Simon de Montfort
récompense ses chevaliers, en inféodant à chacun une portion du territoire
conquis. — Institution des sénéchaussées de Carcassonne et de l'Agénois. —
Assemblée de Pamiers. — Montfort y promulgue une charte pour la réforme du
Midi.
En
favorisant la Croisade, le sort des armes avait formidablement agrandi la
puissance de Simon de Montfort. Maître déjà d u Carcassès, du Razès, du
Minervois et de l'Albigeois, il venait, dans cette dernière campagne,
d'adjoindre à ces provinces celles du Lauraguais, de l'Agenois, du
Commingeois et le diocèse de Toulouse, à l'exception de sa capitale et de la
ville de Montauban. Il était, certes, peu de grands feudataires aussi bien
apanagés que ce chef d'aventuriers, qui, de simple Comte de deux misérables
seigneuries du Nord, s'était fait en trois années suzerain de presque tout le
Midi. Mais il
ne suffit pas de conquérir par la force pour être réellement maître d'un pays
envahi. Il faut non-seulement détruire des villes, mais encore une
nationalité, substituer des mœurs nouvelles aux mœurs anciennes, une langue
exotique à une langue indigène, une législation incomprise à une législation
inhérente aux populations, et sanctionnée par des siècles. Il est besoin, en
un mot, de tout abattre pour tout réédifier. Cela ne s'improvise point ; nous
dirons plus, cela est impossible, à moins qu'on n'ait pour soi le concours
d'une civilisation supérieure à celle des contrées que l'on voudrait
régénérer. Toutefois
faisant ce que tous les conquérants essayent de faire, Simon de Monfort
employa la fin de l'année 1212 à se consolider sur des bases morales après
s'être intronisé sur des bases matérielles. Il ne visait à rien moins qu'à
métamorphoser le pays envahi. La conquête devenait si avide, qu’elle voulait
absorber à son bénéfice ce qui constituait la vie propre des peuples conquis.
Le Nord, en un mot, voulait façonner le Midi à son effigie. Le chef
de la Croisade s'occupa d'abord de donner des marques de sa munificence aux
chevaliers qui l'entouraient. Depuis trois ans que durait l'envahissement,
quatre mille gentilshommes s'étaient attachés à sa fortune, afin d'en
recueillir les miettes. Rien de plus commun, à cette époque de prise de
possession violente, que des aventuriers qui se groupaient autour d'un
aventurier supérieur, et le poussaient au pouvoir pour mieux y arriver à sa
suite. Ainsi s'opéra la conquête d'Angleterre par Guillaume, et celle de la
Sicile par Tancrède. Une fois arrivés au trône, ces nobles spoliateurs
avaient royalement récompensé les dévouements qui leur avaient servi de
marchepied, et Montfort, placé dans les mêmes conditions, dut imiter leur
exemple. Au surplus, sa consolidation féodale s'augmentait en raison de ses
largesses. Il dépossédait une noblesse hostile, et la remplaçait par une
noblesse intéressée à soutenir l'usurpation dont elle profitait. Il
dissolvait les éléments opposés, et fortifiait les éléments favorables, en
les ralliant dans une communion féodale. En outre, en apanageant les plus
braves chevaliers de la Croisade, il se créait une troupe d'élite, dévouée,
fidèle et surtout permanente. Puis,
il en vint t l'organisation administrative et militaire du Carcassès, la plus
ancienne de ses conquêtes, et établit à Carcassonne un siège de sénéchaussée,
dont la juridiction s'étendait depuis le comté de Foix jusqu'à la ville de
Montpellier[1]. L'office
des sénéchaux était d'administrer la justice et de conduire à la guerre le
ban et l'arrière ban de leur sénéchaussée. Ils jugeaient seuls et
souverainement[2]. Bouchard
de Marly, de la maison de Montmorency, à qui Montfort avait déjà inféodé
plusieurs seigneuries, entr'autres, celle de Saissac, fut le premier sénéchal
de Carcassonne. Il lui fut alloué, pour cette fonction, des appointements
considérables, et le château vicomtal lui fut assigné pour demeure. L'Agenois
fut constitué de la même manière. Mais ces modifications réglementaires
n'étaient que partielles et n'attaquaient pas assez dans le vif l'ancienne
constitution méridionale. Montfort songea à promulguer une charte plus
générale qui, tout en prouvant sa souveraineté, devait, selon sa politique,
la rendre inébranlable. A cet
effet, il convoqua une grande assemblée ou parlement à Pamiers, à la fin de
novembre de cette même année 1212, et y appela les prélats, les nobles et les
principaux bourgeois du Midi. L'archevêque
de Bordeaux, les évêques de Toulouse, Carcassonne, Agen, Périgueux,
Conserans, Comminges et Bigorre s'y rendirent ainsi que bien d'autres prélats
et gentilshommes dont l'histoire n'a point conservé les noms. L'assemblée
discuta des statuts pour le gouvernement des pays conquis, et choisit ensuite
pour les rédiger douze personnes des plus habiles, qui étaient l'évêque de
Toulouse, celui de Conserans, un Templier et un hospitalier de Saint-Jean de
Jérusalem entre les ecclésiastiques, quatre chevaliers français et quatre
habitants du pays, dont deux nobles et deux bourgeois. Quelle
influence pouvait avoir dans ce parlement et dans cette rédaction de charte,
le peuple du Midi ? aucune. On ne l'excluait pas de la délibération, mais on
neutralisait sa voix. Si puissante qu'elle fût, la conquête s'entourait
encore de subterfuges. Ces
commissaires convinrent de quarante-cinq articles et les proposèrent à
l'assemblée qui les approuva. Montfort et tous les chevaliers firent serment
de les observer. Cette charte destinée à devenir le nouveau code du Midi n'a
pas été reproduite par les historiens des Croisades contre les Albigeois.
Nous la trouvons trop importante pour ne pas la traduire littéralement et la
transcrire dans son entier. ORDONNANCES ET RÉGLEMENS DE
SIMON DE MONTFORT, POUR LA RÉFORME DES TERRES PAR LUI CONQUISES. Au nom
de notre seigneur Jésus-Christ, nous établissons un lit général de justice
destiné à réprimer tout ce qui est contraire à Dieu, à l'église romaine et à
l'équité, à abolir l'hérésie et à extirper les mauvais actes des voleurs et
des autres malfaiteurs. Pour cela, nous Simon, par la providence divine,
comte de Leycestre et de Montfort, vicomte de-Béziers et de Carcassonne,
seigneur d'Alby et de Rhodez, désireux d'accomplir ces desseins et de maintenir
nos états en paix et repos, pour l'honneur de Dieu, de la sainte Église
Romaine, de notre seigneur, le roi de France, et pour l'utilité de tous nos
sujets, avons, par le conseil des vénérables seigneurs l'archevêque de
Bordeaux, les évêques de Toulouse, Carcassonne, Agen, Périgueux, Conserans,
Comminges et Bigorre et des sages hommes nos Barons et principaux vassaux,
promulgué pour toutes nos terres, ces coutumes générales que nous commandons
à tous nos peuples d'observer inviolablement. I. — Les
privilèges et les libertés des églises et maisons religieuses sanctionnés par
le droit canon ou civil, seront de tous et par tous abservés et entretenus.
Il est fait défense aux Laïques de convertir en châteaux ou forteresses
aucune église, ni d'en réduire aucune en servitude. Nous commandons en outre
que celles qui l'ont été soient démolies ou remises entre les mains des
évêques qui ne pourront toutefois retenir telles églises fortifiées dans des
châteaux ou villes des autres seigneurs. II. — Toutes
prémices seront rendues aux églises, sans aucune difficulté, selon que l'on a
coutume de les rendre en chaque pays, et toutes dimes seront payées comme il
est écrit et commandé par notre saint-père le pape. III. — Nul
clerc possédant même un héritage, ne pourra être soumis à la taille, à moins
qu'il ne soit marchand ou marié. Il en sera de même à l'égard de la pauvre
veuve. IV. — Nulle
foire ou marché ne sera à l'avenir tenu le jour de dimanche. Tous les lieux
qui auront coutume d'en tenir ce jour-là les remettront à un autre jour,
indiqué par le seigneur particulier du lieu et pai le sire Comte. V. — Quiconque
aura pris un clerc en crime, quel qu'il soit, ou en autre manière, lors même
qu'il n'aurait que la simple tonsure, le rendra sans délai à l'évêque, ou à
l'archidiacre, ou à leurs représentants. Quiconque le retiendra sera
incontinent excommunié et contraint à le rendre par le seigneur temporel. VI. — Chaque
maison du pays conquis sera tenue de payer, par an, trois deniers melgoriens
à notre saint-père le pape, et à notre sainte mère l'Église-Romaine, en signe
et mémoire perpétuelle, que par son aide, elle a été enlevée aux hérétiques
et donnée pour toujours au dit Comte et à ses successeurs. Ce droit sera
perçu depuis le commencement du Carême jusqu'à la Pâque. VII. — Nuls
barons ou chevaliers ne contraindront à payer taille, les vassaux que les
églises ou maisons religieuses ont acquis par don ou concession de rois,
princes, ou autres seigneurs des terres, et qu'elles ont possédé libres et
exempts de toute exaction envers les seigneurs, dans les terres ou villes
desquels ces vassaux demeurent. Si la possession à cet égard avait été
interrompue par la malice des hérétiques ou autres mauvais princes, et s'il
s'élevait des doutes au sujet de cette exemption, la vérité en sera
recherchée sans délai et la preuve reçue sans demeure. S'il est véritablement
reconnu que la violence y soit intervenue, les seigneurs des villes et des
châteaux où ces serfs demeurent, s'abstiendront de toute exaction et de toute
taille à leur égard. VIII. —
Les paroissiens seront contraints aux jours de dimanche et fêtes, ou l'on
cesse les œuvres manuelles, d'aller à leur église ouïr la messe entière et le
sermon ; et s'il advient, qu'en ces jours, les maîtres ou maîtresses de la
ville ou du village, n'aillent point à la dite église, sans pouvoir alléguer
cause de maladie ou autre motif plausible, ils seront tenus de payer six
deniers tournois, monnaie courante, dont une moitié appartiendra au seigneur
de la ville ou du village et l'autre sera divisée entre l'église et le curé. IX. — Dans
tous les villages où il n'y a point d'église et où il y a des maisons
d'hérétiques, la plus propre de ces maisons sera baillée pour faire l'église
et une autre sera destinée à l'habitation du curé ; et s'il y a église et non
presbytère, la plus voisine maison d'hérétique sera donnée au dit curé. X. — Quiconque
à l'avenir octroiera par argent ou par toute autre cause à un hérétique, la
permission d'habiter en sa terre, perdra, s'il en est convaincu, toute sa
terre pour toujours et son corps sera en la puissance de son seigneur qui
pourra le rançonner à son gré. XI. — D
sera permis à chacun, soit chevalier ou roturier, de donner de son propre
héritage jusqu'au cinquième en aumônes, selon la coutume de France et usage
près Paris, excepté toutefois les baronnies et forteresses et droits
d'autrui, et sauf l'entier service du seigneur supérieur qui lui demeurera,
par titre de succession sur les parties appartenant aux hérétiques. XII. — Dans
tout procès ou sentence, le juge ne pourra, sous prétexte d'aucune coutume,
exercer aucune exaction sur les parties plaidantes. La justice sera
administrée gratuitement, et la cour donnera un avocat pour la défense de
celui qui n'aurait pas les facultés d'en avoir. XIII. —
Nul hérétique, réconcilié même à l'Église, ne pourra être ni prévôt, ni
bailli, ni juge, ni assesseur, ni témoin, ni avocat. Il en sera de même du
juif. Ce dernier pourra néanmoins servir de témoin contre un autre juif. XIV. — Nul
hérétique, s'il n'est réconcilié à l'Église, ne pourra demeurer en la ville
où il s'est montré hérétique. Il ne pourra demeurer que dans les lieux que le
Comte lui assignera. XV. — Tous
les clercs et religieux pèlerins et chevaliers qui Passeront en nos terres
seront, à moins qu'ils ne soient marchands, exempts de tous péages. XVI. — Les
barons et chevaliers français, seront tenus de servir le comte de Montfort,
alors et en tout lieu qu'il y aura guerre contre sa personne, et au sujet des
terres conquises et de celles qui lui restent à conquérir, et cela avec le
nombre de chevaliers à la charge desquels ledit Comte leur a donné leurs
dites terres et revenus, pourvu que, d'après les promesses faites, lesdits
revenus leur aient été entièrement et suffisamment assignés. Car si
l'assignation n'avait été pleinement faite, le chevalier ne serait tenu de
servir le dit Comte qu'avec un nombre de chevaliers relatif aux terres qui
lui ont été données. Et si ledit Comte, sans nécessité de défendre sa
personne ou ladite terre conquise, mais de sa propre volonté, voulait porter
secours de guerre à quelqu'un de ses voisins ou autres, les dits chevaliers
ne seront nullement contraints de le servir de leur personne ou de leurs
gens, à moins que ce ne soit d'amour ou de bon gré. XVII. —
Les chevaliers français qui doivent le service militaire au comte de
Montfort, ne pourront le rendre pendant vingt ans qu'avec des chevaliers
français, sans qu'il leur soit loisible de remplacer ces derniers par des
chevaliers du pays conquis. Mais les vingt ans passés, chacun le servira avec
tels chevaliers qu'il trouvera propres à la guerre. XVIII.
— Les chevaliers qui obtiendront un congé pour aller en France, ne devront y
demeurer, sans légitime empêchement, que jusqu'au terme fixé par ledit comte
de Montfort qui, après un délai de quatre mois, à partir de l'expiration du
congé, pourra, nonobstant opposition, se saisir de la terre de ces chevaliers
et en disposer à son gré et plaisir. XIX. — Tous
barons, chevaliers et autres seigneurs de la terre du dit comte Simon, seront
tenue de lui rendre sans délai ni contradiction, les châteaux et les
forteresses qu'ils tiennent de lui, toutes les fois qu'il les demandera. En
retour, après les troubles, ledit Comte devra, en bon seigneur, rendre lesdits
châteaux et forteresses en l'état et valeur primitifs. XX. — Tous
les barons et gens de guerre seront tenus de courir au premier appel, au
secours du dit comte Simon, s'il est assiégé ou en retraite. S'il est prouvé
que quelqu'un ait fait défaut de venir en aide au dit Comte en cette suprême
nécessité, à moins qu'il n'ait un motif d'excuse suffisante, la terre qu'il
tient du dit Comte sera confisquée au profit de ce
dernier. Quant aux autres gens de guerre, tels que bourgeois et laboureurs,
ils seront tenus, s'ils sont suffisamment appelés, d'aller au secours du dit
Comte, au nombre de deux par maison, s'il y en a deux, ou d'un s'il n'y en a
qu'un. Ceux qui feront défaut sans excuse, verront la moitié de leurs biens
meubles et immeubles, confisqués au profit des seigneurs de qui ils
relèveront. XXI. — Les
barons, chevaliers et autres seigneurs des terres qui doivent service au dit
comte de Montfort, et qui auront été appelés pour quinzaine, seront, s'ils ne
se trouvent au rendez-vous de l'armée, ou s'ils ne se sont acheminés dans le
dit délai, passibles d'une amende du cinquième de leurs revenus d'un an de la
terre donnée par le dit Comte, auquel appartiendra le fruit de l'amende. Et
s'ils viennent au rendez-vous, avec un plus petit nombre de chevaliers que
celui auquel ils sont tenus, ils devront payer double gage par chevalier
manquant, jusqu'à ce que le nombre en soit complet. Semblable peine sera
infligée aux barons et chevaliers provençaux, s'ils ne rendent au dit Comte
le service qu'ils lui doivent. XXII. —
Nul sujet du dit Comte, n'entreprendra en sa terre sans son consentement, de
fortifier de nouveau aucune place, ou de réédifier une forteresse démolie. XXIII.
— Les chevaliers catholiques nés dans le Midi, seront quittes envers leurs
seigneurs, après avoir fait le service auquel ils étaient tenus avant la
Croisade. Mais ceux qui ont été hérétiques, seront tenus de servir le dit
Comte et leurs seigneurs, toutes les fois qu'ils en seront requis. XXIV. —
Nul baron, chevalier ou autre seigneur gratifié de terres par le dit Comte,
ne pourra exiger au-delà de la taille statuée par les ordonnances de son
seigneur et comte, sous quelque nom que ce soit, tel que taille, ou quête, ou
bonté, sauf toutefois les cens et autres revenus des terres, vignes, maisons
et autres héritages et les justices ; car cette taille a été constituée,
modérée et arbitrée -pour toute autre taille soit quête ou amende, afin
qu'au-delà de ce taux, nul ne puisse exiger ou extorquer autre chose. Et si
quelqu'un est convaincu d'avoir fait le contraire, ledit Comte l'obligera à
rendre ou à quitter ce qu'il aura exigé ou imposé outre sa Charte, qui devra
être par tous observée. XXV. — Il
sera loisible à tous hommes taillables, de se dégager à leur gré de la
sujétion d'un seigneur, pour passer sous celle d'un autre, à la charge
toutefois, que ceux qui sont de condition libre n'emporteront que leurs
meubles, et laisseront au seigneur qu'ils quittent les héritages qu'ils
tiennent de lui ou d'autrui, et ceux qui sont serfs, que l'on nomme propres
hommes, laisseront leurs meubles et immeubles au seigneur qu'ils quittent,
lequel ne pourra plus rien demander en quelque lieu qu'ils soient, après
qu'ils auront demeuré dans une autre seigneurie. XXVI. —
Nul homme emprisonné ou détenu, ne sera empêché d'ester à droit, tant qu'il
pourra donner pleiges[3] suffisants. XXVII.
— Nul seigneur ne recevra pleige ou autres cautions de ses hommes pour les
empêcher de se retirer en la domination d'autrui, selon les formes indiquées. XXVIII.
— Les seigneurs recevront les corvées de leurs hommes, selon l'ancienne
coutume des terres, villes et villages, et selon cette coutume, les
nourriront. XXIX. —
Attendu que les sujets des princes et seigneurs nés en cette terre sont trop grevés
de tailles, et s'en plaignent audit comte Simon, nos seigneurs et chevaliers
seront réunis en un autre parlement, afin d'aviser au moyen de faire observer
une juste mesure dans la perception des tailles et subsides. Si les seigneurs
et chevaliers s'y refusaient, ledit Comte pourra les y contraindre. XXX. — Les
hommes des villes et des villages auront leur usage en bois, eaux et
passages, tel qu'ils l'ont eu depuis trente ans jusqu'à présent, et s'il
s'élève des différends entre eux et leur seigneur, celui qui aura la
puissance, la conservera jusqu'à ce que l'affaire soit décidée par le serment
des anciens du lieu ou autrement. XXXI. —
Nul sujet ne sera pris pour la dette de son seigneur s'il n'est pleige
ou débiteur. XXXII.
— Nul baron, chevalier, bourgeois ou manant ne prendra par violence les
choses d'autrui, et celui auquel ce tort aura été fait, ne se vengera sans en
avoir obtenu licence de son seigneur, auquel toutes plaintes seront faites.
Quiconque aura confessé ou sera convaincu d'avoir fait le contraire, sera
amendé, au profit de son suzerain, de vingt livres, s'il est baron ; de dix
livres, s'il est chevalier ; de cent sols, s'il est bourgeois. Outre cela sur
le commandement de son seigneur, il rendra ce qu'il a pris, et satisfera
entièrement celui à qui il a fait tort. Quiconque se sera fait justice de sa
propre autorité, sera pareillement amendé, et paiera en sus l'amende de
soixante sols à celui de qui il s'est vengé, lui restituera ce qu'il lui a
prit avec dommages et intérêts. De cela, est excepté, toutefois, celui qui a
repoussé la force par la force. XXXIII.
— Nuls barons, chevaliers, bourgeois et manants ne devront oser faire partie,
par foi ou par serment, d'aucune conjuration, même sous prétexte de confrérie
on autre bien, si ce n'est du consentement et vouloir dudit seigneur Comte ;
et, si aucuns sont convaincus d'avoir conjuré contre lui, ils seront corps ou
biens en sa puissance et volonté. Et, si la conjuration n'est pas contre lui,
mais contre tout autre, les conjurés seront soumis à une amende de dix
livres, s'ils sont barons ; de cent sols, s'ils sont chevaliers ; de soixante
sols, s'ils sont bourgeois, et de vingt sols, s'ils sont ruraux. De cette
peine sont exceptés les négociateurs et pèlerins qui se font serment mutuel
d'aller en compagnie et sûreté. XXXIV.
— Quiconque à l'avenir, sans le sçue et vouloir du comte de
Montfort, conduira des vivres ou autres provisions, et secours d'hommes aux
Toulousains ou à ses autres ennemis, et en sera convaincu, Perdra, pour ce
seul fait, son héritage à toujours avec tous ses autres biens ; et, si c'est
un sergent ou bailli qui l'ait fait sans la volonté et à l'insu de son
seigneur, ce dernier confisquera tous ses biens, et son corps sera en la
miséricorde dudit Comte de Montfort. Toutes les choses et tous les hommes
pris en telle conduite seront, en outre, à celui qui les prendra, sans
diminution ni réclamation. XXXV. —
Quiconque aura le pouvoir de prendre, dans les états dudit Comte, les ennemis
de la foi et les siens, et ne l'aura fait, verra, s'il en est convaincu, sa
terre confisquée, et son corps à la merci dudit Comte. Il en sera fait autant
à celui qui les aura vus-sans crier contre eux et les poursuivre de bonne
foi, selon la coutume du pays. XXXVI.
— Les boulangers feront et vendront le pain d'après la manière, mesure et
poids à eux donnés par leur seigneur. Toutes les fois qu'ils contreviendront,
leur pain sera confisqué. Autant pour les taverniers. XXXVII.
— Les filles publiques qui demeurent dans les villes en seront chassées. Les
péages institués par les princes et autres seigneurs, depuis vingt ans,
seront annuités. XXXVIII.
— Les possessions tenues à cens ne seront données ni vendues au préjudice de
la suzeraineté. XXXIX.
— Les cens seront, aux tenues constitués, payés aux seigneurs auxquels ils
sont dus et en leurs maisons. Toutes les fois que les débiteurs n'auront pas
payé dans le jour fixé, ils seront amendés de cinq sols par claque terme
expiré ; et s'ils cessent de payer. Le cens durant trois ans entiers, ledit
seigneur pourra, sans réclamation du débiteur, donner ou vendre l'héritage à
autrui, et si ledit seigneur le garde, il le rendra au débiteur, pourvu que ce
dernier lui paie-ramende de cinq sols pour 'disque année de termes échus. XL. — Tant
entre barons et chevaliers que bourgeois et ruraux, les héritiers succéderont
à leurs héritages, selon la coutume et usage de France près Paris. XLI. —
Toutes les femmes des traîtres et ennemis dudit comte de Montfort sortiront
de ses états, lors même qu'elles seraient reconnues pour catholiques, afin
qu'aucune suspicion ne tombe sur elles. Néanmoins, elles auront leurs terres
et le revenu de leurs dots en jurant qu'elles n'y feront pas participer leurs
maris tant qu'ils seront en guerre contre la chrétienté et ledit Comte. XLII. —
Que nulles veuves, grandes dames ou héritières gentilles femmes, ayant
forteresses ou châteaux ; ne soient assez osées pour' se marier à leur
volonté à des hommes du Midi, sans l'autorisation dudit Comte, d'ici à dix
ans, pour éviter le péril qui en pourrait provenir pour ladite terre. Mais il
leur est .de se marier à tels Français qu'elles choisiront, sans ressentiment
du sire de Montfort ni d'autres. Après l'expiration des dix ans, il leur sera
permis d'épouser à leur gré un Français ou un méridional. Fait à
Pamiers en notre palais, 1er décembre 1212. Tous ces
articles sont relatifs aux vassaux du comte de Monfort. Il en fut ajouté, le
même jour, trois autres qui le regardent plus directement, les voici : COUTUMES QUE LE COMTE DE
MONTFORT DOIT GARDER VIS-A-VIS DE SES BARONS ET VASSAUX. I. — Tant
entre barons et chevaliers que bourgeois et ruraux, les héritiers succéderont
en leurs héritages, selon la coutume de Paris. II. — Nuls
barons, chevaliers ou seigneurs ne pourront ordonner le duel en leur cour de
justice, excepté pour les crimes de trahison, de vol et de rapine. III. — Le
Comte est tenu de garder envers les barons de France et autres auxquels il a
donné des terres en ce pays, l'usage et la coutume qui s'observe en France,
autour de Paris, touchant les plaids, les jugements, les dots, les fiefs et
les devoirs féodaux. Même
jour, 1er décembre 1212. Après
cette promulgation, le Général de la Croisade se rendit à Carcassonne, où il
rétablit sa résidence. Jamais sa domination ne parut plus solidement affermie
; car, durant cet hiver, le Midi sembla se résigner à la conquête, et ne
démentit son inertie que par les courses que la garnison de Montauban poussa
jusque sous les murs de Castelsarrasin. Ce repos apparent recouvrait le germe d'un plus grand incendie. |
[1]
Cette sénéchaussée fut resserrée plus tard. On institua un siège particulier à
Béziers et un siège présidial à Limoux.
[2]
Dans la suite il fut adjoint aux sénéchaux un lieutenant-général ou juge-mage
pour les affaires civiles, un autre pour les affaires criminelles et un
procureur du roi pour les deux. On put en outre interjeter appel de leurs
sentences aux cours du parlement.
[3]
Les Glossateurs ne donnent point la signification précise de ce mot. Nous
pensons qu'il est le synonyme de dépôt.