AU TEMPS DE LOUIS XIII

 

CHAPITRE PREMIER. — LOUIS XIII ENFANT.

 

 

Le médecin Héroard et les parties inédites de son journal. — Le dauphin au château de Saint-Germain-en-Laye, son appartement ; le personnel. — La journée de l'enfant, promenades et visites. — Activité et gaieté du petit prince ; chansons, danses, jeux. — Son goût pour les armes ; il est soldat dans l'âme : l'exercice, le tambour. — Ses amis, les gardes françaises de la compagnie de service au château. — Les chiens. — Passion pour la musique. — Le dauphin intelligent et avisé. — Il ne supporte aucun propos risqué. — Il est affectueux. — Il adore son père Henri IV. — Il craint Marie de Médicis et l'aime peu. — Câlineries à l'égard de la petite sœur et attachement pour Gaston. — Le dauphin aime ceux qui le servent : sa nourrice, Héroard. — Il a le sentiment de son rang et est jaloux de son autorité. — Sa volonté impérieuse, sa dureté, ses violentes colères. — Deux caractères essentiels de sa nature : bonté affectueuse, instinct autoritaire.

 

Lorsque le petit prince qui devait être plus tard le roi Louis XIII fut sur le point de naître, Henri IV désigna le médecin qui serait attaché à sa personne. Ce fut M. Jean Héroard, un excellent homme, consciencieux, méticuleux, qui avait cinquante ans, de la science et beaucoup d'ennemis[1]. M. Jean Héroard, après la naissance de l'enfant, écrivit jour par jour, durant vingt-six ans, le détail minutieux de ses faits et gestes, depuis le teint de sa peau le malin, jusqu'au menu de son souper le soir. Les six volumes in-folio de ce journal sont fastidieux. MM. E. Soulié et Ed. de Barthélemy en ont publié en 1868 des extraits. Cette publication est critiquable. Les éditeurs ont relevé des détails sans intérêt et laissé des passages précieux. Ils ont intentionnellement inséré tous les traits inconvenants, ce qui laisse une impression d'ensemble inexacte. Ils ont modernisé le style et traduit les paroles du Dauphin tandis que le médecin a transcrit phonétiquement les propos de l'enfant, ce qui donne une sensation plus vivante. Nous avons repris ces manuscrits et recueilli pour les années de 1600 à 1607 — le Dauphin a quatre ans, cinq ans, six ans — les renseignements négligés, et par conséquent inédits qui peuvent nous faire connaître ce qu'a été en son bas âge le Louis XIII de plus tard, celui que la tradition représente comme un personnage froid, muet, insensible, jouet docile de favoris changeants ou de ministres autoritaires[2]. Il n'est question moins connue que la psychologie de celui qui fut le plus modeste et peut-être le plus digne de tous les rois Bourbons. Il n'en est pas de plus intéressante.

 

Le dauphin et ses frères et sœurs, légitimes ou non, — ces derniers plus nombreux que les autres — habitent ensemble le vieux château de Saint-Germain[3]. Le roi et la reine les y ont mis au grand air et viennent voir de temps en temps comment ils vont. Le château est à peu près extérieurement ce qu'il est aujourd'hui. Les entours sont différents. Une basse-cour des offices encadrée de communs s'étend du côté de la place actuelle. Un grand jardin clos de murs sépare de la forêt. C'est un jardin de ce temps, aux lignes droites, aux petites haies de buis, avec des noms qui reviennent souvent : l'allée des cyprès, l'allée des jasmins, l'allée des palissades[4]. On va rarement à la forêt, dénommée le parc, qui fait l'effet d'un endroit sauvage et en friche. Du côté de la Seine une avenue pavée partant d'un pont jeté sur les fossés, au bout de la chapelle, conduit au château neuf de Saint-Germain qu'on est en train de construire sur le haut de la colline[5] et dont les terrasses descendantes abritent des grottes à effet d'eau. A droite de cette avenue le Palemail, petit bâtiment où se joue matin et soir avec une répétition qui doit être insipide au dauphin, le jeu illustre et populaire du mail[6].

Dans l'intérieur du château, dont le service est assuré par une compagnie de gardes françaises occupant à droite les vieux corps de garde voûtés, le dauphin habite le premier étage de la partie qui regarde vers l'Est, dans la direction du Mont-Valérien. C'est l'appartement du roi. Il comprend quatre à cinq pièces en enfilade, hautes, à plafonds de poutres apparentes, munies de grandes cheminées et éclairées des deux côtés : l'antichambre d'abord où l'enfant prend communément ses repas ; la salle, où il se tient quand il reçoit, fait jouer des instruments et chanter des chœurs ; la chambre ensuite, la chambre du roi, ornée d'une balustrade : un lapis d'Orient cache le carrelage de brique ; sur les murs de grandes tapisseries anciennes couvrent et ornent ; aux fenêtres des custodes de sarge — ou de serge — garantissent des rayons du soleil ; les portraits du roi et de la reine, grands portraits en pied, dominent le tout ; le grand lit à colonnes où couche le prince, puis trois autres lits autour, ceux de la gouvernante madame de Monglat, mamanga[7], de la nourrice, la femme Boquet, doundoun, et d'une femme de chambre ; des fauteuils, des escabelles de velours, qui se ploient, une chaise basse pour l'enfant, des tables. Après quoi le cabinet du roi, et une tourelle formant une petite pièce[8].

Le personnel est logé au second. M. Héroard a une chambre à coucher et un cabinet de travail, une étude, dans laquelle le dauphin vient souvent regarder les images de quelque grand livre, ou s'amuser, de la fenêtre, à héler les passants, à jeter en bas, quand il boit du bouillon, le demeurant, à envoyer aux petits garçons du pays qui courent, jouent et sautent de grands blancs attachés à une pierre. Doundoun a sa chambre à côté. Le reste est de-ci, de-là.

Il est nombreux, ce personnel, une vingtaine de gens pour le service particulier du prince : des femmes de chambre ; une remueuse ; le valet Je chambre qui le porte, Birat, et que le dauphin appelle mon valet ; l'huissier de salle, M. Rabouin ; le suisse ; un portefaix ; un page ; un joueur de luth ; un violoneux ; un lavandier ; l'apothicaire, M. Guérin ; le sommelier, M. Gilles, que l'enfant nomme familièrement Pelé parce qu'il est chauve. Nous ne parlons pas de l'aumônier, messire Robert, et des filles de madame de Monglat, mesdames de Vitry et de Saint-Georges[9].

 

Le petit dauphin se réveille le matin entre sept et huit heures. Il se fait quelquefois porter dans le lit de sa nourrice, plus souvent dans celui de madame de Monglat, doundoun ayant la mauvaise habitude de se parfumer de safran ce que l'enfant déteste :

I sen bon en vote li, mamanga, déclare-t-il à sa gouvernante ; i sen la poudre de violete. I pu au li de doundoun !

Il s'assied sur son séant, et joue. Ses jouets sont variés : un petit ménage d'argent avec lequel il fait la cuisine, une petite galère équipée et montée de bonshommes en carton, un cerf de marbre, une grenouille mécanique, un sifflet d'ivoire[10]. Sur les huit heures et demie neuf heures, on remplace sa robe de nuit par un manteau ou une robe de chambre fourrée incarnat[11], on lui passe des pantoufles et la toilette commence : elle est longue et pénible ; il faut le vêtir et le peigner à bâtons rompus, lentement, pendant qu'il va et s'agite. Il court d'un bout de la chambre à l'autre, du portrait d'Henri IV à celui de Marie de Médicis, disant à chacun, avec une révérence, bon jou, papa, bon jou, maman, et à chacun faisant un petit saut.

Entre neuf heures et neuf heures et demie il déjeune ; son menu comprend du bouillon, des œufs à la coque, des pommes cuites ou des cerises[12]. Puis la messe, tous les jours, dite par l’aumônier, M. Robert, et servie par le petit Dumont, clerc de chapelle[13]. Le dauphin y assiste sur un carreau ou coussin. Il n'y est pas patient ; il remue, parle tout haut, imite le son de la clochette quand celle-ci sonne : drlo drlo drlo et fait des réflexions. L'aumônier vient dire l'évangile sur lui ; il refuse souvent de se lever. Dans le courant de l'office, le petit Dumont lui apporte la paix à baiser. Le prince n'est pas édifiant en assistant à ce qu'il appelle la mèche.

La cérémonie achevée, on le mène, quand il fait beau, se promener avec un parasol s'il y a du soleil, au jardin[14]. Les allées de cyprès sont pleines de fleurs, de violettes que le prince est aspre à cueillir : il se joue à remuer de la terre avec sa paile, en faict un chasteau. Le plus fréquemment, presque chaque jour, on le conduit au palemail dont il joue perpétuellement. La promenade parfois s'allonge ; on va au château neuf regarder les ouvriers qui construisent ; on descend dans les grottes, surtout celle de Mercure, où un jeu aménagé par Francine permet, en tournant un robinet, de couvrir d'eau inopinément les gens qui sont là. Le dauphin s'amuse à cette plaisanterie[15].

Les sorties ne sont guère plus lointaines. Une fois en six mois on se rend au Pec par le bac, voir une garenne où l'enfant se distrait à regarder des lapins. Rarement on va en forêt, une fois en carrosse ; on le déplace peu[16].

Quand il pleut, il faut s'enfermer dans la salle de bal, — une belle salle datant de François Ier, encore subsistante mais délabrée, située entre la chapelle et la grande porte, — demeurer dans les galeries, monter chez M. Héroard, chez la nourrice, rester dans la chambre. Une distraction est de grimper jusqu'à l'horologe pour la voir sonner, ou de gagner le toit : ho qu'il fait beau ici, dit l'enfant devant la vue immense.

L'heure du dîner, ainsi qu'on désigne le second repas, est irrégulière, midi, une heure, une heure et demie. Peu de variété de menu : du potage, du hachis de chapon bouilli, de la moelle de veau, dont l'enfant raffole ; — il en mange tous les jours avec une cuiller ; il tire d'un os qu'on lui sert ; — du lapereau ; du poulet bouilli ; du chapon rôti ; du gras de jarret de veau et des tendons particulièrement préférés ; de temps en temps une salade de fleurs de violette et de buglosse avec tant soit peu d'huile, sucre et vinaigre. Le dauphin l'aime tant qu'il voudrait qu'on m'en fasse tou lé jou.

En guise de boisson, très peu de vin, fort étendu d'un breuvage particulier qui paraît être une décoction de racine d'oseille et de chiendent, l'eau d'ozeille du dauphin.

Le repas terminé, messire Robert, l'aumônier, dit Agimus, gâches à Dieu, traduit l'enfant, après qu'on a lavé proprement les doigts, ce que M. Héroard désigne de la formule écourtée mains nettes ; puis on reprend les jeux ou les promenades.

Vers deux heures et demie a lieu le goûter. Il se compose de cerises ou de poires confîtes, de pain, un gros quignon, d'une ou deux tranches de massepain.

De nouveau on retourne au jardin, au palemail, au bâtiment neuf. A six heures, six heures et demie, le souper, qui comprend très uniformément une panade, un hachis de chapon bouilli, du poulet bouilli, un aileron ou du rôti avec des cerises confites et une tranche de massepain[17]. Après souper, s'il fait jour, on retourne au jardin ; de temps en temps on monte à cheval.

Le coucher a lieu à huit heures. L'exempt des gardes vient prendre le mot que le dauphin donne au hasard.

Madame de Monglat fait dire la prière que Jean Héroard nous a conservée telle qu'il l'entend réciter tous les soirs par l'enfant : le prince dict Notre Père, etc., Je crois en Dieu, etc., promptement et sans y faillir ; puis pour terminer ceci qui a été composé exprès : Dieu doint (donne) bonne vie à papa, à maman, à sœu sœu (sa petite sœur), à moucheu dauphin (c'est lui-même), à me face la gace d'ète home de bien époin opiniate ; à me doint s'amou (son amour), sa gace et sa bénédicion. In nomine pati e filii e piritu santo. Amen.

Le dialogue suivant se reproduit avec fréquence : l'enfant est couché, ses yeux se ferment de sommeil ; madame de Monglat dit :

Monsieur, vous n'avez pas prié Dieu.

Hé, mamanga, ce sera pou demain, laissé moy domi.

Monsieur, dites seulement : Dieu doint bonne vie à papa, à maman, etc.

Avant qu'il s'endorme, on lui fait chaque soir manger un peu de confiture de rose à laquelle peut-être on attribue quelque valeur soporative.

Si cela ne suffit pas, on chaule, ou bien on use du bizarre moyen de tapoter doucement l'enfant à la tête, aux épaules, et ailleurs. Le dauphin s'endort les bras sous son chevet.

 

Et la même existence reprend le lendemain, sans incident, sans variété, avec les mêmes promenades au jardin, les mêmes séances au palemail. Le village — ainsi appelle-t-on Saint-Germain — offre peu de ressources[18]. Des marchands ambulants, le plus souvent des merciers, entrent parfois dans la cour du château ; on montre à l'enfant leurs étalages et on achète quelque marchandise. Les processions de la paroisse sont matières à distraction, on va les voir de la chambre de la sœur, petite madame, qui est du côté du bourg. Il vient des mendiants ; ils sont désignés du nom générique « d'irlandais », vagabonds loqueteux auxquels on donne l'aumône mais qu'on écarte, à moins qu'ils ne jouent des instruments, car alors on les fait monter dans les appartements pour écouler leur répertoire. Le dauphin est passionné de musique, bonne ou mauvaise, et entend tout avec bonheur. Enfin il y a les ouvriers qui travaillent au château neuf, charpentiers, maçons : on va les voir à l'œuvre. L'un d’entre eux est efficacement utilisé pour effrayer l'enfant quand celui-ci n'est pas sage : Bongars le maçon. Il doit avoir quelque aspect herculéen, une laideur hirsute ou la voix effrayante ; il est le seul dont le nom épouvante moucheu dauphin. Une fois que celui-ci tempête une demi-heure durant ne voulant pas aller à la messe, Bongars mandé arrive et tonitrue : Allez à la messe ou je vous emporteray ! Il y alla soudain en murmurant un peu blême : Je ne serai pu opiniate[19].

Quelques rares visites du dehors. Des personnages viennent voir le fils du roi, contempler avec une déférence émue leur futur souverain. On a des formes respectueuses. Tout le monde doit l'appeler Monsieur simplement, et il est le seul qu'on désigne de la sorte. Les visites sont tenues, quelles qu'elles soient, à un cérémonial : on se découvre devant l'enfant, et on s'incline ; lui, donne sa main à baiser[20]. M. de Montmorency, un jour, se trouvant là au moment de son repas, le servit à table et lui tint la serviette, fonction de cour très noble. Ces formes n'empêcheront pas d'ailleurs le bonhomme de recevoir le fouet.

Il n'a pas été question d'étude dans cet emploi de sa journée. Il n'en est pas question dans le journal d'Héroard. Une fois, en juin 1606, le dauphin entend dire que son frère naturel, M. le chevalier, second fils de Gabrielle d'Estrées, travaille : Je veux aussi, dit-il soudain, allé à l'échole. Donné moi mon équipage. — C'estoit un escriptoire en forme de cassette où estoit son papier, sa plume et son encre. — Il va en la chambre de M. le chevalier, où estoit l'eschole. Il escript un peu, en fait autant à ses lettres, s'en lasse incontinent. Il doit avoir les premières notions des rudiments. On ne l'instruit pas régulièrement[21]. Le futur gouverneur, M. de Souvré, marquis de Courtanvaux, seigneur très accompli, puis les précepteurs, Vauquelin des Yveteaux, poète léger et trop inconséquent, surtout le vénérable et savant Nicolas Lefèvre, au moment venu, se chargeront de ce soin.

Mais il aime à griffonner ; il s'essaie à des vignettes informes que Jean Héroard a conservées avec une attention pieuse et qu'on retrouve intercalées dans son manuscrit à leur date, comme des reliques curieuses, caricatures souvent, satires anodines contre les gens de l'entourage, que, pour plus de clarté, le médecin explique en ajoutant à la main la légende, ainsi que la désignation des personnes. Louis XIII sera plus tard un artiste de goût, dessinant, faisant de l'aquarelle[22] ; ainsi qu'il sera un musicien passionné et même un compositeur intéressant.

 

Actif, ardent, robuste en toutes ses actions, fort de corps, fort d'esprit, le dauphin, dit Héroard, ne peut durer en place. Il est grand, hardy, tout viril. Il coigne, remue, saulte, court... Il est impérieux... toujours en action, l'œil et l'aureille partout[23]... Il a une voix merveilleusement forte et sèche. Il est en gaieté continuelle, chantant, dansant, plaisantant. Le médecin écrit presque chaque soir, pour clore : fort gai. Après souper, l'enfant donne le bonsoir à chacun en chantant ; il chante au lit. Quand il se réveille au milieu de la nuit, il demande de la bougie, chantonne et s'amuse. Il mange en se promenant, en saultant ; chante en mangeant.... Il est toujours frétillant, mouvant, hardi, se jouant gaiement, allant, venant, fripon, railleur.

Il glose et fait des chansons sur tout. Il prend tout sur le ton gai.

Il demande à mademoiselle de Ventelet :

Tétai, où a-t-on pote ceste mèche (messe) noire qui été à la chapelle ?

Il s'agit du mobilier funèbre qui avait servi à dire une messe de requiem pour le repos de l'âme du roi Henri III.

Monsieur, on l'a raportée à Paris.

Pouquoi est-elle noire ?

Monsieur, c'est pour prier Dieu pour le feu roi. Vous devés bien prier Dieu pour lui et faire des gambades.

Pouquoi ?

Monsieur, pour ce que vous ne seriez pas ce que vous estes.

Que que j'eusse esté ?

Vous n'eussiez esté rien.

Pouquoi ?

Monsieur, pour ce que papa ne se fût pas marié et vous n'eussiez pas esté au monde.

J'eusse esté rien ?

Non, monsieur, vous n'eussiez rien esté.

Je m'en va donc faire une gambade.

Et se prend à saulter et à gambader.

En véla encore une aute.

Avec une grande gaieté et disposition.

Il sait beaucoup de chansons. Il en sait de simples et de plus compliquées aussi que le ture-lututu chapeau pointu qu'il répète souvent. Il en est qu'il affectionne : Quand je remue tout branle... Robin s’en va à Tours acheter du velours... La belle est sur la mule... Les Gascons dont Henri IV a rempli les compagnies de ses gardes lui en apprennent, dans leur patois du midi : le prince chantonne le refrain : Miquele se voou marida...

Chose singulière, avec cette grande gaieté, il n'est pas rieur pour rire souvent au moins[24]. Le médecin note ses éclats de rire comme des phénomènes rares. Ce sont par surcroît des rires à pleins poumons, très haut, à voix forte, que le médecin caractérise : des gros rires d'hostellier. Lorsque l'accès prend au prince, Jean Héroard note que cela est contre son naturel, car il n'est pas grand rieur.

Sa gaieté naturelle ne se traduit pas seulement par les nombreuses chansons qu'il chante ou qu'il fait chanter — tel cet huissier de salle auquel il fait exécuter des noëls plusieurs heures durant, — il danse perpétuellement. Il sait la bourrée, la bergamasque, les branles, la sarabande[25]. Il danse la sarabande avec des osselets ou des castagnettes qu'il fait cliquer. C'est sa joie, cette agitation, ce trémoussement du corps ; il s'y porte avec impétuosité et passion. Il est remarquablement vivant. Le dauphin aimoit fort le jeu et goustoit le plaisir, le goustoit et le ressentoit avec exclamation.

Il possède un petit carrosse vert, carrosse tout petit qu'on traîne à bras dans les appartements et dans lequel il se promène. Certaine poupée appelée Cupidon l'amuse ; il la malmène. Une fois, il se rend dans la chambre de sa petite sœur, lui prend sa poupée d'un bras et lui dit de saisir l'autre bras : Madame, tené pa là. Et se prennent tous deux à brandiller ung peu vivement cette poupine. Il estoit rude joueur. Les jouets le divertissent. Il exprime le désir d'acheter à la foire de Saint-Germain de ces famés qui bâtent leu mari avé un mateau su la tête : chaq, chaq ; elles les couignent bien. Il a du goût pour les quilles ; il en joue à la pirouette et la tourne fort dextrement. Il estoit adroit à tout dès la première fois qu'il faisoit quelque chose. Les galets le ravissent ; il les manie vigoureusement, ajustant loin de six pas. Mais le palemail, le continuel palemail où il se rend matin et soir, par beau temps et par pluie, occupe dans son existence la place prépondérante. Il y est expert. Une fois il est si furieux de manquer ses coups, qu'il veut attribuer son humiliation à des gants neufs qu'il met pour la première fois.

 

Ce qu'il aime par-dessus tout, ce sont les armes[26]. Il tire bien de l'arc. Il affectionne les armes à feu. Il a des arquebuses en nombre, toutes les variétés : à rouet, en bois, à serpentin, à mèche ; il les porte à la manière des soldats, sur le cou ; il les manie habilement, tire aux corneilles pour s'exercer, et quand il n'y a pas de corneilles, que quelque malheureux cheval paît tranquillement dans un pré, il l'ajuste de sa fenêtre, et le fouette de sa décharge de plomb. Il a aussi des piques ; il en fait parfaitement l'exercice, criant les commandements : Tenez vos piques en terre !Piques hautes ! etc. Le maniement de l'arme n'a pas de secret pour lui : il est bon piquier, comme il est bon mousquetaire.

C'est un soldat dans l'âme ; il adore le métier. Exercices, cris, gestes, tout lui est familier. Il n'est pas une batterie de tambour qu'il ne connaisse[27] avec les paroles mises dessus par les troupiers : Pren ton cazaquin ; pren ton cazaquin !... Si vous y vené ; si vous y vené !... Allons-nous-en tô ; allons-nous-en tô ! cadences amusantes où l'on reconnaît sans peine l'appel aux armes, la mise en bataille et la retraite. Le bruit que fait le tambour lorsque les soldats entrent en garde, — véla qui ente en gade — est une onomatopée revenant perpétuellement sur les lèvres de l’enfant : palalapatoun, prelaprelatoun, prretatatatoun. De temps en temps il fait venir un tambour sous ses fenêtres et exécuter les batteries, chamades, champs et marches. Si Henri IV est au château et sur le point de sortir, l'enfant court au tambour de la compagnie suspendu après le pilier du portique, le décroche et bat le rassemblement disant : Véci le roy qui va passé. Pour un oui ou pour un non, il va en la court, s'amuse à battre le gros tambour de la compagnie.

Il joue à la guerre ; il y joue à l'accoutumée ; c'estoit ung service qui lui plaisoit fort et auquel il estoit fort adroit et à tout exercice de ceste sorte. Cent fois par jour il imite le bruit de la décharge du mousquet pautauouou. Tantôt il choisit pour soldats de grands tuyaux de chaulme pris des paillasses vuidées et qu'il dit être des piquiers ; tantôt il recrute les enfants disponibles du château et les incorpore dans une troupe improvisée[28]. Mais il joue aussi avec des soldats, de vrais, ceux du corps de garde. Il les fait sortir du poste, les range en bataille, les commande. Il cumule les fonctions de tambour et de chef. Il va devant eux, battant, après les avoir rassemblés et armés. Puis, la partie terminée, il les fait mettre en haie, bat une dernière fois, après quoi il dit : I fau allé au logis ; il jette la caisse sur son épaule : Je m'en va à mon logis. Et le futur roi, simple tambour, s'en va.

Ces soldats sont ses bons amis. La compagnie chargée du service du château est la 20e du régiment des gardes françaises, forte de 120 hommes et commandée par le capitaine de Mansan, qui a pour lieutenant M. de Belmont, pour enseigne M. de Crissy, pour maréchal des logis M. d'Oinville[29]. Mais le prince s'occupe peu des officiers qu'il ne fréquente pas. Il raffole des hommes. Ce sont de braves garçons, joviaux, plaisants, avec lesquels il en use sur un ton de familiarité divertissante. Quand il vient au corps de garde, les soldats s'assemblent autour de lui et il s'amuse à railler avec eux. Ceux-ci lui en content comme ils font entre eux. Le prince les mène dans sa chambre, leur fait dire des histoires, joue avec eux à burlurette, à frape-main, qui doit être la main chaude, à votre place me plaist. Il se familiarisoit de son mouvement avec les soldats plustost qu'avec tout autre sorte de personnes, faisant de pair et compagnon avec eux. Il y en a un surtout qu'il préfère, Descluseaux ; il l'appelle son mignon ; c'est un bon garçon très gai et très dévoué. A Fontainebleau, un jour, voyant le régiment entier sous les armes dans la cour, le dauphin apercevra Descluseaux et lui fera l'honneur de le faire sortir du rang. On retrouvera Descluseaux auprès de Louis XIII encore dix ou douze ans plus tard, toujours fidèle et dévoué[30]. Il en aime d'autres encore. Des Gounes, et M. Pierre, le tambour, et Glède qui joue sur la mandore. C'est son bonheur de voir les soldats faire l'exercice dans la cour du château et de les regarder sans se lasser, puis de les faire tous tirer l'un après l'autre, mousquetaires et arquebusiers, ou bien assis sur le giron de l'ung d'entre eux, d'écouter leurs facéties.

Tout ceci ne supprime rien du cérémonial ; les gardes, sitôt que le prince sort, s'assemblent au son du tambour et portent les armes avec la rectitude requise. Le petit prince allant et venant beaucoup dans la cour leur donne souvent de fausses alarmes. Lorsque le tambour bat indûment l'enfant crie : Je veu pa soti, qu'on bate poin ; ce que je me joue.

 

Il a un autre ami, au corps de garde, c'est le chien, le chien du corps de garde. Le dauphin adore les chiens[31] ; il en a tout une petite meute ; il les embrasse, les caresse, se laisse lécher par eux, joue avec eux. Cavalon est son préféré, il a les honneurs de l'appellation de premier chien. Puis, dans l'ordre des affections, vient Isabelle ; l'enfant la prend dans son lit et la fait coucher sur ses pieds. Tout bien compté, on trouve une dizaine de bêtes traînant autour de lui, aboyant, gambadant : Oriane, Barbichet, Lionnet, Patelot, Grisette, Patault, Robin, Léonide ou Matelot.

Il aime passionnément tout ce qu'il aime. La musique surtout provoque chez lui une joie et des ravissements étranges. Il l'entend avec transport, dit Héroard, demeurant hébété, stupide de plaisir. On envoie quelquefois à Saint-Germain la musique de la Reine pour le grand bonheur du dauphin[32], quatre luths et des voix de petits enfants. Il écoute, l'après-midi entière, avec un contentement désordonné. On soupe. Il fait mettre la musique devant lui. Meté vous là, devan moi, joué Mes belles amourettes. Héroard observe : Il escoute en mangeant avec le même ravissement : il sembloit immobile.

Va-t-il chez madame de Frontenac et joue-t-on du clavecin ? Il demeure sans bouger, ne perdant rien, capable d'une attention prolongée et soutenue. Il aime tous les instruments, ceux des salons et aussi le modeste flageolet ou le violon usé que de pauvres vagabonds en guenilles viennent faire entendre, Dieu sait comme, pour quelque menue monnaie d'aumône.

Le soir, chanter est un des moyens d'endormir l'enfant. Sa nourrice entonne. Il l'interrompt : Doundoun, chanté : L’amour a quitté lé cieu. Elle chante, il s'endort doucement quelquefois en chantonnant lui-même.

 

Le Dauphin a l'intelligence avisée et vive.

Il ne feust jamais veu personne, assure son bon médecin, avoir les cinq sens si exacts, ni le jugement[33]. Il veut tout savoir, les noms et les raisons des choses. Il comprend vite et bien. Surtout il n'est pas naïf, s'aperçoit promptement qu'on lui conte quelque histoire et refuse d'y ajouter foi. Les plaisanteries ne le laissent point dupe. Si, pour l'empêcher d'aller au bâtiment neuf parce qu'il fait trop chaud, M. Héroard imagine de lui dire que la chaleur est telle qu'une terrasse s'est fondue, il riposte :

Ho ! ce que vou me le voulé faire crére afin que j'y aile pa !

Madame de Ventelet dit-elle au sommelier : Pelé, faictes chauffer le vin de Monsieur. Ce vin est la décoction d'oseille. Le dauphin hoche la tête :

Ho ! à ché de la tisane, che né pa du vin, vou me trompé[34].

Il a des réparties. De la galerie, il tire l'arquebuse sur quelque oiseau qui passe : pautauouou, fait-il, et le manque. L'évêque d'Avranches[35] présent s'exclame : Monsieur, vous avez tué l'oiseau. — Oui, répond l'autre, mais la plume l'empote. Un matin, vers neuf heures on vient dire que Madame, la petite sœur, dort encore. Il observe : Hé ! il é encore nui au fenête de Madame !

Sa mémoire est excellente. Il se souvient avec précision même de détails assez petits et dont on lui a parlé il y a longtemps.

Au fond, il est sérieux et appliqué. Il a du goût pour les œuvres demandant quelque effort et un effort prolongé, même laborieux, dans le domaine physique, encore, s'entend. Il aimoit toujours, écrit Héroard, à faire les choses où il y avoit de la peine. C'est le présage de ce que sera le roi de plus tard, administrateur consciencieux et exact, annotant les rapports, réglant les minuties des vivres, habillements, soldes et garnisons des troupes.

Il est sincère et franc. Quand on lui pose une question dont il ignore la réponse, il ne fait pas difficulté d'avouer : Je sais pas pouquoi à ce. Il avoit cela de particulier de ne dissimuler point ce qu'il ne scavoit point, le confesser franchement et désirer de scavoir et ne vouloir dire une chose qui ne fus point, ou une pour autre.

 

Mais voici un singulier contraste entre Louis XIII et Henri IV. Autant le père est libre jusqu'à l'indécence, franc d'allure et de propos — sans parler de la conduite — autant le dauphin éprouve un insurmontable dégoûta l'égard de toute dérogation à une sorte d'idéal de tenue étroite et sévère. Son instinct, remarquable sur ce point, est plus fort que l'éducation — car Dieu sait si son monde se gêne autour de lui ! — il est plus fort que l'amour qu'il ressent pour Henri IV, son admiration pour lui, sa passion de l'imiter. Le petit prince rougit au moindre propos osé. Il ne veut pas qu'on lui dise qu'il est amoureux de qui que ce soit, cela le pique : Oh non, dite pas cela, proteste-t-il vivement en rougissant avec honte. La duchesse de Rohan avance : Monsieur, baisez moi !Je baise poin de femmes, réplique l'enfant avec humeur, je baise que dé filles. Filles ou femmes, il n'aime pas plus embrasser les unes que les autres. Lorsqu'on veut le contraindre, il rechigne, entre en méchante humeur ou devient rouge d'embarras. Si la fille de madame de Monglat se penche vers lui pour lui parler, en réalité pour l'embrasser, il manifeste sa colère jusqu'à lever la main[36].

On se divertit dans son entourage à lui dire des choses que nous trouvons aujourd'hui crues. Elles l'étaient sans doute aussi un peu en ce temps-là ; au moins le prince en juge de la sorte. Il sait répliquer quand on lui tient des propos de ce genre : fi la vilaine ! ou cela n'est pas bien ! Si on veut les lui faire répéter, il refuse : Je le veu pas dire. Il lui arrive bien cependant de s'oublier parfois. On rit beaucoup quand on le prend sur le fait. Il demeure penaud et explique avec embarras que c'est un tel ou une telle qui lui a appris l'expression inattendue.

Il est affectueux à l'égard de ceux qui l'aiment bien et le traitent sans brusquerie, poly, doux, aimable, fort gentil[37], aumônier et bienfaisant. Sa bonté est touchante. Il donne atout le monde de ce qu'il mange et qu'il trouve bon. Si par mégarde il fait mal à quelqu'un il est malheureux à en pleurer. Tel, cette fois où il laisse choir un escabeau sur le pied de M. Héroard et poursuit celui-ci les larmes aux yeux : Moucheu Eroua, tené de l'onguent !

Le médecin raconte qu'il a manqué de tomber dans la chambre du dauphin. Il y a des trous ; il manque des briques au parquet ; d'autres sont branlantes ; bizarre état d'entretien du logis où habite le fils aîné du roi de France[38] ! L'enfant se met à l'œuvre, enlève, ajuste, bouche : Moucheu Eroua, vou tomberé pu, j'ai raconté ce trou ; j'ai mis un quarreau. En véla un bien juste. C'ti là été pas bon.

Madame de Monglat se plaint de coliques. Le médecin lui conseille de boire du vin, que cela y est bon.

Mamanga, fait l'enfant, si vous voulé, je vous donnerai de mon vin.

Monsieur, dit Héroard, il fault du vin rouge.

J'en ai aussi du vin rouge.

Il fault qu'il soit vieil.

J'en ai en mon office. Pelé, allé enquéri de mon vin rouge qui se vieil, pour maman ; allé vite, coure !

Que ne ferait-il pour être aimable[39] ? Mamanga, dit-il un soir, vous n'auré point de peine à me déshabillé, je n'ai point de lasset. Je n'ai mis que ma cote pour amou que vous n'eussié pu tant de peine. Mamanga, je fai bien tout ce que vous voulé. Mamanga, si vous m'eussié commandé de pande ma robe, je l'eusse pise, mais vou l'avé pa di.

Serviable, il sait tenir à sa gouvernante ung petit escheveau de fil blanc sur ses deux poignets que madame de Monglat dévide, advance l'ung, puis l'autre pour s'accomoder à la comodité de Mamanga.

S'il rencontre des mendiants, il veut qu'on leur donne. Il s'arreste pour fouiller dans sa gibecière, pour en tirer des sols à donner aux pauvres qu'il aimoit.

Très souvent, il fait délivrer de prison quelque soldat de sa garde qu'on y a mis pour des peccadilles[40].

Aussi est-il aimé, très aimé de son entourage. Tel, comme sa nourrice, l'embrasse éperdument à tout propos, malgré lui. Une fois que les caresses n'en finissent plus, il se prend à chanter : Héla, je ne suis pas morte, vou me baisé to souvent, sans doute un refrain d'air connu du temps.

 

De tous ceux qui l'aiment, nul ne lui témoigne une affection plus vivement cordiale qu'Henri IV. C'est le père que la tradition a consacré, bon enfant, spirituel, plein de cœur et de tendresse, bon papa, dans l’acception la plus bourgeoise du mot.

L'enfant l'adore d'un sentiment fait de passion, de respect, de crainte et d'admiration. Il parle tous les jours de lui. Quand quelqu'un est sur le point de partir il lui dit : Vous allé à Paris, dites à papa que je suis son serviteu. Il suffit qu'on prononce le nom du roi pour qu'il obéisse sans murmurer.

Monsieur, voulez-vous retourner au Château neuf ?

Non.

Mais papa le veult.

Si papa le veu, je le veu bien !

Le dict gaiement comme en tout ce qui estoit du roy.

Présent, le roi est obéi avec plus d'empressement encore. Le dauphin ne voudrait jamais le quitter. Il multiplie, quand il lui parle, les formules de respect : excusez-moi ou s'il vous plaît qui reviennent à tout instant. Il recoignoist et fait tout ce qu'il peut pour complaire au roy. On se promène en groupe, au mois de novembre, dans le jardin de Fontainebleau, Henri IV, le dauphin, d'autres. Il souffle un vent glacial. Madame de Monglat dit :

Monsieur, il fait froid, allons-nous-en.

Je veu pa, répond l'enfant.

Le roi qui l'a entendu se retourne :

Et si je le veulx ?

Je le veu bien.

Dict promptement et gaiement.

Dès qu'on annonce l'arrivée de Henri IV à Saint-Germain, ce sont des joies et des gambades sans nombre. Le dauphin court au-devant de son père, lui saute au col, le couvre de baisers, rendus d'ailleurs avec abondance[41]. Sa tendresse est touchante. Le roi s'installe au bâtiment neuf et on lui amène son fils à des heures prescrites. Ces heures sont des fêtes. Le roi s'amuse avec l'enfant, le fait manger à sa table, le taquine : l'enfant qui ne supporterait de personne ces petites méchancetés se mord les lèvres pour ne pas pleurer et ne dit rien. Une fois, seulement, il éclate en sanglots : le roi lui soutient qu'il est vilain et non pas gentilhomme. Il fallut l'emporter et Henri IV avoua être fâché de son mot.

Les plaisanteries du père ne sont pas toujours raffinées :

Mon fils, vous êtes un petit veau.

E vou aussi, papa.

L'enfant est convaincu que, fils de roi, il est de même essence que son père.

Je suis un toreau, reprend Henri IV.

E maman ? interroge le petit bonhomme. Il n'eut pas de réponse.

Le respect elle dévouement du dauphin pour le roi sont infinis. Entre-t-il dans le cabinet du prince tapant du tambour à tour de bras et aperçoit-il son père à une table en train d'écrire, il s'arrête brusquement tout surpris et inquiet de le déranger.

Un jour le roi vient jaser dans la chambre de l'enfant et rire avec lui. Mais il est visiblement fatigué ; ses yeux battent, la conversation languit, le regard se voile. Malgré les efforts du dauphin pour l'entretenir de tout ce qu'il peut, Henri IV sommeille.

Mon fils, dit-il tout à coup, voulés-vous bien que je me couche sur votre lict ?

Oui, papa, fait vivement et gracieusement le petit prince ; et le voilà qui se dirige vers le grand lit à courtines écartant de la main les gens qui sont là : Gare, gare, place ! Il conduit le roi, et après que celui-ci est couché, tire les rideaux soigneusement, fait chut pour qu'on ne trouble pas le repos de papa.

Papa le fait appeler au château neuf à la première heure. Lorsque la goutte l'oblige à garder le lit, sa fantaisie est de faire coucher son fils tout près de lui afin de jouer. Nous passons des détails qui témoignent chez le meilleur et le plus charmant des anciens rois une surprenante absence de tact dans ses gestes et dans ses propos[42].

Les départs du père sont de gros chagrins de la vie de l'enfant. On est obligé souvent de les lui cacher. Lorsque le roi lui dit adieu, l'embrassant mille et mille fois, le pauvre petit dauphin est tout interdit d'émotion et pâle. Il éclate en sanglots dès qu'après le mot jeté au cocher : Touchez, carrossier ! la lourde voiture royale a disparu.

Les relations du fils avec la mère sont bien différentes. Marie de Médicis apparaît dans le journal d'Héroard, froide, sèche, dédaigneuse. C'est bien l'Italienne que donnent les admirables médailles de Dupré, hautaine, sans grande intelligence et antipathique. Elle passe de loin en loin comme une ombre, s'abaissant à peine sur ses enfants pour les baiser au front, le regard distrait, le cœur absent. Elle parle à peine.

Les enfants ne l'aiment pas, ils la respectent et la craignent. Le dauphin redoute son air imposant, son autorité, qu'elle fait sentir d'un ton cassant et sans réplique. Il la voit venir sans plaisir et la quitte sans regret. Il l'avoue froidement. Avec elle les accès de colère sont brefs parce qu'elle y met ordre.

Marie de Médicis n'est pas aimée parce qu'elle n'aime pas. Plus lard Louis XIII professera pour elle, par devoir divin et naturel, ainsi qu'il le répétera, des sentiments filiaux que le cœur de la mère n'a pas su inspirer. Créature brouillonne, vaniteuse, désordonnée, toujours prête à mettre inintelligemment le désordre dans l'Etat, celle-ci trouvera cependant dans l'attitude du roi son fils, respectueux mais inflexible, plutôt l'effet immédiat de la propre conduite et des sentiments droits du prince que le résultat d'une éducation plus ou moins bien comprise[43].

 

L'affection du dauphin pour la petite sœur, Madame[44], est gentille, câline, charmante, pleine d'attention et de protection. Il aime à la regarder, il la prend par le menton, l'embrasse sur la bouche, la contemple. Il veut qu'on la lui apporte dans son lit le matin. Sitôt qu'il la sait éveillée, il veut l'avoir :

Tené, véla sa place.

Il se recule. Il lui tarde qu'on la lui apporte :

Elle a bien long tem !

La voilà ! Il est plein de joie, la faict mettre à son costé, la baise doucement, craint de la blesser, observe toutes ses actions.

Voié, voié, a veu palé ; a me regarde !

Il estoit tout transporté d'aise... Il n'est pas croiable les caresses qu'il lui fait. Il l'accolle. Il la baise, la teste couchée sur le traversin. Il se joue du bout des doigts feignant de se vouloir piquer.

Une fois on décide que Madame ira dîner dans sa chambre parce qu'elle s'est trouvée un peu mal. Il la prend doucement par la main :

— Vené, madame, allon en vote chambe pou vou faire diné : c'est ma petite femme.

Il lui sert de gentilhomme servant, met la serviète sur l'espaule, faict les essais des viandes, mange le bout des essais, change les assiètes, va quérir à boire, faict les cérémonies et toutes les fonctions, fort gentillement, d'un gentilhomme servant, sans en faillir d'une. Surtout il se plaist à donner à boire, en presse Madame :

Madame, voulé pa boire un peti ?

Au fond, la pauvre fillette a un peu peur de ce grand frère ; elle tremble près de lui ; elle le sait par ailleurs assez volontaire, et lorsque l'humeur se manifeste, elle se tait et de grosses larmes coulent sur ses joues. Quand on veut la retirer alors du lit du dauphin on raconte à celui-ci qu'elle va s'y oublier, et on dit les choses tout crûment.

 

Gaston, le futur duc d'Orléans, celui dont la conduite agitée sera pour Louis XIII le sujet de perpétuels ennuis, n'est pas encore né ; il va naître[45] et le sentiment du prince à son endroit, avant sa venue, est curieux.

Je lui ai demandé, écrit Héroard, s'il aimeroit bien son frère que maman (attendait).

Oui.

Monsieur où le logerés-vous ?

A la chambre où j'été logé. I couchera avé moi.

Il le faudra bien aimer : ce sera votre bon frère et serviteur.

Ho non ! mon frère.

Il vous appellera Monsieur.

Ho non !

Monsieur, comment donc ?

Mon frère.

Il vous appellera Monsieur frère ?

Ho non ! mon frère.

Vous serés son petitmaistre et papa est le grand.

Ho non ! Papa sera son maite et je seré son frère.

Jamais il ne voulut parler autrement.

L'affligeant caractère de Gaston devait finir un jour par avoir raison de ces dispositions favorables du dauphin.

 

A l'égard du personnel qui le sert, moucheu dauphin est affectueux et bon[46]. Il aimoit fort les siens et estoit de naturel très débonnaire.

C'est certainement la nourrice, doundoun, qui est la préférée. L'enfant ne lui parle qu'en termes d'une tendresse excessive allant jusqu'au ridicule voulu.

Je vous aime bien, ma foie doundoun, dit-il en se jouant à elle, la baisant, l'accolant, je pance que je sui fou de vou, je sui fou de vou !... Je t'aime tant, doundoun, qu'il fau que je le tue, ma foie, mon chien, mon mignon. On éclate de rire autour de lui quand on l'entend parler de la sorte. Il assure, tout confus, que c'est la femme de chambre, Mercier, qui lui a appris ces belles expressions.

E, doundoun, quité votre ouvrage et baisé moi !

Un jour que la nourrice a disparu, personne ne sachant où elle est, il se met à pleurer à chaudes larmes : ha doundoun !et arrestant son cœur : hoooo ! Il lui répète souvent le refrain de quelque chanson connue du moment :

Baise moi belle,

Cependant nous avons loisi ![47]

Les sentiments pour madame de Monglat sont moins vifs[48]. Madame de Monglat a des principes sévères sur l’éducation et de bonnes intentions. Les résultats en sont médiocres. Apparemment afin de former le caractère du jeune prince, elle a adopté le système de le contredire en tout[49]. Le dauphin énervé finit par se regimber. Une fois que la gouvernante après avoir fortement gourmande menace de donner le fouet puis s'en va, l'enfant exaspéré prononce :

— Qu'a s'en aile, la laide ; je veu plu qu'a se ma gouvernante, je veu que ce se une aute qu'elle ![50]

Dans une autre occasion, voulant une chose quelconque, il la demande à madame de Monglat. Celle-ci refuse. Il insiste : il la flatte, la baise, l'embrasse :

Hé, mamanga !

Mamanga persiste ; alors l'enfant dépité et tournant le dos :

Fi, qu'elle à laide ; à n'a que deux dents ![51]

 

Jean Héroard, moucheu Eroua, est très aimé. L'enfant se plaît à monter dans le cabinet du médecin. Lorsque celui-ci s'absente, généralement pour aller à Paris, son retour est une fête. Le dauphin court au-devant de lui, lui saulte au collet, l'embrasse par deux fois. S'il tarde à revenir après plusieurs jours d'absence, ce sont des inquiétudes : Il se met aux fenestres, dict souvent :

Moucheu Eroua viendra aujoud’huy. Il m’appotera queuque chose de beau.

Il aperçoit ung carrosse :

Ha ha ! le vécy !

J'arrive en la court à cinq heures, écrit le médecin ; il descendoit en sa chambre. Je le rencontre entre les deux portes, me saulle au col :

Que m'appoté vous ?

Monsieur, je vous apporte ung petit arc et des flesches.

Voion lé !

Il en tressault de joie. Ma femme lui apporte ung petit réchauld et une petite escuelle de faïence.

Ces petits cadeaux — un chevalier sur son cheval, un cheval et un gendarme, un lion ou une femme en poterie, une charte gallicane de Thevet, carte de géographie imprimée, une carte du Canada, une scie, etc., — expliquent bien un peu l'intérêt qu'a le prince à voir revenir son médecin. Mais l'affection est sincère.

Je le faisois voir, écrit Héroard, à ung homme que l'on m'avoit envoyé de Montpellier. Je lui demande (au dauphin) s'il luy plaisoit pas de lui commander quelque chose en Languedoc.

E y allé vous ? fait l'enfant à Jean Héroard[52].

Oui, monsieur, s'il vous plaist.

Ho non ! je veu pas ! Quand reviendé vou ?

Monsieur, après Pasques.

Hoo ! c'é bien lon tem ! je veu pas que vou i allé. Je veu pas que vou bougie d'aupé de moi. »

Il estoit sur le point de pleurer si j'eusse encore pressé de m'en aller, m'aiant dit les dernières paroles à voix tremblante.

Dans un accès de colère, le dauphin a voulu égratigner son médecin. Celui-ci feint d'être fâché et à une demande d'aller au bâtiment neuf posée par l'enfant, répond brusquement :

Je ne suis plus à vous, faites ce qu'il vous plaira !

Il en demeura court et comme estonné !

Naturellement on arrange l'affaire et la réconciliation ne tarde pas. Le dauphin vient au-devant de moi, écrit Héroard, les bras ouverts, le cœur enflé et pleurant, me dit : Moucheu Eroua, je vous aime bien ; je veu pas vou en aillé ! Me serre en me disant cela. Je lui promets de le bien servir. Tout aussitôt son cœur fut débandé et son visage esguaié ![53]

Charmant, tendre, affectueux, dévoué et attentionné, le petit dauphin est donc une créature aimante et primesautière. Il est enfant très vivant. Il a les grâces délicieuses du premier âge. Mais en même temps il a le sentiment de ce qu'il est et de ce qu'il sera. Il sait qu'il est fils de roi, qu'il sera roi. Chez cet enfant de six ans l'instinct de volonté, d'autorité absolue, se révèle ; il a le ton de commandement impérieux à souhait[54].

Il est assis à table, Madame, la petite sœur, lui dit :

Monsieur, ostés vos gants !

Il se retourne :

Comment ? vous paie ainsi à moy ? Oté vous de là, allé vou caché !

La fille de la nourrice, la petite Louise, le voyant éteindre une bougie tout contre la courtine du lit de sa mère hasarde :

Hé, monsieur, vous brulerés le lict de ma mère ; ne le faictes pas !

Il la regarde de haut en bas et d'un grand air irrité :

Ho ho ! E vous me commandé ? C’é pa à vou à me commandé !

On veut lui faire manger quelque chose qu'il refuse. On insiste. Il s'impatiente. On fait mine de le contraindre, il s'emporte et frappe.

Monsieur, pourquoi me frapés vous ?

Pour ce que j'en ai la puissance !

Monsieur, qui vous l'a donnée ?

C’é papa[55].

Il a l'ordre autoritaire et sans réplique[56].

Interpellant à la messe sa sœur, Madame, et son frère naturel, M. de Verneuil[57], qui causent :

Taisé vou, palé ba ; il fau pié Dieu à la mèche !

Oté vou de là, oté vou de là, crie-t-il à son frère M. le chevalier[58] qui s'est indûment placé près de lui à la chapelle. Madame, vené ici, mêlé vou là. Ha ! madame, si vou pleuré, vous au ré le fouet !

Il ordonne à l'un à l'autre, de faire ceci ou cela : Il est prompt, écrit Héroard, et veut estre promptement obéi. Si on ne se hâte pas il dit durement :

Ho ! il le vous fau dire quale foi !

Il a commandé à son page Bompard d'aller voir au château neuf si la reine, à ce moment à Saint-Germain, peut le recevoir. Bompard muse en route, reste longtemps, puis finalement revient n'y étant même pas allé et conte une histoire. Le dauphin éclate :

Vous ète un manteu ; vou ète un sot ; allé vous en ; soté d'ici !

L'aumônier veut intervenir.

Allé, vous êtes un conteu, vou !

Il est jaloux de l'autorité dont il dispose, ou plutôt de celle dont il disposera et en maintient intégralement les droits.

On joue avec des soldats du corps de garde qui, à la fin de la scène, vont à M. le chevalier — le fils de Gabrielle — comme si celui-ci était le personnage le plus important. Le dauphin fronce le sourcil :

Non non ! crie-t-il, il fau veni à moy. C'é moi qui sui le maite !

Il a défendu à ce même frère de regarder dans un livre. Le chevalier ne tient pas compte de l'ordre et regarde. Hors de lui, le dauphin court au chevalier, le frappe :

Ha vou lisé ? je vou fairai tenché la tête !

Il va loin. C'est que tout manquement au respect qui lui est dû a le don de l'exaspérer[59].

Le page Bompard marche sur le pied du prince. Simple inadvertance ! Celui-ci ne se tient pas. Il fait appeler mademoiselle de Ventelet :

Foueté Bompard tout à l'heure ! fait-il.

Monsieur, voulés-vous que ce soit devant vous ?

Oui, devant moi !

Et il s'assied sur sa petite chaise, attendant. On intervient. On tâche de faire pardonner au malheureux page. Rien n'y fait. Le dauphin tient bon âprement. La petite sœur, effrayée, pleure.

La remueuse dit :

Monsieur, voilà Madame qui pleure, pardonnés à Bompard.

Non !

Il n'y avait pas moyen de le fléchir.

Monsieur, donnés-le donc à Madame !

Oui, allé sévi Madame, je veu pu que vou me sévié.

Et bien, Monsieur, il sera maintenant à Madame ; il ne portera plus vos couleurs, il portera celles de Madame !

Il se lève d'un bond et soufflette la remueuse[60].

Voilà des prédispositions singulièrement volontaires, personnelles et autoritaires.

Il a le verbe sec et impérieux. Héroard note l'action de maistre avec laquelle un jour que l'aumônier disait les grâces après un repas, d'une voix trop basse pour être entendu, le dauphin lui fait.

Je ne scai ce que vous me dite, von palé ba ; vené icy aupè de moi !

Il ne faut pas discuter avec lui, il sait les nuances des choses. M. le chevalier appelant l'apothicaire simplement de son nom, Guérin !

Houai, interrompt le prince, pouquoi l'appelé vou Guérin ? C'é moi qui l'appelle ainsi. Appelé le : moucheu Guérin.

Madame de Monglat explique :

C'est qu'il est fils du roy.

Et bien, mais il n'est pa fi de maman ! » réplique l'enfant froidement et brusquement.

Et il faut obéir quand il commande, sinon ce sont des colères, et même dans le cas où il suppose qu'on méprise sa volonté et qu'on se moque de lui, des fureurs[61].

Il a de telles colères, si surprenantes par leur durée, leur forme et leur caractère qu'on peut se demander si l'on n'est pas en présence d'un cas pathologique. Cet enfant que nous avons vu si aimable et si bon, devient, lorsqu’une crise le prend, intolérable.

Des médecins modernes ont cru pouvoir dire que Louis XIII était atteint d'une gastro-entérite chronique ; que cette entérite donna naissance plus tard à une tuberculose générale laquelle attaqua les intestins puis les poumons ; et que finalement il fut emporté en 1643 par une péritonite aiguë, suite d'une perforation, résultat elle-même des ulcérations tuberculeuses des intestins[62].

Quoi qu'il en soit de ce diagnostic, voici, au moins, les phénomènes que nous constatons chez l'enfant d'après Jean Héroard : à un moment donné, l'humeur devient sombre, nerveuse, irritable. C'est le début de la crise. Le dauphin traîne plusieurs jours, sans entrain, le teint blême. Il souffre. Peu à peu des douleurs de ventre apparaissent, s'aggravent, deviennent aiguës et l'irritabilité du caractère s'accroît jusqu'à l'extrême. Après quoi, brusquement, un dégagement violent se produit et le malade est guéri. Héroard écrit à la date du 29 mai 1605 : Son ventre se souloit lascher ainsi après quelques jours de fascheuses humeurs, de sorte qu'il sembloit que s'en fust la cause, car après il devenoit plus doux et traitable, se trouvant totalement changé. Le dauphin dit, lorsque la crise le prend, qu'il a mal au cœur.

On ne comprend rien, autour du prince, à ces crises. On les attribue uniquement à son mauvais caractère. On dit qu'il est opiniâtre. Et pourtant lorsque les crises sont passées le pauvre enfant a conscience qu'il a été détestable. Il demande pardon.

Je ne serai point opiniate, mamanga, padoné moi, je serai pu opiniate !

S'il ne veut pas boire du bouillon, on lui raconte que ce serait le moyen d'avaler sa colère et le malheureux garçon a tellement souci de se modifier que, malgré son scepticisme avisé, il boit. Après quelque scène, revenu à lui, il est tout penaud : Il n'en veut point ouir parler et se prend à pleurer quand on lui en parle et baisse le chapeau sur l'aureille. Quelquefois on lui conseille de dire son A B C D pour se calmer. Il le dit, le cas échéant, spontanément. Il fait réellement des efforts. Quelqu'un va-t-il à Paris, il recommande : Vou direz à papa que je ne suis pas opiniate.

Mais les humeurs reprennent, quelquefois par séries. De nouveau il se fâche pour des riens, malmenant tout le monde, entre autres sa petite sœur qu'il secoue à la terrifier. Il frappe et soufflette. Il dit des choses dures :

Fi la vilaine ! Fi la laide !

Il invective contre la femme de chambre :

Fi, la fille de village, fi, la fille de village ! vilaine ! Soté, soté d'icy, meté l'en pison ; meté l'en pison !

Il lui arrive de dire :

Je vous ferai trancher la tête !... Je vou ferai couper le cou ! Il le dit souvent.

On tâche bien de lui résister un peu. Lorsqu'il gifle la nourrice, celle-ci le lui rend. On va chercher Bongars le maçon. On menace l'enfant du fouet. Un matin Henri IV furieux d'une de ses colères le fessera lui-même de la main. Mais, par respect, on ne sait que dire devant le ton impérieux, despotique et cassant qu'il prend lorsqu'il est dans un de ces états[63]. Il a le verbe décidé.

Il dit à madame de Monglat :

Mamanga, envoie quéri ce petit trou-madame qui est à féfé chevalié, et je li donerai cet homme qui bat sa femme par la tête.

Monsieur, dites donc, s'il vous plaist !

Je veu pas dire si vou plai !

Vous ne l'aurès donc pas.

Envoie le quéri, autement je le diray pas.

Dictes le devant.

Quand je l'aurai, je le diray.

Non, vous ne l'aurès pas que vous ne l'aies dict.

Je vous battrai !

Et je vous foueloray !

Je vous tuerai !

Et je vous foueleray très bien !

Et je vous tuerai, moi !

Le sentiment de sa puissance royale se manifeste en lui par l'imagination de supplices étranges qu'il croit rentrer dans le domaine de ce qui lui est possible et permis. En fureur contre madame de Monglat, il lui crie :

Je vous tuerai de mon couteau par la gorge, je vous pècerai la main !

Il dit à quelqu'un :

— V’la, si vous êtes opiniate, je vous mettrai de ce clou à la tête !

Je vien de la guerre, déclare-t-il une autre fois, j'ai tué un espagnol et le compagnon sageant(sergent, c'est M. le chevalier). — J'y a donné un gran cou d'épieu dans le vente !

Au Borgne, un domestique, qui le menace de le prendre :

Hoo, Bogne, j'ai bandé tout à fait ma harquebuse, je vou tirerai dans l'œi !

Le geste va même jusqu'à suivre le mot.

Il se met en extrême colère contre Bompard (le page) ; va quérir sa pique et lui en jette un grand coup à la gorge. Il ne l'atteint point. Madame de Ventelet l'en veult reprendre. Il s'en prend à elle :

Je vou batrai, je vous tuerai, vilaine !

Et la veult fraper de sa pique. Elle pare au coup. Lui, voyant l'avoir failli, la prend à sa main pour la mordre.

 

Au fond, tous ces excès sont des formes excessives d'un sentiment qui paraît entier chez lui : celui de l'autorité.

Un précepteur qui deux ans après sera attaché à sa personne, Vauquelin des Yveteaux, a écrit plus tard :

Sa colère et sa volonté étaient très fortes. Il estoit d'autant plus difficile à gouverner qu'il sembloit estre nay pour gouverner et pour commander aux autres ! Il avoit une cuisante jalousie de son autorité ![64]

Pauvre petit dauphin ! Le voilà enfant, volontaire, personnel, conscient de son pouvoir et d'une sensibilité extrême sur le sujet du respect qu'on doit à sa puissance ; puis bon, affectueux, dévoué, charmant à l'égard de tous, d'une tendresse de cœur délicate et d'une âme souriante. Comment le roi de plus tard a-t-il été si différent ? Mais l'histoire, plutôt, ne s'est-elle pas trompée sur le compte du prince ? Une nature d'homme peut-elle, de l'enfance à l'âge mûr, se modifier d'une façon aussi profonde et le Louis XIII traditionnel, faible de jugement et de volonté que M. de Luynes, d'abord, le cardinal de Richelieu, ensuite, ont conduit à leur volonté, n'est-il pas trop dissemblable de l'enfant violemment autoritaire ou souplement vivant que nous venons de voir ? Celui-ci est acquis à l'histoire ; l'autre ne l'est peut-être pas aussi sûrement !

 

 

 



[1] Jean Héroard était le médecin ordinaire du roi. Il avait été médecin de Charles IX et de Henri III. L'historiographe de Louis XIII, Ch. Bernard, qui l'a bien connu, dit de lui qu'il avoit de bonnes lettres et une grande expérience de sa profession (G. Bernard, Hist. de Louis XIII, Paris, 1646, in-fol., t. I, p. 405). Il mourut en 1628 à la Rochelle, à l'âge de soixante-dix-huit ans et fut enterré à Vaugrigneuse, près Limours, terre dont il était seigneur (E. Hamy, Jean Héroard, premier surintendant du jardin royal des plantes, Paris, Imp. nationale, 1896, in-8°). Il existe un très beau médaillon de Dupré qui nous donne son portrait (Décrit par J.-A. Blanchet dans la Revue numismatique, 1893, XI, 252-258). M. F. Mazerolle attribue ce médaillon à Varin (F. Mazerolle, Les médailleurs français du XVe siècle au milieu du XVIIe, Paris. Imp. nat.. 1902, in-4°, t. I, p. CXXXVIII).

[2] Nous conserverons l'orthographe phonétique. Le manuscrit d'Héroard que nous avons revu est le ms. fr. 4022 de la Bibl. nat. M. Armand Baschet (Le roi chez la reine, Paris, Plon, 1866, in-8°) a déjà examiné directement le texte d'Héroard, et extrait des passages non imprimés par MM. E. Soulié et Barthélemy, mais il n'étudie le Dauphin (chap. IV) que de 1609 à 1614.

[3] Marie de Médicis, dans ses lettres à la gouvernante, parlant de tous ces enfants les appelle notre petite troupe (Bibl. nat., ms. fr. 3649, fol. 44). Prenez toujours soin de toute la bande, dit-elle (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 142 r°). Elle ne fait pas de distinction entre ses propres enfants et ceux que le roi a eus ailleurs : Amenez demain ici, écrit-elle, ma fille aînée avec mes filles de Vendosme et de Verneuil et laissez tous mes autres enfants à Saint-Germain (Ibid., fol. 288 r°).

[4] On trouve l'aspect du château de Saint-Germain tel qu'il est sous Henri IV, la disposition des jardins et les plans dans Androuet du Cerceau, Les plus excellens bastimens de France, Paris, 1576-79. 2 vol. in-fol.

[5] M. Charles Normand a étudié et décrit ce château neuf de Saint-Germain dont il ne reste aujourd'hui que le pavillon dit de Henri IV. — G. Normand, Le château neuf détruit de Saint-Germain-en-Laye, d'après des manuscrits inédits et des estampes ignorées dans l'Ami des Monuments : (1895), IX, 47-66, 73-92, 197-198, 317-321 ; (1896) X, 168-174, 341-334 ; (1897), XI, 7-22 ; 86-122.

[6] Le palemail (de pila, malleus, boule et maillet) consiste à chasser avec le moins de coups possible une boule de bois jusqu'à ce qu'elle touche des buts ou passe par des détroits désignés d'avance. Notre croquet vient de là (Jusserand, Les sports et jeux d'exercice dans l'ancienne France, Paris, Plon, 1901, in-18°, p. 305).

[7] Madame de Monglat est une demoiselle Françoise de Longuejoue qui a épousé en secondes noces Robert de Harlay, baron de Monglat, lequel mourut en 1607, premier maître d'hôtel de Henri IV (Le P. Anselme, Hist. généalogique, VI, 466). Le surnom de mamanga, diminutif sans doute de maman Monglat, lui resta jusqu'à sa mort qui eut lieu le 25 avril 1633. A l'âge de trente ans, Louis XIII appelait encore son ancienne gouvernante de la sorte.

[8] Ces indications topographiques se trouvent disséminées çà et là dans le journal d'Héroard, où nous les avons recueillies. Il est à remarquer que la chambre du dauphin (tapisseries et lit) suivait celui-ci lorsque le petit prince allait en voyage.

[9] Les frais de ce personnel de la maison du Dauphin s'élèvent pour 1606 à 19.620 livres (Estât des officiers de la maison de Monseigneur le dauphin et autres officiers de Madame en l'an 1606. Dans Journal de Pierre de l’Estoile, éd. Brunet et Champollion, IX, 88). L'ensemble des dépenses de la maison monte à 130.000 livres, pour 1607 (Bibl. nat., collection Dupuy, 89, fol. 243. Voir Revue rétrospective, 1re série, IV, p. 182).

[10] M. H.-R. d'Allemagne a énuméré les jouets donnés au dauphin dans son Histoire des jouets, Paris, Hachette, 1902, gr. in-4°, pp. 48, 164, 200, 218. Nous en signalons quelques-uns ici qu'il n'a pas connus.

[11] Marie de Médicis donne les robes de son fils en souvenirs : Vous trouverez dans ce paquet, écrit-elle à Concini, en Italie (1606), une robe de mon fils le dauphin que je vous prie de faire bailler à ma tante la grande-duchesse (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 52 r°).

[12] On sert le dauphin dans de la vaisselle d'argent (Lettre de Marie de Médicis à madame de Monglat. Ibid., 81, fol. 294 r°).

[13] M. Robert supplée le chapelain en titre régulier Gilles Gascelin, lequel a été adjoint à l'aumônier Louis de Bologne. Dès le moment que Louis XIII fut né, dit Archon (Hist. ecclésiastique de la chapelle des rois de France, Paris, 1711, in-4°, II, 705), le roy son père nomma un chapelain pour dire la messe tous les jours dans un oratoire qui était proche de la chambre où ce jeune prince étoit élevé. Ce chapelain qui est même appelé sur l'état, aumônier, parce qu'il en faisoit les fonctions, étoit Louis de Bologne. Il eut ordre d'instruire le dauphin des principes de la religion chrétienne. On nomma aussi un clerc de chapelle pour servir la messe. Ce clerc de chapelle était Thomas Dumont.

[14] S'il aime à sortir hors de la chambre et prendre l'air, lorsqu'il fait beau, écrit Henri IV à madame de Monglat, il a de qui tenir (Lettres missives, éd. Berger de Xivrey, VIII, 824).

[15] Ces sortes de facéties sont de tradition ancienne. Elles existaient au XVe siècle (M. Quantin, Les ducs de Bourgogne, comtes de Flandre, mœurs et usages, Paris, Champion, 1883, gr. in-8°, p. 30). Le cardinal de Richelieu en aura à Rueil (Evelyn's Diary and correspondence, from 1641 to 1706, éd. by W. Bray. London, 1890, in-8°, p. 50). Les vues des grottes de Saint-Germain ont été gravées par Abraham Bosse (Voir G. Duplessis, Catalogue de l'œuvre d'Abraham Bosse, Paris, 1859, in-8°). Elles ont été reproduites dans l'article de C. Normand consacré au château de Saint-Germain (cité plus haut). Sur Francine consulter E. Couard, Thomas Francini, intendant général des eaux et fontaines de France, 1572-1651, dans Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des dép. Procès-verbaux ; 1894, pp. 1459-1492.

[16] Lorsque le roi et le reine vont à Saint-Cloud ils mandent à madame de Monglat de leur envoyer les enfants déjeuner avec eux (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 146 r°). Une fois où une épidémie se déclara à Saint-Germain, on fit partir le dauphin pour Noisy-le-Roi (Ibid., fol. 156 v°). Le petit prince voyage en litière (Journal de Pierre de l'Estoile, VIII, 164).

[17] Vingt ans après, on sert au prince presque les mêmes menus et ce sont les mêmes plats qu'il préfère (Voir par exemple le menu du 15 juin 1622, Journal d'Héroard. Bibl. nat., ms. fr. 4027, fol. 63 r°).

[18] Marie de Médicis n'aime pas qu'on ait beaucoup de rapports avec la ville ; elle recommande à madame de Monglat de prendre garde que ce qui est de votre suite ne fréquente que le moins que faire se pourra avec ceux du bourg (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 156 v°).

[19] La reine fait allusion à ce maçon dans une de ses lettres à la gouvernante : J'ai appris, lui dit-elle, par le sieur de Monglat, que mon fils le dauphin commence à rentrer en son opiniastreté accoutumée et qu'il ne se soucie plus du maçon ni de toutes les menaces qu'on lui peut faire (Ibid., 86, fol. 275 r°).

[20] Marie de Médicis recommande de ne laisser voir le dauphin qu'aux seigneurs, dames, gentilshommes et autres personnes de qualité, mais non à d'autres, encore faut-il qu'on en use avec l'ordre et le respect qui lui est dû (Bibl. nat., ms. fr. 3649, fol. 57). Au moindre bruit de maladie contagieuse à Saint-Germain ou à Paris, elle prescrit de plus grandes précautions (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 86, fol. 273). Elle donne une lettre spéciale à ceux qui veulent voir son fils (Ibid., fol. 201). Par contre elle interdit formellement qu'on montre les princes à la marquise de Verneuil (Ibid., 87, fol. 33 v°) et si les enfants de celle-ci vont voir leur mère à Passy, la reine ordonne à madame de Monglat de les faire accompagner d'une personne sûre qui rendra compte de tout ce qui aura été dit (Ibid., 86, fol. 309 v°). L'épouse et l'italienne reparaissent ici.

[21] Saint-Simon a vivement incriminé cette ignorance qu'il considère comme voulue et qu'il attribue à de bas calculs chez Marie de Médicis. On le laissa croupir dans l'oisiveté, dit-il (Parallèle des trois premiers rois Bourbons, p. 7), dans l'inutilité et dans une ignorance si parfaite de tout, qu'il s'est souvent plaint à mon père, dans la suite, qu'on ne lui avoit pas mesme appris à lire. Cette dernière assertion ne paraît pas exacte. C. Bernard, qui a reçu des confidences de Louis XIII, affirme que ce prince avait appris à lire et à écrire avec les femmes (Hist. de Louis XIII, p. 5). Héroard d'ailleurs était d'avis de ne pas se hâter à commencer l'instruction d'un enfant (J. Héroard, L'institution du prince, Paris, 1609, in-8°, p. 7). De fait le dauphin n'a été ni mieux ni plus mal traité qu'un autre enfant de son âge (Voir Anis, David Rivault de Fleurance et les autres précepteurs de Louis XIII, Paris, Picard, in-8°).

[22] Le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale conserve le portrait à l'aquarelle d'un gentilhomme, qu'on lui attribue.

[23] Un contemporain lui trouve l'image, les actions, le vif esprit et ferme entendement de Henri IV (Discours présenté à la reine mère du roi en l'année 1612 ; imprimé au tome V, p. 299 des Mémoires d'État de M. de Villeroy, Amsterdam, 1725, in-12°).

[24] L'ambassadeur vénitien, Pietro Priuli, a aussi relevé ce détail : Non si vide a ridere che rare volte, dit-il (Relazione degli Stati europei lette al senato dagli ambasciatori veneti, éd. N. Barozzi et G. Berchet ; Venise, 1857, II, I, p. 209). Foscarini le note également (Ibid., p. 339).

[25] Voir l'énumération des danses du temps dans le Miroir de contentement baillé pour estrenne à tous les gens mariés, Paris, N. Roussel, 1619, in-8° ; réimprimé par Ed. Fournier dans ses Variétés hist. et litt., II, 15. — En mars 1608, le dauphin sera admis à danser dans un grand ballet devant le roi au Louvre, à figurer simplement sans doute (Journal de Pierre de L'Estoile, IX, 52).

[26] Il semble qu'il ait l'esprit plus adonné aux armes qu'à toute autre chose, mande Henri IV à M. de Beaumont le 28 sept. 1605 (Lettres missives, VI, 531) ; et Malherbe écrivant à Peiresc confirme le fait : Ce prince, sans cajolerie, promet merveilles ; il a toute son inclination à la guerre, ne prenant plaisir qu'aux armes et aux chevaux (Œuvres, éd. Lalanne, III, 194). Pietro Priuli observe que c'est surtout en présence du roi que si mostra inclinalissimo alle armi (op. et loc. cit.). L'ambassadeur florentin Andréa Cioli écrit que le dauphin est fier, ardent, très agile, qu'il aime particulièrement les armes et parle très souvent de guerre, de capitaines, de soldats et de forteresses (Cité par B. Zeller, La minorité de Louis XIII, p. 127).

[27] Bassompierre le félicitera plus tard de ce que n'ayant jamais été montré à battre le tambour, il le fait mieux que les maistres (Mémoires, éd. Chanterac, II, 138).

[28] Il faisait faire l'exercice à une troupe de jeunes nobles, ou bien prenait comme soldats une quarantaine d'enfants de Suisses âgés de douze à seize ans. Il était exactement obéi (G. Bernard, Hist. de Louis XIII, I, 7).

[29] Cette compagnie n'a pas été créée en 1606 pour la garde du dauphin comme le dit le P. Daniel (Hist. de la Milice française, Paris, 1721, in-4°, II, 277). Elle existait déjà en 1596. (D'après les registres des extraordinaires des guerres. Bibl. nat. Recueil Cangé, t. V). M. Paul Mansan en devint capitaine en 1598 et resta dans ce poste pendant trente-trois ans, jusqu'en 1631, date de sa mort (Le Pippre de Neuville, Abrégé chronologique de la maison du roi, Liège, 1735, III, 203). La 20e compagnie a été très longtemps affectée au service des princes (Mémoires de Déageant, éd. de 1668, p. 20). Ce M. de Mansan appartenait à une grande famille béarnaise (Voir les Deffences de Jean Paul de Lescun seigneur de Pietz, Orthès, A. Rouyer, 1619, in-8°, p. 59). Il ne faut pas le confondre avec un neveu de son nom, lieutenant aux gardes françaises qui fut tué dans l'île de Ré en 1627 (Michel de Marillac, Relation de la descente des Anglais dans l'île de Ré, Paris, 1628, in-8°, p. 193). — Quant à M. de Belmont, il était encore lieutenant de la même compagnie en 1620, et eut les cuisses cassées d'un coup d'arquebuse à l'attaque du château de Caen (Mémoires de Puységur, éd. Tamizey de Larroque, I, 5).

[30] Louis XIII nomme un Descluseaux capitaine de la volière des Tuileries, en 1619 (Michel Baudier, Hist. du maréchal de Toiras, Paris, 1644, in-fol., p. 7), commissaire des guerres en 1622 (G. Bernard, I, 371). C'est peut-être celui-ci.

[31] Il tient ce goût de sa mère. Marie de Médicis a beaucoup de chiens, en donne, s'en fait donner ; elle affectionne les lévriers d'attache. Voir ses lettres de 1608 : J'ai ma petite chienne mignonnette... etc. (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 203 v° ; 238 v°, etc.).

[32] Il existe à la cour, au XVIIe siècle, deux musiques, celle de la chapelle et celle de la chambre. La première, dont il est question ici, compte sous Henri IV une cinquantaine de personnes, dont six enfants (Oroux, Hist. ecclésiastique de la cour de France, Paris, 1777, in-4°, II, 519. — G. Dupeyrat, Hist. ecclésiastique de la cour, Paris, II. Sara, 1645, in-fol., p. 482. — Voir aussi E. Thoinan, Les origines de la chapelle, musique des souverains de France, Paris, 1864, in-18°).

[33] Dès sa plus tendre jeunesse, dit Bernard (Hist. de Louis XIII, t. I, p. 5-6), il eut l'esprit excellent et d'une vivacité si grande qu'il prévenoit le plus souvent ce qu'on lui vouloit dire et y répondoit pertinemment avant qu'on en eût achevé le propos. Un autre contemporain affirme qu'il a un beau et clair jugement en un âge si tendre (Les signes merveilleux apparus au ciel un jour devant et un jour après les cérémonies du baptême de Monseigneur le dauphin célébrées à Fontainebleau, Paris, E. Colin, 1606, in-12°, p. 5).

[34] Voir dans le P. Dan (Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, Paris, 1642, in-fol., p. 286) comment pendant la semaine sainte de 1607, Henri IV ayant décidé que son fils le remplacerait pour la cérémonie du lavement des pieds, tout étant prêt, les officiers de la cour parés et à leur poste, le dauphin ne voulut pas s'exécuter, s'imaginant qu'on se moquait de lui.

[35] François de Péricard. Marie de Médicis est en relation épistolaire avec lui (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 129, v°).

[36] On pourra rapprocher de ceci une curieuse lettre de Louis XIII écrite par lui le 4 juin 1637 à Richelieu (Catalogue of the collection of Morrison, éd. in-fol. III, 219 : cette lettre n'a pas été connue de M. de Beauchamp, Louis XIII d'après sa correspondance avec le cardinal de Richelieu. Paris, Laurens, 1902, in-4°) dans laquelle le roi proteste contre le bruit répandu qu'il fait la cour à mademoiselle de Chémeraut : Ceux qui ont fait ces discours ne me connaissent pas, dit-il ; je suis résolu à ne m'engager jamais avec quelque personne que ce soit, l'ayant plusieurs fois dit tout haut afin que personne n'en prétendît cause d'ignorance. J'essaierai à vivre le mieux que je pourrai en ce monde pour faire en sorte de pouvoir gagner paradis à la fin. qui est le seul but que l'on doit avoir en ce monde. Voilà mon intention en laquelle je persisterai tant que le bon Dieu me fera la grâce de vivre. Vous pouvez savoir que depuis que je suis ici je n'ai parlé à femme ni fille du monde, qu'à la reine. Nous donnons les points caractéristiques de cette lettre, qui est plus longue. Elle éclaire les sentiments du prince.

[37] L'ambassadeur vénitien Pietro Priuli (Relazione, éd. Barozzi, II, I, p. 208) dit aussi d'Henri IV, qu’il était di nature affabile e dolce ; il ajoute ma facile alla collera. On va voir qu'ici encore le dauphin est le portrait de son père.

[38] Il n'y a pas que les bâtiments qui laissent à désirer. En 1606 la duchesse de Mantoue venant à Paris, Henri IV manque de meubles pour la loger. La reine écrit de tous côtés afin de se procurer paillasses, draps et matelas ; elle n'ose pas en louer, dit-elle, à cause du danger qu'il y auroit pendant ce temps de contagion ; et elle cherche qui pourra lui prêter quelque beau lit et dais pour parer la chambre (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 61 r°). Le roy mon seigneur et moi, avoue-t-elle, n'avons pas assez de meubles pour garnir toutes nos maisons (Ibid.). Dans une autre circonstance elle doit multiplier ses lettres afin d'obtenir du contrôleur des bâtiments, M. Donon, que celui-ci lui répare une chambre du Louvre (Ibid., fol. 317 v°).

[39] Voici ce que dit de lui ailleurs, Héroard, à la date de 1606 (De l'institution du prince, p. 31) : le dauphin est né d'une bonne et facile nature ; il ajoute : et si je ne m'abuse, d'un esprit avancé, arresté, doux et docile et suffisant de comprendre avec jugement.

[40] Sa sollicitude s'étend aux bêtes elles-mêmes. Il pleure, s'il voit le petit chien de sa petite sœur, Amadis, tomber à l'eau et manquer de se noyer. Il y avoit une bergeronete qui s'estoit couchée entre le châssis de verre et la fenestre, ayant tout le jour volé par la chambre. Il entend dire qu'elle mourroit. Il n'eust jamais patience qu'il ne l'en eust faict tirer et remettre dedans, demandant : Elle n'é pa mote, au moin ? Tant il estoit pitoiable ! On lui apporte un écureuil tout sanglant qu'on vient de tuer : Oté, oté, empoté-le ! s'écrie-t-il ému à la vue du sang. D'ailleurs il est d'une sensibilité personnelle assez vive, craint beaucoup de se faire mal, crie à la moindre écorchure, mais applique aussi sa prudence aux autres. Quand on va sur les bords de la Seine, il ne s'approche pas de l'eau, tant il a peur d'y tomber et crie tout en peine à ceux qui l'accompagnent : N'allé pa là, n'allé pa là ; vou tumberié dans la rivière, vou fairié le plongeon !

[41] Pierre de L'Estoile (Journal, éd. Brunet et Champollion, VIII, 321) raconte comment Henri IV aime à faire sauter son fils dans ses bras. Une fois il lui eschappa des mains et sans la nourrisse qui le reçut habilement, il l'eût possible tué.

[42] Le tableau que fait Poirson (Hist. du règne de Henri IV, IV, 173), de la sollicitude morale du roi donnant ses soins particuliers et personnels à l'éducation de son fils aîné, épiant dès les plus jeunes années du dauphin les mauvais penchants pour les combattre et les détruire est plus littéraire qu'exact.

[43] Saint-Simon a tracé de Marie de Médicis un portrait assez dur mais qui paraît exact : Impérieuse, dit-il, jalouse, bornée à l'excès, toujours gouvernée par la lie de la cour et de ce qu'elle avoit amené d'Italie, elle a fait le malheur continuel d'Henri IV et de son fils, et le sien mesme. (Parallèle des trois premiers Bourbons, p. 6). Il la représente, Italienne, Espagnole, sans connaissance aucune et sans la moindre lumière, dure, méchante par humeur et par impulsion d’autrui (Ibid., p. 7). D'après Richelieu, l'excessive jalousie de la reine — assez justifiée d'ailleurs — et l'humeur colère du roi, amenèrent dans le ménage royal des scènes violentes au cours desquelles Henri IV leva la main sur sa femme (Mémoires, éd. Michaud, t. I, p. 9). Le roi disoit souvent à ses confidens qu'il n'avoit jamais vu femme plus entière (Ibid.). Vous êtes entière, lui déclarait-il, pour ne pas dire têtue ! (d'Arconville, Vie de Marie de Médicis. Paris, 1784, t. I, p. 87). Superstitieuse (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 103 r°), intéressée (Ibid., 86, fol. 180, 204, 3 :25 ; 87, fol. 83,) elle était grave de son naturel et peu caressante (Richelieu, Mémoires, I, 125).

[44] Il s'agit d'Elisabeth, née en 1602, qui fut mariée en 1613 à l'infant d'Espagne plus tard le roi Philippe IV, et mourut en 1644.

[45] C'est le troisième fils d'Henri IV ; le second, né en 1607, et appelé duc d'Orléans, mourra de bonne heure, en 1611. Gaston nommé d'abord duc d'Anjou jusqu'en 1626, va naître à Fontainebleau le 25 avril 1608.

[46] Il l'est aussi à l'égard des amis de son père qui viennent le voir. Le marquis de la Force écrit à sa femme le 9 octobre 1606 : Monseigneur le dauphin souvent me sautoit au col (Mémoires du duc de la Force, édition du marquis de la Grange, t. I, p. 441).

[47] Cette nourrice, Antoinette Jorrot (ou Jorron, ou Jorel), avait épousé un certain Jean Boquel qu'elle fil nommer contrôleur des plastres. Celui-ci eut des procès au sujet de cette fonction et à ce propos Marie de Médicis consentit à le recommander aux magistrats chargés de juger l'affaire (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 86, fol. 114 v°, et 87, fol. 19 r° et v°). On donna plus tard, à cette nourrice, en récompense de ses services, une pension viagère de 6.000 livres (Pensions de nosseigneurs et dames de la cour, escrit par Nicolas Rémoud, secrétaire d'Estât, imprimé dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., VI. 128).

[48] Madame de Monglat inspire une grande confiance au roi et à la reine. Je sais, lui écrit celle-ci (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 131 v°), combien votre soin est utile et la peine et assiduité que vous rendez continuellement. Je m'emploierai toujours à ce que vos services soient recognus selon le mérite d'iceux. On a cherché à desservir madame de Monglat dans l'esprit d'Henri IV, mais sans succès (Ibid., 87, fol. 26). La fonction comportait de pénibles nécessités. Lorsque M. de Monglat meurt en 1607, Marie de Médicis adresse à sa veuve une lettre de condoléances, l'assurant de son amitié et bienveillance. Mais, ajoute-t-elle, nous vous avons confié ce qui nous est le plus cher en ce monde, qui sont nos enfants ; et parce qu'il est nécessaire de les entretenir en humeur gaie et ne leur donner aucun sujet de s'attrister, nous vous prions de vous abstenir de pleurer et doléancer en leur présence (Ibid., 87, fol. 129 r°).

[49] Héroard avait une façon plus intelligente de prendre le petit prince : voir son livre l'Institution du prince (Paris, Jannon, 1609, in-8°), fort intéressant pour le temps et qui vaut mieux que ce qu'en dit L'Estoile (Journal, IX, 226) pour qui c'est matière si triviale et sujet tant de fois chanté et rechanté qu'on n'y peut trouver que des redites.

[50] On fouette très peu le dauphin ; Marie de Médicis ne veut pas du fouet : Usez de toutes sortes de moyens dont vous pouriez aviser pour faire passer à mon fils ses fantaisies, prescrit-elle, auparavant que d'en venir au fouet qui est le dernier remède qu'il y faudra apporter (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 86, fol. 276 r°). Madame de Monglat est obligée de demander la permission de fouetter et Marie de Médicis ne l'accorde, avec peine, qu'après avoir fait écrire secrètement à Héroard pour lui demander son sentiment (Ibid., fol. 275 v°). En réalité le fouet met l'enfant dans des rages telles qu'il en manque étouffer. C'est la seule raison qui arrête la reine. A partir de 1610 on ne se gênera plus et même on rattrapera le temps perdu (Ibid., 87, fol. 295 v°).

[51] Madame de Monglat envoyait des nouvelles des enfants aux princes et princesses à l'étranger telles que la grande-duchesse de Toscane, Chrétienne de Lorraine. M. Armand Baschet a retrouvé quelques-unes de ses lettres dans les archives des Médicis à Florence et les donne dans son livre Le roi chez la reine (Paris, 1866, in-8°, p. 32 et suiv.). — Il existe à la Bibliothèque nationale (ms. fr. 3649) un recueil des lettres adressées à madame de Monglat pendant qu'elle était gouvernante. Le plus grand nombre sont de Henri IV : il y en a quelques-unes de Marie de Médicis. On trouve encore dans les mss fr. 9293, 9303, 9309-9312, toute une correspondance entre Marie de Médicis, les enfants et madame de Monglat.

[52] Héroard était de Montpellier et docteur en médecine de la Faculté de cette ville.

[53] Le médecin ne parait pas avoir abusé de l'affection fidèle dont il jouit jusqu'à sa mort. Tout au plus fit-il nommer son frère trésorier des finances (Pierre de L'Estoile, Journal, VIII, 80).

[54] L'ambassadeur Foscarini relève (Relazioni, I, I, 339), que le dauphin ressemble à son père non seulement par la vivacité et la bonne grâce de son accueil, mais par le même sentiment de la hauteur de son rang.

[55] On se dispute sur la propriété d'un coussin ou quarreau. Quelqu'un lui affirme que ce coussin est à Madame. — Non, il n'é pas à Madame, répond-il sèchement, il est à papa é pui à moi ; et ce qui est deçà et delà l'eau !

[56] Son précepteur Vauquelin des Yveteaux, qui quoique chassé de bonne heure l'a assez vu pour le connaître, écrit de lui : Quant aux présages je crois que toutes ses actions tendront à la bonté et à la gloire, mais ce sera peut-être par moyens mêlés d'une autorité fort absolue et de quelque promptitude violente (G. de Contades, Trois lettres de N. Vauquelin des Yveteaux, dans Bullet. de la Soc. hist. et archéol. de l'Orne, 1889, p. 478). — Jean Barclay a tracé dans son Argenis (Paris, Buon, in-8°, p. 717) le portrait décidé d'un fils de roi qui pourrait bien être le futur Louis XIII.

[57] Féfé Verneuil, comme il l'appelle ; Henri, chevalier de Verneuil, fils de la marquise de Verneuil, plus tard, évêque de Metz. Louis XIII aura beaucoup de sympathie pour lui.

[58] Alexandre, chevalier de Vendôme, fils de Gabrielle d'Estrées ; né en 1598, légitimé en 1599. L'enfant n'aime guère ses frères de Vendôme. (Il y a encore l'aîné, César, duc de Vendôme.)

[59] Malherbe raconte à Peiresc dans une lettre (Œuvres, éd. Lalanne, III, 130-131), que le dauphin s'essayant aux échecs avec M. de la Luzerne, perd, et de colère jette le jeu à la tête de son adversaire. La reine fait fouetter l'enfant pour ce que ce prince ne veut rien souffrir qui ne lui cède. Et Malherbe conclut : Ce prince est pour donner de la besogne à la jeunesse qui sera de son siècle. Il est d'un naturel extrêmement bon, mais il veut être respecté.

[60] On comprendra maintenant ce mot prêté par Richelieu à Henri IV parlant à Marie de Médicis (Mémoires, I, 11) : D'une chose puis-je vous assurer, qu'étant de l'humeur que je vous connais, et prévoyant celle dont il (le Dauphin) sera, vous entière, pour ne pas dire têtue, madame, et lui opiniâtre, vous aurez assurément maille à départir ensemble.

[61] Malherbe le déclare jaloux extrêmement de sa grandeur (Lettre à Peiresc dans Œuvres, III, 195). Ce prince, écrit-il ailleurs (Ibid., 405), donne de très grands témoignages qu'un jour il se saura faire obéir. La reine dit en 1614 au prince de Condé en parlant de son fils : Encore qu'il fut petit, il portoit fort impatiemment ce qui choquoit son autorité (Ibid., 464)

[62] Paul Guillon, La mort de Louis XIII, étude d'histoire médicale, Paris, A. Fontemoing, 1897, in-8°. M. Lacour-Gayet, citant un texte de Vauquelin des Yveteaux, pense que Louis XIII avait des végétations adénoïdes (Compte rendu du livre de M. Guillon dans Revue critique, mars 1898, pp. 249 et suiv.). On pourrait ajouter à l’affirmation de Vauquelin un texte de Pontchartrain (Mémoires, éd. Michaud, p. 273) qui dit que le cerveau du prince n'avoit aucune évacuation parce que de son naturel le prince se mouchoit fort rarement ; et la remarque faite par l'ambassadeur anglais Herbert de Cherbury (Mémoires, trad. de Bâillon, 1863, p. 133) également que Louis XIII ne se mouchait pas. Mais Héroard ne dit rien de cette affection grave, et pour diverses autres raisons il ne parait pas possible de ranger Louis XIII parmi les adénoïdiens. La question de sa santé ne nous paraît pas tranchée, Héroard affirme que l'enfant était fort sain et merveilleux par la bonté de sa nature et de la bonne nourriture (Institution du prince, p. 14). Il confesse n'avoir jamais vu un corps si accompli (Ibid., p. 3). Vauquelin des Yveteaux de son côté assure que le dauphin a un corps parfaitement fort (G. de Contades, Trois lettres de N. Vauquelin, op. cit., p. 478). Un autre contemporain déclare qu'à le voir il désignoit longueur de vie (Bibl. nat., Ms. Dupuy, vol. 661, fol. 101). Les phénomènes que nous allons décrire pourraient bien n'être, nous dit-on, que de simples constipations.

[63] Nous avons vu plus haut qu'Henri IV était très facile à la colère. Marie de Médicis avait également des accès si violents qu'elle en était malade : La reyne s'est trouvée fort mal, écrit Arnauld d'Andilly (Journal inédit, éd. A. Halphen, Paris, J. Techener, 1857, in-8°, p. 92) d'un grand flux de ventre. On en attribue la cause à une colère qu'elle avoit eue le jour précédent. Héroard a de bizarres explications du tempérament du dauphin. Ayant jugé, dit-il (Institution du prince, p. 4.), Mgr le Dauphin estre sanguin, colère de sa température, j'ai voulu dire que le sang proprement dit surmonte en quantité les autres (particularités de sa nature) et la colère après ; et entendre par la colère la partie de toutes la plus chaude, sèche et légère, laquelle donne la promptitude cl aiguise le sang tout ainsi que le sang sert de frein et de bride pour retenir, par une douce et modérée qualité, les bouillons effrénés de ceste brièveté et ardante furie. Marie de Médicis recommandait de combattre l'irritabilité de son fils, car cette qualité m'est déplaisante en lui (Lettre à madame de Monglat, 1607. Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 87, fol. 163 r°).

[64] Vauquelin des Yveteaux, l'Institution du prince, dans Œuvres poétiques, éd. P. Blanchemain, Paris, 1854, in-8°, p. 102. Sur Des Yveteaux, voir P. de L'Estoile (Journal, IX, 226) qui le malmène vivement ; Vigneul-Marville (Mélanges d'hist. et de litt., Paris, 1725, in-12°, I, 177) ; le comte G. de Contades (Des Yveteaux et la maison de Vauquelin, Paris, H. Champion, 1894, gr. in-8°) ; la notice de l'abbé Anis (David Rivault de Fleurance et les autres précepteurs de Louis XIII, p. 60).