HISTOIRE DE FRANÇOIS II

 

CHAPITRE V. — ÉTAT DE LA QUESTION RELIGIEUSE.

 

 

Relativement à la question religieuse une considération prime les autres : l'Europe renfermait des États protestants depuis 1523, et nous étions leurs alliés depuis le règne de Henri II[1]. Ce rapprochement avait amené, pour plusieurs, la vie commune à la cour et dans les camps, et de la sorte disposé, encouragé un plus grand nombre de Français à embrasser la nouvelle religion[2] ; si l'alliance de François lier avec les Turcs n'avait pas amené un résultat semblable, c'est que les différences entre le catholicisme et l'islamisme étaient trop grandes, plus grandes assurément qu'entre le catholicisme et le protestantisme.

Puis, quand le nombre des protestants devient grand, le gouvernement français s'alarme, un peu tard il est vrai, car il aurait dû se mettre en garde chez une nation avide de nouveautés par caractère[3] ; puis il remarque combien leur principe d'examen, encore mal compris, mal interprété, se prête à la destruction de l'autorité, et dès lors il se tient sur la réserve, presque en état d'hostilité vis-à-vis de la croyance nouvelle ; cela était inévitable, le gouvernement devait se ranger du côté de la majorité, et la grande majorité en France était catholique, comme elle l'a toujours été. Parmi les membres du gouvernement plusieurs, le connétable de Montmorency entre autres, pensent même bientôt qu'un changement de religion en France y amènerait un changement politique[4].

Dès lors, comment se fait-il que le parti protestant prenne aussi promptement l'importance qu'il possède au début du règne de François II ? surtout quand on réfléchit que ce parti comptait alors à peine cinq cent mille adhérents[5], par rapport à une population totale de vingt millions d'habitants au maximum[6]. C'est qu'il ne s'agissait pas uniquement de religion dans la levée de boucliers prochaine ; sous prétexte de liberté de conscience, aidé par ce prétexte qui fanatisa plus d'un combattant, on revendiquait le droit, pour les familles nobles, d'intervenir de temps à autre dans les affaires d'État et d'arracher un lambeau du pouvoir, droit oublié sous les règnes brillants et guerriers de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier. Les nobles voulaient ainsi maintenir l'affaiblissement du pouvoir royal, qui favorisait la conservation 'de leur indépendance, et lutter contre l'action des parlements, prompts aux remontrances, il est vrai, mais en somme mieux disposés vis-à-vis du pouvoir central, et dans le sein desquels ils n'avaient su, à l'origine, introduire aucun des leurs.

La religion fut le masque des agitations des règnes des derniers Valois ; ce n'est pas seulement l'opinion de Montesquieu, qui adopta celle de Louis XI, de Richelieu et de Louis XIV, et le principe de leurs croisades contre la noblesse, c'est l'opinion des contemporains.

Néanmoins, revenons aux affaires religieuses, telles que Henri II les laissait à son successeur.

Beaucoup de personnages notables ultérieurement comme protestants n'avaient pas embrassé encore la religion nouvelle, par exemple Coligny. En revanche, les magistrats penchaient vers ces croyances[7], esbranlez par les raisons, prétend d'Aubigné, et quelques-uns convertis du tout à cette nouvelle créance, les autres consentans en quelques poincts seulement[8]. On avait averti Henri II, qui, au lieu de tout calmer par une, tolérance éclairée, ralluma la persécution commencée par son père, et rendit plus intéressant le noyau des réformés français. Sauf en ce qui concerne les victimes, ceux-ci, comme parti, ne pouvaient rien désirer qui leur fût plus favorable[9] : une persécution et un martyrologe ont toujours été d'excellents moyens de propagande pour une religion[10]. Mais Henri II était excité contre les Huguenots par Diane de Poitiers, qui ne pouvait leur pardonner de la traiter d'adultère et même d'employer à son égard des expressions moins émoussées ; un vice permanent et affiché du roi gênait ainsi sa liberté d'action et entravait sa politique.

Non-seulement les parlements, mais beaucoup de princes, attirés sans doute par les avantages que les souverains d'Allemagne en avaient tirés, inclinaient vers la réforme[11].

Qui donc y résista ? les Guises, princes qui s'étaient mis à la tête du parti catholique, plus par politique et par ambition que par religion, mais qui voulaient l'exécution du projet concerté entre Henri II et Philippe II pour la destruction du parti protestant ; après les Guises, et plus qu'eux, le clergé. Cependant, la manière d'être de ce dernier et sa conduite, en France comme ailleurs, justifiait le mieux le désir d'une rénovation, sinon religieuse, au moins morale ; non parce que des évêques tenaient encore les armes d'une main ferme et se montraient à la guerre bons capitaines, comme Brantôme nous l'apprend dans la Vie du maréchal de Brissac, mais parce qu'ils n'administraient les sacrements que moyennant finances et étaient âpres à l'argent[12]. Et puis laissez manier l'Estat à des prestres, s'écrie à ce sujet un guerrier, la plupart desquels mesurent toutes choses plustôt par l'utilité particulière d'eux et de leurs maisons que par celle du service du Roy[13]. Michel de l'Hospital est plus formel encore : Ces hommes à robe noire, violette ou rouge, écrit-il en vers latins, ces hommes qui lèvent les yeux au ciel d'un air humble et triste... cherchent de l'or, de l'opulence ; ils en demandent au trésor public ; ils réclament des temples superbes et de riches bénéfices. Quand ils sont, par l'intrigue, arrivés à leurs fins... ils se glissent perfidement dans la confiance des rois ou des princes[14]. Parce que leurs mœurs étaient répréhensibles ; rions par exemple avec Rabelais comme laïques, mais trouvons-le bien joyeux[15] et trop épicurien pour un prêtre ; n'oublions pas surtout le propos du maréchal de Vauban, disant ironiquement : Il n'y a qu'à remonter jusqu'au règne de François Ier et voir ce qu'étaient les ecclésiastiques de ce temps-là leurs mœurs et leurs doctrines[16]. Parce que les hauts personnages du clergé, et un grand nombre d'abbés à bénéfices, possédaient de trop grands biens, affichaient un luxe déplacé et suivaient la cour pour leurs plaisirs, au lieu de résider dans leur diocèse ou abbaye et de s'occuper des soins religieux à donner à leurs ouailles[17].

C'est le besoin de cette rénovation, assez généralement senti, mais non admis comme toujours par les intéressés, qui rendait la question religieuse si délicate, et la transportait sur un terrain brûlant ; d'autant plus que le Français n'est pas puritain par nature, et que, s'il désirait une amélioration dans les mœurs de ses prêtres, il ne la voulait certes pas suivant le sens austère réclamé par les protestants ; ces derniers, d'ailleurs, n'exagéraient-ils pas leur rigidité par esprit de contraste et d'opposition ? On était donc loin de s'entendre ; nous verrons dans les chapitres suivants si le jeu des passions qui se mêlent aux affaires humaines fit surgir quelque motif ou prétexte de conciliation.

 

 

 



[1] Les princes catholiques d'Allemagne ont dit depuis que ce siège — celui de Metz, en 1557, quand Charles-Quint y échoue —, fut cause de la ruine de leur religion et party. Mémoires de Castelnau, II, VI.

[2] La nouvelle irreligion, disait VIGOR. Voyez ses Sermons et prédications pour le mercredi des octaves de la Fête-Dieu. Sur Vigor, consultez une note du chapitre IV et une note de la conclusion.

[3] Par exemple, Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, s'intéressa à Calvin et à sa doctrine par esprit de curiosité : elle finit par le protéger. Aussi, dès 1547, ce chef religieux pouvait écrire dans une lettre adressée au marquis du Poet, général des Réformés en Dauphiné : La reine de Navarre a bien affermi notre religion en Béarn ; les papistes en ont été chassés entièrement. En Languedoc ont été tenues maintes assemblées sur notre croyance. (Lettre du 8 mai 1547, datée de Genève.) Et plus tard : ... Que le roi (de France) fasse des processions tant qu'il voudra, il ne pourra arrêter les progrès de notre foi. (Lettre du 8 septembre 1564.) Après la mort de François Ier, la duchesse d'Étampes se fit protestante.

[4] Comme chef de la famille de Montmorency, il s'intitulait le premier baron chrétien, et ce titre l'obligeait à rester dans le parti catholique.

[5] On comptait alors 2.450 églises protestantes en France ; à 200 individus par église, en moyenne, cela donnerait 430.000 protestants. Dans ce nombre ne se trouve pas comprise l'Église française protestante de Genève fondée par Calvin et les autres réfugiés français. — Sous Louis XIV, avant les conversions forcées, le nombre des protestants ne dépassait pas 600.000.

[6] C'est le chiffre adopté par MONTESQUIEU, Esprit des lois, XXIII, XXIV.

[7] Après la conjuration d'Amboise, le parlement de Rouen se montre fort tolérant envers les Huguenots.

[8] Les Histoires du sieur d'Aubigné. A Maillé, chez Moussat, imprimeur ordinaire du dit sieur, in-folio, 1646, livre II, chapitre X.

[9] Plus on en faisoit de punition, plus ils multiplioient. Mémoires de Castelnau, I, IV.

[10] Vauban prétend que, peu de temps après la Saint-Barthélemy, il se trouva en France cent dix mille Huguenots de plus qu'auparavant.

[11] Catherine de Médicis est du nombre, et elle eût pu entrainer ses faibles fils à son avis. Les autres princes du sang étaient protestants.

[12] Michel DE L'HOSPITAL, préambule de sa Harangue au colloque de Poissy (1561), et Discours de Jacques DE BRETAGNE, maire d'Autun.

[13] Mémoires de Boyvin de Villars, livre VIII, p. 598.

[14] Poésies latines, Discours sur les mauvais chrétiens, les prêtres et les ambitieux.

[15] C'est lui qui, attaché à la personne du cardinal du Bellay, s'écria, dans une audience accordée par Clément VII et en voyant son maître embrasser la mule du Pape : Si mon maître, grand seigneur, baise les pieds du Saint-Père, que lui baiserai-je, moi, petit ?

[16] Mémoire pour le rappel des Huguenots, décembre 1689, composé surtout parce que la révocation de l'édit de Nantes maintient l'union entre les puissances protestantes confédérées contre nous, c'est-à-dire dans un but politique. Vauban ajoute : Les Rois sont bien maîtres des vies et des biens de leurs sujets, mais jamais de leurs opinions, parce que les sentiments intérieurs sont hors de leur puissance, et Dieu seul les peut diriger comme il lui plaît.

[17] Le bas clergé était pauvre.