HISTOIRE DE FRANÇOIS II

 

CHAPITRE II. — LES SOUVERAINS.

 

 

Nous traiterons en ce chapitre du roi, de la reine, de la reine-mère : ce sont les principaux acteurs de notre récit, et nous devons commencer par les faire connaître.

 

François II, devenu roi prématurément par la mort singulière et inattendue de son père, comptait, le 29 juin 1559, jour de son avènement, seize ans et cinq mois, étant né le 20 janvier 1543. Sa santé était délicate, son esprit faible et lent. Un mariage anticipé n'avait pu qu'augmenter ces dispositions à la faiblesse, d'autant plus que sa femme était plus âgée que lui[1] et douée d'une beauté remarquable. Presque toute son éducation avait consisté en exercices, mais ces exercices ne l'avaient pas développé.

On rapporte de François II, comme prince, puis comme dauphin, qu'il devait sa nature molle et son caractère indécis à une affection scrofuleuse. On le disait incapable de gouverner et entièrement soumis à l'influence de sa femme[2] ; du moins, contre cette dernière, Catherine de Médicis, sa mère, comprenait qu'elle ne pouvait lutter.

Les détails manquent sur son enfance et son éducation. Peut-être était-il par nature peu généreux[3], ce qui déplaisait autant à son père que son indifférence pour les lettres, et sa disposition naturelle était-elle raide et sévère 3[4]. On sait seulement d'une façon certaine qu'il ne comptait pas encore dans le pays, car ce dernier regretta vivement Henri II à son décès, quoiqu'il l'aimât peu précédemment, et cela en prévision des maux qui pouvaient l'atteindre par le remplacement inopiné d'un monarque homme fait et sachant les armes, par un souverain à peine sorti de l'enfance et n'ayant pas encore manié l'épée.

 

Marie Stuart qui, aimée de ses oncles les Guise comme un simple instrument et abandonnée par eux dès son veuvage, paya si cher son séjour dans cette France aimable et galante quand elle fut retournée au milieu de ses fougueux puritains, Marie Stuart, disons-nous, était plus ambitieuse que ne le comportait son âge[5]. Toutefois, comme elle occupait le rang suprême, son ambition devait se borner à prendre part au gouvernement, ce qu'elle ne fit que trop, dressée qu'elle était à épier Catherine de Médicis au profit des princes Lorrains. C'était une personne instruite, ayant prononcé à quatorze ans, en public, dans la salle du Louvre, un discours latin de sa composition, destiné à prouver la bienséance pour les femmes de connaître les lettres et les arts libéraux. Brantôme, qui nous apprend ce détail, ajoute que la jeune reine consacrait deux heures chaque jour pour étudier et lire[6]. Elle écrivait bien en vers[7] et en prose, et ce non-seulement en français[8], mais dans plusieurs langues vivantes. Douée de grâces naturelles, elle était d'une grande beauté que rehaussait encore l'habillement sévère de son pays, avait la main blanche et la voix douce ; elle chantait agréablement en s'accompagnant du luth. Son esprit vif et ouvert, son caractère aimable, insinuant même, la rendaient très-propre à distraire un monarque peu développé et souffrant, à briller même dans une cour et à en devenir l'ornement principal. C'est d'elle que Ronsard a dit :

Amour de ses beaux traits lui composa les yeux ;

et du Bellay :

Vous ne verrez jamais chose plus belle.

Le second malheur de Marie Stuart, dont les suites ne devaient se dévoiler que plus tard, hors de France, consistait dans son séjour à la cour magnifique mais relâchée de Henri II, continua-fion fidèle de celle de François Ier : Conservant encore certaines coutumes militaires du moyen âge et se façonnant aux usages intellectuels du siècle de la Renaissance, cette cour, a dit M. Mignet, au chapitre II de son Histoire de Marie Stuart, était à moitié chevaleresque et à moitié lettrée, mêlait les tournois aux études, la chasse à l'érudition, les spectacles de l'esprit aux exercices du corps, les anciens et rudes jeux de l'adresse et de la force aux plaisirs nouveaux et délicats des arts.

 

Catherine de Médicis était italienne : malheureuse en France depuis vingt-six ans, son caractère avait mûri à une rude école, et les instincts de sa race et de son pays se trouvaient dans leur période de plein développement. Elle avait peu de foi religieuse[9], mais elle comprit que la royauté reposait sur elle, car, connaissant ses fils mieux que personne, elle savait que le maintien de ce grand mode de gouvernement ne pouvait compter sur eux. Elle se dévoua donc dès le premier jour à cette idée grandiose : conserver la royauté en France, y maintenir le principe d'autorité, et par là sauvegarder doublement la cause sociale. Ayant puisé dans sa famille les principes qui inspirèrent Machiavel, dont le Prince est dédié à son père — Laurent II de Médicis —, elle ne devait reculer devant aucun moyen pour atteindre son but. Le principal, celui que l'on pouvait déjà entrevoir, c'était la dissimulation, dont sa fausse position d'épouse royale, éclipsée par une favorite hautaine, avait dû lui apprendre les finesses et les replis, dont sa situation de veuve restée avec trois enfants petits dans un royaume tout divisé, n'y ayant un seul homme à qui elle pût se fier[10], dut lui faire conserver l'usage. On n'ignorait pas qu'elle avait beaucoup d'entendement, comme elle l'a bien montré depuis, dit Montluc[11] ; sa soumission envers son mari, ses soins affectueux pour son beau-père ne lui avaient point nui dans l'opinion publique, l'avaient sauvée d'un divorce pendant sa stérilité, et l'avaient habituée à déployer au besoin l'amabilité et la part de séduction dont elle était douée.

Les écrivains protestants ont extrêmement chargé, et en noir, le portrait de la reine-mère. Fine et fausse ; cachant sous de feintes caresses son hostilité ou sa haine, tandis qu'elle ne célait pas assez son penchant pour les voluptés, elle avait l'esprit sinon supérieur au moins pénétrant, connaissait mieux les hommes que les choses, et dans le danger se tirait d'affaire à force de moyens, agissant au jour le jour et courant à la besogne la plus pressée ; la multiplicité plutôt que la simplicité des coups entrait dans ses allures.

Pour caractériser son extérieur, ajoutons qu'elle n'était pas belle, ayant les yeux gros et la lèvre forte comme son grand-oncle Léon X[12] ; qu'elle s'habillait, du vivant de Henri II, d'une façon grave et simple, et prenait le deuil quand le roi faisait la guerre, l'imposant à toute la cour et exhortant chacun à prier Dieu pour le bonheur du monarque absent.

Catherine de Médicis aimait les exercices, spécialement la danse, le jeu de l'arbalète, la chasse et l'équitation. A l'égard de ce dernier exercice elle fut, assure-t-on, la première à mettre la jambe sur l'arçon, au lieu de se tenir simplement assise de côté sur la planchette qui forme la plus simple des selles de dames.

Une particularité de la reine-mère, c'est que si elle appelait quelqu'un mon ami, cela dans sa bouche voulait dire sot ou toute autre injure ; en un mot, elle n'employait cette expression que dans sa colère.

Elle avait déjà exercé les fonctions de régente, d'après une déclaration royale faite au parlement de Paris, pendant la guerre de Henri II en Allemagne et en Lorraine, et l'histoire constate qu'elle s'était tirée à son honneur de ces fonctions difficiles.

On peut dire qu'elle avait l'instinct politique[13], et, si au lieu d'être sans cesse contrariée dans ses plans, elle avait joui d'un pouvoir absolu, il y a tout lieu de croire qu'elle eût fourni un grand règne et réalisé de grandes choses.

 

 

 



[1] De quarante-quatre jours, étant née le 8 décembre 1542, six jours avant son avènement au trône d'Écosse. La longue minorité de Marie-Stuart fut son premier et principal malheur.

[2] Le dauphin aime la reine d'Écosse et prend plaisir à deviser avec elle. Relation de Jean CAPELLO.

[3] On lui a donné de très-bons précepteurs, qui lui apprennent à ne jamais rien refuser de ce qu'on lui demande, afin qu'il puisse acquérir, par une continuelle habitude, tout ce qu'il faut à la libéralité et à la grandeur royales ; et cependant on n'y réussit pas beaucoup. Relation de l'ambassadeur vénitien Jean CAPELLO, ambassadeur en France en 1554. Six lignes plus loin, Capello dit que le duc d'Orléans (depuis Charles IX) avait le cœur généreux.

[4] Relazione de Michel SURIANO (1561).

[5] Expressions de l'historien de Thou.

[6] Vies des Dames illustres, françaises et étrangères.

[7] Dans une pièce de vers qu'elle composa, dit-on, sur son veuvage, et que lui attribue Brantôme, on lit cette strophe :

Si en quelque Séjour,

Soit en Bois ou en Prée,

Soit pour l'Aube de Jour

Ou soit pour la Vesprée,

Sans cesse mon Cœur sent

Le Regret d'un Absent.

[8] La collection de M. Alexandre Labanoff (Lettres, Instructions et Mémoires de Marie-Stuart) contient plusieurs lettres de cette princesse, écrites en français et antérieures à son mariage.

[9] C'est l'opinion à peu près unanime des contemporains. Rappelons pourtant qu'elle dit au conseil, en 1577 : Je suis catholique et ai aussi bonne conscience que nul autre peut avoir. J'ai beaucoup de fois hasardé ma personne contre les Huguenots, du temps du feu roi mon fils ; je ne le crains pas encore, je suis prête à mourir, ayant cinquante-huit ans, et j'espère aller en paradis. Jusqu'à ce que le roi ait le moyen d'exécuter cette volonté d'une seule religion, il ne se doit pas déclarer. Journal du duc de Nevers, cité par M. Capefigue.

[10] Phrase extraite d'une lettre autographe, probablement de 1560, adressée par Catherine de Médicis à Élisabeth de France, reine d'Espagne, sa fille.

[11] Début du livre V des Commentaires.

[12] Brantôme, disant que son visage paraissait beau et agréable, est un flatteur. Mais on peut le croire quand il ajoute qu'elle avait la peau blanche, son cuir net, la main remarquable et la jambe bien faite. Consultez sa Vie de Catherine de Médicis dans les Dames illustres, au tome Ier de ses Œuvres.

[13] Ainsi plus tard elle voulut unir Henri III à Isabelle de Suède, ce qui pouvait ajouter aux titres de roi de France et de Pologne de ce monarque, ceux de roi de Suède et de Danemark et de prince de Livonie.