JEAN JOUVENEL

 

CHAPITRE VII. — JOUVENEL AVOCAT GÉNÉRAL DU ROI AU PARLEMENT. DEUXIÈME PARTIE, 1406-1413.

 

 

Le 22 mai 1398, un concile national avait décidé, à la majorité de 265 voix contre 35, que la France ne reconnaissait plus Benoît XIII ; qu'elle n'acceptait pas davantage le pape de Rome, Boniface ; et que, désormais, elle suivrait simplement les lois et coutumes de l'église gallicane. L'université de Paris triomphait ; Benoît XIII fît connaître que cette décision ne modifierait en rien son attitude[1].

Cependant la soustraction d'obédience n'avait pas rencontré partout en France la même approbation. L'université de Toulouse protesta entre autres. Elle envoya à Paris, vers les fêtes de Pâques, 1402, une longue lettre pour réfuter toutes les raisons qu'avait données l'université de Paris en faveur de la soustraction. Le duc d'Orléans se prononça avec vivacité pour la déclaration de l'université de Toulouse. Le duc de Bourgogne, en effet, était l'ennemi acharné de Benoît XIII ; il était naturel, par conséquent, que son adversaire prît fait et cause pour ceux qui faisaient opposition à Jean sans Peur. Cet incident provoqua des débats passionnés ; et, finalement, après de longs pourparlers avec Benoît XIII, le royaume revint à l'obédience en mai 1403, malgré la résistance ardente de l'université[2].

L'année suivante, le pape de Rome, Boniface, mourut. Il semblait que la circonstance fût propice pour mettre fin au schisme et décider Benoît XIII à tenir les promesses qu'il avait faites touchant l'unité de l'Eglise, lorsqu'on apprit que sans retard les cardinaux romains avaient élu un nouveau pape qui prit le nom d'Innocent VII[3]. Celui-ci protesta qu'il voulait faire tous ses efforts pour rétablir l'union, et qu'il avait l'intention d'user de tous les moyens possibles pour s'entendre avec le pontife d'Avignon.

Benoît XIII qui, dès qu'il avait appris la mort du précédent pape romain, s'était disposé à partir pour Rome suffisamment escorté de troupes, et même accompagné des ducs de France, se montra extrêmement surpris à la nouvelle de l'élection d'Innocent VII. Il chargea sur-le-champ le cardinal de Challant d'aller à Paris, de formuler ses protestations contre l'élection d'Innocent VII, et d'assurer la cour de France des sentiments de conciliation dans lesquels il persistait.

Mais, à ce moment, l'entourage du roi avait changé de disposition et d'intention. Le roi de Castille venait décrire, en effet, pour conseiller de faire ce qu'il faisait, à savoir, de ne se prononcer pour aucun des deux papes, mais de leur envoyer à tous deux des ambassades impératives qui les sommeraient d'avoir à s'entendre. Le conseil avait paru bon aux ducs qui s'étaient décidés à le suivre. On avait même déjà choisi les membres de l'ambassade, qui devait se composer des principaux personnages de l'université de Paris.

Benoît XIII, qui avait reçu avis de l'envoi de cette mission, et qui se défiait de ce qu'elle venait lui dire, avait donné le mandat au cardinal de Challant de s'opposer à ce qu'elle partît, et de tâcher d'inspirer aux ducs la politique qu'ils devaient adopter. Ceux-ci, de leur côté, se doutant de la nature des instructions qu'avait reçues le cardinal, l'accueillirent avec une extrême froideur et presque sans égards[4].

Après ravoir fait longtemps attendre, on l'admit enfin à exposer l'objet de sa mission, le 30 avril 1406, au palais, en présence des ducs de France. Le cardinal de Challant fit l'éloge de Benoît XIII, incrimina la vie et les mœurs de l'intrus Innocent, et conclut que le pape d'Avignon était prêt à se retirer pour assurer l'union de l'Eglise, mais qu'il adjurait tous les assistants de se prononcer pour lui[5].

L'université de Paris, dont le recteur et quelques docteurs étaient présents, demanda à répondre au cardinal légat. Les ducs, sachant quelle passion et quel acharnement ce corps apportait dans le débat, depuis surtout que, malgré lui, on avait retiré la soustraction d'obédience, refusèrent de lui laisser prendre la parole. Puis, sollicités et pressés, ils finirent par y consentir. L'audience accordée à l'université fut fixée au 17 mai.

Sur ces entrefaites, arriva une nouvelle lettre de l'université de Toulouse, qui se prononçait énergiquement en faveur du pape d'Avignon, et s'exprimait en termes assez vifs contre ceux qui soutenaient l'opinion contraire. Cette lettre porta au comble l'excitation des esprits.

Le jour de l'audience étant arrivé, Jean Petit, le cordelier qui devait plus tard s'illustrer en faisant l'apologie du meurtre du duc d'Orléans par Jean sans Peur, prit la parole au nom de l'université ; il fut violent. Il déclara qu'il fallait revenir à la soustraction d'obédience, et condamner comme inique la lettre de l'université de Toulouse. Les ducs furent fort embarrassés. Ils étaient pris entre les deux propositions extrêmes du cardinal de Challant et de l'université, et ils ne voulaient donner satisfaction ni à l'une ni à l'autre ; ils ne savaient quel parti prendre pour ne point trop mécontenter les deux adversaires. Ils eurent l'idée de porter l'affaire devant le parlement. Ce serait comme une sorte de procès. Les magistrats, habitués à juger des contestations, trancheraient peut-être la difficulté. En tout cas, les ducs dégageaient en partie leur responsabilité.

Il ne faut pas s'étonner de voir le parlement, cour judiciaire, appelé à décider sur une question de politique. A cette époque, on ne sait pas trop ce que sont des attributions fixes et exclusives. Les institutions ont une vie indépendante et très libre ; de même que l'université, chargée d'enseigner les écoliers, se mêle ici du gouvernement de la chrétienté, de même il n'y a rien de choquant à ce que le parlement de Paris se fasse juge de ce procès entre le pape et l'université. La royauté sollicite les grands corps à sortir de leur rôle pour donner leur avis. Il n'y a que le peuple qui ne dise rien ou qu'on fasse taire rudement, lorsqu'il s'avise de faire connaître ce qu'il pense ou ce qu'il souffre.

Bon gré mal gré, les représentants du pape et l'université acceptèrent la décision des ducs. La séance eut lieu le 7 juin dans la grand'chambre du palais, devant les magistrats et une foule de prélats.

Maître Pierre Plaon, professeur de théologie, parla le premier. Il attaqua la lettre de l'université de Toulouse, disant que cette lettre était en dissentiment avec toute l'Église de France, que ses rédacteurs avaient eu tort de traiter d'exécrable la soustraction d'obédience qui avait été décrétée par acte royal, qu'ils s'étaient trop avancés en ayant l'air de faire passer leurs adversaires, c'est-à-dire le roi et le royaume pour des infâmes, des schismatiques et des fauteurs d'hérésie[6] : un tel langage était attentatoire à la majesté souveraine ; l'avocat général du roi Jean Jouvenel devait requérir que l'affaire fût jugée criminellement comme scandaleuse et pernicieuse.

Puis, Jean Petit montra dans un grand discours que Benoît XIII n'avait tenu aucune des promesses qu'il avait faites, qu'il fallait donc revenir à la soustraction d'obédience et surtout arrêter les droits énormes que le pape d'Avignon percevait en France.

A l'audience du lendemain, ce fut Jouvenel qui eut la parole pour donner l'avis du roi et de son conseil. Les ducs s'étaient enfin décidés à prendre position et à se déclarer nettement contre Benoît XIII. Jouvenel reçut l'ordre de parler en conséquence. Le gouvernement reprenait son idée première de ne vouloir d'aucun des deux papes, et de les contraindre tous deux à se retirer.

Jouvenel[7] examina chacun des points qui avaient été précédemment traités ; il s'éleva contre la lettre de l'université de Toulouse, qu'il qualifia d'impertinente et de ridicule, et il ajouta : Attendu que, suivant les lois et coutumes de France, le crime de lèse-majesté consiste non seulement dans les attentats commis contre la personne du roi, mais aussi dans les paroles injurieuses qui attaquent son honneur, je requiers que ladite lettre soit brûlée dans la ville même où elle a été écrite, que ceux qui en sont les auteurs soient punis criminellement, et qu'il soit enjoint à tous, sous telle peine qu'il plaira à la cour d'ordonner, d'en apporter les copies, afin qu'elles soient livrées au feu et effacées pour toujours de la mémoire des hommes[8]. Il approuva la conduite de l'université de Paris, réclamant la soustraction d'obédience et faisant connaître que tel était le sentiment du roi. Car, bien que le roi ait restitué à Benoît l'obédience, à la persuasion de quelques personnes, il ne l'a fait que sous certaines conditions que ledit Benoît n'a pas voulu remplir au mépris des engagements les plus solennels. Benoît XIII, au surplus, cherchait à porter atteinte aux privilèges de l'Église de France par les exactions injustes dont il accablait le royaume. Il fallait interdire la levée de ces taxes, lesquelles, d'ailleurs, n'étaient pas très anciennes, et avaient été établies par la cupidité de quelques-uns des prédécesseurs du pontife régnant.

Le discours de Jouvenel terminé, l'assemblée se sépara sans pouvoir conclure ; beaucoup de membres, en effet ; avaient exprimé l'avis que, pour pouvoir prononcer, il fallait que Benoît XIII eût fait présenter sa défense. Toutefois la lettre de l'université de Toulouse fut brûlée par sentence du parlement vers la fin de juillet[9].

Les ducs n'avaient pas obtenu ce qu'ils voulaient. Le parlement s'était dérobé ; ne sachant plus comment se tirer de cette impasse, ils décidèrent de recourir à un concile national.

Le concile se réunit à la Toussaint de cette même année 1406. Le débat devait être solennel. Le conseil du roi avait décidé qu'on choisirait douze clercs théologiens et canonistes, dont six défendraient la cause du pape, et six soutiendraient le retour à la soustraction d'obédience. Le roi et son conseil assisteraient au débat et prononceraient[10].

La première audience fut remplie par le discours de deux orateurs de l'université, maître Pierre aux Bœufs, de l'ordre de Saint-François, et maître Jean Petit, qui demandèrent la soustraction d'obédience et le retrait de la collation des bénéfices. Le samedi, 27 novembre, Simon de Gramault, patriarche d'Alexandrie et évêque de Poitiers, parla dans le même sens. Après quoi, on donna la parole à un avocat de la cause pontificale, Guillaume Fillastre, doyen de l'église de Reims. Celui-ci fit un discours très maladroit, dans lequel il soutint que le roi n'avait pas le droit de réunir un concile pour juger de ces affaires avec le pape, que le pape était au-dessus du roi, aussi bien pour le temporel que pour le spirituel, et autres maximes que tous les juristes français combattaient depuis des siècles. L'indignation que provoqua ce discours fut vive ; la partie était belle pour ceux qui allaient le réfuter. A la séance suivante, le 4 décembre, l'archevêque de Tours, Du Brueil, ne manqua pas de s'élever longuement contre les raisons du doyen de Reims. Aussi, le samedi 11, l'avocat du pape qui suivit, Pierre d'Ailly, se hâta-t-il de corriger la maladresse de son confrère en cherchant à déplacer la question et en soutenant que le débat ne pouvait être porté que devant un concile général de la chrétienté, et non devant une assemblée particulière comme celle-ci. Guillaume Fillastre voulut même reprendre la parole, et si humblement et doucement qu'on pourroit faire exprimer ses excuses au sujet des termes ou des opinions qui avaient pu blesser la majesté royale. Il y eut encore d'autres discours de l'abbé du Mont-Saint-Michel, de maître Pierre Plaon, de nouveau du doyen de Reims, puis de Simon de Cramault, de Du Brueil, de Jean Petit. Après la harangue de ce dernier, le chancelier de France se leva et dit : Lundy parleront les advocats et procureur du roy par la bouche de maître Jean Jouvenel premier advocat du roy[11].

Le lundi, 20 décembre 1406, la cour du parlement ayant entendu la cause de Hutus de Clamas, se rendit à la salle Saint-Louis, derrière la tournelle criminelle ; c'était là que se tenait le concile, auquel le parlement assistait. Le dauphin présidait lequel en l'aage de X ans ou environ avoit tenu le lieu du roy au conseil du roy. A l'assemblée se trouvaient le roi de Sicile, Louis, duc d'Anjou, le duc de Berry, le duc de Bourgogne, le comte de Nevers, les prélas de France, l'université de Paris, et plusieurs autres barons et clers et gens d'église[12]. La séance fut remplie par le discours de Jouvenel.

Nous avons conservé ce discours[13] : le texte que nous possédons n'est pas autre chose visiblement que des notes prises au courant de la plume pendant que Jouvenel parlait. L'auditeur a assez bien suivi l'avocat général ; tout au plus a-t-il donné à la harangue quelque chose de concentré et de nerveux, ce qui est la conséquence d'indications ainsi recueillies rapidement. Assurément il nous donne la plupart du temps les tours de phrase et les expressions de Jouvenel ; il nous a bien conservé la physionomie de ce discours ; il nous est donc possible de déterminer avec ce texte le genre d'éloquence de Jouvenel.

Cette éloquence n'est pas banale ; elle trahit renseignement juridique qu'a reçu l'auteur et les habitudes de jurisconsulte qu'il a contractées. Tout est divisé scrupuleusement et déduit avec une logique rigoureuse. Le sujet se déroule en développements numérotés, qui contiennent chacun, lucidement exprimées, leurs prémisses, démonstrations et conclusions. La langue est serrée, précise, parfois véhémente, et se mêle volontiers d'expressions latines, à moins que ce détail ne soit dû à l'auditeur qui a pris des notes. Jouvenel dira par exemple : Toutesfois qu'il est question du faict du pape, les roys possunt interesse. Ce n'est mie chose dont l'on se doye merveiller. Nous trouvons que primum concilium Nicænum, où il y eut trois cens dix-huict évesques, où fut Arianæ perfidiæ infamia condemnata, fut célébré sub Constantino imp.[14] Cet usage de parler moitié français, moitié latin, est assez commun au XVe siècle. Les orateurs composaient souvent leurs discours en latin ; de là leur tendance, lorsqu'ils avaient à s'exprimer en français, de compléter leur pensée sous la forme qui leur était aussi familière que leur langue maternelle.

Jouvenel, d'ailleurs, fait beaucoup de citations ; la plupart de ses expressions latines sont, il faut le dire, empruntées à des textes autorisés. Les sources de ces citations sont variées : les textes sacrés d'abord ; l'orateur puise indistinctement dans le psalmiste, le Nouveau Testament, les canons des conciles, les décrétâtes, qu'il connaît particulièrement. Le droit romain tient, en second lieu, une place considérable ; le Digeste est surtout le plus fréquemment cité ; enfin Aristote lui-même vient à maintes reprises appuyer tel ou tel argument. Jouvenel est très exact dans ses citations, et il a soin de marquer scrupuleusement la référence de l'opinion qu'il exprime ou du terme qu'il cite.

Quant au fond même du discours, il est intéressant en ce qu'il nous montre avec quelle netteté et avec quelle vigueur les traditions de l'indépendance du pouvoir civil à l'égard de la puissance pontificale se maintiennent dans le monde juridique de ce temps. La harangue de Jouvenel est, en définitive, une réponse au doyen de Reims, Guillaume Fillastre. En présence des opinions diverses qu'expriment les représentants de l'université et les défenseurs des papes, l'avocat du roi tient à sauvegarder les droits de la couronne et à bien mettre hors de cause les principes qui constituent le droit public. Il le fait sans violence, doctement, se défendant même de toute pensée hostile à l'égard de l'Église, et se précautionnant dans sa première phrase contre l'intention qu'on pourrait lui prêter : Très hault et très puissant prince, dit-il au dauphin, il a pleu au roy, que Dieu gart, de moy ordonner à parler de aucunes choses touchant la majesté royale, et pour ce que je suis insuffisant à parler en si haute matière, je vous supplie que vous me supportez et que vous interprétez mes ditz à tout le meilleur sens que vous pourrez ; et s'il advenoit que je déviasse, je m'en soubmetz à la correction et discipline de notre mère saincte Église et de vous, sire, et de ma mère l'université ; et proteste premièrement que je n'entens rien dire au grief du sainct siège de Romme ne d'aucun des prélatz, ni diminuer la jurisdic-tion de l'Église pour augmenter la jurisdiction séculière.

Malgré cette précaution oratoire, Jouvenel entre vivement dans le cœur du débat en prenant pour texte cette phrase du psalmiste : Viriliter agite, confortetur cor vestrum qui speratis in Domino. L'Eglise traverse une crise, dit-il, il y faut promptement remédier. Il y en a qui mettent en doute le droit qu'a le roi de convoquer un concile pour procéder à la réforme de l'Église : ce droit est absolu. Ici Jouvenel expose la distinction radicale du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ; il cite à l'appui les apôtres, Aristote, le Digeste ; il réclame l'indépendance du roi à l'égard du Saint-Siège au point de vue temporel, proteste contre les affirmations opposées du doyen de Reims, Guillaume Fillastre, et va jusqu'à prononcer à son sujet : Il a très mal dict, et, s'il ne s'en fût révoqué, je prensisse conclusion contraire contre lui.

Il adjure tous les prélats et assistants de bien se déterminer à une résolution. En attendant qu'on n'ait qu'un pape, il faut arrêter tous les droits qui vont au Saint-Siège, bénéfices, expectatives, réservations ; les pauvres en seront d'autant moins grevés. Que le pape, de plus, n'ait pas le droit de déposer d'évêque. Benoît XIII a privé de leurs sièges les évêques de Nantes et de Toulouse, parce qu'ils avaient signé la soustraction d'obédience. Il en a nommé d'autres à la place. Il faut que le concile tranche la question. De nouveau que le pape n'ait à tirer un seul denier du royaume ; et pour ce, Messieurs, je vous supplie que diligemment vous y advisez. Je ne dy mie que en cas qui voudroit céder, s'il demandoit au roy un subside, que l'en ne lui deust octroyer ; mais que Ten ostat un grand monceau des maraux qui y sont : il y a tant de happe-lopins qu'il ne luy en vient point la moitié ; ilz tribouillent, ils gastent, ilz dépendent, ilz excommunient, ilz perdent tout. Le pontife ne devra pas non plus attirer de procès au Saint-Siège.

Jouvenel termine en répondant à ceux qui s'étaient élevés contre la prétention qu'avait le concile de vouloir juger le pape. Il dit qu'il ne s'agit pas de juger Benoît XIII, mais de conseiller le roi, afin que celui-ci, après avis, prenne une décision concernant l'attitude que gardera le royaume à l'égard du pape d'Avignon.

Lorsque Jouvenel eut cessé de parler, le doyen de Reims se leva : J'ay dict que les princes prennent pour leurs guerres et disoie que le pape avoit droict aussi de prendre quando necessitas imminebat sibi. Il me souffit, respondez, Jouvenel, amen. Mais le chancelier de France répliqua : Beaux seigneurs, ceste matière pourquoy vous avez esté cy assemblez et mandez est grandement ouverte. Messeigneurs me font dire que les prélatz et non autres soient demain céans et que nul ne desparte jusques à ce que l'en ait conclud et ne vienne nuls fors ceux qui sont mandez.

Et, conclut le manuscrit qui nous a laissé ce texte, et ainsi fin de la proposition de maistre Jehan Jouvenel, advocat du roy, et par conséquent de tout le conseil[15].

Le 18 février 1407 (n. st.), parut une ordonnance de Charles VI qui retirait au pape Benoît XIII la collation des bénéfices et décidait qu'à l'avenir les titulaires seraient nommés selon les anciens usages, c'est-à-dire selon les décrets des conciles et les décisions des pères de l'Église, soit par élection, soit par institution de ceux auxquels il appartenait dans toutes les cathédrales, collégiales ou autres bénéfices tant réguliers que séculiers du royaume de France. C'était l'épilogue de ce long débat qui avait duré plus de six semaines. Les considérants de l'ordonnance résumaient les arguments présentés par Jouvenel, dont le discours était qualifié de proposita et exposita luculenter et discrete[16].

Là se termine cet épisode de l'histoire du schisme qui devait durer encore si longtemps, soulever bien d'autres passions, et provoquer la réunion d'assemblées autrement célèbres que le concile de 1406.

 

C'est quelque temps après cette affaire que se produisit dans la fortune personnelle de Jouvenel un changement notable, qui eut pour conséquence de lui donner un titre nobiliaire et de l'anoblir.

Le 13 mars 1407 (n. st.), Jouvenel avait vendu à Régnier Pot vingt-cinq livres tournois de rente annuelle et perpétuelle qu'il avait le droit de prendre sur la seigneurie de Lignières de Brenon. Cette seigneurie appartenait à la dame Marguerite de Vouziers, qui avait autrefois cédé ces rentes à Jouvenel pour la somme de deux cent cinquante livres tournois. L'acte avait été passé sous le sceau de la prévôté de Troyes, le 10 juillet 1406 ; il contenait également la mention de la vente de vingt autres livres tournois de rentes, faite par la même Marguerite à Jouvenel[17]. C'était donc au bout d'un an à peine de possession que celui-ci se défaisait de ses revenus, sans doute pour réunir l'argent nécessaire à l'achat du domaine important dont nous allons parler.

Le 22 août 1407, en effet, Jouvenel prêtait serment de foi et hommage au roi Charles VI pour les terres, maisons, chastellenies et seigneuries de Treynel[18]. C'était une baronnie. Depuis lors il sera qualifié la plupart du temps chevalier, seigneur de Treynel.

Treynel, Traignel, Treignel, ou, comme on écrit aujourd'hui, Trainel[19] est une petite ville fort ancienne de la Champagne[20].

Forteresse et fief féodal, elle avait donné son nom à de nombreux chevaliers[21]. Comme ce nom l'indique, castrum triangulum, elle avait la forme d'un triangle. Elle était divisée en deux paroisses et possédait deux églises, l'une, l'église Notre-Dame, l'ancienne chapelle du château que les Juvenel des Ursins ont abandonnée plus tard aux habitants ; l'autre, l'église Saint-Gervais et Saint-Protais. On y voyait encore deux faubourgs, le faubourg de Troyes et le faubourg de Sens dénommés ainsi de leur direction du côté de ces deux villes. L'Orvin traverse le bourg, circule autour et s'y divise en deux branches. Cette particularité avait permis de fortifier Trainel d'une manière très solide. Elle était entourée de remparts que flanquaient tours et bastions[22] ; trois portes à pont-levis donnaient accès dans la place ; les fossés étaient profonds. Sur la partie nord-est et ouest, séparé du bourg par un bras de l'Orvin, se trouvait le château. On en voit encore quelques restes. L'enceinte avait été construite sur des terrassements maintenus par des murs ; le bras de l'Orvin qui couvrait un des côtés était artificiel ; on l'avait creusé tout exprès pour la défense. Le château avait comme le bourg une forme triangulaire ; il était dominé par trois tours principales, dont l'emplacement est désigné par des éminences de terre dites la butte du dos d'âne, le puy du guet et le donjon[23].

Le fief de Trainel qui était qualifié fief, terre, seigneurie et double chatellenie de Trainel[24] était assez considérable ; il ne relevait que du roi. Un aveu et dénombrement fait en 1398 nous donne une longue liste de seigneurs vassaux de cette baronnie et des terres qui en dépendaient[25] ; c'était une des principales du comté de Champagne. Elle avait prévôt et bailli ; d'elle ressortissaient notamment les villages de Fay, Bouy, Fourches-sur-Fontaines, Coymart, Vaulreignier, les métairies de Beauvais, Courteilloy, Sailly, Rosay, l'Aunoy et le hameau de la Godivière[26]. Enfin le bourg lui-même avait une certaine importance due en partie à ce fait qu'il se trouvait sur l'ancienne route de Paris à Troyes, existant déjà sous les Romains, et qui est demeurée la même au moyen-âge.

On juge donc de la valeur du nouveau domaine acquis par Jouvenel.

M. Vallet de Viriville pense que Jouvenel hérita cette seigneurie de son père[27]. Par contre, M. Th. Boutiot suppose que cette baronnie n'a été achetée que par le fils de l'avocat général, le chancelier Guillaume Juvenel des Ursins[28].

Ces deux opinions sont également inexactes. D'abord Juvénal des Ursins donne bien à son père la qualité de seigneur de Trainel, ce qui aurait dû avertir M. Boutiot, et ne la lui donne qu'en 1412, ce qui est contraire à l'opinion de M. Vallet de Viriville[29]. En réalité, l'acquisition de la baronnie est antérieure à 1412, mais elle ne remonte certainement pas au delà de Jean Jouvenel.

A la fin du XIVe siècle, en effet, la seigneurie de Trainel appartenait à la famille de Mornay. En 1387 et 1389, Guillaume de Mornay rendait deux aveux au roi Charles VI pour cette terre et pour celle du Plessis-Poilchien, qui lui avaient été données par son cousin germain Jean de Mornay[30]. Le 24 mars 1398 (n. st.), Marie d'Amillis, dame de Treignel et du Plessye-aux-Brébans, veuve de feu messire Jehan de Mornay, jadis chevalier, faisait à son tour l'aveu et le dénombrement de la même seigneurie[31]. Donc avant le XVe siècle, la baronnie de Trainel n'appartenait pas aux Jouvenel. Nous avons vu que, le 22 août 1407, Jean Jouvenel prêtait au roi serment de foi et hommage pour cette baronnie[32]. C'est donc entre 1398 et 1407, et sans doute près de 1407, qu'il faut placer l'acquisition de Trainel par l'avocat général[33]. A partir des années qui suivent, Juvénal des Ursins appelle toujours son père le seigneur de Trainel. Plus discret et plus modeste, Jean Jouvenel s'abstient de prendre dans les documents cette qualité nobiliaire, à laquelle il semble attacher aussi peu d'importance qu'à celle de vicomte de Troyes[34].

Deux ans après, en 1409, il augmentait encore ses propriétés ; il achetait de Hamy de Voulsiers et de sa fille Marguerite de Voulsiers certaines terres, c'est assavoir : la maison Sort de Basson et les terres appartenans à ycelle, et plusieurs autres terres situées et assises es villes de Bierné, Savoye, Valéry, Ruilli, Ruillerot et Montaulain, et aussy en la ville et terre de Cusangey[35]. Ces terres, toutes en Champagne, relevaient du comte de Nevers et de Rethel. Les précédents détenteurs de ces biens devaient encore le dernier quint s'élevant à la somme de deux cents livres tournois. Jouvenel, en se rendant acquéreur, avait à payer cette dette dont il assumait la charge. Comme il était avocat du comte de Rethel au parlement, ainsi que nous l'apprend la pièce qui nous donne ces renseignements, il demanda à son client et seigneur la remise de cette somme. Le comte, en considération des services que Jouvenel lui avait rendus, consentit à lui faire grâce de sa dette moyennant la simple somme de cinquante livres. Aubry Robert, receveur général des finances du comte de Nevers, donna quittance de ces cinquante livres à Jouvenel le 1er avril 1409 (n. st.)[36].

 

Pendant que Jouvenel appliquait ses soins à ses intérêts particuliers, les événements se précipitaient à Paris, devenaient tragiques, et de nouveau Jouvenel était appelé en vertu de ses fonctions à jouer un rôle au milieu de circonstances les plus pénibles qu'on eût vues depuis le début du règne de Charles VI.

Après l'affaire du schisme, l'hostilité du duc d'Orléans et de Jean sans Peur n'avait fait que s'accroître. Le duc de Bourgogne avait pour lui la foule, il était populaire. Le duc d'Orléans, abandonné de tous, ne manquait aucune occasion, par dépit, de faire sentir sa haine à son adversaire. Il s'était fait donner malgré Jean sans Peur le gouvernement de la Guyenne[37]. Il avait fait déposer par le pape Benoît XIII l'évêque prince de Liège, ami, parent et allié du duc de Bourgogne ; puis, comme dernier outrage, il s'était vanté publiquement avec de nombreux détails de son invention, d'avoir eu les faveurs de la duchesse de Bourgogne, vertueuse princesse, d'ailleurs, à laquelle il n'avait même jamais osé adresser ses hommages.

La vengeance de Jean sans Peur fut sanglante ; le mercredi 23 novembre 1407, Louis d'Orléans était assassiné rue Barbette[38].

Un moment de désarroi suivit ce crime. Après avoir avoué qu'il était le coupable, le duc de Bourgogne quitta Paris, presque contraint à fuir par la conscience publique : il laissait la place libre derrière lui.

On enterra le duc d'Orléans avec pompe aux Célestins ; sa veuve, Valentine de Visconti, vint se jeter aux pieds du roi, pour lui demander justice du meurtre qui avait été commis.

Le duc de Bourgogne parti, on ne savait qui allait le remplacer, lorsque vers la fin d'août 1408 arriva à Paris la reine Isabeau de Bavière que les ducs avaient soigneusement écartée du pouvoir jusque-là. Elle avait avec elle le dauphin et se trouvait escortée par deux ou trois mille hommes d'armes. Cette venue, en cet appareil, fit penser à tous qu'elle voulait s'emparer de la direction du gouvernement[39]. De fait, personne n'était capable de la lui disputer. Le duc de Berry n'était pas assez énergique et assez entreprenant ou audacieux pour tenter la partie, et d'ailleurs il était tout à ses collections artistiques.

Un grand conseil fut réuni sous prétexte de délibérer ; en réalité, la décision était fixée d'avance ; Jouvenel y assistait. On convint unanimement que le dauphin était trop jeune, le roi trop malade, les princes trop divisés ; puis il fust advisé que c'estoit le moins mal que la reyne présidast en conseil et eust le gouvernement[40].

Le 5 septembre 1408, un mercredi, fut réunie au Louvre en la grant sale une assemblée imposante où se trouvaient la reine, le duc de Guyenne, son fils aîné, dauphin, les ducs de Berry et de Bretagne, les comtes de Saint-Pol, de Mortain, d'Alençon, de Clermont, de Dompmartin et de Tancarville, le duc de Bourbon, la duchesse de Guyenne, la dame de Charolais, le connétable de France, le chancelier, les présidents du parlement, le grand maître d'hôtel du roi, les archevêques de Toulouse, de Bourges et de Sens, nombre d'évêques et abbés, le prévôt de Paris et le prévôt des marchands, et plus de cent bourgeois des plus notables de la ville. Il s'agissait de publier solennellement la décision du conseil. Ce fut Jouvenel qui prit la parole[41], et il le fît bien grandement et notablement[42].

Le Religieux de Saint-Denis remarque que parmi les raisons qu'allégua Jouvenel pour justifier devant la haute assemblée les lettres royales scellées du grand sceau, qui nommaient Isabeau régente, se trouve invoqué le souvenir de la reine Blanche de Castille[43]. Il est certain que ce rapprochement entre la digne mère de Louis IX et la femme dépravée de Charles VI a quelque chose d'autant plus extraordinaire qu'à ce moment chacun savait déjà à quoi s'en tenir sur la moralité d'Isabeau de Bavière. Il n'en faut point vouloir à Jouvenel. C'est l'habitude du temps de toujours invoquer le souvenir de saint Louis ou de Blanche de Castille pour la moindre circonstance qui autorise cet exemple. D'ailleurs, l'avocat du roi, parlant officiellement, était tenu à une phraséologie qui n'engageait en rien le for de sa propre conscience.

La fin de l'année 1408 fut employée par la duchesse d'Orléans à demander justice de la mort du duc son mari. Jouvenel l'assista et l'aida de son pouvoir. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'il était très attaché au duc d'Orléans, qu'il n'avait obtenu de lui que des faveurs ; par contre, la personne de Jean sans Peur lui était très antipathique ; et, d'ailleurs, il n'avait point perdu le souvenir de ce que le parti de Bourgogne avait jadis machiné contre lui. Il avait été l'avocat du prince assassiné, il demeura l'avocat de sa veuve. Nous en avons la preuve dans un acte du 29 février 1408 (n. st.), par lequel Valentine Visconti donne l'ordre de continuer à payer la pension de vingt livres que le duc défunt faisait à Jouvenel, mais dorénavant à titre d'avocat et conseiller de la duchesse[44]. Le 2 mars, Jehan Bracque mandait au nom de Valentine à Jehan Poulain, son trésorier général, de payer ladite somme à Jouvenel[45] ; et, le 15 septembre, Jouvenel donnait quittance d'une partie de la pension qu'il venait de toucher[46].

On sait comment se termina provisoirement le procès que la duchesse d'Orléans cherchait à intenter au duc de Bourgogne. Jean sans Peur était le plus puissant, il fallut traiter, lui pardonner, oublier : ce fut la paix de Chartres de 1409. Jouvenel dut se rendre à Chartres avec deux présidents du parlement, douze conseillers, le procureur général et l'autre avocat général pour assister à cette triste comédie. Ce dut être un pénible spectacle pour lui que de voir non seulement le meurtre d'un prince, qu'il avait aimé malgré ses défauts, rester impuni, mais encore l'assassin triompher et se glorifier de son crime[47].

Le duc de Bourgogne, rentré à Paris, y devenait fatalement le maître ; c'est ce qui arriva. Le parti d'Orléans, ne pouvant plus supporter une situation semblable, prit les armes, la guerre civile commençait[48].

Jouvenel n'était pas assez considérable pour que son attachement aux héritiers du duc assassiné pût encore le désigner à la colère de Jean sans Peur. Il ne quitta pas Paris ; il continua à remplir ses fonctions au parlement, sans qu'il paraisse que le duc de Bourgogne ait daigné faire attention à lui. Les choses auraient pu durer de la sorte sans danger, et Jouvenel aurait pu assister à ces luttes sans être autrement menacé, malgré ses convictions, lorsqu'un incident imprévu l'amena à manifester ses sentiments contre le duc de Bourgogne d'une manière publique.

Le duc de Lorraine, dont les terres relevaient d'empire, possédait en France la ville de Neufchâteau et environ trois cents villages à l'entour. Il ne se souciait guère de la suzeraineté de Charles VI ; il affectait de la reconnaître à peine, et ses sentiments, sous ce rapport, s'accroissaient d'autant que, par contre, les habitants de Neufchâteau manifestaient une vive sympathie pour la France. Un jour, à propos d'une affaire quelconque, des gens de cette ville eurent l'occasion de prouver de quelle manière ils se considéraient comme unis à la France en appelant au parlement de Paris. Le parlement expédia un exploit ; le duc de Lorraine fit saisir les officiers royaux qui étaient venus au sujet de cet exploit ; et, pour compléter l'outrage, il ordonna d'abattre les panonceaux et écussons du roi que les habitants avaient placés en divers lieux de leur ville en signe de sauvegarde ; il les fît attacher à la queue d'un cheval et traîner ainsi ignominieusement.

A cette nouvelle, le conseil de Charles VI décida qu'on intenterait un procès au parlement contre le duc de Lorraine comme coupable du crime de lèse-majesté. Le duc fut cité à comparaître à Paris ; il ne vint pas. Quatre fois de suite, suivant la procédure, il fut sommé de se présenter, quatre fois il fit défaut. A la requête du procureur et des avocats du roi, le parlement déclara le duc coupable, le condamna au bannissement perpétuel et à la confiscation de ses biens[49].

Pour toute réponse, le condamné vint à Paris.

A ce moment-là, en effet, le duc de Lorraine était au mieux avec le duc de Bourgogne. Or, celui-ci ne pouvait souffrir les gens du parlement ; il les savait sourdement hostiles à sa cause ; il ne fut pas fâché de se jouer d'eux ; c'était sous sa sauvegarde et sans doute à son instigation que le duc de Lorraine avait osé cette démarche.

Le parlement fut indigné que l'on affichât de la sorte un si complet mépris de son autorité. Il se réunit séance tenante, et, après une délibération orageuse, il fut décidé que, sans plus tarder, le lendemain même, au matin, on profiterait de la cérémonie publique qui devait avoir lieu à l'hôtel Saint-Paul après la messe, et dans laquelle le duc de Bourgogne devait présenter le duc de Lorraine au roi devant toute la cour, pour se rendre auprès de Charles VI, et requérir prompte vengeance, exécution immédiate des arrêts de la justice.

Seulement, lorsqu'il s'agit de savoir qui prendrait la parole devant le roi, chacun se récusa, c'était trop dangereux. On finit par demandera Jouvenel qui accepta. Pasquier a considéré cet incident de la vie de Jouvenel comme un des plus beaux exemples qu'il connût de hardiesse et de beauté morale.

Le lendemain, il y avait affluence de seigneurs à l'hôtel Saint-Paul ; Jean sans Peur venait de présenter le duc de Lorraine au roi, lorsque arriva la députation du parlement ; elle n'avait pas été annoncée ; personne ne s'y attendait, on devina le motif qui l'amenait, et une certaine émotion saisit les assistants à la pensée de la scène qui allait se produire. On laissa avancer la députation, et lorsqu'elle fut arrivée près du roi, le chancelier de France demanda pourquoi on venait et ce qu'on voulait. Sans lui répondre, Jouvenel s'agenouilla devant Charles VI et lui expliqua brièvement l'objet de sa démarche. Jean sans Peur était debout près du duc de Lorraine ; il avait regardé sans mot dire ce qui se passait, il comprenait que lui seul était visé. Lorsque Jouvenel eut terminé, il lui dit : Jouvenel, ce n'est pas la manière de faire. L'avocat général répliqua qu'il falloit faire ce que la cour avoit ordonné ; puis d'une voix forte, il ajouta, avec un beau geste que tout ceux qui estoient bons et loyaux vinssent et fussent avec eux, magistrats dévoués au roi, et que ceux qui estoient au contraire, se tirassent avec ledit duc de Lorraine. Cette vive et brusque apostrophe produisit son effet. Jean sans Peur, qui tenoit par la manche le duc de Lorraine, le laissa aller et ne répondit point ; les assistants se prononçaient visiblement pour Jouvenel ; la position devenait embarrassante ; le duc de Lorraine, pour en sortir, n'eut d'autre ressource que de se jeter aux pieds du roi et de lui demander pardon. Le roi pardonna et remit le jugement.

Mais le duc de Bourgogne ne fut pas bien content dudit Jouvenel, combien que ce qu'il fit, ce fut comme bon, vray et loyal[50].

 

 

 



[1] Religieux de S. Denis, t. II, p. 579.

[2] Religieux de S. Denis, t. III, p. 97.

[3] Religieux de S. Denis, t. III, p 217.

[4] Religieux de S. Denis, t. III, p. 361.

[5] Religieux de S. Denis, t. III, p. 375.

[6] Relig. de S. Denis, t. III, p. 378. Infames, scismatici et fautores heretice pravitatis.

[7] Le Religieux de S. Denis l'appelle ici : Vir utique litteratus et clarus eloquentia. T. III, p. 382.

[8] Relig. de S. Denis, t. III, p. 385, traduction de Bellaguet.

[9] Relig. de S. Denis, t. III, p. 385, traduction de Bellaguet.

[10] Pour ce qui va suivre, nous nous servirons surtout de Juvénal des Ursins (p. 181-184), plus complet que le Religieux de S. Denis, qui passe brièvement sur cette phase de l'histoire du schisme.

[11] Juvénal des Ursins, p. 184.

[12] Arch. nat., X1a 4787, fol. 458, r°. — Journal de Nicolas de Baye, t. I, p. 181.

[13] Bibl. nat., ms. fr. 17220, du f° 179 r° au f° 190, v°. C'est une copie du XVIIe siècle. On peut s'assurer de son authenticité en la comparant avec l'analyse qu'en donne Juvénal des Ursins (p. 184). D. Godefroy l'a publiée (Hist. de Charles VI, preuves, p. 623-628).

[14] D. Godefroy, p. 624.

[15] Bibl. nat., ms. fr. 17220, f° 190.

[16] Voy. le Religieux de S. Denis qui donne tout au long le texte de la déclaration royale, t. III, p. 472-484.

[17] Bibl. nat., Fonds francs, nouv. acq. n° 1365, f° 2, r°.

[18] Arch. nat., Sect. admin., P 1642, n° 318.

[19] Dép. de l'Aube, arr. et canton de Nogent-sur-Seine, à 13 kil. S.-O. de cette ville.

[20] O. d'Arbois de Jubainville, Inventaire sommaire des Arch. du dép. de l'Aube, t. VIII, n° 115, 144, 180, 232, 238.

[21] Voy. Amédée Aufauvre, les Tablettes historiques de Troyes, passim. — Abbé Ch. Lalore, Documents pour servir à la généalogie des anciens seigneurs de Trainel... dans Mémoires de la Soc. acad. du dép. de l'Aube, 1870, t. 34, p. 177 et suiv.

[22] Voy. Annuaire de l'Aube pour 1836... Troyes, Laloy (1836), in-12°, p. 115 et suiv.

[23] Lalore, op. cit., p. 179-180. — Girault de Saint-Fargeau, Dict. géog. de la France, t. III, p. 687.

[24] Courtalon, Topographie historique de la ville et du diocèse de Troyes, t. II, p. 349.

[25] Arch. nat., Sect. admin., P 200, f° 107-117.

[26] Extrait et estat sommaire du bailliage de Troyes dans Pierre Pithou, Les Coustumes du bailliage de Troyes en Champagne, 1628, p. 630.

[27] Vallet de Viriville, Biog. gén. de Didot, art. Ursins.

[28] Th. Boutiot, Louis Jouvenel des Ursins, bailli de Troyes, dans Annuaire de l'Aube, 1865, p. 95.

[29] Juvénal des Ursins, p. 247.

[30] La Chesnaye des Bois, Dict. de la noblesse, art. Mornay.

[31] Arch. nat., Sect. admin. P. 200, f° 107-117.

[32] Voy. supra.

[33] Il est bien question en 1401 d'une dame Eustache de Trainel qui accorda des franchises à ses hommes de Migennes. (P. Anselme, Hist. généal., t. VIII, p. 613) ; mais il n'y a pas de raison pour voir dans ce personnage une propriétaire de la seigneurie. Le nom de Trainel, comme nom de famille, a été assez répandu en Champagne par des branches cadettes pour qu'on puisse se croire en présence de quelque membre d'une de ces branches.

[34] L'abbé Lalore (op cit., p. 85) n'a connu ni l'acte du 24 mars 1398 ni celui du 22 août 1407. — Trainel relevait du château de Troyes. (Arch. nat., P 1642, n° 318.)

[35] Bibl. nat., cabinet des titres, pièces originales, vol. 1593, dossier 36662, n° 7, parch.

[36] Bibl. nat., cabinet des titres, pièces originales, vol. 1593, dossier 36662, n° 7, parch.

[37] Monstrelet, t. I, p. 151.

[38] Juvénal des Ursins, p. 189. Voy. sur l'assassinat du duc d'Orléans : P. Raymond, Enquête du prévôt de Paris sur l'assassinat de Louis, duc d'Orléans (1407). Paris, imp. de A. Laine et J. Havard, 1805, in-8°. (Extrait de la Bibl. de l'Éc. des Chartes, 6e série, t. I.) — Bonamy, Dissertation, dans Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XXI, p. 515. — Sur la manière dont l'histoire de ce meurtre fut travesties à l'étranger, voy. Julien Havet, Maître Fernand de Cordoue et l'Université de Paris au XVe siècle, dans Mémoires de la Soc. de l'hist. de Paris et de l'Île-de-France, t. IX, p. 194 (1882).

[39] Juvénal des Ursins, p. 190.

[40] Juvénal des Ursins, p. 194.

[41] Arch. nat., X1a 1479, fol. 42, r°. — Journal de Nicolas de Baye, t. I, p. 241.

[42] Juvénal des Ursins, p. 194. — On trouvera cette publication des pouvoirs conférés à la reine dans les preuves de l'Histoire de la ville de Paris, de D. Félibien (t. IV, p. 553), et dans le Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, t. I, p. 312.

[43] Relig. de S. Denis, t. IV, p. 91.

[44] Bibl. nat., cabinet des titres, pièces orig., vol. 1593, dossier 36662, pièce 4, parch.

[45] Bibl. nat., cabinet des titres, pièces orig., vol. 1593, dossier 36662, pièce 5, parch.

[46] Bibl. nat., cabinet des titres, pièces orig., vol. 1593, dossier 36662, pièce 6, parch.

[47] Arch. nat., X1a 1479, fol. 64, v°. — Journal de Nicolas de Baye, t. I, p. 259. — Cette même année 1409, nous l'avons vu, Jouvenel alla assister aux Grands Jours de Troyes, comme avocat du roi. (Th. Boutiot, Hist. de la ville de Troyes, t. II, p. 328. — F. Bourquelot, Études sur les foires de Champagne, II, p. 258-274.)

[48] Voy. la lettre par laquelle le roi mande au duc de Bourgogne de venir défendre son royaume et ses sujets contre le parti d'Orléans (28 août 1411), dans le Religieux de S. Denis, t. IV, p. 458.

[49] L'arrêt est du 1er août 1412, Arch. nat., sect. judic. X2a 16, f° 170-185. Voir son résumé dans le Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 75-79. (Arch. nat., X1a 1479, fol. 209, r°.) Cet arrêt a été imprimé en 1634 (Paris, in-8°), sous le titre de Arrest du Parlement de Paris, donné et rendu à la requeste du procureur général du roy, contre Charles II, duc de Lorraine, et autres complices... et les remarques qu'en a fait Jean Juvénal des Ursins... M. Vallet de Viriville croit que ces remarques sont un discours de Jouvenel ; ce ne sont qu'un extrait de l'Hist. de Charles VI, de Juvénal des Ursins. On trouvera le texte de l'arrêt réimprimé dans S. Luce, Jeanne d'Arc à Domrémy, preuves, p. 59.

[50] Juvénal des Ursins, p. 247. — Jouvenel eut à subir en 1411 un procès avec un certain Antoine de Havesquerque ; nous en ignorons la cause. L'affaire dura fort longtemps, car les parties avaient plaidé le 10 juillet 1411 (Arch. nat., X1a 1479, fol. 165, v°) et le jugement ne put être rendu ni le 11 juillet (Ibid.), ni le 14 décembre (Ibid., fol. 184, v°), ni le 16 décembre (Ibid.). Deux ans après, en 1413, le litige durait encore. Il y eut de nouvelles plaidoiries le 21 février, et le mardi 27 juin de cette même année fut donné un arrêt qui décidait que le dit Jouvenel baillera ses escriptures à rencontre dudit Havesquerque au VIe de juillet ; aliter amplius non admutetur. (Ibid., fol. 247, r°). — Cette même année 1411, nous rencontrons le nom de Jouvenel dans un procès de mineurs. Il plaide au nom de Guiot des Barres, écuyer, Philiberte de Moruay, sa femme, Pierre de la Ferté, écuyer, Agnès de Mornay, sa femme, Guillaume Garreau, écuyer, Jeanne de Mornay, sa femme, et Jean Garreau écuyer, sire de Chastelnuef, contre Philibert de Saulx, évêque de Châlon, et Jean de Saulx, chancelier du duc de Bourgogne. Ces Moruay sont peut-être ceux auxquels Jouvenel a acheté Trainel. La cour répond le vendredi 18 octobre 1411 : Il sera dit que les parties sont contrintes aux siens plaidoyez. (Arch. nat., X1a 1479, fol. 185, v°.) Nous n'avons pas trouvé d'autre trace de ce procès. — On rencontre le nom de Jouvenel cité à propos de ses fonctions d'avocat général dans des affaires d'ailleurs peu importantes aux dates du 18 oct. 1409 (Journal de Nicolas de Baye, I, 280), 7 janvier 1412 (n. st.) (Ibid., II, 44), 14 juin 1412 (Ibid., II, 70.)

A la date où nous sommes parvenus, la famille de Jouvenel est au complet ; de 1406 à 1410 étaient nés les quatre derniers enfants : le 13 juillet 1406, Pierre, qui eut pour parrains Gilles de Vitry, son oncle maternel, Guy Jouvenel, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem et Jean le Bugle (Bibl. nat., ms. franc. 4752, p. 115) ; le 6 sept. 1407, de nouveau un garçon appelé Pierre, le précédent n'ayant vécu que deux jours, avec pour parrain et marraine Pierre d'Orgemont, conseiller du roi et doyen de S. Martin de Tours, Jehanne la Jouvenelle, femme de Nicolas de Chalari, avocat au Parlement (Ibid.) ; le 15 janvier 1409 (n. st.), Michel, que Michel de Vabloy, conseiller du roi et maître ordinaire en la chambre des comptes, Michel de Vitry, chevalier de Jérusalem, son grand-père, Marguerite, veuve de Jacques Jouhan, tiennent sur les fonts baptismaux (Ibid.) ; enfin, le 14 octobre 1410, Jacques, qui eut pour parrain et marraine Jacques Rappude, bourgeois de Paris, et Guillemette de Vitry (Ibid.). De ces seize enfants, cinq étaient morts en bas âge, il n'en restait plus que onze qui suivront jusqu'à la fin la fortune heureuse ou malheureuse de Jouvenel.