles, de diamants, d'émeraudes, de rubis ; leurs toques de velours, couvertes de pierreries, étaient empanachées d'immenses plumes blanches ; leurs suites, revêtues d'habits d'or et d'argent, les environnaient en caracolant. Les deux rois que précédaient leurs connétables portant la grande épée nue, descendirent l'un vers l'autre de deux coteaux se faisant face et se joignirent devant un pavillon situé au milieu de la petite plaine de Valdoré ; ils se saluèrent, s'embrassèrent, à cheval, puis mirent pied à terre et se tenant par le bras entrèrent dans le pavillon suivis seulement de leur principal conseiller respectif, Wolsey et Bonnivet. L'entrevue fut des plus cordiales ; on causa longuement, mais Henri VIII éluda toute idée d'un engagement quelconque en assurant d'ailleurs François Ier de sa bonne amitié. Vingt cinq jours durant les deux souverains échangèrent une suite ininterrompue de fêtes, de dîners, de tournois et de joutes sur de vastes lices entourées d'échafauds élégants où les dames des deux cours prenaient place. François Ier se montra adroit aux jeux, Henri VIII vigoureux ; on admira la force athlétique du prince anglais, ses solides qualités sportives ; il offrit même à François Ier, en riant, de lutter à main plate avec lui et le saisit à bras-le-corps de ses mains musclées, mais d'un tour de jambe l'autre l'envoya rouler et il fallut s'interposer, afin d'arrêter un incident qui eût fini par une scène. Lorsqu'ils se séparèrent à la fin, ils eurent de bonnes paroles et ce fut tout. En quittant François Ier, Henri VIII alla à Gravelines retrouver Charles-Quint qui l'attendait et acheva de s'entendre avec lui.

Trompé ou non, François Ier résolut de ne pas différer davantage à attaquer l'empereur. Les circonstances étaient propices : en Espagne, aux prises avec des difficultés d'argent, Charles-Quint voyait les populations, excédées de ses demandes d'impôts, se soulever ; en Allemagne, le luthéranisme naissant troublait profondément le pays ; le prince tenait mal en main ses immenses possessions trop dispersées. Au printemps de 1521, André de Foix, sieur de Lesparre, franchit les Pyrénées avec 8.000 fantassins et s'empara de la Navarre sans trouver d'autre résistance que celle de Pampelune où un des défenseurs, gentilhomme guipuzcoan, eut la jambe cassée ; ce gentilhomme était Ignace de Loyola et cette blessure devait avoir sa place dans l'histoire de la fondation de l'ordre des Jésuites ! Ah ! le roi de France veut me faire plus grand que je ne suis, s'écria Charles-Quint en apprenant cette agression dont il était ravi ; en peu de temps ou je serai bien pauvre empereur, ou il sera un pauvre roi de France ! Son représentant en Navarre, le duc de Najera, rassemblant 12.000 hommes et 2000 chevaux, attaqua Lesparre, l'écrasa et le fit prisonnier, La prédiction de l'empereur commençait à se réaliser.

Charles-Quint se porta immédiatement en Flandre dans l'intention d'attaquer personnellement la frontière française de ce côté. Il prépara un mouvement en Italie. Le roi de France, mettant sur pied trois armées, envoya Lautrec à Milan avec des troupes, Bonnivet avec 6.000 lansquenets aux Pyrénées et lui-même se porta au nord, avec 26.000 fantassins, 1.500 hommes d'armes et 12 canons au secours de Bayard qui, enfermé à Mézières, se défendait vigoureusement contre le comte de Nassau et Franz de Sickingen, devenu soldat de l'empereur ; il fit fuir ceux-ci, et près de Valenciennes, rencontrant Charles-Quint, retranché derrière l'Escaut, il eût pu le battre ; il n'osa pas l'attaquer, le laissa s'en aller : cette heureuse circonstance ne devait plus se retrouver.

Tout tourna alors contre François Ier En Italie, Lautrec attaqué par une armée de 20.000 hommes que commandait Prospero Colonna, abandonné par ses Suisses qu'il n'avait pu payer faute d'argent, chassé par les Milanais qui s'étaient soulevés devant ses violences, fut obligé d'évacuer le pays. François Ier lui confia une nouvelle armée avec laquelle il chercha à reprendre Milan, mais le général de l'empereur l'attaquait à la Bicoque, où il eût pu tenir victorieusement, si une fois de plus les Suisses, n'étant pas réglés, n'avaient exigé congé ou bataille. Lautrec accepta la bataille le 27 avril 1522 ; il fut vaincu, ses Suisses se débandèrent, et il rentra en France abandonnant la vallée du Pô aux Impériaux.

Ce fut une des premières heures tristes du règne : Henri VIII notifia à François Ier son alliance avec Charles-Quint et rompit avec lui ; le pape et les Vénitiens en firent autant ; le roi de France avait l'Europe entière sur les bras.

Il accueillit la tempête avec une dignité calme et une résignation altière : Toute l'Europe se ligue contre moi, dit-il fièrement au parlement de Paris, eh bien, je ferai face à toute l'Europe ! Et il prépara une grande armée pour descendre lui-même en Italie. Pourquoi s'acharnait-il donc, comme ses devanciers, après ces malheureuses provinces italiennes impossibles à conserver, au lieu de porter ses efforts vers le nord où il allait être attaqué ? On ne s'explique cet entêtement que parce qu'il avait des droits précis sur Milan et qu'il n'en avait pas ailleurs. Mais alors, pour comble d'infortune, pendant que la chrétienté entière l'assaillait, François Ier se vit trahi par le personnage le plus considérable du royaume, grand officier de la couronne, connétable de France, Charles duc de Bourbon, son cousin, qui passait à l'ennemi !

Cette trahison a beaucoup impressionné. L'effet produit est dû moins aux conséquences de l'événement, qui n'ont pas été aussi graves qu'elles auraient pu l'être, qu'aux conditions morales dans lesquelles il s'est passé. On y a mêlé, à tort, des animosités féminines. Le fait paraît en lui-même relativement assez simple. Maigre, avec une figure osseuse, un front étroit et fuyant, la barbe taillée de court, un regard inquiet, troublé et mécontent, s'il faut en croire le portrait peint par le Titien, Charles de Bourbon était un homme de trente-trois ans dont l'aspect n'eût pas inspiré confiance. Son caractère était plutôt faible. Il se trouvait le chef de cette | puissante maison de Bourbon descendant de saint Louis, qui f montera sur le trône à la fin du siècle avec Henri IV. Appartenant lui-même à une branche cadette, celle de Montpensier, il avait réuni toute l'opulente fortune territoriale de la race, en épousant l'héritière unique de la branche aînée, Suzanne de Bourbon, fille de Pierre, duc de Bourbon, et d'Anne de Beaujeu. Mais cette dernière, prudente et avisée, avait fait stipuler au contrat de mariage que si Suzanne mourait sans héritier, ses biens reviendraient à la couronne. Charles, qui était le plus grand seigneur terrien de France, fut bien traité par la cour, nommé chambrier, gouverneur du Languedoc, connétable. A Moulins, sa résidence, il reçut souvent François Ier, lui donnant des fêtes magnifiques, dépensant ses revenus sans compter. Le roi, qui était très aimable pour lui, commit malheureusement quelques imprudences ; il lui donna à l'armée une place inférieure à celle qui lui revenait, il le blessa par des manques d'égards. Afin de conserver l'immense fortune des Bourbon, Charles avait obtenu de sa femme un testament par lequel celle-ci lui laissait tous ses biens, puis Suzanne était morte en 1521 sans enfants. Avait-elle le droit de disposer de ses biens dont le sort se trouvait fixé par un contrat de mariage antérieur et qui ainsi ne lui appartenaient pas ? La couronne ne le crut pas et elle intenta un procès devant le parlement de Paris. Louise de Savoie qui avait aussi des droits sur la succession, réclama. Après les services qu'il avait rendus, et tout ce qu'il avait fait pour la famille royale, le connétable fut ulcéré de ce qu'il considéra comme des tentatives de dépouillement. Il n'était question cependant que de la nue propriété de ses biens, le revenu devant lui en demeurer jusqu'à sa mort. Informé du mécontentement de Bourbon, Charles-Quint, qui était un peu son parent, envoya quelqu'un lui exprimer la part qu'il prenait à ses ennuis, et lui offrir la main de sa sœur Eléonore. Le connétable fut touché de cette attention, et par politesse ou par intérêt, n'osa pas décliner l'avance. Là-dessus l'attitude du parlement, dont l'arrêt contraire à ses prétentions ne semblait pas devoir faire doute, l'exaspéra. Alors, Charles-Quint proposa au connétable de faire un traité aux termes duquel lui, l'empereur, soutiendrait, au besoin par la force, les droits de Charles de Bourbon sur ses biens, et en retour, Charles seconderait les vues de l'empereur sur la Bourgogne. Moitié par vengeance, moitié par faiblesse, Bourbon accepta. François Ier eut vent de l'affaire, et profondément irrité, n'étant d'ailleurs pas sûr, il dit au connétable qu'il s'en souviendrait. Alors, Sire, c'est une menace ? fit l'autre. Entre temps Charles-Quint faisait entrer Henri VIII dans la combinaison. Cette fois, l’aventure était complète. On convint que les alliés attaquant la France, le connétable les seconderait du dedans ; Henri VIII prendrait une bonne part, donnerait à Bourbon le Poitou, la Provence, la Champagne ; Charles-Quint aurait la Bourgogne ; les conjurés marcheraient lorsque François Ier descendrait en Italie. Tout ce que put faire le malheureux connétable entraîné un peu malgré lui dans cette trahison, plutôt que volontairement coupable, fut de ne rien signer et de ne rien jurer ; à vrai dire il pleurait même en racontant ces détails à son ami Saint-Vallier qui en déposa au procès fait plus tard. François Ier apprit tout par deux jeunes gentilshommes normands, MM. d'Argouges et de Matignon auxquels imprudemment Bourbon s'était ouvert pour préparer le terrain à Henri VIII devant débarquer en Normandie et qui, outrés, allèrent conter ce qu'ils savaient. Il était impossible au roi de France de passer en Italie en laissant derrière lui pareil danger. Mais comment faire arrêter sans preuves le connétable ? Il vint le voir à Moulins ; l'autre était au lit malade, et les médecins le déclaraient incapable de se mettre en chemin. Le roi lui fit promettre de venir le rejoindre à Lyon dès qu'il serait mieux, en lui faisant savoir qu'il ne partirait pas sans lui et qu'il l'attendrait. Le temps passa ; Bourbon ne venait pas. A plusieurs reprises François Ier lui envoya du monde afin de le presser : les prétextes succédaient aux prétextes ; tout à coup le bruit courut que le roi fixé parées tergiversations avait pris la résolution de faire arrêter le connétable et qu'il envoyait des troupes ; oubliant sa maladie vraie ou fausse, le connétable monta à cheval et d'une traite courut s'enfermer dans la forte place de Chantelle. Il était difficile après cet éclat d'hésiter. François Ier ne balança plus. Bourbon alors se déguisant en laquais partit avec un gentilhomme nommé M. de Pompérant, et après mille péripéties dramatiques gagna la frontière de l'est, de là fut accueilli par l'empereur qui lui donna place dans ses armées : il allait le nommer son lieutenant général en Italie pour se battre contre le roi de France ! Sur l'ordre de François Ier les biens du fugitif furent saisis. Néanmoins le roi offrit au connétable de tout lui rendre s'il revenait : Il est trop tard ! répondit Bourbon. Cette trahison agita profondément l'opinion.

Dans ces conditions, il était plus sage pour François Ier de ne pas passer les Alpes. D'ailleurs toutes les frontières étaient attaquées. Des coureurs ennemis arrivés jusqu'à Compiègne effrayaient les Parisiens qui avaient dû se mettre en état de défense : l'indécision des ennemis sauva heureusement le royaume. Henri VIII n'avança pas ; les Flamands reculèrent ; au midi les Espagnols attaquèrent Bayonne sans réussir et se retirèrent ; l'année 1523 se terminait d'une façon moins dangereuse qu'on n'eût pu le craindre. Le roi porta alors ses efforts sur l'Italie où Bonnivet fut appelé à conduire 25.000 fantassins et 1.500 hommes d'armes contre Prospero Colonna, qu'après sa mort allaient remplacer le vice-roi de Naples Lannoy, et surtout Bourbon. Les Impériaux étaient plus nombreux que les Français ; ils chassèrent Bonnivet des bords du Tessin par le combat de Rebecco, puis Bonnivet remontant vers les Alpes afin d'aller au-devant des Suisses qu'il attendait, fut abordé une seconde fois à Romagnano sur la Sésia, et encore battu. Ce fut pendant sa retraite que Bayard, commandant l'arrière-garde, reçut dans les reins l'arquebusade qui allait le tuer : on le déposa au pied d'un arbre. Comme Bourbon qui vint à passer lui exprimait ses regrets de le voir dans ce triste état et le plaignait : Il n'y a point de pitié en moi, dit mélancoliquement le chevalier sans peur et sans reproche, car je meurs en homme de bien ; mais j'ai pitié de vous, de vous voir servir contre votre prince, votre patrie et votre serment ! Bonnivet repassa les Alpes.

Alors, sur la proposition de Charles de Bourbon, l'armée impériale à son tour franchit les montagnes et envahit la Provence (juin 1524). Il s'agissait de prendre Marseille, puis de marcher par Lyon sur Paris où Henri VIII se rendait aussi afin de se faire couronner roi de France. Marseille était pourvue de vivres et de munitions, admirablement défendue par les habitants qui liront prouve d'un courage invincible : l'entreprise échoua. Après de vaines et fatigantes attaques, les troupes de Bourbon, mercenaires recrutés un peu partout et difficiles à tenir, signifièrent qu'elles en avaient assez ; il fallut renoncer à la campagne et regagner la vallée du Pô. Une invasion de la France par ce côté n'a jamais réussi.

Cette circonstance fut jugée meilleure par François Ier pour reprendre son projet d'il y avait deux ans, aller lui-même en Italie à la tête d'une grande armée, recommencer Marignan ; il avait foi en son étoile, croyait à une victoire certaine ; le Milanais conquis il irait même à Naples ! Les revers précédents continuaient à ne rien apprendre au roi de France ; il ne voyait que le moyen de s'en prendre à Charles-Quint en faisant valoir des droits, puisque la conception juridique de ces droits semblait remplacer à ce moment toute idée abstraite de conquête. La catastrophe de Pavie et la prison qui allait suivre devaient durement le ramener de ses illusions !

En octobre 1524, il franchit les Alpes avec 30.000 fantassins et 1.500 lances commandés par ses plus anciens et expérimentés capitaines. Les Impériaux effrayés, s'évanouirent devant lui : il entra dans Milan ; seuls 6.000 hommes tenaient bon dans Pavie ; il alla les y assiéger. Trois mois durant il les bloqua pour les affamer ; mais pendant ce temps Lannoy et Bourbon arrivaient avec 20.000 fantassins, 700 hommes d'armes et 500 chevau-légers. Les deux armées prirent contact en janvier 1525, s'observèrent pendant trois semaines, finalement l'armée impériale qui se voyait, faute d'argent pour payer ses troupes, menacée de désertion en masse — Grisons et Italiens avaient déjà abandonné le roi de France, — se décida à attaquer. Elle attaqua sous Pavie le 24 février, de nuit, à la gauche de François Ier, par un grand parc entouré de murs qui s'étendait autour du château de Mirabello. L'armée française fit une conversion à droite pour se mettre en ligne face aux assaillants ; l'artillerie commandée par Galiot de Genouillac ouvrit le feu. Un instant les Impériaux surpris par le mouvement flottèrent. Un de leurs chefs, Pescaire, les lança à l'attaque. François Ier chargea vigoureusement à la tête de ses gentilshommes et de deux compagnies d'ordonnance ; mais à côté et derrière lui Pescaire faisait foncer les masses espagnoles : la droite française débordée plia et rompit ; le centre à son tour se trouva culbuté ; en réserve sur le second échelon les Suisses, devant la débandade du centre, ne tinrent pas et lâchèrent pied sans combattre ; tout était en déroute. Seuls, François Ier et ses gentilshommes demeuraient en l'air, se débattant en désespérés. Plutôt que de fuir, le chevaleresque roi de France résolut de se taire tuer. Il continua sa charge en furieux ; un à un ses braves gentilshommes tombèrent autour de lui ; ce fut une hécatombe du meilleur sang de France : le vieux La Trémoïlle, les maréchaux de La Palice et de Foix, l'amiral Bonnivet, le grand maître, le grand écuyer. Reconnaissant le roi, les soldats impériaux cherchaient à s'emparer de sa personne ; enfin le cheval du malheureux prince s'abattit ; on se précipita ; M. de Pompérant, le gentilhomme ami de Bourbon, voulut prendre l'épée de François Ier qui ne consentit à la donner qu'au vice-roi Lannoy. Tout était fini !

C'était un lamentable désastre ! En deux heures l'armée française avait été dispersée ; 10.000 hommes étaient tués ; de grands officiers de la couronne, d'illustres sujets jonchaient le champ de bataille ou étaient pris ; le roi de Navarre, le comte de Saint-Paul, le maréchal Anne de Montmorency étaient aux mains de l'ennemi ; seul le duc d'Alençon, beau-frère du roi, avait pu se sauver : il en mourut de honte deux mois après ! Le soir, à la nuit, François Ier était conduit et enfermé dans la citadelle de Pizzighettone sous la garde de 200 hommes d'armes et de 1.200 fantassins commandés par l'Espagnol Alarcon. Il écrivait à sa mère Louise de Savoie une lettre que nous avons conservée pour lui apprendre toute l'étendue de la catastrophe : De toutes choses, lui disait-il, il ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui est sauve !

Quelle infortune était la sienne et celle du royaume ! L'aîné des enfants du roi prisonnier avait huit ans ! A la régente que devenait Louise de Savoie, il ne restait pour défendre l'Etat, ni une troupe, ni un chef, ni un écu ! La France a dû de n'être pas conquise et démembrée à ce moment à l'impuissance réelle qui divisait ses ennemis.

Charles-Quint était à Madrid lorsque lui arriva l'extraordinaire nouvelle si peu attendue, de sa victoire décisive ! Il garda son sang-froid. On lui proposa de célébrer son triomphe par une fête pompeuse ; il refusa. Plein de calme, il alla remercier Dieu de son succès, suivit une procession d'actions de grâces, puis délibéra sur ce qu'il y avait à faire. Bourbon proposait d'envahir sans tarder le royaume vaincu, de faire couronner Henri VIII à Saint-Denis et de partager les dépouilles. De son côté Henri YIII réclamait la France, consentant à laisser à l'empereur la Bourgogne, la Provence, le Languedoc, et au duc de Bourbon le Dauphiné avec ses anciennes propriétés. Si Ton trouvait que c'était trop, il sollicitait seulement les anciennes provinces ayant appartenu à l'Angleterre : Normandie, Gascogne, Guyenne, Anjou, Poitou, Maine, en ajoutant la Bretagne.

Au conseil de Charles-Quint deux avis furent proposés : il fallait ou bien accabler François Ier et le ruiner définitivement, ou bien faire la paix avec lui à des conditions relativement acceptables. Le chancelier Gattinara qui soutint cette dernière opinion, insista, disant que les propositions d'Henri VIII étaient déshonorantes à l'égard d'un ennemi battu ; d'ailleurs leur réalisation rendrait le roi anglais beaucoup trop dangereux. Charles-Quint se rangea à cette opinion. On discuta les conditions qui seraient imposées à François Ier : elles étaient extrêmement dures ! Le roi de France devrait renoncer à tout droit quelconque sur l'Italie, Milanais ou Naples ; il devrait rendre les biens de Charles le Téméraire injustement saisis par Louis XI, la Bourgogne et nombre de seigneuries ; il devrait solennellement abandonner tout droit de suzeraineté sur la Flandre et l'Artois, particularité humiliante pour Charles-Quint qui était ainsi le vassal de François Ier ; il devrait enfin rendre à Charles de Bourbon toutes ses propriétés et ajouter à celles-ci la Provence. Henri VIII serait dédommagé. Le tout, pour avoir plus de force, serait ratifié par les Etats généraux, et lorsque le roi de France se trouverait ainsi notablement affaibli, il devrait contracter alliance avec l'empereur pour suivre celui-ci dans une campagne que Charles-Quint méditait contre les Turcs afin de repousser l'invasion musulmane devenue menaçante dans la vallée du Danube. Sinon, la France serait occupée.

Ces conditions furent portées non à François Ier, mais à la régente Louise de Savoie, Louise de Savoie, malgré la gravité de la situation, n'avait pas perdu son sang-froid. Aidée de Florimond Robertet, l'habile secrétaire d'Etat et du chancelier Duprat, elle avait pris d'activés mesures afin de mettre le royaume en état de résister. Tout le monde l'avait secondée. Nulle part personne n'avait cherché à profiter des circonstances ou à exciter des troubles. Le parlement de Paris avait organisé la défense de la ville. En Normandie, clergé, seigneurs et villes s'étaient entendus pour parer à une invasion et maintenir l'ordre. Se rendant à Lyon, la régente était parvenue à y recruter une petite armée. A l'accablement de la première heure avait succédé plus de confiance et un sentiment plus ferme d'espérances meilleures. Lorsque l'envoyé de Charles-Quint se présenta à Louise de Savoie afin de lui notifier les conditions de son maître, la régente lui répondit fermement que l'Etat était en mesure de se défendre et qu'elle ne céderait pas un pied de terre du royaume !

Dans sa prison de Pizzighettone où il était enfermé, François Ier passait par des alternatives contradictoires d'affaissement et de légèreté insouciante. Il s'était vêtu d'habits de couleur gris cendre ; il avait écrit à Charles-Quint des lettres d'une dignité discutable, dans lesquelles il lui demandait d'être magnanime, de ne pas le pousser à bout, de tâcher au contraire de faire de lui un ami plutôt que de le désespérer ; il lui disait d'un ton humble : Vous pouvez être sûr, au lieu d'un prisonnier inutile, de rendre un roi à jamais votre esclave ! Puis il jouait à la paume ; il faisait des vers qu'il envoyait à son amie de cœur, la jolie Mlle d'Heilly ; il retrouvait quelques heures de gaieté, bien qu'avec tous les respects du monde on le surveillât de très près et on ne lui laissât aucune liberté. Charles-Quint lui communiqua les conditions qu'il avait envoyées à Louise de Savoie. François Ier eut un geste de lassitude accablée. Il répondit que ces conditions étaient bien difficiles ; il s'en remettait à la régente sa mère du soin de les discuter. Quant à lui, il consentait à renoncer à l'Italie, à Milan, à Naples, à l'Artois, à la Flandre ; il voulait bien rendre à Bourbon ses possessions en ajoutant la Provence ; il payerait Henri VIII ; il ne disait rien de la Bourgogne. Louise de Savoie trouva ces concessions excessives et Charles-Quint les jugea insuffisantes.

Alors François Ier pensa que peut-être s'il pouvait voir l'empereur et causer directement avec lui, il obtiendrait plus aisément ce que des discussions lointaines par des intermédiaires insuffisamment autorisés ne parviendraient jamais à procurer. Il demanda à ses gardiens de le conduire en Espagne. Ses gardiens étaient, avec Alarcon, le vice-roi de Naples Lannoy et Pescaire, Antonio de Leiva. Ceux-ci avaient reçu mission de Charles-Quint, après trois mois de séjour du captif à Pizzighettone, de le conduire à Naples. François Ier ne voulait à aucun prix aller à Naples dont le climat ne lui convenait pas. Esprit modéré et bienveillant, Lannoy, qui désirait voir s'arranger les choses et souhaitait une paix honorable, prit brusquement le parti, sans consulter personne, même l'empereur, d'embarquer le roi de France et de faire voile avec lui vers l'Espagne. Il débarqua à Barcelone le 19 juin 1525 et par une lettre prévint Charles-Quint qui était à Tolède. Charles-Quint eut une vive colère. Le vice-roi de Naples parvint à le radoucir. On convint que François Ier serait enfermé à Madrid dans le donjon dit Alcazar. La traversée du prince captif à travers l'Espagne fut pour le malheureux l'occasion d'égards et d'honneurs auxquels il ne s'attendait pas. Partout on le reçut de la façon la plus sympathique, avec des harangues, sous des dais ; il fit ses entrées à cheval entouré de troupes, triste contraste de sa dignité en réalité déçue avec son état réel de prisonnier gardé à vue ; il put même chasser, assister à des courses de taureaux, contempler des fêtes données en son honneur. Mais il avait l'âme angoissée en constatant que Charles-Quint se refusait à se rencontrer avec lui. Le réveil après cette marche entourée de prévenances consolantes fut dur, lorsque François Ier se trouva dans sa prison de l'Alcazar de Madrid, haut donjon, épais, élevé de plus de 33 mètres au-dessus du sol, donnant sur le Mançanarès desséché, et au delà, sur l'immense plateau dénudé de la Castillo. La pièce dans laquelle il fut enfermé était petite et nue, à peine meublée d'un lit, d'une table et de coffres ; il fallut faire venir de France des tentures à fleurs de lis afin de garnir et d'égayer un peu ces murs lamentables. L'unique fenêtre, d'ailleurs grillée, s'ouvrait dans une entaille si profonde de la muraille, qu'on avait pu faire de cette entaille une pièce distincte en la vitrant intérieurement. C'était là, sans sortir, sans distraction, que le malheureux prince allait passer de longs mois ! Un corps de garde d'arquebusiers, au-dessous, le gardait.

On reprit les négociations ; elles furent longues et douloureuses. Louise de Savoie avait envoyé pour discuter au nom du gouvernement le premier président du parlement de Paris, Jean de Selve et l'archevêque d'Embrun, François de Tournon ; ils avaient mission de renoncer aux droits sur l'Italie, à la souveraineté de l'Artois et de la Flandre ; ils pouvaient parler d'un projet de mariage entre François Ier, alors veuf de la reine Claude, avec la sœur de Charles-Quint, Eléonore, veuve elle-même du roi de Portugal ; au besoin ils accepteraient le principe d'une rançon d'argent pour la délivrance du roi ; mais sur le chapitre de la Bourgogne, ils ne céderaient pas. Charles-Quint refusa d'accepter la rançon, mais il tint bon pour la Bourgogne ; à aucun prix il ne fléchirait : c'était son bien ; il s'estimait modéré de ne pas réclamer tout ce à quoi il avait droit. En vain les deux ambassadeurs discutèrent, raisonnèrent, plaidèrent. L'empereur, toujours à Tolède, avec son conseil, ne céda point. Il fallut rompre ; l'entente était impossible sur ces bases.

Un instant on crut qu'une diversion viendrait peut-être changer la face des affaires. Henri VIII, blessé de ce que Charles-Quint ne pensât plus à lui et à ses intérêts, avait traité l'empereur d'ingrat et de superbe. Louise de Savoie profita de ces dispositions pour lui proposer de faire la paix avec elle moyennant de l'argent dont elle savait qu'il avait à ce moment un besoin urgent. Brusquement Henri VIII accepta. D'autre part, en Italie, les Italiens commençaient à trouver que Charles-Quint devenait trop dangereusement puissant pour eux ; qu'il allait vouloir être le maître absolu de la péninsule, les dominer : ils se concertèrent. Habilement, Louise de Savoie leur proposa de s'entendre aussi avec elle : elle renoncerait à toute possession française en Italie ; elle offrait seulement de mettre sur le trône de Milan un François Sforza ; il ne s'agissait que d'expulser les Impériaux. Les Italiens accueillirent ces propositions. Le pape, les Vénitiens, Florence, tous signèrent. Le pape offrit même à Pescaire, le général de Charles-Quint, de lui faire donner le royaume de Naples et de le couronner roi, ce qui était priver l'empereur d'un de ses meilleurs soldats ; par sentiment d'honneur et de fidélité, Pescaire refusa mais prévint Charles-Quint : le danger était considérable, disait Pescaire ; ce qu'il avait refusé, un autre pourrait l'accepter et quelles inextricables difficultés alors pour l'empereur ! L'Italie entière se prononçait contre lui ; mieux valait, achevait Pescaire, traiter avec François Ier en cédant sur les propositions premières que de tenter la fortune, fallût-il abandonner la Bourgogne ! Louise de Savoie et son fils attendaient anxieux. L'empereur répondit qu'il demeurait inébranlable ! Il ne fléchissait pas !

Alors sous le coup de l'accablement que produisaient les déceptions répétées, cette interminable captivité, sans exercice physique nécessaire à un prince vigoureux et actif, surtout l'absence de la moindre espérance de voir cesser cette réclusion devenue odieuse, François Ier tomba malade. La fièvre le prit ; il se sentit atteint ; en peu de jours le mal empirant d'une façon inquiétante, il se trouva en étal de prostration et au bout de vingt jours, le 18 septembre 1525, il perdait connaissance ! On le crut à l'agonie. L'empereur, sérieusement effrayé et d'ailleurs songeant que, son prisonnier mort, la partie était perdue pour lui, accourut à cheval, amenant avec lui ses meilleurs médecins. Il arriva à Madrid à franc étrier, un soir, à neuf heures, Lannoy le reçut à l'Alcazar avec le maréchal de Montmorency et celui-ci portant une torche allumée, ils montèrent dans la chambre du malade. Charles-Quint se montra des plus affectueux ; il embrassa François Ier, l'assura qu'il ne devait pas se tourmenter, que tout s'arrangerait entre eux, qu'il fallait d'abord songer à guérir. On avait mandé de France Marguerite, la sœur dévouée ; celle-ci, doublant les étapes, arrivait à Madrid le 20 septembre ; Charles-Quint alla la recevoir au bas de l'escalier de l'Alcazar. Elle pleurait ; il l'embrassa, cherchant à la consoler et la conduisit près de son frère, puis rentra à Tolède et ordonna des prières publiques.

Le mal de François Ier parut s'aggraver encore ; trois jours durant il demeura dans un état d'insensibilité complète et les médecins le déclarèrent perdu. Marguerite, au désespoir, fit dire la messe dans la chambre du malade par l'archevêque d'Embrun. A l'élévation, l'officiant présentant l'hostie à l'adoration de François Ier, celui-ci, à la surprise de tous, entrouvrit les yeux. On essaya de le faire communier ; il put prendre la moitié d'une hostie, et Marguerite consomma l'autre ; peut-être était-ce un abcès qui venait de s'ouvrir, les relations contemporaines sont assez obscures sur la nature du mal. A partir de ce moment le roi alla mieux, quoiqu'il demeurât extrêmement faible ; de jour en jour les forces parurent revenir : il était hors de danger.

On essaya de profiter de la présence de Marguerite pour faire reprendre à la princesse les négociations avec Charles-Quint et utiliser les bonnes dispositions que celui-ci avait manifestées. Marguerite alla le 3 octobre à Tolède, elle fut reçue des plus courtoisement par l'empereur, lequel se rendit au-devant d'elle et la conduisit à la maison qu'il avait fait préparer à son intention. Le lendemain ils eurent ensemble une longue conversation de deux heures, seul à seul. Marguerite trouva Charles-Quint aussi inexorable que jamais. Elle lui proposa de marier son frère avec Éléonore en spécifiant que celle-ci aurait pour dot la Bourgogne que lui donnerait l'empereur, ce qui était implicitement, pour le roi de F'rance, renoncer à son droit primitif sur la province, mais la conserver, de fait, en vertu d'un droit nouveau. Charles-Quint refusa. Elle proposa qu'on fît le parlement de Paris juge de la question débattue ; l'empereur refusa. Par ailleurs il maintenait toutes ses conditions : renoncement à l'Italie et à la Flandre, rétablissement de Bourbon dans tous ses biens avec adjonction de la Provence ; promesse, une fois la paix faite, d'accompagner l'empereur contre les Turcs ; il s'estimait généreux en ne réclamant pas de rançon. Marguerite échouait. Il n'y avait plus rien à faire. Le 13 octobre elle quittait Tolède.

Sous le coup de la colère que lui causait l'intransigeance inflexible de l'empereur et le peu de suite que celui-ci avait donné aux sentiments conciliants manifestés par lui pendant sa maladie, François Ier prit une résolution désespérée, celle d'abdiquer ; il ne laisserait de la sorte entre les mains de son adversaire qu'un prisonnier sans valeur ; il abdiqua en faveur du dauphin. Devant cette mesure, le conseil de l'empereur effrayé proposa au souverain de céder. Pescaire revenait sur les dangers que présentait l'Italie ; l'ambassadeur en France de Charles-Quint, Louis de Bruges, sieur de Praet, écrivait qu'il était politique de ne pas tant insister. Charles-Quint ne voulut rien entendre. Il resta indifférent à l'abdication. Tout au plus, puisqu'il n'avait plus un roi de France entre les mains, parut-il disposé à rendre l’internement de celui-ci moins étroit.

Alors François Ier chercha à s'enfuir. Il avait un nègre chargé de le servir et d'entretenir son feu : on le gagna : le prince prendrait ses habits, se noircirait la figure, et un soir à la brune sortirait ; des relais furent préparés. Malheureusement un valet de chambre, pour se venger d'une correction qu'il avait reçue de Montmorency, alla tout révéler. Le roi fut plus étroitement surveillé.

Mais pendant ce temps, en France, Louise de Savoie voyant les mois et les mois se suivre sans apporter de solution, se décourageait. Le royaume ne pouvait rester ainsi indéfiniment sans maître ; la présence du roi devenait de plus en plus nécessaire ; elle-même ne se sentait pas de force à assumer indéfiniment les responsabilités du gouvernement, sans limite. Où allait-on ? Il ne s'agissait, en somme, que d'une province, sujet du litige. Devait-on compromettre le sort de la France entière pour une province ? Les maux qui pouvaient survenir ne seraient-ils pas plus graves que la perte d'un simple duché ? Jean le Bon, pour recouvrer sa liberté, n'avait-il pas sacrifié plus encore ? Louise se décida enfin à céder et à renoncer à la Bourgogne. Chabot de Brion partit pour Madrid afin d'annoncer sa résolution. François Ier, à bout de courage, courba la tète. Les plénipotentiaires français : l'archevêque d'Embrun, Jean de Selve, Chabot de Brion ; espagnols : Lannoy, Hugo de Moncada, Jean Lallemand, s'abouchèrent. François Ier persistait à accepter Eléonore comme épouse ; elle avait bien été promise à Charles de Bourbon et celui-ci se fâchait : pour trancher la difficulté, Charles-Quint demanda son sentiment à la jeune femme qui répondit qu'elle aimait mieux être reine de France ! Jusqu'à ce que la Bourgogne fût effectivement livrée, le chancelier de l'empereur, Gattinara, proposait de garder François Ier prisonnier. Celui-ci offrit comme otages de sa parole ses deux fils : Charles-Quint accepta. L'acte final de ce traité accablant avait été dressé le 19 décembre ; il y était stipulé que le roi de France le ferait ratifier par les États généraux et les parlements du royaume dans quatre mois. On décida de procéder à la signature solennelle le 14 janvier 1526.

La veille de ce jour, au soir, François Ier réunit dans sa chambre du donjon de Madrid les plénipotentiaires français, le président de Selve, l'archevêque d'Embrun, Chabot de Brion, plus le maréchal de Montmorency, le prévôt de Paris qui était là, et son propre secrétaire. D'une voix ferme il leur déclara que ce qu'il allait faire le lendemain il le faisait contraint et forcé ; il protestait contre cette contrainte ; il la considérait comme rendant nulles, par avance, toutes les obligations qu'on allait lui imposer, obligations attentatoires aux droits de la couronne, préjudiciables aux intérêts du royaume, injurieuses pour son honneur. L'empereur lui faisait promettre des choses exorbitantes, qu'il lui était impossible de tenir ; il cédait par nécessité, mais devant Dieu et devant les témoins présents, il protestait que n'étant pas libre, il tenait tout ce qu'il allait jurer, pour inexistant et non avenu !

Le lendemain, après la messe dite par l'archevêque d'Embrun, les signatures furent échangées. Les plénipotentiaires espagnols remplaçaient Charles-Quint qui ne s'était pas dérangé. François Ier jura sur les Evangiles d'observer le traité ; les négociateurs français jurèrent à leur tour. Le 11 février, près d'un mois après seulement, l'empereur ratifiait. On fiança le roi de France avec Eléonore, mais on le gardait toujours en prison jusqu'à ce que ses fils fussent venus le remplacer ; tout au plus lui laissait-on quelque liberté de sortir pour aller à la messe, d'ailleurs toujours très entouré et surveillé. Enfin Charles-Quint se décida à venir voir le vaincu ; il arriva costumé de velours noir, escorté de 250 cavaliers et François Ier alla l'attendre au pont du Mançanarès, monté lui-même sur une mule richement caparaçonnée. L'entrevue des deux princes fut courtoise ; ils soupèrent ensemble, causèrent longtemps ; le 16 février, sur le désir du roi de rendre visite à sa fiancée, les deux princes allèrent au château d'Illescas, du côté de Tolède, où la princesse se trouvait ; François Ier fut très aimable ; il y eut une fête dans laquelle Éléonore dansa à l'espagnole avec beaucoup de grâce ; puis le 19 février, le roi et l'empereur se dirent adieu, celui-ci se rendant à Séville pour se marier avec l'infante Isabelle de Portugal, celui-là, enfin, étant autorisé à s'acheminer vers la frontière française où il allait retrouver sa liberté. Avant de se séparer, Charles-Quint fut pris d'un doute : Assurez-moi, fit-il à François Ier, que vous exécuterez fidèlement vos engagements. — Je vous jure de maintenir ce que j'ai promis ! répondit le roi. Ils se saluèrent et se quittèrent.

Le 21 février, François quittait définitivement Madrid et ce funeste donjon où pendant six longs mois il avait tant souffert physiquement et moralement. Il allait falloir un mois encore pour gagner la frontière. Il était toujours étroitement entouré. On prit des précautions infinies afin d'effectuer l'échange du roi et de ses fils sur la Bidassoa entre Hendaye et Fontarabie ; Louise de Savoie avait envoyé les deux petits princes âgés de huit ans et demi et de sept ans — celui-ci le futur Henri II — sous la conduite de Lautrec. Le 17 mars, à sept heures du matin, en présence de deux troupes, française et espagnole, qui occupaient respectivement les deux rives opposées, portés sur deux barques au nombre égal de rameurs et d'occupants, les princes furent échangés au milieu de la rivière en traversant un pont établi au centre et désert. Lorsqu'il mit le pied sur la terre de France, François Ier s'écria : Je suis roi encore ! Puis montant à cheval, il courut à Bayonne où dans la grande église il remercia solennellement Dieu.

Jusque-là les clauses du traité avaient été tenues secrètes. Elles furent publiées. Leur caractère excessif provoqua une universelle indignation. En Italie, où le traité en question proclamait l'hégémonie de l'empereur, le mécontentement fut unanime. Le pape émit l'avis qu'il n'y avait pas lieu de tenir pour valable un accord imposé par la contrainte, accord qui conduisait le roi d'Espagne à la monarchie de la chrétienté, et Henri VIII fut du même sentiment. En France la colère était à son comble. Etats, parlements, seigneurs, ce fut un concert de protestations véhémentes.

Quant à François Ier, aux termes du traité, il devait ratifier celui-ci à peine libre. Il ne ratifia rien. L'ambassadeur impérial vint le trouver pour lui rappeler cette obligation ; il éluda par des réponses dilatoires, prétextant que des oppositions éclataient de toutes parts, qu'il fallait au moins consulter les Etats de la Bourgogne intéressée. Très préoccupé, Charles-Quint envoya au roi de France Lannoy afin d'insister, et de faire valoir cet argument qu'étant roi absolu, il n'avait que faire de tenir compte des réclamations de ses sujets. Lannoy était arrivé à Cognac, où se trouvait François Ier, le 8 mai. Le 10, accompagné de l'ambassadeur ordinaire, Louis de Praet, il eut audience devant le conseil du roi. Là, sans plus longtemps tergiverser, le chancelier de France Duprat notifia officiellement, au nom du gouvernement, qu'il était impossible de séparer la Bourgogne du royaume. A son tour, François Ier, prenant la parole, déclara qu'on avait exigé son serment à Madrid à un moment où il ne jouissait d'aucune liberté, que ce serment était nul et qu'il se tenait pour entièrement dégagé. Néanmoins, il désirait vivre en paix et en union avec l'empereur et par ailleurs comptait exécuter du traité tout ce qui était vraiment exécutable. Les envoyés de Charles-Quint ne répondirent rien, s'inclinèrent et sortirent. Sans plus tarder, profitant de la terreur qu'inspirait aux Italiens le spectre menaçant de la monarchie de la chrétienté. François Ier signait avec tous une ligue sous l'égide du pape Clément VII : ce fut la sainte ligue de Cognac, et les confédérés armèrent.

Charles-Quint était à Séville où il venait de se marier avec l'infante du Portugal, lorsqu'il apprit ce qui venait de se passer. Ainsi le traité de Madrid était déchiré, renié, et l'Italie soulevée contre lui. Ce fut un coup violent. Après avoir eu une partie si belle, la perdre de la sorte ! L'ambassadeur d'Angleterre écrivait à son maître que l'empereur demeurait silencieux et retiré, passant souvent trois et quatre heures de suite seul, livré à ses réflexions. Tout était à recommencer. Charles-Quint avait pensé pouvoir s'occuper de l'Allemagne où le luthéranisme s'étendait et les Turcs avançaient et il fallait revenir à l'Italie ! Il donna des ordres pour que les enfants de François Ier fussent sévèrement resserrés ; les petits princes allaient être indignement traités, confiés à des soldats brutaux, traînés de forteresse en forteresse, enfermés dans des pièces grillées, obscures et nues, séparés de tout Français, misérablement vêtus : ils faisaient peine à voir.

Vénitiens, pontificaux et autres confédérés se concentraient en Italie. Le pape notifia la sainte ligue à l'empereur ; l'ambassadeur de France, Jean de Calvimont, président au parlement de Bordeaux, vint en faire autant, au nom de François Ier, réclamant de Charles-Quint qu'il renonçât à la Bourgogne et rendît les enfants de France contre une rançon. Votre maître, dit Charles-Quint à Calvimont, m'a trompé ; je ne me fierai jamais plus à lui ; il n'a agi ni en chevalier ni en gentilhomme ! Les enfants, il ne les rendrait à quelque prix que ce fût ! Il chercha cependant à détourner l'orage, s'efforçant de détacher les Italiens de François Ier, insistant auprès de Clément VII ; il fit toutes les offres, toutes les menaces, rien ne réussit ; le danger de la domination impériale était trop menaçant. Pendant ce temps, les excès de ses représentants en Italie aggravaient les choses pour lui.

A Rome, son délégué, Hugo de Moncada, s'étant entendu avec le parti de la famille des Colonna, ennemis du pape, il se trouva que ceux-ci soulevèrent un tumulte qui dégénéra en un désordre effrayant, au cours duquel le Vatican fut emporté d'assaut, pillé, saccagé, et le pape contraint de se réfugier au château Saint-Ange où on l'obligea à signer l'engagement de se retirer de la ligue. L'événement souleva l'indignation de l'Europe ; Charles-Quint fut extrêmement contrarié d'une aventure qui était un opprobre et un acte de barbarie. Ce n'allait pas être la seule de ce genre.

Il avait envoyé Charles de Bourbon dans le nord de l'Italie pour commander une armée qu'il rassemblait en recrutant des mercenaires de tous côtés, d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne, tourbe violente de gens de métier sans foi ni loi. Bourbon s'ébranla dans la direction de l'Italie centrale. Il n'avait pas d'argent ; son monde, qui réclamait ses soldes, frémissait. Les pluies continuelles trempant ces soudards excités, misérables, sans costumes, sans souliers, sans provisions, ils se mutinaient perpétuellement : Bourbon manqua être assommé. Pour les calmer, il eut l'imprudence de faire miroiter à leurs yeux la perspective de sacs de villes et prononça même le nom de Rome. D'une voix, l'armée impériale, transportée, réclama la marche sur Rome où le pape était revenu à la ligue. Il fallut marcher. Alors Bourbon prit résolument son parti ; il s'élança par la vallée de l'Arno, et le lundi 6 mai 1527, les bandes impériales donnaient l'assaut à la ville éternelle par le quartier du Borgo. En montant à l'escalade, Charles de Bourbon fut frappé mortellement d'une balle ; il eut le temps, étendu dans une chapelle voisine, de se confesser et de communier avant de mourir. Le Borgo emporté, puis le reste de la ville, ce fut huit jours durant une série de carnages horribles : meurtres, incendies, profanations, les lansquenets luthériens se permettant tout ; plus de 4.000 personnes furent égorgées. Le pape, enfermé dans le château Saint-Ange, capitula avec treize cardinaux et fut gardé prisonnier par le même capitaine espagnol Alarcon, qui avait gardé François Ier : fortuné empereur qui avait eu pour prisonniers le pape et le roi de France ! Mais le sac de Rome produisit une stupéfaction générale dans la chrétienté, et lorsque, sur l'ordre de François Ier, Lautrec descendit en Italie avec une armée de 40.000 hommes afin de délivrer le pape, il fut universellement acclamé.

Hélas ! Cette nouvelle campagne de Lautrec devait ressembler à toutes les autres, et finir tristement comme elles. Lautrec reprit aux Impériaux la vallée du Pô sans coup férir ; il marcha sur Rome. D’un coup hardi, Charles-Quint ordonna de rendre la liberté au souverain pontife moyennant une rançon de 368.000 écus. Un héraut d'armes de France vint en Espagne déclarer officiellement la guerre à l'empereur. Celui-ci le reçut sur son trône, entouré de toute sa cour, et là, solennellement, lui répondit que le roi de France ayant manqué à sa parole n'était qu'un lâche, et que s'il vouloit dire le contraire, il le lui maintiendroit de sa personne à la sienne. C'était une provocation. Quand le héraut fut revenu en France rapporter cette réponse, François Ier reçut aussi sur son trône, entouré de toute sa cour, non moins solennellement, l'ambassadeur de l'empereur, Granvelle, et lui rappelant les termes de l'insulte que Charles-Quint venait de proférer, il chargea Granvelle de dire à son maître que celui-ci en avoit menti par la gorge, qu'il l'appelait en duel. Etrange épilogue de ce drame qu'eût été le combat en champ clos des deux souverains ! Bien que l'empereur eût riposté que son adversaire était lui-même un menteur et qu'il acceptait la rencontre sur la Bidassoa, le duel n'eut pas lieu ; il y eut des obstacles secondaires ; à la vérité ils n'y tenaient ni l'un ni l'autre.

Lautrec s'avança, occupa les Etats pontificaux, conquit le royaume de Naples sans rencontrer de grande résistance et vint mettre le siège devant cette ville. Il eût pu la prendre, la mer étant tenue par un des plus habiles et des plus réputés marins du temps, le Génois André Doria, que François Ier avait à ses gages depuis longtemps. Malheureusement François Ier blessa Doria par de nombreuses imprudences, l'irrita par des menaces inconsidérées, et l'autre, ulcéré, passa à l'empereur ; Naples ravitaillée fut en mesure de résister au siège. Comme toujours, l'armée française fondit peu à peu, décimée par les maladies, la famine, l'absence d'argent. Lautrec lui-même atteint, mourut ; les débris de ses troupes, moins d'une dizaine de mille hommes, s'en allèrent errants et furent faits prisonniers dans Aversa. Le nouvel effort n'avait servi à rien. L'Italie entière demeurait à l'empereur.

Louise de Savoie chercha alors à s'interposer afin d'amener la paix entre son fils et Charles-Quint. Il y avait huit ans que durait la lutte. Ne pourrait-on donc y mettre un terme ? Elle s'adressa à l'archiduchesse Marguerite, gouvernante des Pays-Bas, tante de l'empereur, qui accepta d'essayer. Les deux princesses convinrent des bases sur lesquelles on pourrait traiter ; les bases étaient toujours les mêmes : renonciation de la France à l'Italie, à la Flandre, à l'Artois, mais on suppliait Marguerite de décider Charles-Quint à renoncer à la Bourgogne. Vingt fois les négociations manquèrent être rompues. A force de patience, l'archiduchesse parvint à convaincre son impérial neveu que mieux valait abandonner cette Bourgogne qu'à aucun prix les Français ne voulaient laisser, et rester maître incontesté de l'Italie, qui, sans cela, se soulèverait perpétuellement. Avec une peine infinie, Charles-Quint enfin se décida. Les enfants de François Ier, il consentit à les rendre | moyennant une rançon de deux millions d'écus d'or. Les deux princesses avaient discuté à Cambrai ; ce fut la paix de Cambrai, dite aussi la paix des dames à cause des négociatrices ; elle fut conclue le 3 août 1529. Lorsque les petits princes revinrent d'Espagne et racontèrent à leur père la façon dont ils avaient été traités, François Ier en éprouva une colère violente. Les souffrances de ses enfants, jointes au souvenir cruel de celles qu'il avait endurées lui-même à Madrid, laissaient dans son cœur une haine invincible contre l'implacable adversaire. Il signait la paix, mais c'était en attendant qu'il pût reprendre la guerre pour se venger. Ce qui s'est passé, écrivait l'ambassadeur vénitien Giustiniano, a tellement irrité les haines et exaspéré le roi qu'il ne parle jamais de ces choses sans montrer un grand courroux et un violent désir de vengeance.

Mais cette fois il prendrait son temps ; il se préparerait lentement, à bon escient ; puis il fallait laisser le royaume respirer. On commença par une longue campagne diplomatique destinée à isoler petit à petit politiquement l'empereur. François Ier envoya solliciter les États italiens, le pape, le roi d'Angleterre : le terrain était excellent. Cette toute-puissance impériale qui dominait l'Europe était un cauchemar pour tous ceux qui appréhendaient d'en être les victimes. Clément VII, particulièrement, et les cardinaux, qui gardaient le souvenir terrifiant du sac de Rome, étaient prêts à toutes les alliances contre l’ennemi détesté. L'entente fut si parfaite que l'on convint même d'un mariage entre le fils de François Ier qui devait être le roi Henri II et une petite cousine du pape, Catherine, duchesse d'Urbin ; ce mariage allait se faire et cette Catherine n'était autre que Catherine de Médicis, fille de Laurent de Médicis, qui avait alors treize ans, le même âge que son tout jeune fiancé. Une entrevue eut lieu à Marseille entre Clément VII et le roi de France, François Ier revenant toujours à l'idée lancinante du Milanais, le pape consentant à ce qu'il reconquît la province perdue.

Une entrevue eut lieu aussi avec Henri VIII. Moyennant de l'argent, on décida ce prince égoïste et intéressé à ce qu'on voulut. L'alliance fut assurée.

Allant cette fois plus loin encore, François Ier songea à gagner l'appui des princes allemands, adversaires de l'empereur. Au milieu des luttes occasionnées par le progrès du luthéranisme, les princes allemands, partisans de la nouvelle doctrine, avaient dû, pour se défendre contre les entreprises de Charles-Quint et des princes catholiques, s'unir entre eux à Smalkade en 1530. Le roi très chrétien osa leur proposer défaire cause commune avec lui. Ils acceptèrent. Mais quoi ? Les théologiens expliquaient à François Ier que le droit naturel et les canons permettaient à chacun tous les moyens de défense lorsqu'on était gravement menacé. En vertu de ce principe François Ier alla plus loin encore : il eut recours aux Turcs eux-mêmes ; nouveauté hardie ! Pour la première fois le sultan entrait dans le concert des puissances de l'Europe ! François Ier expédia à Constantinople Rincon afin de prendre langue ; en 1534, un amiral ottoman, Khaïr Eddin Barberousse vint en ambassade en France et en 1535 un autre ambassadeur français, La Forest, se rendit près du grand turc Soliman. C'était le point de départ de relations qui ne devaient jamais cesser. L'Europe fut un peu surprise. Les Français, écrivait un ambassadeur italien, trouvent cette alliance aussi honteuse qu'elle l'est en effet, une tache ignominieuse. Le sentiment inconscient d'un équilibre européen nécessaire se faisant jour, l'emploi de moyens efficaces sans autre considération que l'intérêt politique semblait s'imposer en même temps.

Aux innovations politiques le gouvernement de François Ier ajouta les innovations militaires. L'ancien système de recrutement consistait à confier à un capitaine le soin de recruter une bande de 300 hommes qu'il allait prendre n'importe où, souvent à l'étranger. Le 24 juillet lo34 on créa, sur le modèle des Romains, 7 légions d'infanterie, chacune à 6 compagnies de 1.000 hommes et on affecta ces 7 légions à chacune des provinces de Normandie, Bourgogne, Languedoc, Bretagne, Picardie, Dauphiné et Guyenne. C'étaient 42.000 hommes d'infanterie dont 30.000 armés de piques ou de hallebardes et 12.000 d'arquebuses : l'origine de nos vieux régiments.

Tout étant prêt, la mort du duc de Milan, François Sforza, en 1535, fut le prétexte que choisit François Ier afin de reprendre les armes contre l'empereur. Il réclama le Milanais ; le duc de Savoie Charles III lui faisant des difficultés, il commença par occuper la Savoie et le Piémont qu’envahit l'amiral Chabot de Brion. Charles-Quint n'avait pas été sans comprendre dès le lendemain de la paix de Cambrai que la guerre n'avait été qu'interrompue. Informé des campagnes diplomatiques de son adversaire et de leur succès, il en avait été vivement irrité et s'était aussi préparé militairement de son côté. Il accepta résolument la guerre. Avec 50.000 hommes il passa les Alpes en 1336 et envahit la Provence, résolu à s'emparer de Marseille. L'armée française chargée de le contenir avait été mise sous les ordres de Anne de Montmorency, homme prudent et circonspect. Celui-ci, sans accepter de rencontre, dévasta systématiquement le pays devant les envahisseurs, enfouit le blé et le vin, démolit les moulins, et lorsque l'armée impériale s'avança, elle ne trouva pas de quoi se nourrir. Aix fut pillée ; mais Marseille, Arles, Tarascon, fortement remparées, armées, amplement munies de provisions et de soldats, attendaient. Charles-Quint se heurta à ces barrières pendant que Montmorency demeurait en observation sur le Rhône. Il tenta l'impossible pour enlever Marseille qui tint bon. Son armée mourant de faim s'émiettait. Après deux mois de séjour. Montmorency toujours impassible dans son camp de la Durance, Charles-Quint se décida à s'en aller ; il rentra piteusement en Italie, n'ayant rien fait.

Les choses traînèrent dans un état d'impuissance et de lassitude générale des deux côtés. Anne de Montmorency mis en vedette par le succès de sa tactique défensive, força d’une attaque brillante le Pas de Suse, accompagné du dauphin Henri ; mais le 16 novembre 1537 les deux adversaires, ne pouvant rien faire, signaient à Monçon une trêve de trois mois sur les bases du statut quo. Que pouvait-on tenter de part et d'autre ? Il fut convenu qu'une entrevue aurait lieu entre l'empereur, le pape et le roi de France, entrevue dans laquelle on tâcherait de faire à nouveau la paix. A cette entrevue, en 1538, on constata qu'il était impossible de s'entendre sur un projet définitif. Une nouvelle trêve fut signée, celle-ci pour dix ans, en vertu de laquelle François Ier gardait provisoirement la Savoie, l'empereur provisoirement le Milanais et un peu d'accalmie succéda aux haines et aux hostilités précédentes.

L'accalmie fut même telle, que l’année suivante, les habitants de Gand s'étant révoltés contre leur souverain, Charles-Quint, embarrassé pour gagner la Flandre, osa demander à François Ier la permission de traverser la France. François Ier s'empressa d'accepter. Partout, sur ses ordres, on fit au souverain si détesté, la réception cordiale et somptueuse que des Français savent mettre à pratiquer leur vertu chevaleresque d'aimable hospitalité. A Bordeaux, Poitiers, Châtellerault, Blois, Orléans, ce furent des arcs de triomphe, des harangues, des fêtes de toutes sortes. Par bravade à l'égard de ses conseillers inquiets qui lui prédisaient les pires catastrophes, l'empereur n'était accompagné que de 20 à 23 gentilshommes et de 50 chevaux. L'entrée eut lieu à Paris avec un éclat magnifique. Charles-Quint logea au Louvre et assista à des séries de banquets et de joutes. Il put gagner la Flandre sans encombre. On l'avait accueilli avec des sourires et de gracieuses paroles ; au fond des cœurs trois blessures restaient saignantes : le souvenir des duretés de Madrid, l'appréhension de cette excessive puissance européenne, le regret du Milanais perdu.

Aussi, lorsque cinq ans après, en 1544, deux ambassadeurs de François Ier, Rincon et Fregose furent traîtreusement assassinés sur les bords du Pô par des soldats impériaux, François Ier profita de cet événement pour rompre de nouveau avec l'ennemi abhorré et l'attaquer. Un jeune prince, le duc d'Enghien, frère du roi de Navarre, Antoine de Bourbon, et oncle du futur Henri IV, fut mis à la tête d'une armée qui passa les Alpes et le 14 avril 1544, allait remporter sur le général impérial marquis du Guast la brillante victoire de Cérisole. On se rappelle avec quelle verve Monluc, qui était dans les troupes françaises, raconte comment il fut chargé d'aller en France demander la permission de livrer la bataille, la peine qu'il eut à l'obtenir du conseil malgré un emportement et une faconde méridionale qui enchantaient François Ier, et le récit qu'il a écrit de ce beau fait d'armes. Après quelques tentatives peu efficaces de campagne sur les frontières du nord et du midi, en Picardie et en Lorraine, les deux souverains conclurent à nouveau la paix, celle de Soissons ou de Crépy-en-Valois, aux termes de laquelle le deuxième fils du roi de France, Charles duc d'Angoulême, épouserait une nièce de l'empereur qui aurait en dot le Milanais ; le duc de Savoie reprendrait ses Etats le jour où le fils du roi de France entrerait en souverain dans Milan.

Dans cette dernière campagne le versatile Henri VIII s'était prononcé pour Charles-Quint. II fallut se battre contre lui ; il y eut quelques essais de lutte dans le nord sur terre et sur mer ; par mer on alla débarquer dans l'île de Wight ; sur terre, on livra quelques combats. Henri VIII finit par traiter à Ardres moyennant 800.000 écus pourvu qu'il rendît Boulogne et le Boulonnais. Tout le monde était fatigué !

Henri VIII ne survécut pas longtemps à ce dernier épisode ; il mourait assez rapidement, en 1547. Très frappé par cette disparition d'un homme qui était à peu près son contemporain, François Ier n'allait pas tarder lui-même, cette même année 1547, âgé de cinquante-trois ans, à disparaître à son tour, découragé et accablé par un règne de trente-deux ans qui avait compté plus d'heures tristes que de moments heureux et laissait le souvenir amer d'une suite de désastres autrement impressionnants que les satisfactions et les joies, au moins dans le domaine politique.

 

SOURCES. Catalogue des actes de François Ier, 1887 et suiv. ; Marlin du Bellay, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat ; Louise de Savoie, Journal, même édition ; Comptes de Louise de Savoie et de Marguerite d'Angoulême, éd. A. Lefranc, 1903 ; Marguerite d'Angoulême, Lettres, éd. Génin, 1841 et 1842 ; Journal de Jean Barrillon, secrétaire du chancelier Duprat, éd. de Vaissière, 1897 ; Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier, éd. Lalanne, 1854 ; Chronique du roi François 1er de ce nom, éd. Guiffrey, 1860 ; Monluc, Commentaires et lettres, éd. de Ruble, 1864 : Brantôme, Œuvres complètes, éd. Lalanne : Captivité du roi François Ier, éd. A. Champollion-Figeac ; Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, 1838 ; Alberi, Relazzioni degli ambaciatori veneti al senato, 1839.

OUVRAGES. R. de Maulde, Louise de Savoie et François Ier, 1895 : de Lescure, François Ier, 1878 ; P. Paris, Études sur François Ier, 1885 ; B. Zeller, Claude de France, 1892 ; Mignet, Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, 1870 ; Baumgarten, Geschichte Karls V, 1885 ; A. Lebey, Le connétable de Bourbon, 1904 ; A. de Barral, Le camp du Drap d'or, 1879 ; Gachard, La captivité de François Ier et le traité de Madrid, 1860 ; Jacqueton, La politique extérieure de Louise de Savoie, 1892 ; Décrue, Anne de Montmorency grand maître et connétable de France, 1885 ; A. Spont, Marignan et l'organisation militaire sous François Ier (Rev. des quest. hist., 1899).