HISTOIRE DE HENRI II

 

CHAPITRE II.

 

 

AFFAIRES D'ÉCOSSE. — EXPÉDITION DE BOULOGNE.

 

D'après le traité de 1546, conclu entre François Ier et Henri VIII, Boulogne devait revenir à la France huit ans après, moyennant un paiement de 800.000 écus d'or. L'échéance sonnait en 1554 et au moment qui nous occupe (1547) les deux monarques contractants étaient descendus dans la tombe. Ce fut une difficulté pour le nouveau roi de France. Indépendamment de la question de solvabilité de sa part, quoique' l'époque du paiement fut encore éloignée, l'Écosse venait d'être envahie, cette année 1547, par Henri VIII et cette puissance battue à Pinkie ; après ce grand désastre, car 14.000 Écossais perdirent, dit-on ; la vie dans celte funeste journée, il ne restait à cet État qu'à se jeter dans les bras de l'Angleterre ou dans ceux de la France ; elle choisit ce dernier allié, sa jeune reine Marie Stuart, alors âgée de six ans, fille de Marie de Lorraine ou de Guise, fut[1] fiancée au fils aîné de Henri II, depuis François II, et une expédition se prépara dans les ports de France : en même temps le roi de France créa duc de Châtellerault[2] le duc d'Arran, chef de la maison d'Hamilton et régent d'Écosse.

Le commandement de l'expédition fut confié à André de Montalembert, comte d'Essé, qui s'était signalé dans la défense de Landrecies, où il commandait, défense qui lui valut une place de gentilhomme de la chambre, quoique au dire de Brantôme il fut plus propre à donner une camisade à l'ennemy que la chemise au roy[3].

D'Essé agit vigoureusement, mais finit par tomber malade de fatigue (il comptait alors 66 ans) : de Thermes le remplaça. Les frontières de l'Écosse une fois sauvées, la présence de nos troupes inquiéta les Anglais pour les leurs. Ce sont ces événements qu'il nous faut raconter.

André de Montalembert, comte d'Essé, avait le commandement facile[4] ; il disait souvent à ses officiers en Écosse : Messieurs, je sais qu'il n'y a nul de vous autres qui ne soit plus grand que moy et que quand je seray hors d'icy, soit à la cour, soit en France, soit au pays, qui ne soit plus que moy et qui ne se veuille dire plus que mon compagnon ; mais puisqu'il a pieu au roy m'honnorer de cette charge, il faut que je m'en acquitte et que je commande aussy bien au grand comme au petit, et que l'un et l'autre m'obeyssent ; et au partir d'icy m'estant dépouillé de cette grandeur nous serons tous pairs et compagnons. Brantôme rapporte ce propos de son frère de Bourdeille, celui qui a écrit sur la guerre, et qui peint à la fois l'époque et le chef de l'armée française en Écosse. Quand on accourait auprès d'Essé l'avertir de l'approche des ennemis, lui disant : Les voicy qui viennent à nous, — et nous à eux, se contentait-il de répondre. Jean de Beaugué, l'auteur d'une relation des guerres d'Écosse dont nous allons parler, et qui durèrent deux ans après le débarquement de Marie Stuart en France, à Roscoff[5], fait aussi un grand éloge de M. d'Essé et se plaît à rapporter souvent de ses concions, c'est-à-dire de ses discours.

Nous ouvrirons notre récit au moment où l'armée française débute avec prudence, car les Écossais, nos alliés, venaient d'être battus. Le capitaine Loup fut envoyé en reconnaissance vers Edimton (Haddington)[6]. Les Anglais se bornèrent à tirer sur les Ecossais dès leur approche, mais quand le capitaine Loup se montra, trois cents sortirent de la ville, à une petite portée de mousquetade seulement, c'est-à-dire sans vouloir engager le combat. Le capitaine Loup se retira donc vers M. d'Essé, après avoir reconnu le pied de la muraille d'Edimton ; en rétrogradant suivant l'ordre serré, il vit du côté de la mer un escadron qui venait à lui : il prit aussitôt position sur un mamelon et envoya reconnaître ledit escadron, ce que M. d'Essé faisait de son côté, après s'être placé entre Leith et Haddington, au village nommé Loretto, d'une chapelle consacrée à Notre-Dame de Lorette. Il en résulta une escarmouche sous les murs de la place dans laquelle l'honneur de la rencontre resta aux Français, dont plusieurs avaient été planter leur coutelas dans la porte d'Edimton, bravade assez de mode en ce temps-là[7].

Alors commença le siège d'Edimton. Plusieurs sorties s'effectuèrent afin de contrarier l'établissement du camp français ; elles ne nous empêchèrent pas d'en fortifier les avenues par quelques ravelins, flancs et tranchées.

La forteresse d'Edimton affecte la forme carrée ; bâtie au milieu d'une plaine basse et vaste, aucune hauteur ne la domine. Un large fossé à fond de cuve la clôt et porte à chaque angle un fort boulevard. Une courtine formée de fascines, s'élève au-dessus des défenses et permet aux arquebusiers anglais de tirer avec sécurité et bien à couvert. Derrière, contre le rempart de la première muraille, court un fossé profond avec quatre maisons, servant de défenses et de clôture au donjon et au corps de logis. Entre le bord de ce fossé et la courtine du donjon, des casemates qui peuvent se défendre d'une façon indépendante des tournions. Le donjon est attaquable du côté de la rivière seulement. L'intérieur du fossé offre un grand espace, on s'y peut ranger en bataille. Le site de cette forteresse occupe le milieu, le cœur de l'Écosse ; c'est pour ce motif que les Anglais l'ont choisi.

Les opérations commencèrent par l'apparition sous les murs d'habitants des Orcades, habillés suivant la mode nationale avec des chemises en laine et recouverts de tartan rayés : ces demi-sauvages, armés d'un arc, firent aux yeux de tous plusieurs prouesses, dont M. d'Essé les récompensa.

On creusa une tranchée à main gauche de la porte de l'abbaye avec des traverses qui couvraient les assiégeants du tir de l'artillerie. Une sortie vint la nuit reconnaître les travaux ; elle fut repoussée. Il en advint ainsi de plusieurs autres. Un Italien de la garnison, venu jusqu'à notre camp et qui se rendit à nous, assura que les assiégés disposaient à peine de douze jours de vivres. Cet avis se trouvant confirmé, on activa le travail des tranchées, tellement que l'on atteignit le pied d'un boulevard, position d'où l'on put tirer contre les assiégeants rien qu'à l'arbalète. Aussitôt des gabionnades s'élevèrent et abritèrent six pièces, lesquelles purent lancer le premier jour trois cent quarante coups contre la muraille entre la porte d'Edimbourg et le boulevard Tyberi. Le résultat obtenu ayant paru minime, la batterie fut déplacée, et M. d'Esse proposa dans un conseil de donner l'assaut, offrant d'y monter l'un des premiers, pendant que M. de la Mailleraye commanderait en son lieu et place : à son avis, les Français devaient l'emporter. Mais le conseil décida que le nombre des combattants français en Écosse était relativement faible, de plus qu'ils ne pourraient être facilement remplacés, et pour ces motifs émit l'avis de ne pas les aventurer dans une pareille entreprise.

Le projet d'assaut ajourné, les Anglais recoururent à la ruse pour secourir Edimton. Pendant que M. d'Esse faisait veiller et veillait, sa cavalerie occupant la nuit tous les chemins, un Écossais gagné, et faisant l'office d'espion, le vint trouver un soir, afin de le détourner de stationner sur une route, lui jurant qu'il devait aller joindre le comte d'Aran par une autre ; ce trompeur fut cru, le chemin en question abandonné, et c'est justement par là que le secours pénétra.

Ce coup achevé, beaucoup d'Écossais quittèrent le camp des assiégeants, afin d'aller vivre chez eux, car ils faisaient la guerre à leurs frais[8].

A ce moment M. d'Essé reçut avis que les Anglais songeaient à lui faire lever le siège. Une bataille s'ensuivit : elle fut précédée d'un discours de la reine douairière d'Écosse aux Écossais, et d'une allocution de M. d'Essé aux Français. Ce dernier disait : Mais plustost leur aurons passé sur le ventre que discouru sur les certains moyens que j'ai pour emporter la victoire. Suyvez moy donc, mes amis, et vous efforcez de bien faire, puisque vous avez à qui ressembler.

L'action eut lieu le 17 juillet 1548. Comme les Anglais se montraient sur la montagne au nombre de plus de 4.000 cavaliers, les nôtres demandèrent la bataille avec gaillardes acclamations. M. d'Esse envoya 20 salades françaises et 50 chevaux légers écossais pour engager l'escarmouche, pendant que, dans la ville, les chefs anglais perdaient du temps à complimenter les assiégés de leur résistance.

D'Andelot avait rangé sa troupe de fantassins et se trouvait à leur tête, au premier rang la pique au poing, costoyé de ceux auxquels il se pouvait fier. Le comte Rhingrave, posté un peu plus haut à main gauche de l'infanterie française, défendait le flanc gauche de cette dernière. Notre gendarmerie et notre cavalerie côtoyaient ces deux bataillons de gens de pied.

Les chevaliers anglais se prêtaient assez volontiers à l'escarmouche, temporisant et quelques fois renforceans ce combat en éparpillement qui avait été engagé en plusieurs lieux. D'Andelot, s'avançant avec 200 arquebusiers, avait fait mine de vouloir sonder le gué qui nous séparait des ennemis ; il chargea de très près l'adversaire et lui tua plusieurs hommes sans en perdre un seul. M. d'Étanges avait combattu les Albanois. Le lieutenant de M. d'Essé avait soutenu l'escarmouche de d'Andelot.

Les armées s'approchaient ; notre artillerie commençait à jouer. Les enfants perdus s'engagèrent vivement. Un escadron vint donner dans notre bataillon et ne put s'en retirer : il essuya de grosses pertes. Maintenu par d'Andelot, chargé par le Rhingrave, empêché ainsi d'être secouru, au moins à temps, puis attaqué à la fois par ces deux seigneurs et aussi par M. d'Essé, ce bataillon subit un affreux désordre et bientôt fut massacré. Le carnage devint tel que la fuite s'ensuivit, mais par petits groupes, celui par exemple de dix-huit Anglais, bien armés cependant, qui fut arrêté en rase campagne par des paysannes. Peu parvinrent à pénétrer dans Edimton, car M. d'Essé veillait de ce côté avec une espèce de réserve. Il périt, dit-on, 800 Anglais et 2.500 restèrent prisonniers[9] ; les relations françaises évaluent nos pertes à 15 hommes. Après cette victoire, les chefs français décidèrent qu'il ne fallait rien hasarder et M. d'Essé donna le signal de la retraite, afin de reprendre les positions que l'on occupait avant la bataille.

Les Français temporisèrent alors, sur l'avis d'un Albanois, qui avait été au service des Anglais et venait d'échapper de la tuerie, à savoir que les vivres commenceraient dans un mois à manquer dans la place, sous la condition bien entendue qu'on n'en laisserait pas pénétrer d'autres : aussitôt le parti fut pris d'affamer Edimton, et l'armée française se retira dans une abbaye éloignée d'un kilomètre environ. De là M. d'Esse, dans une lettre adressée au duc d'Aumale (depuis François de Guise), signale l'inconvénient où pourrait tomber l'armée française d'Écosse, si l'argent lay failloit[10].

Le général qui commandait dans cette cité résolut de tenter, au moyen de sorties, de la ravitailler au moins de blé : c'était d'ailleurs montrer que, malgré la précédente défaite, il disposait encore de forces suffisantes. L'une de ces sorties (200 chevaux) voulut surprendre notre guet, fait par nos gens de cheval, et, dans ce but, accomplit un mouvement tournant par la montagne de Berladé ; son effort devait être secondé par une autre sortie plus forte (300 hommes de pied) venant à nous directement et qui devait rentrer un peu d'orge qui se trouvait à distance de portée d'arquebuse du fossé de la ville. Ce dernier détachement fut aperçu par deux de nos soldats embusqués et M. d'Andelot prévenu. Aussitôt la compagnie du capitaine de Gourdes, reçut ordre de les surveiller, puis de les attirer, pendant que lui, d'Andelot, essaierait de leur couper la retraite. La nuit était obscure, en sorte que ce dernier put se placer entre eux et la ville. Son attaque imprévue jeta bas beaucoup d'ennemis, et un instant les deux chefs se prenant à part comme en une espèce de combat singulier, le capitaine anglais fut blessé à la main ; il eut sa bourguignote percée de coups d'épée. De Gourdes, survenant à son tour, l'attaque devint double ; les Anglais durent battre en retraite jusqu'à leur muraille presque pêle-mêle avec les nôtres. Ce nouveau succès enfla l'enthousiasme des assiégeants qui se montrèrent plus audacieux et voulurent franchir les tranchées flanquant les barrières de fermeture ; il fallut les contenir. Deux seigneurs écossais furent alors très utiles par leur vigilance et leur bravoure pour rembarrer les dernières sorties de la cavalerie assiégée.

Sur ces entrefaites, le duc de Somerset, protecteur, c'est-à-dire régent d'Angleterre pour Edouard VI, sachant que la flotte qui avait amené notre armée était repartie, prescrivit un armement considérable pour l'Écosse, en sorte que notre petit corps expéditionnaire se vit bientôt menacé par 18.000 hommes de pied et 700 chevaux, La régente, ni le comte d'Aran, n'ayant pu lui fournir des secours à temps, il fut obligé de lever le siège d'Edimton (18 août 1548).

Ce fut un contre-temps.

En sa retraite, M. d'Esse, qui commandait à 5.000 hommes, pouvait avoir affaire à cinq fois plus d'adversaires, mais il sut les éviter et ne perdit pas un seul homme, en abandonnant le lieu de ses précédents exploits. Lui parti, Edimton fut ravitaillée de soldats et de vivres.

 

Bientôt après les Anglais embusquèrent de leurs cavaliers à Traneut et nous dépêchèrent un autre détachement destiné à servir d'amorce et à nous attirer à eux. Après une escarmouche peu importante sur ce point, nous prîmes camp à Musselburgh. Là cinq ou six mille Écossais vinrent bientôt nous rejoindre[11].

 

A peine étaient-ils installés que trois bataillons et deux régiments anglais de cavalerie se présentèrent. L'occasion d'un combat semblait s'offrir et M. d'Essé s'y prépara il harangua même ses troupes dans le sens d'une bataille prochaine, mais, comme on allait ouvrir les prémices d'une action, les adversaires se retirèrent.

 

Les fortifications de Dunbar commencèrent alors ; on regrettait, dans l'entourage de d'Essé, que ce travail n'eut pas commencé plus tôt, car cette ville, à l'abri d'un coup de main, eut pu offrir un refuge à nos troupes, faiblement accompagnées par les gens du pays, et en tout cas eut contrarié le ravitaillement de Haddington (Edimton) par les Anglais[12].

L'amiral d'Angleterre, après avoir brûlé le port de Burnstifland, au nord du Forth, puis canonné le petit Leith, voulut descendre dans le pays du Tay (Tweed), rivière qui se jette dans la mer, et prouver de la sorte qu'il ne craignait pas d'entretenir une guerre continuelle. Rapprochés de ce pays, les Anglais se tinrent cachés jusqu'à dix heures du soir ; ils accomplirent leurs préparatifs, puis débarquèrent vers Moures (ou Montrose) un peu avant le jour. Là s'élevait un petit fort, construit par un gentilhomme écossais, le seigneur de Dunes, lequel quoique malade y exerçait une vigilante garde, et le soir ne se retirait en sa maison que le guet bien établi. Or, ce jour-là il fut étonné du nombre de navires qui sillonnait la mer ; aussitôt il donna ordre à une partie des siens de se jeter dans les meilleurs navires et de défendre l'entrée, fit armer la population par ses domestiques, puis s'avança, avec une petite troupe, à la rencontre de l'ennemi. Ayant reconnu que c'était une véritable descente, il se replia vers sa deuxième troupe, et gagna la ville : sur 1.000 habitants armés, il en choisit 300 qui furent expédiés en lieu dangereux, tandis que les mal armés allèrent occuper en arrière une montagne et reçurent la consigne de dissimuler leur présence jusqu'au second coup d'artillerie qu'il ferait tirer. L'obscurité de la nuit et le peu de connaissance des localités qu'avaient les adversaires favorisèrent l'exécution de ces mesures, d'autant que les Anglais agissaient plus lentement que ne le comporte une attaque de vive force. Lorsque ces derniers avancèrent, ils furent reçus par la mousquetade de la première embuscade des Écossais et aussi par une nuée de flèches que ceux-ci lançaient fort adroitement, puis la deuxième troupe embusquée les accueillit de même ; enfin l'artillerie démasquée tira vivement, en même temps que la réserve placée sur la montagne s'avançait en carré, faisant de grans huées et criés. Devant ces coups multiples la peur les prit et ils se retirèrent en désordre à leurs vaisseaux, au point que sur 800 hommes descendus à terre, il s'en rembarqua 100, la flottille qui les portait gagnant aussitôt la haute mer[13].

Le lord baron Gray prit alors le parti de rentrer en Angleterre, après avoir laissé dans Edimton (Haddington) 400 cavaliers et tout ce qu'il fallait pour défendre, pour garder la place. En se retirant il brûla diverses maisons à Dunbar[14], puis édifia deux lieues plus loin à Dunglas, un fort, mais tellement dominé par une colline voisine, que la situation y devait être intenable, dès que l'assaillant occuperait cette dite colline et tirerait de là dans l'intérieur.

M. d'Essé était toujours à Musselburgh. Averti du départ de milord Gray, il résolut d'aller se présenter à la garnison d'Edimton avec 1.000 fantassins et 300 chevaux, il s'approcha et dépêcha 10 salades, pour attirer ceux de la place qui donnèrent aussitôt et se trouvèrent aux prises avec notre cavalerie : aussitôt, sur un signal donné, l'infanterie française se montra, et la garnison fut menée l'épée dans les reins jusqu'à la porte du faubourg, acculée même à coups de coutelas et de masse, et laissa plus de 200 tués et 120 prisonniers ; cette action nous coûta 3 hommes.

Nous quittâmes alors notre campement de Musselburgh afin de gagner Edimbourg, d'où le maréchal Strozzi et M. d'Andelot revinrent en France. M. d'Essé mit ses soins à fortifier le petit Leith, point très important comme lieu central de débarquement pour les marchandises venues des pays étrangers, et qui depuis a pris tant d'extension : la défense de ce point, et cela prouve l'excellence du choix, devenait facile dès qu'on occupait une colline qui commandait au port et à toute la ville.

M. d'Essé fut alors chargé par la reine douairière d'Écosse de chasser du pays de Tweedale deux enseignes d'Espagnols, mais le défaut de vivres ralentit sa course et il ne put accomplir cette mission. A son retour dans Édimbourg il s'éleva entre Français et Écossais une rixe assez grave, quoique nos soldats y vécussent avec la population sur un excellent pied.

A la suite de cette émeute les Français sortirent d'Edimbourg à 11 heures du soir, et vinrent par l'obscurité, au moyen d'une avenue secrète, gagner la porte d'Edimton. Plusieurs de nos soldats grimpèrent contre un éperon, égorgèrent 3 sentinelles et crièrent France ! A ce signal les nôtres avancèrent, forcèrent la porte avec impétuosité. Deux corps de garde furent massacrés, et la lutte prit pour nous une si favorable tournure que les nôtres se croyaient certains de la victoire. Mais à ce moment un soldat français, né à Paris, coupable de trahison, voyant sa punition approcher, mit de lui-même le feu à un canon qui tua beaucoup des assaillants. De là une alerte, pendant laquelle M. d'Essé fit prudemment sonner la retraite et gagna un lieu sûr.

Le baron Gray, qui favorisait les Anglais, leur avait livré son château de Portygrès — en écrivant d'après l'orthographe de Beaugué, aujourd'hui Broughty-Ferry —, forteresse située à l'embouchure du Tay, jusqu'où remontent de gros navires. Deux fois les Écossais avaient essayé de reprendre ce fort que les ennemis avaient grandement accru, mais sans y réussir, ce qui était fâcheux, car de là l'ennemi visitait et pillait Dundée, ville dénuée de toute fortification. Alors M. d'Essé envoya le Rhingrave avec deux enseignes d'Allemands et M. d'Elanges avec sa compagnie au secours de cette ville, les suivant lui-même de près. Les Anglais commençaient des ouvrages de défense à Dundée ; avertis à temps, ils se retirèrent en mettant le feu à plusieurs maisons de la ville.

A Portygrès l'ennemi avait réussi à faire une belle forteresse. Le Rhingrave et M. d'Étanges les accompagnèrent jusque-là, et il se produisit, jusqu'au pied de la basse-cour du forte, un rude escarmouche ; mais l'artillerie des défenseurs se mettant à tirer sur les nôtres, ceux-ci durent regagner Dundée.

On était à la fin de septembre 1548. M. d'Essé venait de placer neuf enseignes, dont sept françaises, à Dundée, avec de l'artillerie et des pionniers, afin de travailler aux fortifications de la ville, puis il s'était retiré à Edimbourg accompagné du surplus de ses forces, afin de leur donner du repos dans les environs de cette capitale où il les répartit.

En menaçant la châtelaine de mettre à mort son jeune fils prisonnier, les ennemis avaient obtenu, par ce moyen cruel, la reddition du château de Humes (Home), mais celui-ci leur fut repris par ruse, et alors M. d'Essé y plaça, comme garnison, le capitaine Lavy avec sa compagnie[15].

La petite armée française se trouvait depuis trois mois sans recevoir sa solde, lorsque enfin quatre compagnies de pied et de l'argent lui arrivèrent de Bordeaux, en attendant un plus gros renfort qui était annoncé de la part du roi. En général l'argent manquait, et par suite les vivres, particulièrement dans le château de Humes qu'il fallut abandonner pour ce motif ; afin de compenser cette perte, comme l'ennemy, Dieu mercy, disait la reine Marie d'Écosse, n'était obéy que de ses forts, il fut adopté pour remède de ruiner sur la frontière plusieurs bourgades, desquelles il tirait ses vivres, afin que l'avitaillement de ses places en fut empêché : cette proposition fut faite à M. d'Essé au moyen d'une lettre écrite par Montluc[16] au nom de la reine. Pareille entreprise devenait possible depuis que la garnison d'Haddington venait d'être battue dans une escarmouche, où son chef sir James Wilford était demeuré prisonnier. D'ailleurs les Écossais accordés pour cette expédition furent au nombre de 3.000, dont moitié d'infanterie. Le projet réussit à souhait ; on brûla six grosses bourgades et l'on prit six petits châteaux[17], on fit un gros butin qui remédia pour la troupe au défaut d'argent, sans que l'adversaire osât approcher de notre infanterie bien ordonnée. Le coup achevé, six enseignes et la cavalerie continuèrent à occuper la frontière, tandis que le reste du corps expéditionnaire franco-écossais revenait vers le petit Leith. A ce moment les Anglais songèrent à fortifier le petit port d'Aberlady, sur le Forth, dans le comté de Haddington.

Après ces événements, M. d'Essé resta avec ses troupes dans la cité de Gedouart[18] ou Jedburgh, sur le Jed, où les siens souffrirent une grande misère, au point que, pour les secourir, il fut obligé de vendre ses meubles et jusqu'à sa vaisselle d'argent[19].

Un instant nous fûmes enfermés, déjà très dépourvus, entre les Anglais et la Tweed tellement gonflée d'eau qu'on ne la pouvait passer ni à pied, ni à cheval ; heureusement les Anglais ne s'en aperçurent pas, ou agirent avec une grande lenteur. Enfin, cependant, ils pénétrèrent dans la rivière de Forth et s'y emparèrent de l'ile Dieu[20], ou île aux Chevaux[21] (Inch-Keith), qui leur fut promptement enlevée par nos soldats[22] !

Bientôt M. de Thermes[23], accompagné par 100 gendarmes, 200 chevau-légers et un millier de fantassins, atteignit Dumbarton avec mission de remplacer M. d'Essé. La guerre continua et les frontières d'Écosse furent délivrées de la présence des Anglais, mais cette lutte entraîna des frais, et les villes closes de France durent supporter, dans le but de l'entretenir, un impôt spécial de quatre cent mille livres, édicté par Henri II le 31 décembre 1549. Ledit impôt, d'après sa destination, devait aussi venir en aide à l'entretien des gens de guerre dans le Boulenois.

Henri VIII avait reçu la soumission de Boulogne le 14 septembre 1544. Depuis il y avait eu diverses tentatives essayées afin de reprendre cette ville, notamment celle de 1545, où Montluc détermina par son adresse les soldats à travailler à la terre, pour achever une courtine au fort d'Outreau qui menaçait la place[24]. Parvenu au trône, Henri II songea au sort de ce port important, et, lors de notre expédition d'Écosse, voulut venir en aide à cette expédition en commandant en personne l'armée française chargée d'en faire le siège. Cette armée, composée de troupes d'élite, déploya un grand luxe. Quatre forts furent pris, puis notre ardeur se refroidit et le siège fut levé (1549). Comme transaction, il intervint un rachat de Boulogne limité à 400.000 écus, soit à la moitié de la somme stipulée précédemment, mais il eût mieux valu achever la conquête de cette place, ce qui, avec un peu d'énergie, eût été facile. On dissimula cette faiblesse du gouvernement français en fiançant au roi d'Angleterre la princesse Elisabeth, fille de Henri II, encore fort jeune ; le maréchal de Saint-André fut envoyé à ce sujet en ambassade à Londres, où il mena le train le plus somptueux. C'est le cas de répéter que la magnificence remplace mal le courage et les succès militaires.

François de Montmorency, lieutenant général de Picardie, prit possession de Boulogne le 25 avril 1550 au nom de Henri II : le commandant anglais vint au-devant du représentant royal, et lui remit les clefs en présence de tous les officiers anglais ; comme les Français pénétraient par une porte, la garnison anglaise sortait par la porte opposée. Le 15 mai, jour de l'Ascension, le roi de France fit son entrée solennelle, et rétablit tous les effets d'un vœu qu'il avait fait deux ans auparavant, et qui déclarait la sainte Vierge souveraine du Boulenois[25].

 

 

 



[1] Précédemment elle avait été promise au prince fils de Henri VIII, devenu alors Édouard VI : elle habitait la France depuis sa première enfance, ce qui la rendit presque une étrangère pour son pays natal, quand elle retourna en Écosse, une fois veuve de François II.

[2] 8 février 1547 ; ce titre s'est perpétué.

[3] Hommes illustres et grands capitaines français, LXXXV, M. d'Essé.

[4] Agé de 70 ans, il mourut en 1553 sur la brèche de Térouanne, ville de l'Artois, assiégée par les Impériaux, Voyez ci-après notre chap. VI.

[5] Il ne subsiste plus aujourd'hui de doute sur cette localité : voyez Histoire du port de Brest, par M. Levot, t. I, p. 60, note.

[6] Jean de Beaugué, issue de la guerre d'Écosse, chap. V. Les Français écrivent encore Adimton.

[7] Cette affaire coûta un tué et cinq blessés.

[8] Il en fut de même en France jusque sous Henri IV, dont les armées, de 1589 à 1593, fondirent souvent par ce motif, malgré le besoin pressant qu'il avait de les tenir sur pied. Voyez notre Histoire de Henri IV.

[9] Ces chiffres paraissent exagérés, car le secours anglais, venu à la défense de la ville, comportait 3.000 chevaux, dont il s'échappa bien deux cents suivant le propre témoignage de M. d'Esse dans sa lettre citée ci-dessous ; il est vrai que la garnison a pu fournir son contingent aux pertes mentionnées, car on comptait que, pendant l'action, elle pourrait effectuer une sortie avec deux mil hommes de pié, au dire de Bouchet dans ses Annales d'Aquitaine.

[10] Relations politiques de la France et de l'Espagne avec l'Écosse au XVIe siècle, recueil publié par M. Teulet, Paris, chez Renouard, 1862, t. I, p. 184.

[11] C'est le chiffre indiqué par une lettre écrite le 1er septembre. Voyez Teulet, t. I, p. 185.

[12] Lettre de M. d'Oysel au duc d'Aumale, du 25 septembre 1548. Teulet, t. I, p. 189.

[13] Beaugué, Guerre d'Écosse, livre II, chap. XIX.

[14] Où Cromwell gagnera une bataille en 1650.

[15] La reine d'Écosse au duc d'Aumale et au cardinal de Guise, 15 avril 1519, dans Teulet, t. I, p. 192.

[16] Même lettre. M. Teulet dit qu'il s'agit de Blaise de Montluc, depuis maréchal : ce dernier en ses Commentaires ne dit pas avoir été en Écosse, et il n'est guère homme à l'oublier volontairement : puis, à propos d'un Montluc placé auprès de la reine, il s'agit plutôt du diplomate, du frère du futur maréchal, de Jean de Montluc, le père du fameux Balagny. Du reste, au chap. XXVIII de son livre Beaugué parle nettement du futur évêque de Valence.

[17] Suivant Beaugué, livre III, chap. VIII, on brûla et foudroya tous les villages jusqu'à Neufchastel, c'est-à-dire jusqu'à New-Castle, chef-lieu du Northumberland. Dans cette course, Beaugué prétend que les Français virent le lac Myrtoun (sic), inconnu aujourd'hui, gelé à la moitié de sa surface seulement.

[18] En se retirant d'Angleterre vers cette cité, il dut, afin de se couvrir, faire exécuter plusieurs reconnaissances, dont une par Villegaignon qui colonisa plus tard pour la France au Brésil. Reportez-vous ci-après à notre chap. Polémique au sujet de notre colonie du Brésil.

[19] Beaugué, livre III, chap. XI.

[20] La reine douairière l'avait surnommée ainsi quand elle fut reprise sur les Anglais.

[21] Ce nom provient de ce qu'elle produit d'excellent fourrage.

[22] M. d'Essé refusa de prendre part au butin conquis dans l'ile. Voyez Rabelais, Pantagruel, chap. LXVII. L'illustre auteur associe les seigneurs de Termes et d'Essé dans la reprise de cette ile sur les Anglais.

[23] En quittant l'Écosse ambassadeur à Rome, puis maréchal après la prise de Thionville. Lisez sa vie dans Brantôme.

[24] Voyez ses Commentaires, édition du Panthéon littéraire, p. 81.

[25] Henri II fit don à la cathédrale d'une image de la Vierge de 3 pieds 4 pouces de haut, en argent massif. Lisez ces détails, et tous ceux relatifs à la restauration du culte catholique dans cette église, p. 426 et suivantes de l'Histoire de Notre-Dame de Boulogne, par M. l'abbé Haigneré, in-12, Boulogne-sur-Mer, chez Berger, 1857.