HISTOIRE DE CHARLES IX

LIVRE III. — APRÈS LA SAINT-BARTHÉLEMY

 

CHAPITRE PREMIER. — MESURES PRISES À LA SUITE DE LA SAINT-BARTHÉLEMY.

 

 

Une des premières conséquences de la Saint-Barthélemy fut, relativement aux protestants, que cette exécution venait en quelque sorte de proscrire, l'exclusion de leurs emplois et charges. L'ordonnance royale statuant sur ce sujet est du 22 septembre 1572. Les considérants paraissent logiques. Ceux de la nouvelle opinion, y est-il dit, seroient suspects, odieux, et mettroient en grande desfiance nos sujets catholiques, s'ils exerçoient à présent leurs offices, après ces esmotions fraischement advenues... Sa Majesté, desirant obvier à de nouveaux troubles, a avisé de faire déposer les dits officiers de l'exercice deleursdits offices jusques à ce que par elle en soit autrement ordonné. Comme compensation, il est accordé aux révoqués le payement de leurs appointements et aussi la faculté de résigner leur office à un catholique. Les menus officiers sans gages, tels que notaires et sergents (huissiers), continueront leur état, s'ils veulent adjurer ; sinon, ils se feront remplacer.

Une autre conséquence concerne la Navarre. Sur l'invitation pressante de Charles IX, au milieu de telles circonstances c'était un ordre, le roi de Navarre écrivit dans les pays dépendant de son obéissance aux principaux seigneurs à l'effet d'y interdire l'exercice de la religion réformée ; en même temps il envoya son édit prohibitif par Grammont. Dans cet édit il annonce avoir pris l'avis de la reine mère, de la reine sa femme et du cardinal de Bourbon son oncle ; avoir entendu, dans une conférence volontaire et amiable, beaucoup de grands et suffisants personnages et docteurs catholiques en théologie, contrairement avec aucuns des plus scavants ministres d'opinion contraire ; avoir reçu de ces derniers[1] la certitude qu'ils étaient convaincus par d'évidents témoignages et arguments. Puis il conclut à ce que tous ses sujets soient, à son imitation et exemple, induits à suivre la voie catholique. Malgré la présence et les exhortations du sieur de Grammont, son lieutenant général, représentant sa personne en ses royaume et pays, cet édit, daté du 16 octobre 1572, et scellé sur double queue, fut considéré comme non avenu par les Navarrais, qui le déclarèrent captif, et préférèrent, dans cette situation, ajourner leur obéissance.

Le duc de Lorraine fut plus heureux ; il publia une défense semblable dans ses États et fut obéi il est vrai qu'il avait introduit en son ordonnance la faculté pour les réformés de vendre leurs biens et de quitter le pays, le tout sous le défiai d'un an.

Il existe des terres prédestinées qui ont eu le privilège d'attirer en tout temps les regards de la France ; telles sont celles du territoire d'Alger. La reine mère, sous la régence de laquelle un comptoir avait été établi à la Calle (1561) et un consul français nommé[2] à Alger (1564), songea que la souveraineté de ce pays pourrait convenir au duc d'Anjou, son fils préféré. Elle savait, on le lui avait prédit et elle croyait à cette prédiction, que ses trois fils règneraient ; ne pouvant supposer qu'ils gouverneraient la France l'un après l'autre, elle cherchait les moyens d'entrer dans les vues de l'oracle, en leur ménageant à chacun un trône. C'était l'ambition du temps, et le goût du duc d'Anjou le portait au faste, à la représentation. Ce prince avait au front une auréole de gloire militaire ; il est donc certain qu'une couronne lui convenait assez, à en juger conformément aux apparences. Du moment que la reine mère, malgré ses épreuves et ses tribulations de tous les jours, trouvait la situation royale enviable, et le métier de gouvernant appétissant, la recherche d'un trône lui était permise. Celui d'Alger n'était peut-être pas fort séduisant ; le futur Henri III y aurait fait triste figure, sauf peut-être pour les mœurs ; mais cette illusion, si c'en était une chez Catherine, offrait comme avantage d'habituer à l'idée de voir chez le duc d'Anjou le premier candidat européen à la royauté, et du moment où Elisabeth n'en voulait plus pour époux[3], un Etat barbaresque pouvait être un pis aller. La reine mère pensa en outre que cet État, espèce de république despotique sous la suzeraineté du Grand Seigneur, passerait volontiers sous le joug d'un prince français, capable d'augmenter son importance, plutôt que sous la domination des Espagnols, qui se hâteraient de combler son admirable port. Ces points de vue admis, il fallait entreprendre une négociation diplomatique à Constantinople, afin de savoir si les Turcs abandonneraient les Algériens, ou se sentiraient assez forts pour les protéger. L'évêque d'Acqs (Dax), de la famille de Noailles, partit chargé de cette mission. Il emporta et offrit des présents, suivant la recommandation expresse de M. de Petremol[4]. Dès sa première conférence avec le grand vizir, il insista sur le mal que les pirates d'Alger occasionnaient au commerce de la chrétienté, mal bien connu et que Charles-Quint avait eu la velléité de faire cesser ; puis demanda s'il déplairait à la Porte Ottomane de voir un prince français s'emparer de ce pays et y introduire des coutumes plus civilisées. Sa pénétration lui fit bientôt voir que jamais les Turcs ne souffriraient sur la côte africaine un chef catholique, fût-il même de la famille du roi François Ier, leur allié. En compensation de ce refus, la Turquie offrit au duc d'Anjou une flotte de 200 galères sous son commandement, avec faculté de conquérir en Italie, ou sur les îles méditerranéennes, tel territoire qui lui conviendrait, lequel territoire lui demeurerait sans redevance aucune. Mais cette proposition fut déclinée, car il ne pouvait être question, vu l'imminence du danger, de ramener les Turcs en Italie, alors qu'il avait été si difficile de les expulser d'Otrante, et en outre Catherine de Médicis, d'origine italienne, ne consentait sans doute pas, même au profit de son fils, à dépouiller sa patrie. Le vizir proposa, dans le but de contenter la cour de France, d'occuper dans la Méditerranée les Espagnols, pour le cas où le duc d'Anjou porterait ses armes contre les Pays-Bas dont le mécontentement était notoire, on le savait à Constantinople, et promit de ce faire sans réclamer aucuns frais. Cette proposition plut davantage à l'envoyé français, et il en fit l'objet d'une dépêche spéciale à laquelle la cour de France prêta sur le moment peu d'attention, mais qui portera ses fruits sous le règne suivant, en poussant un autre prince français à tenter cette même entreprise.

Vers ce temps le maréchal de Rets fut envoyé en Angleterre[5], pays où il déploya le plus grand luxe. Il avait pour mission de solliciter un emprunt d'argent, au nom personnel du roi de France ; d'empêcher que les Anglais ne portassent un secours important, soit en hommes, soit en écus, aux habitants de la Rochelle ; d'expliquer le massacre de la Saint-Barthélemy. Sur le premier point, l'ambassadeur français essuya un refus ; sur le second, il eut demi-satisfaction ; quant au troisième, il atténua l'exécution du 24 août, et endormit la prudence d'Elisabeth.

Le parti des politiques ou malcontans, dont l'existence remonte au règne de François Il, s'accentue alors davantage ; il se consolide surtout et même change de caractère. Composé au début d'hommes modérés, et peut-être indifférents au point de vue religieux, il comptait depuis la Saint-Barthélemy les catholiques auxquels cet acte répugnait, et ils étaient nombreux. Seulement., comme ces derniers mettaient l'intérêt de l'État au-dessus de toute autre considération, et n'établissaient, quant à la politique, aucune différence entre les partisans des deux religions, ce parti convint beaucoup aux protestants ; ils s'y rallièrent et finirent par l'absorber. Il faut y comprendre, au moment qui nous occupe. les personnes ayant eu des relations avec l'amiral de Coligny, ou même simplement ennemies des Guises, par exemple les quatre Montmorency, fils du connétable[6], et le maréchal de Cossé. Le roi de Navarre et le prince de Condé, catholiques malgré eux, ne tardèrent pas à y être affiliés ; le duc d'Alençon suivit bientôt leur exemple et se laissa entraîner au-delà des bornes permises à un frère du roi, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

La reine de France eut une fille peu de temps après la Saint-Barthélemy, enfant qui fut tenu sur les fonts de baptême par la reine d'Angleterre ; l'acceptation de la marraine prouvait que ce sinistre événement n'avait pas laissé en son esprit une velléité de rancune trop marquée.

 

 

 



[1] Par exemple Hugues Sureau dit du Rozier.

[2] Ce consul ne fut jamais admis dans sa résidence. Il paraît que Sélim II concéda à la France, non-seulement le commerce de la Calle, mais celui de Collo et de Bône.

[3] L'espoir de marier un de ses fils, et surtout le duc d'Anjou, à la reine d'Angleterre, fut une des illusions les plus caractérisées de Catherine de Médicis ; sur ce thème, Elisabeth la joua plus de vingt ans.

[4] Adrien de Petremol, greffier du bailliage de Troyes, secrétaire de notre dernier ambassadeur en Turquie, et resté, après la mort de celui-ci, en qualité d'agent français. Dépêche au roi, du 15 novembre 1564 : Envoyez un homme digne et expérimenté aux affaires pour y résider ambassadeur, avec quelques petits présents, tant au Grand Seigneur que ses principaux ministres, afin d'apaiser leur immense désir de présents avec peu de chose.

[5] En mai 1573.

[6] Le maréchal de Montmorency avait rendu des services aux protestants. Ainsi, au mois de juillet 1569, il remettait au roi une pièce qui a été imprimée dans le format in-12, en 1510, sans lieu d'impression, avec ce titre : Supplicatio Carolo IX Gallorum regi exhibita post collectas conjunctasque copias et stipendia Germanico exercitui persoluta, ab illustrissimis principibus, nobilibus, cœterisque qui ad suam suorumque defensionem contra Guisios reliquosque Hispanicæ ac papisticæ factionis conjuratos. Ce factum remplit 21 pages d'impression.