HISTOIRE DES CROISADES CONTRE LES ALBIGEOIS

TOME PREMIER

 

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.

 

 

Simon de Montfort récompense ses chevaliers, en inféodant à chacun une portion du territoire conquis. — Institution des sénéchaussées de Carcassonne et de l'Agénois. — Assemblée de Pamiers. — Montfort y promulgue une charte pour la réforme du Midi.

 

En favorisant la Croisade, le sort des armes avait formidablement agrandi la puissance de Simon de Montfort. Maître déjà d u Carcassès, du Razès, du Minervois et de l'Albigeois, il venait, dans cette dernière campagne, d'adjoindre à ces provinces celles du Lauraguais, de l'Agenois, du Commingeois et le diocèse de Toulouse, à l'exception de sa capitale et de la ville de Montauban. Il était, certes, peu de grands feudataires aussi bien apanagés que ce chef d'aventuriers, qui, de simple Comte de deux misérables seigneuries du Nord, s'était fait en trois années suzerain de presque tout le Midi.

Mais il ne suffit pas de conquérir par la force pour être réellement maître d'un pays envahi. Il faut non-seulement détruire des villes, mais encore une nationalité, substituer des mœurs nouvelles aux mœurs anciennes, une langue exotique à une langue indigène, une législation incomprise à une législation inhérente aux populations, et sanctionnée par des siècles. Il est besoin, en un mot, de tout abattre pour tout réédifier. Cela ne s'improvise point ; nous dirons plus, cela est impossible, à moins qu'on n'ait pour soi le concours d'une civilisation supérieure à celle des contrées que l'on voudrait régénérer.

Toutefois faisant ce que tous les conquérants essayent de faire, Simon de Monfort employa la fin de l'année 1212 à se consolider sur des bases morales après s'être intronisé sur des bases matérielles. Il ne visait à rien moins qu'à métamorphoser le pays envahi. La conquête devenait si avide, qu’elle voulait absorber à son bénéfice ce qui constituait la vie propre des peuples conquis. Le Nord, en un mot, voulait façonner le Midi à son effigie.

Le chef de la Croisade s'occupa d'abord de donner des marques de sa munificence aux chevaliers qui l'entouraient. Depuis trois ans que durait l'envahissement, quatre mille gentilshommes s'étaient attachés à sa fortune, afin d'en recueillir les miettes. Rien de plus commun, à cette époque de prise de possession violente, que des aventuriers qui se groupaient autour d'un aventurier supérieur, et le poussaient au pouvoir pour mieux y arriver à sa suite. Ainsi s'opéra la conquête d'Angleterre par Guillaume, et celle de la Sicile par Tancrède. Une fois arrivés au trône, ces nobles spoliateurs avaient royalement récompensé les dévouements qui leur avaient servi de marchepied, et Montfort, placé dans les mêmes conditions, dut imiter leur exemple. Au surplus, sa consolidation féodale s'augmentait en raison de ses largesses. Il dépossédait une noblesse hostile, et la remplaçait par une noblesse intéressée à soutenir l'usurpation dont elle profitait. Il dissolvait les éléments opposés, et fortifiait les éléments favorables, en les ralliant dans une communion féodale. En outre, en apanageant les plus braves chevaliers de la Croisade, il se créait une troupe d'élite, dévouée, fidèle et surtout permanente.

Puis, il en vint t l'organisation administrative et militaire du Carcassès, la plus ancienne de ses conquêtes, et établit à Carcassonne un siège de sénéchaussée, dont la juridiction s'étendait depuis le comté de Foix jusqu'à la ville de Montpellier[1].

L'office des sénéchaux était d'administrer la justice et de conduire à la guerre le ban et l'arrière ban de leur sénéchaussée. Ils jugeaient seuls et souverainement[2].

Bouchard de Marly, de la maison de Montmorency, à qui Montfort avait déjà inféodé plusieurs seigneuries, entr'autres, celle de Saissac, fut le premier sénéchal de Carcassonne. Il lui fut alloué, pour cette fonction, des appointements considérables, et le château vicomtal lui fut assigné pour demeure.

L'Agenois fut constitué de la même manière. Mais ces modifications réglementaires n'étaient que partielles et n'attaquaient pas assez dans le vif l'ancienne constitution méridionale. Montfort songea à promulguer une charte plus générale qui, tout en prouvant sa souveraineté, devait, selon sa politique, la rendre inébranlable.

A cet effet, il convoqua une grande assemblée ou parlement à Pamiers, à la fin de novembre de cette même année 1212, et y appela les prélats, les nobles et les principaux bourgeois du Midi.

L'archevêque de Bordeaux, les évêques de Toulouse, Carcassonne, Agen, Périgueux, Conserans, Comminges et Bigorre s'y rendirent ainsi que bien d'autres prélats et gentilshommes dont l'histoire n'a point conservé les noms. L'assemblée discuta des statuts pour le gouvernement des pays conquis, et choisit ensuite pour les rédiger douze personnes des plus habiles, qui étaient l'évêque de Toulouse, celui de Conserans, un Templier et un hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem entre les ecclésiastiques, quatre chevaliers français et quatre habitants du pays, dont deux nobles et deux bourgeois.

Quelle influence pouvait avoir dans ce parlement et dans cette rédaction de charte, le peuple du Midi ? aucune. On ne l'excluait pas de la délibération, mais on neutralisait sa voix. Si puissante qu'elle fût, la conquête s'entourait encore de subterfuges.

Ces commissaires convinrent de quarante-cinq articles et les proposèrent à l'assemblée qui les approuva. Montfort et tous les chevaliers firent serment de les observer. Cette charte destinée à devenir le nouveau code du Midi n'a pas été reproduite par les historiens des Croisades contre les Albigeois. Nous la trouvons trop importante pour ne pas la traduire littéralement et la transcrire dans son entier.

ORDONNANCES ET RÉGLEMENS DE SIMON DE MONTFORT, POUR LA RÉFORME DES TERRES PAR LUI CONQUISES.

Au nom de notre seigneur Jésus-Christ, nous établissons un lit général de justice destiné à réprimer tout ce qui est contraire à Dieu, à l'église romaine et à l'équité, à abolir l'hérésie et à extirper les mauvais actes des voleurs et des autres malfaiteurs. Pour cela, nous Simon, par la providence divine, comte de Leycestre et de Montfort, vicomte de-Béziers et de Carcassonne, seigneur d'Alby et de Rhodez, désireux d'accomplir ces desseins et de maintenir nos états en paix et repos, pour l'honneur de Dieu, de la sainte Église Romaine, de notre seigneur, le roi de France, et pour l'utilité de tous nos sujets, avons, par le conseil des vénérables seigneurs l'archevêque de Bordeaux, les évêques de Toulouse, Carcassonne, Agen, Périgueux, Conserans, Comminges et Bigorre et des sages hommes nos Barons et principaux vassaux, promulgué pour toutes nos terres, ces coutumes générales que nous commandons à tous nos peuples d'observer inviolablement.

I. — Les privilèges et les libertés des églises et maisons religieuses sanctionnés par le droit canon ou civil, seront de tous et par tous abservés et entretenus. Il est fait défense aux Laïques de convertir en châteaux ou forteresses aucune église, ni d'en réduire aucune en servitude. Nous commandons en outre que celles qui l'ont été soient démolies ou remises entre les mains des évêques qui ne pourront toutefois retenir telles églises fortifiées dans des châteaux ou villes des autres seigneurs.

II. — Toutes prémices seront rendues aux églises, sans aucune difficulté, selon que l'on a coutume de les rendre en chaque pays, et toutes dimes seront payées comme il est écrit et commandé par notre saint-père le pape.

III. — Nul clerc possédant même un héritage, ne pourra être soumis à la taille, à moins qu'il ne soit marchand ou marié. Il en sera de même à l'égard de la pauvre veuve.

IV. — Nulle foire ou marché ne sera à l'avenir tenu le jour de dimanche. Tous les lieux qui auront coutume d'en tenir ce jour-là les remettront à un autre jour, indiqué par le seigneur particulier du lieu et pai le sire Comte.

V. — Quiconque aura pris un clerc en crime, quel qu'il soit, ou en autre manière, lors même qu'il n'aurait que la simple tonsure, le rendra sans délai à l'évêque, ou à l'archidiacre, ou à leurs représentants. Quiconque le retiendra sera incontinent excommunié et contraint à le rendre par le seigneur temporel.

VI. — Chaque maison du pays conquis sera tenue de payer, par an, trois deniers melgoriens à notre saint-père le pape, et à notre sainte mère l'Église-Romaine, en signe et mémoire perpétuelle, que par son aide, elle a été enlevée aux hérétiques et donnée pour toujours au dit Comte et à ses successeurs. Ce droit sera perçu depuis le commencement du Carême jusqu'à la Pâque.

VII. — Nuls barons ou chevaliers ne contraindront à payer taille, les vassaux que les églises ou maisons religieuses ont acquis par don ou concession de rois, princes, ou autres seigneurs des terres, et qu'elles ont possédé libres et exempts de toute exaction envers les seigneurs, dans les terres ou villes desquels ces vassaux demeurent. Si la possession à cet égard avait été interrompue par la malice des hérétiques ou autres mauvais princes, et s'il s'élevait des doutes au sujet de cette exemption, la vérité en sera recherchée sans délai et la preuve reçue sans demeure. S'il est véritablement reconnu que la violence y soit intervenue, les seigneurs des villes et des châteaux où ces serfs demeurent, s'abstiendront de toute exaction et de toute taille à leur égard.

VIII. — Les paroissiens seront contraints aux jours de dimanche et fêtes, ou l'on cesse les œuvres manuelles, d'aller à leur église ouïr la messe entière et le sermon ; et s'il advient, qu'en ces jours, les maîtres ou maîtresses de la ville ou du village, n'aillent point à la dite église, sans pouvoir alléguer cause de maladie ou autre motif plausible, ils seront tenus de payer six deniers tournois, monnaie courante, dont une moitié appartiendra au seigneur de la ville ou du village et l'autre sera divisée entre l'église et le curé.

IX. — Dans tous les villages où il n'y a point d'église et où il y a des maisons d'hérétiques, la plus propre de ces maisons sera baillée pour faire l'église et une autre sera destinée à l'habitation du curé ; et s'il y a église et non presbytère, la plus voisine maison d'hérétique sera donnée au dit curé.

X. — Quiconque à l'avenir octroiera par argent ou par toute autre cause à un hérétique, la permission d'habiter en sa terre, perdra, s'il en est convaincu, toute sa terre pour toujours et son corps sera en la puissance de son seigneur qui pourra le rançonner à son gré.

XI. — D sera permis à chacun, soit chevalier ou roturier, de donner de son propre héritage jusqu'au cinquième en aumônes, selon la coutume de France et usage près Paris, excepté toutefois les baronnies et forteresses et droits d'autrui, et sauf l'entier service du seigneur supérieur qui lui demeurera, par titre de succession sur les parties appartenant aux hérétiques.

XII. — Dans tout procès ou sentence, le juge ne pourra, sous prétexte d'aucune coutume, exercer aucune exaction sur les parties plaidantes. La justice sera administrée gratuitement, et la cour donnera un avocat pour la défense de celui qui n'aurait pas les facultés d'en avoir.

XIII. — Nul hérétique, réconcilié même à l'Église, ne pourra être ni prévôt, ni bailli, ni juge, ni assesseur, ni témoin, ni avocat. Il en sera de même du juif. Ce dernier pourra néanmoins servir de témoin contre un autre juif.

XIV. — Nul hérétique, s'il n'est réconcilié à l'Église, ne pourra demeurer en la ville où il s'est montré hérétique. Il ne pourra demeurer que dans les lieux que le Comte lui assignera.

XV. — Tous les clercs et religieux pèlerins et chevaliers qui Passeront en nos terres seront, à moins qu'ils ne soient marchands, exempts de tous péages.

XVI. — Les barons et chevaliers français, seront tenus de servir le comte de Montfort, alors et en tout lieu qu'il y aura guerre contre sa personne, et au sujet des terres conquises et de celles qui lui restent à conquérir, et cela avec le nombre de chevaliers à la charge desquels ledit Comte leur a donné leurs dites terres et revenus, pourvu que, d'après les promesses faites, lesdits revenus leur aient été entièrement et suffisamment assignés. Car si l'assignation n'avait été pleinement faite, le chevalier ne serait tenu de servir le dit Comte qu'avec un nombre de chevaliers relatif aux terres qui lui ont été données. Et si ledit Comte, sans nécessité de défendre sa personne ou ladite terre conquise, mais de sa propre volonté, voulait porter secours de guerre à quelqu'un de ses voisins ou autres, les dits chevaliers ne seront nullement contraints de le servir de leur personne ou de leurs gens, à moins que ce ne soit d'amour ou de bon gré.

XVII. — Les chevaliers français qui doivent le service militaire au comte de Montfort, ne pourront le rendre pendant vingt ans qu'avec des chevaliers français, sans qu'il leur soit loisible de remplacer ces derniers par des chevaliers du pays conquis. Mais les vingt ans passés, chacun le servira avec tels chevaliers qu'il trouvera propres à la guerre.

XVIII. — Les chevaliers qui obtiendront un congé pour aller en France, ne devront y demeurer, sans légitime empêchement, que jusqu'au terme fixé par ledit comte de Montfort qui, après un délai de quatre mois, à partir de l'expiration du congé, pourra, nonobstant opposition, se saisir de la terre de ces chevaliers et en disposer à son gré et plaisir.

XIX. — Tous barons, chevaliers et autres seigneurs de la terre du dit comte Simon, seront tenue de lui rendre sans délai ni contradiction, les châteaux et les forteresses qu'ils tiennent de lui, toutes les fois qu'il les demandera. En retour, après les troubles, ledit Comte devra, en bon seigneur, rendre lesdits châteaux et forteresses en l'état et valeur primitifs.

XX. — Tous les barons et gens de guerre seront tenus de courir au premier appel, au secours du dit comte Simon, s'il est assiégé ou en retraite. S'il est prouvé que quelqu'un ait fait défaut de venir en aide au dit Comte en cette suprême nécessité, à moins qu'il n'ait un motif d'excuse suffisante, la terre qu'il tient du dit Comte sera confisquée au profit de ce dernier. Quant aux autres gens de guerre, tels que bourgeois et laboureurs, ils seront tenus, s'ils sont suffisamment appelés, d'aller au secours du dit Comte, au nombre de deux par maison, s'il y en a deux, ou d'un s'il n'y en a qu'un. Ceux qui feront défaut sans excuse, verront la moitié de leurs biens meubles et immeubles, confisqués au profit des seigneurs de qui ils relèveront.

XXI. — Les barons, chevaliers et autres seigneurs des terres qui doivent service au dit comte de Montfort, et qui auront été appelés pour quinzaine, seront, s'ils ne se trouvent au rendez-vous de l'armée, ou s'ils ne se sont acheminés dans le dit délai, passibles d'une amende du cinquième de leurs revenus d'un an de la terre donnée par le dit Comte, auquel appartiendra le fruit de l'amende. Et s'ils viennent au rendez-vous, avec un plus petit nombre de chevaliers que celui auquel ils sont tenus, ils devront payer double gage par chevalier manquant, jusqu'à ce que le nombre en soit complet. Semblable peine sera infligée aux barons et chevaliers provençaux, s'ils ne rendent au dit Comte le service qu'ils lui doivent.

XXII. — Nul sujet du dit Comte, n'entreprendra en sa terre sans son consentement, de fortifier de nouveau aucune place, ou de réédifier une forteresse démolie.

XXIII. — Les chevaliers catholiques nés dans le Midi, seront quittes envers leurs seigneurs, après avoir fait le service auquel ils étaient tenus avant la Croisade. Mais ceux qui ont été hérétiques, seront tenus de servir le dit Comte et leurs seigneurs, toutes les fois qu'ils en seront requis.

XXIV. — Nul baron, chevalier ou autre seigneur gratifié de terres par le dit Comte, ne pourra exiger au-delà de la taille statuée par les ordonnances de son seigneur et comte, sous quelque nom que ce soit, tel que taille, ou quête, ou bonté, sauf toutefois les cens et autres revenus des terres, vignes, maisons et autres héritages et les justices ; car cette taille a été constituée, modérée et arbitrée -pour toute autre taille soit quête ou amende, afin qu'au-delà de ce taux, nul ne puisse exiger ou extorquer autre chose. Et si quelqu'un est convaincu d'avoir fait le contraire, ledit Comte l'obligera à rendre ou à quitter ce qu'il aura exigé ou imposé outre sa Charte, qui devra être par tous observée.

XXV. — Il sera loisible à tous hommes taillables, de se dégager à leur gré de la sujétion d'un seigneur, pour passer sous celle d'un autre, à la charge toutefois, que ceux qui sont de condition libre n'emporteront que leurs meubles, et laisseront au seigneur qu'ils quittent les héritages qu'ils tiennent de lui ou d'autrui, et ceux qui sont serfs, que l'on nomme propres hommes, laisseront leurs meubles et immeubles au seigneur qu'ils quittent, lequel ne pourra plus rien demander en quelque lieu qu'ils soient, après qu'ils auront demeuré dans une autre seigneurie.

XXVI. — Nul homme emprisonné ou détenu, ne sera empêché d'ester à droit, tant qu'il pourra donner pleiges[3] suffisants.

XXVII. — Nul seigneur ne recevra pleige ou autres cautions de ses hommes pour les empêcher de se retirer en la domination d'autrui, selon les formes indiquées.

XXVIII. — Les seigneurs recevront les corvées de leurs hommes, selon l'ancienne coutume des terres, villes et villages, et selon cette coutume, les nourriront.

XXIX. — Attendu que les sujets des princes et seigneurs nés en cette terre sont trop grevés de tailles, et s'en plaignent audit comte Simon, nos seigneurs et chevaliers seront réunis en un autre parlement, afin d'aviser au moyen de faire observer une juste mesure dans la perception des tailles et subsides. Si les seigneurs et chevaliers s'y refusaient, ledit Comte pourra les y contraindre.

XXX. — Les hommes des villes et des villages auront leur usage en bois, eaux et passages, tel qu'ils l'ont eu depuis trente ans jusqu'à présent, et s'il s'élève des différends entre eux et leur seigneur, celui qui aura la puissance, la conservera jusqu'à ce que l'affaire soit décidée par le serment des anciens du lieu ou autrement.

XXXI. — Nul sujet ne sera pris pour la dette de son seigneur s'il n'est pleige ou débiteur.

XXXII. — Nul baron, chevalier, bourgeois ou manant ne prendra par violence les choses d'autrui, et celui auquel ce tort aura été fait, ne se vengera sans en avoir obtenu licence de son seigneur, auquel toutes plaintes seront faites. Quiconque aura confessé ou sera convaincu d'avoir fait le contraire, sera amendé, au profit de son suzerain, de vingt livres, s'il est baron ; de dix livres, s'il est chevalier ; de cent sols, s'il est bourgeois. Outre cela sur le commandement de son seigneur, il rendra ce qu'il a pris, et satisfera entièrement celui à qui il a fait tort. Quiconque se sera fait justice de sa propre autorité, sera pareillement amendé, et paiera en sus l'amende de soixante sols à celui de qui il s'est vengé, lui restituera ce qu'il lui a prit avec dommages et intérêts. De cela, est excepté, toutefois, celui qui a repoussé la force par la force.

XXXIII. — Nuls barons, chevaliers, bourgeois et manants ne devront oser faire partie, par foi ou par serment, d'aucune conjuration, même sous prétexte de confrérie on autre bien, si ce n'est du consentement et vouloir dudit seigneur Comte ; et, si aucuns sont convaincus d'avoir conjuré contre lui, ils seront corps ou biens en sa puissance et volonté. Et, si la conjuration n'est pas contre lui, mais contre tout autre, les conjurés seront soumis à une amende de dix livres, s'ils sont barons ; de cent sols, s'ils sont chevaliers ; de soixante sols, s'ils sont bourgeois, et de vingt sols, s'ils sont ruraux. De cette peine sont exceptés les négociateurs et pèlerins qui se font serment mutuel d'aller en compagnie et sûreté.

XXXIV. — Quiconque à l'avenir, sans le sçue et vouloir du comte de Montfort, conduira des vivres ou autres provisions, et secours d'hommes aux Toulousains ou à ses autres ennemis, et en sera convaincu, Perdra, pour ce seul fait, son héritage à toujours avec tous ses autres biens ; et, si c'est un sergent ou bailli qui l'ait fait sans la volonté et à l'insu de son seigneur, ce dernier confisquera tous ses biens, et son corps sera en la miséricorde dudit Comte de Montfort. Toutes les choses et tous les hommes pris en telle conduite seront, en outre, à celui qui les prendra, sans diminution ni réclamation.

XXXV. — Quiconque aura le pouvoir de prendre, dans les états dudit Comte, les ennemis de la foi et les siens, et ne l'aura fait, verra, s'il en est convaincu, sa terre confisquée, et son corps à la merci dudit Comte. Il en sera fait autant à celui qui les aura vus-sans crier contre eux et les poursuivre de bonne foi, selon la coutume du pays.

XXXVI. — Les boulangers feront et vendront le pain d'après la manière, mesure et poids à eux donnés par leur seigneur. Toutes les fois qu'ils contreviendront, leur pain sera confisqué. Autant pour les taverniers.

XXXVII. — Les filles publiques qui demeurent dans les villes en seront chassées. Les péages institués par les princes et autres seigneurs, depuis vingt ans, seront annuités.

XXXVIII. — Les possessions tenues à cens ne seront données ni vendues au préjudice de la suzeraineté.

XXXIX. — Les cens seront, aux tenues constitués, payés aux seigneurs auxquels ils sont dus et en leurs maisons. Toutes les fois que les débiteurs n'auront pas payé dans le jour fixé, ils seront amendés de cinq sols par claque terme expiré ; et s'ils cessent de payer. Le cens durant trois ans entiers, ledit seigneur pourra, sans réclamation du débiteur, donner ou vendre l'héritage à autrui, et si ledit seigneur le garde, il le rendra au débiteur, pourvu que ce dernier lui paie-ramende de cinq sols pour 'disque année de termes échus.

XL. — Tant entre barons et chevaliers que bourgeois et ruraux, les héritiers succéderont à leurs héritages, selon la coutume et usage de France près Paris.

XLI. — Toutes les femmes des traîtres et ennemis dudit comte de Montfort sortiront de ses états, lors même qu'elles seraient reconnues pour catholiques, afin qu'aucune suspicion ne tombe sur elles. Néanmoins, elles auront leurs terres et le revenu de leurs dots en jurant qu'elles n'y feront pas participer leurs maris tant qu'ils seront en guerre contre la chrétienté et ledit Comte.

XLII. — Que nulles veuves, grandes dames ou héritières gentilles femmes, ayant forteresses ou châteaux ; ne soient assez osées pour' se marier à leur volonté à des hommes du Midi, sans l'autorisation dudit Comte, d'ici à dix ans, pour éviter le péril qui en pourrait provenir pour ladite terre. Mais il leur est .de se marier à tels Français qu'elles choisiront, sans ressentiment du sire de Montfort ni d'autres. Après l'expiration des dix ans, il leur sera permis d'épouser à leur gré un Français ou un méridional.

Fait à Pamiers en notre palais, 1er décembre 1212.

Tous ces articles sont relatifs aux vassaux du comte de Monfort. Il en fut ajouté, le même jour, trois autres qui le regardent plus directement, les voici :

COUTUMES QUE LE COMTE DE MONTFORT DOIT GARDER VIS-A-VIS DE SES BARONS ET VASSAUX.

I. — Tant entre barons et chevaliers que bourgeois et ruraux, les héritiers succéderont en leurs héritages, selon la coutume de Paris.

II. — Nuls barons, chevaliers ou seigneurs ne pourront ordonner le duel en leur cour de justice, excepté pour les crimes de trahison, de vol et de rapine.

III. — Le Comte est tenu de garder envers les barons de France et autres auxquels il a donné des terres en ce pays, l'usage et la coutume qui s'observe en France, autour de Paris, touchant les plaids, les jugements, les dots, les fiefs et les devoirs féodaux.

Même jour, 1er décembre 1212.

Après cette promulgation, le Général de la Croisade se rendit à Carcassonne, où il rétablit sa résidence. Jamais sa domination ne parut plus solidement affermie ; car, durant cet hiver, le Midi sembla se résigner à la conquête, et ne démentit son inertie que par les courses que la garnison de Montauban poussa jusque sous les murs de Castelsarrasin.

Ce repos apparent recouvrait le germe d'un plus grand incendie.

 

 

 



[1] Cette sénéchaussée fut resserrée plus tard. On institua un siège particulier à Béziers et un siège présidial à Limoux.

[2] Dans la suite il fut adjoint aux sénéchaux un lieutenant-général ou juge-mage pour les affaires civiles, un autre pour les affaires criminelles et un procureur du roi pour les deux. On put en outre interjeter appel de leurs sentences aux cours du parlement.

[3] Les Glossateurs ne donnent point la signification précise de ce mot. Nous pensons qu'il est le synonyme de dépôt.