Les missionnaires de
l'Église prêchent de nouveau la Croisade en France, dans les Pays-Bas et
l'Allemagne. — Le pape écrit à l'empereur Othon, aux rois de Castille et
d'Aragon et à Montfort. — Alix de Montmorency amène à ce dernier de nouveaux
Croisés. — Suite de la Croisade. — Prise de Montlaur, d'Alzonne, de Bram et
d'Alairac. — Siège de Foix. — Entrevue du roi d'Aragon et de Montfort. —
Retour du comte de Toulouse. — Mauvaise foi des légats. — Siège et prise de
Minerve. — Auto-da-fé.
Pendant
que Simon de Montfort perdait ainsi une à une, en hiver, ses conquêtes de
l'été précédent, et qu'enfermé dans Carcassonne il était contraint, faute de
troupes, d'assister, sans les réprimer, aux nombreuses défections qui se
manifestaient autour de lui, ses partisans et les missionnaires de l'Église,
parcouraient le nord de la France, les Pays-Bas et l'Allemagne, en prêchant
la guerre sainte du Midi. Le pape
lui-même ne négligea rien pour venir en aide à la Croisade. D'une part, il
sommait l'empereur Othon, et les rois d'Aragon et de Castille, de secourir
Montfort, et d'expulser de leurs états les hérétiques qui s'y réfugiaient[1] ; et de l'autre, il enjoignait
aux prélats de Narbonne, Béziers, Toulouse et Albi, de remettre au général
les effets que les sectaires avaient déposés entre leurs mains[2]. Enfin, répondant à la lettre
que Simon de Montfort lui avait adressée, peu de temps après son élection,
Innocent III lui expédia une lettre, pour approuver sa nomination au
commandement de la Croisade, l'établissement du cens annuel de trois deniers
par feu, en faveur de l'Église romaine ; et pour le confirmer, lui et ses
héritiers, dans la possession des domaines envahis[3]. A cette époque où les papes
faisaient et défaisaient les rois, c'était consacrer la conquête passée, et
solliciter à la conquête future. Il ne
manquait plus à Simon que des troupes et de l'argent. Argent et troupes lui
arrivèrent au printemps de l'an 1210, grâce aux soins de son épouse, Alix de
Montmorency, dans le comté de Montfort-l'Amaury, et dans la province de l'Île
de France. Après avoir rallié ces renforts à Pézenas, le Général se rendit à
Saint-Tiberi, où se trouvait déjà Arnaud, abbé de Cîteaux, les évêques de
Béziers, d'Agde, de Maguelonne, et les abbés de Valmagne, de Fontcaude, de
Saint-Tiberi et de Saint-Aphrodise de Béziers[4]. Là, l’un
des principaux seigneurs du diocèse de Béziers, Etienne de Servian, comparut
devant tous ces prélats, et se reconnut coupable d'avoir reçu dans ses
châteaux, Théodoric Beaudouin et Bernard de Simorre, deux hérésiarques
célèbres, et de leur avoir permis de prêcher publiquement leurs doctrines
dans ses domaines. Il fit abjuration entre les mains de l'abbé de Cîteaux, et
jura sur les saints-évangiles de poursuivre à l'avenir les hérétiques, sous
peine de voir ses biens confisqués par les Croisés, et sous la caution de
Pons d'Olargues et Frotard son fils, Guillaume de Puisalicon, Rattier de Bessan,
Pons de Thesan, Pierre de Montignac, Raymond de Capendu, et quelques autres
seigneurs du pays. Cela fait, Simon lui rendit le château de Servian, et tous
les autres châteaux qu'il lui avait confisqués, avec réserve de la justice
criminelle, et d'un cens annuel de trois deniers par maison, en faveur de
l'Église romaine ; et pour tous ses fiefs, Etienne de Servian lui fit hommage-lige,
en présence des prélats, déjà nommés, et de quelques chevaliers français ou
provençaux, tels que Gui de Levis, Guiraud de la Redorte, et Robert de
Mauvoisin ; ce dernier était revenu de son ambassade de Rome, où Simon de Monfort
l'avait envoyé après son élévation au généralat. Le
Général entama ensuite la campagne. Les
habitant de Montlaur, près de la Grasse, tenaient la garnison catholique étroitement
assiégée dans une tour ; Simon court à eux, délivra ses soldats, fait pendre
sans quartier tous les Montlauriens[5], et marche sur Aizonne, dont le
château venait d'être abandonné. Il s'en saisit, et vole attaquer le château
de Bram, dans le Lapragais. L'ecclésiastique parjure de Montréal, s’y était,
comme on l'a dit, réfugié. Aidé de cent chevaliers, il fait durant trois
jours une énergique résistance ; mais forcé de se rendre à discrétion, lui et
la garnison sont conduits devant Simon de Montfort. — Bourrel,
s'écrie aussitôt ce dernier, coupe le nez et les oreilles à ces cent ribauds éperonnés,
qui ont osé lever l'épée contre nous. — Est-ce
tout ? demande le bourreau, après avoir exécuté ce premier ordre. — Par
tous les saints ! non ; il ne sera pas dit que le traitre Pepieux nous
aura dépassé, en mutilant deux de nos plus affectionnés chevaliers. Crève les
yeux de tous ces traîtres, à l'exception de leur chef. Les
prunelles des prisonniers pétillent et s'éteignent sous la pointe d'un fer
rougi. Et du
chef ? maitre, interroge encore l'exécuteur. — Il
est juste, répond Montfort, de lui laisser, ses prérogatives : je veux même
les augmenter. En l’éborgnant, tu le feras roi de ces aveugles. Ce
dernier n'a qu'un œil de crevé ; et, Simon lui confiant la conduite de ses
infortunés compagnons d'armes, le renvoie ainsi au château du Cabaret[6]. Quant
au prêtre, il fut conduit à Carcassonne, où l'évêque le dégrada, et pendu
après avoir été promené dans toute cette ville, attaché à la queue d'un
cheval[7]. Ceci se
passait vers la Paque. De là Montfort se dirigea sur Alairac, fort château
perché dans les montagnes. Assailli avec fureur, ce poste résista
opiniâtrement ; mais après onze jours de siège, la garnison manquant de
vivres, s'enfuit, abandonnant quelques malheureux habitants, qui furent tous massacrés.
Simon de Montfort se saisit du château, et se trouva par-là, un autre pied
dans le comté de Foix, dont il ne tarda pas à attaquer la capitale. Raymond-Roger,
malade alors, ne pouvant repousser en personne l'agression, son fils, Roger-Bernard,
s'enferma dans le château, et y fit une si belle défense, que les Croisés
accablés de projectiles, furent obligés de se retirer en désordre[8]. Profitant de ce moment, Roger-Bernard
fit une vigoureuse sortie sur l'arrière-garde ennemie, et la tailla en pièce.
L'intervention de Montfort put seule prévenir une complète déroute, et mettre
quelque régularité dans la retraite, que son adversaire ne laissa pas que
d'inquiéter vivement. Trop faible pour une bataille rangée, il s'attacha à la
poursuite de l’armée, voltigeant sans cesse autour de ses ailes, la tenant,
le jour, sur le qui-vive, la chargeait à la faveur de la nuit, et se postant
toujours en des lieus escarpés, d'où il enlevait tout ce qui s'écartait pour
aller à la maraude. Ainsi cernée, les Croisés n'avancèrent guère dans un pays
coupé de montagnes et de ravins, et manquèrent bientôt de provisions de tout
genre. Après avoir essayé de tous les moyens pour s'en procurer, Montfort mit
Gui de Lévis à la tête d'un fort détachement, et l'envoya fourrager.
Roger-Bernard le laisse s'engager dans une gorge étroite, puis, tombant sur
lui à l'improviste, il le mena si rudement, que Gui de Lévis et trois
gendarmes parvinrent seuls à s'échapper. Le reste fut passé au fil de l'épée
ou tomba vivant entre les mains de Bernard. Mais dans cette guerre de
religion, il valait mieux recourir sur le champ de bataille, que de se rendre
prisonnier. La Croisade avait, du reste, établi un sanglant à Béziers, à
Montlaur et à Bram ; aussi quand elle prit, le lendemain, la route de
Carcassès, elle put reconnaître, pendus aux arbres du vallon qu'elle
traversait, les cadavres de ses prisonniers de la veille[9]. Le moyen-âge ne connaissait
d'autre loi que la loi du talion. Après
cette incursion, Montfort ramena son armée à Carcassonne, où il reçut un
message de la part du roi d'Aragon qui, dans l'intérêt du comte de Foix, son
parent et son vassal, interposait son autorité et invitait le Général à une
conférence. L'entrevue eut lieu à Pamiers, et n'eut pour tout résultat qu'une
courte trêve pendant laquelle les seigneurs du Carcassès résolurent, pour résister
vigoureusement à l'Église, de se donner un chef qui imprimât à la défense une
harmonie, sans laquelle tous leurs efforts devaient être infructueux. Ce fut sur
Pierre d'Aragon qu'ils jetèrent les yeux, en l’invitant à prendre le commandement
des troupes provençales, et à venir recevoir leur serment de vasselage.
Pierre accepta ces offres avec joie et s'empressa se rendre à Montréal, où
avant de rien entreprendre, il demanda aux chefs albigeois pour places de
sûreté, les principales forteresses du Caressés, ce qui lui fût refusé, car
la noblesse méridionale voulait an chef, non un maître. Le monarque aragonais
retourna dès lors ou Espagne, sans avoir rien ronds ni à Pamiers ni à
Montréal. D'un
autre côté, Raymond, comte de Toulouse, étant arrivé de Rome, vint à Carcassonne,
trouver l'abbé de Cîteaux et Simon de Montfort, auxquels il dirigea les
ordres qu'il avait obtenue du pape, pour qu'en le reçut à se purger du crime
d'hérésie et de la mort du légat Castelnau[10]. L'abbé,
écrit dom Vaissette, témoigna extérieurement beaucoup d'amitié au Comte, qui
était suivi du même capitoul qui l'avait accompagné à Rome, et d'une partie
de sa cour. Il lui répondit qu'il se rendrait incessamment à Toulouse pour y
régler le temps et la manière de cette justification. Ce légat alla bientôt
après, en effet, dans cette ville, avec les évêques de Rieux et d'Usez, ses
collègues, et divers autres prélats du Midi. Le Comte leur fit beaucoup
d'accueil et les défraya pendant tout leur séjour dans cette ville, qui fût
assez long. Enfin, on entra en conférence ; mais on ne voulut rien conclure,
vu l'absence de maître Théodose, principal commissaire du pape, dans cette
affaire ; mais ce dernier étant enfin arrivé, on reprit les pourparlers, sans
rien faire pour cela de définitif[11]. Les légats voulaient éluder
les ordres du pape et maintenir le comte de Toulouse dans une position
équivoque, afin d'avoir tôt ou tard un plausible motif d'agression. Cela
résulte évidemment, ce nous semble, de ce passage de Pierre de Vaucernay,
l'historien le plus favorable à l'Église et le plus passionné contre le comte
Raymond : « Maitre
Théodose était un homme circonspect et prévoyant, qui n'avait rien tant à cœur
que d’éluder sous des prétextes plausibles, la demande que faisait le Comte
d'être reçu à se justifier : il voyait, que si on le lui permettait, il lui
serait aisé de s'excuser sur de fausses allégations, ou par la ruse, et que le
religieux serait par-là entièrement perdue dans le
pays. « Tandis
qu'il pensait aux moyens de parvenir à ses fins, Dieu lui suggéra un
expédient pour se tirer de l'embarras où il se trouvait. « Le
pape marquait dans sa lettre, qu'il voulait que le Comte exécutât les ordres
qu'il avait reçus, touchant l'expulsion des hérétiques de ses états et la
révocation des nouveaux péages ; il y avait de la négligence de sa part dans
l'exécution de ces ordres. « Cependant,
Théodose et l'évêque de Rieux, pour ne pas paraître opprimer le Comte, lui
fixèrent un certain jour, pour se trouver, trois mois après, à Saint-Gilles,
avec promesse d'y recevoir en présence d'une assemblée d'archevêques, d'évêques
et d'autres prélats, qu'ils y convoquèrent, les preuves de son innocence,
touchant le crime d'hérésie et le meurtre dit légat Pierre de Castelnau[12]. » En
attendent, les légats ordonnèrent au Comte de chasser de ses états les routiers
et les sectaires, et d'exécuter entièrement tous les autres articles qu'il s'était
engagé d'accomplir par divers serments ; afin que, disent-ils dans une
lettre qu'ils écrivirent au pape dans la suite, « s'il négligeait l'exécution
de toutes ces choses, il ne pût parvenir à te justifier sur les deux autres[13]. » Maître
Théodose donna ensuite l’absolution aux habitants de Toulouse, suivant
l'injonction qu'il en avait reçu du Siège apostolique[14]. C'est
vers cette époque, c'est-à-dire, en mai 1210, que le vicomte Aimery et les
députés de la ville de' Narbonne, allèrent au camp de Carcassonne porter
leurs plaintes à Simon de Montfort, touchant les dévastations que commettait
sur leurs terres la garnison albigeoise du château de Minerve. Montfort, qui
avait éprouvé à Puyserguier combien il avait peu à compter sur le dévouement
des Narbonnais, aurait sans doute refusé d'intervenir, si plusieurs causes
majeures ne l'avaient déterminé à entreprendre la conquête de ce château,
l'une des places les plus fortes de la vicomté de Carcassonne, à l’intégrale
souveraineté duquel le Général prétendait. Aussi répondit-il : — Par la
croix ! messire Vicomte, vos hommes d'armes et vos communiers de Narbonne,
nous ont prouvé ; à Puyserguier, qu'ils avaient meilleures jambes que bonnes
dents, et ils manquaient d'attachement à notre sainte mère l'Église, qui est cause
pourtant que la ligue catholique est passée sous les murs de leur cité sans
en mesurer la hauteur, et je ne vois pas pourquoi j’irais vous aider à vous
débarrasser de vos ennemis, quand vous avez refusé de m'aider à me débarrasser
des nôtres. — Au nom
de la ville de Narbonne, nous vous promettons assistance ; répondirent les
députés. — Et
vous, sire Aimery ? — Mort
de Dieu ! j'irai avec tous mes soudards ; et, si vivement que vous
pressiez les Minervois, je vous jure, Messire, de ne pas demeurer en reste
avec vous. — Et vous
engagerez-vous, tous, à ne quitter le camp qu'après l'entière reddition de la
place ?... — Nous
le jurons ! ... — Dans ce
cas, apprêtez vos armes et marchez sur Minerve incontinent, car dans deux
jours mon ost sera sous ses remparts. Ce
château, qui a donné son nom au Minervois, était situé dans la partie
septentrionale du diocèse de Narbonne, et non de celui de Carcassonne, comme
l'ont écrit les historiens Fleury[15] et Daniel[16], Placé sur un rocher escarpé,
au sein d'une nature travaillée et volcanique, il était entouré de ravins et
de précipices qui, lui servant de fessés naturels, en rendaient les abords
extrêmement difficiles ; il passait mème pour imprenable, dans ce siècle où
l'art d'attaquer les places fortes était encore dans son enfance, et
indépendamment des grands avantages de son assiette, il était défendu par une
vaillante garnison que commandait un brave gentilhomme, nommé Guiraud de
Minerve. Pour se
rendre maitre d'un tel poste, il fallait renoncer aux brusques assauts, à
l'escalade et à la sape ; ces moyens, souvent favorable alors, seraient ici demeurés
sans succès ; un siège long et régulier pouvait seul en venir à bout. C'est
le mode d'attaque que Montfort adopta. Investissant la place de toutes parts,
il confia le quartier du couchant, au commandement de Gui de Lucé, celui du nord,
au vicomte de Narbonne, celui du midi, à Gui de Levis, et se postant lui-même
au levant, il ordonna de dresser les machines et de battre en brèche sur tous
les points à la fois. Les Gascons construisirent alors un gigantesque
mangonneau qui lançait des projectiles d'une grosseur démesurée. Lui-même, il
éleva un pierrier si lourd, qu'il en coûtait, par jour, vingt-et-une livres[17] pour le mettre en mouvement. Les
assiégés, se défendirent, de leur côté, en désespérés, et firent périr un
grand nombre de Croisés dans leurs fréquentes sorties. Une nuit de dimanche,
entre autres, ils entreprirent d'incendier le pierrier de Montfort, qui
faisait de grands ravages sur leurs remparts. Sortant sans bruit, ils
égorgèrent les sentinelles surprises et attachèrent à la machine, des paniers
pleins d'étoupes et d'autres matières combustibles, imbibées de graisse ou
enduites de souffre. L'incendie éclata avant que les Croisés s'en fussent aperçus
; Montfort se hâta en vain d’accourir ; les Minervois firent bonne contenance
et ne se retirèrent qu’après l’entier embrasement de la machine. Le siège
de Minerve durait depuis sept semaines et les Croisés commençaient à
désespérer de s'en rendre maîtres, quand un auxiliaire irrésistible vint en accélérer
la reddition. La longueur du siège épuisa les vivres, la chaleur de la saison
tarit l'eau des citernes. Force fut alors à la garnison de capituler. Guiraud
de Minerve et un autre chevalier, se rendirent au camp pour régler les conditions.
Ils étaient d'accord avec Simon de Montfort, et on allait de part et d'autre
signer le traité de reddition, au moment où Arnaud, abbé de Cîteaux, et maître
Théodose, son collègue, arrivèrent au camp. Le Général déclara qu'il ne pouvait
dès lors rien conclure sans le concours du légat, qui était le maître de tous
les Croisés, écrit Vaux-Cernay, et à qui il appartenait d'ordonner tout ce qui
conviendrait. L'abbé se trouva fort embarrassé, dit le même auteur : « Il
souhaitait extrêmement la mort des ennemis de Jésus-Christ, mais étant prêtre
et religieux, il n'osait opiner à faire mourir les habitants de Minerve. » Un
expédient le tira d'affaires et fit échouer la capitulation. Montfort et
Guiraud de Minerve, reçurent ordre de lui, de rédiger chacun par écrit et en
particulier, les articles dont ils étaient convenus verbalement. Le légat espérait
qu’ils ne seraient point d’accord et que ce serait une occasion de rupture. En
effet, Guiraud ayant lu les conditions, Simon s'écria : — Par
votre barbe, sire Guiraud, ce n'est point là ce dont nous sommes convenus. — M'est
avis que si, répondit Guiraud. — Eh
bien ! je ne le signerai point ! Or sus, revenez au manoir et
défendez-le de votre mieux. Guiraud
ne pouvait répondre avec la même ferté ; manquant de toutes choses propres à
la défense, il fallait se soumettre à tout prix. —
Messire, dit-il, je n'ai jamais été de mâle foi, et si ce n'est ceci que nous
avons arrêté, c'est que je me serai trompé, ou que j’aurai mal compris. Au
reste, je vous fais maître absolu des conditions, m'en rapportant à votre
loyauté de chevalier. Mais le
général en déféra l’honneur à l'abbé de Cîteaux, qui, après quelques moments,
lut à Guiraud le traité de capitulation ainsi réglé : — Nous
accordons la vie sauve à Guiraud de Minerve, à tous les catholiques qui sont
dans le château, et même aux fauteurs des hérétiques. Simon de Montfort
demeurera maitre de la place. Nous consentons de plus à ce que les hérétiques
parfaits, qui sont en grand nombre dans Minerve, aient la vie sauve, pourvu
qu'ils veuillent se convertir. Guiraud
et l'autre chevalier minervois, approuvèrent et signèrent ces conditions. — Par
notre Dame-du-Mont-Carmel ! clama Robert de Mauvoisin, sitôt que les
députés eurent quitté l'assemblée. Il faut que le comte Raymond vienne de
vous faire telles liesses dans sa ville de Toulouse, que vous en ayez
entièrement perdu l'esprit. —
Qu'est-ce à dire, sire Robert ? demanda sévèrement l'abbé de Cîteaux. — Que
vous avez tait un traité beaucoup trop honorable à ces pourceaux
d'hérétiques, qui vont tous vous dire qu'ils sont bons catholiques et prendre
la mine de chrétien pour éviter celle de pendu. Arnaud
se prit à sourire malignement. — Par mon
épée ! continua Mauvoisin : si j'avais écrit, ou si j'avais su écrire un
grimoire semblable, je reviendrais sur l'heure baiser la mule, du Pape, pour
qu'il m'en accordât l'absolution ; car sur mon âme de Croisé ! ce n'est ni
plus ni moins qu'une protection déguisée accordée aux mécréants. —
Rassurez-vous, beau sire, proféra le légat : je connais mieux que vous les
hérétiques albigeois ; ils sont aussi raides dans leurs erreurs de damnation,
que vous sur votre palefroi de bataille ; peu se convertiront[18]. Enfin,
le 22 de juillet 1210, les Croisés entrèrent dans Minerve en chantant le Te
Deum. Ils se rendirent aussitôt dans l'église qu'ils réconcilièrent, et
ils arborèrent sur le clocher, d'un côté, l'étendard de la croix, et de
l'autre, celui de Simon[19]. L'abbé
Gui de Vaux-Sernay, oncle du chroniqueur, se transporta ensuite dans une
maison où les hérétiques parfaits s'étaient rassemblés, et essaya de les
exhorter à renier leurs doctrines, pour se rallier aux dogmes catholiques ;
mais il fut interrompu par ces cris : —
Pourquoi nous prêchez-vous ? nous ne voulons point de votre créance ; nous rejetons
l'Église romaine, et vous travaillez en vain. De
cette maison, l'abbé de Vaux-Sernay alla visiter celle où les femmes
albigeoises étaient réunies. Mêmes exhortations, mêmes refus[20]. Le
légat Arnaud avait raison : aucun des Albigeois n'apostasia ; et quand le
bûcher fut dressé, ils n'attendirent pas qu'on les poussât au martyre : cent
quatre-vingts d'entre eux se précipitèrent dans les flammes[21]. Quant à Guiraud de Minerve, Montfort lui donna en échange de sa vicomté, divers domaines aux environs de Béziers[22]. Mais la contrainte seule l'ayant fait renoncer à son château et à ses convictions, il ne tarda pas à se déclarer une seconde fois allié des hérésiarques et ennemi de l'Église romaine. |
[1]
Inno. III, liv. XII, ép. 124 et seq.
[2]
Inno. III, liv. XII, ép. 126.
[3]
Inno. III, liv. XII, ép. 122.
[4]
Rég. cur. franç. — Hist.
de Languedoc, t. III, p. 191 du texte et 220 des preuves.
[5]
Pierre de Vaucernai, c. 34.
[6]
« Il y fit (à Bram) une centaine de prisonniers, à qui il fit crever les yeux
et couper le nez, et qu'il envoya ainsi par représailles au château de Cabaret,
sous la conduite de l'un d'entre eux à qui il avait laissé un œil pour conduire
les autres. (Hist. gén. de Lang., t. III, p.
191.) »
Voici la naïve
réflexion qu'ajoute l'historien des Comtes de Foix, Olhagaray, p. 135,
après avoir rapporté cette exécution :
« A peine eusse-je cru que ce brave capitaine
(Montfort) eut aiguisé son esprit à inventer des tourments inusités, indignes
de l'âme de ceux qui manient les armes, sans les témoins que nous en avons qui
confirment tous cette notable cruauté. »
[7]
Pierre de Vaucernai, c. 30. — Dom. Vaissette, t. III, p. 187.
[8]
Hist. gén. de Lang.
[9]
Voir Olhagaray, Histoire des Comtes de Foix.
[10]
Pierre de Vaucernay, c. 38 et seq., Hist. gén. de
Lang., t. III, p. 192. — Auteur provençal, p. 25.
[11]
Dom. Vaissette, t. III.
[12]
Pierre de Vaucernay, c. 39.
[13]
Inn. III, liv. XVI, ép. 39.
[14]
Pierre de Vaucernay a écrit que Foulques la leur avait déjà donnée après leur
avoir imposé quelques conditions. Ce chroniqueur commet là une erreur grossière
pour un ecclésiastique. Foulques, bien qu'évêque de Toulouse, était, en ce cas
d'interdit, sans commission pour le lever à lui seul.
[15]
Histoire ecclésiastique.
[16]
Histoire de France.
[17]
Environ quatre cents francs de notre monnaie.
[18]
Pierre de Vaucernay. — Dom. Vaissette, p. 195. — Le jésuite Langlois.
[19]
Hist. gén. de Lang., t. III, p.194.
[20]
Langlois, liv. III, p. 160 et suiv.
[21]
Rob. altiss. chron.
[22]
Dom. Vaissette, t. III, p. 194 et 195.