LA VIE INTIME D'UNE REINE DE FRANCE AU XVIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE VIII. — LES FINANCES DE LA REINE.

 

 

Les souverains, en France, au début du XVIIe siècle, ne disposent pas à leur gré des revenus de l'État. — Rigueur de la comptabilité publique. — Henri IV fixe à 400.000 livres le budget annuel de Marie de Médicis. — Détails de ce budget minutieusement spécifiés d'avance par chapitres. — Les excédents de dépenses de la reine atteignent en réalité le double de ces crédits et sont causés surtout par des achats de bijoux. — Colères d'Henri IV ; son avarice. — Attitude désobligeante de Sully qui multiplie les difficultés dans les règlements de comptes. — Moyens compliqués qu'emploie le roi pour payer les dettes de Marie : les maîtrises, les édits de créations d'offices, rendus illusoires par l'opposition des gens de finances. — Réduite aux abois, la reine a recours aux expédients ; elle fait de l'armement ; elle commandite ; elle brocante ; elle met au mont-de-piété ; elle emprunte à ses domestiques. — Rigueur de la Chambre des comptes. — Devenue régente, Marie de Médicis augmente son budget des revenus de son douaire ; elle achète des terres pour développer ses ressources. — Mais ses dépenses croissent jusqu'à atteindre un million de déficit annuel ! — Les affaires secrètes. — Comment Marie se procure de l'argent : les pots-de-vin ; pillage du trésor de la Bastille. — Règlement de dettes ; prodigalités ; placements à l'étranger.

 

Fastueuse dans ses goûts et dépensière, Marie de Médicis, comme tous ceux dont les ressources ne sont pas aussi illimitées que leurs fantaisies, a connu les pires misères des budgets embarrassés, dettes, expédients et même procédés indélicats ! Les souverains, en France, au début du XVIIe siècle, ne disposent pas à leur gré de l'ensemble des revenus de l'État. Chaque recette est affectée à des dépenses précises : il y a des règles de comptabilité suivies. Si le roi s'avise de détourner à son usage personnel partie des fonds qui ne doivent pas normalement être mis à sa disposition, il se heurte à la coalition des forces passives : comptables n'obéissant pas, cours souveraines refusant d'enregistrer, chambres des comptes multipliant les remontrances et rayant des bordereaux les sommes détournées de façon à ce que les agents du trésor en demeurent personnellement responsables. Il ne reste au roi qu'à imaginer de nouveaux revenus, moyen plus légal, sinon plus aisé. Ce que le roi ne peut pas faire, pratiquement la reine, qui ne dispose d'aucune autorité effective, le peut encore moins. Elle n'a pas d'ordres à donner aux trésoriers de l'Etat. Désirant obtenir une faveur du surintendant des finances, elle doit solliciter celui-ci presque comme une particulière. La souveraine dispose sur le budget annuel de l'Etat — ce que l'on appelle en ce temps l'État général par estimation des dépenses — d'une somme fixe destinée à payer les frais de sa maison, son entretien, ses plaisirs. Au delà de cette somme elle n'a droit à rien. Ses crédits se trouvant dépassés, force lui est de réclamer du roi un don gracieux afin de combler le vide. Le roi prendra cet argent sur le fond de sa caisse destinée aux libéralités et qu'on appelle acquits au comptant ; ou bien il inventera une recette exceptionnelle ; ou bien il laissera le déficit au compte de la princesse, et alors celle-ci se trouve débitrice à l'égard de ses propres trésoriers de sommes s'accumulant d'année en année ; pitoyable situation dont Marie de Médicis, devenue reine régente, sortira en usant délibérément de sa toute-puissance pour liquider le passé[1].

 

Henri IV rit beaucoup, au moment de son mariage, lorsque la cour de Florence, mal instruite des rigueurs de la comptabilité en France, persuadée qu'avec un contrôleur italien Marie de Médicis serait mieux maîtresse des deniers de son budget demanda au roi de laisser prendre à la princesse un comptable florentin, assurant Sa Majesté que la future reine était una buona menaggiera, une bonne ménagère. Se défiait-il ? Avait-il déjà de bonnes raisons de n'en rien croire ? Il répondit évasivement, puis choisit un Français consciencieux, M. Florent d'Argouges.

Parcimonieux de sa nature, préoccupé avec Sully de maintenir la plus grande régularité dans ses finances, Henri IV prit des mesures pour que le budget de la reine fut tenu avec une extrême exactitude. Tout bien pesé, il en fixa la somme annuelle à 400.000 livres. Et d'abord la reine ne fut pas libre de repartir les 400.000 livres à son gré.

Depuis de longs siècles, depuis le moyen âge, la spécialisation détaillée de chaque article des comptes de ce qu'on appelait jadis l'hostel de la reine était un principe rigoureux. Il fallait que chaque dépense fût prévue méticuleusement d'avance. Pour la nourriture, les gens devaient préciser bien exactement, par le menu, et par chapitres séparés, pain, vin, chair, poisson, bois, rôt, pâtisserie, épicerie, fruit, herbes, sel, cire, chandelle ; distinguer les jours gras des jours maigres et les jeûnes ; évaluer le chiffre des bouches à nourrir, totaliser par jour, par mois, par année. En ce qui concernait le personnel, l'état général des officiers de la maison était communiqué à la Cour des aides, régulièrement et ne pouvaient être payés que ceux qui figuraient authentiquement sur les contrôles. Ces principes, on les maintint étroitement pour les finances de la nouvelle reine. La vérification des dépenses de Marie de Médicis fut assurée par une infinité de paperasseries[2].

En décembre, les bureaux préparaient les éléments du budget de l'année suivante. L'état, vu et signé de la reine, était porté au conseil des finances qui le révisait avec soin, équilibrait l'ensemble, s'assurait de la sincérité de chaque article, faisait telle modification qu'il jugeait utile, puis le tout soumis au roi et approuvé par lui était renvoyé au trésorier de l'Épargne, lequel était chargé de faire porter, à la fin de chaque mois, au maître de la Chambre aux deniers de la reine, au caissier, le douzième voulu. Chaque chef de service recevait alors copie sur parchemin du chapitre du budget le concernant et son devoir était de s'y conformer étroitement, sous la surveillance des contrôleurs, dressant avec soin la liste de ses dépenses, dont l'écrou était arrêté à la fin de chaque mois. Si des déficits se produisaient, par exemple lorsqu'il venait aux tables plus de gentilshommes qu'on n'en attendait, ou bien que quelque imprévu occasionnait un surcroît de frais, le contrôleur devait, pour y faire face, utiliser les reliquats, les excédents de recettes obtenus ailleurs : c'était la grosse affaire. S'il n'y avait aucun moyen de trouver des moins-values quelque part on se résignait à avouer l'excès de la dépense et à solliciter une nouvelle imputation de crédits sous forme d'assignations nouvelles, procédure lente, compliquée, difficultueuse. Les règlements prévoyaient enfin qu'il pût demeurer à la fin de l'exercice des crédits non employés, des deniers revenans bons ; d'avance, des destinations étaient attribuées à ces sommes ainsi économisées, on s'en servait pour refaire des meubles, remplacer le vieux matériel usé[3].

Un pareil détail dans les prévisions des dépenses et l'emploi des fonds avec le contrôle qui raccompagnait, mettaient Marie de Médicis dans l'impossibilité de détourner un seul écu de son budget.

Les 400.000 livres qui lui étaient données furent réparties en une douzaine de chapitres.

D'abord figuraient les dépenses de la maison elle-même, à savoir la nourriture du personnel et de Sa Majesté, ainsi que les fournitures matérielles : ceci comptait pour 156.000 livres et était dit : dépenses de la Chambre aux deniers. Les gages du personnel proprement dit montaient au total de 72213 livres, plus ceux des gens de l'écurie qui représentaient 14 264 livres, et ceux de la musique qui étaient de 9.000 livres. L'écurie, chevaux, carrosses et le reste, prenait 60.000 livres.

Marie de Médicis touchait 3.000 livres par mois pour ses menues dépenses personnelles — nous dirions argent de poche. — C'étaient 36.000 livres par an, somme importante, puisque toutes les autres dépenses étaient par ailleurs payées. L'article des habits, costumes ordinaires et vêtements de fêtes, ballets, réceptions, confondu dans les dépenses afférentes à l'entretien de l'appartement de la princesse, portait le nom d'argenterie ordinaire et argenterie pour la personne de la reine ; le chiffre prévu était de 28.000 livres. Pour ses voyages, Marie avait droit à 17.500 livres, sur lesquelles elle pouvait prendre de quoi accorder quelques gratifications et des récompenses. Si la somme ne suffisait pas, elle était autorisée à imputer le surplus sur les 60.000 livres de l'écurie. Figuraient enfin à part, dans le budget, les pensions octroyées à la dame d'honneur, 6.000 livres, à la dame d'atour, 6.000, au chevalier d'honneur, 2.400, et enfin, l'indemnité, les épices attribuées à Messieurs de la Chambre des comptes pour examiner la comptabilité de la souveraine, 1.446 livres[4].

Or en dix ans, de 1601 à 1610, Marie de Médicis n'a su rester dans les limites de ce budget de 400.000 livres qu'une seule fois, l'année qui a suivi celle de son mariage, 1602 ! Les neuf autres années elle les a dépassés dans des proportions surprenantes ! Il semble que l'échelle de ses excédents trahisse quelque vague préoccupation, après une année de dépenses trop fortes, de revenir à une modération relative, soit qu'elle-même se trouve effrayée de l'allure de ses dépenses, soit que le roi se fâche ; puis, l'année suivante, le chiffre monte plus haut, la velléité, sinon d'économie, au moins de prudence, n'ayant pas duré. La première année, 1601, le déficit est de 74.000 livres. Il est de 35.000 en 1603 ; de 157.000 en 1604 ; de 29.000 en 1605 ; de 318.000 livres en 1606 ; et avec des oscillations diverses, de 61000 en 1607 ; 222.000 en 1608 ; 141.000 en 1609 ; 470.000 en 1610 ! plus du double du crédit normal ! Il est vrai que cette année-là Henri IV est mort. Devenue maîtresse de l'Etat, Marie de Médicis ne comptera plus guère, puisqu'elle a les moyens royaux d'inventer des recettes et à partir de ce moment les excédents grandiront à vue d'œil[5].

 

Ce ne sont pas, jusqu'en 1610, les chapitres ordinaires du budget de la maison qui croissent et se développent de la sorte ; la nourriture et la fourniture se maintiennent aux mêmes prix ; le personnel, qui est peu payé, comme nous l'avons vu, n'augmente pas et l'écurie reste toujours la même. A la rigueur, les toilettes ne sont pas plus dispendieuses qu'il ne convient et le crédit qui les concerne, 28.000 livres, suffit. En fait de dépenses supplémentaires, la reine, propriétaire du château de Montceaux, a des réparations à y faire faire, quelques constructions qui n'ont rien d'exagéré, et Henri IV consent à lui allouer une recette spéciale pour cet objet. Ce qui la ruine, c'est son goût effréné pour les bijoux[6].

Les longues et interminables notes que celles qu'à chaque pas on rencontre des orfèvres et des joailliers ! Tous les ans la liste enfle démesurément. Valeur des objets et nombre de pièces, tout contribue à rendre la dépense exorbitante. Nous l'avons vu précédemment, la reine prendra sans hésiter deux diamants de 28.000 livres, quatre de 30.000. Elle n'hésitera pas à se rendre acquéreur de numéros ruineux tels qu'une croix d'or de 18.000 livres, un diamant de 75.000, un bracelet de 360.000, tout en diamants ! Les mémoires des marchands se renouvellent allongeant leurs listes de vingt, trente articles dont le total représente une profusion inimaginable. Comment avec un fond annuel de 36.000 livres destinées aux menus plaisirs, faire face à l'achat de diamants aussi dispendieux et aux multiples emplettes de bijoux ? Voilà comment le crédit de 400.000 livres est incapable de suffire aux goûts exagérés de la princesse. Quoique reine de France, Marie de Médicis, aux prises avec les embarras financiers résultat de ses dépenses inconsidérées, a été contrainte de subir les remontrances de ses trésoriers se fâchant et refusant d'avancer des sommes dont ils étaient ensuite responsables ; les colères d'Henri IV opposant toutes les difficultés possibles à payer ses dettes ; la coalition des cours souveraines, chambres des comptes, parlements, cours des aides, ne voulant pas lui faciliter le paiement de ce qu'elle devait. Elle comprend elle-même que ses besoins sont trop supérieurs à ses ressources. Hélas ! gémit-elle, en écrivant à un Italien, Giovannini, qui lui demande 12.000 écus : de penser que je puisse débourser cette somme, outre ce qu'il y va de la conscience, c'est chose que mes affaires ne peuvent permettre, car vous savez que ce qui est ordonné pour la dépense de ma maison n'y peut seulement suffire ! Je suis redevable de grandes sommes pour plusieurs extraordinaires que j'ai faites et que je suis contrainte de faire journellement. Et répondant aux réclamations de son trésorier général, M. Florent d'Argouges, qui appelle son attention sur les notes qui s'accumulent, elle s'écrie désespérée : Je ne sais où prendre de quoi acquitter ces dettes ![7] Elle ne sait où prendre de quoi payer parce que la seule porte à laquelle elle puisse frapper s'obstine à rester fermée, ou, si elle s'ouvre, ne s'ouvre que dans des conditions dérisoires. Vous savez mieux que nul autre, mande-t-elle au fidèle d'Argouges, les grandes sommes dont je suis redevable, les grandes peines et presque l'impossibilité que j'ai de tirer des gratifications ou bienfaits du roi, Monseigneur, pour y satisfaire ; et elle ajoute tristement : tellement qu'il faudra, par nécessité, que je sois contrainte de régler ma dépense !

Moitié riant, moitié, au fond, très sérieux, Henri IV se refuse en effet péremptoirement à augmenter les recettes de la reine. Si les dettes deviennent trop criantes et qu'il soit obligé de céder, il s'y prend ensuite de façons si peu simples que Marie de Médicis a autant de mal à recouvrer les sommes octroyées qu'elle en a eu à obtenir la concession royale. La mauvaise volonté du roi tenait à plusieurs raisons. C'était d'abord chez lui politique. Il pensait bien ne restaurer l'État qu'au moyen de beaucoup d'argent et cet argent il ne l'aurait qu'en pratiquant et faisant pratiquer autour de lui d'étroites économies. Ensuite, tout à l'opposé de sa femme, il était, lui, très économe, très près regardant et même avare. Les misères des temps héroïques lui avaient appris la valeur des écus ; il savait les ménager ; il voulait qu'on ne les gaspillât pas. Il poussait ce souci jusqu'à un point tel qu'il scandalisait ses contemporains ! Son avarice est abominable ! abominevole, s'écriait le résident florentin : c'est un ladre vert ! déclarait d'Aubigné ; et les étrangers relevaient le vif mécontentement que cette parcimonie exagérée provoquait dans le public. Informé des bruits qu'on faisait courir sur son avarice, Henri IV, il est vrai, s'indignait. Une fois, de colère, il ordonna à Sully de publier, pour faire taire les bavards, la liste des dettes du royaume qu'il avait à payer et que Ton réglait peu à peu, tous les ans. Sully additionna plus de 307 millions, sans parler des frais des traités de la ligue s'élevant à 32 millions[8]. En ce qui concernait Marie de Médicis, Henri IV ne protestait pas moins contre les reproches qu'on lui adressait de ne pas faire assez pour elle. Comment ! disait-il un jour à Sully, mais j'use de plus de dons et gratifications envers ma femme que jamais roi de France n'a fait envers la sienne, soit pour l'ordinaire de la maison, soit pour les bienfaits extraordinaires ! Et il poursuivait : Vous le savez bien, vous, puisque vous la favorisez et que votre femme lui sert de solliciteuse ! Et il était vrai, en partie, qu'Henri IV accordait à la reine plus qu'on n'avait accordé avant lui à autre reine de France ; mais c'était que les précédentes reines vivaient plus modestement et que celles qui avaient été magnifiques, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis, avaient eu de riches dots, des biens personnels considérables qui leur permettaient de dépenser royalement. Quant à ce que Sully secondât la reine dans ses réclamations et que la femme du surintendant servît d'intermédiaire pour transmettre les demandes de la souveraine, l'affirmation eût bien surpris la reine si celle-ci en eût eu connaissance[9] !

M. de Sully favorable ! Mais c'était, au contraire, l'humiliation de la princesse que d'avoir à solliciter le ministre désagréable, à le supplier comme elle était obligée de le faire ; à subir ses refus dénués de bonne grâce, presque de courtoisie ; à affronter son humeur acariâtre ! Ce gros homme farouche, au front chauve, à la grande barbe, au regard dur qui vivait seul là-bas, à l'Arsenal, dans un cabinet sévère, orné des portraits austères de Luther et de Calvin, toujours travaillant, toujours en affaires, était insupportable à tout le monde ! Il recevait les gens sans se lever, sans cesser d'écrire, sans les faire asseoir, refusant sèchement ce qu'on lui demandait : Mais c'est une bête ! e una bestial s'écriait un ambassadeur italien sortant de chez lui outré ! — Il a la coutume ordinaire d'offenser tout le monde ! disait le prince de Condé ; et un étranger écrivait : Il est si superbe, si altier, si insolent et orgueilleux qu'il n'estime plus être humain ! Personne ne venait de chez lui pour quelque audience qui ne proférât des injures furieuses à son adresse : quello animale ! quel animal ! faisait Vinta, le ministre du grand-duc de Toscane en mission à Paris ; c'est un palefrenier ! ajoutait M. de Gondi ; un monte di bestie ! renchérissait Giovannini. Quand on parlait au roi de son surintendant, Henri IV riait : Qu'est-ce que paierait le grand-duc votre maître, répondait-il, gaussant, à l'envoyé florentin, pour avoir un pareil ministre ? Tout de même, observait l'autre, e troppo terribile, per non dir altro ! En réalité Henri IV tenait à Sully parce que le surintendant était très bon administrateur, ménager des deniers publics, rude à l'égard de ceux qui malversaient. Il avait bien à supporter, comme chacun, l'humeur désagréable du personnage, et il est probable que, s'il eût vécu, il eût fini par se défaire de lui tant il lui trouvait le caractère difficile ; d'ailleurs il soupçonnait la netteté de ses mains. Mais, provisoirement, sa confiance dans son jugement était entière. Au conseil des ministres le surintendant avait généralement le dernier mot et le roi ne faisait rien sans le consulter[10].

M. de Sully s'était parfois servi de l'intermédiaire de la reine pour demander au roi quelque faveur qu'il n'osait pas solliciter en face. Il avait de la sorte quémandé la place de Saint-Maixent que, d'ailleurs, Henri IV ne lui avait pas donnée. Mais toutes les fois que Marie de Médicis avait tâché de faire agir M. de Sully, c'était le surintendant qui s'était toujours dérobé. Même pour des affaires courantes le peu de souplesse du ministre, sa mauvaise volonté, ses réponses désagréables avaient fini par indigner la princesse. Elle se plaignait amèrement au roi. Doucement Henri IV cherchait à la calmer, lui conseillant de ménager le ministre, de le traiter avec prudence, de le prendre par de bonnes paroles. Elle s'irritait alors : Avait-elle donc un autre maître que le roi ? Etait-elle donc obligée de faire la cour à Rosny ? fare la corte a Rosny ? Peut-être y avait-il en une certaine mesure de sa faute et l'attitude du surintendant était-elle due, en partie, aux maladresses de la souveraine. L'envoyé florentin écrivait : La reine se plaint de Rosny, mais d'abord Rosny était tout à elle, tulto suo, elle l'a refroidi et blessé, ainsi que sa femme, en ne tenant pas compte d'eux. Elle profite mal des conseils et ne sait pas se gouverner ; elle aurait pourtant grand besoin de se faire des amis ! Humeur difficile du ministre ou imprudence de la reine, les relations des deux personnages étaient aigres[11].

Les comptes s'en ressentirent. Sully avait beaucoup de moyens d'être désagréable à la souveraine, tous aboutissant à ne pas donner d'argent : par exemple il retardait le paiement des mensualités du budget ordinaire ; en fin d'exercice il cherchait à rogner 1.000 écus ; il fallait que la reine écrivît des lettres pour que le trésor acquittât ce qu'il devait. Lorsqu'une recette exceptionnelle était octroyée à Marie afin de payer une dette, la princesse passait contrat avec un individu quelconque, lequel donnait comptant une somme fixe et s'arrangeait pour percevoir la recette à ses dépens, la somme à recouvrer étant supérieure à celle qui était livrée à la reine. Ces contrats devaient être contresignés par le surintendant : le surintendant ne contresignait pas. Deux mois, trois mois se passaient. L'individu avec qui on avait traité se fâchait, menaçait de résilier et la reine désolée était obligée d'écrire au ministre des lettres suppliantes : il y va de ma réputation ! gémissait-elle[12].

Une fois convaincu de la nécessité de donner des fonds à Marie de Médicis pour éteindre ses dettes, Henri IV commençait par refuser tout don d'argent pur et simple. Le procédé eût été trop commode, en vérité, le trésorier général de la reine n'ayant qu'à aller toucher au trésor. Le roi, dans une heure d'épanchement avec les filles d'honneur de la souveraine, osait avouer le motif de cette détermination : Je ne veux pas donner un sou à la reine, disait-il, parce que tout irait dans la bourse du signor Concini ! La cause véritable était qu'il ne voulait pas encourager sa femme à demander de l'argent par une trop grande facilité à recevoir celui-ci et, d'autre part, qu'il réservait les acquits au comptant pour ses maîtresses ! A peine une fois, au début de l'année 1605, se décidera-t-il à faire cadeau à la reine de 30000 livres ; mais la même lettre qui priait Sully de délivrer à Marie de Médicis cette somme lui ordonnait de mettre à la disposition de Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret, 9.000 livres ! Tout l'argent liquide allait aux amies ; la reine n'avait pour elle que des ressources aléatoires qu'il fallait percevoir difficilement, avec des risques nombreux[13].

A certaines heures particulièrement critiques, Marie de Médicis eut l'idée de faire appel à la générosité du grand-duc de Toscane, son oncle. Elle lui disait qu'elle avait recours à lui comme à son père. Par intérêt et par pitié, le grand-duc se laissait fléchir. Henri IV, informé, en conçut une grande irritation et de la honte, molta vergogna. Il crut devoir s'excuser auprès de l'envoyé florentin en mettant la pénurie de sa femme sur le compte de la mauvaise volonté de ses ministres, quei tenaci ministri, qui refusaient toujours à la reine ce que celle-ci réclamait. Ni l'envoyé, ni le grand-duc ne furent jamais dupes[14].

Les ressources aléatoires que le roi consentait à mettre à la disposition de la reine consistaient dans la création, au moyen d'édits, de recettes exceptionnelles que la princesse aurait à recouvrer. Parmi ces créations de recettes il en était une qui revenait de droit, par tradition, à la souveraine, c'était l'institution de maîtrises.

Lorsqu'un apprenti, dans un métier quelconque, voulait passer maître, il devait obtenir des lettres de maîtrise constatant qu'il avait terminé son apprentissage. Il payait un droit au roi. Le nombre des maîtrises étant limité, pour battre monnaie, il n'était que de créer une ou deux maîtrises de plus dans chaque métier sur toute la surface du royaume ; le nouveau maître payant une somme variant de 8 à 20 écus le total recueilli était d'importance. On institua des maîtrises au profit de la reine au moment de son mariage et à l'occasion de la naissance de ses enfants. Pour son mariage Marie de Médicis en eut deux ; à la naissance du dauphin, le futur Louis XIII, quatre ; à celle de chacune des filles, une ; au moment de la naissance de Gaston, en 4608, deux. En dehors du mariage et des naissances, la reine avait également droit à une maîtrise dans chaque ville où elle entrait. Elle alla visiter beaucoup de villes. Malheureusement le résultat fut que le chiffre des maîtrises ayant crû outre mesure, les corporations mécontentes s'arrangèrent de manière que personne n'achetât plus les lettres nouvelles créées. Le roi, préoccupé d'un état de choses qui ruinait pour la reine un moyen accepté de profits extra-réguliers, résolut de réduire d'un coup le nombre des maîtrises et en 1608 révoqua toutes les lettres qui, ayant été données avant son avènement, n'avaient été délivrées que depuis. C'était peu de chose ; ce léger palliatif ne modifiait pas le mal, et Marie de Médicis vit peu à peu s'évanouir le procédé le plus admis et le plus aisé pour elle de se procurer de l'argent[15].

Tous les autres étaient difficiles, compliqués et incertains. Il fallait d'abord en trouver et on va voir quelle imagination était nécessaire afin de découvrir des sources de revenus insoupçonnées, d'inventer des causes d'imposition exceptionnelle. Les inventeurs, il est vrai, ne manquaient pas. Il était toute une classe d'individus suspects, gens d'affaires de moralité douteuse, qui passaient leur temps à venir proposer des combinaisons sur lesquelles, naturellement, ils auraient à toucher un pot-de-vin. A la recherche d'expédients, Marie de Médicis accueillait toutes les propositions. Les grands en recevaient aussi, d'ailleurs, du même genre, concernant, par exemple, des provinces qu'ils avaient en gouvernement et ils sollicitaient du roi l'exécution des idées qu'on leur soumettait. Oh ! le ramas de ces canailles et sangsues de partisans, s'écriait Sully, qui avait en horreur ces gens d'affaires, rapporteurs, dénonciateurs, mouches de cour et donneurs d'avis pour trouver de l'argent à la surcharge du peuple ! Le moyen était bon ; on en jugera par la variété et le nombre des impositions exceptionnelles édictées au profit de la reine[16].

Mais une fois qu'une idée était trouvée et admise par Henri IV, il y avait à dresser un édit. Or, avant d'être signé par Sa Majesté l'édit de création de ressources nouvelles devait être délibéré en conseil d'Etat, première difficulté. Les complications administratives des propositions suggérées à la souveraine étaient souvent telles qu'il fallait bien que les ministres examinassent la question. Les refus, expliqués ou pas, étaient ici faciles. Marie de Médicis, dans la crainte d'une opposition qui pouvait empêcher la réalisation d'un projet, en était réduite à solliciter individuellement chaque membre du conseil, à insister pour qu'il se prononçât dans un sens favorable aux intérêts de la souveraine, à supplier même. Elle écrivait à tout le monde. Les lettres à Sully étaient plus particulièrement pressantes, presque obséquieuses, attendu l'autorité qu'avait au conseil la parole du redoutable surintendant. Elle s'en remettait à lui avec un abandon et une confiance simulés : Je n'entends pas, lui écrivait-elle une fois, que cette affaire se passe autrement que selon ce que vous en ordonnerez et le trouverez à propos. Le conseil ayant enfin donné un avis favorable, l'édit du roi était rendu et un arrêt de ce même conseil en déterminait l'exécution.

Mais alors, autre formalité, les édits devaient être enregistrés par les parlements, ou, suivant les cas, par les chambres des comptes, les cours des aides. A ce moment les difficultés devenaient inextricables. D'elles-mêmes, effet de la tradition, ces cours n'aimaient pas enregistrer des édits représentant, en définitive, des manières d'accroissements d'impôts. Par intérêt pour les peuples, par devoir de conscience, par goût de montrer leur autorité, elles faisaient des remontrances au roi. Le roi insistait en envoyant des lettres de jussion. Les cours répétaient leur refus ; le roi renouvelait ses lettres et les choses allaient des mois, des années durant, jusqu'à ce que l'un des deux antagonistes se lassât. Quelquefois, quand l'affaire en valait la peine, Henri IV se fâchait et la cour qui avait attiré la colère du prince passait un désagréable moment ; le plus souvent il laissait aller et les magistrats, avec le temps, avaient le dernier mot. Ils opposèrent ainsi à tous les dons octroyés à Marie de Médicis l'opposition par inertie la plus obstinée[17].

Malheureusement pour la reine, Henri IV était de connivence avec eux. Par une astucieuse machination il avait combiné avec les cours que lorsque celles-ci recevraient des édits de création d'office en faveur de qui que ce fût, elles pourraient ne jamais les enregistrer, malgré toutes les lettres de jussion du monde, si le roi ou Sully ne leur avaient pas écrit une lettre autographe spéciale les prévenant. Henri IV et son ministre appelaient cette lettre, en riant, le mot du guet. Quand il avait fallu céder aux sollicitations de la reine, le souverain, au moyen de ce procédé, pouvait retirer d'une main ce qu'il semblait avoir donné de l'autre : Vous savez, rappelle-t-il à Sully, dans une circonstance de ce genre, que j'ai défendu aux cours d'entrer en l'enregistrement d'aucun édit si elles n'ont des lettres de ma propre main ou de la vôtre, quelque jussion qu'elles reçussent ou lettres de cachet qui leur fussent adressées[18].

Pauvre Marie ! Que lui servait alors de se donner tout le mal qu'elle prenait afin de décider les diverses compagnies à accepter l'édit soi-disant signé par le roi qu'on leur expédiait ! En 1605 Henri IV lui avait accordé tout l'argent qui pourrait revenir des rachats, sous-rachats, lods et ventes, aubaines et confiscations et autres droits seigneuriaux à échoir en Bretagne durant neuf années. La Chambre des comptes de Nantes refusait de vérifier l'édit. La reine obtint du roi lettres de jussion sur lettres de jussion : rien n'y faisait. Elle écrivit elle-même à tout le monde, premier président, présidents, conseillers, soit quinze lettres : elle plaidait sa cause avec chaleur : Avant moi, expliquait-elle, d'autres ont joui de ce privilège qui n'estoient pas de ma qualité et n'avoient point plus de considération ni de mérite que j'en ai ! La chambre restait insensible et répliquait qu'il fallait au préalable soumettre la question aux États de Bretagne. Nouvelle série de quinze lettres de la reine : Mais les États, ripostait-elle avec vivacité, n'ont rien à voir dans cette affaire qui ne les regarde pas ! Puis alors elle se faisait modeste ; elle jurait qu'elle n'avait pas l'intention de dépenser cet argent pour son usage personnel, qu'elle en avait besoin afin de donner quelques gratifications à des particuliers. Des mois se passèrent, rien ne vint de Nantes. La reine fit lancer de nouvelles lettres de jussion ; elle écrivit à nouveau de longues séries de lettres. Henri IV n'avait pas expédié de missive autographe : elle attendit en vain[19] !

Longue est la liste des propositions de recettes qui ont été ainsi faites à Henri IV par Marie de Médicis et acceptées par lui dans des conditions illusoires.

Les moins compliquées aboutissaient à la création de fonctions publiques nouvelles. Mais les charges se payant en ce temps et tout accroissement du nombre de ces charges amenant la diminution de la valeur des autres, les résistances des corporations dont on lésait les intérêts, provoquées par là comme à plaisir, venaient encore rendre plus malaisée la perception de la recette. Quand il ne s'agit que d'instituer, ce que fait Henri IV en 1604, deux receveurs, deux payeurs et deux contrôleurs de rentes en Normandie, il n'y a que la Chambre des comptes de Rouen qui fasse quelque difficulté pour une question ne la touchant pas d'ailleurs directement. Il n'en va pas de même lorsqu'on 1605 le roi consent à créer au parlement de Rennes deux charges de conseillers. Marie de Médicis a pressé le chancelier de rédiger l'édit, de le sceller, de l'expédier, afin que l'affaire soit promptement dépêchée ; le parlement de Bretagne refuse d'accepter cette augmentation de magistrats. Un an après la signature de l'édit, l'acte n'est pas enregistré. Il finira par l'être, mais au prix de combien d'instances et de prières[20] ! — En 1604 le roi a créé dans les mêmes conditions quatre charges de conseillers aux requêtes au parlement de Toulouse soi-disant pour aider la reine à payer les frais des réparations qu'elle fait au château de Montceaux. Le parlement de Toulouse refuse de vérifier l'édit. Lettres de jussion succèdent encore aux lettres de jussion ; missives adressées par la souveraine à chacun des présidents et conseillers sont expédiées année par année en Languedoc. Trois ans après, en 1607, Marie de Médicis écrivait toujours ses séries de lettres et le roi libellait ses lettres de jussion sans plus de succès. Le parlement a tenu si peu de compte, mandait-elle irritée, en 1608, au premier président de Toulouse, M. de Verdun, des ordres et prières qu'on lui a adressés, que je m'étais résolue de n'en escrire plus et de faire instance pour obtenir une autre assignation au lieu de celle qui m'a esté ci-devant baillée. Mais Henri IV n'a pas voulu donner cette autre assignation. Il n'a pas voulu non plus, ce que proposait la reine, réduire le chiffre des conseillers à créer de quatre à deux. Il a consenti seulement à ce qu'on envoyât une huitième lettre de jussion : peine perdue ! Deux ans après la mort d'Henri IV, en 1612, soit huit ans après la signature de l'édit, l'affaire n'était pas conclue[21] !

Pas plus facile ne fut la question des secrétaires de Navarre. Lorsque Henri IV, roi de Navarre, était devenu roi de France, il avait fallu faire un sort au personnel de l'ancienne petite cour de Pau et Marie avait proposé que les fonctions de secrétaires de la maison et couronne de Navarre fussent érigées en celles de secrétaires de la maison et couronne de France moyennant un droit qu'elle aurait touché ; c'était une affaire de 20.000 livres destinées à payer les dettes dues à son surintendant, M. d'Attichy. Après bien des difficultés, parlement et Chambre des comptes avaient enregistré. La Cour des aides refusa. La place prise dans la correspondance de la reine par les lettres innombrables de prières qu'elle écrit à ce sujet est disproportionnée !

Henri IV avait consenti encore à accorder des offices de secrétaires ordinaires de sa chambre, puis aussi des survivances de secrétaires de la maison et couronne de France ; d'audienciers et contrôleurs de grandes et petites chancelleries, et de secrétaires en icelles ; la princesse se heurta aux mêmes obstacles[22].

A côté de ces créations d'offices proprement dits, quelle variété de ressources imaginées pour venir en aide aux finances obérées de la reine !

Sur la proposition d'un certain Jean Coberet on donne à Marie de Médicis l'argent qui pourra provenir des amendes infligées aux fraudeurs coupables d'avoir volé l'Etat à propos de certain droit : de soixante et quarante sols à payer de chaque quintal de sel mis en vente dans le Languedoc. La souveraine doit en tirer 120.000 livres et Coberet touchera 2.000 livres de commission. En 1605 le roi avait rendu un édit qui autorisait dans toute la Normandie deux individus par paroisse à se libérer d'un certain nombre de charges et impôts moyennant une somme fixe qu'ils paieraient une fois pour toutes ; ces sommes étaient abandonnées à la reine. Un nommé Leclerc se présente, offre 80.000 livres de forfait afin de prendre l'affaire à son compte. On examine la proposition, on hésite ; là-dessus en vient un autre appelé Nicolas Pallier qui propose 160.000 livres, le double : on l'accepte. Pallier devait sans doute y gagner encore largement[23].

Tous les huissiers et sergents qui jusque-là ne pouvaient instrumenter que dans le ressort de leurs parlements respectifs reçoivent la faculté d'agir dans le reste du royaume contre un droit payable à la reine. — Notaires, huissiers et sergents exerçaient en vertu de commissions dressées par les baillis, sénéchaux et prévôts, qui les immatriculaient. On décide qu'il leur sera donné des lettres royales moyennant de nouveaux droits à verser entre les mains de la souveraine. — Les anciens voituriers et fermiers des gabelles du Lyonnais avaient quelques reliquats de comptes à solder et des amendes probables à débourser en raison d'irrégularités vraisemblables dans leurs écritures. Marie de Médicis se fait attribuer ces restes. — En 1605 les officiers des bureaux d'élections du royaume étaient rétablis dans leurs droits et privilèges ; ils doivent acquitter des sommes laissées à la reine. — Quoi encore ? Henri IV consent à donner à sa femme les deniers provenant de la recherche des quatre cas réservés par les lettres d'abolition qu'il a octroyées à ses officiers en l'année 1601, et aussi de la rétention des deniers faits par les officiers et autres commis au recouvrement et recette d'iceux, de quelque nature qu'ils fussent ; — les deniers laissés es fonds tant des recettes générales que particulières du domaine, des aides, tailles, taillons, décimes, clergé, gabelles, traites et impositions foraines ou domaniales ; des maisons et hôtels de ville du royaume pour le paiement d'aucunes rentes amorties, supposées, doublement employées en deniers comptés et non reçus ou échus par déshérence, forfaiture et méconnaissance ; — les deniers provenant des exempts dits francs lopins ; — ou des francs fiefs, nouveaux acquêts et recherches de l'administration des levées et révision des comptes des receveurs des diocèses du Languedoc... etc. Il n'était particularité fiscale, féodale, administrative que les donneurs d'avis n'eussent consciencieusement examinée pour y découvrir quelque source insoupçonnée de revenus[24]. Il y eut plus : en 1609 les Espagnols chassèrent de leur péninsule les derniers Moresques. Ce fut un lamentable exode à travers les Pyrénées de huit ou neuf cent mille misérables qui traversèrent le midi de la France dans un état de dénuement complet. Ne s'avisa-t-on pas de décider qu'on leur enlèverait, pour prix de cette hospitalité transitoire, leurs hardes, meubles, or et argent monnayé ou non monnayé, et que le produit de cette manière de brigandage reviendrait à la reine ! Le parlement de Toulouse mit heureusement une mauvaise volonté honorable à ce détroussement singulier[25].

 

Était-ce effet de la quantité chaque jour croissante d'arriérés ou le résultat de l'opposition des cours souveraines rendant vains les dons du roi ? Tous ces expédients furent insuffisants. En dehors et à l'insu d'Henri IV, Marie de Médicis résolut alors, afin d'accroître plus délibérément ses recettes, d'essayer des entreprises commerciales et de tenter des combinaisons fructueuses de natures diverses.

Elle fit, d'abord, de l'armement. Elle acheta un gros vaisseau, aux Pays-Bas et se proposa d'entreprendre le transport maritime de la côte hollandaise à la côte italienne. Mal lui en prit. Les États des Provinces-Unies, ignorant la haute qualité de l'armateur, mirent l'embargo sur le bâtiment en question, à propos de contraventions quelconques, et le gardèrent. La reine fit réclamer par Henri IV. Elle reçut une réponse défavorable. Touchée au cœur, comme elle l'écrit, elle s'adressa à son ambassadeur à La Haye, M. de Buzanval, à l'envoyé des Provinces-Unies en France, Aarsens, remuant ciel et terre afin de se faire rendre son navire : ce premier essai n'avait pas été heureux[26].

Elle s'y prit autrement : elle commandita. Etant venue au Havre, au cours d'un voyage, elle consentit à placer plusieurs milliers d'écus sur quatre vaisseaux en partance pour le Pérou, voulant courir risque ! Un M. de Serre fut par elle chargé de prendre garde à leur retour afin de me faire savoir ce qui reviendrait à mon profit de cet argent. A la saison marquée elle prévenait M. de Serre qu'il eût à avoir l'œil exactement à l'arrivée de chacun desdits vaisseaux et à ce qu'ils rapporteront, vous faisant présenter par le menu leurs marchandises, papiers et inventaires, afin que je ne puisse estre frustrée de ce qui m'en peut appartenir. Malheureusement la campagne avait été détestable ; l'affaire fut mauvaise. Non seulement Marie de Médicis n'avait aucun profit à espérer, mais le capital même était compromis. La fortune a été si peu favorable, écrivait-elle mélancoliquement, tant s'en fault qu'utilité en provienne aucune, qu'il sera même impossible d'en retirer mon principal ! Le second essai n'avait pas été plus satisfaisant[27].

Alors elle brocanta. A certaines heures difficiles, lorsqu'elle voulait un bijou trop cher et que le joaillier ne se décidait pas à vendre à crédit, elle fouillait dans ses coffres, ramassait des objets en or auxquels elle ne tenait plus et les vendait. Petite-fille de banquiers exacts, elle opérait sa vente dans des conditions de garantie suffisantes : devant elle on commençait par fondre cet or, au creuset : cadeaux de provinces, présents du roi, objets d'art, statuettes, bracelets ; puis on pesait et la vente était faite au comptant, suivant le poids. Elle débita ainsi sa vieille vaisselle d'argent qu'on lui achetait de cette manière[28].

Elle mit au mont-de-piété en Italie. Ce fut une affaire longue et confuse. Bien avant elle, les rois de France du XVIe siècle ayant besoin de fonds avaient emprunté à des banquiers italiens et leur avaient engagé, pour la peine, des joyaux de la couronne. Un à un ces joyaux avaient passé à Rome, à Florence, où beaucoup, faute d'être rachetés, avaient même fini par être vendus. C'étaient les Rucellaï qui étaient les principaux agents de cette affaire. En 1576 M. de la Rocheposay, ambassadeur de France à Rome, avait été chargé officiellement d'engager des diamants de la couronne entre les mains d'aucuns princes et Estats de l'Italie. L'histoire des joyaux engagés étant assez obscure, Marie de Médicis profita du trouble de la question pour emprunter elle-même en Italie en envoyant aussi des bijoux du roi. Le procédé était indélicat. On distinguait, à cette date, les bijoux particuliers de la reine, ceux qui lui appartenaient en propre et qu'elle pouvait donner ou vendre, de ceux de la couronne, au contraire intangibles. Il était dressé des inventaires de ces derniers et la Chambre des comptes ne se faisait pas faute, lorsqu'on lui présentait, sur le budget de la reine, quelque grosse dépense relative à un achat de diamant, de demander si l'objet avait été inscrit à l'inventaire de la couronne, ce contre quoi, naturellement, Marie de Médicis protestait en disant qu'elle avait acheté l'article de ses deniers, pour elle, et non au profit de l'État. Afin de dissimuler sa démarche, elle poussa Henri IV et Sully à liquider toute l'affaire d'un coup en rachetant en Italie l'ensemble des bijoux engagés. Sully, dans ses Economies royales, se fait un mérite de ce rachat. Il ne s'opéra pas sans peine. Henri IV, aux premières tentatives de Marie de Médicis, avait déclaré ne pas se soucier de l'affaire. En relation épistolaire avec les Rucellaï, la reine pressait ceux-ci de consentir à quelque composition en baissant le chiffre des sommes à solder. La question était de trouver de l'argent. Henri IV finit par deviner que la reine avait engagé les joyaux de la couronne et, après la première colère inévitable, se décida à racheter. Les négociations furent épineuses. Les Rucellaï vinrent à Paris ; Marie de Médicis envoya en Italie. Le gouvernement d'Henri IV s'était résolu, afin de trouver de quoi payer, à porter ledit qui exemptait deux personnes, par paroisse, d'un certain nombre d'impôts, de charges et de droits moyennant une somme définitive. Malgré l'opposition des parlements qui refusaient d'enregistrer, on parvint à une solution vers 1607. Nicolas Roger, l'orfèvre, valet de chambre de la reine, se rendit à Rome ; l'ambassadeur, M. d'Alincourt, agit. Les héritiers de Horacio Rucellaï se dessaisirent des joyaux et le cardinal du Perron revenant de Rome en septembre 1607 rapporta le précieux dépôt[29].

Marie de Médicis emprunta autour d'elle. Elle connut le misérable sort des maîtres qui se font avancer de l'argent par leurs intendants. Non seulement le malheureux M. Florent d'Argouges eut à prendre à son compte personnel des dépenses que la chicaneuse Chambre des comptes refusait d'approuver dans le budget de la souveraine, mais il dut prêter de ses deniers à la princesse de quoi payer ses fantaisies. Un jour que celle-ci voulait absolument acheter à l'orfèvre de La Haye un diamant de 4.500 écus ainsi qu'une douzaine de petits boutons d'or de 538 livres — et elle n'avait pas le premier sol, — elle proposa au marchand de lui payer la somme sur les gains du roi au jeu, singulière attribution de recette ! Le roi, paraît-il, avait promis. L'orfèvre, comme on pense, refusa. M. Florent d'Argouges fut invité, en termes impératifs, à avancer les 4.679 écus. Heureusement pour lui que, tenant les comptes, M. Florent d'Argouges s'arrangeait de façon à retrouver ce qui lui était dû lorsque arrivait quelque recette fructueuse. A sa mort, cependant, en 1610 — c'était son fils qui allait lui succéder, preuve qu'après tout la place n'était pas si mauvaise, — on lui devait encore 28.255 livres[30].

Nous venons de dire la bizarre proposition qu'avait faite Marie de Médicis à un marchand pour le payer. Elle usa de beaucoup de combinaisons analogues, expédients inattendus de gens aux abois contraints à des procédés tortueux. Ainsi, afin de régler leurs mémoires aux marchands d'argent Robin et Briant, elle leur proposait le produit de ce qu'on pourrait relever d'erreurs de calcul dans les prix du sel des généralités d'Orléans et de Moulins ! Le piquant est que les malheureux, rassurés par des lettres patentes destinées à certifier leurs droits, acceptaient ! Dans une autre circonstance Marie de Médicis ayant acheté à M. de Monglat de Saint-Aubin quatre diamants pour le prix élevé de 96.000 livres s'arrangeait avec lui, en ce qui concernait le paiement, de la façon suivante : M. de Monglat recevait 6.000 livres comptant et le surplus était à réclamer par lui à un certain Médéric Levasseur, ci-devant adjudicataire et fermier de la somme de 30 sols pour muid de vin entrant en la ville et faubourg de Saint-Maixent. Levasseur devait son fermage des années 1607 et 1608 ; on passait la créance à M. de Monglat avec charge de toucher dessus ce qui lui était dû à ses périls et fortunes. Ceux qui n'acceptaient pas ces procédés étranges exigeaient alors qu'on leur payât au moins les intérêts des sommes dues et ces intérêts étaient si élevés qu'ils représentaient plutôt, disait-on, des manières d'amendes infligées par année de retard. Hélie Fruit et Mathieu Coulbes, joailliers, touchèrent ainsi plusieurs années durant 4.000 livres comme intérêts de la somme de 30 300 livres qui leur était due pour vente de marchandises de joaillerie et par année de retard. C'était plus de 12 p. 100[31].

Les difficultés, dans lesquelles se débattait la reine de France et auxquelles elle tâchait de remédier par ces moyens divers, étaient, avons-nous dit, en partie la conséquence de l'attitude de la Chambre des comptes. Réorganisée par Henri IV en 1598, et, son action rendue plus forte, la Chambre des comptes était pleine d'ardeur. Implacable même pour des questions de forme, elle n'exigeait pas seulement que toutes les ordonnances de dépenses dans la maison de Marie de Médicis portassent sur quelle nature de deniers les dépenses devaient être payées, mais encore que toutes les quittances fussent visées et contrôlées par l'intendant général des finances de la reine[32]. Lorsque cet intendant, M. d'Attichy, fut atteint de la maladie qui l'emporta, et qu'il lui fut impossible de rien signer, M. Florent d'Argouges manqua être ruiné ! Les quittances n'étant ni visées ni contrôlées, la Chambre déclara qu'elle n'accepterait rien : tout était illégal. Marie dut écrire une longue lettre de détails précis sur la maladie et la mort de M. d'Attichy. — Le lendemain de l'assassinat d'Henri IV, Marie de Médicis avait envoyé chercher 400.000 livres au Trésor, afin de payer les déficits de ses budgets de 1607 et 1608. La somme arrivée, elle se ravisa, solda 320.419 livres d'arriéré et se lit remettre de la main à la main par Florent d'Argouges, sur les 79.581 qui restaient, 50.000 livres, pour subvenir, disait-elle, à nos affaires particulières. La Chambre accepta qu'on fût allé chercher 400.000 livres au Trésor sans autre justification et qu'on eut payé 320.000 livres de dettes ; mais elle raya les 50.000 livres des registres de M. Florent d'Argouges et les lui laissa à son compte, sous prétexte qu'il n'y avait pas de recette de ces 50.000 livres. D'Argouges eut beau expliquer que c'était le restant disponible des 400.000 livres, il n'obtint rien ; force fut d'attendre quatre ou cinq ans et les ordres impérieux de la reine régente afin que la Cour se décidât à s'incliner par obéissance[33].

Le trésorier attendit parfois neuf ans, dix ans, avant de voir régulariser des détails insignifiants de comptes. Dans le budget de 1601 il se trouvait un certain M. Cappe, médecin, qui avait touché 90 livres ; en 1603, un M. Arnauld, conseiller, qui avait reçu 110 livres 10 sols ; M. de Bullion, 300 livres ; M. de Rougemont, conseiller clerc d'office, 200 livres. La Chambre notifia que M. Cappe n'était inscrit sur les états que comme devant recevoir 10 livres ; que M. Arnauld, n'ayant eu le brevet de sa provision de conseiller que le 8 mai 1603, ne pouvait pas toucher l'année entière de son traitement ; que quant aux deux autres, leurs noms ne figuraient pas sur les états de la maison ; cela faisait en tout 663 livres indûment payées, disait-elle, par le trésorier général : elle les raya. Dix ans durant le trésorier et la reine réclamèrent, le premier ayant avancé la somme de ses deniers. Ce ne fut qu'en 1612, par un mandement de la régente, que la Chambre, recevant l'ordre formel de régulariser ces 663 livres, céda.

Il n'était minutie administrative que la Chambre n'invoquât pour refuser l'approbation de dépenses particulières. Lorsque la reine donnait une gratification d'argent à un individu quelconque de sa maison le document devait être contresigné par le secrétaire de ses commandements, M. Phélippeaux de Villesavin. Une fois, elle s'avisa de gratifier de 1.200 livres M. Phélippeaux lui-même ; et celui-ci, sans penser à mal, contresigna l'ordonnance. Ce fut toute une histoire ! Jamais la cour souveraine ne voulut maintenir ces 1.200 livres, sous prétexte que ledit Phélippeaux ne pouvoit signer en son propre fait comme secrétaire des commandements. Il fallut encore un mandement royal[34].

Et que de réclamations ! Tantôt la Chambre trouve que la reine a trop de secrétaires et de maîtres des requêtes, quelque peu payés que soient ces personnages ; Marie de Médicis, obligée de présenter sa défense, explique que c'est le roi qui en a nommé le plus grand nombre ; que néanmoins elle s'excuse et promet de n'en pas augmenter le chiffre, même de le diminuer ; tantôt la cour prend sur elle d'exclure les officiers de la maison de la reine des privilèges et exemptions dont jouissent les autres officiers des maisons royales, privilèges dont le plus clair est d'être dispensé de payer impôt. Ce sont de perpétuelles chicanes ! Avec les oppositions que fait la cour à enregistrer les édits de créations de ressources qu'on lui apporte — on a vu combien le cas est fréquent ; heureux quand les observations ne portent que sur des formules de rédaction, car alors on en est quitte pour changer les termes de l'édit, — les ennuis de toutes sortes causés à la souveraine dans le maniement de ses finances sont sans limites. Malgré les apparences lointaines de l'autorité absolue et la doctrine consignée au bas des actes royaux du tel est notre plaisir, il en va loin que les personnes royales soient maîtresses indiscutées. La force d'opposition des différents organismes ne provient pas d'un reste d'esprit frondeur, conséquence des troubles des guerres civiles ; elle est la forme d'une tradition administrative, bureaucratique, étroitement formaliste et pointilleuse. C'est en vertu de cette tradition que la reine, après la mort d'Henri IV, n'a pas été aussi à même qu'on le croirait de donner libre cours à toutes ses fantaisies. Elle a eu plus de facilité pour commander ; ses recettes régulières ont été accrues ; mais les embarras se développant avec les dépenses, la princesse en a été réduite à des extrémités encore bien plus singulières[35].

 

Régente du royaume, Marie de Médicis ne pouvait, pour dignement représenter, se contenter du crédit primitif de son budget, que d'ailleurs elle conservait, 400.000 livres. Elle eut d'abord en plus son douaire. Consultant les précédents, les hommes de bureaux décidèrent que ce douaire ne devait pas dépasser 150.000 livres de revenu, ce qui n'était pas très considérable, eu égard aux moyennes d'excédents annuels de la reine. Des lettres patentes du 23 juillet 1611 fixèrent, en même temps que ce chiffre, les terres et seigneuries sur lesquelles Marie de Médicis le prélèverait. Encore le douaire n'était-il présenté officiellement que comme l'équivalent des intérêts de la dot de la souveraine. Les jurisconsultes du temps, en effet, professaient des théories compliquées sur la situation juridique en France des biens personnels de la reine par rapport au roi, à la couronne et aux sujets. Henri IV avait eu de longues discussions avec la veuve de son prédécesseur Henri III, Louise de Vaudemont, au sujet de la fixation du douaire de celle-ci : observations, dupliques, répliques avaient été échangées entre conseils des deux parties à propos du contrat de mariage de la princesse intéressée, et ce n'avait été que trois ans après la mort d'Henri III, en octobre 1592, que sa veuve avait pu voir régler sa situation matérielle[36].

Les lettres patentes du 25 juillet 1611 décidèrent que l'entrée en jouissance pour la reine des biens de son douaire partirait du 1er janvier 1612. Il avait fallu un an et demi afin de liquider la question ! Marie de Médicis réclama les arrérages depuis la date de la mort d'Henri IV. Une quinzaine de terres constituant ces biens étaient énumérées : duché de Bourbonnais, comté de la Marche, duché d'Auvergne, comté d'Auvergne et de Clermont, baronnie de la Tour, comté de Forez, comté de Nantes et châtellenie de Guérande, etc. La reine était le seigneur de ces terres, c'est-à-dire qu'elle en touchait seulement les revenus féodaux et seigneuriaux, lods, ventes, aubaines, amendes, confiscations, finances de nominations aux offices et aux bénéfices. Le duché de Bourbonnais — qui avait fait partie déjà du douaire de Louise de Vaudemont et paraissait ainsi destiné à l'usage — rapportait de ce chef à peine 4.300 livres. Les réalités ne répondaient pas aux apparences. Bon an mal an, au dire des gens de finances, l'ensemble des revenus de ces terres devait donner 150.000 livres[37].

Mise en goût, Marie de Médicis développa ce domaine par des acquisitions à titre privé. Elle s'arrangea de façon à payer au moyen des ressources extraordinaires que, de par son autorité de reine régente, elle parvenait à ramasser ici ou là, après quoi les rentes annuelles lui étaient acquises. De la sorte, dès 1611, elle se mit à acheter la terre et seigneurie de Saint-Jean-des-Deux-Jumeaux, près de son château de Montceaux ; en 1612 les terres de Carentan et de Saint-Lô du maréchal de Matignon ; en 1613 le duché d'Alençon d'un prince allemand, le duc de Wurtemberg. Cette dernière acquisition fut la plus importante, la plus difficile. Elle met en lumière, d'une façon spéciale, et les procédés employés par Marie dans ces sortes d'opération et les mœurs financières des princes du temps[38].

Henri III et Henri IV avaient successivement emprunté au duc Frédéric de Wurtemberg, pour leurs besoins, dans les temps de troubles, différentes sommes s'élevant au total de 301.849 écus, 37 sols, 12 deniers, quelques-unes de ces sommes au taux de 5 p. 100, d'autres à 8 1/3 p. 100. Henri IV avait tâché de rembourser petit à petit cette dette à partir de 1600, puis, découragé du chiffre trop élevé, avait proposé au duc, afin de le dédommager, de lui abandonner par forme d'engagement et à faculté de rachat perpétuel, les domaines, châteaux, terres et seigneuries d'Alençon, Valognes, Saint-Sauveur-Lendelin, Saint-Sauveur-le-Vicomte et Néhou. Le duc allemand avait accepté. Par la suite, ces possessions, si éloignées, n'avaient été pour lui qu'un embarras et un ennui : la gestion se faisait mal ; les difficultés étaient innombrables[39]. Apprenant vers 1612 que Marie de Médicis achetait des domaines, il lui offrit de lui revendre tout ce qu'il possédait en Basse-Normandie : les plus grandes facilités de paiement seraient accordées, disait-il, la reine paierait par l'intermédiaire de la banque internationale de Lumagne et Sainctot, lesquels verseraient le prix convenu au duc, à la foire de Francfort-sur-le-Main. M. d'Attichy et la confidente de la reine, Léonora Galigaï, poussèrent vivement la régente à accepter. Au printemps de 1612 l'affaire était conclue et le prix arrêté à 200.000 écus, c'est-à-dire 600.000 livres, le premier versement devant être effectué à la foire suivante de Pâques, à Francfort. Au moment de la foire indiquée Marie de Médicis n'avait pas l'argent. Très anxieuse de l'histoire dans laquelle elle s'était engagée, et désirant vivement se voir hors de cette affaire, elle expédia à Francfort M. de Courson, avec charge d'expliquer le retard involontaire du paiement ; elle protestait vouloir tenir tous ses engagements ; elle suppliait le duc de l'aider en s'accommodant aux termes et lieux de paiement ainsi qu'aux sûretés que ledit Courson vous en propose. L'échéance fut renvoyée à la foire suivante. A la foire suivante M. de Courson fît de nouveau le voyage en venant expliquer que Marie de Médicis possédait bien la somme disponible, mais que les banquiers Lumagne et Sainctot n'avaient pu la transporter ; il ajoutait qu'à la foire qui viendrai ! elle expédierait exactement le premier tiers de la dette ; que les deux autres tiers seraient échelonnés aux foires de Pâques et de septembre de l'année suivante ; que si le duc y tenait, les banquiers avanceraient des lettres de change, portant intérêt au denier vingt, ce qui permettrait de les négocier avec des marchands d'Allemagne ; en attendant, le duché d'Alençon demeurerait hypothéqué de la somme du capital augmentée de l'intérêt et néanmoins, dès le premier paiement effectué, le duc abandonnerait à la reine la jouissance des domaines normands. Afin de faciliter ces négociations, Marie de Médicis avait écrit une lettre fort aimable à l'intendant des affaires du duc de Wurtemberg en Allemagne, M. de Beninghausen, en l'accompagnant d'une belle chaîne d'or et d'une médaille pour marque et souvenir de ma bienveillance. Le prince allemand accéda[40]. Ce fut alors avec les banquiers que les difficultés commencèrent. MM. Sainctot et Lumagne n'avaient pas grande confiance : ils posèrent d'abord des conditions léonines. Finalement un contrat fut passé avec eux le 4 septembre 1612, aux termes duquel la reine leur devrait non pas 600.000 livres, somme réelle à solder au duc, mais 721.000 livres, et jusqu'au règlement, elle paierait aux banquiers un intérêt annuel, pour cette somme, de 7.000 livres ! Les banquiers invoquaient bien qu'ils avaient des frais de change et rechange ; en réalité l'opération était très onéreuse. Mais les habitudes de Marie de Médicis, le désordre de ses finances, l'impossibilité à obtenir d'elle prompte satisfaction du fait des inextricables oppositions des cours et bureaux les contraignaient à prendre des précautions. Exactement à la Saint-Rémy 1613 ils effectuèrent à Francfort le versement du premier tiers dû au duc, 200.000 livres ; aux échéances suivantes ils payèrent le tout. Cinq ans après ils n'étaient pas remboursés de leurs avances. Ils réclamèrent 10.000 livres d'intérêt ; on les leur refusa. Ils insistèrent pour rentrer dans leur capital. Parlement, Chambre des Comptes, cour des aides, tout se coalisa afin de repousser la dépense. Ce fut Louis XIII, en 1618, après la fin de la régence de sa mère et le départ de celle-ci de Paris, qui devait intervenir autoritairement et liquider l'affaire dont on ne put venir à bout qu'au moyen de lettres de jussion répétées et menaçantes[41].

 

Douaire et propriétés réunis, Marie de Médicis était arrivée à se constituer un fonds de revenus double de celui dont elle disposait au temps d'Henri IV. Il s'était bien trouvé, expérience faite, que les terres du douaire ne rapportaient pas, à beaucoup près, les 450.000 livres promises. Nous avons dit que le duché de Bourbonnais ne produisait que 4.300 livres ; les revenus du duché d'Auvergne montaient à 9.280 ; ceux du comté de Forez à 8.000 ; ceux du comté de Nantes à 3.772, et le reste à l'avenant : l'ensemble atteignait péniblement 64.000 livres ! il manquait 86.000 livres ! On acheva la différence en imputant la somme nécessaire sur la ferme générale des aides du royaume. D'autre part les terres de Montceaux et de Saint-Jean-des-Deux-Jumeaux étaient affermées et rapportaient, mais tout allait aux dépenses d'entretien du château de Montceaux. Le duché d'Alençon donnait 36.000 livres (toujours par les produits des droits seigneuriaux) ; Carentan et Saint-Lô, 6.000 ; Marie avait affermé les parties casuelles de tous ses domaines, en bloc, à un certain Claude Largentier pour 60.000 livres ; elle s'était fait continuer régulièrement une attribution annuelle décidée par Henri IV de 100.000 livres sur les cinq grosses fermes et de 72.000 sur les traites foraines et domaniales ; avec les 400.000 livres primitives de son budget régulier, le total donnait un chiffre de recettes normales annuelles de 820.000 livres[42]. Or, dépassant toujours ses disponibilités d'une façon considérable la reine a été chaque année, d'une manière constante, au delà de ses ressources ; la moyenne de ses dépenses s'est élevée : par exemple en 1611 à 1.005.400 livres ; en 1617 à 1.225.818 livres ; en 1614 à 1.818.057 livres ! un million de déficit ! D'où vinrent donc tous ces excès de dépenses ?

Comme régente, cependant, Marie de Médicis n'avait pas un train de maison plus dispendieux que celui qui était le sien du vivant d'Henri IV. Le seul détail qui témoignât de sa qualité nouvelle était l'existence d'une compagnie de gardes du corps spécialement affectés à son service. L'entretien de ces gardes avait obéré son budget d'une somme qui, évaluée la première année, 1610, à 28.463 livres, était montée en 1611 à 50.000, en 1616 à 67.880 livres, et devait disparaître en 1617, puisque la régence étant terminée les gardes étaient licenciés. Pour 400.000 livres de plus de revenus, ces 50.000 livres ne constituaient pas une charge autrement excessive. Par ailleurs les articles du budget demeuraient en 1612, 1613, identiquement pareils à ce qu'ils étaient en 1603, 1604 : même chiffre de dépenses de l'écurie, 60.000 livres ; même total des gages des officiers, 72.313 livres ; même comptant annuel de la princesse pour ses menas plaisirs, 36.000 livres. Les dépenses exceptionnelles expliquant ces déficits provinrent de diverses sources, les unes avouées, les autres dissimulées. Ces dernières, les dépenses secrètes, ont été si considérables qu'en fait on peut dire que tous les chiffres soumis à la Chambre des comptes ont été falsifiés, de même qu'on a caché les sources de revenus exceptionnels auxquels la souveraine a eu recours pour faire face à ses dettes. De beaucoup le million de déficit était chaque année outrepassé[43].

Parmi les dépenses exceptionnelles déclarées il en fut dont il n'y avait rien à dire. Ce sont celles par exemple qui concernent la construction du palais du Luxembourg : achat des terrains, envoi d'architecte en Italie pour étudier le palais Pitti, plans et devis de l'architecte Salomon de Brosse, mise en train des travaux, plantation dans les jardins d'ormeaux amenés d'assez loin ; le tout représentant des annuités variables, souvent élevées, sans toutefois rien d'excessif. Il en est même des réparations exécutées au château de Montceaux, 32.000 livres par an. Mais la liste des dons octroyés aux uns et aux autres, des pensions inscrites sur son budget — par bonté ou par faiblesse — s'allonge indéfiniment : le médecin Montalto reçoit 6.000 livres : le tailleur Zoccoli, 8.000 ; la femme de chambre Salvagia, 9.000 ; M. de Thémines 10.000 ; le cardinal de Gonzague, 15.000 ; M. de Sillery, 20.000. Certaines dépenses de luxe s'affichent : nous ne parlons pas de 12000 livres destinées à renouveler les carrosses de la souveraine, de 51.000 livres prévues pour la réfection complète de l'ameublement de la reine au moment où celle-ci abandonne le grand deuil en 1612. Les notes des orfèvres-joailliers se produisent sans aucune retenue : dans les seuls comptes de 1613 le marchand François le Prestre reçoit 1.200 livres ; Pierre Olivier, 6.000 ; Martin Bachelier et Mathieu Coulbes, chacun 18.000 ; Nicolas Roger, 27.332 ; Hélie Fruit, 30.300 ; en tout plus de 100.000 livres de joaillerie pour une seule année ; le huitième du budget ! et ce n'étaient point là les seules sommes consacrées à ces achats ! Mais, à côté, la profusion des dépenses qu'il a plu à Marie de Médicis de ne pas justifier est tout à fait surprenante ! La reine se fait donner perpétuellement de la main à la main par le trésorier général, M. Florent d'Argouges ; elle déclare que ce sont des sommes qu'on lui remet pour nos affaires pressées et secrètes dont nous ne voulons estre fait plus ample mention ni déclaration ; et cette formule vague qui n'admet pas de question revient avec une fréquence à mesure de plus en plus accusée aboutissant à une absorption déconcertante de fonds ! En 1611 la reine a reçu de la sorte et sous cette rubrique 73.000 livres ; en 1612, 96.000 ; en 1613, 233.000 ; en 1614, 782.000 ; en 1615, 355.000 ; en 1616, 259.000 ; en 1617, 600.000 livres ! En dehors de son budget régulier annuel Marie de Médicis a donc pris, pendant les sept années de sa régence, un total de 2.418.000 livres dont elle n'a fourni aucune justification ! D'où venait cet argent et où allait-il ? Gomment en un temps où la comptabilité était aussi rigoureuse que nous l'avons indiqué pareilles sommes ont-elles pu être détournées ? où ont-elles été empruntées étant donné le peu d'élasticité des finances publiques, et surtout quelle destination leur attribuait la souveraine, les dépenses même excessives de joyaux paraissant insuffisantes à expliquer une pareille dissipation[44] ?

Afin de se procurer cet argent la reine a continué d'abord les errements suivis du temps d'Henri IV et — cette fois n'ayant plus à gagner l'assentiment du souverain — à se faire signer des édits lui concédant des recettes spéciales. Cependant, soit appréhension de l'opposition irritante des cours, soit plutôt facilité de trouver ailleurs plus aisément ce qu'elle voulait, elle n'a pas abusé du moyen. Tout au plus se fait-elle gratifier de 24.000 écus sur les fermes du Languedoc ; puis de la finance à laquelle ont été taxés les audianciers et conseillers des grandes et petites chancelleries du royaume et secrétaires d'icelles pour la survivance de leurs offices ; encore de la finance des offices de procureurs postulant es élections et greniers à sel du royaume. Tel don comme celui des deniers devant revenir de la levée des droits domaniaux dus au roi à cause des francs fiefs et nouveaux acquêts lui rapporte le chiffre appréciable de 60.000 livres ; celui des deniers provenant de la création des offices de trésoriers triennaux, 100.000 ; et 100.000 aussi celui du droit qu'ont à payer tous individus exerçant leur office par provision[45].

Elle a profité ensuite de sa situation souveraine pour se faire octroyer, par des personnages ou des assemblées, des cadeaux d'argent plus ou moins considérables. Ici nous nous engageons dans la voie des procédés suspects. Elle disait que ces cadeaux étaient spontanés. Il y a des raisons de croire que l'acte généreux de l'assemblée générale du clergé de 1616 faisant hommage à la princesse pour ses affaires particulières, c'est-à-dire non à l'Etat mais à la caisse personnelle de Marie, de la somme de 100.000 livres avait été suggéré par l'intéressée. Jusqu'à quel point aussi le don analogue consenti par les trois Etats du pays et duché de Normandie en leur assemblée générale tenue à Rouen le 15 septembre 1613 est-il libre, c'est ce qu'il ne faudrait pas trop rechercher[46].

Faisant un pas de plus en avant, Marie de Médicis a nettement, et dans des proportions très larges, pratiqué les pots-de-vin ! Il serait inexact de croire que la conscience publique, à ce moment, admît facilement ce genre d'opérations. Si, à vrai dire, le mot et la chose ont pris depuis une acception particulièrement déshonorante, ils étaient déjà, à cette date, suffisamment réprouvés. Marie de Médicis n'a pas craint de faire négocier ouvertement ses pots-de-vin, qu'on décorait parfois du titre plus convenable d'épingles de la reine, et les individus ou assemblées qui payaient ne protestaient pas contre le principe de cette pratique. La vengeance des magistrats, en 1617, après la chute de la régente, consistera à reprocher violemment à Léonora Galigaï, comme commises par elle, des indélicatesses que celle-ci, terrifiée, ne peut que reporter à sa maîtresse tombée ; les commissaires, pénétrés du respect qu'ils doivent aux personnes royales, se tairont alors ; mais le sens même des interrogatoires comporte en soi leur sentiment[47].

Ces pots-de-vin furent réclamés et versés dans les conditions les plus caractéristiques de prévarication. La régente abandonna des droits de l'Etat moyennant rétributions versées entre ses mains. La Bretagne, en 1613, avait des droits casuels à payer. Les États de la province protestaient vivement et réclamaient avec instance la suppression de ces droits, indûment imposés, disaient-ils. Marie de Médicis consentit à renoncer aux droits casuels, si on lui donnait 60.000 livres à elle, personnellement, pour ses menus plaisirs. — Par édit de janvier 1603, Henri IV avait augmenté en Guyenne les sièges d'élections, et par conséquent le nombre des officiers de finances, genre de mesure — nous l'avons dit — qui avait comme effet de diminuer dans le reste de la province la valeur des charges similaires. Les titulaires, lésés, de ces charges, s'étant élevés contre l'édit, la régente leur proposa de le retirer moyennant la somme de 109.000 livres à verser dans ses coffres : ils s'exécutèrent. — Semblables conventions intervinrent même pour de simples nominations. Le lieutenant civil de Paris, M. Miron, étant mort, c'était son frère, le président Miron, qui devait lui succéder en vertu d'une résignation régulière d'office faite par le défunt entre les mains du président. Mais Marie de Médicis était en marché pour la place avec son propre procureur, M. Le Jay, lequel avait promis à la souveraine, s'il obtenait la fonction, un présent de 75.000 livres. En vain les ministres insistèrent-ils afin que les usages, les règles, les traditions fussent observés : Marie de Médicis tint bon. Le public s'indigna : La roine ne voulut jamais lascher ! M. Le Jay eut sa lieutenance et la reine ses épingles[48].

Enfin et surtout Marie de Médicis, pour avoir de l'argent, puisa délibérément dans le trésor de la Bastille jusqu'à le vider. Ah ! ce trésor qu'Henri IV et Sully avaient si soigneusement constitué dès 1602 et si jalousement conservé ! On y avait entassé les économies de l'Etat faites pendant huit années de règne ménager, avec la résolution, spécifiée par édit, de ne s'en servir qu'en cas de guerre. Derrière une première porte solide de la tour du Trésor, dont la clef était entre les mains du lieutenant de la forteresse, M. de Vanssay, et une seconde fermée par trois serrures desquelles une des clefs était chez le roi, la seconde chez le surintendant des finances, la troisième chez un conseiller général des finances, s'étaient accumulés près de 13 millions contenus en plus de 8.000 sacs, 4 coffres et 270 caques ! La préparation de la grande guerre qu'allait faire Henri IV au moment de sa mort avait fortement entamé la masse. Il restait, à l'avènement de Louis XIII, cinq millions qui avaient été reconnus et vérifiés le 27 janvier 1611 à la suite de la disgrâce et du départ de M. de Sully. Gens de finances, Chambre des comptes avaient fait renouveler les édits qui interdisaient formellement de toucher à cet argent, sinon en cas de nécessités occasionnées par la guerre, et encore sur lettres patentes dûment vérifiées ; et trois ans durant Marie de Médicis avait pu se contenir. Mais les troubles de 1614, l'obligation de lever des troupes furent le premier prétexte qui permit de franchir le seuil défendu. Le 22 février 1614 on prenait 2.500.000 livres ; l'année suivante, Marie de Médicis enhardie décidait de prélever encore 1 200.000 livres, — en raison, disait-elle, du mariage du roi et des frais à payer à ce propos dont elle n'avait pas le premier écu. — Comme il ne s'agissait pas de guerre, la Chambre des comptes refusa d'accepter l'édit ; quatre lettres de jussion furent envoyées en vain à l'opiniâtre cour souveraine. Marie de Médicis passa outre[49]. Ce fut une scène singulière dans sa solennité que celle qui eut lieu le 15 juillet 1615 à la Bastille, sur les cinq heures du soir, lorsque la reine, se faisant accompagner du roi, des princes, ducs et pairs, officiers de la couronne, ministres, intendants des finances, gardes et suisses, vint prendre son argent en grand apparat. M. de Vanssay, sur Tordre de la souveraine, ouvrit la première porte. Afin d'ouvrir la seconde il fallait les trois clefs : la reine avait la sienne ; M. Jeannin, conseiller général des finances, et M. Phélippeaux, trésorier de l'Épargne, qui avaient les deux autres et se trouvaient présents furent invités à livrer les leurs : ils refusèrent. Des édits, déclarèrent-ils, avaient formellement réglé qu'on ne toucherait pas au trésor sans lettres patentes vérifiées en Chambre des comptes ; dans le cas présent cette condition n'était pas remplie ; s'ils se prêtaient au détournement de fonds, la Chambre les rendrait personnellement responsables des sommes enlevées ; ils suppliaient donc la reine de tâcher d'obtenir la vérification nécessaire en envoyant une cinquième lettre de jussion. Marie de Médicis répliqua que sa présence, son ordre formel articulé devant des témoins nombreux et les plus qualifiés du royaume, comportaient, à leur égard, décharge entière de toute responsabilité ; elle leur intima le commandement d'avoir à remettre leurs clefs au capitaine des gardes, M. de Tresmes. Les deux fonctionnaires des finances s'inclinant comme devant un cas de force majeure qui les dégageait s'exécutèrent. M. de Tresmes ouvrit la porte. On entra dans la chambre. Devant la reine on retira de 41 caques cotées P. H., V. B., P. L., 1.200 sacs qui contenaient chacun mille livres en quarts d'écu — ou pièces de 18 sols : — la souveraine prescrivit de porter ces sacs chez M. Phélippeaux ; puis on referma les portes ; on rendit les clefs et on dressa un circonstancié procès-verbal qui fut revêtu des signatures des plus illustres témoins. Un mois après, le 14 août, Marie de Médicis achevait d'enlever tout ce qui restait au trésor, 1.300.000 livres avec les mêmes formalités autoritaires : cette fois, sans scrupule, la reine ne cherchait même pas à faire vérifier un édit en Chambre des comptes ; elle procédait à l'opération en deux jours, sur simple arrêt du conseil, prétextant d'abord qu'elle n'avait pas le temps — le roi partait pour Bordeaux — et ensuite que la Chambre lui avait fait précédemment trop de difficultés. Il s'agissait toujours, disait-on, de dépenses occasionnées par le mariage du roi[50].

S'il est relativement aisé de savoir ainsi où Marie de Médicis a pris les sommes qu'elle a dépensées — cinq millions à la Bastille en deux ans — il est moins facile de retrouver ce qu'elle fit de tout cet argent, ou au moins d'en suivre le détail.

D'une façon générale la régente tâcha d'acquitter l'arriéré de dettes que devait la reine sur chacun de ses budgets depuis son arrivée en France, depuis 1601. Elle remboursa à ses trésoriers leurs avances, ordre étant simplement donné à la Chambre des comptes d'avoir à décharger M. Florent d'Argouges des sommes indiquées, sans justification, sans bordereau, sans pièce de comptabilité, car tel est notre plaisir, achevait le mandement royal[51].

Puis Marie de Médicis a beaucoup donné. Aux prises avec les égoïsmes des grands, leurs humeurs difficiles, leurs ambitions brouillonnes, elle calma les colères et les révoltes à force de dons d'argent. Au 14 décembre 1613, au bout de trois ans de gouvernement, le total de ses dons vérifiés s'élevait au chiffre de 9.600.000 livres ! Ce maniement de fonds qui intéressait surtout la tranquillité de l'Etat regardait évidemment l'Epargne, le Trésor, et ne devait pas atteindre en principe le budget personnel de la princesse. La démarcation entre les cadeaux de la reine et les concessions d'argent de la régente n'étant pas précise, l'obligation où s'est crue la souveraine de donner a certainement contribué à obérer ses finances particulières. Malgré l'ordonnance que les ministres avaient fait signer à Louis XIII en 1610, à peine Henri IV mort, par laquelle le nouveau souverain édictait qu'aucune dépense ne serait payée à l'avenir si elle était déguisée ou confondue en acquits que l'on appelle comptants en nos mains, — et cette prescription ne visait pas seulement les dons qu'on attribuerait à la libéralité du roi sous cette étiquette, mais aussi ceux que pourrait effectuer sous le même titre notre très honorée dame et mère la reine régente ; — malgré la sanction de cette ordonnance laquelle prescrivit que si par surprise ou autrement il étoit expédié aucun denier au comptant l'on n'y auroit aucun égard et que ce qui seroit fait seroit rayé et rejeté de la despence des comptes où il se trouveroit employé, Marie de Médicis a certainement donné à toutes fins sous ce couvert[52].

Enfin, détail inattendu, elle a mis de l'argent de côté ! Cette princesse qui ne prévoyait rien, dépensait inconsidérément et semblait insouciante de l'avenir eut l'idée de placer des sommes à l'étranger ! Fut-elle impressionnée par les conseils ou les exemples des Concini ? Se crut-elle en danger également et pensa-t-elle que le sort qui l'attendait dût être tel qu'il lui faudrait songer à quitter le royaume ? On prétendit plus tard que l'argent envoyé en Italie au nom de la reine l'était en réalité au compte de Léonora Galigaï ; les héritiers de celle-ci réclamèrent même, mais le gouvernement de Louis XIII, qui aussi réclama et obtint finalement la restitution de ces sommes, parvint à prouver qu'elles avaient bien été expédiées au profit de la reine régente : le détail d'ailleurs de la remise de cet argent, raconté par le banquier lui-même au procès de la maréchale d'Ancre, ne laisse aucun doute sur la question. La coïncidence de la date de ces placements à l'étranger — les premiers mois de 1617 — avec la recrudescence de la campagne violente menée contre la régente en général et les Concini en particulier, peut-être des avis confidentiels communiqués sur le coup d'Etat qui se préparait et des appréhensions soudaines sinon pour sa vie, au moins pour sa liberté, suffisent à expliquer cette détermination[53].

Elle fut réalisée avec une certaine précipitation. Un matin, le 13 janvier 1617, Marie de Médicis manda au Louvre le banquier Jean-André Lumagne, gros homme de cinquante ans, originaire des environs de Raguse, anobli en 1603, fabricant, marchand, trafiqueur d'argent dans toute l'Europe, et qui était parvenu, associé avec d'autres banquiers, Sainctot, Mascaragni, à être l'agent obligé de toute opération financière internationale. La reine lui expliqua qu'elle avait résolu de mettre de l'argent en sûreté hors du royaume, qu'elle allait lui délivrer une première partie de cet argent et qu'elle lui demandait de le faire passer soit au delà des Alpes pour le placer sur les monts-de-piété italiens, soit en Allemagne ou aux Pays-Bas, Cologne, Francfort, Anvers, afin de le faire fructifier dans les conditions les meilleures. Elle appela ses femmes de chambre et en sa présence celles-ci tirèrent des coffres de la souveraine deux cent mille livres en pistoles, qui furent soigneusement comptées et remises contre reçu au banquier. La régente insista qu'il ne s'agissait pas de deniers appartenant à l'Etat, mais de ses deniers propres ; elle ajouta qu'elle pensait envoyer à Rome même 600.000 livres et désirait que l'argent expédié dans cette ville fût mis entre les mains d'un gentilhomme romain, Ferdinand Rucellaï, avec qui elle s'était entendue pour le placement, de manière qu'il rapportât du denier vingt. Les autres sommes que M. Lumagne toucherait incessamment seraient délivrées au banquier par diverses personnes telles que les fermiers des cinq grosses fermes ou le trésorier du douaire, M. Feydeau. M. Lumagne prit les 200.000 livres et les adressa immédiatement à Lyon, à son associé Paul Mascaragni, lequel les transmit au delà des Alpes à ses agents[54]. Trois semaines après, le 9 février, 180.000 livres étaient de nouveau expédiées ; le 22 février, 100.000 livres, provenant du douaire de la reine, et transmises comme il avait été dit par M. Feydeau ; le 14 mars, 140.000 livres.

Toutes les indications concernant ces mouvements de fonds furent retrouvées peu après dans les papiers de la maréchale d'Ancre, au moment de l'arrestation de celle-ci et de la saisie de ses affaires, les reçus enveloppés dans une chemise avec la mention : Promesse di dinari della Maiesta della regina[55]. Les cinq grosses fermes eurent à compter 400.000 livres, lesquelles furent données dans des conditions assez louches, en fait extorquées ! On notifia aux fermiers qui se trouvaient à Lyon, MM. Pierre Héroard, Jacques Fagnier, Daniel Giovannini et Claude Buel, que le roi avait un besoin pressant et immédiat d'argent ; que s'ils ne consentaient pas à livrer ce qu'on leur demandait, ils s'exposeraient à des difficultés, des procès, des embarras de toutes sortes aboutissant au retrait de leur concession. Les malheureux furent obligés d'obéir. Ils allaient, au procès de Léonora Galigaï, faire entendre leurs réclamations indignées, les victimes de Marie de Médicis ayant pris le parti, de bonne foi ou non, sans doute dans l'espoir de retrouver leur argent, d'imputer à la maréchale les malversations de la souveraine[56]. A quel chiffre total s'élevèrent toutes ces sommes expédiées en lieu sûr ? La reine avoua à Santucci que rien qu'à Rome elle avait envoyé 1.200.000 livres ! On ignore ce qui fut expédié en Allemagne, aux Pays-Bas, en Hollande. Le brusque événement du 24 avril 1617 qui amena le meurtre de Concini, l'incarcération de sa femme et l'arrestation, pour ainsi dire, de Marie de Médicis, enfermée dans son appartement du Louvre, d'abord, dans le château de Blois, ensuite, allait rendre vaines et illusoires ces précautions ! Singulier épilogue de l'existence royale d'une régente dépensière, tout adonnée aux prodigalités inconsidérées et aux gaspillages insouciants, que cette velléité dernière de prévoyance bourgeoise, d'économies et de placements !

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] L'exposé de l'organisation financière au début du XVIIe siècle et de l'histoire des finances sous Henri IV et Louis XIII est encore à faire, ce qui a été écrit jusqu'ici ne présentant que des indications fragmentaires et confuses. Nous avons des éléments importants de cette histoire : l'État des finances de la France depuis l'année 1600 (Bibl. nat., ms. fr. 1 749) ; les bordereaux de la recepte et despence du compte de l'Epargne, 1605-1615 (Ibid., ms. fr. 16 627, fol. 55-106) ; l'état des pensions en 1605 (Ibid., ms. fr. H 163, et 11 165) ; le budget de 1606 (Arch. du min. des Aff. Étrang. France, 766), celui de 1607 (Bibl. nat., ms. Dupuy, 89, fol. 243, et mss fr. 16 626, fol. 73-87, nouv. acq. fr. 17 291, fol. 32 et suiv.), de 1608 (Ibid., fr. 7605, fol. 48 et suiv. Cf. Revue rétrospective, 1re série, t. IV, p. 159-186 ; ms. Dupuy 412, fol. 125 ; Arch. du min. des Aff. Étrang. France, 767), de 1609 (voir Forbonnais, Recherches et considérations sur les Finances de la France, I, 116), de 1610 (Bibl. nat., ms. Dupuy 591, fol. 137), de 1611, 1612 (Arch. du min. des Aff. Étrang. France, 768 ; Bibl. nat., ms. fr. 11 165, fol. 81-104), de 1612-1615 (Ibid., mss Dupuy 824-827), etc. On pourrait ajouter l'état de la valeur de tous les offices de France (Ibid., nouv. acq. fr. 2 609) ; sans parler de notables publications du temps telles que le traité du revenu et dépense des finances de France présenté par le président Jeannin aux États généraux de 1614 (dans Fl. Rapine, Recueil de ce qui s'est fait en rassemblée des États en 1614, p. 525-550), et les Estats, empires et principautés du monde (Paris, 1619, gr. in-8°, p. 97). Voir aussi Mallet (Comptes rendus de l'administration des finances du royaume sous Henri IV, Louis XIII, Paris, 1789, in-8°), et A. Chamberland (le Budget de 1597, dans Revue Henri IV, 1905, t. I, p. 15 et suiv.).

[2] Il faut se pénétrer de l'idée que la régularité et la rigueur méthodique de la comptabilité publique en France existent dès le moyen âge (Borrelli de Serres, Recherches sur divers services publics du XIIe au XVIIe siècle, Paris, A. Picard, 1904, II, 10). En ce qui concerne le budget de la reine, le règlement de comptabilité qui en détermine le fonctionnement est celui de 1585 (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 185 r° ; voir aussi Ibid., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 31 v° ; sur la Cour des aides, voir Arch. nat., Z1a, 75b et suiv.). Consulter aussi le formulaire et manuel à l'usage d'un trésorier de France (Bibl. nat., ms. fr. 16 696).

[3] L'application de toutes ces prescriptions du règlement royal de 1585 (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 187 r°, 92 v°, 41 v°, 190 r°) est confirmée par les nombreuses pièces de comptabilité de la maison de Marie de Médicis. Nous allons avoir à donner des chiffres. Il est extrêmement difficile de ramener ces chiffres à une valeur actuelle. (Voir la publication de M. d'Avenel dont les conclusions ont été d'ailleurs très discutées : Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général depuis l'an 1200 jusqu'en l'an 1800, Paris, Imp. nat., 1894-98, 4 vol. in-4°, t. I, chap. I ; une note de M. Louis Arnould, Honorât de Bueil seigneur de Racan, p. 28, note 3, qui croit pouvoir fixer la valeur de la livre à 7 fr. environ de notre monnaie ; voir aussi G. Fagniez, Économie sociale de la France sous Henri IV, chap. V). Nous rappelons que l'écu vaut 3 livres, le quart d'écu 15 sols, le lésion 14 sols et demi (L'Estoile, Journal, VII, 283).

[4] Nous avons le détail, article par article, du budget des dépenses de la reine. En comparant plusieurs années ensemble on voit que ces chiffres ne varient pas ; toute dépense nouvelle figure dans un article nouveau (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 32 r° et suiv., fol. 86 v° et suiv., 130 r° et suiv.). Il faudrait rapprocher du budget de Marie de Médicis celui des reines qui l'ont précédée. Anne de Bretagne avait un budget de 63 790 livres (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 839, fol. 13-2). Voir : Estat de la recepte des deniers mis es coffres de la roine Catherine de Médicis, 1558 (Ibid., mss fr. 10 396 et 23 944, 23 946). Malgré ses 36.000 livres d'argent de poche, Marie de Médicis n'a jamais un écu sur elle quand elle sort et si un pauvre lui demande l'aumône elle prie quelqu'un de sa suite d'avancer une pièce (Héroard, Journal, I, 146).

[5] Nous possédons année par année le chiffre du budget de la reine pris aux archives de la Chambre des comptes (Bibl. nat., ms. fr. 7 449, fol. 10 r° : ms. Dupuy 852, fol. 182). Ces chiffres présentent quelques variations avec ceux qu'on peut trouver ailleurs pour des années identiques (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 218 v°, 91, fol. 157 r° ; Revue rétrospective, 1re série, IV, 161, 182).

[6] Marie de Médicis n'a pas d'excédent pour la nourriture. La reine qui l'a précédée, Louise de Lorraine, en avait eu au contraire d'assez notables (Estat des dettes dues à plusieurs officiers de la défunte reine douairière pour despence de bouche et fournitures par eux faites et avancées à la maison de ladite dame roine, 1604 ; N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 215).

[7] Giovannini eut tout au moins la promesse d'avoir une des premières abbayes vacantes (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 268 v° et 87, fol. 161 r°). Il semble que ce soit surtout à partir de 1604 que les difficultés financières commencent, sinon au point de vue des dépenses, au moins pour ce qui est d'y faire face.

[8] Tout le monde a incriminé de son temps l'avarice d'Henri IV (R. Dallington, The view of Fraunce, p. 61 ; Agrippa d'Aubigné, Mém., éd. Lalanne p. 331 ; Beauvais-Nangis, Mém., p. 99 ; Canestrini, V, 506 ; Tallemant, I, 4 ; Perroniana, Genève, 1669, p. 150). Le malheureux Beauvais-Nangis remarquait que le roi évitait les gentilshommes sans fortune de peur de subir quelque demande de leur part (Mém., p. 68). Quelques-uns défendaient le roi. C'estoit plutôt prudence qu'avarice, disait Fontenay-Mareuil (Mém., p. 21) ; il se montroit de vrai trop serré, ajoute Dupleix (Hist. de Henry le Grand, p. 593), mais ce n'estoit pas tant par une sordide convoitise que pour avoir de quoi payer ses dettes. Le menu peuple l'approuvait (le Fidèle sujet à la France, s. l., 1605, in-12°, p. 109) ; et Henri IV remarquait lui-même : On dit que je suis chiche, mais je fais trois choses bien éloignées d'avarice, car je fais la guerre, je fais l'amour et je bâtis ! (Legrain, Décade contenant la vie de Henry le Grand, Paris, 1614, p. 446). Par réaction les États généraux de 1614 professeront que les rois ne sont servis qu'à force d'argent et ne sont obéis qu'à mesure qu'ils sont libéraux (Fl. Rapine, Recueil de tout ce qui s'est fait en l'assemblée des Étals tenus en l’an 1614, p. 108).

[9] Sully, Économies royales, II, 231. Catherine de Médicis, qui fut la plus fastueuse des reines de France, fut celle qui apporta en se mariant les plus grands biens personnels (Bibl. nat., ms. fr. 10 830, fol. 5 v° ; voir son contrat de mariage, Ibid., fol. 10 et suiv.) ; ce qui ne l'empêcha pas d'ailleurs après sa mort de laisser pour plus de dix millions de dettes (Dettes et créanciers de Catherine de Médicis, 1589-1606. Documents publiés par l'abbé C. Chevalier, Paris, Techener, 1862, gr. in-8°).

[10] Sur la rudesse légendaire du ministre, voir le curieux pamphlet imprimé contre lui en 1614, le Financier à messieurs des États (s. l. n. d.) in-8° ; Barclay, les Satires d'Euphormion (Paris, 1625, in-8°, p. 417) ; et les dépêches des Florentins (Canestrini, V, 453, 509, 510). Le secrétaire de Sully, M. Arnault, n'était pas plus aimable que son maître (Beauvais-Nangis, Mém., p. 78). Malgré ses grandes qualités administratives (Fontenay-Mareuil, Mém., p. 20) il n'y a pas de doute qu'Henri IV eût fini par le remercier ; Richelieu tenait le fait de Marie de Médicis et de Jeannin (Richelieu, Mém., I, 13). Quoiqu'il touchât 60.000 livres de traitement à l'Épargne (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 106, fol. 68) il se faisait donner force pots-de-vin (Archives de la Haye, Acten en resolutien van de Staten generaal, 1605, fol. 743, fol. 762. Dans Bakhuizen van den Brink, Studien en Schetsen over valerlandsche Geschiedenis en Letteren. IV, 252). On prononçait M. de Suilly (Épîtres françaises des personnages illustres et doctes à M. J.-J. de la Scala, 1624, p. 283 ; G. du Sable, la Muse chasseresse, Paris, 1611, in-12°, p. 158).

[11] Richelieu, Mém., I, 10 ; Canestrini, V, 5U7. Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 218 v°. Henri IV ne donna pas Saint-Maixent à Sully parce qu'il ne se souciait pas de laisser une place de sûreté entre les mains d'un huguenot qui manioit les finances et à qui il ne falloit pas consigner de retraite assurée.

[12] Sully, Économies royales, II, 289 ; Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 218 v° ; 87, fol. 356 v°. Le lendemain de la mort d'Henri IV Marie de Médicis prit sa revanche. Elle voulait donner 900 livres à madame des Essarts pour lui permettre de faire élever ses deux filles à l'abbaye de Notre-Dame de Soissons. Elle écrit simplement à Sully : Je vous prie de faire payer à la dame des Essarts neuf cents livres ; et elle ajoute en post-scriptum sèchement et impérieusement : Je vous prie de faire payer les dites neuf cents livres ! (Ibid., 88, fol. 31 r°).

[13] Le mot dit aux demoiselles d'honneur est rapporté à Florence par Vinta (Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, p. 104). Les deux sommes données à la femme et à la maîtresse sont des étrennes (Lettres missives, VI, 341).

[14] Canestrini, V, 591. Malgré la molta compunzione e confusione d'Henri IV, les envoyés florentins conseillaient au grand-duc d'accueillir favorablement les demandes de Marie de Médicis.

[15] L'explication des ressources que représente pour la reine le système des créations de maîtrises est donnée par l'édit d'Henri IV d'avril 1597 (Isambert, Recueil, XV, 136). Sur les effets, au point de vue industriel, de ces créations, voir Fagniez (l'Économie sociale de la France sous Henri IV, Paris, Hachette, 1897, in-8° p. 87), et leur histoire, H. Lemonnier (l'Art français au temps de Richelieu, p. 164). Nous avons les édits de toutes les créations de maîtrises faites au profit de la reine (Bibl. nat., Actes royaux, F. 46 908 [20], 46 910 [20], [26], 46919 [9] ; Cinq-Cents Colbert 86, fol. 108 r°, 142 r° ; 87, fol. 30 v°, 205 v°). Les États généraux de 1614 protesteront vivement contre ces errements et réclameront que l'exercice desdits métiers soit, laissé libre à vos pauvres sujets (Cahier général du Tiers-État, p. 208).

[16] Sully, Économies royales, II, 340. Un contemporain appelle ces donneurs d'avis courtiers et maquignons d'édits, vrais excréments de l'État qui sucent le sang et la moelle des eaux (Nic. Pasquier, Lettres, 1623, p. 194). Naturellement les États de 1614 s'élèvent avec force contre ces gens-là (Cahier, p. 144). Ils demandent au roi de faire défense à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles puissent être, de proposer et poursuivre aucune nouvelle création ou rétablissement d'office, d'édit... sur peine de la vie et confiscation de biens comme ennemis et perturbateurs du repos général de tous vos sujets (p. 199).

[17] Si on veut se faire une idée de l'indépendance tout à fait extraordinaire des cours souveraines du temps à l'égard du roi, indépendance respectueuse mais inébranlable, basée sur la tradition, les usages, les lois fondamentales du royaume, il n'est que de lire le curieux Journal de Malenfant, greffier du parlement de Toulouse au début du XVIIe siècle (dans Chroniques de Languedoc, Montpellier, 1875, gr. in-8°, I et II, surtout II, 77).

[18] Sully, Économies royales, II, 177.

[19] Les registres contenant la copie des lettres de Marie de Médicis sont remplis des missives infiniment répétées sur des sujets de ce genre (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 166 v°, 252 v°, 278 r°, 290 r° ; 87, fol. 43 r°, 58 r°, 113 v°, 182 r°, 240 v° ; 89, fol. 3 r°, etc.).

[20] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 255 r°. La reine donnera une des deux places déconseiller au fils de son chancelier, M. de Blancmesnil (Ibid., 87, fol. 89 v°). Le parlement de Bretagne ne passait pas d'ailleurs en ce temps pour une des compagnies les plus aisées à manier (H. Carré, Essai sur le fonctionnement du parlement de Bretagne après la Ligue, 1598-1610, Paris, Quantin, 1888, in-8°).

[21] Marie de Médicis répétait aux magistrats que cette ressource était destinée aux dépenses faites au château de Montceaux-en-Brie. La proposition de réduire de quatre à deux le chiffre des conseillers à créer vint de Toulouse (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 80, fol. 188 v°, 278 r° ; 87, fol. 113 v°, 182 r° ; 89, fol. 3 r°).

[22] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 210 v°, 240 v°, 253 v°. Les offices de secrétaires ordinaires de la Chambre du roi étaient une excellente affaire qui devait rapporter 600.000 livres (Ibid., 92, fol. 61 v°). Henri IV les donna la veille de sa mort, le 29 avril 1610. Les secrétaires de la maison et couronne de France ou de Navarre sont simplement les commis rédacteurs de la Chancellerie (L'Escuyer, le Nouveau style de la Chancellerie de France, Paris, J. Richer, 1662, in-8°).

[23] Ces propositions d'affermage étaient examinées avec soin ; l'homme qui offrait de percevoir les sommes à ses risques et périls devait fournir des cautions qu'on voulait sûres (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 86, fol. 312 r°). Nous avons ailleurs l'arrêt rendu par le Conseil d'État pour approuver le contrat passé avec Pallier (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 430). Il est du 11 décembre 1607. De la même manière Marie de Médicis passa à Augustin Bonsergent les produits du droit à lever sur les notaires et tabellions de Languedoc et Provence (Ibid., 556), et à Jean Viguier ceux à prélever sur les huissiers et sergents du royaume (Ibid., p. 635).

[24] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 113 v°. L'arrêt du Conseil d'État portant ampliation des pouvoirs des huissiers sergents indiquait que le produit était nécessaire à la reine pour lui donner moyen d'acquitter certaines dettes de son écurie et de son argenterie, attendu que ses états ordinaires suffisent à peine aux dépenses de sa maison (N. Valois, op. cit., II, 134). La reine Marguerite réclama contre cet arrêt en disant qu'elle avait droit à la perception de cet impôt dans l'étendue de ses domaines. Marie de Médicis s'empressa de lui faire savoir qu'il en serait comme elle désirait, exprimant ses regrets qu'il y eût eu doute sur la question (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 358 v°). La reine dit généralement que ces recettes lui sont attribuées pour aider à fournir aux dépenses de notre maison (Ibid., 91, fol. 182 r°). Nous ne les donnons pas toutes. Les États généraux de 1614 réclameront la suppression intégrale des offices créés depuis 1576 sauf ceux de payeurs de pensions et des premiers commis de l'Épargne qui sont les seuls offices que la reine a fait entendre lui avoir été concédés par le défunt roi, desquels, néanmoins, est demandée la suppression par mort pour ce qu'ils sont à la charge de vos finances et foule de vostre peuple (Cahier général du Tiers-État de 1614, p. 199).

[25] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 24 r°. On estimait que les Moresques étaient deux millions en Espagne ; ils furent chassés par édit du 10 janvier, ils s'en allèrent les uns en Afrique, les autres par la France, à travers les montagnes. Henri IV. qui avait d'abord décidé de ne pas les recevoir, dut les subir parce qu'ils descendaient de force les vallées ; il leur interdit de passer la Dordogne et les invita à s'embarquer aux ports du Languedoc pour l'Afrique. De minutieuses instructions furent envoyées aux autorités afin d'éviter les désordres, les violences, les pillages, aussi bien des Moresques sur les populations que des populations sur les Moresques. Ce fut une affaire compliquée (S. Dupleix, Hist. de Henry le Grand, 1632, p. 574 ; duc de la Force, Mém., éd. La Grange, I, 341, II, 263, 290 ; Fontenay-Mareuil, Mém., II ; Mercure français, 1610, p. 1-17 ; Richelieu, Mém., I, 34).

[26] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 85 v°. Les Hollandais, grands courtiers de la mer à ce moment tenaient la main à la conservation de leur monopole. En 1604 ils avaient refusé à Henri IV l'autorisation d'équiper des vaisseaux aux Pays-Bas sans prendre la peine de dissimuler leurs raisons (Bibl. nat., collection Baluze, vol. 293 ; Van Deventer, Johann van Olden Barnevell en zyn tijd, La Haye, 1865, in-8°, III, 30). Les corsaires hollandais s'emparaient des navires qui faisaient concurrence à leurs compatriotes (Desmarquets, Mémoires chronologiques pour servir à l'histoire de Dieppe, 1783, in-8°, I, 325).

[27] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 234 v° ; 87, fol. 83 v°. On n'admettait pas en ce temps que les nobles fissent du commerce de détail, mais on admettait de leur part le commerce en gros ; d'ailleurs le public savait que les plus grands et les plus avisés des nobles s'en mesloient en cachette par personnes interposées (le Païsan français au roi, 1609, p. 143). L'armement était une entreprise très organisée (Guidon, stile et usance des marchands qui mettent à la mer, traitant des assurances, polices, avaries, lamanages et autres choses nécessaires pour la navigation, Rouen, imp. de Martin le Mégissier, 1619, in-8°).Des Parisiens tels que le joaillier de Marie de Médicis Hélie Fruit s'y intéressaient (Bibl. nat., ms. fr. 16 738, fol. 1531. Sur les entreprises outre-mer du temps d'Henri IV, consulter Ch. de la Roncière (les Routes de l'Inde au temps de Henri IV, dans Rev. des quest. hist., 1904, p. 157).

[28] Elle fondit aussi de la sorte la vache d'or massif en un pied émaillé de petites pierreries, le tout revenant à quatre mille écus, que lui avait donnée le Béarn en 1602 (L'Estoile, Journal, VIII, I).

[29] L'histoire de ces joyaux n'est pas très claire. Nous avons l'inventaire des joyaux de la couronne de 1570 (Bibl. nat., ms. Dupuy 52, fol. 125). En 1576, M. de la Rocheposay, ambassadeur à Rome, en avait donc engagé un certain nombre (Liste des bijoux de la couronne que M. de la Rocheposay est chargé d'engaiger à aucuns princes et estais d'Italie, Ibid., 350, fol. 13 et suiv.). On en engagea d'autres ensuite (Sully Economies royales, II, 335 ; G. Bapst, Hist. des joyaux de la couronne, p. 284). De son côté Marie de Médicis faisant affaire personnellement pour le même objet avec les Rucellaï (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 179 r°, 181 r°, 265 r°) qui avaient organisé avec d'autres une société de prêts (voir sur eux : Bibl. nat., ms. Dupuy 549, fol. 43 et 55 ; ms. fr. 7 854, fol. 154 r°), confondit sa propre affaire avec celle des bijoux antérieurement engagés (Ibid., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 30 V, 52 v°). On cacha d'abord soigneusement la négociation à Sully (Ibid., fol. 179 r°). Il fallut bien ensuite s'en expliquer avec lui (Lettres missives, VII, 247, et Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 265 r°). Les lettres de Marie de Médicis sur la question sont nombreuses et pressantes. Pour la conclusion de l'affaire, voir Descharge donnée au cardinal du Perron des bagues de la couronne qu'il a apportées de Rome, 1607 (Bibl. nat., ms. fr. 23 039, fol. 1-3).

[30] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 261 v°, et 91, fol. 240 v°. Toutes ces affaires compliquées jetèrent d'ailleurs Florent d'Argouges dans des embarras tels qu'il fut l'objet de poursuites judiciaires et subit des condamnations. Tout ce que pouvait faire la reine était d'obtenir des arrêts du Conseil d'État suspendant l'exécution de l'arrêt du Parlement (Noël Valois, Inventaire des années du Conseil d'État, II, 682).

[31] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 227 r° ; 92. fol. 17 v°, 85 r° ; 93, fol. 59 v°. Robin et Briant étaient dits par Marie de Médicis marchands fournissans l'argenterie du roi et la mienne.

[32] Toutes les pièces de comptabilité émanant du roi et de la reine devaient être rédigées suivant des formules fixées (L'Escuyer, le Nouveau style de la Chancellerie de France, Paris, 1622, in-8°, III, 1 et suiv.).

[33] Il y aurait une étude précise à faire sur le fonctionnement de la Chambre des comptes au début du XVIIe siècle. Les éléments du travail ne manqueraient pas. Après l'ordonnance d'Henri IV d'août 1598 portant règlement sur la juridiction de la Chambre (Bibl. nat., ms. Dupuy 562, fol. 149, et Actes royaux, F. 46 906 [18]), nous avons les Extraits des registres du conseil contenant les règlements, arrêts, etc., relatifs à la Chambre des comptes, de 1598 à 1609 (Bibl. nat., ms. fr. 10 842), un Livre instructif pour les finances et les comptes rendus à la Chambre des comptes, nécessaire à un officier de cette cour (Ibid., ms. fr. 14 068) ; un Formulaire à la fonction que doivent observer les maistres correcteurs et auditeurs de la Chambre des comptes, 1614 (Ibid., ms. fr. 14 068) ; ensuite toute la collection Clément de Boissy sur l'organisation et le fonctionnement de la Chambre (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 1 563-1 060 et mss fr. 10 991-11 082), collection dont M. Couderc a dressé l'Inventaire sommaire (dans Revue des Bibliothèques, juin 1893). Consulter aussi A. Bruel, Archives nationales, Répertoire numérique des Archives de la Chambre des comptes de Paris, série P. Paris, 1896, in-4°, p. 158, et de Boislisle, Chambre des comptes de Paris, Pièces justificatives, Nogent-le-Rotrou, 1873, in-fol., p. XXVII. On verrait que les difficultés faites à la reine ne lui étaient pas spéciales.

[34] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 164 r°, 225 V. La reine expliqua en vain que Phélippeaux était le seul secrétaire de nos commandements (Ibid., 92, fol. 2u3 v°). La Chambre exigeait que les mandements de dépenses de la reine indiquassent sur quelle nature de deniers lesdites sommes devaient être payées. On a peu d'idées des objections infinies portant sur des détails insignifiants que soulève à tout instant la Chambre (Ibid., fol. 240 v°).

[35] Quand la Chambre des comptes réclamait des corrections, le roi répondait par une déclaration (Déclaration envoyée à la Chambre des comptes pour les corrections faites ou à faire sur les comptes rendus pour l'année 1609 et les précédentes, Bibl. nat., Actes royaux, F. 46 917 [19], p. 76). Comme la Chambre, les États-généraux de 1614 réclameront la réduction des dépenses des maisons royales (Cahier général du Tiers-État, p. 43).

[36] La veuve d'Henri III mourut à Moulins en 1601 à peine âgée de quarante ans (Ant. Malet, l'Économie spirituelle et temporelle de la vie et maison, noblesse, et religion des nobles, dressée sur la vie de Louise de Lorraine roine de France et de Pologne, Paris, E. Foucault, 1619, in-4° ; Comte de Baillon, Histoire de Louise de Lorraine, reine de France, 1553-1601, Paris, Techener, 1884, in-8°). Nous sommes abondamment renseignés sur le douaire de Marie de Médicis qu'Henri IV, dans son contrat de mariage, avait fixé d'avance à une rente de 20.000 écus d'or, et hypothéqué sur des domaines (Arch. nat., KK. 195, et 354 ; Bibl. nat., mss fr. 7 605, 15 585, Dupuy 94, fol. 22 et suiv.). Les lettres patentes de Louis XIII assignant le douaire de sa mère (Bibl. nat., mss fr. 7 605, fol. 80, 3 462, fol. 80, Dupuy S32, fol. 218) avaient été dûment vérifiées par la Chambre des comptes (Bibl. nat., ms. Dupuy 832, fol. 214). Aux yeux des juristes les conditions légales des biens personnels des reines de France sont tout à fait nettes (Bibl. nat., ms. fr. 10 830) ; on l'avait bien vu pour le cas de Louise de Lorraine (Bibl. nat., ms. Dupuy 88, fol. 78, 141, 191 et 379, fol. 60).

[37] Les comptes de Marie de Médicis donnent le détail des revenus de chaque terre. On va voir que le total ne répondait pas aux estimations faites (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 71 r°). Sur le duché de Bourbonnais, déjà donné par Henri IV à Louise de Lorraine en 1592 comme douaire, voir Ibid., ms. fr. 10 830, fol. 91 v°.

[38] Voir Estat des terres du domaine que tient la reine mère Marie de Médicis tant de son douaire que des acquisitions qu'elle a faites (Bibl. nat., ms. Dupuy 832, fol. 216, et Cinq-Cents Colbert 182, p. 219). En 1586 une dame de Carnavalet avait acquis d'Henri III le domaine de Carentan et Saint-Lô et depuis l'avait transmis à M. de Matignon : Marie de Médicis faisait donc revenir cette terre à la famille royale (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 247 v°).

[39] C'est par contrat du 23 avril 1603 qu'Henri IV vendit au duc de Wurtemberg les terres en question (Prince Aug. Galitzin, Lettres inédites de Henri IV, Paris, J. Techener, 1860, in-8°, p. 425). Le chiffre des dettes d'Henri IV à l'égard du duc, que nous donnons en écus d'après un arrêt du conseil d'État (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 25), est porté à 960 055 livres, 16 sols, 6 deniers par un autre arrêt (Ibid., II, 295). Ce duc de Wurtemberg, Frédéric, va mourir en 1608 et sera remplacé par son fils, Jean-Frédéric, qui régnera jusqu'en 1628. Henri IV eut quelque peine à faire vérifier le contrat de vente par le Parlement de Normandie (Lettres missives, V, 426, 578, Vil, 87). Sur cette affaire, voir Bassompierre (I, 149) et le maréchal d'Estrées (Mém., p. 391).

[40] Tous ces détails sont révélés par la correspondance de Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 92 r°). On voit que cette affaire occupa extrêmement la reine. Elle aime mieux envoyer à Francfort que de traiter par lettre : J'en plaindrai moins la dépense du voyage (Ibid., 89, fol. 42 r°, 50 r°, 51 v°, 82 r°). Sur la foire de Francfort, voir : Henri Estienne, la Foire de Francfort, traduit en français par Isidore Liseux, Paris, Liseux, 1875, in-18°. Le second fils du duc de Wurtemberg vint à Paris en 1608 avec l'intendant des affaires de son père, que Marie de Médicis appelle Beningose, et Henri IV Bouwinghausen (Lettres missives, VI, 110).

[41] Marie de Médicis avait convenu avec les banquiers de leur payer 1.000 livres d'intérêt annuel : ceux-ci avaient primitivement réclamé 10.000 livres. Ce fut le conseil de la reine qui réduisit le chiffre (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 90, fol. 2 v°). Sur les lettres patentes de Louis XIII de janvier 1018 qui finissaient l'affaire les cours souveraines rendirent des arrêts en termes tels que le conseil de Marie de Médicis dut réclamer du roi des lettres de jussion seulement pour lever les modifications contenues en l'arrêt des dites chambres (Ibid., fol. 6 v°).

[42] Nous énumérons les revenus de la reine régente d'après ses états de recette de 1612 et de 1613 (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 83 v° et suiv., 124 r° et suiv.). Nous ignorons à quelle époque précise Henri IV avait fait don à Marie de Médicis de 100.000 francs de rente à prendre sur les cinq grosses fermes (Ibid., 221, fol. 223 v° et 233 v°) et de 72.000 livres sur les traites foraines (Ibid., 92, fol. 56 r°). Toutes ces questions financières étaient d'ailleurs entièrement secrètes. Le chancelier déclarait aux États de 1614 qu'il était périlleux de divulguer rationes imperii, et l'évêque de Bellay expliquait que comme les nerfs sont cachés sous la peau, de même les finances estant les nerfs du royaume dévoient être cachées et tenues secrètes ; l'opinion du temps était qu'il ne fallait pas divulguer le secret du prince (Fl. Rapine, Recueil de ce qui s'est fait en l'assemblée des États en 1614, p. 220, 237).

[43] Les états de budget de 1612, 1613 fournissent le détail circonstancié des dépenses de Marie de Médicis reine régente (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 86 v° et suiv., 130 r° et suiv.). En ce qui concerne les gardes, la reine, du vivant d'Henri IV, avait comme service d'honneur dix gardes du corps commandés par un exempt ; Marie de Médicis donnait par trois mois 15 livres de gratification à chacun des hommes, et 40 à l'officier (Ibid., fol. 14 v°). L'escouade était prise dans la compagnie des gardes du corps qui conjointement avec une compagnie de gardes françaises faisait le service quotidien du Louvre (Ibid., 89, fol. 209 r°). Par lettres patentes du 24 mai 1610 (Bibl. nat., ms. Dupuy 90, fol. 181), Louis XIII donna à sa mère comme régente une compagnie spéciale de cent gardes du corps commandés par le capitaine de la Châtaigneraie, le lieutenant de Presle, les exempts de Montbron et du Mont (Ibid., 92, fol. 77 r°). Chaque jour faisaient le service au Louvre : le capitaine, un exempt, et 24 gentilshommes maîtres ou archers des gardes (B. Legrain, Décade, p. 389). Cette compagnie était sur le même pied que les autres compagnies de gardes du corps du roi (Voir les provisions de la charge de capitaine pour M. de la Châtaigneraie assimilé aux autres capitaines des gardes, Bibl. nat., Rés. F. 232, t. LXXIV). Ceux qui étaient de service passaient la nuit au Louvre sur des paillasses (Bassompierre, Mém., II, 86). Nous avons le détail de leur riche costume, mantilles, casaques, hoquetons de velours brodés d'or et d'argent (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 92, fol, 112 v°, 113 r°).

[44] Les pensions que nous avons indiquées sont consignées régulièrement dans le budget des dépenses de la reine (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 88 v°) ; les affaires pressées et secrètes concernant notre plaisir et service dont nous ne voulons estre ci fait plus ample mention ni déclaration n'y figurent naturellement pas. Nous avons relevé une trentaine de pièces relatives à ces dépenses parmi les quittances signées de la reine, et ce n'est certainement pas tout. On voit des sommes de 30.000 livres à payer au porteur sans spécification de nom ni d'objet (Ibid., 92, fol. 73 r°).

[45] Ces détails nous sont connus par les papiers de la reine (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 92, fol. 12 r°, 58 v°, 61 r° ; 221, fol. 232 v°). Marie de Médicis pour son avènement à la régence fit créer par Louis XIII deux maîtrises dans chaque métier (Édit du roi contenant création de deux maîtrises de toutes sortes d'arts et métiers en faveur de l’avènement de la reine à la régence, Paris, R. Baragnes, in-8°, Bibl. nat., Actes royaux, F. 46 923 [20]).

[46] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 92, fol. 111 v°. Marie de Médicis eut la précaution de se faire confirmer par le roi son fils le don accordé par les trois États du pays et duché de Normandie (Ibid., 92, fol. 79 r°).

[47] Les juges demandèrent à Léonora Galigaï si la reine mère n'avait pas eu don des deniers provenant des provisions qu'estoient tenus prendre ceux qui exerçoient leurs offices par provisions Léonora répondit qu'elle ne se mêlait pas des affaires de Sa Majesté (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 240 r°). L'accusée sut d'ailleurs reporter à Marie de Médicis les pots-de-vin qu'on lui reprochait (Ibid., fol. 223 r°) et, intentionnellement ou non, les magistrats relèvent contre la maréchale un certain nombre de faits que nous savons pertinemment attribuables à la princesse (Ibid.).

[48] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 129 v° ; 92, fol. 14 v° ; 91, fol. 205 r°. Sur l'affaire du lieutenant Le Jay, qui, outre les 25.000 écus donnés à la reine, paya sa place 25.000 écus, voir L'Estoile (Journal, IX, 279). Il faut remarquer d'ailleurs qu'en ce temps, du haut en bas de l'échelle, tout le monde commettait des exactions (Guil. Colletet, le Roman satyrique, 1624, p. 1313 et suiv.). Les États généraux de 1614 prétendirent que les malversations dans l'administration des deniers publics représentaient pour trois ou quatre ans un total de 1.800.000 livres de vols (F. Rapine, Recueil de ce qui s'est fait en l'assemblée des Etats, p. 519). Dès 1604, Henri IV poursuivait les individus soupçonnés de déprédations (Lettres patentes du roy pour la recherche des financiers, Paris, P. Mettayer, 1605, in-8°. Bibl. nat., Actes royaux, F. 46 913 [19]). Le mot escroquer, excroquer est à la mode en ce temps (Guil. Colletet, op. cit., p. 893).

[49] Nous sommes renseignés sur l'histoire du trésor de la Bastille au temps d'Henri IV et de Louis XIII par la série des pièces officielles concernant ce sujet, bordereaux, lettres, ordonnances, inventaires, procès-verbaux (Bibl. nat., ms. Dupuy 848, fol. 191 et suiv.), toutes pièces dont nous donnons ici le résumé, en confrontant avec ce que dit Sully (Economies royales, éd. Michaud,II, 389) et Fl. Rapine (Recueil de ce qui s'est fait en l'assemblée des Etats, p. 558). Voir aussi A. de Boislisle, Histoire de la maison de Nicolay, II, 298. L'identification de la tour de la Bastille dans laquelle devait se trouver le trésor n'est pas tout à fait sûre (F. Bournon, la Bastille, Paris, 1893, in-fol., p. 37 ; F. Funck-Brentano, Archives de la Bastille, Paris, Plon, 1892, in-8°, p. XVIII ; les archives de la Bastille ne paraissent rien contenir sur notre sujet). Le public connaissait très bien ce trésor (Discours fait au roi par Mathault, naguières venu de Paradis, 1605, p. 46 ; J.-A. de Thou, Hist. univ., 1740, X, 224). Montrant au duc de Mantoue l'Arsenal, Henri IV lui disait : Voilà de quoi armer 50.000 hommes ; puis se retournant du côté de la Bastille : Et voilà de quoi les payer pour six ans ! (l'Injustice terrassée aux pieds du roi [s. l. n. d.], in-12°, p. 125). Henri IV était fier de son trésor (de Fréville, Ambassade de Don Pèdre de Tolède en France, dans Bibl. de l'École des Chartes, 2e série, I, 356).

[50] La scène de la Bastille est fournie par le procès-verbal de l'incident (Bibl. nat., ms. Dupuy 94, fol. 39 v° et suiv.). Pour le reste voir aussi A. de Boislisle, Hist. de la maison de Nicolay, II, 306. Bassompierre fait une allusion très brève à l'incident (Mém., II, 1). Jeannin dut s'expliquer devant les États de 1614 sur ce qu'était devenu le trésor d'Henri IV, parce qu'on disait couramment que depuis le départ de Sully les finances de l'Etat avaient été mal administrées. Il défend naturellement la reine (Fl. Rapine, op. cit., p. 188). Bassompierre cherche aussi à montrer que Marie de Médicis n'a pas dilapidé les finances royales (Bassompierre, Remarques sur les vies des rois Henri IV et Louis XJII de Dupleix, p. 223). Il est à peine besoin de signaler combien ces détails nous éclairent sur la nature du pouvoir royal en France au début du XVIIe siècle, les théories du consentement des dépenses si manifestement soutenues, et le chemin parcouru de 1600 à 1700, d'Henri IV à Louis XIV !

[51] Un mandement de Marie de Médicis du 25 décembre 1611 prescrivait à la Chambre des comptes de décharger M. Florent d'Argouges, d'une somme de 967.096 livres, 19 sols, 11 deniers, arrêtée par M. Boni d'Attichy, intendant de notre maison et finances, sans autre explication, ni justification d'aucune sorte (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 158 v°).

[52] On sait les dons considérables faits par la reine régente. De 1610 au 31 janvier 1612, Marie de Médicis aurait donné, à prendre sur l'Epargne, 3 millions de livres, et c'est le 14 janvier 1613 que le total des dons vérifiés atteignait le chiffre de 9.600.000livres (Remontrances du procureur général de la Chambre des comptes, dans A. Boislisle, Hist. de la maison Nicolay, II, 294). L'ordonnance de Louis XII que nous citons est dans le ms. Dupuy 848, fol. 202 r°, de la Bibl. nat.

[53] La déposition du banquier Lumagne au procès de Léonora est très nette (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 37 r° et suiv.). Le cardinal Borghèse, secrétaire d'État du Saint-Siège, par une lettre du 16 septembre 1617, chargea le nonce Bentivoglio de prévenir avec prudence le gouvernement de Louis XIII des placements de Marie de Médicis à l’étranger. Bentivoglio répondit qu'au dire de tout le monde il s'agissait de placements faits par Léonora Galigaï ; le secrétaire d'État répliqua qu'il n'y avait pas de doute qu'il s'agissait bien de l'argent de la reine régente (Bentivoglio, Lettere, Florence, 1865, II, 6, 41, 201).

[54] Ces faits nous sont connus par la déposition de Lumagne au procès de Léonora (loc. cit.). Ils sont deux Lumagne, Jean-André et Charles, les plus gros banquiers de l'Europe à ce moment. Jean-André, seigneur de Villiers et de Saint-Loup (Bibl. nat., Pièces originales, vol. 1 774), possédait un bel hôtel rue Neuve-Saint-Merry Ibid., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 35 r°) et une maison de campagne à Sannois où il reçut Louis XIII (Héroard, Journal, II, 110 ; Beys, Œuvres poétiques, Paris, T. Quinet, 1631, p. 245). Voir l'éloge de la famille dans M. Baudier (Hist. du maréchal de Toiras, Paris, 1614, in-fol, p. 230). Nous avons conservé des lettres de Lumagne et de leur associé Mascaragni (Bibl. nat., mss fr. 18 0i2, fol. 59, 108, 127 ; 18 043. fol. 140, 157 ; 18 047, fol. 338). La banque avait sa maison principale à Lyon où résidait l'associé Mascaragni. Lyon, en communication directe avec l'Italie, l'Allemagne, l'Europe centrale, était le grand centre commercial de la France sous Henri IV (R. Dallington, The view of Fraunce, éd. Emerique, p. 10). Toute marchandise de luxe devait entrer dans le royaume par Lyon (Cahier du Tiers-État de 1614, p. 130), où se trouvait la douane (Lettres patentes du roi Louis XIII sur le fait de la douane de Lyon, 27 juin 1613. Bibl, nat., Actes royaux F. 46 925 [14], et G. Fagniez, l'Économie sociale de la France sous Henri IV, p. 339). Les marchands fréquentant les foires de Lyon y jouissaient de privilèges royaux (Isambert, Recueil, XV, 101). Les banques surtout y étaient très florissantes (Discours sur les causes de l'extrême cherté qui est aujourd'hui en France dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., VII, lo9 ; Marcel Vigne, la Banque à Lyon du XVe au XVIIIe siècle, Paris, Guillaumin, 1903, in-8°).

[55] Toutes lesquelles promesses se sont trouvées dans un petit coffret qui fut emporté par la maréchale d'Ancre lorsqu'elle fut arrêtée prisonnière, en procédant à l'inventaire des papiers qui se sont trouvés en sa possession en la chambre où elle fut constituée prisonnière dans le Louvre (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 261 r°). On voit que le cardinal Borghèse ne révélait pas grand'chose au gouvernement de Louis XIII.

[56] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 42 v°.