LA VIE INTIME D'UNE REINE DE FRANCE AU XVIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE PREMIER. — MARIE DE MÉDICIS.

 

 

Enfance triste de Marie de Médicis. — Mort de sa mère, de ses frère et sœur, second mariage de son père. — Demeurée seule, elle reçoit pour compagne la petite Léonora Galigaï. — Education sévère de Marie. — Son aspect physique à dix-sept ans ; beauté, santé. — Projets de mariage ; nombreux et brillants partis ; échecs successifs des combinaisons. — La princesse, préoccupée par une prédiction, veut être reine de France. — Emprunts perpétuels des rois de France aux grands-ducs de Toscane à cette époque. — Pour obtenir de l'argent Henri IV propose d"épouser Marie de Médicis. — Marchandage de la dot. — Cérémonie du mariage et voyage en France. — La nouvelle reine le lendemain de son mariage ; son caractère, résultant de son tempérament. — Sa gaieté, sa bonne grâce. — Elle est d'intelligence médiocre et d'humeur changeante ; sa nervosité. — Intégrité de ses mœurs. — Passion pour la magnificence ; libéralité. — Sa religion formaliste. — Dons et aumônes ; bonnes œuvres impersonnelles et obligatoires.

 

Petite princesse de Toscane, élevée dans le palais Pitti que venait d'embellir l’Ammanati, au milieu des richesses d'art accumulées par sa famille et des élégances réalisées par son père, Marie de Médicis avait eu une enfance triste. A peine âgée de cinq ans, en 1578[1], elle avait perdu sa mère, la pâle et délicate archiduchesse Jeanne d'Autriche, petite-fille de l’empereur Ferdinand, frère de Charles-Quint, peu intelligente, morte sous les brutalités de l'homme dur qu'elle avait épousé. Quatre enfants restaient en bas âge, un fils, Philippe, trois filles, Eléonore, Anne et Marie. Le père, François-Marie de Médicis, — qui, en 1574, avait succédé comme grand-duc de Toscane à Côme Ier, — prince vigoureux, violent, doué de qualités d'esprit brillantes, de goûts raffinés, mais égoïste, aristocrate, emporté dans ses sentiments jusqu'à la cruauté, perfide, vaniteux, cruel, une laide nature, était tout entier à des passions qu'il ne savait ni discuter ni modérer. Sa liaison avec la célèbre Bianca Capello avait été la fable de l'Italie et des cours étrangères ; deux mois après la mort de sa femme, il l'épousait ; puis, trop absolu pour supporter la présence de ses enfants, qui lui rappelaient des souvenirs importuns, il les installait au Pitti et se retirait dans la solitude de Pratolino avec Bianca, s'enfermant, ne recevant plus personne, occupé à surveiller l'accroissement de sa fortune qu'assuraient des galions chargés de marchandises, des comptoirs de banque créés dans les principales villes d'Italie, des magasins trafiquant à son compte de diamants et de céréales[2]. Leur belle-mère fut pour les enfants un objet de honte et de douleur. Marie de Médicis avouait plus tard qu'en voyant la veuve d'un bourgeois de Florence prendre la place de sa mère, elle ne pouvoit souffrir cet abaissement fait par le poids d'un amour déréglé ; le duc Gonzague de Mantoue écrivait à l'archiduc Ferdinand : Le grand-duc n'a pas craint sinon d'abandonner entièrement ses filles à cette femme avilie, du moins de permettre qu'elles aillent publiquement ensemble avec elle dans Florence. Moins d'un an après la mort de Jeanne d'Autriche, Bianca Capello donnait des fêtes brillantes, bals, carrousels, tournois, chasses de taureaux et de bêtes fauves au filet, comédies, parties de campagne. Elle avait fait croire au grand-duc qu'un certain Antonio était leur fils, et le prince, pris de passion pour cet enfant, le comblait de faveurs, lui donnant des apanages de soixante mille écus, palais à Florence, maison aux champs, à la Magia ; il se préoccupait plus de suivre avec anxiété les fausses grossesses imaginées par Bianca de temps à autre que de savoir ce que devenaient ses filles au Pitti[3].

De cette période de sa vie, l'enfant qu'était Marie de Médicis ne garda que des impressions douloureuses. Hasards ou présages, le souvenir d'accidents terribles resta gravé dans sa mémoire et, soixante ans après, elle en parlait encore avec effroi ; la foudre était tombée trois fois dans sa chambre, une fois cassant les vitres, une seconde fois blessant la femme de chambre, une troisième fois brûlant les rideaux du lit ; des tremblements de terre avaient par trois fois aussi secoué Florence et ébranlé le palais grand-ducal ; enfin un jour, près de Pise, se promenant au bord de la mer, la petite princesse avait manqué de se noyer. D'autres peines allaient encore et plus gravement l'attrister[4].

Chétif et d'une santé maladive, son frère Philippe mourait en 1583. Sa sœur Anne, plus âgée qu'elle de cinq ans, jeune fille vive et piquante, qui contribuait à donner quelque gaieté à leur petit groupe, était emportée assez brusquement le 19 février 1584, après une fièvre causée par des saignements de nez prolongés ; elle avait quinze ans. Cette même année 1584 n'était pas achevée qu'Éléonore s'en allait, mariée au duc de Mantoue, et Marie de Médicis demeurait seule, à onze ans, sans mère, presque sans père, dans ce grand palais où l'étiquette la condamnait à demeurer enfermée le plus possible, n'ayant plus personne des siens qui l'aimât, qui pût l'élever et en qui elle eût confiance.

La voyant isolée, l'entourage eut alors l'idée, avec l'approbation du grand-duc, de lui donner une petite compagne. On fit choix d'une enfant âgée de huit ans, plus jeune qu'elle de trois ans, qui se nommait Léonora Dori, et ensuite s'appela Galigaï. C'était une fille pas jolie, très intelligente, maigre, brune, petite, nerveuse, douée surtout d'un esprit endiablé, d'une gaieté entraînante, ce que, plus tard, son secrétaire appellera une humeur plaisante et bouffonesque[5]. D'où sortait-elle ? Les contemporains, dans vingt et trente ans, seront malveillants ; les uns la diront fille d'un menuisier, les autres d'un charpentier et d'une mère diffamée ; la tradition s'établira qu'elle était fille de basse naissance, aussi dépourvue d'éducation que dénuée des grâces de son sexe. L'impopularité extrême dont elle a joui doit mettre en garde contre ces informations. Interrogée à son procès en 1617 sur son état civil, Léonora déclarera que sa mère s'appelait Catherine de Dori ; qu'elle n'a pas connu son père, lequel était gentilhomme florentin. La cour d'Henri IV, sollicitée en 1600 d'accepter Léonora comme dame d'atour à Paris et interrogeant pour savoir si elle était en mesure, par ses origines, de pouvoir monter dans les carrosses de la reine, recevra comme réponse que l'amie de Marie de Médicis est de bonne bourgeoisie et qu'à Florence bonne bourgeoisie vaut noblesse[6].

Les deux petites filles s'entendirent très bien. Fine, adroite, prudente, Léonora s'attacha à sa maîtresse, s'appliquant à être très complaisante, très diligente à la suivre et à faire ce qui estoit de sa volonté, à l'amuser. Abandonnée, ainsi qu'elle l'était, ne vivant, retirée dans son palais, qu'entourée de grandes personnes un peu austères pour elle, Marie se prit d'affection pour la compagne dévouée qui ne cherchait qu'à lui faire plaisir, lui faisoit passer le temps, lui servoit de conseil, et ainsi se fonda cette faveur que l'habitude ensuite ne devait que fortifier et qui allait durer jusqu'à la mort[7].

Le grand-duc François, pris d'une fièvre violente, mourut brusquement le 19 octobre 1587, jeune encore, — quarante-sept ans, — et le lendemain, quelques heures après, Bianca Capello le suivait, double mort mystérieuse qui excita les soupçons des Florentins, mortels ennemis de leur grand-duc. La disparition de son père allait modifier le sort de Marie. A défaut d'héritier mâle, le grand-duché de Toscane revenait au frère de François, Ferdinand, cardinal-diacre de la sainte Eglise romaine. Ferdinand abandonna la pourpre, prit le pouvoir. Fort et épais comme son frère, bien qu'il n'eût encore que trente-huit ans, pas distingué de formes, mais bon, libéral, aussi modéré et bienveillant que François avait été dur et sec, d'un naturel jovial et d'un entretien agréable, Ferdinand aima sa nièce comme sa fille. Le 30 avril 1589, il épousait Christine, princesse de Lorraine, nièce de Catherine de Médicis, qui avait elle-même négocié ce mariage. Christine, ou Chrétienne, avait seize ans, le même âge que Marie de Médicis[8]. L'arrivée à Florence de cette jeune grande-duchesse fit reprendre au Pitti l'air de fête et de gaieté qu'il avait perdu depuis longtemps. La parité des âges de la tante et de la nièce était un avantage ; elle était aussi un inconvénient, en raison de la difficulté pour les princesses de conserver les distances entre elles[9]. Des fêtes somptueuses marquèrent les premiers temps du séjour de Christine ; ce furent des galas au Pitti comme jamais Marie n'en avait vus. Ferdinand était plein de bonté pour Marie, Christine se montrait gracieuse. Les enfants, deux fils, une fille, allaient bientôt absorber le temps et les affections de celle-ci.

L'éducation de Marie de Médicis avait été confiée par le grand-duc François à madame Orsini, une Romaine. Sévère, étroite d'idées, madame Orsini, — d'elle-même ou par ordre, — s'était appliquée à tenir sa jeune élève dans la retraite la plus absolue ; elle ne lui laissait voir personne, veillait à ce que Marie ne sût rien de la politique et des affaires, la suivoit attentivement. La petite princesse de Toscane y gagna de ne pas connaître les usages du monde, mais, en retour, on lui prêcha la docilité et le respect à l'égard de son père, celui-ci mort, à l'égard de son oncle et de sa tante[10]. Pour les études, comme il fallait quelque émulation, on lui adjoignit, parle commandement du grand-duc François, Antonio, le fils de Bianca, puis un cousin, Virginio Orsino, fils du duc de Bracciano et d'Isabelle de Médicis. Antonio était trop haï, en raison de son origine, pour produire quelque impression sur Marie de Médicis ; il n'en fut pas de même de Virginio ; de cette camaraderie, née de bonne heure, devait éclore un sentiment plus tendre, réciproque, semble-t-il, mais qui n'alla jamais, chez la princesse, jusqu'à la passion. Qu'y eut-il entre eux ? On ne le sait pas bien ; et, sans une indiscrétion de Christine, la tante, des jalousies aiguës d'Henri IV et des propos légers de la cour de France, plus tard, on ignorerait cette idylle incertaine des deux jeunes gens[11].

François de Médicis avait prescrit que sa fille reçût toute l'instruction désirable en ce temps. On ne lui apprit pas cependant le français. En revanche, les notions des arts lui furent enseignées d'une manière pratique. Le grand-duc était un savant et un artiste ; il était botaniste, chimiste, lapidaire ; il faisait de la peinture et de la porcelaine, notamment de l'imitation de la porcelaine chinoise ; il s'entendait merveilleusement aux pierres précieuses. Par goût personnel hérité de son père, Marie se mit avec ardeur à la peinture, à l'architecture, la musique, la sculpture et la gravure. Elle devait plus tard donner à Philippe de Champaigne un dessin gravé par elle, probablement à ce moment ; ce dessin existe encore : il autorise à penser que le maître de la princesse collaborait notablement à certaines œuvres trop achevées de son élève pour être d'un enfant amateur[12]. Comme le grand-duc, elle s'adonna aussi aux pierreries, sut de bonne heure discerner les vraies des fausses et s'éprit pour les parures en joyaux d'une passion dont on devait, jusqu'à sa mort, constater les dispendieux effets. Elle eut également du goût pour les mathématiques. Sous le règne de Ferdinand, le théâtre et la musique, très à la mode à la cour grand-ducale, furent l'objet de ses préférences : c'était le temps où les musiciens Jacobo Péri et Julio Gaccini composaient de véritables opéras et où Octavio Rinuccini mettait en musique la pastorale de Daphné.

Vers dix-sept ans, elle était devenue une grande et blonde jeune fille, très bien portante, un peu grasse, sinon forte, agréable de fraîcheur et d'éclat, régulière de traits, — sans être positivement jolie, — saine et vivante. Sa figure trahissait sa double origine : la mère autrichienne, le père Médicis ; de sa mère, elle avait le bas du visage, le menton avançant des Habsbourg, l'ovale assez pur, les lèvres légèrement accusées, pas très distinguées, le nez fin et bien dessiné ; du père, elle tenait le front large et beau, le regard droit et ferme, l'ensemble assuré de la bonne bourgeoise qui a de la fortune. Mais hélas ! de la mère elle gardait l'intelligence insuffisante et du père aussi la volonté tenace, deux traits qui, réunis, ne donnent que de l'entêtement. Gracieuse, aimable, souriante, Marie était une princesse dont le regard et le front annonçaient une personne un peu bornée et têtue ; on s'en rendit compte de bonne heure[13].

Il fut très tôt question de la marier. Riche héritière de ces gros commerçants et banquiers qu'étaient les Médicis, elle constituait un parti royal. Ferdinand, son oncle, attentif à suivre une politique susceptible de lui procurer les profits les meilleurs, entendait bien ne la placer qu'aux conditions les plus avantageuses et ne la céder que contre espérances politiques larges et sûres. Un instant, l'aventure de Virginio avait inquiété. De cinq ans plus âgé que la princesse, Virginio n'avait-il pas osé, comme l'écrira plus tard Sully, concevoir des espérances par-dessus sa condition ? Christine avait dû défendre au jeune homme d'adresser la parole à Marie et le faire surveiller. Mais Marie ne voulait pas de lui.

Il y eut pour elle une longue série de négociations diverses projetées, étudiées et rompues. Dès son avènement au trône, en 1587, Ferdinand, mal assuré encore de ses moyens, songeait à une union avec le fils du duc de Ferrare ; Marie avait quatorze ans. L'idée n'eut pas de suite. Informées que le grand-duc pensait à un mariage, les cours étrangères s'agitèrent. Un gouvernement paraissait surtout préoccupé, c'était celui du roi d'Espagne, à qui il importait que les trésors accumulés à Florence n'allassent pas, grâce à une alliance dangereuse, soutenir les entreprises de quelque adversaire politique. Il mit à suivre tous les projets, à les contrecarrer, à en proposer une persévérance inlassable. L'insuccès de la combinaison avec Ferrare établi, il insinua la sienne, un mariage avec le prince de Parme, Farnèse ; mais il s'était mal informé ; Farnèse avait des vues ailleurs et déclina. L'année suivante, en 1589, il revint à la charge et présenta un nouveau candidat, le duc de Bragance. Cette fois, ce fut Ferdinand qui refusa. La grande-duchesse Christine, de son côté, pensait à un prince français de la famille de Lorraine, M. de Vaudémont[14] ; elle fut un peu surprise en se heurtant à un refus énergique de Marie de Médicis. Qu'était-ce à dire ? On accusa la petite confidente de la princesse, Léonora, d'avoir donné de fâcheux conseils ; les explications furent embarrassées ; il y eut une scène, et Léonora manqua d'être chassée. Ferdinand conçut alors un brillant projet : c'était de donner sa nièce à l'archiduc héritier de l'empereur Mathias, frère de Rodolphe II, et qui, veuf de l'archiduchesse Maximilienne-Grégoire, ne se refusait pas à convoler en secondes noces. Le grand-duc tenta l'impossible pour y arriver, insinuations, artifices, flatteries, cadeaux au gouverneur du prince, le marquis de Dénia, bassesses même ; rien n'aboutit. Entre temps, le roi d'Espagne réapparaissait, offrant une seconde fois Bragance ; mais Bragance n'était pas prince régnant, et le grand-duc déclara qu'il ne pouvait accepter pour sa nièce un personnage réduit à l'état de particulier ; il prétendait la placer dans un rang au-dessus même de sa naissance et lui ménager un parti plus avantageux. Sur quoi, l'empereur Rodolphe, réflexion faite, se ravisait, demandait Marie de Médicis soit pour lui-même, soit pour son frère l'archiduc héritier et envoyait un conseiller, Corradino, à Florence afin de négocier. Ferdinand était enchanté. On convint du contrat ; la jeune fille aurait 600.000 écus si elle épousait l'empereur, 400.000 si elle prenait l'archiduc ; puis Corradino ajouta que, quant à la date du mariage, on ne pouvait pas la fixer, qu'il fallait attendre la paix et autre chose. Après des tergiversations bizarres, le grand-duc comprit qu'on se moquait de lui, qu'on allait le tenir en suspens tant qu'il y aurait intérêt pour l'empereur à ce que la princesse de Toscane n'épousât pas quelque adversaire et que, les difficultés passées, on romprait. Outré de colère, il reprit sa parole. Marie de Médicis ne tenait pas à ce mariage[15].

Elle avait, elle, son idée. Certaine religieuse, célèbre à ce moment en Italie par sa sainteté, la Passitea, capucine habitant Sienne, où elle avait fondé un grand monastère des aumônes qu'on lui donnait, ayant eu une fois l'occasion de la voir, lui avait prédit d'un ton singulier qu'elle serait un jour reine de France. Cette prédiction l'avait vivement frappée. Léonora, ambitieuse et intelligente pour deux, n'avait pas eu de difficulté à la convaincre qu'elle ne devait attendre que cette couronne. Lui avait-elle déconseillé tous les autres partis ? On en était convaincu à Florence, et la grande-duchesse lui en voulut vivement ; on le lui reprocha plus tard à son procès et elle s'en défendit gauchement. Ses insinuations, vraies ou fausses, se trouvèrent d'accord avec les propres désirs de Marie de Médicis[16].

Les relations de la France et du grand-duché de Toscane, à ce moment, étaient extrêmement étroites ; elles étaient celles du besogneux et du prêteur. A court d'argent depuis longtemps, les rois très chrétiens avaient pris l'habitude de s'adresser au banquier richissime de Florence qui, par intérêt et par politique, donnait. De 1362 à 1569, Charles IX avait ainsi reçu 192.857 ducats d'or. Luttant pied à pied, sans ressource, sans fortune, pour conquérir le royaume, que la mort d'Henri III lui avait laissé, Henri IV dut recourir, dans de plus larges mesures encore, au trésor de Florence[17]. On attribuait au grand-duc un revenu énorme, vingt millions, disait-on, près du budget des recettes du royaume de France. D'esprit aussi commercial que son frère, Ferdinand avait continué toutes les affaires de celui-ci, vendu des grains, armé pour le transport et le cabotage, fait, par ses comptoirs, le change et la banque, pris intérêt dans toutes les affaires des principales maisons de Florence, même organisé la contrebande dans les colonies espagnoles sous pavillon hollandais et anglais, avec part, assurait-on, aux bénéfices de la piraterie de ces deux nations contre les sujets du roi d'Espagne. La banqueroute de Philippe II, qui avait ruiné nombre de maisons florentines, ne l'avait pas ébranlé ; on devait trouver à sa mort des réserves immenses.

Les emprunts d'Henri IV à Florence furent très nombreux. Il fallait, pour transporter des bords de l'Arno à Paris cent mille écus, dix-sept charrettes escortées par cinq compagnies de cavalerie et deux cents hommes de pied[18]. Les demandes continuelles créèrent entre les deux princes une situation bizarre. Afin d'excuser ses requêtes et d'en obtenir l'effet voulu, Henri IV se faisait humble : il parlait de protection ; il laissait entendre qu'il désirait avoir des conseils ; il multipliait les formules respectueuses et les témoignages de soumission. Du côté de Florence, on élevait le verbe avec humeur ; on articulait des plaintes et des reproches qui, chaque jour, allaient s'accentuant ; on prenait un ton de liberté et de remontrance singulier : Vous dépensez trop, disait-on, nous ne pouvons pas nous ruiner pour vous. Comment le royaume de France, qui est plus riche que nous, ne vous suffît-il pas ? Henri IV alors allait plus loin ; il proposait de se faire catholique, pensant de la sorte plaire au grand-duc ; pressé par la nécessité, il eût promis tout ce qu'on eût voulu[19].

Or, en 1592, le cardinal de Gondi, chargé par lui d'une négociation d'emprunt de ce genre, s'étendant avec Ferdinand sur les projets du roi de France et lui expliquant ses intentions, hasarda l'idée que le prince pourrait bien obtenir en cour de Rome l'annulation de son mariage avec Marguerite de Valois, et, devenu libre, épouser Marie de Médicis. Gondi, qui avait pensé à tout, ajouta que le grand-duc donnerait certainement à sa nièce un million d'écus d'or en dot. Sur le moment, Ferdinand entra dans la combinaison avec empressement, ne parut pas faire d'objection au chiffre de la dot, ce que le cardinal prit pour un acquiescement, et Henri IV, prévenu du résultat de la démarche, ravi, — car, après tout, il avait le temps de réfléchir avant l'annulation de son premier mariage, — se dépêcha d'envoyer La Clielle à Florence afin de confirmer ce qu'avait dit Gondi ; des promesses furent données en son nom ; en attendant, les prêts devenaient plus faciles[20].

Puis les choses tombèrent. Henri IV était trop occupé de gagner son royaume ; son cœur était pris ensuite et la cour de Florence, très au courant de ce qui se passait à Paris, n'avait pas de peine à penser que la passion du roi pour Gabrielle d'Estrées rendait impossible une union quelconque. Ferdinand chercha ailleurs un mari pour sa nièce.

Cette passion pour Gabrielle d'Estrées, dont on voulait, à n'importe quel prix, écarter les conséquences menaçantes, à savoir un mariage, décida l'entourage d'Henri IV à reprendre quelques années après le projet d'union avec Marie de Médicis. Tout le royaume souhaitait le remariage du prince, tout le monde redoutait le scandale de l'union avec la maîtresse. Dès 1597, le légat parla de la princesse de Toscane au cardinal de Gondi, le pape étant très partisan de l'annulation du mariage de Marguerite, de l'éloignement de Gabrielle et de l'idée florentine. Il ne fallut rien moins que la question d'argent criante et inéluctable pour décider Henri IV à subir ce que la nécessité de ses finances et le souci de sa dignité imposaient aux ministres[21].

Les dettes de la France à l'égard des Médicis étaient devenues de plus en plus considérables. Héritier du reliquat impayé de ses prédécesseurs et chargé des sommes qu'il avait empruntées lui-même, le roi se trouvait devoir un chiffre supérieur à ce que ses moyens normaux lui permettaient de rendre. Le public parlait de 200 millions : c'était excessif ; Henri IV, causant avec Claude Groulart, lui avouait plus de 500.000 écus ; exactement, il devait 1.174.147 écus d'or au soleil. Où pourrait-il jamais trouver pareille somme ? Impatienté des retards sans nombre de la cour de France à le payer, plein d'humeur, le grand-duc de Toscane avait fini par mettre la main sur le château d'If et les îles Pomègues, en face de Marseille, comme gage, et le roi avait dévoré sa honte sans rien dire[22]. On lui lit peur et on le raisonna. S'il se décidait à épouser Marie de Médicis, lui dit-on, il pourrait d'un coup éteindre ses dettes, obtenir de plus une bonne source de deniers pour employer à ses affaires et nettoyer son royaume des dettes excessives qu'il portoit ; puis avoir, dans son nouvel oncle, un banquier d'accès facile. Henri IV prit résolument son parti. Je suis de ceux, — écrivait-il gaillardement à M. de Chatte, — qui pensent qu'un bon mariage leur doit aider à payer une partie de leurs dettes. Le sort en était jeté. Seulement, contradictoire, comme il le fut toujours dans les questions où le cœur et l'intérêt étaient mêlés, il gardait Gabrielle d'Estrées, après celle-ci, Henriette d'Entraigues, marquise de Verneuil, en leur promettant, à l'une et à l'autre, de les épouser[23].

On chargea Geronimo Gondi d'aller trouver le grand-duc à Florence et de reprendre les pourparlers. Ferdinand, tenu au courant par ses agents diplomatiques, attendait. Le pape était de son côté. Rome voulait bien annuler le mariage de Marguerite de Valois afin de permettre l'avènement au trône de la princesse de Toscane, mais non celui d'une maîtresse, soucieuse de légitimer ses enfants. Gondi fut très bien reçu. Sur le principe même du mariage, il n'y avait pas de difficulté, on était d'accord ; mais, lorsque le négociateur parla du million de dot, le grand-duc indigné se récria : jamais il ne donnerait une somme aussi exorbitante ! En vain Gondi invoqua-t-il que quelques années auparavant Ferdinand avait accepté ce chiffre, le Florentin nia énergiquement[24]. De Paris, les ministres Villeroy et Rosny, informés de la difficulté, mandèrent à Geronimo de rentrer, et il fut décidé que les discussions se poursuivraient au Louvre entre le gouvernement et l'envoyé florentin Baccio Giovannini. Henri IV commença par insister pour avoir, même, un million et demi de dot, le million représenté par les dettes et le reste livré en deniers comptants. Entendez bien, disait-il : en 1592, vous consentiez à admettre le chiffre de un million, et je n'étais pas roi assuré ! Aujourd'hui où je le suis, je vaux moitié plus ! Giovannini riposta qu'il avait ordre de ne pas suivre la cour de France sur ce terrain et qu'il ne pouvait offrir que 500.000 écus ; l'empereur se contentait bien, lui, de 400.000 pour l'archiduc héritier ! Mais, sous main, l'envoyé florentin suppliait le grand-duc, son maître, de consentir à des sacrifices. Si le roi n'épouse pas Marie, disait-il, il n'épousera personne ou qu'une maîtresse ; ce royaume se ruinera et vous perdrez toutes vos créances. De leur côté, les ministres d'Henri IV conseillaient à celui-ci de baisser ses prétentions et de descendre jusqu'à 800.000 écus. On écrivait au pape de peser sur le grand-duc de Toscane ; on introduisait à Rome le procès en annulation du mariage de Marguerite de Valois et on le poussait avec activité[25]. Ferdinand consentit à monter jusqu'à 600.000 écus. Alors les ministres de France, de plus en plus préoccupés de la passion du roi pour Henriette d'Entraigues, se décidèrent à lui faire accepter ce chiffre. Après tout, déclarait Sully, jamais reine de France n'avait eu si forte dot ; et sans ironie il ajoutait, parlant à Henri IV : Il n'est pas de la dignité de votre personne de prendre une femme pour de l'argent, de même qu'il ne faut pas que le grand-duc achète voire alliance pour une somme. Moitié lassitude, moitié insouciance, — il avait l'esprit ailleurs, — Henri IV céda. Il fut donc arrêté que la dot serait de 600.000 écus, dont 350.000 donnés comptant et le reste à valoir en créances. L'affaire était conclue[26] !

Pauvre princesse Marie ! Il avait été bien peu question de sa personne, de ses goûts, de son bonheur pendant ces discussions intéressées. Le roi de France ne savait à peu près rien de sa future fiancée et il n'avait rien demandé. On lui avait parlé vertus, des grâces, de la piété chrétienne et de la beauté de cette princesse accomplie ; il s'en tenait à ces banalités[27]. Il attendit six mois après la décision du mariage pour s'enquérir auprès de M. d'Alincourt, revenant de Florence, de ce que celui-ci pensait de Marie de Médicis, et M. d'Alincourt, en bon courtisan, ne put faire qu'un honorable récit de la personne et du mérite de la princesse. Henri IV se déclara très content, ajoutant, il est vrai, comme je fais du contenu des articles du contrat de mariage[28]. Tout au plus s'était-il assuré qu'elle avait bonne santé et semblait en mesure d'avoir des enfants, puis qu'elle savait monter à cheval, car il projetait de la faire beaucoup voyager, de lui montrer le royaume pendant un an, et, entre autres, de la mener à Pau voir la maison paternelle de l'ancien roi de Navarre, ainsi que le jardin planté par lui dans sa toute jeunesse[29]. Les deux cours avaient échangé les portraits des futurs.

Pour Marie, il était temps que ces discussions prissent fin. Elle venait d'avoir vingt-sept ans. Depuis qu'on parlait de son mariage, que tant de partis avaient été proposés et n'avaient pas abouti, elle désespérait ! A défaut du roi de France, lorsqu'on lui avait présenté l'archiduc Matthias, homme difforme et violent, elle avait dit qu'elle irait plutôt dans un couvent que de l'épouser. Une profonde mélancolie la minait ; sa santé était atteinte ; sa beauté, faite d'éclat et de fraîcheur, se fanait. La décision du mariage avec le roi de France la ranima. Elle aussi ne se préoccupa pas de l'homme ; elle ne fit aucune objection aux histoires de maîtresses et à la faveur éclatante d'Henriette d'Entraigues. Comme elle, tout le peuple de Florence exultait de l'événement qui allait la mettre sur le principal trône royal de l'Europe ; c'était la réalisation des rêves de la petite princesse.

Le mariage avait été arrêté à la fin de décembre 1599[30]. On envoya Sillery à Florence avec son fils d'Alincourt dans les premiers mois de 1600 pour dresser le contrat, lequel fut signé le 23 avril[31]. Il ne restait plus qu'à procéder au mariage lui-même.

Ce fut très long. Pour beaucoup de raisons, il fut décidé que Marie ne viendrait en France que dans cinq mois, en septembre, puis que les cérémonies auraient lieu à Florence, Henri IV devant être représenté par le duc de Bellegarde, son grand écuyer, auquel il donnerait procuration. En réalité, le mariage ne fut célébré que le 5 octobre. La guerre avec le duc de Savoie, l'amour, plus violent que jamais, d'Henri IV pour Henriette d'Entraigues et mille autres prétextes avaient retardé. Ce furent, dans la capitale de la Toscane, dix jours de fêtes somptueuses[32]. M. de Bellegarde était venu accompagné de trente gentilshommes français et d'une suite brillante. Un légat pontifical, le cardinal Aldobrandini, qui devait donner la bénédiction nuptiale, était entré à Florence sous un dais, escorté de cinq cents cavaliers, au bruit des canons et des vivats de la foule. La cérémonie se déroula au milieu d'une affluence énorme. Les artistes Jean de Bologne et Buontalenti avaient dessiné arcs de triomphe, décorations de théâtres, danses, costumes. Le 13 octobre, Marie de Médicis partit enfin de Florence pour venir en France, subit à Pise de nouvelles fêtes, banquets, combats sur l'Arno, illuminations ; s'embarqua a Livourne, où l'attendait une petite escadre de dix-huit bâtiments, fournie par le grand-duc, Henri IV, le pape et l'ordre de Malte. La galère qui devait transporter la nouvelle reine, — et sa dot, — était magnifique, étincelante d'or et d'argent, partout marquetée. La traversée fut longue ; on fit escale à Portofino ; on resta huit jours à Gênes, à cause du mauvais temps ; on mouilla encore à Antibes et à Toulon ; après vingt-trois jours d'un interminable voyage, dont les concerts et les jeux parvenaient difficilement à distraire les ennuis et les dégoûts, le cortège mit pied à terre à Marseille le 9 novembre, à cinq heures du soir[33]. Henri IV n'était pas là ; il faisait le coup de feu dans les montagnes de la Savoie. La réception fut grandiose ; de Paris était venue une foule de grands personnages, ministres, gentilshommes, prélats, dames de la nouvelle reine ; la cour, chargée d'assurer l'entretien de tout ce monde, équipages compris, eut sept mille bouches à nourrir. La grande-duchesse de Toscane, qui avait accompagné sa nièce jusqu'à Marseille, la livra, ainsi que la dot, solennellement aux mains des Français, contre quittance, puis dit adieu en pleurant à Marie de Médicis et se rembarqua[34]. Alors la reine de France se mit en marche pour Lyon, lentement, afin de donner le temps au roi de finir sa guerre et de venir la rejoindre ; elle donna une fête à Avignon, s'arrêta ici et là, mit quinze jours pour effectuer le trajet ; enfin parvint le 3 décembre à Lyon, où elle fut accueillie comme on avait la coutume d'accueillir les reines de France : sous un dais, les rues tendues de tapisseries ; magistrats, clergé, noblesse en procession ; au bruit des détonations de l'artillerie, des sonneries des cloches et des acclamations du peuple[35]. Henri IV avait annoncé sa venue pour le 10 ; le 9 au soir, il arrivait incognito, se rendait à l'hôtel occupé par la reine, montait à la salle où elle soupait et la regardait, caché derrière M. de Bellegarde. Marie étant ensuite passée dans sa chambre, le roi alla frapper à la porte, se fît reconnaître, combla la princesse de caresses, embrassant même à la française Léonora Galigaï, puis avoua à sa femme qu'on ne lui avait préparé ni chambre ni lit, ce que la reine comprit[36]. Le lendemain, à la cathédrale, Henri IV refît solennellement pour son propre compte la cérémonie nuptiale accomplie à Florence par procuration. C'était toujours le cardinal Aldobrandini, venu d'Italie, qui officiait. Marie était somptueusement parée d'un manteau bleu fleurdelysé et portait sur la tête la couronne royale[37]. On resta quelque temps à Lyon pour diverses affaires, la paix avec la Savoie entre autres ; après quoi, Henri IV achemina lentement la reine vers Paris, où elle ne devait parvenir que deux mois après, en février 1601, tandis que lui-même, courant devant à franc-étrier, allait rejoindre sa chère Henriette d'Entraigues au château de Verneuil. Le grand-duc Ferdinand fut informé que, le jour de son mariage à Lyon, sa nièce, au lieu de montrer de la joie d'être unie à un aussi grand époux, n'avoit fait que gémir, pleurer et murmurer. Etait-ce regret du passé, appréhension de l'avenir, émotion soudaine ou désenchantement imprévu ? Quelques mois après naissaient à Henri IV, à peu de jours d'intervalle : de Marie de Médicis, le dauphin ; d'Henriette d'Entraigues, Gaston, duc de Verneuil !...

L'air très heureux, Henri IV, les jours qui suivirent son mariage, répétait à qui voulait l'entendre que la reine était belle, plus belle qu'on ne lui avait dit et qu'il ne l'avait cru d'après ses portraits ; qu'il l'aimait non seulement comme sa femme, mais comme sa maîtresse, et qu'elle était bien celle qui lui convenait le mieux[38]. Tout épanouie par ses grandeurs nouvelles, Marie, en effet, était resplendissante. Dans une seconde circonstance, elle paraîtra aussi à ses contemporains la plus belle des femmes de la cour, ce sera le lendemain de la mort du roi, lorsque le sombre de ses vêtements de deuil, faisant ressortir son beau teint de blonde, dissimulera mal la satisfaction intime qu'elle éprouvera à se sentir reine régente du royaume[39].

La jeune fille bien portante et fraîche s'était développée en une belle jeune femme éclatante de santé. Elle est fort riche de taille, dit un contemporain qui la vit passer dans Paris à ce moment, grasse et en bon point ; a l'œil fort beau et le teint aussi, mais un peu grossier, au reste, sans fard, poudre ni autre vilainie. Le roi disait : Elle a un naturel terriblement robuste et fort. En mon particulier, écrivait-elle elle-même journellement aux gens auxquels elle donnait de ses nouvelles, je ne fus jamais plus saine. Avant de la connaître, Henri IV lui avait mandé gaiement qu'elle se tînt saine et gaillarde. Ce dernier mot lui avait plu, et elle l'avait gardé. Quant à moi, écrit-elle à l'un ou à l'autre, je suis toujours gaillarde[40].

Pour lui faire conserver cette heureuse santé, dont il avait besoin, avouait-il, afin d'avoir d'aussi beaux enfants que ceux qu'il avait eus de Gabrielle, Henri IV la soumit à une hygiène spéciale : d'abord la purgation et la saignée[41]. Sur ses conseils pressants, tels, comme l'envoyé florentin, se purgeaient trois fois en trois jours afin d'expulser tous les excréments et superfluités et ne pas laisser souffrir la nature, puis se faisaient tirer deux livres de sang. Le chirurgien Hélie Bardin eut mission de donner à la reine ses coups de lancette à intervalles réguliers, afin de la rafraîchir et aussi pour la rendre plus disposée. Il en coûtait au trésor 150 livres par séance, et Marie était convaincue que l'opération lui avait fait le plus grand bien. On m'a tiré du sang si mauvais, écrivait-elle une fois à Concini, que j'avois bien besoin de le faire[42]. Henri IV croyait encore à l'excellente efficacité des eaux de Fougues et de Spa. Il en prenait des quantités qu'on lui apportait où il résidait, se rendait parfois dans quelque endroit tranquille, comme Montceaux ou Fontainebleau, afin de faire sa cure. Il imposa à sa femme sa méthode. J'en prends, écrivait celle-ci à Léonora, parlant des eaux de Spa, plutôt pour faire provision de santé que pour maladie. En quelques heures elle en buvait jusqu'à neuf verres, lesquels j'ai rendus fort bien, et par les deux côtés. Des huit jours durant, elle suivait le système[43].

Elle ne fut jamais malade. Venant d'Italie, elle souffrait d'un mal d'estomac dont les médecins italiens n'avaient pu venir à bout, parce qu'ils n'avoient jamais reconnu la cause du mal et m'ordonnoient toutes choses chaudes, tandis que les médecins français l'avaient guérie, reconnaissant que son mal provenoit de la chaleur du foie et ne m'ordonnant que des choses froides et rafraîchissantes. Elle gardait, pour le principe, la caisse d'eaux médicinales que lui avait envoyée le grand-duc de Toscane, eaux et remèdes propres à plusieurs sortes de maladies dangereuses ; elle conservait dans la liste des gens de sa maison le distillateur Charles Huart, destiné à lui préparer de bons et salutaires remèdes ; elle n'avait à user ni des uns ni des autres. Tout au plus fut-elle prise de quelque mal de dents ; mais alors, peu confiante cette fois dans les médecins français, cependant nombreux autour d'elle et experts, à son dire, elle fit venir d'Italie un certain Geronimo, opérateur, en toute diligence, avec toutes les recettes, médicamens qu'il a pour ce, ensemble les engins les plus propres pour en faire arracher, s'il en étoit besoin, afin d'être soignée.

Les principaux incidents de sa vie physique ont été les grossesses. Elle les a eues pénibles, en raison des tourments, des peines et des scènes violentes que causa dans le ménage l'histoire de la marquise de Verneuil. La première, celle du dauphin, avait été assez bien supportée. Au moment de l'accouchement, Marie fut tenue quelque temps en grand péril, parce qu'elle avait mangé trop de fruits, crut-elle. Les autres furent fâcheuses. En 1605, partant enceinte de Tours pour aller à Amboise, elle dictait, donnant de ses nouvelles à une amie : J'estois tellement incommodée de ma grossesse que je ne peux vous escrire de ma main[44]. Les médecins s'inquiétaient d'interminables et violents dérangements. Une fâcheuse maladie de flux de ventre, mande-t-elle deux ans après à la grande-duchesse de Toscane, dans des circonstances semblables, dont j'ai été travaillée depuis dix ou douze jours, l'oblige à garder le lit et l'accable. Pour le second fils, — un duc d'Orléans qui devait mourir de bonne heure, — les fatigues extrêmes de la grossesse, jointes aux soucis causés par Henriette d'Entraigues, eurent pour effet que l'enfant vint dans le plus pitoyable état, hydrocéphale, sujet aux convulsions, peu viable. Pendant la grossesse qui précéda la naissance d'Henriette, il fallut supprimer tous les plaisirs de la cour, bals et autres ; Marie de Médicis maigrissait, de violentes coliques la torturaient. Les suites de ces couches furent un instant redoutables. Depuis estre accouchée, mandait-elle à la duchesse de Mantoue, j'ai été travaillée de très grandes douleurs de coliques et suffocation intérieure dont j'ai enduré beaucoup de douleurs ; longtemps elle demeura prostrée et affaiblie. Henri IV était préoccupé[45].

Ce n'était pas que les soins lui manquassent. Elle avait désiré accoucher de tous ses enfants à Fontainebleau, où elle se plaisait beaucoup ; tous y sont nés, sauf Henriette. On lui installait dans la chambre ovale, dite aujourd'hui de Louis XIII, un beau lit de velours cramoisi rouge, accommodé d'or, recouvert d'un baldaquin ou pavillon de toile de Hollande, la chaise tout auprès pour le travail, également garnie de même velours rouge. Elle avait près d'elle une sage-femme réputée, Louise Bourgeois, femme du chirurgien-barbier Martin Boursier, laquelle n'était pas seulement une matrone de plus ou moins d'expérience, mais une savante connaissant la médecine, sachant écrire des livres en termes techniques et qui nous a laissé le détail des Six couches de Marie de Médicis[46] ; puis un accoucheur apprécié des femmes du temps, fort demandé et célèbre pour son habileté, M. Honoré, très expert, confie Marie de Médicis à la duchesse de Lorraine, qui attend un enfant et à qui elle le propose ; je suis aise de l'avoir près de moi quand je suis en semblable accident ; enfin, le médecin ordinaire du roi, M. Petit, qui ne manquait jamais.

En même temps que les secours matériels, ceux du ciel, plus importants pour les contemporains d'Henri IV, étaient abondamment sollicités. On faisait dire dans toutes les églises de Paris et d'ailleurs les prières des quarante heures[47] ; Marie de Médicis commençait une dévotion appelée des trois jeudis ; le trésorier général de sa maison, M. Florent d'Argouges, délivrait des prisonniers et distribuait d'abondantes aumônes ; enfin et surtout, tout le monde priait sainte Marguerite. La dévotion à sainte Marguerite pour l'heureuse délivrance des femmes en couche était fort à la mode, et Marie de Médicis la goûtait ; elle faisait lire autour d'elle la vie de la sainte ; il y avait à Saint-Germain-des-Prés une relique de la ceinture de la bienheureuse qui avait pour vertu d'empêcher de crier ; cette relique était fort demandée, même par de simples particuliers, auxquels on la confiait, et, en son honneur, on célébrait tous les ans une fête solennelle à l'abbaye, afin de rendre fécondes les femmes stériles et de faciliter le travail de celles qui ne l'étaient pas. Marie de Médicis demandait au prieur de lui envoyer à Fontainebleau le fragment en question de la ceinture ; deux moines venaient l'apporter dans un carrosse de la reine ; on installait la précieuse relique dans la chambre ovale, sur une table recouverte d'un tapis, et, pendant que la reine souffrait, les deux religieux, à genoux dans une pièce voisine, priaient pieusement[48].

On dit que Marie de Médicis mourut plus tard, en 1642, d'une hypertrophie du cœur. Cette affection cardiaque aurait pu lui venir à la suite des émotions nombreuses et des déceptions de la seconde moitié de sa vie. Rien ne la révèle dans le temps de sa gloire et de sa puissance. Peut-être la nature nerveuse et sanguine que l'envoyé florentin Guidi constatait chez elle l'y prédisposait-elle[49]. C'est cette nature nerveuse et sanguine qui explique surtout le caractère moral de Marie de Médicis.

 

Marie de Médicis a laissé dans l'histoire une impression défavorable. Résumant le sentiment de la postérité, Saint-Simon esquissait d'elle un portrait extrêmement sévère. Quand on voit le curieux dessin que l’an Dyck a tracé pour la représenter sur ses vieux jours, on est tenté de donner raison au rude auteur du Parallèle des trois premiers Bourbons. C'est bien la figure d'une femme méchante, jalouse, dont la physionomie antipathique annonce un esprit borné à l'excès, toujours gouverné par la lie de la cour, sans connaissance aucune et sans la moindre lumière, dure, altière, impérieuse[50]... Et, de fait, depuis sa chute du pouvoir en 1617 jusqu'à sa mort à Cologne, elle a passé sa vie dans des intrigues misérables, préoccupée surtout de brouiller les affaires du royaume, de provoquer des troubles et de renverser Richelieu. Mais, pour juger équitablement le caractère de la mère de Louis XIII, il faudrait analyser plusieurs éléments distincts : savoir ce qu'elle était en venant en France, en 1600 ; quelle impression a produite sur elle sa vie d'intérieur avec Henri IV, vie d'humiliations et de larmes ; déterminer les modifications amenées par l'exercice du pouvoir absolu de 1610 à 161", dans tout l'épanouissement d'une vanité satisfaite, d'une volonté obéie et dégoûts contentés ; enfin, mesurer la profondeur de la chute provoquée par le coup d'Etat du 24 avril 1617, qui, de reine toute-puissante, la rabaissa au niveau d'une particulière prisonnière à Blois ou en fuite et révoltée ; et, de la souveraine adulée, ne fit plus qu'une basse intrigante, chagrine, querelleuse, dépensière, — et dépourvue d'argent, — ambitieuse, — et dénuée d'influence. Si elle était morte à la fin de 1616, sa réputation eût été meilleure ; peut-être justifierait-on toute sa politique de la régence en disant que, sans expérience et sans autorité morale, elle ne pouvait rien faire de mieux que de suivre les conseils prudents de vieux ministres circonspects et de temporiser, concilier, céder. L'année de la chute de Concini lui a été fatale. La disgrâce et le malheur ont eu pour résultat de développer ses défauts jusqu'à l'odieux et de faire disparaître ce qu'elle pouvait avoir de qualités. L'histoire Fa jugée sur sa conduite finale ; les contemporains, en 1601, n'étaient peut-être pas aussi rigoureux.

L'impression qu'elle fit en arrivant en France fut en effet excellente. On la célébra en éloges dont les termes évidemment étaient vagues et d'une banalité que le genre d'ailleurs comportait en ce temps. Les poètes l'environnèrent d'une auréole charmante[51]. Elle s'était présentée au roi son mari craintive et timide, — elle a toujours eu un fond de timidité, — très résolue à être soumise et obéissante ; Henri IV lui témoigna sa joie par mille prévenances. Je ne saurais vous dire, écrivait-elle au grand-duc, de quelles marques d'honneur et de faveur Sa Majesté m'a entourée et avec quelle bonté elle me traite en toute occasion. Le public la trouva belle et gracieuse ; chacun répétait combien, dans les cérémonies publiques, elle savait montrer une gravité majestueuse et vraiment royale. Sully fut sous le charme : Il n'y avait rien, dictait-il plus tard dans ses Economies royales, qui fut plus digne d'admiration que son beau port et contenance, sa bonne mine, sa belle taille, sa grâce, sa majestueuse présence et sa vénérable gravité, voire sa gentillesse, industrie et dextérité à gagner les cœurs et s'acquérir les volontés et affections des personnes lorsqu'elle y voulait employer ses cajoleries et les charmes de ses belles paroles, courtoisies, promesses, caresses et bonnes chères estant d'autant plus puissantes et pleines d'efficaces qu'elles estoient moins communes et ordinaires. L'ambassadeur vénitien la trouvait angélique, di qualita veramente angeliche, et le bon l'Estoile, se faisant l'interprète du sentiment populaire, écrivait : L'humeur de la roine plaira au roi, car elle est prompte et gaie, porte une grandeur au front assez modérée et toutefois est accorte[52].

Malheureusement, il était des ombres à ce tableau. Personne ne parlait de son intelligence. Sur ce point, aux premières entrevues à Lyon, Henri IV s'était trompé. Le grand-duc de Toscane, mieux informé et connaissant sa nièce depuis longtemps, avouait à M. d'Alincourt, l'ambassadeur du roi de France, qu'elle était loin de valoir sa sœur, la duchesse de Mantoue[53]. Il fallut bien s'en apercevoir lorsque le roi son mari, soucieux de l'avenir, chercha à la faire assister aux conseils du gouvernement pour lui apprendre le maniement des affaires ; elle manifesta une incapacité si surprenante, une indifférence si ennuyée qu'il fallut y renoncer. Peut-être son ignorance de la langue française, au début, était-elle cause de cette répugnance[54]. Le cardinal de Richelieu, cependant, la jugeait plus tard à sa valeur, mais, par discrétion, attribuait son insuffisance au peu de connoissance qu'elle avoit des affaires générales, au peu d'application de son esprit, qui refuit la peine en toutes choses, et ensuite à l'irrésolution perpétuelle en laquelle elle étoit. Cette irrésolution, dont la politique hésitante de la régence a été le témoignage, pouvait bien venir en grande partie des avis temporisateurs de conseillers plus que prudents ; elle venait aussi de l'impossibilité de la souveraine à voir clairement toutes les raisons des partis à prendre et à choisir. Les défaillances de la volonté ne sont que des faiblesses de l'intelligence.

Nous venons de voir la réserve qu'indiquait Sully lorsqu'il parlait de l'amabilité de Marie de Médicis, appréciant cette amabilité d'autant plus qu'elle n'était pas commune ; elle était très peu commune. La reine paraissait inabordable ; elle est assez grave de son naturel, écrit Richelieu, et peu caressante. La princesse de Conti, son amie intime, cependant, remarquait de son côté que la souveraine estoit assez froide à tout le monde, et un ambassadeur étranger notait pour son gouvernement combien Marie se montrait peu affable à l'égard des princes et des courtisans, fort différente en cela des précédentes reines de France[55]. Du peu d'amabilité au caractère agressivement désagréable, il n'y a qu'un pas. Pour beaucoup, cette froideur, qui n'était que la marque d'une personnalité peu douée du côté de l'esprit et du cœur, était de la morgue. Elle est d'humeur altière, jugeait Fontenay-Mareuil. On la trouvait hautaine. Elle était surtout entière. Irrésolue dans les grandes affaires, comme elle devait le manifester, elle était intraitable dans les petites. Henri IV en était outré. Il disoit souvent à ses confidents qu'il n'avoit jamais vu femme plus entière et qui plus difficilement se relâchât de ses résolutions. Constatant que le dauphin avait une volonté aussi irréductible, le roi, une fois, s'était échappé à dire à la reine : Étant de l'humeur que je vous connois et prévoyant celle dont votre fils sera, vous entière, pour ne pas dire têtue madame, et lui opiniâtre, vous aurez assurément maille à départir ensemble[56]. Il disait vrai.

Or, cette froideur apparente cachait une nervosité extrême. Tout agissait sur elle ; le moindre fait causait un ébranlement maladif avec répercussions interminables. Elle déclarait à Henri IV qu'elle se tourmentoit tellement en tout qu'elle s'esbahissoit si elle n'estoit maigre. Elle avait de perpétuelles colères, et pour des riens[57].

Une nervosité développée se traduisant par une sensibilité excessive à propos de mille détails de la vie quotidienne va souvent avec une humeur changeante, disposée, pendant les temps calmes, à prendre les choses gaiement. Le propre de certains êtres nerveux est d'être tantôt irritables et déprimés, tantôt optimistes. Marie de Médicis appartenait à cette catégorie de tempéraments. Elle aimait à rire et plaisanter, — Léonora avait dû son succès à son humeur joyeuse. — L'amusement lui plaisait : bals, comédies, parties, tout ce qui entraînait, distrayait, provoquait la gaieté de l'âme et du corps était son fait. Nous continuons à vivre gaiement, comme de coutume, écrivait-elle une fois en 1609 à la duchesse de Montpensier ; elle eût pu l'écrire tous les jours. Pareille prédisposition, chez une personne peu intelligente, produit souvent la légèreté inconsistante. A regarder parler et agir Marie de Médicis durant les dix premières années de son séjour en France, on finit par avoir l'impression d'une femme peu assurée d'elle-même, instable, agitée, incapable d'une suite d'idées un peu ferme et raisonnée ; en somme, une nature assez médiocre et vacillante.

Par une contradiction fréquente chez les caractères de ce genre, la mort d'Henri IV la changea brusquement. Devant les responsabilités qui s'imposaient à elle, elle se réforma. Autant elle avait été auparavant insouciante, se levant tard, ne s'occupant de rien, que de ses toilettes et de ses plaisirs, autant elle s'appliqua aux affaires avec une constance inattendue : elle fut sur pied de bonne heure, tint conseil toutes les matinées, des heures durant, donna audience sans discontinuer pour traiter des intérêts publics. Les ambassadeurs étrangers, Contarini, Gussoni, Nani, étonnés, l'écrivaient à Venise ; elle-même avoua, dans un document public, que le travail seul avait pu accoiser (diminuer) l'affliction profonde causée par l'assassinat de son mari, et elle en avait tiré cette maxime qu'elle redisait aux autres : Toute douleur s'allège quand on travaille de toute affection à ce qui tourne au bien de la République[58]. Voulait-elle donner tort au mot de l'écrivain du XVIe siècle : Vengeance, colère, amour, légèreté, impatience rendent les femmes incapables au maniement des affaires d'Etat ; leur domination est pleine d'inconstance, leurs entreprises sont défectueuses pour estre craintives, irrésolues, soudaines, indiscrètes, glorieuses, ambitieuses ?[59] En présence de nombreux écrits qu'elle recevait, remplis de conseils et d'avis à la royne mère, des moyens propres à tenir le gouvernement du royaume, et qui attestaient de la part de leurs auteurs de sérieuses appréhensions sur ses aptitudes aux fonctions que les hasards et la fortune lui donnaient l'occasion de remplir, était-elle soucieuse de mériter l'estime des gens de bien et de s'acquitter de ses nouveaux devoirs avec zèle[60] ? Henri IV reconnaissait volontiers que, si elle était discrète et gardait bien ce qu'elle ne voulait pas dire, elle étoit aussi désireuse d'honneur, glorieuse par excès de courage, et que, si on pouvait l'accuser de paresse, ou pour le moins de fuir la peine, elle ne reculait devant rien si elle étoit poussée à l'embrasser par passion. Vraie Médicis, Marie a eu la passion du pouvoir, de la grandeur, de l'autorité suprême, et c'est cette passion qui explique sa transformation en 1610.

Cette passion explique — étant assez absorbante par elle-même — que Marie n'en ait pas eu d'autres. Il faut ranger parmi les erreurs historiques tout ce qui a pu être dit des prétendues amours de Marie de Médicis. D'un tempérament très froid, la reine était insensible aux sentiments qu'elle eût pu provoquer et trop peu Imaginative pour suppléer à l'insuffisance de sa nature, rien moins qu'ardente, par les rêves romanesques d'un esprit désœuvré. La malignité publique de son temps lui a prêté pour Concini un penchant coupable, mais, à vrai dire, c'était un bruit plaisant chez les contemporains plutôt que l'expression d'une conviction certaine[61]. Si par ailleurs on avait connu les véritables relations de la reine et du maréchal, relations généralement tendues et non amicales, quelles que fussent les apparences, — le pouvoir extraordinaire de Concini fut dû, en partie, à un jeu double du personnage qui a trompé tout le monde, en se servant du crédit réel de sa femme, faisant croire aux ministres qu'il pouvait tout sur l'esprit de la reine et à celle-ci que lui seul tenait ministres et princes, ce qui a fini par être vrai à force de malentendus, — on se fût convaincu que l'hypothèse de cette faiblesse n'était pas même vraisemblable. Dramaturges et romanciers lui ont prêté ensuite le cardinal de Richelieu ; c'eût été le fait, chez elle, d'une passion d'automne bien tardive, — car elle aurait eu à cette date de quarante-cinq à cinquante ans, — et chez le cardinal, si sec, tout en intelligence, très peu doué sur le chapitre du cœur, et pas du tout du côté des sens, d'un effort hors de proportion avec ses manières ; sans parler de la sévérité de Louis XIII, qui n'eût jamais toléré près de lui le soupçon d'un désordre aussi scandaleux[62]. En réalité les plus qualifiés de ses contemporains ont rendu hommage à l’intégrité de ses mœurs[63]. Légende aussi — il est à peine besoin de le dire — que la thèse renouvelée de nos jours, d'après laquelle, descendant de toute une lignée d'empoisonneurs, Marie de Médicis aurait empoisonné elle-même, se livrant aux sortilèges, aux incantations, à la magie. Il n'est aucun texte sérieux qui donne l'ombre d'apparence à cette accusation mélodramatique[64].

Elle n'eut que la passion du pouvoir. Cette passion explique qu'en vraie héritière d'une famille connue pour sa magnificence, la reine ait tenu à exercer l'autorité suprême avec des formes de libéralités royales, et ceci est l'un des traits caractéristiques de Marie de Médicis.

 

Les contemporains ne tarissent pas sur sa bonté : Libéralité et magnificence, s'écrie Matthieu de Morgues, sont les vertus morales qui ont le plus éclaté en nostre princesse. Bassompierre, qui en savait quelque chose, déclarait qu'en magnificence et générosité la reine avoit dépassé toutes les autres princesses du monde. Richelieu la trouvait de son naturel magnifique, et, lorsqu'elle donnait — Dieu sait si elle donnait autour d'elle, — elle aimait à dire que ce qu'elle faisait était pour faire paroître sa grandeur et sa libéralité[65]. Elle a mis un point d'honneur à se donner cette réputation. Peut-être se mêlait-il à ses sentiments quelque préoccupation de vanité et une tendance peu douteuse à la dissipation — les embarras perpétuels de ses finances en ont été la suite. — Ce sont surtout les dons faits au nom de la religion qui témoignent de cette profusion inconsidérée et nuancée d'ostentation.

Etant donné son esprit, sa religion, évidemment, ne pouvait être ni forte ni éclairée ; elle n'était que formaliste. Marie de Médicis, conformément au protocole royal, entendait la messe le matin, au Louvre ou ailleurs. En bonne paroissienne, elle faisait régulièrement ses pâques tous les ans à l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois ; elle suivait à pied, selon la tradition royale, la procession de la Fête-Dieu, qui venait dans la cour du Louvre après la messe dite dans la chapelle du Petit-Bourbon[66]. Si le pape prescrivait un jubilé, ce qui eut lieu en 1601, elle ne manquait pas de le gagner, fallait-il aller à Orléans pour la circonstance[67]. Elle rendait le pain bénit dans plusieurs églises de Paris, aux Cordeliers par exemple, le dimanche de Quasimodo, au nom de la confrérie du Saint-Sépulcre, dont elle faisait partie, et deux de ses écuyers, accompagnés de quatre de ses dames, allaient présenter ce pain pendant la grand'messe, menés dans deux carrosses de la souveraine[68]. Elle avait des dévotions spéciales, des saints, ses préférés, saint Jean-Baptiste, protecteur de Florence, saint François, dont elle portait le cordon, saint Dominique, de qui elle avait le rosaire, sainte Thérèse, sainte Madeleine, saint Louis de Gonzague ; puis encore saint Jérôme, sainte Catherine, sainte Cécile, sainte Ursule ; la plupart de ces dévotions datant de Florence[69]. Elle en acquit une nouvelle en France, celle du roi saint Louis, non sans arrière-pensée de visée personnelle. Quinze jours en effet après la mort d'Henri IV, elle faisait enlever, au bout de la grande galerie du Louvre, un tableau représentant Philippe VI de Valois, pour mettre à la place celui de Louis IX ; elle assurait vouloir donner à son fils le grand héros du moyen âge comme modèle, afin que Louis XIII imitât les vertus, la vaillance et la dévotion de ce saint roi aussi bien qu'il estoit héritier de son royaume ; elle répétait qu'elle proposoit journellement la vie de saint Louis, de glorieuse mémoire, pour exemple au roi ; mais elle ajoutait : Comme, de notre part, nous désirons suivre et imiter les recommandables vertus de la reine Blanche de Castille, sa mère. Passer pour Blanche de Castille, suggérer la comparaison était son rêve ! Et l'officieux Mercure français ne manquait pas de signaler les similitudes, jusque-là extérieures, des deux gouvernements : mêmes mécontentements et soulèvements de grands apaisés ; mêmes fondations de couvents ; même esprit de charité chez deux reines étrangères également soucieuses de conserver l'Etat. Malheureusement, le public ne parvenait pas à se convaincre de la ressemblance[70].

Vraie dévote, avec les formes voulues, elle faisait des pèlerinages ; elle faisait des vœux ; elle chargeait tel comme l'évêque d'Avranches d'aller au Mont-Saint-Michel, au sanctuaire de l'archange, accomplir un vœu formulé par elle[71]. Elle tenait aux reliques, en recevait beaucoup, en envoyait de même ; expédiait des reliques de la vraie croix à la duchesse de Lorraine, sa nièce, enceinte ; adressait deux morceaux des reliques de saint Vincent de Vannes à la femme d'un ambassadeur d'Espagne, pour qu'elle en mît une au cou, dans un reliquaire, l'autre dans une boîte d'ivoire, sur un autel ; réclamait à l'évoque de Meaux les reliques de saint Fiacre, qu'elle faisait porter à sa tante, la grande-duchesse, laquelle bâtissait une chapelle à ce saint aux Augustins de Florence[72]. Elle multipliait aux églises et chapelles de ces dons faciles par lesquels on croyait racheter de bonnes œuvres payées les fautes commises contre les lois du décalogue : lampes à la Sainte-Chapelle de Notre-Dame de Montserrat, à l'église du Gésu à Rome, à Notre-Dame de Chartres[73]. Mais, cependant, un peu inquiète, elle se décidait, afin de calmer des scrupules, à demander au pape, par l'ambassadeur de France, M. de Béthune, quelques dispenses pour le repos de ma conscience et éviter autant que je pourrai les occasions qui se présentent souvent de pécher ; elle ajoutait : Vous en trouverez le mémoire ci-inclus, et ce mémoire était long. Machinale et facile, la religion de Marie de Médicis s'accommodait de gestes extérieurs, puis se pourvoyait de concessions et de tolérances afin de suffisamment atténuer les contraintes de la loi divine.

Dans ses dons et aumônes il faudrait distinguer : ceux que les habitudes françaises ont imposés à la reine de France ; ceux que la tradition florentine des Médicis la sollicitait de continuer à Paris ; ceux qu'elle décida, inspirée par son goût de magnificence ; ceux dont un sentiment de pitié et de charité intimes était vraiment la source. Ceux-ci furent les moins nombreux : il y en eut quelques-uns.

C'était bien peut-être par un bon mouvement de son cœur qu'encore jeune fille, ayant à ses ordres une de ces esclaves turques prises dans des razzias sur les côtes barbaresques, elle la libérait, la faisait baptiser, nommer Jeanne Médicis et la mariait à un Florentin appelé Montanti. Encore à Florence, elle avait converti une de ses femmes de chambre provenant de la même origine, avait été sa marraine et lui avait fait épouser Mattiati Vernacini, emmenant le couple en France en 1601. Du reste, le goût des conversions devait la suivre longtemps, car ne s'avisait-elle pas plus tard de vouloir faire abjurer certain médecin juif portugais, Montalto, en qui elle avait grande confiance, et n'eut-elle pas l'idée de le faire instruire par le cardinal du Perron ! Elle chargeait M. de Brèves, ambassadeur à Constantinople, de lui envoyer du Levant des familles turques à convertir, gens travaillant à des broderies ; elle donnait de l'argent ; on embarquait ces Levantins sur des vaisseaux vénitiens, aux moindres frais possibles ; on les conduisait à Paris après leur avoir fait dire qu'ils étaient en volonté de se faire chrétiens s'ils étaient aidés de quelques moyens de vivre. Elle devait s'inquiéter des missions en pays païens, et le lieutenant pour le roi en aucun pays des sauvages des Indes occidentales ayant demandé quelques capucins pour vacquer autant qu'ils pourront à l'établissement de la foi chrétienne, elle s'entremettait et en obtenait quatre du Père provincial de l'ordre en France. Protéger les missionnaires, en l'espèce des capucins, et rapatrier les huguenots, s'il s'en trouvoit, fut l'instruction qu'elle prodigua aux gouverneurs de colonies, secondant les efforts de tous ceux qui partaient pour les terres lointaines, afin de fonder des établissements, mais surtout afin d'assurer la propagation de la religion. M. Jean de Biencourt, sieur de Poutrincourt, s'en allant au Canada, en Acadie, avait reçu ainsi 500 écus et deux jésuites, les PP. Biard et Massé[74].

Elle était touchée sans doute encore lorsqu'elle accompagnait elle-même aux Carmélites deux de ses femmes de chambre se faisant moniales ; ou bien qu'elle obtenait du roi Henri IV, à force d'instances, la grâce d'une pauvre jeune femme détenue au For-l'Évêque et condamnée à mort, — le cas est peu fréquent dans la vie de Marie de Médicis, — ou qu'elle écrivait et faisait écrire par le roi à tel gouvernement étranger, celui de Venise, afin d'obtenir le rappel d'un malheureux banni du territoire de la République[75].

Mais le reste de ses bonnes œuvres n'a été qu'actes impersonnels, obligatoires pour la 'fonction, portant leur marque d'ostentation et de parade.

Ainsi la reine donnait aux pauvres à la semaine sainte et à Noël : donations réglées ; pendant la semaine sainte : 120 livres aux couvents des Quatre-Mendiants ; 224 livres aux sept églises dans lesquelles, le jeudi saint, elle allait faire ses stations ; 42 livres aux gueux qui tendaient la main près des portes de ces églises ; 426 livres à des pauvres honteux ; 109 livres pour les treize filles auxquelles ce même jeudi saint elle lavait les pieds ; menues aumônes à des soldats malades, aux garçons des offices de Sa Majesté, à un pauvre homme d'église, à une pauvre damoiselle folle. Lorsque le carême commençait, le grand aumônier recevait 600 livres à distribuer, à raison de 15 livres par jour, pour les quarante jours. Le mercredi saint, Marie touchait 300 livres à donner elle-même, de la main à la main. La Noël lui coûtait 2.400 livres, distribuées dans des conditions analogues. C'étaient toutes dépenses annuelles fixes prévues dans le budget.

De même, Marie de Médicis, chaque année, fournissait à treize jeunes filles les moyens matériels de se marier, fondation traditionnelle et imitation de ce qui se faisait à Florence, où Laurent le Magnifique dotait ainsi des filles peu fortunées[76]. En août, le premier aumônier de la reine, le cardinal de Bonsi, présentait à la souveraine une liste déjeunes filles susceptibles d'obtenir la faveur enviée ; Marie choisissait, et les sommes étaient remises le 15 août avec des cérémonies spéciales. Une madame Dujardin remettait les gratifications, lesquelles variaient entre 150 et 300 livres, plutôt 300, moyennement, cent écus. Les treize pauvres filles ensemble, sous la conduite de madame Dujardin, allaient communier, accomplir un certain nombre de dévotions à la chapelle qui est sous terre, dans l’église de Saint-Victor, et venaient se présenter à Sa Majesté au jour de la feste de Nostre-Dame de la mi-août, afin de la remercier et l'assurer qu'elles prieraient pour elle[77].

La reine, encore, délivrait des prisonniers détenus pour dettes, chaque année, à la semaine sainte, ou bien au moment d'un de ses accouchements ; le nombre total de ces heureux, à chaque opération, variant entre cinquante et soixante-dix qu'on tirait de partout, de la Conciergerie, du Petit-Châtelet, du Grand-Châtelet, du For-l'Évêque, de Saint-Victor, de Saint-Martin-des-Champs, de l'Evêché. On donnait à chacun des testons, pièces de menue monnaie, voire même 25 livres, et ils étaient tenus, sortant de prison, d'aller à Notre-Dame de Paris prier Dieu pour Sa Majesté en chantant un Salve regina. Cela coûtait à la reine 1.500, 3.000 et 5.000 livres[78].

Marie de Médicis payait les pensions d'écoliers et d'étudiants : 600 livres à Louis Sauger, pauvre escollier, estudiant au collège de la Flèche, afin de lui donner moyen de continuer ses études et l'y entretenir. Elle prenait à son compte les frais d'étudiants en théologie qui s'instruisaient au couvent des Augustins de Paris ; elle recommandait au grand-duc de Toscane des jeunes gens allant à la Sapience de Pise, et elle secondait le développement des collèges que les jésuites établissaient un peu partout.

Elle faisait d'innombrables largesses aux hôpitaux et aux couvents. En 1612, de ses deniers et de ceux de la reine Marguerite, on meubloit et accommodoit trois maisons aux faubourgs Saint-Victor, Saint-Marcel et Saint-Germain, deux pour les hommes, une pour les femmes, où on enfermait en huit jours, ramassés sur le pavé de Paris, les gros gueux et les caymans qui demandoient l'aumône, l'épée au côté, avec le collet empezé sur la peccadille[79].

Elle s'occupait de l'hôpital de la Charité, fondé au faubourg Saint-Germain par les Frati ignoranti, les frères de Saint-Jean de Dieu, qu'elle avait fait venir d'Italie ; elle le soutenait contre le parlement, contre l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, dans le ressort de laquelle le nouvel établissement s'était bâti ; contre des voisins querelleurs ; elle lui donnait beaucoup d'argent et se mêlait assez au fonctionnement de la maison pour vouloir nommer les médecins[80].

Elle consentait à protéger l'Oratoire naissant, qu'elle avait la pensée d'installer à l'hôtel des Monnaies ; elle favorisait les Carmélites venues d'Espagne à l'instigation de la duchesse de Longueville, et les aidait de ses écus afin de leur permettre de bâtir leur prieuré de Notre-Dame-des-Champs ; elle secondait les Capucines à qui elle faisait une rente annuelle. Elle donnait régulièrement à une infinité de couvents, aux religieuses de l'Ave Maria, aux Capucins, aux Ursulines du faubourg Saint-Jacques, aux Carmes déchaussés[81]. Mais, de tous ces bienfaits et largesses, quels étaient ceux qui venaient de son initiative, ceux que son entourage obtenait d'elle sans qu'elle y prêtât à peine attention, ceux que les aumôniers, enfin, sollicités, faisaient en son nom sans presque qu'elle le sût ? Gestes convenus, formalités traditionnelles inhérentes à la charge royale, que l'absence de note personnelle gracieuse ou émue rend caractéristiques de la souveraine froide qu'a été Marie de Médicis !

 

 

 



[1] Les contemporains ne sont pas tous d'accord sur la date de naissance de Marie de Médicis. Palma-Cayet (Chronologie septennaire, éd. Michaud, XII, 121), le Traité de mariage de Henri IIII, roy de Navarre, avec la sérénissime princesse de Florence (Honfleur, J. Petit, 1600, in-8°, p. 23) la font naître en 1573 ; Mathieu de Morgues (les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, Anvers, Plantin, 1643, in-4°, p. 33) en 1574 ; J.-B. Matthieu (Éloge historial de Marie de Médicis royne de France et de Navarre, Paris, G. Loyson, 1626, in-8°, p. 6) en 1576. Nous avons adopté la date de 1573 fournie par les archives de Florence (cf. Riguccio Galluzzï, Histoire du grand-duché de Toscane, Paris, 1782, in-12°, V, 330). Lorsque l'enfant naquit, on crut quelque temps que c'était un garçon, et le peuple fit des feux de joie. Le grand-duc se consola en disant qu'il croyoit qu'elle seroit grande (P. Matthieu, Panégyrique sur le couronnement de la reine, Paris, P. Mettayer, 1610, in-12°, p. 20).

[2] Bibl. nat., fonds italien, mss 272, 273, 344, 345, 348. On trouvera une intéressante image de François de Médicis dans la notice d'Eug. Plon (Notice sur un portrait en cire peinte de Francesco de Médicis, ouvrage de Benvenuto Cellini, offert par le prince à Bianca Capello ; Gazette des beaux-arts, 2e période, XXVIII, 279). Le caractère du grand-duc est naturellement adouci dans le livre de P. de Boissat (le Brillant de la royne ou les vies des hommes illustres du nom de Médicis, Paris, 1613, in-8°), dans celui de J.-C. Boulenger (De serenissimae medicaeorum familiae insignibus et argumentis dissertatio, Paris, 1617, in-4°), moins dans celui de A. Castelnau (les Médicis, Paris, 1879, in-8°). — Cf. Marc Noble, Memoires of the illustrious house of Medici, London, T. Cadell, 1797, in-8°.

[3] Sur Florence et les Médicis pendant l'enfance de Marie de Médicis, consulter Alfred von Reumont, Geschichte Toscane's seit dem Ende des florentinischen Freistaates, Gotha, F.-A. Perthes, 1876, in-8°, p. 319. En ce qui concerne les sentiments de Marie de Médicis au sujet de Bianca Capello, voir les propos tenus par elle à M. de Morgues (les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, p. 21) ; cf. R. Galluzzi, Histoire du grand-duché de Toscane, IV, 155. Nous allons plusieurs fois mentionner ce dernier travail. Judicieusement fait d'après les documents d'archives de Florence analysés, transcrits ou donnés par extraits, cet ouvrage ne paraît pas avoir été jusqu'ici suffisamment connu et apprécié des historiens. Nous nous servons de la traduction parue à Paris en 1782.

[4] M. de Morgues, les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, p. 21. A la sortie de l'enfance..., dit-il. Les faits lui ont été rapportés par la reine elle-même.

[5] Tallemant des Réaux, tout en lui trouvant les traits du visage beaux, la déclare laide à cause de sa grande maigreur (Historiettes, éd. Paulin Paris, in-8°, I, 200). Un curieux dessin conservé à la réserve du Cabinet des Estampes ne laisse aucun doute sur cette laideur. L'expression humeur plaisante et bouffonesque se relève dans la déposition faite au procès de Léonora par son secrétaire André de Lizza (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 411 r°).

[6] C'est l'ambassadeur vénitien Angelo Badoer qui la dit fille d'un falegname, d'un menuisier (Relazione di Francia, 1613-1615, dans N. Barozzi, Relazioni degli Stati Europei, II, Francia, I, p. 112). — Voir aussi le Mercure français (1617, p. 233) ; Bassompierre (Remarques sur les vies des rois Henri IV et Louis XIII, Paris, 1665, in-12°, p. 286), lequel donne des détails, disant que le menuisier en question travaillait aux ordres d'un ingénieur aimé du grand-duc, et sollicita de celui-ci pour sa fille la place qu'elle eut. Mais on a donné également un menuisier pour père à Concini et à de Luynes (Extrait de l'inventaire qui s'est trouvé dans les coffres de M. le chevalier de Guise, 1615, dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., V. 362). Une chanson satirique composée en 1617 contre Léonora dit :

J'estois fille d'un mercier,

Mon mari d'un menuisier

(dans les Uniques et parfaites amours de Galigaia et de Rubico, éd. Tricotel, Paris, 1883, in-12°, p. 42). Galluzzi (V, 362), généralement bien informé, se fait l'écho des rancunes des Florentins contemporains de la régence de Marie de Médicis, très montés contre leur compatriote. Il rabaisse l'origine de celle-ci. Tallemant des Réaux (Hist., I, 197) la croit femme de chambre, fille de basse naissance. Contarini la dit fille de la nourrice de Marie de Médicis (Barozzi, Relazioni, II, 1, 557), ce qui est inexact ; nous connaissons par ailleurs la famille de la nourrice de Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 88 r°, et Bassompierre, op. et loc. cit.).

[7] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 207 v°, 410 v°. Marie de Médicis tutoyait Léonora (Louise Bourgeois, Récit véritable de la naissance de messeigneurs et dames les enfans de France, Paris, M. Mondière, 1625, p. 26).

[8] Christine était petite-fille de Henri II par sa mère Claude de France, qui avait épousé Charles II, duc de Lorraine ; elle fut élevée par Catherine de Médicis, laquelle l'aimait beaucoup. Ce fut un Gondi qui négocia le mariage en 1588. On trouve l'original du contrat de mariage de Christine et de Ferdinand dans le ms. Dupuy 98, fol. 183 de la Bibl. nat. — Voir G.-E. Saltini, à propos de la mort du grand-duc François, Tragedie medicee domestiche, 1557-1587, Firenze, G. Barbera, 1898, in-16°. L'imagination populaire a fait une large place aux poisons et aux assassinats dans l'histoire des Médicis (M. de Morgues, op. cit., p. 14). — Sur la valeur politique du grand-duc Ferdinand, consulter G. Uzielli, Cenni storici sulle imprese scientifiche, marittime e coloniali di Ferdinand I, granduca di Toscana, 1587-1609. Le ms. italien 189 de la Bibl. nat. contient une vie de ce prince.

[9] Il y eut plus tard des froissements (Arch. de Florence. Filz IV, ind. II. Lettre de Marie de Médicis au grand-duc, du 15 juillet 1603, pleine de récriminations contre sa jeune tante).

[10] R. Galluzzi, V. 330. Francesca Orsini était apparentée aux Médicis par le duc de Bracciano, dont il va être question (P. Litta, Famiglie celebri italiane, Milano, 1844, t. VII).

[11] Virginio avait un frère qui fut élevé avec Éléonore, sœur de Marie. Virginio avoit toujours esté amoureux d'elle (de Marie) et on disoit qu'elle aussi témoignoit de ne l'avoir pas haï (Bibl. nat., ms. fr. 3445, fol. 39 v°). — Cf. Sully, Économies royales, éd. originale, II, 20 ; princesse de Conti, Hist. des amours de Henri IV, Paris, 1664, p. 68 : la lettre plus haut citée de Marie de Médicis au grand-duc du 15 juillet 1603.

[12] François de Médicis avait une imprimerie particulière où il imprimait des livres en langue étrangère (Épistres françoises des personnages illustres et doctes à M. de la Scala, Harderwyck, H. Laurens, 1624, in-12°, p. 378). Scaliger conteste sa moralité (Scaligeriana, éd. de 1669, p. 243). Les détails sur l'éducation de Marie de Médicis sont donnés par J.-B. Matthieu, Éloge historial de Marie de Médicis, p. 7-8 ; M. de Morgues, les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, p. 13. — Jusqu'ici, les biographes de Marie de Médicis ne paraissaient rien savoir de l'enfance et de la jeunesse de la princesse (voir par exemple : Thiroux d'Arconville, Vie de Marie de Médicis, princesse de Toscane, Paris, Ruault, 1774, 3 vol. in-8° ; Pardoe, The life of Marie de Médicis, London, Colburn, 1852, 3 vol. in-8° ; B. Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, Paris, Didier, 1877, in-12°). Le dessin gravé sur bois par Marie de Médicis, dont nous parlons, porte écrit au bas (Cabinet des Estampes. Ad 13, Rés.) : La planche de cette estampe a été gravée par la reyne Marie de Médicis, qui la donna à M. Champagne dans le temps qu'il la peignoit ; lequel Champagne a escrit derrière la planche ce qui suit : Ce vendredi 22 de febvrier 1629, la royne mère Marie de Médicis m'a trouvé digne de ce rare présent fait de sa propre main (signé : Champaigne). L'épreuve porte en effet gravé : M. de Med. fecit. Une note manuscrite ajoute que la reine aurait exécuté ce travail à l'âge de quatorze ans. C'est une gravure sur bois. L'œuvre est trop remarquable pour être entièrement d'une enfant.

[13] Il y a un beau portrait de Jeanne d'Autriche aux Offices de Florence ; elle est représentée avec son fils Philippe ; l'auteur de cette toile n'est pas identifié. Le tableau de Rubens au Louvre, donnant la mère de Marie de Médicis, est tout à fait insuffisant au point de vue iconographique. De Marie de Médicis elle-même, à l'âge que nous venons de dire, existe un très intéressant portrait en buste de Scipione Pulzone, actuellement au Pitti. La physionomie, bien rendue par le peintre, est caractéristique. Les représentations du grand-duc François, comme celles de tous les Médicis, sont nombreuses (Eug. Müntz, le Musée de portraits de Paul Jove, dans Mém. de l'Acad. des inscr. et belles-lettres, t. XXXVI, 2e série, 1898, p. 326-331).

[14] Maintenant, ô très vertueuse reine, l'on a tant parlé de vous, avec égale louange et envie, non seulement en Italie et en Allemagne, mais aussi en Angleterre et en Espagne, que vous avez été la continuelle matière de tous les discours qui se sont fait depuis dix ans en çà, es cours impériales et royales quand on parloit de quelque grand mariage (Harangue du cavalier Philippe Cavriana à Marie de Médicis à son département de Toscane, Paris, Morel, 1600, in-12°, p. 11 ; traduction de G. Chappuys). — Matthieu, Éloge historial de Marie de Médicis, p. 8. — Tout ce qui concerne les projets de mariage, dont nous résumons les péripéties, est conté par R. Galluzzi, d'après les archives de Florence (Histoire du grand-duché de Toscane, t. V, p. 5. 17, 63, 281, 318, 323).

[15] Voir sur ces faits : la déposition d'A. de Lizza au procès de Léonora en 1617 (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 411 r°). Lui a dit la maréchale que la grande-duchesse de Florence, ayant voulu marier ladite dame royne avec Monsieur de Vaudémont, elle déconseilla à ladite dame royne ledit mariage et fit tant qu'il fut rompu, lui disant qu'il falloit qu'elle fût mariée en France ou en Espagne, et pour cet effet la grande-duchesse la voulut chasser hors du service de ladite dame royne ; Gindely, Rudolph II und seine Zeit, Prague, 1863-1865, 2 vol. in-8° ; R. Galluzzi, V, 330. Richelieu (Mém., I, 7) dit que Marie de Médicis refusa la couronne impériale.

[16] M. de Morgues, les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, p. 14 ; Nic. Pasquier, Lettres (Paris, 1623, in-8°, p. 17). — A la suite de la prédiction de la Passitea, Marie, en son enfance, ne vouloit céder aux princesses ses aînées, se donnant en opinion le titre de royne (P. Matthieu, Panégyrique sur le couronnement de la royne, p. 22). — Léonora, à son procès, s'est expliquée sur ce qu'était la Passitea (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 227 r°) ; elle a ajouté d'ailleurs que ladite Passitea a dit à la dame royne mère que icelle dame seroit cause de sa ruine et de toute la France et que on la chasseroit en son particulier. La Passitea vint plus tard deux fois en France, où elle effrayait beaucoup le dauphin par sa coiffure extraordinaire (Journal d'Héroard, éd. Soulié et Barthélemy, I, 34). Elle demeura en relations épistolaires avec la reine (Canestrini et Abel Desjardins, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, Paris, 1859-1875, in-4°, t. V. p. 540). Celle-ci lui faisait des cadeaux (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 46 r°). Léonora nia à son procès avoir déconseillé à Marie le mariage avec l'héritier de l'empereur, observant qu'elle estoit une jeune fille, qu'elle ne pouvoit pas penser à cela (Ibid., fol. 208 r°). — Afin de donner le change, elle déclara même (Ibid.) qu'elle croyoit que ladite dame royne eust esté mieux en Espaigne qu'en France, à cause des guerres et troubles de France qui estoient lors auparavant que ladite dame royne mère fût mariée, d'autant qu'en ce temps-là tout estoit paisible en Espaigne. — Guillaume Colletet, dans son roman à clef intitulé le Roman satyrique (Paris, T. du Bray, 1624, in-12°, p. 777), a mis en scène, sous des noms supposés, Marie de Médicis et Léonora discutant le mariage de la princesse.

[17] Sur les 192.857 ducats, on n'en avait restitué à la mort d'Henri III que 147.624 ; il restait dû par Henri IV 45.233 ducats. Nous allons voir ce qu'Henri IV emprunta de son côté (Arch. de Florence, Carteggio degli affari di Francia, Filz XXV, Spoglio, ind. 1. Canonico Baccio Giovannini segretario résidente in Francia, dal 1599 al 1607).

[18] Harlay de Sancy raconte dans ses Mémoires les aventures d'un convoi de ce genre qu'il fut chargé de conduire en 1595 (Bibl. nat., ms. fr. 3445, fol. 85 r°).

[19] La correspondance avait lieu entre le ministre d'Henri IV, Villeroy, et celui du grand-duc, Vinta ; elle était secrète. M. de Bellièvre causant avec le chevalier Guicciardini : Venne ad esaltare sopra tutti i principi la magnanimita del gran duca di Toscana, che in tempi cosi difficili avessi preso la protezione del regno e fattoli non pur di parole, ma di effetti, notabili benefizii (dépêche de Bonciani à Vinta d'avril 1397, dans Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, documents recueillis par G. Canestrini et publiés par Abel Desjardins, t. V, p. 329). — Voir Ibid., p. 293. — Sur les critiques qu'on peut formuler contre cette publication, consulter Flammermont, les Correspondances des agents diplomatiques étrangers en France (Paris, Leroux, 1896, p. 393, note. — Voir encore R. Galluzzi, V, 131, 161, 239, 244).

[20] Le récit de R. Galluzzi (V, 332) est très précis pour tous ces détails (cf. Canestrini, Négociations, V, 293). Il y aurait une curieuse étude à faire sur tous les Gondi qui, au XVIe siècle, ont joué un rôle si important à la cour de France, et à l'époque d'Henri IV ont leur place dans l'histoire des arts, entre autres. La publication de d'Hozier (Remarques sommaires sur la maison de Gondi, Paris, 1652, in-fol.) et celle de M. de Corbinelli (Histoire généalogique de la maison de Gondi, Paris, J.-B. Geignard, 1705, 2 vol. in-4°) ne sont que des travaux généalogiques.

[21] Dépêches de Bonciani à Vinta du 23 et 26 avril 1597 (Canestrini, Négociations, V, 335 et 336). Le fait de l'existence de Marguerite de Valois et surtout de l'excessif amour du roi pour Henriette d'Entraigues sont considérés comme de sérieux obstacles. Il était plus ou moins question d'un projet de mariage avec une infante. Ce qu'il y a de certain, écrit Bonciani, c'est que devant les prières et les instances de tous le roi finira par prendre femme pour le bien du royaume.

[22] R. Dallington, The view of Fraunce. Un aperçu de la France en 1598, Versailles, 1892, in-8°, p. 114. — Conversation d'Henri IV avec Groulart à Saint-Germain (Mémoires de Groulart, éd. Michaud, t. XI, p. 582). — Le chiffre des dettes que nous donnons, est établi par R. Galluzzi (V, 302). — B. Zeller (Henri IV et Marie de Médicis, p. 17) dit 973.450 ducats. On dut longtemps des annuités à Florence. Cette annuité s'élevait encore à 100.000 livres en 1612 (État du budget présenté par Jeannin aux États généraux de 1614, dans Fl. Rapine, Recueil de ce qui s'est fait en l'Assemblée des États en 1614, Paris, 1651, in-4°, p. 548). — La cour de Florence, en prenant le château d'If, déclara qu'elle voulait seulement protéger Marseille contre un coup de main possible des Espagnols (Canestrini, Négociations, V, 339). Le cardinal d'Ossat fut chargé par Henri IV d'aller négocier l'évacuation des îles (Lettres du cardinal d'Ossat, éd. Amelot de la Houssaie, Paris, 1698, in-4°, t. I, p. 517 et suiv., p. 617).

[23] M. de Chatte était ambassadeur en Angleterre (Eug. Halphen, Lettres inédites du roi Henri IV à M. de Sillery, Paris, A. Aubry, 1866, in-8°, p. 34). Rapprocher le passage de Saint-Simon (Parallèle des trois premiers rois Bourbons, p. 129) : De grandes sommes dues au grand-duc, l'espérance d'en tirer de nouvelles, la considération de sa réputation personnelle dans l'Europe, la rareté des princesses à pouvoir épouser couvrirent, comme ils purent, ce premier exemple de mésalliance qu'Henry laissa à sa postérité. Le sentiment public était cependant unanime à désirer que le roi se remariât pour avoir des enfants (Amb. vénitien. Bibl. nat., ms. italien 1 749, fol. 127 v°).. Parlement, princes, seigneurs, tout le monde était d'accord (Traité de mariage de Henri IV, roi de France et de Navarre, avec la sérénissime princesse de Florence, Honfleur, J. Petit, 1606, in-8°, p. 4).

[24] Il affirma qu'il y avait eu malentendu ; qu'en 1592 il avait cru qu'on parlait de subsides à avancer à la France et non de dot. Il ajouta qu'exiger de lui une somme si considérable et si disproportionnée à l'état de sa famille c'estoit manifestement faire un vil trafic de son alliance ! (Galluzzi, V, 337). Le voyage à Florence de Gondi est de mai 1599 (Lettres missives de Henri IV, éd. Berger de Xivrey, VIII, 734, 735).

[25] Les négociations nous sont connues dans le détail par les dépêches de Giovannini au grand-duc (Canestrini, V, 375 et suiv.). Le pape envoya à Florence le cardinal Aldobrandini (Eug. Halphen, Lettres inédites du roi Henri IV à M. de Sillery, p. 37). Sur le procès d'annulation de mariage de Marguerite de Valois, voir : Bibl. nat., mss fr. 15 590, fol. 202-230 ; 15 590, fol. 480 et suiv. ; 13 766,25 020, 10 200 ; nouv. acq. fr. 7 109 ; arch. du Min. des Aff. Étrang., France 770 ; les curieuses Lettres du cardinal d'Ossat, éd. Amelot de la Houssaie, t. II, p. 75 et suiv., et l'article de P. Féret, Nullité du mariage de Henri IV avec Marguerite de Valois, dans Revue des Questions historiques, XX, 77.

[26] Galluzzi, V, 352 ; Canestrini, V, 389 et suiv., 398. Il re la vuole (Marie de Médicis), ma vuole anche maggior dote per onore e commodo suo (dépêche de Giovannini au grand-duc du 31 décembre 1599). Il résulte de tout ce qui précède que la célèbre scène contée par Sully (Économies royales, éd. originale, I, 382), au cours de laquelle Henri IV passa en revue les princesses de l'Europe qu'il était susceptible d'épouser, scène qui eut lieu dans un voyage de Bretagne en 1598, ne se serait pas produite précisément au début de la négociation poursuivie à Florence.

[27] Harangue du cavalier Philippe Cavriana à Marie de Médicis à son département de Toscane, p. 13. L'auteur attribue à ces seules qualités le choix d'Henri IV. Le passage serait presque ironique. Néanmoins, Henri IV savait que Marie de Médicis était assez belle (Sully, op. et loc. cit.). Les instructions données à d'Alincourt et à Brulart de Sillery pour négocier le mariage ne contenaient aucune recommandation sur le côté moral (Bibl. nat., fr. 17826, fol. 240-250, et ms. Dupuy 557, fol. 1 et 29-58).

[28] Eug. Halphen, Lettres inédites du roi Henri IV, p. 47 et 63. M. d'Alincourt ne revint de Florence que le contrat réglé et signé et rapportant le portrait de Marie de Médicis. Le roi envoya alors le sien par M. de Frontenac qui allait servir de premier maître d'hôtel à la future reine, et auquel il confia sa première lettre à sa fiancée (Traité de mariage de Henri IV, roi de France et de Navarre, avec la sérénissime princesse de Florence, p. 7). M. de Frontenac, de retour à Paris, donna quelques détails au roi sur la princesse (lettre d'Henri IV du 11 juillet 1600, Lettres missives, V, 249).

[29] Propos d'Henri IV à Giovannini, transmis par celui-ci à Florence (Galluzzi, V, 300). Sur les plantations faites par Henri IV en Navarre dans sa jeunesse, voir G.-B. de Lagrèze, Henri IV, vie privée, détails inédits, Paris, F. Didot, 1885, in-12°, p. 145.

[30] Henri IV notifia sa décision à Giovannini le 30 décembre 1599 (dépêche de celui-ci au grand-duc, Canestrini, Négociations, V, 388). Il ne ratifia le mariage conclu à Florence par une déclaration publique enregistrée au Parlement que le 21 octobre 1600 (Isambert, Recueil général des lois françaises, XV, 243). Il partait pour une campagne en Savoie ; par peur d'Henriette d'Entraigues, il pria ses ministres de n'annoncer la nouvelle qu'après son éloignement (B. Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, p. 30).

[31] La mission de Sillery et d'Alincourt fut définie par des lettres patentes du 6 janvier 1600 (Traité de mariage de Henri IV, p. 6). Sur cette mission, voir Richelieu (Mém., I, 7), Canestrini (V, 374). On trouve le texte du contrat de mariage dans plusieurs manuscrits (Bibl. nat., mss. fr. 3 434, fol. 23-32 ; 10 205, fol. 32-36 ; 15 597, 17 861 ; nouv. acq. fr. 6 976 ; ms. Dupuy 98, fol. 208 et 212 ; ms. Dupuy 701, fol. 168 et 180, etc., et Arch. nat., K. 934). Le contrat a été imprimé par Dumont (Corps diplomatique, t. V, part. II, p. 4). Le 23 mai 1601, par acte passé à Fontainebleau, Marie de Médicis dut renoncer à la succession de ses père et mère (Bibl. nat., ms. Dupuy 744, fol. 150 ; texte de cette renonciation).

[32] Les détails en sont donnés avec abondance dans les documents contemporains (Eug. Halphen, Lettres inédites du roi Henri IV, p. 41 et suiv. ; Canestrini, V, 445 ; Palma-Cayet, Chronologie septennaire, éd. Michaud, XII, 116 ; M. A. Buonarroti, Descrizione delle felicissime nozze di Madama Maria Medici, Florence, 1600, in-4° ; Bibl. nat., ms. Dupuy 76, fol. 135, et coll. Moreau 746, fol. 233). On avait délivré à M. de Bellegarde de longues instructions qui sont datées d'août 1600 (Bibl. nat., ms. fr. 3 434, fol. 1-11).

[33] L'escadre de dix-huit bâtiments n'avait pas été rassemblée pour faire honneur à la princesse, mais pour assurer sa sécurité contre les entreprises de pirates et corsaires qui infestaient la Méditerranée ; par précaution, on suivit les côtes, tellement on redoutait de recevoir quelque grand affront (Lettres du cardinal d'Ossat, II, 225). Il y eut même une fausse alerte durant la traversée ; on crut apercevoir des Turcs et tout le monde eut très peur (Agrippa d'Aubigné, Hist. univ., éd. de Ruble, IX, 338). — Si cette escadre était formée de navires de toutes provenances, c'est que le roi de France, alors totalement dépourvu de vaisseaux, fut obligé d'en mendier des uns et des autres en cette occasion du passage de la reine (Lettres du cardinal d'Ossat, loc. cit.). Le roi n'avoit nul vaisseaux, dit à ce propos Bassompierre (Remarques sur les vies de Henri IV et de Louis XIII, p. 80). Les États généraux de 1614 se plaindront de la facilité qu'ont les pirates de venir voler impunément jusqu'aux îles d'Hyères (Cahier général du tiers état de 1614, s. l. n. d., in-4°, p. 223). Le roi était obligé d'avoir recours à de simples particuliers qui frétaient des bâtiments à son compte (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 65). La galère de la reine est décrite en détail, d'après les minutes des dépêches de la secrétairie d'État de Florence, par B. Zeller (Henri IV et Marie de Médicis, p. 51-52) ; Matthieu (l'Entrée de Marie de Médicis en la ville de Lyon, Rouen, J. Osmont, 1601, in-12°, p. 12) ; Agrippa d'Aubigné (op. et loc. cit.).

[34] Les renseignements contemporains abondent sur le voyage de la reine, de Florence à Paris. Voir, par exemple, A true discourse of the whole occurences in the Queenes voyage from her departure from Florence until her arrival at the citie of Marseille, together with the triumphs there made at her entrie, London, 1601, in-S°. — P. Matthieu, Histoire de France du règne de Henri IV, Paris, J. Métayer, 1605, in-4°, t. I. — Les Mémoires de Philippe Hurault, éd. Michaud, X, 603. — L'Estoile, Journal, éd. Champollion, VII, 242. — Le Dran, Voyage de Marie de Médicis en Provence (Arch. des Aff. Étrang., France, 1700 ; Bibl. nat., ms. fr. 20 154). — Henri IV avait eu d'abord la pensée de venir se marier à Marseille (Eug. Halphen, op. cit., p. 51). Des raisons matérielles (Amb. vénit., Bibl. nat., ms. italien 1 749, fol. 141 r°), surtout les affaires de Savoie (A. Galitzin, Lettres inédites de Henri IV, Paris, Techener, 1860, in-8°, p. 317), l'en empêchèrent. Il s'excusa auprès de la grande-duchesse (Lettres missives, VIII, 787).

[35] L'Entrée de la roine à Lyon le 3 décembre 1600, Lyon, T. Ancelin, 1600, in-8°. — Le Discours de la réception et magnificence qui a esté faicte à l'entrée de la royne en la ville de Lyon (3 décembre). Paris, B. Chalonneau, 1600, in-8°. — Matthieu, l'Entrée de Marie de Médicis en la ville de Lyon, Rouen, J. Osmont, 1601, in-12°. Pour les détails des fêtes et réjouissances organisées au XVIIe siècle à l'occasion de ces entrées, voir Th. Louise, la Joyeuse entrée d'Albert et d'Isabelle à Valenciennes (20 février 1600), Valenciennes, 1877, in-8°.

[36] Amb. vénit. (Bibl. nat., ms. italien 1 749, fol. 149 r°). — Palma-Cayet, Chronologie septennaire, XII, 123. — Surtout les Mém. de Ph. Hurault, X, 605. — Sully, Économies royales, I, 457. Les détails de la rencontre du roi et de la reine ont été très connus de tous à ce moment.

[37] Voyage du cardinal P. Aldobrandini pour les fiançailles de la reine de France (Bibl. nat., ms. italien 377). — Dépêche de B. Vinta au grand-duc, du 18 décembre (Arch. de Florence, Filz XXVI, ind. I, p. 86). On ne sait pourquoi Villegomblain écrit que le mariage fut célébré à Lyon avec peu de cérémonie (Villegomblain, Mémoires des troubles arrivés en France, Paris, 1667, in-12°, p. 216). On taxa les villes du royaume pour payer les frais (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'Etat, II, 30, 53, 59).

[38] Donnant audience à l'ambassadeur vénitien Gavalli, à Lyon, Henri IV lui disait : Che veramente la regina era bella, non solo per moglie, ma per favorila e ch'era di gran spirito e che era quello che importava anco piu (Amb. vénit. Bibl. nat., ms. italien 1 749, fol. 149 v° et 158 r°). De son côté, Angelo Badoer écrit que le roi aime la reine come moglie infinitamente (dans Barozzi, Relazioni degli stati europei, II, Francia, I, p. 112).

[39] Fontenay-Mareuil, Mém., éd. Michaud, p. 49. Bien qu'il y en eût lors de très belles dans la cour et principalement mademoiselle d'Urfé, depuis duchesse de Crouy, et mademoiselle de Bains, toutes deux filles de la roine et dans la fleur de l'âge, rien n'égaloit la roine, qui estoit sans doute beaucoup plus belle que du temps du feu roy, comme si son sang se fût renouvelé depuis qu'elle avoit l'autorité.

[40] Gaillarde à vostre service, ajoute-t-elle (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 71 r°). Journal de l'Estoile, VII, 243. Lettres missives, V, 481.

[41] Purger, saigner, baigner sont les trois remèdes essentiels du temps, d'après Beauvais-Nangis (Mém., éd. Monmerqué, p. 118).

[42] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 171 v°. Uniquement pour être plus saine et gaillarde.

[43] Sully, Économies royales, II, 251. Tous les ans, Henri IV faisait sa cure régulière, mais n'importe où, sans aller à Pougues ou à Spa (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 102 v°). La reine prend aussi ces eaux pour éviter quelque douleur d'estomac dont j'estois quelquefois travaillée et aussi pour la conservation de ma santé (Ibid., fol. 193 v°, 196 r°, 197 v°). Les eaux de Pougues ont été extrêmement à la mode à cette époque (voir J. du Val, l'Hudrothérapeutigue des fontaines médicinales, Rouen, J. Besongne, 1603, in-12°). Elles étaient prônées dans des publications spéciales (T. Pidoux, la Vertu et usage des fontaines de Pougues en Nivernois et administration de la douche, Nevers, 1598, in-8°. — Du même, Des fontaines de Pougues en Nivernois, de leur vertu, faculté et manière d'en user, Paris, Nivelle, 1584, in-8°. — A. du Fouillioux, Discours de l'origine des fontaines ; ensemble quelques observations de la guarison de plusieurs grandes et difficiles maladies faite par l'usage de l'eau médicinale des fontaines de Pougues en Nivernois, Nevers, 1595, in-8°).

[44] Marie de Médicis voyageait en litière (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 315 r°). Sur ce qui précède, voir : lettre de l'ambassadeur vénitien Cavalli (Bibl. nat., ms. italien 1 750, fol. 8i r°). — P. Matthieu, Histoire de France du règne de Henri IV, II, 106. — Journal d'Héroard, t. I, p. 2 et suiv.

[45] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 143 r°, 329 r°. — Lettres de Malherbe, dans Œuvres, éd. Lalanne, III, 120. — Il y avait eu probablement congestion et hémorragie interne (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 375 v°, 376 r°, 377 r°). Les suffocations paraissent être assez, répandues en ce temps (voir Nic. Pasquier, Lettres, Paris, 1623, in-12°, p. 422. — Courval-Sonnet, les Exercices de ce temps, Rouen, G. de la Haye, 1631, in-12°, p. 8).

[46] La chambre ovale n'était pas la chambre à coucher de la reine, qui était à côté, donnant sur le jardin dit de la reine, aujourd'hui de Diane. On trouve le détail de l'installation pour l'accouchement dans ce livre de Louise Bourgeois, la sage-femme (les Six couches de Marie de Médicis, avec notes et éclaircissements du docteur A. Chéreau, Paris, L. Willem, 1875, in-12°, p. 108). Louise Bourgeois avait trente-huit ans en 1601 ; elle a écrit cinq ou six livres curieux qui témoignent en anatomie et pathologie de connaissances précises (Observations diverses sur la stérilité, perte de fruict, fécondité, accouchement et maladies des femmes, Paris, A. Saugrain, 1609, in-8°, livre qui a eu plusieurs éditions. — Recueil des secrets de Louyse Bourgeois, Paris, M. Mondière, 1635, in-8°). Ayant accouché en 1627 la femme du duc d'Orléans, mademoiselle de Montpensier, laquelle mourut de fièvre puerpérale pour avoir été mal délivrée, elle fut fort compromise ; les médecins qui firent l'autopsie l'incriminèrent dans leur rapport. Elle se défendit vivement dans des publications qui fournissent des renseignements biographiques sur son compte (Fidèle relation de l'accouchement, maladie et ouverture du corps de feue Madame, s. l. n. d., in-8°. — Apologie de Louise Bourgeois contre le rapport des médecins, Paris, M. Mondière, 1627, in-8°). Sur les accouchements de la reine, voir Documents concernant la naissance des enfants de Marie de Médicis (Bibl. nat., ms. Dupuy 76, fol. 219-246).

[47] On imprimait et distribuait un opuscule contenant les prières pour la circonstance (les Prières extraites des oraisons qui se chantent en l'Église durant les quarante heures pour l'heureux accouchement de la roine, Paris, N. Barbote, 1601, in-8°). Cf. Lettres de Malherbe, dans Œuvres, éd. Lalanne, III, 113. Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 204 r°.

[48] La ceinture de sainte Marguerite avait été volée le 6 septembre 1556, il n'en restait qu'un fragment (Dom Bouillart, Histoire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1724, in-fol., p. 188. — Cf. Pièces concernant certaines reliques données à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés ou accordées par elle à d'autres églises, Bibl. nat., ms. fr. 16 865). Ce fragment était conservé dans la chapelle de la sainte située du côté sud de l'église (Piganiol de la Force, Description de Paris, Paris, G. Desprez, 1765, VIII, 50). Marie de Médicis donna à cette chapelle une statue de la bienheureuse qu'elle acheta le 10 janvier 1608 (J. du Breul, le Théâtre des antiquités de Paris, Paris, 1612, in-4°, p. 317). La fête annuelle de sainte Marguerite était populaire (Th. Platter, Description de Paris, dans Mém. de la Soc. de l'hist. de Paris, 1896, XXIII, p. 210). Beaucoup de gens, même humbles, avaient recours à la ceinture en question (Tallemant, Historiettes, I, 94 ; II, 530 ; L'Estoile, Journal, IX, 298) ; Marie de Médicis tenait beaucoup à l'avoir (lettre au prieur de Saint-Germain-des-Prés, de 1607. Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 103 r° et 193 r°. — Louise Bourgeois, les Six couches, p. 110).

[49] Sua sensitiva e sanguigna natura (lettre de Guidi au grand-duc de Toscane du 29 juillet 1608, dans Canestrini, V, 574). Voir une discussion technique de la dernière maladie de la reine d'après le journal de cette maladie et l'autopsie de la reine dans le livre du docteur A. Masson (la Sorcellerie et la science des poisons au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1903, in-18°, p. 235 et suiv.). Cf. sur la mort de Marie de Médicis, Bibl. nat., mss fr. 23061, 10761 et 16696.

[50] Saint-Simon, Parallèle des trois premiers Bourbons, p. 6. Le portrait de van Dyck est actuellement au musée de Munich. C'est une esquisse au bistre. Il a été gravé par P. Pontius, van Sompel et J. Mathan. Sur les autres portraits de Marie, par van Dyck, consulter J. Guiffrey, Ant. van Dyck, Paris, Quantin, 1882, in-fol., p. 271.

[51] Jérôme de Bénévent écrivait (Discours des faits héroïques de Henry le Grand, Paris, J. de Heuqueville, 16H, in-8°, p. 304) : Cette pudique tourterelle... cette sage et vertueuse princesse qui est entre les reines ce que le lys est entre les fleurs... ceste royne dont la vertu n'est moins blanche que le lys, moins resplendissante que le soleil, cette fleur de beauté... etc. Richelieu (Mém., I, 1) : Cette princesse, en la fleur de ses ans, faisoit voir en elle les fruits les plus mûrs de sa vertu, et il sembloit que Dieu l'eût rendue si accomplie que l'art qui porte envie à la nature eût en peine à beaucoup ajouter à son avantage... — Voir aussi B. Legrain, Décade contenant la vie de Henry le Grand, Paris, J. Laquehay, 1614, in-fol., p. 3t)9. — L'Éloge de Marie de Médicis, par G.-B. Strozzi (Bibl. nal., fonds italien, ms. 1 506), participe du même genre. Malherbe et Racan la chantèrent (Louis Arnould, Honorat de Bueil, seigneur de Racan, Paris, Colin, in-8°, 2e éd., p. 97). J. Bertaut, dans sa paraphrase du 43e psaume, exaltait l'aspect magnifique de Marie de Médicis (J. Bertaut, Œuvres, éd. A. Chenevière. Paris, 1891, in-12°, p. 61). — Cf. Canestrini, V, 460 ; B. Zeller (Henri IV et Marie de Médicis, p. 65) ; Harangue du cavalier Philippe Cavriana, p. 12.

[52] Journal, VII, 243. Et elle aime beaucoup le roi, jusqu'à en être jalouse, dit l'ambassadeur vénitien, ce qui est un travers bourgeois, che sono piu proprie di donne private (dans N. Barozzi, Relazioni degli stati Europei, II, Francia, I, p. 111). — Sully, Économies royales, éd. Petitot, IX, 167. — Histoire générale de tout ce qui s'est passé au parc royal sur la resjouissance du mariage du roy, Paris, 161-2, in-8°, p. 9.

[53] Voir la phrase plus haut citée du roi à l'ambassadeur vénitien Cavalli : Che veramente la regina era di gran spirito (Bibl. nat., ms. italien 1 749, fol. 138 r°). D'Alincourt rapporta le propos du grand-duc à Henri IV, lequel le redit à Marie de Médicis ; celle-ci, furieuse, fit une scène à l'envoyé florentin Guidi (Canestrini, V, 374). Les médailles du temps, représentant Marie de Médicis de profil, accusent remarquablement son air peu intelligent caractérisé par le menton qui avance de la mère autrichienne, le prognathisme des Habsbourg (consulter le livre du Dr Galippe : l'Hérédité des stigmates de dégénérescence et les familles souveraines, Paris, Masson, 1905, in-8°, livre sur lequel l'historien a beaucoup de réserves à faire). Voir la belle médaille de N. Guinier, gravée en 1601 pour la naissance du dauphin (F. Mazerolle, les Médailleurs français, Paris, Impr. nat., 1902, in-4°, II, 145).

[54] Marie de Médicis ne disait pas un mot de français en arrivant en France. Son mariage décidé à Florence, on avait vaguement cherché à lui faire lire quelque livre français, et elle avait jeté les yeux sur Clorinde, on l'amante tuée par son amant, d'ailleurs sans succès (P. Matthieu, Hist. de France, règne de Henri IV, Paris, P. Guillemot, 1605, in-4°, p. 250). — Le chancelier avait répondu pour elle aux harangues (Ph. Hurault, Mém., éd. Michaud, X, 604), ou elle répondit en italien (Palma-Cayet, Chronologie septennaire, XII, 121). Elle se mit peu à peu au français, mais garda de fortes traces de son origine. Elle disait : Diou m'en garde ! I fa cho, pour il fait chaud (Tallemant des Réaux, II, 145), du soucré, pour du sucre (Journal d'Héroard, I, 83) ; elle conserva des interjections italiennes : Oime, ie morio ! (Ibid., I, 3). Puis elle finit par désapprendre au moins d'écrire l'italien (Bentivoglio, Lettere, Florence, 1867, in-18, III, 70 ; lettre du 24 octobre 1618 : Io non so piu scrivere italiano, dit-elle). Catherine de Médicis parlait beaucoup mieux qu'elle le français. La reine mère, dit Scaliger (Scaligeriana, éd. de 1669, p. 47), parloit aussi bien son goffe parisien qu'une revendeuse de la place Maubert, et l'on eût point dit qu'elle estoit italienne.

[55] Princesse de Conti, Histoire des amours de Henri IV, Leyde, 1664, in-12°, p. 80. — Priuli, op. cit., p. 209. — Les ambassadeurs Gussoni et Nani écrivaient d'elle (Relazione, dans Barozzi, II, Francia, I, 472) : Donna di gran maniera, di molta gravita, e veramente tratta con tanto decoro e con modi cosi propri alla sua grandezza, che nulla piu ha anco mista la gravita con l'affabilita e certo nell' apparenza riesce molto bene, e assai prudente, ma un poco timida, e per sesso e per la natura e tarda nelle risoluzioni.

[56] Richelieu, Mém., I, 11 ; Richelieu est fort bien informé de tout ce qui concerne le ménage royal. — Cf. Fontenay-Mareuil, Mém., p. 123. — Beauvais-Nangis estime (Mém., éd. Monmerqué, p. 131) que les éclats des princes et leurs départs de la cour sous la régence furent dus aux imprudences de la reine, faisant trop grise mine aux gens et leur battant trop froid.

[57] Henri IV raconte cet aveu de la reine à Henriette d'Entraigues (Lettres missives, III, 605). Il est vrai que, le cas échéant, Marie de Médicis savait faire preuve de sang-froid. Ainsi, à l'accident du bac de Neuilly, le roi admira son calme (Richelieu, Mém., I, II). Le public attribua aux colères perpétuelles et aux tourments de la princesse le mauvais état dans lequel le premier duc d'Orléans vint au monde (Mercure français, 1611, p. 160).

[58] Lettre au président Jeannin à propos de la mort de son fils assassiné, le baron de Monjeu, publiée dans le Mercure français (1611, p. 1).

[59] Gaspard de Saulx-Tavannes, Mém., éd. Michaud, 1re série, VIII, 69, 187.

[60] Il s'écrivit beaucoup de ces avis et conseils, nous en avons retrouvé quelques-uns : Advis à la royne mère du roi Louis 13e des moyens propres à tenir le gouvernement d'Estat après la mort du roy Henry IV (Bibl. nat., ms. fr. 17 326, fol. 1-4, et aussi ms. fr. 17 333, fol. 44 et suiv.). — Harangue à la reine mère sur son gouvernement au commencement de sa régence (Bibl. nat., ms, fr. 19 131, fol. 120 ; ms. fr. 3 804, fol. 48). — Vincent de la Faye, Sonnets, sizains, quatrains, contenant les préceptes d'Isocrate touchant le gouvernement d'un royaume (1611) (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 1 772). — Conseil donné à la royne mère du roy pour le gouvernement et conservation de l'Estat (1610) (Bibl. nat., ms. Dupuy 203, fol. 169, et aussi mss fr. 18 055, 15 644, 23 339,23 937). Cf. Nic. Pasquier, Lettres, Paris, 1623, in-8°, p. 41-55.

[61] Voir par exemple les Jeux de la cour (s. l., 1620, in-8°, p. 3) et la chanson du Recueil dit de Maurepas (Leyde, 1865, I, 32), dont E. Fournier (Variétés hist. et litt., VIII, 281) donne une version plus complète.

[62] Ce qu'on a dit de ces amours est résumé dans le livre anonyme (œuvre de Denis Mater, d'après Barbier) intitulé : Amours secrètes du cardinal de Richelieu avec Marie de Médicis (Paris, Michel, an XI, in-12°).

[63] Voir, par exemple, Balzac, Entretiens (Paris, 1658, in-12°, p. 374).

[64] Dr A. Masson, la Sorcellerie et la science des poisons au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1904, in-12°, p. 214. L'auteur n'invoque que des on-dit qui ne reposent sur aucune preuve. Voir aussi Cabanes, Poisons et sortilèges ; 2e série : les Médicis, les Bourbons, la Science au XXe siècle, Paris, Plon, 1903, in-16°.

[65] M. de Morgues, les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, p. 38. — Bassompierre, Mém., éd. Chantérac, I, 301. — Richelieu, Mém., I, 58. — Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 92, fol. 115 v°. — Contarini écrit (dans Barozzi, II, Francia, I, 557) : Della regina madre diro ritrovarsi in questa principessa una singolare bonta, grande religione, animo nobilissimo, azioni splendidissime.

[66] Voir les Lettres de Malherbe, dans Œuvres, éd. Lalanne, III, 128. — Journal d'Héroard, II, 7. On trouvera une description brillante des processions de ce temps dans Th. Coryate (Voyage à Paris, 1608, dans Mém. de la Soc. de l'hist. de Paris, t. VI, 1879, p. 37).

[67] Ce fut à l'occasion de ce voyage à Orléans que le roi et la reine posèrent la première pierre de la cathédrale de Sainte-Croix (P. Matthieu, Histoire du règne de Henri IV, Rouen, 1615, in-8°, II, 70. — S. Dupleix, Hist. de Henry le Grand, p. 432. — E. Lefèvre-Pontalis et E. Jarry, la Cathédrale romane d'Orléans d'après les fouilles de 1890, Orléans, H. Herluison, 1904, in-8°, p. 10).

[68] Journal de l'Estoile, X, 396. Sur la façon dont on donnait le pain bénit en ce temps, voir F.-G. d'Ierni, Paris en 1596, dans Bull. de la Soc. de l'hist. de Paris, 1885, p. 167.

[69] Dans une lettre du 22 juin 1611, Marie de Médicis envoie à la duchesse de Sforza, qui la lui a demandée, la liste de ses dévotions préférées (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 192 v°). M. de Morgues donne une liste analogue (les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, p. 42). La reine portait le scapulaire de sainte Thérèse (Ibid.). — Pour sa dévotion à saint Léonard, voir N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 170.

[70] Mercure français, 1614, p. 594. Voir le préambule de l'acte de fondation à Paris d'un couvent de religieuses de sainte Elisabeth, daté du 31 janvier 1614 (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 213 v°). — Cf. P. Matthieu, Panégyrique sur le couronnement de la royne, p. 32, et Florentin du Ruau, le Tableau de la régence de Blanche, Marie de Médicis, roghe mère du roi et du royaume, Poitiers, A. Mesnier, 1615, in-8°.— A l'instigation des Jésuites, Henri IV avait manifesté également quelque préférence pour saint Louis ; il avait demandé à Rome que la fête du bienheureux, le 23 août, fût chômée (Lettres missives, VII, 393). Marie de Médicis, régente, reprendra l'idée et fera insister auprès du pape par son ambassadeur M. de Brèves (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 178 V). La faveur ne sera accordée qu'à Louis XIII, en 1618, par un bref du pape Paul V (Mercure français, 1618, p. 271). Puisque nous parlons des requêtes adressées à Rome par Marie de Médicis, disons qu'elle appuya, encore à la demande des Jésuites, la canonisation de saint Ignace de Loyola et de saint François Xavier (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 12 v°), et, à la demande des Oratoriens, celle de saint Philippe de Néri (Ibid., fol. 65 v°). Ces canonisations ne devaient être obtenues qu'en 1622 (Giov. Briccio, les Pompes et magnificences des cérémonies observées à Saint-Pierre de Rome pour la canonisation des glorieux SS. Isidore de Madrid, Ignace de Loyola, François Xavier, Térèse de Jésus et Philippe Néri, Florentin, par l'autorité de N. S. P. le pape Grégoire XV, le 12 mars 1622, Paris, J. Guerreau, 1622, in-8°).

[71] L'évêque, en souvenir, lui envoya des coquilles et des médailles du Mont-Saint-Michel (Ibid., fol. 146 v°). — Courval-Sonnet décrit d'une façon piquante les pèlerinages à cette époque (les Exercices de ce temps, p. 29). On trouve dans la correspondance de Marie de Médicis une lettre, du 20 mars 1612, adressée à un Père Juvénal, capucin, remerciant celui-ci d'avoir donné l'avis d'une entreprise sur la forteresse du Mont-Saint-Michel. J'ai à vous prier, ajoute-t-elle, de tenir l'affaire secrette et m'escrire particulièrement et bien au long ce que vous en avez appris afin que j'y pourvoie (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 20 r°).

[72] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 278 r°. Ayant quelque particulière dévotion envers saint Fiacre (Ibid., 89, fol. 15 v°).

[73] L'abbé de Monserrat lui envoya en retour des ceintures et autres choses de dévotion, en l'assurant de ses prières pour elle et ses enfants (Ibid., 89, fol. 24 r°). Marie de Médicis avait commandé à Toussaint de Saint-Jean, maître menuisier de Paris, moyennant la somme de 1.100 livres, un placart ou armature pour la décoration et ornement au-devant des reliques de Notre-Dame de Chartres pour servir à attacher la lampe d'or que nous avons donnée à l'église dudit lieu, 20 juin 1611 (Ibid., 92, fol. 7 r°, et 93, fol. 43 r°).

[74] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 162 v°. Les sauvages des Indes occidentales étaient ce qu'on appela les Toupinambours. Le lieutenant pour le roi, M. de Razilly, en ramena dix en 1612 et les exhiba à Paris, où ils eurent un grand succès (Mercure français, 1612, p. 6. — Dr Semelaigne, Yves d'Évreux, ou Essai de colonisation au Brésil, chez les Topinamboux, de 1612 à 1614, Paris, 1887, in-12°). La recommandation de rapatrier les huguenots est faite à M. de la Renardière, toujours aux Indes, 12 octobre 1611 (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 232 r°). — Sur l'affaire de M. de Poutrincourt, voir G. Marcel (Factum du procès entre Jean de Biencourt, sieur de Poutrincourt, et les Pères Biard et Massé. Paris, Maisonneuve, 1887, p. XIII) ; Palma-Cayet (Chronologie septennaire, p. 262 et suiv.) ; les lettres de la reine du 7 août 1612 et 4 janvier 1613 à M. de Biencourt fils (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 67 v° et 119 r°) ; Héroard (Journal, II, 75) ; la collection Margry (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 261 : Voyages des sieurs de Monts et de Poutrincourt, 1603-1610 ; — 9 264-9 267 : Missions des récollets dans la Nouvelle-France ; — 9 281 : Copies de pièces concernant de Monts, Poutrincourt, Latour, extraites des archives du comté de Suffolk, Massachussets ; Fr. Parkmann, The Jesuits in North America in the seventeenth Century, London, 1885, in-8° ; le P. Camille de Rochemonteix, les Jésuites et la Nouvelle-France d'après beaucoup de documents inédits, Paris, 1895-96, 2 vol. in-8°.

[75] Héroard, Journal, I, 180. Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 185 r°. Le banni est un gentilhomme de Padoue nommé Ant. Dotti (Lettres missives, VI, 274). Il faudrait ajouter, — pour la rareté des démarches de ce genre, — les efforts faits par Marie de Médicis afin d'arrêter les scandales d'une certaine abbesse de Saint-Amand de Rouen (lettres au premier président du parlement de Rouen, M. Faucon de Ry. Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 190 v°, 201 r°, année 1611).

[76] Au moyen âge, Marguerite, par exemple, femme de saint Louis, allait jusqu'à repaistre chacun jour les treize jeunes filles pauvres toute l'année (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 329 r°). De simples particuliers donnaient de quoi doter douze jeunes filles annuellement, tel le président Forget, mort en janvier 1611 (d'après son épitaphe à la chapelle de l'Hôtel-Dieu de Paris. Mercure français, 1611, p. 291).

[77] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 92, fol. 11 r° ; 86, fol. 303 r°. Cette dame Dujardin demanda à se retirer en juin 1615 (Ibid., 91, fol. 236 r°). Une fois, en 1609, une des jeunes filles, Anne Lambert, se conduisit mal, s'absenta de la présence et obéissance de sa mère pour mener mauvaise vie, au scandale de ceux à qui elle appartenoit. La reine révoqua le don et raya Anne de la liste (Ibid., 91, fol. 236 r°).

[78] M. de Morgues, les Deux faces de la vie et de la mort de Marie de Médicis, p. 44. Il existe, concernant Marie de Médicis, une pièce de vers intitulée : le Salve regina des prisonniers adressé à la royne mère du roy (s. l. n. d.), in-8°, 8 p. (réimprimée par E. Fournier, Variétés hist. et litt., VIII, 193).

[79] Richelieu, Mém., I, 63. — Mercure français, 1612, p. 503. Un mandement de Louis XIII du 27 août 1612 fixa les conditions dans lesquelles le vagabondage devait être réprimé. Tous les pauvres invalides hospitalisés étaient tenus de travailler (Isambert, Recueil, XVI, 28). L'idée fut reprise plus tard et on songea à établir au Cours-la-Reine une maison des œuvres de miséricorde (Un dépôt de mendicité sous Louis XIII, dans Revue rétrospective, 2e série, t. III, p. 207). Henri IV s'était déjà préoccupé de la question (Lettres patentes pour la réformation des hôpitaux, maladreries et autres lieux pitoyables du royaume, Paris, J. Mettayer, 1600, in-8°). — Cf. Yves de la Brière, l'Assistance par le travail à Paris au début du XVIIe siècle, dans Études (Revue des Pères de la Compagnie de Jésus, n° du 5 avril 1903).

[80] J. du Breul a consacré une notice à la fondation de la Charité (Théâtre des antiquités de Paris, Paris, 1639, Supplément, p. 42). — Voir aussi Palma-Cayet (Chronologie septennaire, p. 288) ; J.-A. de Thou (Hist. univ., X, 261) ; E. Leguay (De l'ordre de la Charité de Saint-Jean de Dieu et de ses établissements en France, Paris, 1614, in-8°).

[81] Des lettres patentes de décembre 1611 honorèrent l'Oratoire du titre de fondation royale (Mercure français, 1613, p. 286). En juillet 1613, Marie de Médicis insistait auprès de l'évêque d'Orléans, pour qu'à la première assemblée de la Sorbonne ce prélat fit cesser l'opposition des docteurs à l'établissement de l'Oratoire (Bibi. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 163 r°). Voulant donner l'hôtel des Monnaies à la nouvelle Compagnie, elle chargea la marquise de Meignelay de chercher un logis ailleurs pour l'administration des monnaies (Ibid., fol. 144 r°). — Au sujet de l'installation des Capucins à Paris, voir Bibl. nat., nouv. acq. fr. 4 133 ; leurs missions : Ibid., 10 220. Henri IV avait pris ces religieux sous sa protection (Isambert, Recueil, XV, 246). Marie de Médicis demanda au pape l'autorisation d'entrer dans les monastères ; le pape répondit qu'il le permettait pour les monastères de femmes ; quant aux monastères d'hommes, ajouta-t-il en riant, ce ne serait qu'avec la permission du roi (Lettres du cardinal d'Ossat, II, 262). — Sur l'ensemble des bonnes œuvres de Marie de Médicis, voir P. Matthieu, Panégyrique sur le couronnement de la royne, p. 55. L'efflorescence des ordres religieux à cette époque, qui fut très considérable, provoqua des critiques vives et des oppositions ardentes (B. Legrain, Décade commençant l'histoire du règne de Louis XIII, Paris, 1619, in-fol., p. 427). Le Parlement fit des remontrances (Fl. Rapine, Recueil de tout ce qui s'est fait en l'Assemblée des États en 1614, p. 239).