AU TEMPS DE LOUIS XIII

 

CHAPITRE IV. — M. DE LA GROSSETIÈRE GENTILHOMME HUGUENOT DE LA ROCHELLE[1].

 

 

Débarquement de la Grossetière à Carteret, son arrestation à La Haye-du-Puits. — Madame Le Venier, sa mère, au manoir de la Grossetière. — Charles de la Grossetière page du roi, sa disgrâce. — Il tombe amoureux de madame d'Aigrefeuille et la suit à la Rochelle. — Le siège de la Rochelle. — Exploits de Charles hors de la ville assiégée. — Besoin d'argent. — Brigandage près de Poitiers. — Retour à la Rochelle, état difficile de la place. — Arrivée et départ d'une flotte anglaise, la ville désolée. — Envoi d'émissaires à Londres. — La Grossetière désigné. — Son voyage. — Il va à Vire demander aide à son oncle M. de Tracy, qui l'envoie à un de ses amis, M. de Briqueville, sur la côte du Cotentin. — Embarquement de la Grossetière. — Son séjour à Londres. — Audience du roi Charles Ier. — Rentrée en France. — Comment les autorités en Normandie ont été prévenues de son départ. — Arrestation de MM. de Tracy et de Briqueville. — Le roi ordonne de mener à Marans la Grossetière pris à La Haye-du-Puits. — Négociations infructueuses des Rochelais en faveur du prisonnier. — Fin du siège ; capitulation de la ville. — La Grossetière transféré à Poitiers, est jugé, condamné, exécuté.

 

Le mardi 11 juillet 1628, à la pointe du jour, trois gentilshommes chargés de surveiller la côte du Cotentin en face des îles anglaises, se trouvant en observation, à cheval, près de Carteret, aperçurent une barque qui abordait. Un homme en descendit. Il avisa une cabane de saunier, entra, pendant que le bateau remettait à la voile, le cap sur Jersey, d'où il devait apparemment venir ; puis ressortit peu après, mangeant encore, et suivi du saunier qui lui montrait la route du plus gros bourg voisin, La Haye-du-Puits. Les trois gentilshommes, MM. des Poteries, Montigny et Graffart, se concertèrent. Ce débarquement était suspect. Arrêter le nouveau venu présentait des inconvénients ; celui-ci semblant se diriger vers la Haye-du-Puits, mieux valait l'y devancer par un détour, et prévenir les autorités qui aviseraient. Ils partirent au galop[2].

Le personnage qui venait ainsi d'attirer l'attention était un tout jeune homme de vingt-quatre ans, grand, mince, distingué ; il avait les traits doux, le regard incertain ; son visage était couvert de taches de rousseur ; sa barbe naissante et ses cheveux étaient rouges[3] ; il portait une casaque de hure grise, un pourpoint de satin noir, des chausses cramoisies et un chapeau de feutre noir qu'ornait une grande plume. Il se nommait M. Charles Le Venier, sieur de Bréault, dit de la Grossetière, et il était du Poitou.

Arrivé sur le haut des dunes, bien mis en son chemin par le saunier, qui le laissa, il se disposa à franchir les cinq lieues qui le séparaient de la Haye-du-Puits. A la première ferme, il loua un méchant bidet, une mazette, qu'il promit de renvoyer, et poussant la bête, il finit par atteindre le bourg au moment où, au vieux clocher de l'église, dix heures sonnaient. C'était jour de marché. De toutes parts paysans et paysannes, à pied, à cheval, en carriole, affluaient. M. de la Grossetière entra dans une hôtellerie déjà remplie de monde, se refit un peu, convint avec l'hôtelier, petit homme boiteux, du renvoi de la mazette et alla faire un tour. Au coin où l'on vendait les chevaux, il en marchanda un dont on voulait cinquante livres, l’obtint pour quarante, le fit seller, brider, conduire à l'hôtellerie où il rentra payer son écot, et ceci fait, se mettant en mesure de partir, il avait déjà le pied à l'étrier, lorsqu'un homme s'approcha et lui dit que M. le bailli le demandait[4].

Un instant, M. de la Grossetière, légèrement troublé, hésita. Incertain de ce dont il s'agissait, il obéit. M. le bailli, qui avait auprès de lui deux ou trois archers du prévôt général[5], s'excusa poliment d'avoir dérangé le jeune gentilhomme et lui notifia qu'il allait prendre la liberté de le faire fouiller. Aucune protestation n'était possible. On ne trouva dans les poches qu'un peu d'argent, quarante-trois pistoles. Le bailli demanda à son interlocuteur comment il se nommait. La Grossetière répondit : Monsieur de Bréault. L'officier de justice eut un haut-le-corps.

Oh ! fit-il, c'est donc vous que nous cherchons ! Il est passé en Angleterre un homme de ce nom-là, que le roy a commandé que l'on arreste !

M. de la Grossetière interdit chercha à plaisanter. Certainement, dit-il, si c'estoit lui, il seroit de bonne prise. Mais il n'était pas le seul qui s'appelât de Bréault ; il y en avait d'autres. Le bailli fit allusion au long siège de la Rochelle que le roi poursuivait depuis plus de dix mois pour abattre la rébellion des protestants et aux détails duquel tout le royaume s'intéressait passionnément. Il conclut qu'il était obligé, premièrement de conserver les quarante-trois pistoles trouvées, lesquelles il serra dans une petite boîte qu'il cacheta et remit au propriétaire de la maison où on était ; secondement de garder M. de Bréault à sa disposition jusqu'à plus ample informé. Un des archers, Lastelle, allait l'accompagner à l'hôtellerie et ne le quitterait pas.

En chemin, M. de la Grossetière considéra que l'archer était un vieux bonhomme ; il réfléchissait qu'on pouvait le jouer ou le bousculer, lorsqu'en rentrant dans la salle de l'auberge, ils se trouva en présence de trois personnages qui l'ayant un instant considéré, se jetèrent sur lui, et avant qu'il eût pu faire la moindre résistance, l'avaient ligoté. C'étaient les trois gentilshommes de Carteret. Sans autre observation ils se mirent en devoir d'inspecter tous ses vêtements, et cette fois, la visite, mieux conduite, fut plus fructueuse, car dans le repli de la manche du pourpoint on trouva un papier.

Ce papier fut déplié et lu. Il contenait ce qui suit :

Jehan Guiton, escuier, eschevin, conseiller du roy, nostre sire, maire et cappitaine de la ville et gouvernement de la Rochelle, nous avons donné et donnons pouvoir et commission au sieur de la Grossetière de s'assister de tel nombre de ses amis qu'il advisera pour aller dedans et hors le gouvernement faire la guerre par mer et par terre aux ennemis du roy et des églises réformées de France, se saisir de leurs personnes et choses à eux appartenant et, en cas de résistance, les combattre, vaincre et surmonter à force d'armes par toutes sortes de voies nécessaires en tel cas. — Faict à la Rochelle, le vingtième jour de mai 1628[6].

Ainsi on était en présence d'un huguenot engagé dans la rébellion de la Rochelle, commissionné à porter les armes contre le roi, et factieux. Les trois gentilshommes délibérèrent. La première chose à faire était de prévenir le lieutenant pour le roi du gouverneur en la Basse-Normandie, M. de Matignon, à ce moment à son château de Torigni-sur-Vire, au delà de Saint-Lô[7] ; puis de conduire le jeune homme en un endroit sûr et de l'y enfermer. La Haye-du-Puits ne possédant pas de prison convenable, quelqu'un suggéra l'idée de se rendre à Saint-Germain-le-Vicomte, solide château-fort, aux murs épais, sis à trois ou quatre lieues de là et dont les salles basses des tours étaient de bonnes geôles[8]. L'avis fut adopté. Les gentilshommes commandèrent à l'archer Lastelle de les accompagner ; un courrier monta à cheval pour gagner Torigny, et au milieu d'une foule compacte qui emplissait l'auberge ainsi que ses abords, attirée par la nouvelle de l'arrestation d'un seigneur huguenot, le cortège, dans lequel M. de la Grossetière à cheval était étroitement entouré de ses gardiens, s'ébranla et partit. Le soir le jeune homme était écroué dans une des prisons de Saint-Germain.

A la nouvelle qu'on lui apportait, M. de Matignon monta immédiatement à cheval et se mit en chemin avec un gentilhomme de sa suite. Il lui fallut la nuit entière pour franchir les douze lieues qui le séparaient de Saint-Germain-le-Vicomte. Sur le matin il arrivait au château. Après s'être entretenu avec M. de Montigny et ses compagnons qui lui rapportèrent les détails de l'incident, il fit appeler Charles de la Grossetière et l'interrogea. Charles de la Grossetière lui demanda la permission, au lieu de répondre à chacune des questions qu'on voulait lui poser, de rédiger un bref mémoire dans lequel il indiquerait qui il était, d'où il venait, ce qu'il avait fait. M. de Matignon y consentit. Le lieutenant du gouverneur, après avoir lu l'écrit, prononça qu'il allait l'envoyer au roi, à la Rochelle, avec un procès-verbal de ce qui venait de se passer. En attendant la réponse de Sa Majesté, il ordonnait à M. de la Luthumière de conduire sous bonne escorte La Grossetière à la citadelle de Saint-Lô[9]. Gela fait, il complimenta les trois gentilshommes de Carteret pour leur zèle au service du roi, et se retira.

M. de la Grossetière fut transféré à Saint-Lô. Huit jours après, le 20 juillet, Louis XIII signait des lettres patentes[10] mandant à M. Gaspard Coignet, sieur de la Tuilerie, conseiller du roy en son conseil d'Etat et privé, maître des requestes de son hôtel, de se rendre à la citadelle de Saint-Lô pour commencer le procès du gentilhomme[11]. M. Gaspard Coignet se mettait à l'œuvre le mardi 25 juillet, à neuf heures du soir : la procédure allait révéler de point en point toute l'histoire de M. de Bréault.

 

Restée veuve d'un honnête gentilhomme huguenot avec peu de fortune, deux garçons et une fille, madame Le Venier s'était retirée dans un vieux manoir du Poitou, la Grossetière, situé près de Bressuire[12]. C'était une femme de jugement, d'une piété forte et austère, sévère et triste, mais sans exaltation et modérée. Elle désapprouvait les prises d'armes de ceux de sa religion et jugeait la réforme une affaire de conscience individuelle compatible avec les devoirs d'un chacun à l'égard du roi. Elle s'appliqua à l'éducation de ses fils[13].

Le second, Charles, était une nature douce et molle. Capable de passions vives qu'il servait d'un entêtement téméraire, il apportait dans tout ce qu'il faisait une inconscience distraite tenant à l'indécision d'un esprit rêveur. Sa mère redoutait la vie pour lui.

Elle avait gardé des relations avec des parents de son mari, fougueux catholiques, MM. de Bercy-Mallon, de Lavau Saint-James[14], qui étaient de Poitiers, et leur demanda de l'aider à caser ses fils par la voie ordinaire des gentilshommes de ce temps, l'armée.

Grâce à leur appui, Charles fut admis, à peine adolescent, parmi les pages de la petite écurie du roi, manière d'école militaire d'où l'on sortait directement dans les régiments. Il y resta, — ou, comme on disait, — il y porta la livrée quelques années[15].

Pourquoi, à dix-sept ans, en sortit-il d'une manière brusque ? Le point n'est pas éclairci. Au moment de la lutte de 1621 contre les protestants, en Poitou, pendant le siège de Thouars, le jeune page avait demandé à l'écuyer de la petite écurie, M. de Beaurepaire, une permission de plusieurs jours qui lui fut accordée. Il alla à la Grossetière, y demeura un certain temps, rejoignit le roi lorsque celui-ci assistait au siège de Saint-Jean-d'Angély, cinq ou six jours avant la prise de la ville, et, là, M. de Liancourt, chef supérieur des pages[16], lui signifia son congé qu'il accompagna d'une gratification de cent livres. C'était une disgrâce. Sa religion l'avait-elle rendu suspect ? Le fait est peu probable. Louis XIII ne faisait un crime à personne d'être réformé. Nombre de ses officiers étaient huguenots. On accusa plus tard Charles de la Grossetière d'avoir profité du congé qui lui avait été donné pour prendre le mousquet et faire le coup de feu contre les armées du roi. Il s'en défendit vivement.

Ainsi mis hors de page, mais autrement qu'il ne l'eût désiré, le jeune homme revint chez sa mère. Il partagea son temps entre la Grossetière et une terre que sa famille possédait en Beauce, Sainte-Escobille[17]. Il allait y percevoir les fermages, surveiller les réparations, discuter les baux. Une fois il poussa jusqu'en Hollande voir son frère qui s'y trouvait, on ne sait trop pourquoi[18]. Sa vie était vide et sans but. Sa mère, qui tout en affermissant chez lui les convictions religieuses protestantes, lesquelles il avait d'ailleurs sincères, le garait le mieux qu'elle pouvait de la tentation de se joindre aux coreligionnaires rebelles, espérait le retenir dans une voie prudente en attendant que les circonstances devinssent pour lui favorables, lorsqu'un événement fortuit vint modifier ses prévisions. Charles tomba amoureux.

Il avait fait la connaissance d’une jeune veuve protestante qui se nommait madame d'Aigrefeuille[19]. Il s'éprit d'elle. Madame d'Aigrefeuille était une ardente religionnaire, passionnée pour la cause réformée, enthousiaste, qui ne croyait pas qu'on dût reculer devant aucun sacrifice à l'égard de son parti, et donnait l'exemple. Elle aima Charles ; elle eut pour lui un attachement fait de tendresse et d'orgueil ; mais elle aima davantage le parti de la religion, avec une de ces exaltations d'anciennes Romaines qui vouent à une idée leurs fils, si elles sont mères, leurs maris si elles sont épouses, plus rarement et ce fut ici le cas, leur amour. Lui, éprouva pour elle un sentiment violent. Il ne songea qu'à elle ; il lui obéit en tout. Son existence était transformée.

Madame d'Aigrefeuille habitait la Rochelle. Charles de la Grossetière alla l'y rejoindre. Elle le reçut dans sa maison, lui, ses équipages, ses chevaux. Il lui avait demandé et avait obtenu d'elle une promesse de mariage : aux yeux du public, ils étaient fiancés. Seulement madame d'Aigrefeuille avait ajourné l'exécution de sa promesse, sous des prétextes quelconques. La raison était qu'elle voyait les événements politiques s'aggraver, la guerre civile menacer. Elle entendait user du pouvoir qu'elle conservait sur Charles, tant qu'ils étaient libres, pour l'obliger à faire ce qu'elle considérait comme son devoir : se battre.

 

On était en 1627. Autour de la Rochelle les nuages montaient. Le cardinal de Richelieu qui pensait ne pouvoir venir à bout des révoltes perpétuelles des protestants s'il n'écrasait pas le nid de guêpes qui leur servait de centre, avait résolu l'attaque définitive de la ville. Celle-ci sentait l'orage. Un fort, le fort Louis, avait été édifié à quelque distance de la place pour la surveiller et, la garnison grandissant, les travaux de campagne que celle-ci entreprenait s'étendaient insensiblement. Les Rochelais inquiets s'armèrent[20].

D'autre part, le gouvernement du roi d'Angleterre Charles Ier, préoccupé de créer des difficultés à la France et informé de l'état des esprits dans la région, préparait l'envoi d'une flotte sur les côtes de la Saintonge. Cette action, jugeait-il, entraînerait les protestants à se déclarer. Charles Ier et son ministre, le duc Buckingham, se trouvaient en relations suivies avec le parti religionnaire. Les Rohan, chefs de celui-ci, étaient représentés à Londres par l'un d'eux, le duc de Soubise, et les gens de la Rochelle entretenaient près la cour de Saint-James des députés à poste fixe.

Le mardi 20 juillet, la flotte anglaise forte de quatre-vingt-dix vaisseaux parut en vue de la Rochelle. Le duc de Buckingham, qui la commandait, décida d'attaquer l'île de Ré où le brave M. de Toiras, s'étant enfermé dans les forts de Saint-Martin et de la Prée, allait subir le siège vigoureux qui fit sa fortune militaire et le conduisit au maréchalat[21]. De toutes paris des protestants français accoururent pour offrir leurs services au général anglais[22].

Charles de la Grossetière fut du nombre. Reçu à bord du vaisseau amiral il entra en relation avec le duc de Buckingham, M. de Soubise, quelques seigneurs anglais de l'entourage. Les Anglais avaient réuni les Français venus sous leurs drapeaux, en un corps spécial qui, dans chacune des attaques dirigées contre Saint-Martin, eut la mission de marcher le premier[23] ! Il fut fortement atteint. Charles de la Grossetière put s'en tirer sans une égratignure.

Cependant Louis XIII se hâtait de diriger des régiments vers la Saintonge pour porter secours à M. de Toiras. L'armée se concentra sous les ordres du maréchal de Schomberg. Des troupes passant le petit bras de mer parvinrent à pénétrer dans Saint-Martin et à renforcer la garnison. Le duc de Buckingham, dont aucun effort n'avait pu réussir, prit peur, leva l'ancre et disparut. Il abandonnait à eux-mêmes les Rochelais irrémédiablement compromis.

En même temps qu'il rassemblait ses forces pour délivrer M. de Toiras, le cardinal de Richelieu avait donné l'ordre de surveiller la Rochelle suspecte, qui pouvait attaquer à revers l'armée du roi ; l'infanterie avait commencé des lignes de retranchements devant la ville, et élevé des forts et des batteries. Les Rochelais s'irritèrent de ces travaux. Ce fut le prétexte. Le vendredi 10 septembre ils ouvraient le feu de leurs canons sur les forts de la Moulinette et de Saint-Louis : les forts répondirent. La guerre était déclarée.

La disparition de la flotte anglaise provoqua une impression de stupeur chez les Rochelais. Il allait falloir supporter tout le poids de l'armée royale disposée à mener le siège rudement. On envoya supplier le roi d'Angleterre de ne pas abandonner les malheureux religionnaires et l'on se disposa à se défendre. Charles de la Grossetière était rentré en ville.

Les assiégeants organisèrent méthodiquement le blocus de la place. Les dix-sept régiments d'infanterie et les vingt-deux compagnies de cavalerie, gendarmes, chevau-légers, carabins, qui composaient l'armée, prirent leurs cantonnements autour de la Rochelle en arrière d'une ceinture de onze forts reliés par des batteries et par des tranchées continues. Le cardinal de Richelieu qui ne se souciait pas d'une prise d'assaut brutale avait décidé de réduire la cité par la famine. La fameuse digue gardée par vingt-cinq navires, douze galères, quarante-cinq barques, interdisait l'approche de la place à tout secours venu de la mer[24]. Les commandants de l'armée, le duc d'Angoulême, les maréchaux de Bassompierre et de Schomberg- mirent du temps à resserrer le blocus. De la Rochelle on put se glisser à travers les lignes et tenter des coups de main au dehors. Charles de la Grossetière s'y essaya[25]. L'idée qui l'inspirait n’était pas précisément celle de répondre aux sollicitations de madame d'Aigrefeuille qui eut voulu le voir battre perpétuellement l'estrade : elle était plus positive. Le jeune homme était venu à la Rochelle sans grand argent. Madame d’Aigrefeuille n'était pas riche. L'escarcelle de un et de l'autre se vidait. Sortir au loin, faire des prisonniers et les relâcher sous bonne et profitable rançon était une industrie avantageuse.

Charles en tenta l'aventure. Tant qu on pu passer, il courut. Une fois, près de Surgères, il prit quelques individus à deux pas du bourg ou logeait le roi. Une autre fois, avec huit soldats qui l'accompagnaient, il mit la main sur cinq personnes, un aumônier du comte de Bibérac, deux chevau-légers de la compagnie de Coudray-Montpensier, un soldat du régiment des gardes françaises[26]. Le tout fut dit de bonne prise et bien payé. Malheureusement ces moyens étaient insuffisants pour subvenir à ses besoins, et fournir à la despence, qu'il falloit faire à la Rochelle, de sa maîtresse. La gène, les dettes et leur cortège ordinaire de reproches venaient jeter le trouble dans leur amour. Que résoudre ? Aller demander de l'argent à madame de la Grossetière ? Mais madame de la Grossetière était profondément affligée de la conduite de son fils. M. de La Vau Saint-James avait durement signifié à la mère que si elle n'avoyt le pouvoir de retirer le jeune homme du party de la Rochelle, il seroit le premier qui mettroit le feu en sa maison de la Grossetière ! Charles ne trouverait auprès de madame Le Venier que l'expression de sa douleur et de sa colère. Néanmoins, c'était une ressource, il fallait la tenter.

Il partit avec un domestique, un Suisse nommé La Vallée. Il gagna Saint-Maixent, de là Saint-Loup, puis Bressuire. Parvenu à la porte du manoir paternel, il n'osa pas entrer[27]. Le domestique alla trouver sa mère pour lui expliquer la situation et la supplier en son nom de lui donner de quoi vivre. Le valet revint. Madame Le Venier refusait. Elle faisait dire à son fils que s'il voulait quitter le party de la Rochelle pour se rendre au service du roy, elle lui fournirait ce dont il avait besoin, mais que sinon, elle était morte pour lui.

Charles s'en retourna. En route, des idées calmantes lui vinrent à l'esprit. Pourquoi ne se réconcilierait-il pas avec Sa Majesté ? Au fond c'était plutôt pour madame d'Aigrefeuille qu'il se battait que par conviction arrêtée. Il ne tenait qu'à elle. Si on pouvait la décider à sortir de la Rochelle, et qu'il pût l'épouser, il était prêt à solliciter les bonnes grâces et le pardon du roi. Il gagna Poitiers dans l'intention d'aller trouver les cousins de son père pour leur demander leur appui[28]. Mais il ne rencontra ni M. de Bercy ni M. de Lavau qui étaient absents, et la déconvenue le rejeta dans les perplexités.

Alors une résolution désespérée l'envahit. Il était homme de guerre, après tout. Du moment qu'il ne savait plus à quel parti se résoudre, il n'avait qu'à prendre de force ce qu'il ne pouvait avoir de gré. Il se décida.

Il était descendu à Poitiers dans une auberge dite de la Grande-Roue. Il y remarqua cinq individus qu'il apprit être des soldats huguenots. Il leur proposa de se joindre à lui pour tenter fortune : ceux-ci acceptèrent. Ils se nommaient : La Mothe, qui était du pays et connaissait bien les chemins, Laborde, La Fresnée, La Coste et Métayer.

Il fut d'abord question d'attendre le coche qui fait le service entre Poitiers et Paris, de s'embusquer dans le chemin de Châtellerault, et de l'enlever. Le projet n'eut pas de suite.

Un soir, au soleil couchant, près de Chesnel, à peu de distance de la ville, Charles de la Grossetière, suivi de son domestique et de trois de ces hommes, attaquait sur la route un messager conduisant deux chevaux chargés de marchandises. On prit son argent ; trois pièces de drap, une pièce de camelot de soie, trois ou quatre de passement qui furent jetées par-dessus les murailles d'un jardin : le premier coup avait réussi.

Rendez-vous fut donné pour quelques jours après, à Saint-Maixent, hôtel des Trois-Marchands. Au jour dit la bande était là. Il y avait dans l'auberge huit voyageurs. Ils contèrent à table qu'ils allaient à Lusignan ; ils cheminaient ensemble, par crainte des périls. Trois d'entre eux, qui semblaient des marchands aisés, parlaient de la Rochelle comme s'ils connaissaient la ville. Leur départ étant fixé pour le lendemain à l'aube, après le dîner, Charles de la Grossetière convint avec ses gens de se mettre en route avant le jour et d'aller les attendre sur le chemin de Lusignan en quelque bon endroit désert où on pourrait agir à l'aise.

Le lendemain, en plein champ, les huit voyageurs étaient arrêtés le pistolet à la gorge et le chien abattu : ils se rendirent[29]. On les conduisit aune demi-lieue de là, dans un bois taillis épais où ils furent fouillés. Tout ce qu'ils avaient sur eux fut pris. Charles de la Grossetière décida qu'on en relâcherait cinq, croquants sans valeur, et que l'on garderait les trois autres qui paraissaient fortunés. Conduits à trois ou quatre lieues plus loin, dans un autre bois taillis, de nouveau ils furent fouillés. L'un d'eux avait caché dans ses bottes trente et une pistoles qu'on lui enleva. Ces diverses opérations ayant mené jusqu'à onze heures du matin, un des soldats huguenots avisa une maison près d'un bois de haute futaie et alla y chercher de quoi manger. Sur les quatre heures du soir Charles fit bander les yeux aux prisonniers et la troupe se mettant en marche atteignit une métairie située près d'un château[30]. Le métayer consentit à prêter une étable pour y loger les arrivants, et comme il fallait finir l'histoire, à la tombée de la nuit, la Grossetière, notifia aux trois voyageurs qu'il leur rendait la liberté, à condition qu'ils payassent chacun une rançon proportionnée à leurs moyens. Ils connaissaient des marchands de la Rochelle ; ils allaient signer des lettres de change tirées sur eux. On discuta les chiffres. L'un d'eux souscrivit six cents livres et signa sa lettre du nom de Gollinot ; les deux autres ne voulurent promettre que cent livres chacun. Le lendemain matin, au soleil levant, on les relâchait. Ils partirent dans la direction d'Issoudun ; mais à peine étaient-ils hors de la portée de vue de la bande, qu'ils changeaient immédiatement de direction, et, courant à Poitiers, allaient porter plainte, dénoncer leurs voleurs et fournir au prévôt, au maire et à messieurs du présidial tous les signalements nécessaires.

Charles de la Grossetière fit le compte de ce qui avait été récolté ; il procéda à un partage équitable du bénéfice, puis il fut décidé qu'on se séparerait. Chacun alla de son côté. Charles revint à Poitiers ainsi que deux de ses hommes, La Fresnée et Métayer.

Il descendit à l'auberge des Trois-Piliers[31]. MM. de Lavau et de Bercy n'étant toujours pas chez eux, il se rendit à l'hôtel de ville où on lui permit de voir des religionnaires qui y étaient détenus et parmi lesquels il reconnut un nommé Poupart, dit Pommeau, avec lequel il avait tenté un de ses coups de main hors de la Rochelle, celui où il prit des gens près Surgères. En rentrant à son hôtellerie, il perçut une rumeur. On contait dans la foule que les sergents du présidial avaient rencontré par la ville deux individus, les nommés La Fresnée et Métayer, accusés d'infâme brigandage aux environs ; que ces deux individus avaient été arrêtés, traînés devant le présidial, jugés, condamnés, et qu'on venait de les pendre au gibet, le tout en moins de deux heures. Charles de la Grossetière ne prit que le temps de rentrer rapidement à l'auberge, de prévenir son domestique, et de payer ; il passa vivement les portes de la ville.

Le soir, il s'arrêtait pour coucher dans un petit village appelé Vouzailles[32]. Il dîna avec son valet en compagnie d'un homme qui dit se nommer Verdon et qui venait aussi de Poitiers. Ils causèrent. L'homme mit la conversation sur le sujet des deux brigands qu'on avait pendus à la ville dans la journée et dont tout Poitiers, en émoi, avait parlé. Au cours de la discussion, Charles s'anima et s'emporta. Il finit par avouer son indignation en ajoutant que c'était lui qui commandait les deux hommes et d'autres.

On dit, s'écria-t-il, que nous sommes des voleurs ! Tant s'en fault ! Voilà ma commission ! — et il tirait de sa poche sa commission d'homme de guerre délivrée par le maire de la Rochelle.Si je voulois, continua-t-il, je vous arrêterois et je vous mènerois en ladite ville. Mais je désire que vous alliez dire au maire de Poitiers, au prévôt et à messieurs du présidial que s'ils font mourir des soldats qui sont à moy, je ferai pareil traitement à ceux qui sortiront de Poitiers ; je les pendrez ou les ferez pendre au plus hault bastion de la Rochelle !

Il croyait, comme beaucoup de gens de son état, en son temps, qu'une commission d'homme de guerre autorisait des actes de brigandage. Les juges, plus tard, devaient penser différemment.

L'idée lui vint à ce moment de courir en Beauce et d'aller demander de l'argent aux fermiers de sa mère, à Sainte-Escobille, au besoin de leur en arracher. Mais il y avait trop longtemps qu'il n'avait vu madame d'Aigrefeuille ; il avait hâte de la retrouver. Il se dirigea vers la Rochelle, glissa encore au milieu des lignes de l'armée assiégeante et rentra dans la ville sans encombre : l'état des choses y avait empiré.

 

Depuis le départ de la flotte du duc de Buckingham, les Rochelais n'avaient qu'une idée, le retour des forces anglaises. L'armée royale ne lèverait jamais le siège, on le savait. Sans effort extérieur pour délivrer la place, celle-ci était condamnée. Lettres sur lettres, messagers sur messagers parlaient pour Londres afin de presser M. de Soubise, les députés de la ville, et supplier M. de Buckingham ainsi que le roi d'envoyer une armée qui avait été promise. Rien n'y faisait[33].

Dans la ville, la résistance tenait bon. Bien que chaque nuit le bombardement reprît à boulets rouges, le feu était peu efficace. On avait des munitions en nombre et la garnison restait intacte, soit mille ou douze cents hommes dont deux cents Anglais laissés par M. de Buckingham, plus les bourgeois organisés en milice, quatre mille hommes. Sur les vivres, personne n'avait de notions. Les boulangers ne vendaient plus de pain, mais on savait qu'il y avait partout du blé caché. Les aliments devenaient chers ; on en trouvait encore. Vers le milieu du mois de mai 1628, l'inquiétude se faisant jour, on jugeait qu'il n'y en avait plus que pour un mois. Le 30 avril, Jean Guiton fut nommé maire, et ce rude petit homme, à l'énergie farouche et colère, allait mener la lutte avec une inexorable vigueur[34].

Enfin, après missives réitérées, attentes vaines, fausses joies, le jeudi, 11 mai, à une heure de l'après-midi, une flotte anglaise apparut au Pertuis Breton. C'était une magnifique escadre de cinquante-deux vaisseaux de guerre escortant quarante navires d'approvisionnements et que commandait le beau-frère de M. de Buckingham, lord Denbigh. L'allégresse remplit la ville entière ; les cloches sonnèrent ; tout le monde courut aux remparts regarder les évolutions de l'escadre qui s'embossait dans la direction du chenal, et l'agitation de l'armée royale qui se préparait à lui résister.

Mais la déconvenue fut terrible lorsque au bout de huit jours d'inaction désespérante, malgré les avis et les supplications réitérées de la ville, lord Denbigh estimant que la digue trop bien défendue était infranchissable, que l'arrivée d'une flotte espagnole annoncée allait le placer entre deux feux, mit à la voile et s'en alla[35]. La Rochelle fut consternée. Sous l'effet de la colère indignée, la fermentation gagna de proche en proche. Au conseil les avis les plus divers furent proposés. De toute façon le siège faisait un nouveau bail. Il fallait prendre des mesures. On diminua d'un tiers les rations des soldats. En ville, d'un coup, le prix des vivres avait doublé.

La première chose à faire était d'envoyer en Angleterre pour adjurer désespérément le roi de ne pas abandonner la Rochelle. La municipalité délibéra sur le sens des lettres qui seraient expédiées, après quoi on dressa la liste de ceux qu'on enverrait. Il en fallait plusieurs, les dangers du chemin étant tels qu'il y avait des chances pour que beaucoup demeurassent en roule. On donna des noms. Ce furent des gens de tout état, soldats, plutôt, et gentilshommes ; parmi eux, le cadet de Raillac, dit Champfleury ; le frère de feu La Forest, dit le Linger[36]. Quelqu'un proposa, enfin, Charles de la Grossetière, en faisant valoir que ce jeune homme était connu personnellement du duc de Buckingham, de M. de Soubise, et de seigneurs de la cour britannique. On acquiesça. Les missions devaient être données séparément à tous, et secrètes, les documents cachés dans les boutons des habits.

M. Guiton fît mander Charles de la Grossetière chez lui et le mit au courant de ce dont le conseil de la Rochelle voulait le charger. Charles demanda à réfléchir. Mais sa réponse était prête, il n'acceptait pas. Quitter madame d'Aigrefeuille, sortir de la ville où cette fois il ne rentrerait plus, sinon après la fin du siège, lorsque la place aurait été prise de force sans doute, pillée, ses habitants massacrés, que sa fiancée serait outragée et morte : il refusait. Madame d'Aigrefeuille ne le prit pas ainsi. Elle ne vit que le service à rendre à la cause, elle exigea que Charles partît[37]. Après une discussion violente dans laquelle tous les arguments furent de part et d'autre repris, Charles finit par céder.

De retour à l’hôtel de ville où il était allé donner sa réponse, il causa longuement avec le maire. Celui-ci lui expliqua ce qu'il devrait faire et dire, le sens des lettres qu'on allait lui confier. Ici, la Grossetière, signifia qu'il n'entendait emporter aucun papier, rien qu'une commission d'homme de guerre ; il ne voulait ni lettre, ni document[38]. Il ajouta qu'il connaissait du monde à Londres, qu'on le présenterait sans autre caution ; il ferait sa commission oralement. Le maire fut fort contrarié. Après bien des prières, affirmant qu'il s'agissait de quelques lignes, lesquelles n'estoient point de conséquence, il finit par obtenir que Charles accepterait au moins un simple mot pour M. de Soubise, de la part des maire, échevin et gens de la Rochelle. Pour les autres, le jeune homme signifiait de ne lui en point bailler. Ils convinrent des détails. Il fallait asseurer le roy d'Angleterre que les Rochelais pouvoient attendre le secours qu'il leur avoit promis, sans donner de date, à cause de l'incertitude de la mer et du long temps qu'il fault pour préparer une armée ; mais le supplier de se hâter. M. Guiton dit à Charles qu'il y avait à la Rochelle un prisonnier de marque fait sur l'armée royale depuis quelques mois, M. de Feuquières ; que M. de Feuquières, homme de considération, répondrait pour lui de tout ce qui lui arriverait au cas où il serait fait prisonnier[39]. Charles conclut qu'il allait partir sans retard ; que si le secours des Anglais ne venait pas, ou était dérisoire, il demeurerait en Angleterre ; dans le cas opposé, une armée navale appareillant pour les côtes de la Saintonge, il reviendrait ; s'il était fait prisonnier dans le délai d'un mois, cet événement devrait être pour les Rochelais un bon signe[40]. Ils se séparèrent.

Charles fit ajuster la lettre à M. de Soubise dans les boutons d'un habit qu'il voulait emporter. Puis à la dernière minute, pris de l'idée soudaine que le maire le trompait et lui avait donné une lettre pour les députés, il laissa là cet habit, de colère, et n'endossa qu'une méchante casaque rouge. Madame d'Aigrefeuille l'aidait et le soutenait de son énergie. Elle lui remit de l'argent. Charles avait refusé d'en recevoir du maire qui lui en offrait ; il avait fièrement répondu qu'il n'y avoit que sa religion et l'amour qui le portoient à ce faire, puisque le principal sujet de son voyage estoit pour obéir à sa maistresse, n'estant homme d'argent. La somme d'ailleurs que lui donnait madame d'Aigrefeuille n'était pas lourde.

On était au samedi 20 mai. La conversation avec le maire avait eu lieu le malin. Le soir, tard, Charles, après avoir fait ses adieux à sa fiancée, partit pour franchir les lignes assiégeantes, à la faveur d'une nuit obscure. Les lignes de circonvallation qui réunissaient les onze forts construits autour de la ville n'étaient gardées par des sentinelles que de loin en loin. Le tout était d'arriver au talus, de l'escalader sans être vu et de passer. Derrière la tranchée, assez simple du reste, il n'était pas malaisé d'éviter les villages où les régiments étaient cantonnés et de suivre son chemin sans trop de périls. Le jeune gentilhomme s'avança rapidement entre les marais qui séparaient, au sud-est, la ville des retranchements de l'armée royale, dans la direction du fort de Ronsay. Il approchait des fossés avec précaution, attentif, lorsque tout à coup une éclaircie se fît dans le ciel, la lune parut, l'inonda de lumière, elle cri d'alarme d'une sentinelle retentit à deux pas. L'affaire était manquée. Il était découvert. Charles retourna vivement et regagna la Rochelle.

Le lendemain soir, dimanche 21, il repartit. Il avait étudié l'emplacement des lignes et remarqué que du côté de la Moulinette, au midi, il y avait deux redoutes assez distantes l'une de l'autre. Il allait tenter de cheminer entre les deux. Il prit la grande route. En avant de la tranchée il perçut un murmure et crut voir dans la nuit des ombres remuer. Il s'arrêta : c'était une troupe d'infanterie en embuscade. Pour la seconde fois l'aventure échouait, il fallait rentrer en ville.

Toute la journée du lundi 22 il erra dans les rues de la Rochelle. Il apprit que trois hommes s'étaient concertés pour essayer de sortir ensemble sous la conduite d'un individu qui connaissait bien le pays. Il s'aboucha avec eux : c'étaient : M. de Champfleury, deux soldats, l'un suisse, l'autre nommé Court ou Timotée. On accepta sa compagnie. Le soir, à l'heure convenue, chacun était exact au rendez-vous, porte de Coigne, vers l'est. Il s'agissait de passer entre les forts royaux de Beaulieu et de La Fons. Le guide recommanda d'emporter de petites échelles pour franchir la tranchée qui était plus haute qu'on ne croyait et difficile. Charles en prit une sur son épaule. De l'autre main il tenait un petit paquet de linge contenant chemises, rabat, manchettes, fraizettes — pour mettre au bout des manches. — Madame d'Aigrefeuille avait ajouté au milieu du tout un petit morceau de toile parfumée.

Arrivée aux lignes sans encombre, la troupe descendit dans le fossé, appuya les échelles sur l’escarpe et dans le plus profond silence escalada lentement le talus. L'obscurité était complète ; on ne voyait et on n'entendait rien. Parvenus sur le terre-plein nos gens abandonnant les échelles gagnèrent la plaine d'un pas rapide, droit devant eux et toute la nuit ils allèrent. A l'aube ils atteignaient un bois. Là, le guide s'arrêta. Il leur dit qu'ils se trouvaient dans le bois du Deffaut, tout proche du bourg de Surgères, qu'il fallait maintenant se séparer ; il rentrait à la Rochelle. On le remercia. En causant, M. de Champfleury conta à Charles de la Grossetière qu'il allait à Londres[41]. On sut plus tard que les deux soldats s'y rendaient aussi. La bande se divisa, il était plus prudent de ne pas demeurer groupés pour ne pas attirer l'attention[42].

Le plan de Charles était de traverser le Poitou en passant, s'il pouvait, par la Grossetière, Nantes, de gagner la Normandie et là de s'embarquer. Il n'avait pas quitté depuis quelques minutes ses compagnons qu'il croisa un laquais monté sur un cheval bai, allant ou revenant de l'armée. Interpeller le laquais effrayé, lui ordonner impérieusement de descendre, prendre sa bête et s'en aller sur elle en laissant le malheureux interdit, fut l'affaire d'un instant pour le jeune homme.

La question était de ne pas risquer d'aventures. Charles prit par des chemins détournés, évitant les endroits où il savait être connu, se garant des manoirs, couchant la nuit dans des auberges de village ou des bois. On l'accusa plus tard, mais il s'en défendit, d'avoir, trouvant sa monture insuffisante, mis la main sur un cheval de M. de la Louvernière[43].

Au-dessus de Niort, il prit un gué. Il ne pouvait pas songer à pénétrer dans la Grossetière, les sentiments de sa mère n'ayant pas changé et le voyage actuel n'étant pas explicable. Arrivé près de la demeure maternelle il envoya un garçon qu'il rencontra, dire à un valet de la maison, Laurent Siret, de venir le rejoindre. Il avait mis cinq jours pour traverser le Poitou. Il passa la nuit du samedi 27 au dimanche 28 mai, dans une cabane et, au matin, Laurent, jeune homme de dix-huit ans, étant venu le retrouver, il repartit avec lui, gagnant les Herbiers, se cachant pour éviter un de ses amis qu'il rencontra, M. de la Guyonnière-Landrot, et parvenant enfin à Nantes sans incident.

Un point le préoccupait, la question d'argent. Madame d'Aigrefeuille lui avait peu donné. Il n'arriverait pas à payer son passage en Angleterre avec ce qui lui restait. La pensée lui vint qu'il avait près de Vire, en Normandie, une tante, sœur de sa mère, qu'il n'avait pas vue depuis sept ou huit ans, mariée à un brave gentilhomme, M. de Tracy, qu'il ne connaissait pas, tous deux bons huguenots et assez serviables. Il irait les trouver, leur conterait une histoire, car ils ne devaient pas être au courant de sa vie, leur demanderait de l'aide et par eux — les environs de Vire n'étaient pas si loin de la mer que monsieur et madame de Tracy n'eussent des amis sur la côte — gagnerait à bon compte les îles anglaises.

De Rennes, où il se rendit, il ordonna à son valet de joindre directement le manoir de Tracy, près Vire et de l'y attendre[44]. Il fit un coude par Avranches pour s'informer des moyens de gagner à Jersey, et de là, après avoir couché à Pont-Farcy, il arriva à la demeure de son oncle. Il demanda M. de Tracy.

On l'introduisit dans la chambre du gentilhomme. M. de Tracy était un homme de quarante-deux ans[45]. Il était seul, assis dans un fauteuil. Il regarda d'un air soupçonneux le nouvel arrivant qui s'inclinant avec respect lui dit qu'il n'avait pas l'honneur d'être connu de lui, mais que si madame de Tracy était là, elle le reconnaîtrait[46]. Sur quoi une porte s'ouvrit, et madame de Tracy, bonne grosse femme de quarante-quatre ans, qui écoutait probablement, apparut[47]. Elle poussa un cri, toute joyeuse, vint à Charles qu'elle embrassa, lui dit qu'il y avait bien six ou sept ans qu'elle ne l'avait vu, et qu'il était bien changé. Le visage de M. de Tracy s'était déridé. Pleins de confiance, ils furent affectueux et bons, s'empressèrent de donner des ordres pour qu'on fit dîner confortablement le voyageur, parlèrent de l'installer. Alors Charles de la Grossetière, enhardi, se décida à conter toute la vérité : comme quoi il venait du siège de la Rochelle, côté des protestants ; qu'il se sauvait ; qu'il voulait passer à l'île de Jersey, afin de gagner l'Angleterre de là, qu'il priait son oncle de lui donner une recommandation pour quelque ami qu'il eût à la côte du Cotentin, en face des îles, lequel ami pût faciliter son embarquement[48].

Les figures de M. et madame de Tracy se rembrunirent. Ils se turent. C'étaient de bons huguenots, mais ils avaient aussi les fleurs de lys au cœur. Gomme leur belle-sœur et sœur, ils désapprouvaient les prises d'armes des religionnaires ; ils ne pouvaient admettre la conduite de leur neveu, et par surcroît, sachant les risques qu'ils couraient maintenant en abritant sous leur toit un rebelle, ils ne se souciaient pas de le garder, à plus forte raison de le seconder. Madame de Tracy dit à Charles qu'elle ne désiroit pas beaucoup le voir longtemps chez elle en raison de ce qu'il venait de faire à la Rochelle contre le roy. C'était un congé. Le jeune homme embarrassé fît observer qu'il ne pouvait pas repartir sur-le-champ, son cheval étant recru de fatigue. Qu'à cela ne tînt, repartit la tante, on allait lui prêter une autre monture ; il y avait une bonne jument disponible dans l'herbage. M. de Tracy à son tour déclara consentir à lui donner une lettre pour un de ses amis, M. de Briqueville, qui habitait à Régneville, sur le bord de la mer, mais cette lettre serait vague, ne porterait ni nom, ni sujet de voyage ; elle présenterait le porteur. Il se mit à l'écrire aune table. Pendant qu'il écrivait, Charles prit sa tante à part et lui avoua sa détresse. Emue de pitié, un peu aussi pour lui enlever tout prétexte de prolonger davantage son séjour, madame de Tracy alla chercher vingt écus d'or qu'elle lui glissa dans la main. Le jeune homme voulut hasarder qu'il ne connaissait pas bien le chemin menant à Régneville. Mais madame de Tracy reprit aussitôt qu'il y avait précisément dans le logis un homme de ces parages, un paysan, Lebas, ancien domestique de la maison, faisant des courses et venu le malin ; ce Lebas allait partir pour regagner sa demeure sise à une petite lieue de Régneville ; il ne demanderait pas mieux que de montrer la route. On fit appeler Lebas qui acquiesça ; il n'y avait plus moyen de s'attarder.

Après avoir fait ses adieux et multiplié les remerciements, Charles monta sur la jument qu'on lui prêtait — il devait la donner à un fermier de M. de Tracy habitant près de Régneville[49] — et se remit en chemin. Il était resté au manoir deux ou trois heures, avait mangé un bon dîner, emportait vingt écus, mais, par distraction, oubliait son paquet de linge.

Il fit la route en deux étapes[50]. Le lendemain, au pont de Hienville, à une demi-lieue de Régneville, Lebas étant chez lui, le quitta. Charles aperçut un jardinier de M. de Briqueville nommé Pierre Peinel qui travaillait dans un champ ; il lui demanda quelle était la route du havre de Régneville, s'il pourrait trouver quelque bateau en partance pour Saint-Malo. L'homme répondit que la mer, à ce moment, était haute, et que dans le cas où une barque dût appareiller, elle n'allait pas tarder. Charles hâta le pas, mais arrivé en vue de la mer, il ne découvrit aucune embarcation. Il n'y avait plus qu'à se rendre chez M. de Briqueville dont l'antique manoir flanqué de sa vieille tour féodale s'élevait à deux pas, le long de la plage[51].

Arrivé à la porte du logis qu'habitait l'ami de M. de Tracy, le jeune gentilhomme mit pied à terre, pendant qu'un garçon prenant son cheval par la bride allait le mettre à l'herbage. Il entra. Noble homme Isaac de Pionnes, seigneur de Briqueville était un vieillard aimable[52] ; il accueillit courtoisement le voyageur, Charles lui raconta qu'il se nommait M. de la Bergerie, qu'il était neveu de M. de Tracy, et qu'il venait de la part de son oncle avec cette lettre de recommandation qu'il tendait. M. de Briqueville lut ; il y était dit que le porteur estoit en peyne pour un malheur qui luy estoit arrivé depuis quelques jours, et qu'il (M. de Tracy) le prioit (M. de Briqueville) de le faire passer à Gerzé. Là-dessus Charles poursuivit qu'effectivement certain fâcheux malheur lui était arrivé ; qu'il était d'un pays sis entre Paris et Magny, et qu'un jour étant chez un de ses oncles, un voisin était venu chasser indûment sur les terres de celui-ci, au chien fermé. Lui, la Bergerie, avait parlé haut, tempêté ; sur quoi une querelle s'en étant suivie, les deux interlocuteurs avaient mis l'épée à la main, dont il était résulté deux ou trois bons coups de dague administrés audit voisin, lequel, de ce moment, pouvait bien être mort. M. de la Bergerie demandait à M. de Briqueville de lui faire gagner les îles pour qu'il y fût en sûreté.

M. de Briqueville, après un silence, dit que ce qui lui était demandé là était fort délicat. Le roi avait défendu de faire passer qui que ce fût à Jersey. Il ne lui était donc pas possible de rendre le service sollicité[53]. Le jeune homme, au surplus, n'avait qu'à pousser un peu plus loin, traverser un petit trait d'eau. Il trouverait quelque barque disposée à le conduire. Charles insista. Il dit qu'il n'avait ni argent, ni habit, ni linge ; madame de Briqueville qui était entrée, écoutait. Il ajouta qu'il n'était pas un inconnu pour eux, car il était le petit-fils de M. de Montlouet, point commun qui les rendait parents de trois côtés[54]. A son tour alors, madame de Briqueville pria son mari de ne pas être inflexible, et après des hésitations M. de Briqueville se laissa fléchir. Il demanda à Charles d'accepter l'hospitalité sous son toit pendant qu'on chercherait dans le pays un matelot disposé à gréer sa barque, et surtout qu'on attendrait le vent. M. de Briqueville avait à ce moment dans sa maison des amis de son fils, tous jeunes gens du même âge que M. Le Venier, venus à Régneville pour passer quelques jours et chasser[55]. Il leur présenta le nouvel arrivant, qui fut bien accueilli. Durant les deux journées que Charles allait rester à Régneville, il put se distraire avec eux en courant les champs.

M. de Briqueville, accompagné de son laquais Bréville, se mit à la recherche d'un matelot disposé à aller à Jersey. Il finit par en découvrir un au village d'Agon[56], un batelier nommé Julien Sébire, servant les marchands qui vont sur la mer et à Saint-Malo, en réalité, un contrebandier portant de Jersey à Saint-Malo des toiles et du poisson salé. Il y a apparence que c'est un mauvais garçon, dira le juge plus tard.

Sébire objecta qu'il ne pouvait pas seul mener la barque ; on lui trouva deux compagnons. Il fallut ensuite attendre le vent. On attendit deux jours.

Enfin, le lundi 5 juin, tout se trouva prêt : il ne restait plus qu'à s'embarquer. M. de Briqueville, trouvant que la casaque rouge du jeune homme était trop usée, prescrivit à son domestique de lui donner la sienne en bonne bure grise toute neuve. Celui-ci s'exécuta, ajouta une paire de bottes et reçut, pour la peine, de la Grossetière, sept écus d'or et le linge sale qui lui fut laissé.

A l'heure dite, après avoir multiplié les expressions de sa gratitude pour l'accueil bienveillant qui lui avait été fait, Charles gagna la barque. M. de Briqueville le reconduisit jusqu'au bout du jardin ; les jeunes gens, qui lui firent plusieurs offices de courtoisie, ainsi que le laquais, l'accompagnèrent au bateau. Les adieux échangés, le voyageur s'installa dans un coin de l'embarcation, se coucha et s'endormit. Le bateau mettant à la voile cingla vers la haute mer. Il lui fallut la nuit entière pour atteindre les îles normandes.

Au matin on toucha Jersey. La Grossetière débarqua sans dire un mot aux bateliers et sans rien payer. Il demanda où habitait le gouverneur de l'île, se rendit chez lui et lui expliqua brièvement le véritable objet de son voyage[57]. Ce qu'il désirait était d'obtenir le passage gratuit sur un navire allant en Angleterre. Le gouverneur ne fît pas difficulté de lui accorder ce qu'il désirait ; sur son ordre, un secrétaire prenant deux chevaux conduisit l'envoyé des Rochelais au lieu où il y avoit des vaisseaux pour s'embarquer, et lui fit avoir sa place. Le navire appareilla ; douze jours après le départ de Régneville, il entrait dans la rade de Plymouth, et Charles de la Grossetière posait le pied sur le sol anglais[58].

 

C'était à Plymouth qu'avaient été préparées les escadres déjà venues devant la Rochelle et c'était là que de nouvelles forces seraient concentrées, s'il plaisait au roi Charles Ier de ne pas abandonner les religionnaires. Deux des députés que la ville entretenait en Angleterre, MM. Bregneau et Gohier y étaient à ce moment. Charles se présenta au premier[59], se fit connaître, et le pria de lui donner toute l'aide possible afin de pouvoir accomplir sa mission. M. Bregneau commença par conduire le jeune gentilhomme au gouverneur de la place et au maire de la ville pour leur témoigner qu'il venoit de la Rochelle et avoit billet ; il s'entendit ensuite avec son collègue Gohier, et la décision fut prise que celui-ci accompagnerait La Grossetière à Londres, l'introduirait auprès des autres députés de la ville, en résidence à la cour, MM. David et Vincent. La Grossetière arriva à Londres. Les députés et M. de Soubise qu'il alla voir se montrèrent obligeants[60]. Ils étaient désolés de la façon lamentable dont lord Denbigh avait compris sa campagne navale sur les côtes de France, et n'avaient pas attendu l'arrivée de personnes venant de la Rochelle pour exprimer au roi leurs plaintes et les nouvelles prières que la situation comportait. Ils promirent à Charles de le présenter à Sa Majesté britannique et qu'ils répondroient de ce qu'il diroit au roy d'Angleterre au péril de leur vie. Autour d'eux La Grossetière avait retrouvé un grand nombre de Français partis de l'île de Ré avec M. de Soubise : MM. Forgue, de la Richerie, Descluseaux, d'autres et cent cinquante soldats.

L'audience du roi fut demandée et obtenue. Elle eut lieu au palais de Saint-James, ce vieux palais bas, modeste d'apparence, dont l'entrée ressemble à celle de quelque couvent ou d'une maison de justice. Le duc de Buckingham était auprès de Charles Ier. MM. de Soubise, David et Vincent présentèrent d'abord Charles de la Grossetière au ministre-duc qui serra la main du jeune homme, puis l'introduisit auprès de Sa Majesté en disant qu'il connaissait bien le gentilhomme français pour l'avoir vu en l'île de Ré.

Charles expliqua qu'il venoit de la part de ceux de la Rochelle pour supplier le roi de leur envoyer du secours ; qu'ils espéroient qu'il estoit prince si plain de foy, il ne manqueroit à la parole qu'il leur avoit donnée. Ils avaient été extrêmement peines du départ de la flotte anglaise, mais ils étaient convaincus que la faute en était moins au manque d'affection qu'il eust en leur endroit que l'effet de circonstances diverses. Ils avaient encore de quoi attendre un peu, pour ce qui était des vivres, mais ils suppliaient Sa Majesté d'avoir pitié d'eux. Par ailleurs, ils l'asseuraient que jamais ils ne recevroient de composicion que par son advis ; qu'ils vouloient lui demeurer obligés de la conservation de leur ville, de leurs privilèges et de leur religion.

Le roi d'Angleterre avait écouté avec attention. Il répondit qu'il était bien marry que son armée s'en estoit retournée sans faire entrer dans la Rochelle les vivres qu'il leur avoit envoyés et qu'il feroit chastier ceux qui en estoient cause[61]. Il allait expédier un second secours plus puissant, hommes, munitions, vivres. Il ajouta qu'il n'y avait pas à s'inquiéter de la solde des soldats anglais que le duc de Buckingham avait laissés dans la Rochelle lors de son voyage ; mais il insistait pour que les Rochelais lui promissent bien toutes sortes d'assistance et de service, comme de retirer ses vaisseaux pour les radouber en cas qu'ils voulussent faire descente ; luy donner toute sorte de rafraîchissement et retraite dans leur port, en un mot l'assister de tout ce qu'ils pourroient. Il revint sur le secours qu'il allait envoyer : Vous ne serez pas si tost arrivé vers eux, dit-il à La Grossetière, qu'au premier vent ilz verront mon armée devant leur ville, à laquelle je commanderai de mourir ou de les secourir... et que dorénavant ilz ne manqueroient de quoi que ce soit qui fust en son pouvoir. Après divers propos il répéta encore qu'il enverrait une armée résolue de se perdre ou de les secourir[62].

Le duc de Buckingham reconduisit Charles de la Grossetière. Il lui dit que de son côté il exécuterait les commandements du roi son maître ponctuellement, appuyant avec force, ou qu'il perdroit la vie. Il demanda au jeune homme de s'enquérir de ce qui était déjà fait en vue de la nouvelle expédition et conclut en lui offrant une commission écrite du roi d'Angleterre dont il pourrait se servir en cas de besoin. Mais Charles refusa, disant qu'il était Français, fidèle sujet de son roi et qu'il ne pouvait accepter commission de guerre d'un prince étranger. Le duc n'insista pas[63].

On s'appliqua, les jours suivants, à renseigner l'envoyé de la Rochelle sur ce qui se préparait pour secourir la ville. Les détails qu'on lui confia furent réconfortants. La flotte allait être énorme : plus de cent cinquante bâtiments, dont soixante vaisseaux de guerre, trente brûlots, quelques-uns garnis de pierre et de ciment pouvant contenir cinq ou six milliers de poudre — on y met le feu par quatre mèches et cela produit grand effet en se crevant ; — quinze ramberges ; dix pinasses à dix rames, chacune de cent cinquante tonneaux ; quarante navires chargés de provisions de toute sorte pour les assiégés, dont plusieurs de quatre cents tonneaux ; le tout monté par des équipages à proportion et deux mille hommes destinés à débarquer.

Charles resta un peu moins de quinze jours. On lui fit voir ce qu'on put de ces préparatifs : il aperçut quelques pinasses. On lui dit que le duc de Buckingham commanderait lui-même l'expédition, secondé par son beau-frère lord Denbigh. Le plan était d'attaquer les vaisseaux de guerre français rangés devant la digue, de les faire échouer sur la plage, en les poussant, puis de les brûler, après quoi forcer la passe.

Edifié, sincèrement ou non[64] Charles estima qu'il n'avait plus qu'à rentrer en France. Il décida de gagner Dunkerque par Douvres, et de là Bruxelles. Il était à court d'argent. Ces messieurs, les députés de la ville, le mirent en relation avec un certain Burlamaque, grand marchand faisant les affaires du roi d'Angleterre et achetant pour le compte de la Rochelle des vivres destinés à être envoyés à la place[65], lequel consentit à lui donner des lettres de change à l'adresse de deux Flamands, Antoine Graale et Louis Lambret. Charles quitta Londres, avec un marchand, le sieur Buquenet, qui était chargé de lettres de la part de la reine d'Angleterre pour la reine Marie de Médicis. Au lieu de Douvres, ce fut à Market, petit port voisin, distant de quinze milles, qu'il voulut s'embarquer. Malheureusement le vent n'était pas favorable. Il attendit. Impatienté, il revint en poste à Londres et gagna Chelsea, résidence du duc de Buckingham, auquel il demanda un sauf-conduit qui lui permît d'obtenir passage à Portsmouth sur le premier bateau en partance pour Jersey. Le duc le lui accorda.

Le navire qui emportait la Grossetière appareilla le 30 juin. Notre gentilhomme mit onze jours pour aller à Saint-Hélier ; de là, — après avoir trouvé une barque et des passeurs, — franchir le bras de mer, atterrir près du havre de Carteret et se retrouver en France : on sait ce qui l'y attendait[66].

 

C'était le lundi 5 juin que le jeune envoyé des protestants avait, sous un nom supposé, quitté Régneville et s'était embarqué pour l'Angleterre. Comment, moins de six jours après, le capitaine des Roches-Baritaut, commandant la compagnie de chevau-légers en garnison à Vire, était-il informé de toutes les circonstances de ce départ[67] ? Par qui savait-il qu'un certain Grossetière dit Brot, parti depuis peu de la Rochelle, était passé chez M. de Tracy ; qu'il était allé trouver M. de Briqueville en son château de Régneville et que celui-ci lui avait donné les moyens d'aller en pays britannique, pour y porter des nouvelles, lettres et mémoires des Rochelais ? On l'ignore[68]. Ce qui est certain, c'est que prévenu le dimanche Il juin, le capitaine des Roches expédia sur-le-champ son lieutenant, M. de Saint-Bonnet, à Torigny, pour mettre au courant M. de Matignon de la nouvelle qu'il apprenait. M. de Saint-Bonnet arriva à Torigny sur les dix heures du soir.

Le lieutenant du gouverneur de Normandie qui était couché se releva. Séance tenante rédigeant une note succincte, il ordonna à un de ses gentilshommes habitant avec lui, M. de Sainte-Marie Tourneville, d'aller, à franc étrier, la porter au roi à la Rochelle. Il expédia un exprès à M. des Roches-Baritaut, avec deux ordres : le premier de faire arrêter M. de Tracy, de l'enfermer dans la prison de Vire, et de saisir dans sa demeure tout ce qui pouvait avoir appartenu audit de la Grossetière ; — le capitaine qui exécuta l'ordre aussitôt ne devait trouver que le cheval de Charles sur lequel il mit la main, et le laquais Laurent Siret qu'il arrêta ; — le second était de venir le rejoindre avec un détachement de chevau-légers, à Régneville, où il se rendait lui-même sur-le-champ.

En effet, à minuit, il monta à cheval, accompagné de M. de Saint-Bonnet auquel il avait ordonné de suivre, et le lendemain, sur les huit heures du matin, ayant fait ses douze lieues, il pénétrait dans la cour du manoir de Régneville où l'attendaient le capitaine et ses cavaliers, tous pied à terre, tenant leurs montures par la bride[69].

M. de Matignon demanda M. de Briqueville. On lui répondit qu'il n'y était pas. Il signifia aux domestiques qu'ils eussent à le lui trouver immédiatement. On finit par l'amener. Le lieutenant général lui fit connaître quel était le sujet de sa venue. Très troublé, le pauvre vieux M. de Briqueville — il avait soixante-dix ans — protesta qu'il ne connaissait pas de M. de la Grossetière ; qu'il ne savait rien de son passage ; qu'il ne l'eût certainement pas assisté au préjudice du service du roi. Mais avant d'entrer au manoir, M. de Matignon s'était adressé à plusieurs paysans de la localité et, les ayant interrogés, s'était assuré, par une enquête sommaire, de l'exactitude des bruits qui lui avaient été rapportés. Répliquant à M. de Briqueville qu'il s'en expliquerait devant les juges, il lui notifia qu'il le mettait en état d'arrestation ainsi que son valet de chambre Bréville ; qu'il faisait saisie de son château ; qu'on allait mettre les scellés sur ses coffres et les portes de son cabinet ; et qu'un conseiller au présidial de Coutances, M. de la Conterie-Guérin, procéderait à l'inventaire des meubles afin que tout fût en sûreté.

Après entente avec le capitaine des Roches, on décida qu'un brigadier et sept hommes resteraient au manoir pour le garder. Le matelot Sébire, qui se trouvait à Agon, fut arrêté. Puis M. de Matignon reprit le chemin de Torigny emmenant avec lui les prisonniers qu'accompagnaient M. des Roches-Baritaut suivi du reste de son détachement.

A Vaudry, petite paroisse située près de Vire, se trouvait à ce moment en villégiature un conseiller au parlement de Rouen, abbé de Saint-Saens, haut doyen de Lisieux, M. du Rozel[70]. Le même dimanche Il juin, M. Claude du Rozel étant aux vêpres de l'église paroissiale, reçut, pendant le sermon, un mot que lui apportait un gentilhomme de la part du capitaine des Roches-Baritaut, le priant de se transporter à Vire, en raison d'une affaire qui estoyt grandement importante au service de Sa Majesté. M. du Rozel se hâta de se rendre à la ville, où le capitaine l'informa de l'événement et lui demanda de vouloir bien commencer l'instruction.

Assisté de maître Robert Durand, enquesteur en la vicomte de Vire, M. du Rozel se mit à l'œuvre sans plus attendre, pour interroger les prévenus. Le 13, un laquais de M. de Matignon vint le prévenir que le lieutenant général lui demandait de se rendre à Torigny pour y poursuivre le procès. Le conseiller s'y transporta, s'installa dans la maison de M. de la Fosse, lieutenant du bailli de Caen, et fît appeler devant lui domestiques, paysans, gens de tous états et de toutes conditions qui pouvaient contrôler les dires de MM. De Tracy et de Briqueville, du matelot Sébire et autres préalablement questionnés. Le premier soir, comme nous soupions, écrit-il dans son procès-verbal, deux dames se présentèrent : c'étaient madame de Tracy inquiète du sort de son mari, avec sa fille et damoiselle[71]. M. du Rozel leur signifia de se tenir à sa disposition, de ne pas quitter la localité et de revenir le lendemain malin pour être interrogées.

Les prévenus se débattirent contre les imputations qui pesaient sur eux. M. de Tracy protesta qu'il n'avoit jamais desservy le roy, ny le desserviroit, et que ce qu'il avoit faict, ç'avoit esté par considéracion que ledict sieur de Bréau estoit nepveu de la dicte sa femme. Il s'excusa de ne pouvoir se défendre comme il pourrait, en raison de son état de santé ; qu'il était malade depuis deux ou trois ans d'une fièvre quarte ; que le voyage qu'on lui avait fait faire de son logis à la prison, par les émotions douloureuses qu'il lui avait procurées, estoit cause qu'il n'avoit pas l'esprit assez fort pour nous respondre.

Madame de Tracy s'indigna. Elle n'avait rien fait de mal contre le roi en recevant un neveu qu'elle n'avait pas vu depuis douze ans. D'ailleurs pouvait-elle empêcher ce neveu d'entrer chez elle à raison que toutes les murailles de la maison sont par terre ? Le juge lui parla de l'argent qu'elle avait donné à Charles de la Grossetière. Elle nia vivement disant que les affaires de sa maison ne sont point en tel estat qu'elle puisse prester ni bailler argent à personne, ce qui est assez notoire à un chascun. Pressée de questions, elle finit par avouer qu'elle avait donné trois quarts d'écus au laquais de Charles, mais, corrigeait-elle, ce laquais, après tout, était celui de sa sœur. Sur la fin de son interrogatoire, un peu troublée, elle supplia que Sa Majesté voulût bien lui pardonner dans le cas où elle eût commis quelque faute, en raison de son degré de parenté avec M. de la Grossetière, auquel, bonnement, elle ne pouvait au moins refuser à dîner ; elle invoqua la fragilité et ignorance de son sexe, promettant qu'elle n'ouvriroit plus la porte à son neveu ni à aucun huguenot. M. du Rozel conclut qu'il la mettait en état d'arrestation, mais toutefois, la laissait libre, provisoirement, à condition de ne désemparer de la ville, à peyne d'être attainte et convaincue des crimes contre elle imposez.

La défense de M. de Briqueville fut touchante. Il ne savait pas, dit-il, qu'il eut affaire à M. de la Grossetière, celui-ci ne s'étant nommé que de la Bergerie. S'il eût soupçonné être en présence d'un autre que serviteur du roy, il l'eût arrêté de ses mains et mené à M. de Matignon. Il demandait qu'on eût pitié de lui. Toute sa vie il avait bien servi le roi ; vingt fois il avait témoigné de sa fidélité, du temps où il se portait bien. Aujourd'hui, qu'il était vieil, incommodé de sa santé, malade, qu'il ne pouvait plus quitter sa demeure, il avait envoyé son fils au roi, à la Rochelle, pour qu'à son tour celui-ci servît Sa Majesté. Qu'on eût miséricorde ! Ce qu'il avait fait n'avoit pas été faict par malice, mais plutôt par ignorance ! Il se retira en pleurant[72].

Le matelot Julien Sébire commença par nier d'abord énergiquement. Il invoqua des alibis. Le dimanche où on l'accusait d'avoir passé M. de la Grossetière à Jersey, il avait assisté aux messe et vêpres de sa paroisse ; le lendemain il était allé à Coutances ; le reste de la semaine il avait été occupé à recueillir la taille dans le pays[73]. Quand voulait-on qu'il eût fait ce voyage ? On procéda à des confrontations. Sébire finit par avouer, invoquant pour excuse qu'il avait eu peur de M. de Briqueville, lequel avoit toute autorité sur cette coste-là de la mer, et qu'il n'avoit osé dire (la vérité) pour la crainte dudict sieur de Briqueville, craignant qu'il ne le mist hors de sy peu qu'il a de bien et qu'il ne luy ostat le crédit qu'il a avec les marchands.

Au bout d'une semaine M. du Rozel ayant réuni un faisceau de renseignements et de preuves, le 18 juin, M. de Matignon lit son rapport circonstancié au roi. De la Rochelle on répondit de garder les prévenus en prison et d'attendre. On comprend maintenant comment Charles de la Grossetière, arrêté à la Haye-du-Puits, en débarquant en Normandie, le mardi Il juillet, trois semaines plus tard, trouvait toutes les autorités beaucoup plus informées sur ses faits et gestes qu'il ne pouvait le soupçonner et le craindre.

 

La nouvelle de l'arrestation de leur jeune envoyé arriva aux habitants de la Rochelle le dimanche 16 juillet, cinq jours après l'événement. Un petit garçon s'étant avancé jusque vers les lignes de circonvallation de l'armée royale, fut hélé par un cavalier qui lui donna un peu de pain de munition et lui dit d'aller prévenir le maire que le sieur de la Grossetière avait été pris revenant d'Angleterre. Le conseil de la municipalité auquel M. Guiton communiqua l'avis en manifesta une certaine émotion[74]. La nuit suivante, aux avant-postes des assiégeants, les factionnaires crièrent aux sentinelles de la ville les plus rapprochées, qu'effectivement M. de la Grossetière avait été arrêté ; on disait que c'était à la Haye, en Touraine, et le bruit courait qu'on allait l'amener au roi[75]. Le maire rappela au conseil ce qu'avait dit Charles, en partant, à savoir que s'il était pris dans le délai d'un mois après son départ, ce ne pouvait être que bon signe et la preuve que la flotte de secours était sur le point d'appareiller. Il fallait donc considérer cet événement comme un indice heureux. M. Guiton ajouta qu'il avait promis à La Grossetière de tenir M. de Feuquières pour otage dans le cas où il lai arriverait malheur. M. de Feuquières fut invité à faire connaître au camp du roi cette décision, mais il répondit avec irritation qu'il s'y refusait[76]. Un gentilhomme huguenot, M. de la Cotencière, écrivit alors au maréchal de Schomberg au nom de la ville, pour lui faire part de l'état respectif du sort de l'un et l'autre prisonniers. La lettre fut envoyée par un trompette. Le maréchal répliqua sèchement qu'une telle communication ne comportait pas de réponse, mais que néanmoins il en faisait une par égard pour celui qui l'avait adressée, afin de lui dire simplement que ceux de la Rochelle devenoient insolens, et que s'ils estoient assez téméraires pour se porter à un tel excès, il leur seroit rendu au centuple.

Dans l'entourage du roi, la démarche imprudente des gens de la ville en faveur de La Grossetière auprès de M. de Schomberg causa un vif mécontentement. Cependant vraie ou fausse, la menace ne pouvait pas être négligée : le cardinal de Richelieu ne se souciait pas assez de Charles pour sacrifier à son propos M. de Feuquières[77]. Ordre fut donné de surseoir jusqu'après la fin du siège à décider de la situation du prisonnier, et, en attendant, pour qu'il n'échappât pas et l'avoir ensuite plus tôt sous la main, de le transférer en Saintonge, au milieu de l'armée.

M. Gaspard Coignet, sieur de la Tuilerie, continuait, dans la citadelle de Saint-Lô, à interroger Charles de la Grossetière, lorsqu'il reçut l'injonction d'avoir à arrêter la procédure, rassembler tous les papiers, mettre ensemble les pièces diverses quelconques se rapportant à l'affaire et adresser le dossier complet à la cour. En même temps la garnison de cavalerie de Saint-Lô était avisée qu'elle avait à fournir une escorte de vingt chevau-légers chargés de conduire le prévenu. Les instructions du gouvernement furent exécutées.

Le cortège, dont le lieutenant de la Richardière avait pris le commandement, reçut mission de se rendre à Marans[78]. Parvenu aux environs de Marennes, vers le 8 août, au soir, l'officier commandant aperçut au loin une troupe de cavaliers qui venait sur lui. Inquiet de cette rencontre, il eut l'idée qu'il se trouvait en présence d'un parti de huguenots se préparant à l'attaquer pour lui enlever la Grossetière. Il fil amorcer les pistolets, tirer les épées, et amenant son monde au petit trot, chargea furieusement la bande. Ce n'étaient point des huguenots, mais des carabiniers royaux qui battaient la campagne sous les ordres du capitaine Arnauld de Courbeville, beau-frère, précisément, de M. de Feuquières. Cette déplorable méprise coûta la vie à deux chevau-légers et à trois carabiniers[79]. Charles de la Grossetière fut remis entre les mains de M. de Guron, gouverneur de Marans, et incarcéré[80].

 

L'annonce de son arrivée à deux pas de la Rochelle se répandit dans la ville seulement quinze jours après, le 22 août ; en même temps courut le bruit qu'on allait lui faire sans désemparer son procès. M. Guiton, qui était en relations avec le capitaine Arnauld de Courbeville, lequel avait de temps à autre l'autorisation de communiquer avec M. de Feuquières, lui écrivit une lettre indignée où en lui annonçant qu'on venait d'apprendre que M. de la Grossetière a été pris depuis quelque temps par ceux du roi et qu'on le veut faire mourir par voye de justice contre la faveur et la loy des prisonniers de guerre, il déclarait avec menace que pareille mesure constituerait pour les habitants de la Rochelle une playe qui ne scauroit nous estre que très honteuse et sensible ; telle, en un mot, que je ne voy pas les esprits de cette ville capables de la souffrir sans revenche[81]. M. Arnauld de Courbeville se contenta de répondre que le jeune prisonnier était confié à la garde de M. de la Richardière à Marans et qu'il était traité avec courtoisie.

En même temps M. Guiton écrivait au cardinal de Richelieu. Ayant été informé, lui disait-il, que M. de la Grossetière, gentilhomme d'entre ceux qui sont sorty d'ici par employ de ceste ville et soulz noz commissions, avait été arrêté et mené à l'armée du roi, il s'était reposé sur le droit de la guerre, qui épargne les prisonniers et prescrit de leur faire quartier. Mais voilà que nous apprenons ce matin qu'on va lui faire son procès, le traîner devant des juges et le condamner à mort comme s'il feust prévenu de quelque crime ou qu'il feust homme sans adveu. Cette nouvelle le surprenait. La Grossetière n'a fait prise, voiage, ny action qu'avec charge de nous et dont il ne soit bien advoué. Le maire, les échevins, les pairs et les bourgeois de la Rochelle comptaient que le cardinal ne ferait aucun mauvais traitement à M. Le Venier, celui-ci n'ayant agi que par leurs ordres.

Le ministre prit très mal cette nouvelle intervention[82] Il répondit le jour même. Il était très fâché, disait-il, que les gens de la Rochelle s'avisassent de demander des grâces au roi au lieu de songer à les obtenir par leur conduite ; il s'étonnait ensuite qu'ils en sollicitassent pour un simple particulier lorsqu'ils en avaient tant besoin pour eux. Vous n'estes, ajoutait-il, ny de condition, ny en estat de traitter de pair avec vostre maistre ; la pensée en est criminelle ! Vous augmentez le nombre de vos fautes ! Il ignorait en vérité les intentions du roi au sujet de M. de la Grossetière, mais quoi qu'il arrivât, celui-ci ne recevrait pas de châtiment qui fût inférieur à ses démérites. Il achevait en prévenant les Rochelais qu'ils eussent à ne laisser désormais sortir qui que ce fût de leurs murailles, Sa Majesté étant décidée à ne permettre à personne d'approcher de ses lignes[83].

Le cardinal cependant avait hâte de finir cet interminable siège qui durait depuis plus d'un an, ruinait l'Etat, occupait des forces considérables pendant qu'on en avait besoin ailleurs. Il voulait décider les assiégés à se rendre. Sur son ordre le capitaine Arnauld de Courbeville alla se présenter à une porte de la Rochelle et feignit de proposer soit le rachat de son beau-frère M. de Feuquières, soit l’échange de celui-ci avec Charles de la Grossetière. C'était un prétexte. Les Rochelais comprirent. Ils envoyèrent des commissaires qui, après les premiers pourparlers, se rendant compte qu'il s'agissait d'une reddition pure et simple, sans conditions, reculèrent. Il n'avait même pas été question de La Grossetière dans les entrevues[84].

 

Mais la fin du siège approchait. Malgré une résistance héroïque, les Rochelais n'en pouvaient plus : ravagés par la famine, les gens tombaient exténués, hâves, squelettes vivants. On n'enterrait pas les cadavres qui gisaient çà et là ; les soldats ne montaient plus les gardes n'ayant ni la force de porter un mousquet, ni le courage de gagner les remparts ; l'aspect de la ville était lamentable. Il n'était rien qu'on n'eût épuisé pour se nourrir, jusqu'aux cuirs, que l'on bouillait, et personne ne réclamait la capitulation. Il fallut s'y décider. Une commission des derniers membres de la municipalité en état de se tenir debout fut envoyée au cardinal de Richelieu pour discuter les termes de la soumission, en réalité pour accepter simplement les conditions du vainqueur. Ces conditions étaient douces puisque aucun Rochelais ne devait être frappé, pas même le maire Guiton ; aucune propriété n'allait être confisquée. Seulement la ville perdrait ses privilèges de municipalité autonome et partie de ses murailles serait rasée. Au cours des conférences qui eurent lieu à ce propos, les commissaires voulurent parler de Charles de la Grossetière afin de l'introduire dans la capitulation et de le sauver[85]. Ils se heurtèrent à une opposition irréductible. Ils insistèrent. On se fâcha. Ils pensèrent aller presque au dernier point ; mais Richelieu irrité les rabroua et déclara tout net que s'ils se roidissoient sur cet article il fallait en rester là. Le cardinal ajouta que le roi qui leur faisait grâce aviserait à ce qu'il devrait accorder au jeune gentilhomme détenu.

Le mercredi 1er novembre, fête de la Toussaint, Louis XIII fit son entrée dans la ville de la Rochelle au milieu d'une haie de ce pauvre peuple d'anatomies vivantes qui criait d'un voix faible : Vive le roi ![86] Le 4, le prince signait les lettres officielles par lesquelles le nommé la Grossetière, ayant pendant ces mouvements mesmes devant le siège de nostre ville de la Rochelle entretenu diverses négociations, pratiques et menées contre nostre service avec les estrangers ennemis de nostre Etat pour induire les Anglois à faire des dessentes en ce royaume et donner secours et assi-tance à nossubjectz rebelles, était traduit devant une commission judiciaire qui se tiendrait à Poitiers et que présideraient deux conseillers au grand Conseil assistés de juges au présidial de cette ville, pour s'y voir faire et parfaire son procès selon nos édictz et déclaracions.

 

Six archers commandés par l'exempt des gardes Grisart, transférèrent Charles de la Grossetière de Marans à Poitiers où il fut écroué à la conciergerie du palais[87]. Les deux conseillers choisis pour constituer son tribunal étaient MM. Etienne de la Bistrate, sieur d'Estigny, et Sévilly, Jehan Joubert, sieur de Brécourt, tous deux redoutables magistrats, fermes serviteurs du roi, entiers et durs[88].

La procédure devant ces commissions extrajudiciaires était simple : un ou plusieurs interrogatoires, c'était tout. Ni avocat, ni plaidoiries, ni auditions de témoins, ni confrontations, ni discussions, ni enquêtes, rien ; surtout lorsque pour un accusé, comme ici, on avait un volumineux dossier de procès-verbaux antérieurs[89].

Le 14 novembre 1628, sur les deux heures de relevée, les juges se transportèrent à la prison de Poitiers et commencèrent l'interrogatoire. Il fut long. Il devait durer deux autres séances, le 14 et le 15. Minutieusement MM. de la Bistrate et Joubert reprirent la vie entière de Charles ; ils le questionnèrent sur chacun des actes de son existence, utilisant les renseignements que leur fournissaient les procédures de Vire et de Saint-Lô, faisant état de celles de Poitiers au sujet des brigandages commis près de cette ville. Ils étaient fortement armés. Charles se défendit. Il avoua point par point tous les détails de son voyage, mais soutint la thèse que soutenaient les religionnaires de son temps, à savoir qu'il était fidèle sujet, qu'il n'avait jamais desservi le roi, qu'au contraire il n'avait voulu que son bien et son service. S'il n'était pas convaincu et s'il n'avait pas la conscience tranquille, eût-il rien reconnu ? Les conseillers insistèrent pour savoir de quelle façon pratique il estimait avoir servi le roi. Le prisonnier répondit qu'étant à Marans, son gardien, M. de la Richardière, l'avait questionné de la part du cardinal de Richelieu sur les forces préparées en Angleterre, l'ordre de l'armée navale qui allait venir, les plans adoptés pour secourir la Rochelle, le détail des projets qui avaient été concertés afin de forcer lapasse et de détruire la flotte française. Il avait tout révélé et il savait pertinemment que ces avis avaient été utiles, car on avait pris les mesures nécessaires afin de prévenir les effets de l'attaque annoncée. Une autre fois, le cardinal lui avait demandé par la même voie des renseignements sur l'état des défenses de la ville et les défauts de la place ; il avait encore tout dit[90]. Ses intentions n'étaient donc pas hostiles au roi et ses desseins criminels ! Qu'avait-il fait autre, sinon obéir à son party et à sa religion ?

Sur une question directe d'un des magistrats il protesta qu'il n'avait jamais offert au roi d'Angleterre de la part des habitants de la Rochelle toute sorte de service d'obéissance, mesme de mettre leur ville entre ses mains[91]. S'il eût soupçonné être employé pour un tel office ; il ne serait pas parti, et, en tout cas, il n'eût jamais accepté une semblable mission. Puis il avoua qu'au fond une seule pensée avait dirigé sa conduite, celle de madame d'Aigrefeuille. Il l'aimait. Que cherchait-il ? La faire sortir de la Rochelle afin de pouvoir l'épouser.

La question des brigandages de Poitiers fut très embarrassante. Le tribunal avait beau jeu, et ce point était grave. Les magistrats refirent heure par heure l'emploi du temps de l'accusé durant les jours où les attentats avaient été commis. Aucune excuse n'était possible. Charles sentant que prétexter l'état de belligérant était une défense qui ne serait pas admise, prit le parti de nier[92]. On eut beau invoquer le témoignage des hommes qu'il avait avec lui, des marchands qu'il avait spoliés, des individus, comme celui de Vouzailles, auquel il avait fait de compromettantes déclarations. Il affirma qu'on se trompait.

Les deux interrogatoires du 14 et du 15 finis, la commission se jugea suffisamment édifiée. Elle attendit neuf jours. Le vendredi 24 novembre à six heures du matin, les juges s'assemblèrent aux Cordeliers de la ville en forme de chambre du conseil et Charles de la Grossetière fut amené ; on l'assit sur la sellette. Un dernier et solennel interrogatoire fit passer en revue les principaux articles de l'accusation et préciser certains détails complémentaires sur lesquels les conseillers ne s'estimaient pas assez éclairés. Charles était calme. Il répondait avec une exactitude demi-indécise ; également exempt d'appréhension et de forfanterie.

A onze heures, l'interrogatoire étant achevé, le tribunal ordonna d'emmener le prévenu : il délibéra ; puis, en l'absence de l'accusé, selon l'usage, il rendit son arrêt.

Après avoir rappelé les charges et informations, confessions et dénégations de Charles le Vesnier, sieur de Bréault, dit de la Grossetière, détenu pour raison de crimes de prodition et de vol sur les grands chemins ; ensemble les récolements et confrontations de témoins, les pièces trouvées, les procès-verbaux divers ; l'arrêt déclarait Charles de la Grossetière atteint et convaincu des crimes à lui imposés. Il le condamnait : premièrement à faire amende honorable devant le grand portail de l'église Saint-Pierre de Poitiers et illec, teste nue et à genoux, tenant en sa main une torche ardente de cire jaune du poids de deux livres, dire et déclarer que méchamment et proditoirement il estoit allé en Angleterre pour négocier avec les étrangers ennemis de l'Estat et les faire venir en France au secours des subjectz rebelles du roy ; dont il se repentoit et demandoit pardon à Dieu, à nous et à justice ; — secondement, à payer 500 livres d'amende au roi, 500 au grand Conseil, 300 aux cordeliers de Poitiers, 400 à chacune des maisons religieuses de la ville, capucins, feuillants, carmes, jacobins, augustins, jésuites, minimes, sœurs de la charité ; le reste de ses biens confisqué ; — troisièmement enfin, à avoir la tête tranchée sur un échafaud qui serait dressé en la place du Vieil-Marché de ceste dite ville, et sa tête portée à la Rochelle, plantée au bout d'une lance, exposée sur le haut de la tour de la Lanterne[93], pendant que le reste de son corps serait brûlé au bûcher, pour être, ses cendres, jetées aux quatre vents du ciel. A la diligence du procureur général, procès criminel serait fait d'ici six semaines aux nommés de Briqueville, de Tracy, Sébire et complices qui seraient conduits immédiatement dans les prisons du grand Conseil afin d'y procéder[94]. Ordre était donné au sieur Germain Collier, commis au greffe du Conseil, conseiller et secrétaire du roi, d'avoir, séance tenante, à notifier l'arrêt au prévenu et à le faire exécuter sans délai.

M. Germain Collier se transporta à la prison de la conciergerie. Il manda aux huissiers Saint-Vaast et Verneau de lui amener dans la chambre criminelle Charles de la Grossetière. Celui-ci parut. Le greffier lui dit qu'il était venu pour lui donner connaissance de l'arrêt qu'on venait de rendre contre lui et qu'il le priait de se mettre à genoux afin d'en entendre la lecture. Charles se mit à genoux. Il écouta sans un mot et sans un geste. Alors l'exécuteur des hautes œuvres, s'emparant de lui, le lia de cordes. M. Collier déclara à Charles qu'à présent il ne debvoit penser qu'à Dieu et à la descharge de sa conscience et que s'il avoit oublié quelque chose, qu'il eut à l'avouer présentement. Mais Charles répondit qu'il n'avait rien à ajouter ; qu'il lui fallait bien mourir un jour ; autant valait présentement mourir en gré. M. Collier lui demanda s'il ne désirait pas qu'on envoyât chercher quelque père capucin ou quelque jésuite afin de le consoler. Charles prononça qu'il n'avait pas besoin de leurs consolations ; dans le cas cependant où M. le greffier voudrait lui être agréable, il ferait appeler un ministre protestant de la ville nommé M. Cotiby. Le greffier ne connaissait pas ces gens-là, ni personne qui fût en relation avec eux. Si M. de la Grossetière y consentait, continua-t-il, on prierait le P. Baudry, prieur des cordeliers, homme de bien, de venir. Le condamné maintint qu'il ne voulait nul autre que M. Cotiby. On alla prévenir le ministre et, en même temps, M. Collier fit mander deux jésuites. Ceux-ci introduits cherchèrent à exhorter le prisonnier qui refusa de les entendre. Ils multiplièrent leurs prières et remontrances de ne point perdre son âme, en lui disant que s'il les vouloit croire, il avoit encore assez de temps pour se sauver ; ils lui affirmèrent qu'ils étaient prêts à mettre leur âme pour la sienne si ce qu'ils lui diroient n'estoit véritable, l'adjurant de les vouloir ouïr, qu'ils lui feroient connaître la vérité. Charles tourna la tête sans rien répondre[95].

M. Germain Collier était sorti pour aller donner des ordres et veiller aux préparatifs de l'exécution. La foule informée s'attroupait à la porte de la prison, à la place du Vieux-Marché, devant l'église Saint-Pierre, sur le parcours, et attendait. Des charpentiers dressaient l'échafaud.

Vers quatre heures du soir, le greffier revint à la conciergerie. Charles, toujours entouré des huissiers, des archers, s'entretenait avec M. Cotiby ; les pères jésuites lâchaient encore de lui parler, mais sans succès. M. Collier s'adressant à La Grossetière lui notifia qu'il n'avoit plus guère de temps pour songer à sa conscience, que l’heure pressoit et que s'il avoit à dire quelque chose, il eust à le dire et avouer présentement ; et qu'il falloit se préparer à la mort. Charles répéta qu'il estoit tout prêt et qu'il n'avoit rien à dire.

Sur quoi, l'exécuteur des hautes œuvres entra. On organisa le cortège qu'entouraient les archers du prévôt et les huissiers du présidial. Charles, les mains liées, revêtu des mêmes vêtements que ceux qu'il portait sur lui le jour où il avait été pris à La Haye, sauf la casaque, s'avançait à côté de M. Cotiby et suivi des deux jésuites.

A la porte de la prison, sur le seuil, qu'assiégeait une foule silencieuse, M. Collier donna lecture à haute voix du texte de l'arrêt de condamnation. On se mit en marche. Le trajet pour aller à l'église Saint-Pierre n'était pas long. La population émue s'apitoyait sur la jeunesse du supplicié. Arrivé à la petite place qui précédait le porche de l'église, on fît le cercle, et Charles, nu-tête, s'agenouilla[96]. Une troisième fois le greffier lut la sentence, puis La Grossetière, une torche allumée en main, prononça d'une voix faible la formule qu'il était tenu de redire. On gagna la place du Vieux-Marché[97] au milieu de laquelle s'élevait l'échafaud, haut de six pieds seulement. M. Collier monta.

Une dernière fois il lut l'arrêt et demanda à Charles s'il n'oublioit rien à lui dire pour la descharge de sa conscience. Charles fit un geste de dénégation. Les deux jésuites, s'approchant du condamné, lui déclarèrent, que s'il voulait, il avait encore le temps de sauver son âme qui s'en alloyt estre perdue ; qu'ils le prioient pour l'amour de celuy qui avoit souffert la mort et passion pour nous tous, de les vouloir escouter. Et ils lui présentèrent un crucifix. Charles se détourna encore et ne répondit rien. Il monta les degrés d'un pas ferme, se mit à genoux, pria, les mains jointes, d'un air pénétré. Alors l'exécuteur, lui bandant les yeux, dégagea son cou, lui fit baisser le front, et avecq son espée, d'un coup, lui trancha la teste et mit hors de dessus les épaules. — La tête avait roulé ; le bourreau la ramassa, la serra dans un panier pour aller la porter à la Rochelle afin de la mettre au bout d'une pique à la tour indiquée par la sentence ; après quoi, soulevant le corps, il alla l'étendre sur un bûcher qui avait été préparé auprès, et y mit le feu[98].

 

 

 



[1] D'après le dossier de son procès, Bibl. nat., nouv. acq. franc, 7199.

[2] Par une lettre en date du 9 novembre 1627, le cardinal de Richelieu avait prescrit à M. de Matignon, lieutenant général en Basse-Normandie, de prendre garde aux costes ; que la noblesse, disait-il se tienne sur les costes (Avenel, Lettres de Richelieu, II, 708). M. de Matignon se conformant à ces ordres avait pris des mesures en conséquence (Mercure français, t. XIV, p. 213). De son côté le Parlement de Rouen avait également ordonné de surveiller d'une façon permanente les rivages de la province (Floquet, Hist. du Parlement de Normandie, Rouen, E. Frère, 1841, in-8°, IV, 401). Ainsi s'explique la présence des trois gentilshommes à Carteret. — Ch. Bernard prétend (Hist. de Louis XIII, II, 91) qu'un gentilhomme normand, M. Descauville-Thomas, fut spécialement chargé d'attendre l'homme qui vient de débarquer et qu'il s'aboucha pour le trouver avec des matelots de Jersey.

[3] Voici le signalement qui avait été donné à M. Descauville-Thomas : rousseau, haut de taille, vestu de deuil et d'âge vingt-trois à vingt-quatre ans (Bernard, ibid.).

[4] Il ne s'agit pas d'un bailli royal ; il n'y en a qu'un pour tout le Cotentin et il réside à Coutances, mais de l'officier de justice du seigneur de l'endroit. La Haye-du-Puits est une baronnie appartenant à ce moment à M. Gédéon de Magneville (Bibl. nat., ms. fr., 30723, fol. 116). Le bailli seigneurial, qui a juridiction sur 23 paroisses et droit de haute justice (Renault, Revue monumentale et hist. de l’arrond. de Coutances, Saint-Lô, 1852, in-8", p. 433), se nomme M. Michel Clozet, sieur du Mesnil-Vaudon (Bibl. nat., ms. fr. 30723, fol. M6. — Sur ses pouvoirs consulter N. Bergeron, Police générale de France, Paris, 1617, in-8°, 58-60). Administrativement, La Haye-du-Puits est une des treize sergenteries de la vicomté de Carentan, bailliage du Cotentin ; cette sergenterie comprend onze paroisses (Tavernier, Description du royaume de France, p. 33.)

[5] Le prévôt général de la maréchaussée de France a deux grands prévôts en Normandie, l'un pour la Haute-Normandie, l'autre pour la Basse, et dans chacun des sept bailliages de la province, ceux-ci sont représentés par des vice-baillis qui ont à leur disposition des compagnies d'archers, nous dirions aujourd'hui de gendarmes (Masseville, État géographique de la province de Normandie, Rouen, 1722, t. I, p. 36).

[6] Le Mercure français (t. XIV, 1628, p. 213) prétend qu'on trouva sur la Grossetière, d'après les uns, des lettres du roi d'Angleterre et de M. de Buckingham aux habitants de la Rochelle ; d'après d'autres, trois commissions pour faire lever 800 cavaliers et les envoyer à une armée anglaise forte de 5.000 hommes qui devait débarquer en France le 22 juillet. Ces deux informations sont également inexactes.

[7] Le gouverneur de la Normandie a sous ses ordres deux lieutenants généraux, l'un pour la Haute, l'autre pour la Basse-Normandie et ceux-ci ont dans chacun des sept bailliages un lieutenant du roi qui commande en leur absence (Masseville, op. cit., I, 39). Charles de Matignon, comte de la Roche-Guyon et de Torigny, troisième fils du maréchal de Matignon qui a joué un rôle important au XVIe siècle (de Caillière, Hist. du maréchal de Matignon, Paris, 1661, in-fol.), avait été nommé lieutenant général de Basse-Normandie, en 1595, à la place de son frère Odet qui venait de mourir. Il a, en 1628, soixante-quatre ans et ne mourra qu'en 1648, après avoir presque toujours résidé à Torigny. Sur le beau château de Torigny qu'il a embelli et dont il reste une aile, voir Godefroy, Une célèbre baronnie normande, Torigny (Evreux, 1897, in-8°).

[8] Saint-Germain-le-Vicomte est une commune du canton actuel de Périers. Le château, qui appartenait à la famille de Costentin de Tourville, était une solide construction des XVE et XVIe siècles, munie de larges fossés (Renault, op. cit., p. 433).

[9] M. de la Luthumière était gouverneur de Cherbourg où il venait de remporter une victoire sur sept navires anglais venus pour attaquer la ville (La défaite de sept navires anglais par M. le baron de la Luthumière, gouverneur pour Sa Majesté de la ville et château de Cherbourg, la veille et jour du Saint-Sacrement dernier aux côtes de mer du bailliage de Costentin en Normandie, Paris, F. Jacquin, 1628, in-8°). Bassompierre parle de lui (Mémoires, éd. Chanterac, I, 153, 156).

[10] D'après l'exempt des gardes du corps Pierre de Bordeaux (Bibl. nat., nouv. acq. fr., 6164, fol. 173-5), Louis XIII aurait été informé de l'arrestation de La Grossetière non seulement par l'envoyé de M. de Matignon, mais aussi par un des trois gentilshommes de Carteret qui alla en Saintonge, et encore par le bailli lui-même de La Haye-du-Puits qui fit exprès le voyage ; tous trois se disputant a qui avait le mieux qualité pour connaître les faits. Le bailli conta que lorsque M. Le Venier fut arrêté il cherchoit pour lors un cheval pour revenir à la Rochelle, avant pris terre clans une petite barque seul, dont fut averti ledit bailli, estant, ledit La Grossetière, épié et guetté de tous côtés qu'il pouvoit revenir.

[11] Le nonce apostolique F. Guidi écrit (Relation, dans E. Rodocanachi, les Derniers temps du siège de la Rochelle, Paris, A. Picard, 1899, in-8°, p. 31), qu'à la date du 19 juillet le conseil du roi délégua Mons, della Fullaie, maestro delle riquieste, a fare il processo à Giossetiera. Della Fullaie est une mauvaise lecture, où il faut reconnaître M. de la Tuilerie. M. de la Tuilerie fut ensuite nommé cette même année 1628, intendant de la justice, police, finances et marine en Poitou, Saintonge et Aunis. Le pasteur de la Rochelle, Ch. Vincent, dit de lui que c'était un homme entièrement équitable et qui ne se laisse pas emporter par la passion des ecclésiastiques contre nous (Correspondance, dans Bullet. de la Soc. du prot. français, 1857. V, p. 296).

[12] La Grossetière est aujourd'hui une ferme de la commune de Saint-Aubin-le-Clou, canton de Secondigny, arrond. de Parthenay, Deux-Sèvres. Le manoir relevait de la seigneurie de Secondigny (B. Ledain et A. Dupont, Dict. topogr. du dép. des Deux-Sèvres. Poitiers, 1902, in-4°, p. 139). La famille Le Venier (d'azur, à trois cornets enguichés d"or) se prétendait originaire d'Italie et disait être venue de Venise à la suite d'une affaire romanesque (Bibl. nat., ms. fr., 31211, dossier 9268). M. d'Hozier était d'avis que cette prétention était une fable et que les Le Venier descendaient simplement d'une famille bourgeoise de Nérac (Ibid., fol. 5). Le grand-père de Charles, Pierre de la Grossetière, avait été trésorier de France à Poitiers, élu général des finances en Guyenne, président à la chambre des comptes de Paris en 1573 (H. Constant d'Yanville, Chambre des comptes de Paris, Paris, 1875, in-fol., p. 418). C'était un important personnage qui, veuf en premières noces de Marie Guinefaut, veuve elle-même d'un riche receveur des finances de Fontenay-le-Comte, s'était remarié avec une seconde veuve, Marie Rosselins. Le père de Charles, issu du second mariage, s'appelait Louis de la Grossetière (Bibl. nat., op. et loc. cit.).

[13] Madame Le Venier était une demoiselle Louise d'Angennes de Montlouet, septième enfant de François d'Angennes, marquis de Montlouet, maréchal de camp, ambassadeur, chambellan du duc d'Alençon ;et delà famille des d'Angennes de Rambouillet à laquelle appartient la célèbre Julie d'Angennes de l'Hôtel de Rambouillet (P. Anselme, Hist. généalogique, II, 429). Sa fille devait être plus tard mariée deux fois (Bibl. nat., ms. fr. 26 546, fol. 208).

[14] M. Charles de Mallon, seigneur de Bercy, premier président du Grand Conseil à Paris, depuis 1613, et âgé à ce moment de soixante ans, était fils du premier mariage de Marie Rosselins, grand'mère de Charles (Ibid.). — Philibert Porcheron, seigneur de Saint-James et de Lavau, conseiller au présidial de Poitiers depuis 1618, était le petit-fils d'un Philibert qui avait épousé Perrine le Venier, cousine germaine du père de Charles (Babinet, Le Présidial de Poitiers, Poitiers, 1902, in-8°, pp. 70, 83, 95).

[15] De page on passait cadet dans une compagnie (Mém. de Puységur, éd. Tamizey de Larroque, t. I, p. 1). Les pages portaient des chausses ou culottes spéciales, courtes et plissées (voir leur joli costume dans les belles gravures de Crispan de Pas qui illustrent l'Instruction du roi en l'exercice de monter à cheval, de Pluvinel, Paris, 1625, in-fol.). La petite écurie, que commandait le premier écuyer, comprenait 20 écuyers ordinaires et 24 pages (E. de Barthélemy, Les grands écuyers et la grande écurie de France, Paris, 1808, in-12°, p. 121-123 ; G. de Carné, Les pages des écuries du roi. L'école des pages, Nantes, 1886, in-12°).

[16] Le duc de La Roche-Guyon-Liancourt, premier écuyer du roi, d'où son autorité sur les pages (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 86, fol. 191 v°).

[17] Sainte-Escobille, aujourd'hui commune du canton de Dourdan, arrondissement de Rambouillet, Seine-et-Oise, était une baronnie qui était entrée dans la famille depuis le grand-père de Charles, Pierre de la Grossetière (Bibl. nat., ms. fr., 312H, dossier 9208). Le roi, allant à la Rochelle, y avait couché (Souvenirs de Pierre de Bordeaux, Bibl. nat., nouv. acq. fr., 6164, p. 175).

[18] Ce frère, François le Venier, épousa plus tard Elisabeth Tallemant, sœur de Tallemant des Réaux (Bibl.nat., ms. fr., 31 211, dossier 9268), qui parle souvent des deux dans ses Historiettes.

[19] La famille d'Aigrefeuille était une importante famille protestante de Montpellier (Bibl. nat., Carré d'Hozier, 9 ; Chérin, 3 ; Dossiers bleus, 5 ; Cabinet d'Hozier, 4).

[20] Voir pour la description de la Rochelle à ce moment et le siège lui-même, Pierre Meruault (Journal des choses mémorables qui se sont passées au dernier siège de la Rochelle, Rouen, 1671, in-8°). Meruault, fils d'un membre du corps de ville, maître de l'artillerie, avait vingt ans au moment du siège, auquel il a assisté.

[21] Consulter entre autres sur l'affaire de l'île de Ré, Herbert de Cherbury, Expeditio anglorum in Ream insulam, London, Moseley, 1650, in-8° (réimprimé en 1860 sous le titre de Expedition to the isle of Rhé, London, in-8°) et la lettre d'un Rochelais, M. de la Miltière, qui était avec les Anglais (Arch. curieuses de Cimber et de Danjou, 2e série, t. III, p. 53).

[22] 500, dit Michel Baudier (Hist. de Toiras, p. 93) ; 600 à 700, dit Meruault, dont 120 gentilshommes (Journal, p. 31, 43) ; transportés une fois sur 13 barques, une autre fois sur 26 (Bassompierre, Mémoires, III, 320, 328). Une déclaration du roi du 5 août 1627 les proclama tous rebelles, traîtres, déchus de leur patrie, criminels de lèse-Majesté et comme tels leurs biens confisqués (Déclaration du roi contre le sieur de Soubise et autres adhérens au parti des Anglais. Paris, A. Estienne, 1627, in-8°).

[23] Il était commandé par les capitaines de Moulines, Saint-André et la Vigerie (Mercure français, XIV, 1627, p. 179). Dans l'assaut général du 6 novembre qui fut très meurtrier et ne réussit pas, il attaqua du côté de la mer (Le duc de Rohan, Mém., p. 569).

[24] La bibliographie du siège de la Rochelle est contenue dans le livre de L. Delayant (Bibliographie rochelaise, 1882, gr. in-8°, pp. 211-290). Il faut y ajouter quelques travaux que nous citerons au fur et à mesure. Richelieu, d'après Fontenay-Mareuil (Mémoires, éd. Michaud, p. 183), aurait eu l'idée d'écrire le récit détaillé du siège. Le temps et les affaires l'en ont empêché. On trouvera la liste des troupes et des officiers de l'armée assiégeante dans le livre de E. Rodocanachi, Les derniers temps de la Rochelle, pp. 117-118 (Relazione dell' armata del re Christianissimo sotto la Roccella) et dans les souvenirs de Pierre de Bordeaux (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 6164, fol. 101). Sur les travaux eux-mêmes d'investissement, voir : Relation des fortifications et choses plus remarquables qui sont à présent au camp et armées du roi devant La Rochelle, par un gendarme du roi, Paris, 1628, in-8° ; La relation du siège de La Rochelle (Archives curieuses de Cimber et Danjou, 2e série, t. III, p. 90) et les Mémoires de Du Plessis-Besançon (publiés par le comte Horric de Beaucaire, Paris, Renouard, 1892, in-8°). Fontenay-Mareuil prétend (Mémoires, p. 205) que Richelieu aurait eu un instant l'idée de tenter l'assaut de la place, mais que tous ceux auxquels il s'en ouvrit l'en dissuadèrent.

[25] P. Meruault raconte que le mardi 4 janvier, sur les cinq heures du matin, Charles de la Grossetière sortit avec 40 cavaliers, soutenus par 60 mousquetaires, qu'il attaqua une troupe de 20 cavaliers royaux et de 40 mousquetaires, qu'il les culbuta et fit quelques prisonniers. Il était aidé de M. de la Cotencière (Journal du siège, p. 154). Dans la nuit du 6 au 7 il ressortit avec 13 chevaux : on appelait cela aller à la petite guerre (Ibid., p. 153). Le 19 février, nouvelle sortie avec 27 ou 28 chevaux, cette fois sous les ordres de Destringan. On attaqua 50 cavaliers du roi. Mais la mêlée fut plus rude. Destringan fut tué. La Grossetière rentra, toujours à la Cotencière (Ibid., p. 189). Instruit de cette expérience, La Grossetière, le 28 février, sur une proposition du maire qui demandait à ce qu'on tentât d'enlever le fort de La Fons, refusa de marcher, l'entreprise étant impraticable, disait-il, et fit partager son sentiment par le conseil de guerre qu'on avait assemblé et dont il faisait partie (Ibid., p. 197).

[26] Le prix de la rançon d'un soldat variait entre 100 et 300 livres (Meruault, Journal, p. 177).

[27] N'osant pas lui-même y aller, crainte de mettre madame sa mère en peine. (Procès, interrogatoire de Charles, fol. 59 v°).

[28] Il était resté deux ou trois jours entre Bressuire et Cerizay, de là était allé à Montreuil où il avait séjourné dix à douze jours. Il portait à ce moment une casaque rouge, des chausses rouges, un pourpoint blanc et un chapeau noir (Ibid., fol. 55 v° et 56 r°).

[29] La région était infestée à ce moment de soldats se livrant à des actes semblables (Thibaudeau, Hist. du Poitou, Paris, 1788, in-12°, VI, 98). Il y avait longtemps qu'on entendait parler de faits analogues. Un capitaine à la tête de sa compagnie de 62 hommes, s'était rendu célèbre par ses brigandages (La prise et défaite du capitaine Guillery qui a esté pris avec 63 voleurs de ses compagnons qui ont esté roués en la ville de la Rochelle le 25 de novembre 1608, Paris, J. Hautain, 1609, in-8° ; réimprimé par M. Fillon en 1848 sous le titre de : Histoire véridique des grandes et exécrables voleries et subtilités de Guillery, Fontenay, imp. de Robuchon, in-8° ; et par E. Fournier, Variétés hist. et litt., I, 289-303).

[30] Le château de la Tresse, appartenant à madame de Villedieu. On tua un des chevaux, sous poil blanc, des prisonniers (Procès, fol. 36 r°).

[31] Les Trois-Piliers, qui sont une bonne hôtellerie sur la place du Marché-Vieil (Souvenirs de P. de Bordeaux, Bibl. nat., nouv. acq. fr., 6164, p. 213), existent encore (Place du Palais-de-Justice). C'est la plus ancienne enseigne de Poitiers. Elle tirait son nom d'un monument dont il ne restait plus en 1236 que les ruines de trois piliers, dits Piliers de Gauthier (E. Ginot, Les enseignes, leur origine et leur rôle, Niort, 1901, in-8°, p. 16),

[32] Canton de Mirebeau, arrondissement de Poitiers.

[33] On envoya des marchands, des soldats, un M. de la Lande (Mémoires du duc de Rohan, pp. 570 et 587). Sur l'état de la ville à ce moment voir P. Meruault.

[34] Homme d'audace et d'industrie, dit Fortin de la Hoguette (Lettre du 27 nov. 1628, dans Lettres inédites, éd. Tamizey de Larroque, La Rochelle, 1888, in-8°, p. 142). Il était échevin et ci-devant amiral (Meruault, Journal, p. 310). Il déclara au moment de son élection qu'il ne fallait pas le nommer si on n'était pas décidé à résister jusqu'au bout (Mém. de Fontenay-Mareuil, p. 206). L'histoire du poignard qu'il aurait tiré menaçant d'en frapper le premier qui parlerait de se rendre, en exigeant qu'on l'en frappât s'il proposait la capitulation, n'est qu'une légende, aucun texte contemporain ne la confirmant (L. Delayant, Hist. des Rochelais, 1870, gr. in-8°, II, 64). Voir sur lui : P. S. Callot, Jean Guiton, dernier maire de l'ancienne commune de La Rochelle (La Rochelle, 1847, in-8°), et Tamizey de Larroque, Quelques notes sur Jean Guiton (Bordeaux, 1863, in-8°).

[35] Tous les officiers de l'escadre anglaise furent d'avis que forcer le passage était une opération impossible. The passage into La Rochelle, with any provision by sea, écrit le capitaine Rice à Buckingham, was, by the mature opinions of all the captains, by reason of the ordnance planted on both sides and the triple palissado within, made impregnable (Calendar of State papers Charles Ier, 1628-1629, p. 130, 141, 140). Une violente tempête compliqua la situation (Bassompierre, Mém., III, 372).

[36] La Forest, dit le Linger, était un tisserand très brave homme et fort bon habitant, qui avait rendu de grands services à la ville, avait accompagné le 13 décembre précédent M. de Baussay envoyé par la municipalité en Angleterre, et avait été tué le 19 février suivant dans une sortie vers Ronsay. On lui fit de solennelles funérailles (P. Meruault, Journal, pp. 147, 189, 192).

[37] Elle lui promit même s'il partait, de l'épouser à son retour d'Angleterre (Procès, fol. 44 v°).

[38] C'est donc par erreur que Meruault écrit (Journal, pp. 344-353) que la Grossetière emporta un certain nombre de lettres (dont il donne même le texte) adressées au roi d'Angleterre, à Buckingham, à M. de Soubise et aux députés rochelais, toutes datées du 18 mars. Cette erreur devient inexplicable quand on le voit citer plus loin (p. 492) une lettre des députés rochelais, David et Vincent, du 14 juillet, disant : Il nous arriva dimanche le frère de feu La Forest avec vos lettres dont le sieur de la Grossetière n'avait pas jugé se devoir charger.

[39] Manassès de Pas, marquis de Feuquières, général et diplomate réputé, alors un des deux maréchaux généraux des logis de l'armée assiégeante (État de l'armée assiégeante, dans E. Rodocanachi, op. cit., p. 113) avait été pris le 28 février précédent (Bassompierre, Mém., III, 331) dans une embuscade, dit Richelieu (Mém., I, 520) ; parce qu'il s'était aventuré dans un marais, dit Fontenay-Mareuil (Mém., p. 206. Cf. Mercure français, XIV, 1628, p. 588).

[40] Ce détail est confirmé par le nonce Guidi : La Giossetiera aveva loro detto che se fosse sato preso, segno era che presto vedrebbero comparire l'armata inglese (dans E. Rodocanachi, op. cit., p. 29).

[41] Plus heureux que La Grossetière, M. de Champfleury devait revenir indemne à la Rochelle le 28 septembre. Le jeudi 28 septembre, dit Meruault (Journal, p. 517), le sieur Champfleury, gentilhomme envoyé par la ville en Angleterre, s'étant hasardé en plein midi de franchir les lignes à la faveur d'une grosse pluie, se rendit à la ville tout mouillé, tout fangeux et tout en sueur. Parti de Portsmouth le 8 septembre (p. 519) il avait donc mis trois semaines pour faire le voyage (voir aussi le duc de Rohan, Mém., 587).

[42] Voici comment Meruault raconte la sortie de La Grossetière (Journal du siège, p. 343). Le dimanche 21, le sieur de la Grossetière, le cadet de Raillac, dit Champfleury, le frère de feu La Forest dit le Linger, et un autre homme, sortirent avec chacun le paquet de la ville, les uns en des boulons et les autres en des cailloux artificiels, pour aller en Angleterre. Mais avant qu'ils fussent aux lignes, la lune se leva et ils furent contraints de s'en retourner. Toutefois ledit frère de la Forest et un autre passèrent et le lundi au soir lesdits sieurs de la Grossetière et de Champfleury hasardèrent encore le paquet, mais ils ne purent passer que la nuit du mardi venant au mercredi 24. Il fut dépêché jusqu'à neuf hommes différents pour l'Angleterre.

[43] Il couchait dans les bois, dans les fermes, et dans les auberges seulement quand il le pouvait sans risque d'être reconnu (Procès, fol. 15 v°, interrogatoire de Laurent Siret). Les chemins étaient gardés. En raison de l'insécurité des routes, le roi avait prescrit au maréchal du Plessis-Praslin de tenir des troupes de cavalerie par les chemins (Thibaudeau, Hist. du Poitou, VI, 104). Conformément aux ordres de Richelieu les prévôts de Fontenay-le-Comte, Saintes, Angoulême, Saumur et Angers furent mis avec leurs compagnies sur les avenues de la Rochelle et principalement sur les gués et passages de Marans, Nouaillé, Vrison, Allère, Millescu et Charroux afin d'arrêter les soldats qui se retiroient de l'armée sans congé (Richelieu, Mém., I, 522). M. de la Louvernière était fils de M. de la Cacaudière et la monture qu'on accusa Charles d'avoir volée était un petit cheval hongre de poil bai (Procès, fol. 19 v°).

[44] Tracy, aujourd'hui hameau de la commune de Neuville, laquelle est à un kilomètre de Vire, était une ancienne châtellenie d'où relevaient quatre ou cinq fiefs (Hippeau, Dict. topographique du dép. du Calvados, Paris, 1883, in-4°, p. 281). Au XVIIe siècle, c'était une baronnie (Masseville, État géographique de la Normandie, I, 311).

[45] Ch. Bernard l'appelle M. Le Plessis-Tracy (Hist. de Louis XIII, II, 90).

[46] Le Mercure français assure (XIV, 1628, p. 213) que La Grossetière présenta à M. de Tracy une lettre d'introduction de la part de son oncle M. de Montlouet qu'il était allé voir avant de venir à Tracy. Le fait ne parait pas exact.

[47] Madame de Tracy était une demoiselle Marguerite d'Angennes, sœur de Louise d'Angennes (mère de Charles) et fille de François d'Angennes marquis de Montlouet (Procès, fol. 22 r°). Elle n'est pas mentionnée dans les nombreuses généalogies des d'Angennes (P. Anselme, Hist. généalogique, II, 429 ; Bibl. nat., ms. fr. 20 546, 31234).

[48] Devant les juges, La Grossetière nia avoir parlé à son oncle et à sa tante de son rôle à la Rochelle et de son intention de gagner l'Angleterre. Il prétendit qu'il leur avait conté l'histoire que nous allons lui voir faire à un autre (Procès, fol. 3 v° et fol. 49 v°). M. et madame de Tracy interrogés, déposèrent ce que nous venons de dire (Ibid., fol. 21 v°).

[49] Régneville ou Reigneville, canton de Saint-Sauveur-le-Vicomte, arrond. de Valognes, Manche.

[50] Il coucha le soir dans une auberge, dite la petite maison, située à moitié chemin sur le haut d'une montagne (Procès, fol. 3 v° et 50 v°).

[51] Le donjon qui subsiste encore, carré, à quatre étages, a quelques vingt mètres de haut et des souterrains voûtés. Les fortifications dataient de l'occupation anglaise. Régneville avait été un petit port au moyen âge (Renault, Revue monumentale et hist. de l'arrond. de Coutances, p. 97).

[52] C'était le fils de Simon de Piennes, sieur de Moineville, en Picardie, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, et de Jeanne Pesnel, dame de Briqueville. Il avait épousé en 1586 une demoiselle Sara Aux Épaules, dont il eut deux fils (Bibl. nat., ms. fr., 30 723, fol. 114) et se remaria en 1608 avec Diane de Montmorency, une veuve, dont il n'eut pas d'enfants (Bibl. nat., ms. fr., 31 149, dossier 7 234).

[53] Un habitant de la Rochelle, nommé Violette, envoyé à Londres en 1627 pour porter des lettres aux députés rochelais, revint à la fin de janvier disant qu'il n'avait pu passer la mer parce que dans tous les ports, Calais, Boulogne et autres, interdiction absolue avait été faite de laisser embarquer qui que ce fût pour les pays britanniques (Meruault, Journal du siège, p. 171).

[54] La parenté était assez compliquée. Il y avait alliance des d'Angennes avec les Briqueville par les Aux Épaules (Bibl. nat., ms. fr., 26 540, fol. 208).

[55] Le fils cadet de M. de Briqueville, Henri-Robert de Briqueville, qui épousa plus tard Anne de Tieuville (Bibl. nat., ms. fr., 31149, dossier 7 234), le fils de M. de Franqueville et le baron de Noyan (Procès, fol. 3 v°).

[56] Aujourd'hui commune du canton de Saint-Malo-de-Lalande, arrond. de Coutances, Manche. C'était autrefois une localité assez importante (Diaire du chancelier Séguier, publié par A. Floquet, p. 310).

[57] Ce gouverneur était Francis de Carteret, seigneur de la Hague, en fonction depuis 1626 (C. Le Quesne, A Constitutional history of Jersey. London, Longman, 1856, in-8°, p. 301), et dont la vie devait être si mouvementée (Pégot-Ogier, Hist. des îles de la Manche, Paris, Plon, 1881, in-8°, p. 359).

[58] Le duc de Rohan, assez bien informé en général, dit dans ses Mémoires (p, 587) : Ceux de la Rochelle tirent partir quatre personnes pour l'Angleterre. La Grossetière qui étoit un des quatre y arriva le 15 juin (d'après le Procès, c'est le 17). Le 10 de juillet suivant arriva le second ; le 14 arriva le troisième, et le dernier, qui avait passé par la Hollande, fut un peu plus longtemps en chemin.

[59] Daniel Bregneau ou Bragneau, capitaine de navire, dit Meruault (Journal, p. 147), amiral des Rochelais, disent Rohan (Mém., p. 570) et le Mercure (XIV, 1628, p. 614). Il était là avec son collègue Gohier depuis le Il février (Meruault, p. 2S5).

[60] Ils ne s'entendaient pas très bien entre eux (Le siège de la Rochelle et ses suites, détails tirés d'une correspondance inédite du pasteur Philippe Vincent, conservée à la Haye, 1629-1648, dans : Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, 5e année, 1857, p. 292).

[61] Le fait est exact. A l'annonce du retour de lord Denbigh dans les conditions que l'on sait the king was never seen to be so moved. — The news from the fleet much troubled the king. (Calendar of State papers, 1628-1629, pp. 120, 124). M. de la Lande, revenant à la Rochelle, rapporta aux habitants l'émotion et la colère du roi (P. Meruault, Journal, p. 375).

[62] Le roi parlera de la même manière à M. de Champfleury lorsque celui-ci arrivera (Meruault, Journal, p. 519) ; il a écrit d'ailleurs à la Rochelle dans les mêmes termes (Mém. de Bassompierre, III, 379). En réalité, les difficultés au milieu desquelles il se débattait : besoin d'argent, hostilité du Parlement, impopularité du ministre, le paralysaient.

[63] Il n'est donc pas exact, comme l'écrira le 18 avril 1629 M. de la Lande du Lac, que La Grossetière ait reçu une mission quelconque du roi (Pétition à Charles Ier pour lui demander un secours en raison de services rendus et de missions accomplies : Seeing tlie example of seigneur de la Grossetière who had the same orders from the king as the petitioner. — Calendar of State papers, 1628-1629, p. 522).

[64] Les rapports indiqués par les Calendars of State papers (1628-1629, pp. 151, 166, 172, 177, etc.) montrent bien la réalité des préparatifs militaires que faisaient les Anglais.

[65] Un italien, Burlamachi. Il en est souvent question dans les documents contemporains (Ibid., voir à la table). Ce Burlamachi trafiquait de tout, même de manuscrits (Lettres de Peiresc aux frères Dupuy, éd. Tamizey de Larroque, II, 397).

[66] Nous ne savons sur quoi Meruault se fonde pour dire que La Grossetière fut arrêté à Dieppe (Saint-Martin-de-Ré et la Rochelle, 1627-1628, publié par G. Musset. La Rochelle, N. Texier, 1893, in-4°, p. 40). L'affirmation est reproduite par L. Delayant (Hist. des Rochelais, II, 71).

[67] Après le départ de Buckingham des côtes de Saintonge, Richelieu avait jugé prudent de garnir de troupes le Cotentin en cas d'attaque des Anglais. Il avait envoyé en Normandie, entre autres, le régiment de Navarre. Cinq compagnies de ce régiment occupaient la Hague, deux allèrent à Granville, deux à Saint-Lô, deux à Cherbourg, quatre à Carentan. Des compagnies de cavalerie furent jointes, parmi lesquelles la compagnie de chevau-légers de M. des Roches-Baritaut qui alla à Vire (Mémoires de Richelieu, I, 503, et Lettres, éd. Avenel, II, 747.) M. Gabriel de Chateaubriand, comte de Grassay, seigneur des Roches-Baritaut, plus tard lieutenant général en Bas-Poitou, venait de l'île de Ré où il s'était distingué sous les ordres de M. de Toiras, comme chef des volontaires (Relation du siège de la Rochelle dans Archives curieuses de Cimber et Danjou, 2e série, III, 57 ; Michel de Marillac, Relation de la descente des Anglais en l'île de Ré, Paris, 1628, in-8°, p. 29).

[68] D'après Ch. Bernard (Hist. de Louis XIII, II, 90), M. de Tracy ayant battu son cuisinier, ce serait celui-ci qui, par vengeance, serait allé dénoncer son maître à M. des Roches-Baritaut. Il n'est pas question de ce cuisinier dans le procès, et il serait étrange que les juges ayant interrogé tous les domestiques de M. de Tracy et de M. de Briqueville — nous avons les dépositions — n'eussent négligé que le principal, celui dont venait originairement l'information.

[69] Si l'on veut voir comment une histoire colportée de bouche en bouche se déforme singulièrement, on n'a qu'à lire la lettre écrite à ce moment par un gentilhomme normand au Mercure français (t. XIV, 1628, pp. 212-214) pour lui raconter les faits. Un complot, dit ce gentilhomme, a été ourdi avec les Anglais en Basse-Normandie ; le château de Briqueville devait être remis à ceux-ci avec la ville de Vire. Mais ce complot a été dénoncé à M. de Matignon par un huguenot du pays, et M. de Matignon est allé en mer arrêter un courrier lequel portait des preuves qu'une armée de 15.000 hommes devait s'assembler en Normandie. M. de Matignon a fait alors arrêter une quarantaine de personnes dont quatorze ont été menées au roi par le capitaine des Roches-Baritaut. — Cette histoire a été reproduite par R. Seguin dans son Histoire militaire des Bocains (Vire, Adam, 1816, in-18°, p. 401) et Renault (Revue de l'arrond. de Coutances, 1832, p. 99).

[70] M. du Rozel, ou du Rosel, était en 1616, archidiacre d'Eu et un des principaux dignitaires du chapitre de Rouen (Registres capitulaires, cités par J.-B. Lecomte, Monseigneur François de Harlai de Chanvalon, archevêque de Rouen, Rouen, imp. de E. Cagniard, 1868, in-8°, p. 14). Il s'intitule dans son rapport (Procès, fol. 19 r°) : Conseiller du roy en sa cour du Parlement de Rouen, baron et abbé de Saint-Saens, seigneur châtelain et patron de Vaudry et Vieux-Soen. Vaudry est aujourd'hui une commune située à 3 kilomètres de Vire.

[71] Madame de Tracy avait deux filles. L'une d'elles était précisément très malade au moment où La Grossetière vint chez sa tante (Procès, fol. 24 v°).

[72] Ce fils de M. de Briqueville, Jacques de Piennes, qui avait épousé en 1621 mademoiselle Hilaire de Magneville, sœur de M. de Magneville, baron de la Haye-du-Puits (Bibl. nat., ms. fr., 30 723, fol. 115-116), allait être tué le 3 octobre suivant à Laleu, devant la Rochelle, d'un coup de canon tiré de la place, dit Bernard (II, 99) ; tiré par la flotte anglaise, dit le Mercure français (XIV, 1628, p. 680). Il laissait deux fils et deux filles (Bibl. nat., ms. fr., 31 149, dossier 7 234).

[73] Sébire était collecteur de paroisse. Quand le conseil du roi avait fixé la somme de la taille à percevoir pour l'année, (17 millions en moyenne, au moment où nous sommes, plus 4.500.000 livres d'extraordinaire) il répartissait cette somme entre les 21 généralités du royaume. Dans chacune de celles-ci, les trésoriers généraux de France (en moyenne 10) répartissaient entre les 149 élections du territoire, et dans chaque élection les élus (en moyenne 9) répartissaient à leur tour entre les 23.159 paroisses de France. Chaque paroisse alors désignait des collecteurs qui dressaient avec ceux de l'année précédente le rôle delà taxe, la cote de chaque individu, et allaient percevoir l'impôt de porte en porte (Sommaire traité du revenu et despence des finances de France, 1622. Bibl. nat., collect. Dupuy n° 89, fol. 243 et suiv. Imprimé dans la Revue rétrospective, 1re série, t. IV, p. 159-186 ; et par E. Fournier, Variétés hist. et litt., VI, 85-130). Les collecteurs envoyaient les fonds aux receveurs particuliers, dans les élections, qui les transmettaient aux receveurs généraux dans les généralités, lesquels adressaient, toutes dépenses payées, ce qui restait à l'Epargne (Description de la France, en tête du Voyage de France du P. de Varennes, Paris, 1639, in-8°, p. 54).

[74] On fut en peine tout le jour. Ces détails sont donnés par P. Meruault (Journal du siège, pp. 417-418).

[75] Voici la phrase des soldats : Votre Grossetière a esté pris à la Haye-en-Touraine ; il sera demain à Marans ! (Ibid.). Ils ont confondu la Haye-du-Puits avec la Haye, en Touraine. D'après le nonce Guidi, ce ne serait que le 17 qu'on aurait appris au camp l'arrestation de la Grossetière (Rodocanachi, Les derniers temps de la Rochelle, p. 29). In un porto della Bassa Normandia era stato preso un gentiluomo, detto la Giassetiera, ugonotto.

[76] Il le refusa en se dépitant (Meruault, 418). Il était enfermé dans la tour de Moureilles près de la porte de Maubec (Ibid., p. 170).

[77] Au dire de C. Bernard (Hist. de Louis XIII, II, 91), le gouvernement recula d'autant plus sérieusement qu'on se souvint d'un conseiller au grand Conseil, M. Sapin, et d'un abbé, M. de Gastine, pour lesquels on avait méprisé semblable menace, ce qui leur avait coûté la vie.

[78] D'après Ch. Bernard (Ibid.), ce serait la compagnie de chevau-légers de d'Arbouze qui aurait été chargée de conduire La Grossetière à la Rochelle et le commandement de l'escorte aurait été donné à M. Descauville-Thomas, le gentilhomme chargé d'arrêter l'envoyé des Rochelais à Carteret. — Il y a trois la Richardière au siège de la Rochelle : le père, bon homme de marin, qui se distingua dans la défense de l'île de Ré en passant plusieurs fois le bras de mer (Relation du siège de la Rochelle dans Arch. curieuses, 2e série, III, 69), le fils aîné, dit le capitaine Maupas, jeune homme fort entendu à la marine et plein de courage, qui s'illustra de même (Michel de Marillac, Relation de la descente des Anglois en l'île de Ré, p. 117, 147 ; Mémoires de Richelieu, I, 471, 476) ; et enfin celui-ci, le lieutenant.

[79] Le nonce Guidi conte l'incident (Rodocanachi, Les derniers temps de la Rochelle, p. 43). La rencontre aurait eu lieu, d'après lui, près du bourg de Moeze et l'escorte qui accompagnait La Grossetière était de vingt chevaux.

[80] Voici la lettre du roi confiant La Grossetière à M. de Guron (Bibl. nat., ms. fr., 30 857, fol. 94) : Monsieur de Guron le sieur de la Grossetière ayant été pris prisonnier en ma province de Normandie, je l'ai l'ait mener jusques à Marans en bonne et sûre garde. Vous le mettrez dans le château et le ferez garder si soigneusement que vous me puissiez répondre de sa personne, et me donnerez avis du jour que vous l'aurez reçu. 17 juillet 1628. — Grossetière est arrivé à Marans, écrit Fortin de la Hoguette à Pierre Dupuy (Lettres inédites, éd. Tamizey de Larroque. La Rochelle, 1888, in-8°, p. 126). M. de la Tuilerie, maistre des requêtes a esté envoyé pour l'ouïr ; détail inexact ; M. de la Tuilerie avait déjà interrogé le prévenu.

[81] Le texte entier de cette lettre est donné par P. Meruault, Journal du siège, p. 469.

[82] Le vent du bureau n'est pas favorable pour ce prisonnier, écrit Fortin de la Hoguette (op. cit., p. 127), s'il ne se confesse, encore qu'on ne puisse hasarder sa teste sans mettre en compromis celle de Féquaires. Une prompte reddition de place viderait ce différend à l'avantage des prisonniers.

[83] Les deux lettres de Guiton et de Richelieu ont été souvent reproduites. On en trouve le texte manuscrit : aux Arch. des Aff. étrangères (Mém. de Richelieu, ms. A., p. 293) ; Bibl. nat. (Cinq-Cents Colbert, 17, fol. 432) ; Collection Moreau, (754, fol. 11). Elles ont été imprimées dans le Mercure français (XIV, 1628, p. 662) ; le P. Griffet (Hist. de Louis XIII, Paris, 1758, 3 vol. in-4°, t. I, pp. 597-598) ; Avenel (Lettres de Richelieu, III, 131-132) ; la relation du nonce Guidi (Rodocanachi, Les derniers temps du siège de la Rochelle, pp. 53-57) ; un opuscule du temps intitulé : Lettre qui a esté prinse à un espion de la Rochelle, qui a esté pendu à Aytré ; ensemble la lettre dudit maire de la Rochelle, etc. Niort, I. Moussat, 1628, in-8°. Richelieu dans ses Mémoires (I, 548) en donne, avec le sens, presque les termes mêmes.

[84] Le nonce (Rodocanachi, p. 29), Bernard (III, 93), Fontenay-Mareuil (Mém., p. 209), Fortin de la Hoguette (op. cit., p. 126) parlent de ces pourparlers dont La Grossetière est le prétexte. Le bruit courut même que ces pourparlers avaient abouti. On a consenti, dit Fortin de la Hoguette (Ibid., p. 135), à l'eschange de Faiquaires avec Grossetière, pourvu que Grossetière n'entre point à la Rochelle afin qu'il ne leur rende pas compte de sa députation en Angleterre. — Arnauld de Courbeville, pour entretenir la comédie, consentit à se faire l'intermédiaire d'une correspondance entre La Grossetière et madame d'Aigrefeuille. Il y eut deux ou trois échanges de lettres entre les deux fiancés (Procès, fol. 44 v° ; Meruault, Journal du siège, p. 480). Je tiens parole à madame d'Aigrefeuille, écrit le 3 septembre le capitaine à M. de Feuquières ; je lui envoie une lettre de M. de la Grossetière, lequel je trouvay aussi sain qu'amoureux. Je vous assure que les nouvelles que je lui donnai de sa maistresse lui apportèrent plus de joie que sa prison ne fait d'affliction.

[85] Voir Arcère, Hist. de la ville de la Rochelle, II, 320 ; Mercure français, XIV, 1628, p. 639.

[86] Squelettes, fantômes vains, morts respirant plutôt qu'hommes vivans ! (Richelieu, Mém., I, 549). Spectres plutôt que soldats ; les visages allangouris sembloient estre des skelettes ! (Bernard, II, 109). Louis XIII en pleura (Meruault, Journal, p. 651).

[87] Lettre du roi à M. de Guron (Bibl. nat., ms. fr., 30 857 fol. 95). Ayant commandé au capitaine Grisart, exempt de mes gardes en la prévôté de mon hôtel, de s'en aller à Marans avec six archers desdits gardes pour y prendre le nommé Grostière et le conduire aux prisons de mon grand Conseil en ma ville de Poitiers pour lui estre, le procès, fait et parfait, je vous ai voulu faire ceste lettre pour vous ordonner de lui remettre ledit Grostière entre les mains sans y apporter aucune difficulté.

[88] Une délégation du grand Conseil était venue s'établir à Poitiers dès le 27 novembre 1627 et y devait siéger jusqu'au 28 novembre 1628, soit parce que le roi voulait avoir cette compagnie plus près de lui (Thibaudeau, Hist. du Poitou, VI, 111), soit parce que les désordres causés dans la région par les brigandages des soldats et des paysans nécessitaient la présence d'un tribunal qui eût plus d'autorité que le présidial de Poitiers (Auber, Hist. générale du Poitou, Poitiers, 1893, IX, 378). M. de Bercy-Mallon, parent de la Grossetière, était président de cette section de Poitiers (Ibid.).

[89] Dans l'ancien droit il n'y a que trois règles fixes en matière de poursuite criminelle : la première que l'inculpé soit entendu (Ayrault, Ordre, formalité et instruction judiciaire, Paris, 1610, in-4°, liv. I, part. I, n° 11) ; la seconde que le tribunal soit composé de plus d'une personne ; la troisième que le jugement soit écrit (Jousse, Traité de la justice criminelle en France, Paris, 1771, in-4°, I, 24).

[90] Le nonce assure que c'est à Richelieu lui-même que La Grossetière fit ces déclarations (Rodocanachi, Les derniers temps de la Rochelle, p. 47). Le cardinal écrit dans ses Mémoires (I, 522), qu'il fit questionner le prévenu sur certain projet d'attaque contre la ville dont le ministre avait été l'auteur et qui manqua quoiqu'il fût très bien conçu et mené. Il voulut faire dire à Charles, et y réussit, que la ville n'en avait rien deviné. Ce fut l'opinion courante à ce moment que le prisonnier pouvait révéler beaucoup de choses : S'il veut dire ce qu'il sait, écrit Fortin de la Hoguette (Lettres inédites, éd. Tamizey de Larroque, p. 127), on peut apprendre de lui l'estat des affaires d'Angleterre, de la Rochelle et des factions.

[91] Le bruit en avait couru avec persistance. La marquise de la Force écrivait le 27 mai au maréchal son mari (dans Mémoires du duc de la Force, éd. du marquis de la Grange, III, 287) : On m'a assuré, et je le crains bien, que la Rochelle s'est tout à fait donnée à l'Anglois et a mis les enseignes angloises sur les bastions. Après la reddition de la ville, le chancelier de Marillac fil soigneusement rechercher dans les papiers de la municipalité si la fidélité qui étoit due à la couronne avait toujours été sauvegardée. On ne trouva rien (Meruault, Journal, p. 654).

[92] Cependant, d'après Ch. Bernard (Hist. de Louis XIII, II, 92), La Grossetière soutint que son fait estoit militaire et de parti à parti ; qu'il ne pouvoit estre que prisonnier de guerre. L'affirmation de l'historiographe ne tient pas devant les pièces du procès.

[93] La tour de la Lanterne existe encore à la Rochelle ; elle est clans la partie des fortifications qui se trouve du côté de la mer. Son nom venait du fanal qu'on y mettait.

[94] M. de Briqueville avait été amené à Marans dès le 16 juillet (Relation du nonce dans : Rodocanachi, op. cit., p. 28 ; Mercure français, XIV, 1628, p. 680). En raison de son âge et de la mort de son fils, tué, comme nous l'avons dit, d'un coup de canon le 3 octobre, on finit par lui faire grâce. Il rentra paisiblement à Régneville où il mourut dans les premiers mois de l'année 1633 (Bibl. nat., ms. fr. 30 723, fol. 120-122).

[95] Le récit de l'exécution de La Grossetière nous est donné par le procès-verbal que rédigea M. Germain Collier et d'où sont tirés tous ces détails (Procès, fol. 65-66).

[96] L'église Saint-Pierre est la cathédrale. La petite place située devant est aujourd'hui la place Saint-Pierre.

[97] De la place Saint-Pierre à la place du Vieux-Marché (ou du Marché-Vieil, aujourd'hui place du Palais-de-Justice ; c'était-là, nous le rappelons, qu'était l'hôtel des Trois-Piliers où La Grossetière était descendu) il y a moins de cinq cents mètres.

[98] Le garde des sceaux, Marillac, annonça au cardinal de Richelieu l'exécution de La Grossetière dans les termes suivants, le 27 novembre : J'ai reçu avis du grand Conseil que Grossetière a esté exécuté à mort le 24 de ce mois, la teste tranchée et envoyée à la Rochelle pour estre mise en haut d'une lance sur la tour de la Lanterne, le corps bruslé ; cela fera mourir sa fiancée ! Le dernier trait est dur (Arch. du Minist. des Aff. étrang., France, 1628, vol. 48, fol. 197 ; cité par Rodocanachi, Les derniers temps de la Rochelle, p. 58, et Avenel, Lettres de Richelieu, III, 132).