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Revenons
an comte de Toulouse. Lorsque l'armée catholique avait débouché dans le
Dauphiné, Raymond VI était accouru à sa rencontre, prêt à tout tenter pour la
détourner du Midi, l'avait jointe à Valence, suivie à Béziers, et ne l'avait,
quittée qu'après le siège de Carcassonne, dont il vit, de ses yeux, toutes
les péripéties, sans que ses supplications, jointes aux démarches du roi
d'Aragon, Pierre III, son beau-frère, fussent capables d'en prévenir le
dénouement. Après
ces démonstrations, il devait se croire à l'abri de toute nouvelle attaque de
la part de l'Église. Mais, à peine était-il de retour à Toulouse, qu'il reçut
une sommation de Montfort et de l'abbé de Cîteaux, de livrer, sous peine
d'excommunication, entre les mains d'un archevêque, d'un évêque, du vicomte
de Saint-Florent et d'Aycard de Roussillon, tous les habitants que ces
députés nommeraient, pour qu'ils se purgeassent de l'inculpation d'hérésie,
et qu'ils vinssent faire leur profession de foi, en présence de toute
l'armée. En cas de refus, le général le menaçait d'envahir les possessions de
Toulouse. Etonné
d'une telle exigence, Raymond VI répondit aux députés, que lui et ses sujets
n'avaient rien à démêler avec le comte de Montfort et l'abbé de Cîteaux ;
qu'il avait reçu son absolution du légat spécial Milon, et que, puisqu'on
Cherchait de nouveaux prétextes de guerre, il avait pris la ré-, solution
d'aller à Roque se plaindre au pape, tant des vexations que les Croisés-
commettaient dans le pays, sous prétexte de poursuivre les hérétiques, que de
la manière dont ils le traitaient lui-même après sa soumission à l'Église. Le
légat et Simon, dit l'historien du Languedoc, sachant, par le retour de leurs
envoyés, la résolut &en où était la comte de Toulouse d'aller porter au
pape des plaintes de leur conduite, firent leur possible pour l'en détourner,
et lui envoyèrent de nouveaux députés pour l'apaiser et tacher de lui
persuader qu'il avancerait bien plus ses affaires, s'il voulait traiter
directement avec eux mais Raymond, persistant dans son dessein, déclara qu'il
irait non-seulement à Rome, mais encore à la cour du roi de France et à celle
de l'empereur, pour leur remontrer, ainsi qu'à tous les barons du royaume,
les vexations et les maux qu'ils mettaient dans le Languedoc. Quant
aux consuls. de Toulouse, qui avaient reçu la même sommation qua log comte,
ils firent réponse qu'ils n'outrepasseraient point les forma, lités gamelles
de la justice en livrant à la Croisade qui était sans droit à cet égard,
leurs concitoyens désignés comme hérétiques par les députés ; qu'ils étaient
prêts, d'ailleurs, à faire ester à droit, dans le palais épiscopal de
Toulouse, tous les habitants mis à l'index, pour rendre compte de leur foi,
soit devant les légats, soit devant leur évêque, conformément au droit
canonique et à l'usage de l'Église romaine, et que dans le cas où Arnaud et
Montfort rejetteraient ces offres, ils en appelaient au siège apostolique.
Cela n'arrêta point l'abbé de Liteaux. S'étant adjoint tous les prélats qui
étaient au camp, il excommunia les consuls et jeta l'interdit sur la ville de
Toulouse. Raymond,
après avoir fait son testament, le ne jour de l'issue du mois de septembre,
1209, c'est-à-dire, le 20 de ce mois, exécuta sa résolution, et partit pour
la cour de Philippe-Auguste. Ce monarque, écrit Pierre de Vaucernay, le reçut
froidement et refusa de prendre ses intérêts. Alors le Comte s'achemina vers
Rome, accompagné de divers seigneurs et des députés de la ville de Toulouse,
qui allèrent poursuivre l'appel interjeté au Pape, des griefs qu'ils avaient
contre l'abbé de Cîteaux. Le
Comte fut admis à l'audience d'Innocent III, qui l'écouta favorablement, au
dire de notre chroniqueur provençal, en présence de tout le collée des
cardinaux. «
Raymond, écrit ce même auteur, exposa devant l'assemblée les griefs qu'il
avait contre le légat et contre Simon de Montfort, qui ne cessaient de le
vexer, nonobstant l'absolution avait reçue et le traité qu'il avait fait avec
Montfort. Il cita en témoignage un consul ou capitoul' de Toulouse, qui était
présent et qui, de son côté, forma des plaintes contre le légat et Simon de
Montfort. Le Saint-Père indigné du procédé, prit le Comte par la main,
entendit sa confession, et lui donna une nouvelle absolution en présence de
tout le sacré collège. Raymond alla, quelques jours après, prendre congé du
pape qui lui fit présent d'un riche manteau et d'une bague de grand prix. » Ce
récit parait confirmé par cette lettre du 25 janvier 1210, adressée par le
pape aux archevêques de Narbonne et d'Arles, et à l'évêque d'Agen. «
Raymond, comte de Toulouse, s'étant présenté devant nous, nous a porté ses
plaintes contre les légats qui l'ont fort maltraité, quoiqu'il eût déjà
rempli la plupart des obligations très onéreuses, auxquelles maître Milon,
notre notaire, de bonne mémoire[1], l'avait assujetti. Il nous a
fait voir de plus, les certificats de diverses églises, qui prouvent qu'il
leur a fait satisfaction : enfin il nous a assuré qu'il était prêt à exécuter
entièrement toutes tes promesses, qu'il n'avait pu encore ache ver d'accomplir. « Il
nous prie, en conséquence, de lui permettre de se justifier devant nous, à
l'endroit de la foi catholique, sur laquelle il est suspect depuis leur
temps, quoiqu'injustement, et de lui rendre ensuite les châteaux qu'il nous a
remis, ajoutant qu'il n'est pas juste qu'on les détienne sans fin, ne les
ayant donnés que pour caution. Quoiqu'on as sure que ces châteaux sont
dévolus à l'Église romaine, en vertu des obligations qu'il a contractées et
qu'il n'a pas remplies ; cependant comme il ne convient pas que l'Église
s'enrichisse aux dépens d'autrui, nous avons traité bénignement le Comte, et
nous avons jugé, du conseil de nos frères, qu'il ne devait pas perdre le
droit qu'il a sur ces châteaux ; pourvu qu'il exécute fidèlement ce qui lui a
été ordonné : Il doit, d'ailleurs, nous tenir compte de ce que nous lui avons
fait conserver ses domaines par l'armée chrétienne qui, par notre ordre, est
allée combattre contre les hérétiques. « Mais
parce qu'entre toutes les causes, nous devons être plus attentifs à celles
qui regardent la foi, et que nous devons les peser plus mûrement ; nous avons
enjoint à nos légats de tenir un concile dans un lieu commode, trois mois
après avoir revu les présentes, et d'y convoquer les archevêques, évêques,
abbés, princes, barons, chevaliers et autres dont ils jugeront la présence nécessaire
; et si avant la fin du Concile il se présente un accusateur contre le Comte,
à qui nous avons donné d'exécuter en attendant, ce à quoi il s'est obligé ;
et que cet accusateur s'offre de prouver que le Comte s'est écarté de la foi
orthodoxe, et qu'il est coupable de la mort du légat Pierre de Castelnau ;
alors, les légats, après avoir oui les parties et continué la procédure
jusqu'à sentence définitive, nous renverront cette affaire suffisamment
instruite, et ils leur assigneront un terme précis pour se présenter devant
nous et y entendre notre jugement. « Que
ne se présente aucun accusateur contre le Comte, les légats délibéreront de
quelle manière ils recevront sa justification sut les deux articles, afin que
son ignominie finisse dans l'endroit même où elle a commencé. « Si
le Comte se soumet à faire preuve de son innocence, suivant la forme qui lui
aura été prescrite par les légats, avec l'approbation du concile, ils
l'admettront à se justifier. Mais si par hasard il vient à succomber, ils
auront soin de nous en donner avis, en conservant toujours en leurs mains les
châteaux qu'il leur a remis ; ils nous avertiront aussi s'il se plaint qu'on
l'opprime injustement, touchant la manière dont ils lui auront ordonné de se justifier. « Dans
l'un et l'autre cas, ils attendront la réponse du Siège apostolique. « Que
si le Comte se justifie canoniquement de la manière qui lui aura été
prescrite ; ils déclareront publiquement qu'ils le tiennent pour catholique,
et pour innocent de la mort de Pierre de Castelnau, et ils lui rendront ses
châteaux, après qu'il aura accompli ce qui lui a été ordonné ; ils recevront
cependant de lui une autre caution suffisante, pour l'observation de la paix
perpétuelle à laquelle il s'est engagé : mais qu'ils apportent surtout toute
l'attention possible, pour que l'exécution de nos ordres ne sait point
retardée par des questions frivoles et malicieuses[2]. » Innocent
écrivit en même temps à l'évêque de Rient, son délégué, et à maitre Théodose,
pour leur enjoindre d'assembler le Concile dont il est parlé dans la lettre
citée, afin d'admettre Raymond VI à plaider devant eux, touchant les affaires
qui étaient de leur compétence, et qu'il poursuivait contre ceux qui lui
avaient causé du dommage, durant son excommunication[3]. L'abbé
de Cîteaux reçut à son tour une longue missive de la papauté, dans laquelle
cette dernière, après lui avoir donné de grands éloges, le consolait sur la
mort de Milon et lui enjoignait, toutes affaires cessantes, de se rendre dans
le pays de sa légation, pour continuer d'y travailler avec l'évêque de Rieux,
son collègue[4]. « Du
reste », terminait la papauté, abordant la question du comte Raymond et des
habitants de Toulouse, « quoique nous ayons reçu avec honneur le comte de
Toulouse qui s'est rendu auprès de nous, et qui a demandé humblement pardon,
avec promesse de faire une entière satisfaction, les lettres que nous lui
avons données vous apprendront ce que nous lui avons accordé. Nous avons
commis l'exécution de ces lettres à maître Théodose, clerc et domestique de
feu Milon, notre légat, à cause qu'il est parfaitement au fait de cette
affaire ; non que nous lui accordions la dignité de légat, mais pour agir
seulement comme délégué ad hoc. « Nous
lui avons ordonné de ne rien faire que ce que vous lui prescrirez, et de se
comporter en toutes choses comme votre organe, et l'instrument dent vous vous
servirez ; en sorte qu'il sera comme un hameçon que vous emploierez pour
prendre le poisson dans l'eau, auquel il est nécessaire, par un prudent
artifice, de cacher le fer qu'il a en terreur ; an qu'a l'exemple de l'apôtre
qui dit : Étant homme rusé je vous ai surpris par adresse, vous
préveniez la tromperie par ce stratagème, et que comme un malade à qui
l'amour du médecin adoucit l'aversion qu'il a pour les médecines, il reçoive
plus patiemment, par les mains d'un autre, le remède que vous lui avez
préparé. « De
plus, vous devez savoir que les envoyés des citoyens de Toulouse s'étant
présentés devant nous, ont offert de faire une entière satisfaction sur les articles
pour lesquels ils ont encouru les censures ecclésiastiques ; et qu'ils nous
ont remis des lettres de plusieurs personnes de grande considération, qui
demandaient pour eux et avec eux, que nous leur accordassions l'absolution. « C'est
pourquoi nous vous ordonnons, ainsi que nous l'avons marqué dans d'autres
missives, de révoquer la sentence qui a été portée cotre eux après avoir reçu
caution de leur part, et leur avoir enjoint ce qui sera selon Dieu. Que s'ils
négligent d'exécuter ce qui leur sera ordonné, ils seront non-seulement
soumis à la première sentence, mais on les punira encore plus sévèrement par
des châtiments temporels[5]. » Au reçu
de cette lettre, Arnaud parut empresser d'exécuter les ordres du Saint-Siège,
mais ne pouvant y désobéir ostensiblement, il les éluda en procédant seul et
sans le concours de son collègue, à leur exécution. Les Toulousains qui le
suspectaient et le regardaient comme leur principal ennemi, refusèrent sa
juridiction et renouvelèrent leur appel. Ils le retirèrent néanmoins peu de
temps après, à la prière de Foulques, de l'évêque d'Usez et de l'abbé de
Cîteaux lui-même, et consentirent à ce que ce dernier procédât seul, en
offrant de lui payer mille livres toulousaines pour le service de la religion
dans le Midi. Cette offre désarma l'abbé, qui l'accepta avec empressement et donna
aux habitants toutes les déclarations publiques de catholicité qu'ils
désirèrent[6]. Toutes
ces négociations se passaient durant l'hiver de 1209 à 1210. D'autre part, il
se passait des événemens plus directs à la Croisade, et non moins importants
pour la réforme du Midi. Avec
les froids et l'inaction produite par eux, l'amour du pays natal s'était fait
sentir plus vif au cœur des pèlerins catholiques. Le comte de Nevers, le
premier, plia ses tentes et prit la route de ses domaines, amenant avec lui
ses hommes d'armes particuliers et ceux de ses vassaux qui voulurent
l'accompagner. Le plus grand nombre des seigneurs croisés, soit qu'ils fussent
satisfaits des dépouilles de Béziers et de Carcassonne, soit qu'ils ne
fussent réellement venus que pour gagner des indulgences au service de
l'Église, suivant l'exemple contagieux de Donzy de Nevers, regagnèrent les
provinces du Nord. Le menu populaire, à son tour, libéré qu'il était vis à
vis de ses maîtres féodaux, par quarante jours de service, et riche des
bénédictions du ciel acquises à son pèlerinage, s'éloigna de l'armée et
courut reprendre le soc de la charrue, que la contrainte seigneuriale ou le
fanatisme religieux lui avait fait délaisser. Le duc Odon de Bourgogne fut le
dernier à quitter la. Croisade. Par amitié pour Simon de Montfort, plutôt que
par dévouement à la foi, il demeura dans le Languedoc jusqu'après l'insuccès
da siège de Cabaret entrepris à son instigation et dont nous avons
précédemment parlé. L'abandon
fut général il est vrai, mais non pas aussi complet que le donnent, à
entendre les historiens favorables à la Croisade. Parmi les cinq cent mille
hommes venus pour la guerre sainte, il était bon nombre de gentilshommes
ruinés ou dépossédés, qui tendaient à s'implanter seigneurialement dans la
Provence, et qui se gardèrent bien de sortir volontairement d'un pays où
l'espoir d'apanages et de dévastations journalières contribuaient à les
retenir. Ces nobles bandits formaient un corps de quatre mille cinq cents
hommes, corps d'élite et déterminé, bien suffisant à conserver les places
conquises mais insuffisant à en conquérir de nouvelles. Alors
le Carcassès respira et ne tarda pas, grâces au repos forcé que lui accordait
l'invasion, de se remettre de sa stupeur et de manifester certains désirs de
soulèvement que Pierre III, roi d'Aragon, travaillait à fomenter. Ce n'était
pas en effet sans déplaisir que ce prince voyait une famille étrangère, celle
de Montfort, déposséder la famille des Trencavel qui lui faisait hommage et à
laquelle il était uni d'ailleurs par des liens de parenté. Dans le but de
réintégrer le jeune fils de Roger, sur le trône de Carcassonne, Pierre eût
donc passé volontiers en Languedoc, à la tête d'une armée, mais les Maures
d'Espagne, par leurs agressions incessantes, l'obligèrent, en ce temps, à
user de toutes ses forces au-delà des Pyrénées, et à n'attaquer la domination
encore peu assise de Montfort, qu'avec les seules armes de la diplomatie dont
il sut au reste habilement se servir. Par ses ordres, des députés parcoururent,
en secret, la Provence, excitant la noblesse et le peuple à se révolter, et
promettant, que sous peu, un corps de troupes aragonaises viendrait appuyer
l'insurrection. Ces menées, jointes à la haine que le Midi portait aux
Croisés et à la soif d'Indépendance nationale qui dévorait les Provençaux,
disposèrent merveilleusement les esprits, et on se prépara, dans l'Ombre, à
un soulèvement général. Raymond-Roger,
comte de Foix, fut le premier qui en arbora l'étendard. La prise de possession
de Pamiers, par Montfort, au préjudice de sa souveraineté ; la mort d'un de ses députés assassiné par les Croisés, étaient par le
Comté deux motifs d'irritation qui lui fournirent un spécieux prétexte
d'hostilité. Il sortit en conséquence de ses montagnes, à la tête de ses gens
d'armes, rentra dans le château de Preixan, qu’il avait mis d'abord entre les
mains de l’Église, pour demeurer en paix avec elle, enleva cinquante hommes
de la garnison de Mirepoix, emporta d'assaut le château de Terride, attira
dans une embuscade les principaux communiers de Pamiers, et vint insulter la
forteresse de Fanjeaux où la Croisade avait enfermé ses magasins. La
plupart des seigneurs des diocèses d'Albi, Carcassonne et Béziers, se déclarèrent
à son exemple contre la domination de l'Église. Les châteaux et les villes
que les Croisés occupaient, secouèrent aussi le joug et prirent parti pour
l'insurrection. Castres et Lombers entre autres, qui avaient parues si
dévouées à la Croisade aux jours de sa prospérité, désertèrent sa cause en ce
moment et égorgèrent leurs garnisons. Amaury
et Guilhaume de Poissy, chevaliers français, de distinction, à qui le Général
avait confié une place forte, aux environs de Carcassonne, furent attaqués,
au dedans, par les Albigeois de la ville ; au dehors, par les Albigeois de la
campagne. En vain se défendirent-ils avec bravoure, vainement Montfort
partit-il en hâte et accourut-il à leur secours : ils furent forcés de
capituler et de se rendre à discrétion. Montfort arriva juste à temps pour en
voir pendre la garnison. Il
revenait à Carcassonne quand il apprit en chemin une nouvelle non moins
douloureuse. Bouchard de Marli, à qui il avait inféodé le château de Saissac,
était sorti avec soixante chevaliers, pour s'opposer à la jonction des
insurgés de la Montagne Noire, avec ceux de la plaine du Carcassès. Tombé
dans une embuscade, que lui avait dressé Pierre Roger, seigneur de Cabaret,
son détachement avait été taillé en pièces ; son frère d'armes, Gaubert
d'Essigny, tué, et lui fait prisonnier par Pierre Roger, qui l'avait enfermé
dans une tour de Cabaret, où il demeura détenu près de dix-huit mois. - La
défection intérieure se mêla encore à la rébellion extérieure. Les seigneurs
qui, par crainte ou par conviction, avaient d'abord pris la croix pour
combattre leurs compatriotes, eurent honte de leurs sentimens fratricides et
favorisèrent le mouvement. De ce nombre, furent Aimery, seigneur de Montréal,
de Fanjeaux et de Laurac, et Géraud de Pépieux, vaillant chevalier du
Minervois. Le
premier, en se soumettant à l'Église, au siège de Carcassonne, avait livré sa
capitale à Simon de Montfort. Pour la reprendre, il se ménagea des
intelligences avec le gouverneur français, qui était un ecclésiastique, et
aidé de lui, il entra de nuit, par escalade, dans Montréal, dont la
population se souleva aussitôt et fit main basse sur la garnison, qui fut
égorgée, à l'exception seulement du gouverneur à qui le château de Bram
servit de retraite. Le
second, Géraud de Pépieux, rompit plus violemment encore avec le parti pour
lequel il avait jusques là combattu. Montfort, faisant grand cas de sa
bravoure et de son habileté, lui avait confié la garde de plusieurs places du
Minervois. Non content de remettre ces forteresses entre les mains des
réformateurs, il se mit à la tête de quelques troupes et emporta par surprise
le château de Puyserguier, au cliocése.de Narbonne, dont il fit prisonniers
la garnison et deux chevaliers qui la commandaient. Assailli
de tous côtés, le Général croisé ne sa-tait où combattre. Ses moyens de
défense étant peu proportionnés à l'étendue de l'attaque, il fractionna sa
petite armée en trois corps, et essaya de faire face sur plusieurs points à
la fois. Son maréchal, Gui de Lévis, courut att comte de Poix, Raymond-Roger,
qui pressait vivement le château de Fanjeaux ; Martin d'Alguais, gagna
l'Albigeois, où la fermentation croissante se signalait par de sanglantes
représailles ; et lui, avec ses hommes d'armes les plus sûre, se rendit à
Narbonne, où il convoqua à la hâte le ban et l'arrière-ban de cette ville,
son alliée, et tira droit yeti Puyserguier, que Géraud de Pépient occupait. A peine
était-il sous les murs de ce château, que les Narbonnais instigués par les
Albigeois, bu revenus d'eux-mêmes à des idées plus patriotiques, refusèrent
d'aller à ramant et se débandèrent. La réaction éclatait sous les yeux même
du chef de la Croisade, qui ne se voyant plus assez fort pour emporter
d'emblée la forteresse, se retira à Capestand, où il prépara les machines nécessaires
à une attaque régulière, et revint le lendemain à Puyserguier avec des
projets d'extermination. Mais ce château était vide : Géraud de Pépieux l’avait
abandonné pendant la nuit, et s'était retiré à Minerve, emmenant prisonniers
les deux chevaliers et laissant la garnison croisée enfermée dans une des
tours du manoir. Montfort la délivra et ruina la place de fond en comble ;
puis, quoiqu’au fort de l'hiver, il assaillit plusieurs châteaux du domaine
de Pépieux et les rasa, après en avoir fait passer les défenseurs au fil du
glaive. Géraud rendit coup pour coup ; il fit couper le nez, les oreilles et
la lèvre inférieure aux deux chevaliers de Puyserguier, et les renvoya ainsi
à Montfort, en guise de représailles. Enfin au mois de janvier 1210, le Général revint au camp de Carcassonne, où un spectacle non moins irritant l'attendait. Pendant son absence, le peuple des environs s'étant attroupé, avait fondu sur le camp, incendié les tentes et les machines, et massacré les Croisés qui les gardaient. Il voulut aussitôt tirer vengeance de cet acte audacieux, et dans ce dessein il somma la ville de Toulouse de lui envoyer des soldats et de l'argent. Mais cette ville refusa tout secours, sans que les menaces d'excommunication de la part des légats et celles d'agression de la part de la Croisade pussent la détourner de son vœu de neutralité. Impuissants à le réprimer, Montfort et Foulques, dévorèrent cet affront, en silence. Dans ce cas, on pouvait dire que la nécessité était mère de la tolérance. |
[1]
Il était mort depuis quelque temps.
[2]
Inn. III, liv. XII, ép. 152 et 169. — Dom Vaissette, t. III, pages 187 et 188.
[3]
Inn. III, liv. XII, ép. 153 et 155.
[4]
Dom Vaissette, t. III, page 189.
[5]
Inn. III, liv. XII, ép. 156.
[6]
Histoire de Languedoc, t. III, p. 190. Lettre des habitants de Toulouse
au roi d'Aragon. Trésor des Chartes, Albigeois, n° 12.