HISTOIRE DE CHARLES IX

LIVRE PREMIER. — AVANT LA SAINT-BARTHÉLEMY

 

CHAPITRE II. — ÉTATS D'ORLÉANS.

 

 

Le jeune roi Charles IX, accompagné de la reine mère, des princes du sang, du connétable, du duc de Guise et du chancelier, vint eu grand deuil ouvrir les états généraux. Lui et la régente occupèrent les deux trônes, ayant à leur droite Monsieur, frère du roi, et le roi de Navarre ; ayant à leur gauche Madame, sœur du roi, et la duchesse de Ferrare ; en avant d'eux, au centre, le duc de Guise comme grand chambellan, à droite le connétable portant l'épée nue en signe de commandement, puis le banc des cardinaux, à gauche le chancelier et le banc des princes. En avant du grand chambellan le banc des maréchaux et amiraux, puis le banc des ministres. A droite et à gauche de ce dernier banc les députés. De l'autre côté des députés, derrière le trône, s'étendaient quelques bancs pour les spectateurs.

On était à la date du vendredi 13 décembre 1560. Le chancelier prononça un long et imposant discours dont nous essayerons de reproduire les principales idées[1]. Dieu, dit-il, avait donné au feu roi François la pensée d'assembler les états de son royaume ; il a continué cette pensée au roi Charles son frère notre souverain seigneur et à la reine, mère des deux rois. Le visage de notre jeune roi a percé jusqu'au fond des cœurs des princes du sang, a chassé et osté tous soupeçons, les a pacifiés, liés et unis, a ramené la concorde, inspiré l'obéissance à celui dont la personne et vertu croît à la diligence de la très vertueuse et très sage princesse sa mère, mais qui manque encore de prudence et de l'expérience des choses ; qu'il devienne suffisant et capable de régir et gouverne un tel et si grand royaume que cestui-cy. Le chancelier fit alors l'historique des états tenus précédemment en France, rappela ceux convoqués par Charles VIII, et, indiqua le but de la réunion des états présents, délibérée et résolue à Fontainebleau. Puis il ajouta : Reste à délibérer par quels moyens nous pourrons apaiser les séditions qui désolent la France et pourveoir qu'elles cessent à l'advenir. Toute sédition est mauvaise et- pernicieuse ès royaumes et républiques, encores que elle eut bonne et honneste cause, car il vault mieux à celuy qui est auteur de sédition, de souffrir toutes pertes et injures qu'estre cause d'un si grand mal que donner guerre civile en son pays. La proclamation de ce sage principe était excellente et venait à point ; c'était rappeler que l'on devait sacrifier son propre intérêt à l'intérêt général du pays ; mais que dire de l'aveu suivant : Si les séditieux se plaignent d'injure ou préjudice en leurs biens, car pour sevice envers la personne ou dommage à l'honneur il n'y a eu, c'est-à-dire s'ils ne sont payés de leurs gaiges, estais et pensions, c'est raison qu'ils prennent patience et qu'ils attendent la commodité du roy, comme ils feroyent d'un debteur leur voisin qui n'auroit argent en main ; la pauvreté des finances en est cause, laquelle est venue des longues guerres de douze années durant le règne du feu roy Henri. En ces paroles la condamnation d'une guerre appauvrissant le pays est certes à sa place, car une guerre qui ne rapporte rien s'excuse seulement en cas de légitime défense, et encore doit-on alors réduire les dépenses de telle sorte que le déficit se trouve comblé en un nombre restreint d'années ; dans ce cas, le contrôle de la gestion des finances de l'État par une assemblée, comme celle des états d'Orléans, est d'une prudente mesure, puisqu'elle couvre le pouvoir contre toute malversation, et remet à ceux qui payent l'impôt le soin de remplir la caisse commune qui se trouve vide et dépourvue. Michel de l'Hôpital n'exprime pas nettement cette idée ; il se borne à donner de mâles conseils à chacun. Il recommande aux monarques de renoncer à l'ambition qui leur fait désirer d'autres royaumes, et rappelle à ce sujet la réponse de Cinéas à Pyrrhus : Je voudrois, dit-il également, que les rois se contentassent de leur revenu, chargeassent le peuple le moins qu'ils pourroyent, estimassent que les biens de leurs subjects leur appartiennent imperio, non domino et proprietate. Aux nobles il remémore le mot de Platon : Tous rois et princes sont venus et descendus des serfs, et tous serfs de rois ; et d'autant qu'il a plus de force et plus de puissance, d'autant un noble doibt estre plus humain et plus gracieux, user de l'espée contre l'ennemy et à la conservation des amis et pauvres subjects du roy. Du peuple il parle en termes sensés, ingénieux, et certes fort avancés dans la bouche d'un chancelier du XVIe siècle : Le peuple se doibt contenter de sa fortune qui n'est petite s'il est laboureur de terre, car c'est le plus noble estat qui soit. La marchandise fait les grandes richesses qui font vivre les hommes à leur aise. Et ne doit le dict tiers estat estre marri si les autres sont plus honorés que luy. Car comme en un corps il y a des membres plus honnestes les uns que les autres, et les moins honnestes toutefois plus nécessaires, ainsi est des hommes, desquels aucuns non-nobles sont plus nécessaires et utiles ; aussi nulle porte d'honneur est close an dict tiers estat. Il peult venir aux premiers estais de l'Église et de la justice, et par raids d'armes peult acquérir noblesse et autres honneurs[2]. De cette partie de son discours, le chancelier conclut : Si chascun estat se contente de sa fortune et biens, s'abstient du bien d'autruy et de faire injures à autres, pense plus à bien faire son estat qu'à reprendre les autres, se soubsmet à l'obéissance de son prince et de ses lois et ordonnances, nous vivrons en paix et repos.

Passant à un second point : L'on dit, continue-t-il, que l'autre et principale cause de la sédition est la religion, chose estrange, car la sédition est un mal, et comment la religion, si elle est bonne, engendreroit-elle, le mal ? Si la sédition est guerre civile, pire que celle de dehors, comment advient-il qu'elle soit causée par la religion chrétienne et évangélique, qui nous commande surtout la paix et amitié entre les hommes ?..... La vérité est que si les hommes estoient bons et parraicts, ils ne viendroyent jamais aux armes pour la religion ; mais aussi nous ne pouvons nier que la religion bonne ou mauvaise ne donne une telle passion aux hommes, que plus grande ne potin estre. C'est folie d'espérer paix, repos et amitié entre les personnes qui sont de diverses religions. A ceste cause est besoin oster la cause du mal et y donner quelque bon ordre par un sainct concile. Cependant ne muons rien légèrement, ne mettons la guerre en nostre royaume par sédition, ne brouillons et confondons toutes choses. Je vous promets et assure que les roy et reine n'oublieront rien pour avancer le concile, et où ce remède fauldroit, useront de toutes autres provisions, dont ses prédécesseurs rois ont usé. Ce passage ne pouvait certes plaire aux protestants, car il leur rappelait les persécutions des trois rois précédents ; l'Hôpital insiste cependant, prononce un mot mal sonnant dans ces circonstances, celui d'hérétiques, mais ajoute aussitôt : Prions Dieu incessamment pour eux, et faisons tout ce que possible nous sera tant qu'il ait espérance de les réduire et convertir. La douceur profitera plus que la rigueur. Ostons ces noms diaboliques, noms de partis, factions et séditions, lutheriens, huguenauds, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens. Cette distinction faite et la douceur promise à ceux qui se sépareront seulement au point de vue religieux, le chancelier condamne nettement les fauteurs de troubles, ces gens lesquels l'on ne peult contenter et qui ne demandent que troubles, tumultes et confusions, qui ne croyent vraisemblablement en Dieu, sont ennemis de paix et repos public, qui plus ont besoin d'être chastiés que admonnestés. Le roi, ajoute-t-il, a été contraint d'envoyer ses forces coutre eux ; il le fera encore, mais pour cela il faut de deux choses l'une, ou que notre souverain tienne tousjours sus une armée pour les contenir, ou que les villes prennent le soin et la charge de punir quiconque se soulèvera. Advisez, messieurs, s'il vous plaît, dit le chancelier dans sa péroraison, de prendre cette charge sur vous, et les corps de villes de garder que telles séditions n'adviennent plus, les admortir et appaiser. Le roy vous mettra à cette fin les armes en main ; considérez combien vous serez plus à l'aise que d'avoir les garnisons en vos maisons pour empêcher les troubles. Quand chascun fera devoir pour sa part, quand Dieu sera servy et honoré, le roy obey, vous jouirez de vos biens en paix et repos. Relativement au mesnage du souverain, qui est si pauvre et piteux estat que je ne pourrois le dire, le roy vous demande conseil, advis et moyen de sortir de ses affaires, étant bien délibéré de faire garder et entretenir le règlement perpétuel qui sera donné pour la maison de France. La dernière partie de nostre propos sera que les roy et reine entendent qu'avec toute seureté et liberté vous lui proposiez vos plainctes, doléances et autres requestes qu'ils recevront benignement et gracieusement, et pourvoiront en telle sorte que vous cognoistrez qu'ils auront plus d'esgard à vostre profict que au leur propre, qui est l'office d'un bon roy.

Sauf que la royauté, malgré les inconvénients d'une minorité et son état réel d'affaissement, s'y montre un peu humble, ce discours est habile et ne manque pas d'une certaine fermeté. On y reconnaît un sage, un érudit même, car il est semé de traits historiques dont nous avons fait grâce à notre lecteur. Il peut plaire à tous, comme les cho ; quer tous, car il cherche à répondre aux divers côtés de la situation ; mais il manque de ce souffle passionné qui animait tant alors les partis en présence, et sous ce rapport ne peut produire aucun enthousiasme. Quoique l'on ignorât encore l'art de préparer l'esprit public et d'y exciter un de ces chocs électriques qui font à merveille de nos jours dans un compte rendu officiel, les chroniqueurs nous diraient bien si le cri public avait applaudi ce morceau d'éloquence : or, aucun à notre connaissance ne parle dans ce sens. L'Hôpital, par sa modération et sa tolérance, devançait évidemment son époque, mais, avouons-le, un tel caractère convenait éminemment au rôle de chancelier.

Le lendemain, 14 décembre, sur l'ordre qui leur en fut donné, les états s'assemblèrent pour la vérification de leurs pouvoirs, procurations et mémoires. Le clergé tint séance au couvent des Cordeliers, la noblesse au couvent des Jacobins, le tiers état aux Carmes. Dans cette première séance où ils étaient livrés à eux-mêmes, la majorité — une bonne partie, dit la Place — des députés de la noblesse et du tiers état opina-que la mort du dernier roi semblait avoir éteint leur mandat, et que si l'on voulait qu'ils fissent convenablement leur fonction, il était urgent de renouveler leur commission. En conséquence, les états demandèrent un délai, et leurs remontrances écrites à ce sujet furent présentées au roi de Navarre ; mais, le 20 décembre, un arrêt du conseil leur ordonna de passer outre, et de faire leurs doléances et remontrances le plus tôt possible, en les présentant séparément pour chacun des ordres, ce qui n'avait pas eu lieu aux états précédents.

A cet effet, et afin d'arrêter lesdites doléances, il fallut que chacun des états fit entendre sa voix : deux séances furent consacrées à cet objet ; elles eurent lieu en présence du roi et après que distribution eût été faite aux députés d'un Abrégé du rôle des recettes et dépenses des deniers royaux, durant l'année 1560. A la date du 2 janvier (deuxième séance des états d'Orléans), l'orateur du tiers état prit la parole.

Il reprocha aux ecclésiastiques leur ignorance, leur avarice, aux prélats leur luxe et leurs dépenses inutiles. L'ignorance des prêtres, dit-il, était notoire ; tous nourrissaient le dédain de prêcher et d'enseigner, ou se débarrassaient de ce soin sur des prêtres indignes, lesquels disant les messes parrochiales, ne remonstroyent qu'une même chose, faisant servir un sermon en toutes saisons. Les prélats croyaient, en étalant leurs richesses, donner au monde une idée de la grandeur de Dieu, tandis qu'ils eussent dû imposer aux populations par leur foi et l'intégrité de leur vie, et, à ce propos, il rappela la vie dure et pauvre recommandée aux évêques par le concile de Carthage.

Ce discours de l'orateur du tiers met sur la voie pour bien juger le milieu religieux du début de ce règne. Le clergé catholique laissait alors beaucoup à désirer, et son manque de tenue, ses mœurs reprochables[3], les prodigalités de ses chefs[4], appelaient une réforme radicale. De là un certain dégoût vis-à-vis des prêtres et la tendance chez beaucoup de gens à embrasser le protestantisme, tendance mal combattue à cause de l'ignorance générale du clergé. Il fallait que ce fût, en effet, une situation constatée, pour que l'orateur de l'un des ordres s'en fît ainsi l'accusateur public, en présence du clergé lui-même.

Le sieur de Rochefort parla en ces termes, au nom de la noblesse : Sire, puisque vos jeunes ans ne peuvent permettre que seul entrepreniez la charge de tant d'affaires qui vous pourront survenir, nous approuvons de tout nostre pouvoir, qu'à l'exemple d'Alexandre, si grand empereur, ayez employé vostre très illustre et très vertueuse mère la reine, non-seulement à vostre garde, mais aussi au gouvernement de vos affaires. Pareillement approuvons et louons que à vostre conseil ayez appelés le roy de Navarre et autres princes de vostre sang[5]. Puis il manifesta l'espoir d'une tranquillité universelle, et pronostiqua au jeune roi la grandeur de Charles VIII, de saint Louis et de Salomon. Sire, continua-t-il, je vous ferai entendre les doléances de nostre estat. Au ciel le soleil et la lune nous représentent le roy et la noblesse[6], tellement que quand advient ecclipse d'entre eux toute la terre en demeure obscure. Si le roy ne s'accordé avec ses nobles, ce ne sont que troubles et séditions ; et quand il les maintient, ils le défendent, conservent, et sont tous ours les premiers à son secours. L'orateur argue alors des inconvénients survenus par l'usurpation de la noblesse dont plusieurs se sont rendus coupables, notamment de la perte de revenu que le roi en a soufferte. Il cite l'abus revenant des grandes donations faites à l'Église par les nobles, principalement du droit de justice que beaucoup ont abandonné aux prêtres. Ceux-ci, s'écrie-t-il, doivent faire leur devoir pour la charge qu'ils ont prise de prier Dieu, prescher, enseigner et administrer les autres, comme lumière et sel de la terre ; quand il feroit au contraire et oublieroit sa charge, le roy y doibt employer la main de sa justice et y faire pourveoir. Le règlement des prebstres, Sire, se peult faire, quand les contraindrez tous, sans nul exempter, de résider sur leurs bénéfices. Vous ne devez d'ailleurs présenter ces bénéfices qu'à personnes capables, et vous en pourriez estre devant Dieu responsable. Après ce procès intenté au clergé, et, fait singulier, ce sont à peu près les reproches déjà formulés par le tiers état, le sieur de Rochefort rappela qu'un peuple met la cause de ses malheurs sur ses gouverneurs, et croit qu'ils arrivent par la faute du prince : Véritablement, le peuple quelquefois porte la pénitence que Dieu luy baille pour le pêché de son prince. Voilà comme Dieu avertit les rois à bien vivre. Sans justice, sans prudence et diligence des ministres du prince, la république ne peult jamais se maintenir, ny plus, ny moins que le navire sur la mer estre conduict à bord sans pilote. Certes, ce sont là sages et fermes paroles convenablement placées dans la bouche du représentant de la noblesse, et qui font entendre à la France que l'autorité se perd le plus souvent par ses fautes, présage assurément à l'aurore du règne qui précédera celui de Henri III. Jacques de Silly continue dans ce sens : Le roy doit eslire les personnes qui craignent Dieu, pour les pourveoir des estats de judicature gratuitement ; car autrement seroit vilainement acquérir par argent ce qui se doit obtenir par vertu ; et le roy mesme petilt estre la cause de la corruption qui s'en pourroit faire, s'il leur vendoit leurs estats, pour ce qu'il failli que celuy vende qui a achepté ou qu'il se récompense. Puis il aborde, mais brièvement, les intérêts de son ordre : L'on vivroit en plus grande tranquillité, et la France seroit en plus grand repos, et à vous, Sire, plus grand plaisir, si vous donniez le moyen au gentilhomme d'y estre employé. Il traite ensuite des intérêts généraux : Le remède aussi plus promptement se trouveroit par arbitres, et que les loix de Dieu et les loix municipales en chascune ville fussent bien gardées et qu'il n'y eust que peu de procès. Il fauldroit aussi, suyvant vos ordonnances, que les confiscations ne fussent données avant la condamnation, et celles des condamnés fussent converties à œuvres pitoyables. C'est le vray moyen de rachepter la paix publique, union et concorde entre tous estats. Ainsi, nous et nostre postérité nous ressentirions de vostre justice et bénignité. Ô bonté de Dieu ! ce seroit la lumière esclairante à toutes les créatures ; ce seroit le plaisir et profict que vos estats, Sire, nous doivent apporter. La péroraison de cet orateur se trouve également animée d'un souffle ému : La paix et le repos public sont les fortes murailles du monde, sont les nerfs du prince ; c'est l'animal immortel. Vous estes, Sire, ordonné de Dieu pour servir à vostre peuple de pore et vray pasteur ; nous vous devons obéissance et fidélité. Dieu nous a appelés et réservés pour la défense de vostre prospérité, pour la tuition (protection) de vos pays et augmentation de vostre royaume ; ce que nous tous ensemble désirons[7]. Et afin qu'ayons le moyen de vous secourir de nos forces et puissances, Sire, il vous fault maintenir la noblesse en ses privilèges, franchises et libertés, aussi antiques que l'institution des rois. Plaise vous donc, Sire, de nous les continuer et maintenir ; si vous supplions que ne laissez eschapper une si bonne et louable occasion que ceste si honorable compagnie ne soit en vaine assemblée.

Ainsi l'orateur noble a parlé de Dieu et invoqué son nom ; il a réclamé l'application des lois municipales ; et en ce faisant, il ne s'est pas séparé des deux autres ordres, puisqu'il a su donner son appui à une préoccupation naturelle au clergé et à un vœu du tiers état. Son discours porte l'empreinte d'une louable modération. Que va dire actuellement l'orateur du clergé ? Peut-être, en présence des vérités dures exprimées sur son ordre par les deux autres orateurs, se laissera-t-il aller à trop de véhémence ? Suivons-le à son tour dans ses développements.

Roy très chrétien, cet excellent tiltre, dont vous avez hérité de vos prédécesseurs, donne au clergé l'indubitable assurance d'obtenir ce qu'il va demander par ses requêtes et remonstrances très chrétiennes et très nécessaires au salut d'un chascun. Puis, suivant l'usage des prêtres interpellant un puissant[8], il adressa un éloge à la reine mère : Vous, Madame nostre singulière princesse, reine et dominatrice, qui estes cause de ceste noble et tant insigne assemblée, l'expérience que nous avons de vos excellentes vertus nous assure que par vostre douceur et bénignité vous prendrez nos très humbles remonstrances, non-seulement de bonne part, ains leur donnerez bonne fin. La maison de Bourbon reçut également son éloge, et elle fut proclamée sainte en raison de ce qu'elle tirait son origine de saint Louis, mention curieuse à coup sûr, puisque son chef, le roi de Navarre, professait la religion protestante ; mais L'orateur semble ici voiler sa mémoire, et quand il se félicite également de la présence non-seulement des cardinaux, mais encore des ducs et princes, il les déclare tous catholiques, serviteurs de Dieu et propugnateurs de son église romaine. François II lui-même n'est pas oublié, et ce fait est louable, car personne autre dans les états ne songeait à ce pauvre monarque que l'orateur du clergé qualifie ainsi : Nostre feu bon et innocent roydont Dieu ayt l'âme. Après avoir loué les autres, ledit orateur parle de lui avec modestie : Il est le moins habile, le plus rude, le moins expérimenté pour se présenter devant Sa Majesté ; l'honneur dont il jouit lui a été déféré au préjudice des révérends évêques et de l'université de Paris, la fille aisnée du roi, dont il a été l'élève et dont il est demeuré semper infans.

Les états, continua l'orateur du clergé, ont été assemblés en vue de la religion, pour écouter les plaintes des sujets, et pour communiquer à tous les actions du gouvernement royal. Cette dernière communication est un remerciement indirect des sacrifices supportés par le peuple ; sur elle je me tairai. Je viens à la première, catholique et saincte cause d'une tant notable congrégation qui concerne la singulière conservation de l'honneur, révérence et vénération de Dieu, avec une pleine et entière restauration de son divin service, duquel — nous, dis-je en douleur, qui nous appelons ecclésiastiques — sommes les premiers par trop indignement et scandaleusement esloignés. Ce que tous d'une voix à notre grande confusion nous confessons et recognoissons devant Votre Majesté, et la supplions très humblement, puisque de nous-mêmes ne nous y remettons, de nous y vouloir de son authorité réduire. Sire, c'est l'endroict seul qu'il fault en l'Eglise réparer, restituer et réformer, et non pas réformer l'Eglise, car l'Eglise n'a ride en soy, macule ny difformité qu'il faille réformer, n'a corruption qu'il faille desraciner, n'eut oncques ny jamais n'aura. A l'Eglise ny à sa hiérarchie ne failli toucher, quia Corpus Christi est. Pensez que Charles Pr n'eut point accreu son nom, faisant de Carolus un Carolus Magnus, son fils n'eut point obtenu le surnom de Ludovicus Pius, ny Philippus Secundus celui d'Augustus ; ny Louys neufviesme n'eut acquit le nom de sainct, que en faisant ce dont nous voulons très humblement supplier Votre Majesté, Sire. Vous avez eu cinquante-cinq prédécesseurs rois très chrestiens. Ce n'a esté pour souffrir qu'en ce royaume on innovât les saints sacrements, on abattit les autels, on foulait les vœux aux pieds, se soustrayant de l'obéissance ecclésiastique, taschans faire le même (et le feront s'ils peuvent) occultement de la civile. Cet argument ne manquait pas d'adresse, car il s'appliquait au temps présent plus qu'il ne contenait un présage, les luttes religieuses, nous l'avons déjà indiqué dans l'Histoire de François II, ayant la politique et ses rivalités pour premiers mobiles.

Sire, poursuivit Jean Quintin, voilà le sommaire de la faulsement et malicieusement dicte Evangile, que nuict et jour on s'efforce par toutes voyes publiques et cachées introduire et prescher en vostre royaume. Nous vous supplions de contrevenir à ces sataniques et cauteleuses embuscades. Nul ne peut nier que l'hérésie ne soit un mal et crime capital, et que l'hérétique ne soit mauvais capitalement (sainct Paul l'a dict), ergo punissable capitalement et subject au glaive du magistrat... Tout le clergé de vostre royaume, Sire, à deux genoils, de tueur et de corps humblement fléchis devant Votre Majesté, vous prie d'être son protecteur et défenseur, vous supplie de tenir la main que la religion depuis le temps susdict jusqu'à présent observée en vostre royaume soit entretenue perpétuellement, sans donner lieu à secte quelconque qui soit contraire : Vostre clergé, Sire, proteste cy devant vous en toute humilité que par la prétendue réformation de l'Église (des ecclésiastiques, fallait-il dire), ils n'entendent que rien soit imminué ou changé ès articles de la foy, ès saincts sacrements et usage d'iceux, ès traditions ecclésiastiques, ordonnances et constitutions des saincts pères, et cérémonies de tout temps religieusement gardées en l'Église romaine, catholique et universelle, de laquelle ils n'entendent aucunement se départir, ains veulent en icelle vivre et mourir.

Ce propos cy nous incite à vous demander aucunes choses grandement nécessaires et requises à l'union, paix et tranquillité, concorde et conservation de notre ancienne religion. Premièrement qu'il soit procédé contre tout hérétique selon la rigueur des constitutions canoniques et civiles, ut auferatur malum de medio nostri. Secondement prenez cure et soin que nous vivions et gouvernions tous et par la reigle, discipline et institution des saincts Pères anciens et canons de l'Eglise. Ne laissez appeler ces bons pères resveurs, et les conciles par eux ordonnés belles rêveries ; considérez comme hérétiques ceux qui ont osé et osent dire que l'Evangile de nostre seigneur et sauveur Jésus-Christ n'a esté jusqu'à présent entendue. Sont passés quatorze cens ans ou environ que Tertullien respondoit pour nous aux hérétiques de son temps[9], pleins de telle vanterie qui a duré et dure encores maintenant. Depuis les cinq conciles de Charlemagne et toutes les assemblées catholiques qui les suivirent, ont prouvé que la France depuis l'Evangile reçeue, ne l'a jamais ignorée. Sire, ce sont des raisons par lesquelles nous supplions très humblement Vostre Majesté de ne recevoir les propos de ces libertins ; plus proprement les pourrions-nous dire licentins, pour la desmesurée licence qu'ils preschent en toute chose, ne pensant qu'à une anarchie qui veult dire estre sans prince et sans roy, car si ces rebelles machinateurs d'insolites et exécrables sacrements se soustrayent de la puissance et communion ecclésiastique, nul autre potentat ne doigt estre asseuré. On le voit, non-seulement l'orateur intéresse à plusieurs reprises le pouvoir civil à sa cause, en lui montrant la menace qui plane sur sa tête, en raison de l'audace des novateurs, mais il déclare l'Eglise une puissance, et toutes les puissances forment le point de mire de l'attaque ; son raisonnement revient donc à dire que la société marche à l'anarchie. Voyons si les moyens qu'il propose sont propres à conjurer le mal.

Le clergé de vostre royaume, continue-t-il, vous supplie instamment, Sire, de ne vouloir admettre les non chrestiens en la conversation et congrégation de vos très humbles et très obéissans subjects chrestiens. Ne souffrez que la porte soit ouverte à ceux qui sont, en mespris et dérision de l'habitation, de leur bon gré sortis hors la maison, qui s'en sont exilés et bannis. Ne les fault endurer dire que leur religion est bonne, ny souffrir qu'ils la comparent à la nostre, ou qu'ils disputent contre la nostre[10]. C'est à nous qu'ils doivent croire, sans attendre concile, pour estre fondés en traditions apostoliques. Non pas nous croire à eux qui sont sans aucuns viels fondemens, ny approbation de l'antiquité, interprétant l'Escripture selon leurs songes, nouvelles et fantastiques affections. Même, Sire, je vous découvrirai ce qui oultrageusement nous blesse, en attendant remède. Nous demandons instamment comme chose plus que nécessaire à l'intégrité, à la pure et sincère fidélité de vostre royaume, que désormais tout commerce de quelconqué marchandise (livres ou autres) soit interdit, nié et défendu à tous hérétiques, sectateurs, rénovateurs, fauteurs de doctrine jà condamnée, eo ipso qu'ils sentent mal de la foy, ou qu'ils en doubtent, eo ipso qu'ils, ne suyvent droictement la reigle de croire et de vivre, qui nous a esté dressée et baillée par l'église romaine et catholique. Ils sont excommuniés ; donc ne failli hanter, converser, parler, marchander plus avec eux. Et ici Jean Quintin se livre à une comparaison empruntée à la guerre ; il cite le droit de tout interdire et intercepter à son ennemi. Sur cette voie, il va trop loin ; il rappelle que la loi de Dieu prescrit de ne faire amitié ni mariage avec les hérétiques, même de les battre et de les frapper, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Les remontrances que je viens d'exprimer au nom du clergé, ajoute-t-il, sont déduites et couchées en un cayer, duquel attendons response. Pour l'exécution de ces œuvres héroïques, l'excuse du tendre et faible age de vostre royale personne n'a, Sire, aucun lieu et ne sera receue, car Dieu vous respondroit comme à Hieremias : Noli dicere quia puer ego sum. Et vous, Madame, nous espérons tout ainsi que la Grèce a eu et se vante à bon droict de sa Catherine confutatrice de l'impiété arienne, la France pareillement aura et a desjà sa Catherine en vous, à la confusion et totale perdition de ces nouveaux ariens. Deux points restent encore [à traiter] que si de vostre grace le permettez, Sire, je réciteray briesvement et succinctement ; l'un concerne nos personnes ecclésiastiques, l'autre les biens qui nous sont à cause de l'Eglise recommandés pour administrer.

Quant au premier, je diray pour nous tous, combien que nous soyons pescheurs, toutefois ne voulons nous pas suyvre cette obstination judaïque ; mais dès à présent, en toute unité, sans division, protestons vouloir obéir à Dieu, à son Eglise, et à vous nostre roy souverain, selon nostre devoir et pouvoir, nous offrons de combattre jusques à la mort, et batailler pour la gloire et prospérité de vous, des vostres, de tout vostre peuple et royaume ; batailler, dis-je, de nos armes etqui sont larmes, pleurs, jeusnes, oraisons et prières à Dieu. Nous vous requérons, Sire, de nous conserver en nos privilèges, prérogatives[11] et immunités que Vostre Majesté entendra particulièrement et bien au long par nostre dict cayer. Nos personnes sont consacrées à Dieu seul ; nous réclamons que cette franchise et exemption divine nous soit entièrement gardée entre les hommes.

Pour nos biens il vous plaira d'avoir esgard à deux humbles requêtes.

Premièrement, Sire, nous requérons que la saincte liberté canonique d'eslection aux prélatures ecclésiastiques soit désormais permise à l'Eglise, et que chascune prenne, choisisse et eslise franchement et librement son prélat, ainsi le veult et détermine le droict divin. Yostre puissance est souveraine et sans contradiction, telle nous la révérons et recognoissons ; ton tesfois nous espérons que la voulez modérer de sorte que direz la parolle plus que nulle autre digne d'un souverain seigneur et prince. Ce sont les détestables et damnées sectes, les exécrables et maudictes hérésies du jourd'hui qui ont soudainement fait desplacer la saincte et sacrée loi de eslection. Je veux conclure que si ceste loy revient à l'Eglise, tout incontinent hérésie s'enfuira de l'Eglise. L'esleu après son eslection, sera derechef examiné et confirmé en France par son supérieur qui le cognoit, non pas à Rome où il est incogneu, et où l'argent de France va en vacquans, annates, courses, bulles, dispenses et autres expéditions.

Secondement, Sire, nous déclarerons à vostre clémence et bonté royale un mal qui nous est fort grief, et quasi du tout nous assomme et met à bas. C'est que ordinairement quatre, cinq et six fois l'an, voire jusques à la neufviesme, on prend et nous fait-on payer décimes du peu de temporel que pouvons percevoir de nos églises, voire jusques aux offrandes, qui ne sont du temporel ; et qui pis est ne sont imposées pour une année seulement, mais sont mises sur tous les ans, de sorte qu'une chose extraordinaire a esté faict un ordinaire, jusques à ériger la recepte desdictes décimes en estat gaigé et salarié par le mesme clergé. L'exécution trop dure de cette debte a fait fuir des curés craignant la prison, par défault de paiement, supprimé maintes messes parrochiales, et privé diverses églises d'ornements. A cette cause nous vous requérons de vous abstenir de prendre sur le clergé, soubs quelque nom, filtre et prétexte que soit, don gratuit, decimes, clochers, emprunts, subsides, imposts, amortissements, confirmation de priviléges, francs fiefs et nouveaux acquests ; à deux, trois, quatre fois et tous les jours amortis, payés et dont on a fait finance. Certainement semble (comme est la vérité) que le prince ne peult, saine et sauve sa conscience, les demander, ny les ecclésiastiques, la leur aussi saulve, les accorder. Cette dernière phrase, accompagnée de plusieurs exemples historiques, indique une tendance au refus d'obéissance ; là, le clergé résiste, et le fait est que l'énumération seule des motifs d'impôts à lui infligés démontre un terrible système de fiscalité.

Dans sa péroraison, l'orateur se montre attentif pour ceux qui siégent à côté de lui, et rentre ainsi dans les voies excellentes de la véritable tendresse chrétienne : Sire, l'Eglise ne peult oublier de vous prier aussi pour ceux qui procèdent et viennent d'elle, pour les vertueux nobles de vostre royaume, vous requérant que vous les ayez à supporter, avancer et honorer devant tous autres, autant que peuvent mériter ceux qui, d'un franc et volontaire courage, ne craignent de s'exposer à tous dangers et périls évideras pour l'honneur et exaulsement de Vostre Majesté. Vous devez aimer et soigner les trois estats, Sire, sur lesquels, comme sur trois colonnes, est assis et posé vostre Girolle royal. Encore, vous supplierons-nous très humblement pour ce tant bon et tant obéissant peuple françois, duquel Dieu vous a faict seigneur et roy ; prenez en pitié et soublevez un peu les charges que dès longtemps, ils portent patiemment pour Dieu. Sire, ne permettez pas que ce tiers pied de vostre throne soit aucunement foulé, meurtry, ny brisé. Enfin demandons que désormais les offices de judicature soient baillés gratuitement à gens de sçavoir et d'équité. Quand vous aurez de bons juges en vos cours et siéges, les vices seront purgés et ne croîtront en obstination ; vostre royaume par exaltation de la foy et reigle de justice demeurera très chrétien. Et quant vous serez obéissant à Dieu, à son Eglise, tous vos subjects obéiront à Dieu, à son Eglise et à vous ; de manière que ce ne sera qu'un cœur, une âme, un vouloir, un même esprit et savoir. Et en ceste façon vivans, commencerons paradis en ce monde ; pour lequel entièrement et perpétuellement obtenir, avons très asseurées arres au très précieux sacrement et sacrifice de l'autel.

Tel fut le discours de l'orateur du clergé, et, si nous l'avons reproduit assez en détail, c'est moins parce qu'il fut en effet fort long que parce qu'il retrace à merveille les idées et la ligne de conduite du clergé sous les derniers Valois. Ce qui semble probant à ce sujet, c'est qu'il lut ce. discours, au lieu de le débiter, ce dont il était fort capable ; ainsi le clergé avait fait son thème en commun, après mûre délibération, l'imposait à son représentant, le surveillait même dans son acte oratoire, puisqu'il était présent. De plus, ledit Quintin, ayant été anciennement soupçonné de pencher vers la religion nouvelle et obligé de quitter Poitiers, pour une harangue peu orthodoxe, n'eût pas, de son propre mouvement, incriminé ceux qui présentaient au roi des pétitions en faveur des protestants, l'amiral étant là, lui qui avait agi de la sorte au su et connu de tous.

Coligny se plaignit en effet de ce passage du discours de l'orateur du clergé, disant qu'il avait été autorisé à présenter à Fontainebleau les doléances de ses coreligionnaires. On manda Quintin ; il s'excusa[12] sur les mémoires à lui confiés et promit de déclarer en son dernier discours devant les états qu'il n'avait aucunement eu l'intention de désigner l'amiral[13].

Ce ne fut pas la seule réclamation. Les députés protestants s'alarmèrent de l'appellation de séditieux qui leur avait été appliquée, et vinrent au conseil en parler à la reine mère. Le vidame de Châlons prit la parole en leur nom ; il rappela que les impétrants avaient toujours espéré l'appui de la reine et, par suite, désiraient le maintien et l'augmentation de son autorité ; que leurs accusateurs étaient plutôt les perturbateurs du royaume, tandis qu'eux prétendaient uniquement à la conservation de l'honneur de Dieu et de la puissance royale, avec le repos et la tranquillité de tous les sujets. Catherine de Médicis répondit qu'elle estimait les seigneurs présents pour bons et loyaux sujets et serviteurs du roi et d'elle ; que ceux qui les avaient appelés séditieux l'avaient uniquement fait par supposition et conditionnellement, au cas qu'ils voulussent entreprendre quelque chose contre la royauté. La réponse ne manquait pas d'inspiration politique, car elle rappelait que déjà les protestants avaient levé l'étendard de la rébellion, et toutefois leur donnait satisfaction.

Sur ces entrefaites, un bruit courut : le duc de Nemours cachait des soldats, apostés dans les faubourgs d'Orléans, pour tenter une entreprise contre le roi de Navarre ; ce dernier s'en plaignit à la reine et se fit mieux garder[14]. Un soir le connétable crut devoir l'accompagner, de la chambre de Catherine de Médicis à son logis, et le lendemain il le suivit avec une foule de nobles jusqu'à la demeure du roi, qui se trouvait pourtant éloignée de deux cents pas seulement. Cette démonstration et les recherches faites dans la ville, par ordre de la reine, afin de découvrir les gens apostés, portèrent sans doute le duc de Nemours à démentir l'intention qu'on lui prêtait : en compagnie du duc de Guise, il parut devant le roi et se justifia. Le roi de Navarre se conduisit bien en ne voulant profiter, comme représailles, des dispositions hostiles de la population d'Orléans contre ses adversaires. Cette affaire, quoique étouffée, dénote, n'importe le côté par lequel on l'envisage, combien la tranquillité publique était peu assise, combien les rivalités et les haines subsistaient vivaces, prêtes à éclater au premier moment.

Une commission avait pour charge spéciale d'examiner les cahiers des états. Le cahier du clergé contenait 147 articles ; la noblesse présenta successivement trois cahiers divers, et encore les articles particuliers envoyés par les nobles de diverses provinces ne s'y trouvaient pas ; le cahier du tiers état offrait 350 articles. Le résumé des demandes formulées dans ces cahiers peut se dresser comme il suit :

Relativement à la religion. Réforme urgente des vices du clergé. Désir presque général de la suppression de l'hérésie et de la convocation d'un concile. Election aux prélatures. Suppression des tributs payés à Rome. Administration gratuite des sacrements. Fondations d'hôpitaux et d'écoles, prélevées sur une partie des biens du clergé[15].

Relativement au gouvernement. Convocation des états généraux tous les cinq ou dix ans. Uniformité des poids et mesures. Institution de nombreux pédagogues, tous de bonnes vie et mœurs, exemptés d'impôts et chargés d'instruire le peuple. Protestation contre l'abus des tailles. Suppression des douanes de province à province. Alignement des rues et édifices publics.

Relativement au vote du subside. Refus net par les trois ordres. Nouvelle convocation d'états provinciaux.

Quand la commission eut terminé son rapport au conseil du roi sur lesdits cahiers, le roi de Navarre et le chancelier se rendirent aux Cordeliers pour une dernière séance (31 janvier 1561) qui eut lieu en présence du roi. Le premier expliqua, une fois encore, en quoi consistaient les dettes royales, pria les états de s'entendre pour les éteindre ou alléger, et offrit d'entrer à ce sujet dans de plus grands détails si on le voulait ; il ajouta, ce dont il faut le louer, que si, dans la vérification, on trouvait à lui faits des dons considérables, il offrait de les restituer, mais qu'il était persuadé qu'on n'en rencontrerait pas de tels. Cette dernière partie de sa harangue ne fit point plaisir aux personnages qui pouvaient se trouver sous le coup d'une restitution, par exemple aux princes de Lorraine et surtout au maréchal de Saint-André, principalement en ce qui concernait la succession de la duchesse de Valentinois : on sait en effet que l'intention de la régente était de contraindre ces seigneurs à rendre compte de leur administration[16], et l'offre du roi de Navarre reflétait sans doute des projets officiels.

Alors il fut convenu que le règlement des dettes du roi se ferait par trois députés seulement[17] de chacun des treize gouvernements du royaume, lesquels s'assembleraient quand les états particuliers de chaque province auraient examiné les moyens les plus propices pour tirer dans ce but de l'argent du peuple ; cette mesure avait pour but d'éviter un second déplacement à un grand nombre de députés du tiers état. Le chancelier, placé sur une chaise à côté du roi, ayant fait à son tour requérir le silence des députés, annonça que la nouvelle assemblée se tiendrait le 1er mai de cette année 1561 à Melun, et indiqua que les subsides à voter étaient demandés pour six années au plus, que même, si les dettes se trouvaient acquittées plus tôt, Charles IX s'engageait à remettre les finances du pays à l'ancienne forme et estat qu'elles étaient du temps du roi Louis XII[18] ; en même temps Michel de l'Hôpital répondit à toutes les demandes des états qui ne touchaient ni la religion, ni la politique, et promit de convertir en lois du royaume celles qui avaient été consenties, ce qui fut fait par l'ordonnance dite de janvier 1560[19].

Laissons de côté les discours d'adieu prononcés en présence du roi par les trois orateurs officiels, où chacun rappela aux princes leurs promesses, en y joignant des éloges, au point que le docteur Quintin qualifia le roi de Navarre de l'épithète de très-vertueux, et certifia sa volonté puissante de maintenir l'état ecclésiastique en son ancienne splendeur ; laissons ce point pour aborder immédiatement l'ordonnance du 31 janvier 1560.

Cette ordonnance réglemente le clergé, la justice et la police, les universités, les seigneurs, les aides et les tailles ; elle contient aussi des dispositions diverses. Examinons par extraits succincts ses prescriptions successives, qui nous dévoileront au mieux les réclamations ou doléances et remontrances soulevées dans les cahiers remis par les députés des trois ordres, cahiers dont on ne possède pas la collection complète.

a. PRESCRIPTIONS CONCERNANT LE CLERGÉ[20].

Les archevêques et évêques seront dès la première vacance élus, les premiers par les évêques de la province et le chapitre de l'église archiépiscopale, les seconds par les archevêques, évêques de la province, chanoine de l'église épiscopale, 12 gentilhommes et 42 notables bourgeois : 3 candidats figés de trente ans au moins seront présentés au roi, qui choisira.

Les paiements sous couleur d'annates, vaquant ou autrement, sont suspendus jusqu'à nouveau traité pour lequel on s'entendra plus amplement avec les députés de nostre sainct père le pape.

Les abbesses et prieures seront dorénavant élues pour trois ans.

Enjoignons de ne bailler aucuns dévolus — remplacement pour un bénéfice ecclésiastique — plustôt et auparavant que le pourvu par l'ordinaire ait esté déclaré incapable.

Resideront tous archevêques ou évêques, abbés et curez, et fera chacun d'eux en personne son devoir et charge, à peine de saisie du temporel de leurs bénéfices. Et par ce qu'aucuns tiennent à présent plusieurs bénéfices par dispense ; ordonnons, par provision, qu'en résidant en l'un de leurs bénéfices, seront excusez de la résidence en leurs autres bénéfices ; à la charge toutefois qu'ils commettront vicaires, personnes de suffisance, bonnes vie et mœurs ; à chacun des quels ils assigneront telle portion du revenu du bénéfice qui puisse servir à son entretenement. — Le revenu des bénéfices non desservis nous fera retour[21].

Ainsi voilà le plus gros et le plus juste reproche vidé et enlevé aux ecclésiastiques ; les juges et procureurs devaient tenir la main à l'exécution de cet article. Quant aux mœurs, on ne pouvait, au milieu d'une ordonnance, en toucher mot ; le roi recommandait ce point à ses gouverneurs de provinces dans sa correspondance officielle. Cet appel à l'autorité laïque contre la mauvaise gestion des prêtres est caractéristique du temps, et nous en sommes très-éloignés aujourd'hui, car qui de nous oserait proposer la disposition suivante : A faute par les prélats malades ou Agés de prendre coadjuteur et vicaires, et de leur bailler pension raisonnable, nos officiers des lieux nous en avertiront sans dissimulation pour y pourvoir[22] ?

Les deniers et revenus de toutes confréries — après la déduction de la charge du service divin — seront appliquez à l'entretenement des écoles et aumônes dans les plus prochaines villes et bourgades.

Défendons à tous prélats, gens d'église et curés, permettre estre exigé aucune chose pour l'administration des saints sacrements, et toutes autres choses spirituelles, nonobstant les prétendues louables coutumes et commune usance, laissant toutefois à la discrétion et volonté d'un chacun de donner ce que bon lui semblera[23].

Ne pourront les prélats, gens d'église et officiaux, decerner des avertissements et user de censures ecclesiastiques, sinon pour crime et scandale public.

Ainsi on limitait l'exercice abusif de la puissance ecclésiastique, donnant ainsi raison aux remontrances des états ; cette dernière défense corrobore la précédente, car sans elle plus d'un mauvais prêtre pouvait excommunier un chrétien qui se refusait à lui donner une somme d'argent en échange de l'administration d'un sacrement. Toutefois l'interdiction des censures ecclésiastiques ne fut pas poussée au-delà des cas permis par les saints décrets et conciles, comme l'explique l'article 18 de la déclaration de Charles IX en date du 16 avril 1571.

Defendons aux peres et meres, tuteurs et parents, de permettre à leurs enfants ou pupilles, faire profession de religieux ou religieuses, qu'ils n'aient les jeunes gens vingt-cinq ans et les filles vingt ans.

Et pour compenser le tort fait aux individus engagés ainsi dans les ordres et couvents avant l'âge légal, l'ordonnance dont nous étudions le texte leur concède le droit de disposer de leur portion héréditaire échue ou à échoir, même en ligne collatérale, non pas au profit du monastère, mais au profit de celui de leurs parents que bon leur semblera, c'est-à-dire au profit de celui pour lequel ils auront de la préférence ou qui les aura défendus contre les vues intéressées d'autres parents. Notre jurisprudence[24] actuelle défend-elle autant les mineurs entraînés par le penchant d'une vocation religieuse prématurée, sous le rapport de la conservation de leurs biens patrimoniaux ? Certains procès sembleraient indiquer le contraire.

Ordonnons et enjoignons aux supérieurs et chefs d'ordre de procéder diligemment à l'entière réformation des monastères selon la première institution, fondation et règle.

Semblable prescription répondait à un vœu public souvent énoncé, nous l'avons dit ci-dessus en parlant des séances des états de 1560, et assurément très-justifié. Le même article ajoute :

En chascun des monastères sera entretenu et stipendié, aux dépens de l'abbé, un bon et notable personnage, pour y enseigner les bonnes et saintes lettres, et former les novices en mœurs et discipline monastique.

L'article 25 de l'édit de Blois (mai 1579) confirmera plus tard cette disposition ; ainsi les moines et religieux avaient besoin d'un précepteur, au lieu d'être eux-mêmes aptes à l'enseignement et habiles dans les travaux d'érudition. Quelle différence avec ces moines des XIe et XIIe siècles ! Cette situation constate une fois de plus que l'influence et l'autorité s'affaissent et disparaissent souvent par les fautes mêmes de ceux qui en disposent, et dont une conduite plus digne et plus exemplaire conserverait ce qu'ils compromettent.

Les articles suivants défendent le blasphème, la tenue des foires et marchés le dimanche et les jours de fête ; interdisent aux joueurs de farces et bateleurs de jouer les dimanches et fêtes aux heures du service divin, de se vêtir d'habits ecclésiastiques, de jouer des choses dissolues[25]. Interdire dans les comédies l'usage du costume religieux devenait une mesure indispensable en un temps di ; troubles, où chaque parti pouvait avoir intérêt à ridiculiser ses adversaires ; et justement parce que l'on obligeait le clergé catholique à supprimer les abus qui le déparaient, il fallait en même temps le protéger contre les empiétements et les moqueries, d'autant qu'en toute société bien organisée on ne doit souffrir de plaisanteries publiques contre la religion.

L'article 25 défend aux cabaretiers de donner à boire pendant les heures du service divin, et l'article 26 n'autorise la publication des almanachs et pronostications (prédictions) que sous l'approbation de l'évêque ou de son délégué.

Citons en entier l'article 27 :

Ne pourront les curez, vicaires, ou autres gens d'église, recevoir les testamens et dispositions de dernière volonté, esquels aucune chose leur soit leguée ou donnée.

Notre législation actuelle se montre moins sévère ; elle n'interdit les dispositions entre vifs ou testamentaires vis-à-vis des ministres du culte, comme vis-à-vis de médecins, que relativement au malade qui meurt de la maladie pendant laquelle le prêtre, ou médecin, l'a assisté ou soigné, et encore elle admet les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus[26].

Enfin, ne dirait-on pas une prescription datée d'hier et qu'il s'agît d'individus ayant joué à la Bourse de Paris :

Toutes personnes ecclesiastiques pourront être indifferemment executées[27] en leurs meubles, sauf es ornemens servans et destinés à l'eglise, leurs livres, vestemens ordinaires et nécessaires.

Notre code de procédure civile limite à la somme de 300 fr., au choix du saisi, le prix des livres relatifs à sa profession qui ne peuvent être saisis et compris dans la vente mobilière effectuée à la suite de la saisie-exécution[28] ; dans l'ordonnance de 1560 il n'existe à ce sujet aucune fixation.

b. PRESCRIPTIONS CONCERNANT LA JUSTICE ET LA POLICE[29].

Les premiers articles concernant la justice sont formels ; nulle vacance dans les offices de judicature et de finances ne sera remplie jusqu'à ce que le nombre de ces offices soit revenu à ce qu'il était au moment du décès du roi Louis XII ; — nul, malgré sa qualité, ne pourra obtenir plus d'un office ; — le père et le fils, deux frères, l'oncle et le neveu ne pourront être reçus en un même parlement ; — tons offices de maîtres des requêtes extraordinaires disparaissent également, et les maîtres des requêtes ordinaires reçoivent l'injonction de faire leur estat et charge, même au besoin par chevauchées. Ainsi, on cherche à réduire le nombre exagéré des fonctionnaires, dont l'existence grève démesurément le budget, et dont la création successive et intempestive a eu lieu parce que l'on vendait leurs charges et que le besoin incessant d'argent activait cette vente.

L'ordonnance se préoccupe de faire rendre prompte justice, non loin du domicile des plaidants, à tous les sujets du royaume ; non-seulement elle diminue le nombre des maîtres des requêtes, comme nous venons de l'indiquer, mais elle défend aux juges de sortir de leur juridiction et prescrit que les cas de nullités et contrariétés des arrêts des cours souveraines seront jugés où les arrêts auront été donnés[30].

Ensuite l'élection est rendue pour les vacances à survenir lorsque la réduction à l'ancien nombre et état sera opérée ; trois candidats doivent être soumis au choix du roi, qui seul nomme, nul ne pouvant, de quelque qualité qu'il soit, vendre un office de judicature on le promettre. Revenons au texte de l'ordonnance.

Pour faire garder égalité en l'administration de justice, dit ce texte[31], ordonnons et enjoignons a nos aurez et feaux president faire appeler les causes des appellations verbales selon l'ordre et tour des roules ordinaires et des provinces, sans continuer et interposer aucune cause par placets ou requestes, pour quelques personnes que ce soit. Pourront toutefois, pour l'expédition. des causes privilegiées et autres qu'ils aviseront, faire un rôle extraordinaire, duquel l'on plaidera les eudis seulement. Ordonnons aussi les procès par écrit estre jugez à tour de roules.

Défendons à tous nos juges, avocats et procureurs, tant en nos cours souveraines, que sieges subalternes et inférieurs, ne prendre ou permettre estre pris des parties plaidantes, directement aucun don ou présent, à peine de crime de concussion.

Defendons aussi à nos juges d'accepter gages ou pensions.

Resideront nos haillifs et senechaux en personne, déclarans les offices de ceux qui ne resideront vaquais et impetrables.

Seront tenus les dits baillifs et senechaux visiter les provinces quatre fois l'année.

Enjoignons à tous hauts justiciers salarier leurs officiers de gages honnestes : faire administrer justice en lieu certain, et avoir prisons sûres ; les quelles d'autant qu'elles ne doivent servir que pour la garde des prisonniers, nous deffendons estre faites plus basses que le rez de chaussée.

Ainsi l'ordonnance s'occupe des prisonniers et de leur santé, tout en prescrivant plus loin de bailler au rabais leur conduite d'un lieu sur un autre, mais elle manifeste encore plus le souci de voir les procès durer peu de temps.

Enjoignons très etroitement à tous nos juges de garder les ordonnances de nos prédecesseurs, sur les délais et abréviations des procès, à peine des dépens, dommages et intérèts des parties.

Et pour le soulagement de nos sujets, avons permis aux avocats de faire l'une et l'autre charge d'avocat ou procureur ; leur enjoignant conseiller fidellement leurs parties, et ne soutenir ou defendre mauvaise cause.

Après ces stipulations relatives à l'administration de la justice, l'ordonnance passe à la police et montre les efforts alors tentés pour la défense de la société contre les criminels, non que ces efforts fussent nouveaux, mais ils sont d'autant plus intéressants que l'ordre social se trouvait alors plus menacé.

Avant tout, la poursuite des infractions aux exigences légales.

Nos juges doivent informer en personne promptement, sans divertir à autres actes, les crimes et delits qui seront venus à leur connaissance, vaquer, procéder à la confection des procès, sans attendre la plainte des parties civiles et interessées, ni les contraindre à se rendre parties.

Les juges ne sont pas astreints à communiquer les procès criminels pendant l'instruction aux procureurs ; mais s'il s'agit d'élargir le prisonnier, il faut que le procureur fiscal en connaisse et donne ses conclusions.

Une bonne mesure de ce temps, c'est que chacun devait intervenir dans une dispute ; seulement s'exécutait-elle, surtout dans le cas d'une lutte avec des armes ? Voici cependant l'article :

Enjoignons à tous habitants des villes, bourgades et villages, faire tout devoir de séparer ceux qu'ils verront s'entrebattre avec epées, dagues ou autres batons offensifs, appréhender et arrester les delinquans, et les delivrer ès mains de la justice, à peine d'amende arbitraire.

Les articles suivants concernent les prévosts, soit du connétable, soit des maréchaux de France ; ils ne peuvent avoir qu'un office, à l'exercice duquel ils doivent s'employer continuellement ; ils accompagnent les compagnies de gens de guerre, gardent les laboureurs d'oppression et de violences, font vivre les gens de guerre selon les ordonnances, répondent des dommages soufferts par les sujets du roi. Ils ne doivent séjourner en un lieu plus d'un jour, dressent des procès-verbaux et les envoient tous les trois mois au conseil privé. Les prévosts provinciaux, institués pour purger la province des gens mal vivants, agissent de même. En outre :

Seront tenus les dits prevosts monter à cheval, sitost qu'ils seront avertis de quelque volerie, meurtre ou autre délit commis en la pro.- vince où ils seront. Et neanmoins pourront nos juges ordinaires prendre connaissance par prévention sur les mal-faicteurs, qui sont du pouvoir des dits prevosts.

La réunion, par les soins du chancelier, d'une commission destinée à pourvoir au règlement et à la réformation des taxes des chartes et autres expéditions des chancelleries, était promise.

Les greffiers devaient résider, exercer leurs offices en personne, et, comme les procureurs et avocats, avoir peu de clercs ou substituts, et contraindre ces derniers à ne rien prendre des parties que leur droit strictement légal. Les écritures judiciaires — car il a fallu de tout temps régler ce point — devaient contenir 25 lignes à la page et 15 syllabes à la ligne.

Les offices de notaire sont réduits à un nombre certain et légitime, et l'âge de vingt-cinq ans, pour en remplir un, se trouve dorénavant réellement exigé. Les fonctions du notaire sont réglementées ; tout, dans l'exercice de sa charge, jusqu'à son style, est soumis au contrôle des juges, lesquels dressent aussi l'inventaire des registres et protocoles d'un notaire décédé[32]. Les tabellions, établis en novembre 1542 par François Ier, et qui formaient une superfétation, puisqu'ils devaient grossoyer (copier) et sceller les actes des notaires, sont et demeurent supprimés pour la décharge du peuple.

L'ordonnance réglemente également la situation et la manière d'agir des huissiers ou sergents.

Elle songe à l'embellissement des villes et prescrit l'alignement de leurs rues ; ce fait mérite attention, car à voir encore trois siècles plus tard certaines de nos vieilles cités de France, on ne croirait jamais que la question de la rectification des voies publiques soit depuis si longtemps à l'ordre du jour. Voici les articles :

Tous propriétaires des maisons et bâtiments ès villes de nostre royaume, seront tenus et contraints par les juges des lieux, abattre et retrancher à leurs dépens les saillies des dites maisons aboutissant sur rue, et ce dedans deux ans pour tout délai, sans espérance de prolongation. Et ne pourront estre refaites ni hosties, ni pareillement les murs des maisons qui sont sur rue publique, d'autres matières que de pierre de taille, briques, ou maconnerie de moillon ou pierre. Et en. cas de négligence de la part des dits propriétaires, leurs maisons seront saisies, pour des deniers qui proviendront des louages ou ventes[33] d'icelle, estre réedifiées et basties. Enjoignons tres expressement à tous juges et aux maires, eschevins et conseillers des villes, de tenir la main à cette décoration et bien public de nos villes, à peine de s'en prendre à eux, en cas de dissimulation ou négligence.

Les dernières injonctions relatives à la police s'appliquent aux marchands et artisans qui reçoivent l'autorisation de faire imprimer leurs statuts et ordonnances ; aux logeurs qui ne doivent recevoir plus d'une nuit les gens sans aveu ; aux commandants de place, sur les frontières, qui ne peuvent exiger des habitants de faire le guet ou de le payer que dans les cas d'une nécessité absolue, à peine de privation de leur état ; enfin à ceux qui se disent bohémiens ou égyptiens, de vider la France dedans deux mois.

c. PRESCRIPTIONS CONCERNANT LES UNIVERSITÉS.

L'article est unique et promet la réunion, sous six mois, d'une commission ayant pour destination de

Voir et visiter tous les privileges octroyez par nos predecesseurs roys, les fondations des colleges, la réformation du feu cardinal de Touteville ; et ce fait, proceder à l'entière réformation des universités et colleges, nonobstant oppositions ou appellations quelconques.

d. PRESCRIPTIONS CONCERNANT LES SEIGNEURS ET LES GENS DE GUERRE.

Que reprochait-on à plusieurs seigneurs ? Leur dureté, leur avarice, leur abus de la chasse, leur séquestration de filles en vue de les épouser, enfin leur paresse. L'ordonnance répond à ces doléances :

Sur la remontrance et plainte faite par les députés du tiers état, nous ordonnons très expressement à nos juges d'administrer la justice à tous nos sujets ; sans exception de personnes, de quelque autorité et qualité qu'ils soient, et ne permettre que nos pauvres sujets soient travaillez et opprimez par la puissance de leurs seigneurs féodaux.

Ceux à qui les droits de peages appartiennent seront tenus entretenir en bonne et due réparation les ponts, chemins et passages.

Défendons aux gentilshommes et à tous autres de chasser, soit à pied ou à cheval, avec chiens et oiseaux, sur les terres ensemencées depuis que le bled est en tuyau, et aux vignes depuis le premier jour de mars jusques à la dépouille. Entendons toutefois maintenir les gentilshommes en leurs droits de chasses à grosses bètes ès terres où ils ont droit, pourvu que ce soit sans dommage d'autrui, mime du laboureur.

Defendons à tous gentilshommes et officiers de justice le fait et trafic de marchandise.

Cette dernière défense paraît faite moins en vue de maintenir la noblesse et de l'empêcher de déroger, que pour protéger le tiers état et lui ménager plus de gain en restreignant le nombre des personnes admises à commercer, et en étouffant ainsi la concurrence : il faudra Colbert, et Colbert appuyé de Louis XIV, pour concevoir des gentilshommes verriers, et d'autres gentilshommes utilement occupés à l'industrie et à certaines branches de commerce.

Citons en entier l'article 3 relatif à un usage abusif des lettres de cachet, et où les gouvernants se mettent en garde contre eux-mêmes :

Et parce qu'aucuns abusans de la faveur de nos prédécesseurs par importunité, ou plutost subrepticement, ont obtenu des lettres de cachet et closes ou patentes, en vertu desquelles ils ont fait sequestrer des filles, et icelles epousé ou fait épouser, contre le gré et vouloir des pores, meres et parents, tuteurs ou curateurs, chose cligne de punition exemplaire ; enjoignons à tous juges proceder extraordinairement et comme en crime de rapt, contre les impetrans et ceux qui s'aideront de telles lettres, sans avoir égard d icelles.

Le roi, ou plutôt son conseil, veut que les jeunes gentilshommes occupent leur temps et puisent les éléments d'une saine instruction classique, intention louable, très-propre à ramener le calme dans une Société ébranlée par leS passions que déchaîne surtout l'ignorance ; la mesure prescrite à ce sujet avait été soulevée au sein des états, et montre que déjà l'on songeait à la nécessité d'une éducation spéciale, et cependant convenablement ordonnée, pour les gens de guerre :

Ayant en cet endroit, comme en tous autres, bien reçu la remontrance des dits états, nous ordonnons que nos pages avec leurs escuyers (qui ont le soin et charge de les dresser au maniement des armes) auront un ou deux precepteurs qui les instruiront ès bonnes et saintes lettres, sans permettre qu'ils employent le temps à autres que vertueux et honnestes exercices. Exhortant les princes de nostre sang et seigneurs qui ont pages à leur suite, de faire le semblable à nostre exemple et imitation.

Abordons les articles qui s'appliquent spécialement aux gens de guerre. Dans l'armée, comme dans les autres fonctions, nul ne pourra d'abord tenir cieux capitaines ou deux offices de la maison du roi. Nul ne sera admis aux compagnies d'hommes d'armes s'il ne réunit les qualités requises par les règles imposées aux commissaires des guerres. Les capitaines et chefs de bande de gens de pied et des ordonnances (c'est-à-dire des gens à cheval) sont responsables des fautes, abus et extorsions commis par leurs compagnies. Quant aux serviteurs du roi et des seigneurs qui exigent deniers des habitants pour les exempter des logements à fournir, les prévôts de l'hôtel du roi et les juges ordinaires doivent procéder sommairement contre leurs exactions.

Les articles 117 et 118 concordent par leur texte avec le genre d'interdiction que nous venons de signaler :

Défendons à tous capitaines de charrois, tant de nos munitions de guerre ou artillerie, qu'autres nos officiers, et de ceux de nostre suite, prendre les chevaux des fermiers et laboureurs, si ce n'est de leur vouloir, de gré à gré, en en payant les journées, à peine de la hart.

Défendons aussi à tous pourvoyeurs et sommeliers d'arrester ou marquer plus grande quantité qu'il ne faut, ni de prendre des bourgeois des villes, laboureurs et autres personnes, vin, bled, foin, avoine ou autre provision, sans payer ou faire incontinent arrester le prix aux bureaux des maistres d'hostels, ni autrement abuser en leurs charges, à peine d'estre à l'instant cassez, et de plus grande punition s'il y echet ; auxquels maistres d'hostels enjoignons payer ou faire payer huit jours après le prix arresté.

e. PRESCRIPTIONS CONCERNANT LES AIDES ET LES TAILLES.

Ici les promesses étaient grandes, aussi grandes que le mal :

Nous entendons et désirons réduire et remettre nos tailles et aydes au plus gracieux terme et estat qu'elles ont esté du vivant de nos prédecesseurs roys, même du temps du feu roi Louis XII, nostre bysaieul, et ce sitost que la necescité de nos affaires le pourra porter.

On le voit, ce n'étaient que des promesses, et leur ajournement paraissait sans limite, comme il le fut en effet. Dès lors la réglementation qui suit cet article intéressait moins les contribuables ; indiquons pourtant ses points principaux.

Les officiers, assesseurs et collecteurs doivent soulager les sujets tant en la forme de lever la taille et crues d'icelle qu'au payement. Toutefois les contribuables doivent être cottisez le fort portant le faible, c'est-à-dire que les payants doivent supporter la totalité de la taille, même la part dont les pauvres se trouvent exemptés. Et de peur des fraudes tendant à soustraire à la taille, nul capitaine ne doit enrôler frauduleusement dans ce but en l'une des compagnies d'ordonnance ; les officiers ou domestiques du roi et des princes ne sont exempts que s'ils sont actuellement à leur service ; les régents et écoliers des universités, les monnayeurs, les officiers de l'artillerie, que s'ils n'exercent aucun trafic. En outre, les fermiers payent la taille pour les terres à eux affermées.

La suite du texte même de l'ordonnance renseignera mieux sur ce qu'elle prescrit encore :

Sur la plainte des deputez du tiers estat, avons ordonné qu'il sera informé à la requeste de ceux qui le requereront, contre toutes personnes, qui, sans commission valable, ont levé ou fait lever deniers sur nos sujets, soit par forme d'emprunt, cottisations particulières ou autrement, sans avoir baillé quittances et d'iceux rendu bon compte.

Defendons à tous nos officiers de nos tailles et aydes prendre et exiger de nos sujets aucun don.

Enjoignons à nos eslus ouïr sommairement les parties en personne et vuider sans ministère d'avocat ou procureur toutes oppositions formées pour les tailles des paroisses.

En toutes assemblées d'estats generaux ou particuliers des provinces où se fera octroy de deniers, les trois estats s'accorderont de la cotte part et portion que chacun des dits estats portera. Et ne le porteront le clergé et la noblesse seuls, comme faisant la plus grande partie.

Quant au droit de chasse, il demeure intégralement aux nobles ; les autres Français peuvent à peine se défendre, ou plutôt défendre les terres qu'ils cultivent, mais sans l'emploi d'armes, l'article est formel :

Permettons à nos sujets de chasser de leurs terres et dangers, à cris et jets de pierre, toutes gestes rousses et noires qu'ils trouveront en dommage, sans toutefois les offenser.

Le droit de chasse vivra ainsi, l'un des plus exclusifs, jusqu'à la révolution française, et aujourd'hui encore nos compagnies de chasseurs, organisées pour louer et exploiter des chasses, tendent à le faire revivre. C'est donc bien une de ces tyrannies inhérentes au cœur de l'homme, toujours prêt à imposer à autrui ce qui lui plaît, car, sauf en. ce qui concerne la destruction des bêtes nuisibles, la chasse, avouons-le, n'est pas plus indispensable que l'usage de fumer à l'intérieur des habitations.

Les dernières prescriptions de l'ordonnance rappellent aux trésoriers, receveurs et payeurs, qu'ils ne doivent bailler des marchandises pour argent comptant, ni exiger le sol pour livre des personnes assignées.

Mentionnons enfin un article qui se rapporte aux interdictions relatives au luxe, et doit compter parmi les mesures restrictives qui ont peu réussi, mais dont ce n'est pas le lieu d'examiner ici la portée ; nous citons surtout cet article parce que, joint à celui précité sur la chasse, il marque au mieux les distances séparant alors les classes de la société française :

Défendons à tous manans et habitans de nos villes, toutes sortes de dorures sur plomb, fer ou bois ; et l'usage des parfums apportés des païs etrangers et hors de nostre royaume, à peine d'amende et de confiscation de la marchandise.

L'ordonnance se termine par la promesse de statuer prochainement sur les articles des cayers (cahiers) des estats non encore résolus par ces présentes, puis par le mandement habituel à tous les officiers de judicature et autres de faire garder, observer et entretenir inviolablement de point en point les dispositions y énoncées, et à cet effet de les faire lire, publier et enregistrer incontinent et sans délay.

Cette analyse de l'ordonnance de janvier 1560 aura paru longue à plus d'un lecteur ; ne la regrettons pourtant pas, car elle nous a initiés à plus d'un détail qui dépeint et fait mieux comprendre l'état de la France au milieu du XVIe siècle.

C'était, on le voit, une ordonnance importante. Elle cherchait à calmer les plaintes et à éteindre tous les griefs. Sa rédaction indique de loyales intentions, un large esprit de conciliation, une heureuse tentative de gouverner et d'administrer d'après l'opinion de tous, émise et discutée au grand jour. Certes, à la prendre à la lettre, il y avait progrès dans la sphère gouvernementale, et peut-être pourrait-on, après sa publication, espérer encore, en présence de tels efforts et d'une pareille modération, que notre malheureux pays se remettrait de ses récentes secousses et des dangers qui menaçaient sa tranquillité.

 

 

 



[1] D'après PIERRE DE LA PLACE, Commentaires de l'estat de la religion et république, livre IV.

[2] La proclamation de ce principe devant les représentants du pays entier constate que les grades militaires étaient accessibles à tous ceux qui se distinguaient par une action d'éclat. Déjà, sous François Ier, un soldat pouvait ainsi devenir lieutenant, et un lieutenant pouvait être anobli. Voyez notre Histoire de l'art de guerre, t. II, p. 19 et aussi p. 192. Nous avons déjà présenté ce point de vue en plusieurs de nos écrits ; peut-être un jour le reprendrons-nous dans un mémoire spécial.

[3] Lisez cet opuscule peu connu : Henrici Cvyckii Rerimendensis ecclesiæ episcopi de ecclesiarum Rectoribes an recte dicant, præstare Concubinarios quam nullos haberi Pastores, exegetica tractatio, in-12 de 8 pages. Lovanii, typis Ioaanis Masii, 1601.

[4] Déjà, sous François Ier, on rappelait le clergé à l'oubli du luxe. Consultez Definitio eius quod hodie a plerisque in quæstionem vocatur, utrum oporteat ecclesiasticos pauperes esse, quemadmodum Apostoli erat tempore nasœntis Ecclesiæ, per GERARDUM MORINGUM, sacræ Theologiæ Licentiatum. Louanij, Antuerpiæ Michel Hillenius Hoochstratanus excudebat, anno MDXXX, mense Ianuario.

[5] En vain les députés du Dauphiné et de la Bourgogne avaient demandé qu'il fût ici mention des princes de la maison de Guise, mais beaucoup de nobles, ceux surtout de la religion protestante, s'y opposèrent.

[6] Comparaison d'un goût douteux.

[7] Nous reverrons cette idée plusieurs fois reproduite sous ce règne, et le désir de la guerre extérieure reparaître, pour détourner du pays les malheurs de la guerre civile.

[8] Reportez-vous aux allocutions prononcées par les évêques à la réception d'un souverain dans une basilique.

[9] Il s'agit des montanistes, ainsi nommés de leur chef Montanus.

[10] Quintin prévoyait déjà le colloque de Poissy : nous dirons dans le chap. IV comment ce colloque fût amené.

[11] La noblesse en a déjà dit, autant ; chacun parle en second lieu de l'intérêt général.

[12] Ces excuses publiques furent fâcheuses pour le parti catholique, et il eût mieux valu ne pas faire l'attaque ; on perd toujours à dépasser la mesure.

[13] Quintin mourut peu après.

[14] En novembre 1561, le duc de Nemours avait déjà dû se justifier d'avoir voulu entraîner le duc d'Orléans, depuis Henri III, à se réfugier en Lorraine, afin de se mettre à la tête des catholiques que la reine mère semblait abandonner. C'était un caractère prompt, mais un prince de talent. Voyez Troisième lettre de Prosper de Sainte-Croix au cardinal Borromée.

[15] La question de séculariser une portion des biens du clergé, qui se présente en chaque pays à chaque révolution, n'est donc pas nouvelle.

[16] Outre les chroniqueurs français, nous possédons sur ce fait le témoignage de JACQUES DE MELVIL, qui devint plus tard secrétaire d'Etat en Ecosse, sous Marie Stuart, et qui se trouvait alors à Orléans, où il suivait les intrigues et les cabales, tout en faisant sa cour au roi de Navarre. Voyez ses Mémoires, édition de 1745, Edimbourg, t. I, p. 93.

[17] Trois suivant une lettre missive du roi, deux suivant LA PLACE.

[18] Pareille promesse ne fut jamais tenue.

[19] En réalité de janvier 1561, puisque François II était mort en 1560. On semble d'une année en retard.

[20] Articles 1 à 29.

[21] Articles 5 et 21.

[22] Article 7.

[23] Cela existe encore ; c'est le produit de l'étole blanche pour les vicaires, et par exemple la vente des cierges aux enterrements, ainsi que le montant de l'offrande pour les curés.

[24] Nous disons à dessein jurisprudence, car là, pour la législation, elle le fait.

[25] Un écrivain de ce temps a bien traité des histrions anciens et des jeux de l'antiquité : c'est ALEXANDER AB ALEXANDRO. Voyez son ouvrage Genialum dierum libri sex, Parisiis, 1579, livre V, chap. VIII, surtout les feuillets 261 et 262.

[26] Code civil, article 909.

[27] C'est-à-dire qu'on vendra ce qui leur appartient pour payer leurs dettes.

[28] Code de procédure civile, article 592.

[29] Articles 30 à 104.

[30] Articles 34, 37, 38.

[31] Nous l'abrégeons.

[32] Henri III créera pour ce but spécial des gardes-notes. Les fonctions des tabellions et gardes-notes se trouvent aujourd'hui fondues dans celles du notaire, resté le seul officier public de cette espèce.

[33] C'est-à-dire qu'elles seraient vendues à charge d'être rebâties.