HISTOIRE DES DUCS DE BOURGOGNE DE LA MAISON DE VALOIS — 1364 -1477

TOME SIXIÈME. — PHILIPPE-LE-BON

 

LIVRE TROISIÈME.

 

 

Le roi est sacré à Reims. — La Pucelle attaque Paris. — Premières négociations entre le roi et le duc de Bourgogne. — Siège de Compiègne. — La Pucelle prisonnière. — Guerre en Dauphiné. — Succès des Français. — Procès de la Pucelle. — Guerre de Lorraine. — Négociations pour la paix.

 

AUSSITÔT après la journée de Patay, Jeanne était retournée auprès du roi, et l'avait de nouveau pressé d'entreprendre le voyage de Reims[1]. Les affaires étaient en si bon train, qu'on se résolut à écouter son conseil, bien qu'il ne parût pas très-conforme à la prudence. D'autres proposaient d'aller auparavant réduire Cosne et la Charité pour être entièrement maîtres de la Loire ; mais ces villes étaient comprises dans les trêves conclues par le duc de Savoie entre la France et la Bourgogne. D'ailleurs on prit bonne espérance aux promesses de la Pucelle, qui semblaient venir de Dieu. Elle ne réussit pas aussi bien à persuader le roi de se réconcilier avec le connétable. Il ne voulut jamais que ce prince fût du voyage de Reims. En vain le connétable fit-il supplier le sire de la Trémoille de le laisser servir le roi, et qu'il ferait tout ce qu'il lui plairait, fût-ce même de lui embrasser les genoux[2] ; le sire de la Trémoille fut inébranlable dans son obstination, et maintint le roi eu si grande colère, qu'il fit dire au connétable de s'en aller, et qu'il aimerait mieux ne jamais être couronné que de le voir au sacre. Le comte de la Marche eut aussi ordre de ne point venir. C'était perdre de puissants secours pour une entreprise périlleuse.

Ce n'est pas qu'il ne continuât à arriver de tous côtés des gentilshommes ; mais ceux-là même étaient assez mal reçus du sire de la Trémoille. Il lui semblait toujours qu'il y en eût trop ; soit qu'il n'eût point d'argent pour leur solde, car il ne put faire donner que trois francs par homme d'armes ; soit qu'il craignît que quelque cabale se formât contre lui. Il était si méfiant, que le roi se trouvant pour lors à Sully, près d'Orléans, ne vint pas, bien que la Pucelle le lui demandât, visiter sa bonne ville, qui s'était si bravement défendue. Les habitants l'attendaient cependant avec grand amour, et lui avaient préparé une noble réception[3].

On partit de Gien le 28 de juin. Hormis le connétable et le comte de la Marche, qui était aussi dans la disgrâce du roi, tous les chefs de guerre se trouvaient dans cette entreprise. Le maréchal de Boussac avec le sire de Raiz, la Hire et Saintrailles étaient à l'avant-garde. On comptait environ douze mille combattants, tous vaillants, remplis de bonne espérance et de courage, s'inquiétant peu de traverser un pays dont les villes, les forteresses, les châteaux étaient garnis d'Anglais et de Bourguignons[4].

On arriva devant Auxerre ; le duc de Bourgogne tenait alors cette ville en gage pour les sommes qui lui étaient dues. Le conseil de Bourgogne avait assemblé des forces à Autun afin de défendre le duché s'il était attaqué, et envoya un serviteur du sire Jean de la Trémoille à son frère George de la Trémoille celui qui gouvernait le roi, pour savoir si les Français entendaient observer les trêves. La ville députa aussi vers le roi, offrit de fournir, moyennant paiement, des vivres à l'armée, qui en avait un pressant besoin, et de rendre obéissance au roi, si ceux de Troyes, de Châlons et de Reims se soumettaient[5]. Le traité fut accepté, au grand dépit de la Pucelle et des gens de guerre. On assura que le sire de la Trémoille avait reçu deux mille écus pour traiter si favorablement une ville où, disait-on, il eût fallu entrer d'assaut.

De là on marcha sur Troyes. La ville fut sommée de se rendre et s'y refusa. La garnison était de cinq ou six cents Bourguignons ; ils firent d'abord une sortie sur l'avant-garde. Après avoir passé cinq ou six jours campé devant la ville, le roi se trouva dans une situation difficile. Tout son monde manquait de vivres. Il y avait déjà huit jours que les sept ou huit mille hommes qu'il avait avec lui n'avaient mangé de pain, et se soutenaient seulement en égrainant des épis ou cueillant des fèves vertes. On n'avait amené ni bombardes ni artillerie. Gien était le lieu le plus proche dont on pût tirer des munitions, et il y avait au moins trente lieues de distance. Personne dans le camp n'avait d'argent ; on manquait de tout. Sans cesse on parlementait avec les gens de la garnison et de la ville, mais ils ne semblaient pas avoir envie de se soumettre, et l'on n'avait pas de quoi leur faire peur. Ce fut toutes ces raisons que l'archevêque de Reims chancelier de France, représenta au conseil du roi, et il proposa de revenir vers la Loire. Il n'avait jamais eu grande foi en la Pucelle ; ce jour-là, voyant l'embarras où se trouvait le roi, presque tout son conseil fut de l'avis du chancelier. Cependant Robert le Masson sire de Trèves, quand vint son tour de parler, représenta qu'il fallait envoyer quérir la Pucelle[6]. « Lorsque le roi a entrepris ce voyage, dit-il, ce n'est pas à cause de la grande puissance de gens d'armes qu'il pouvait avoir : ce n'est pas à cause de l'argent qu'il avait pour les payer : ce n'est point parce que cette entreprise semblait possible, mais par les avis de Jeanne la Pucelle, qui disait que c'était la volonté de Dieu, et qu'on trouverait peu de résistance. Donc il faut entendre comment elle s'expliquera ; si elle n'a rien de plus à dire que ce qui a été dit au conseil, alors on suivra l'opinion commune, et le roi s'en reviendra. » Jeanne fut mandée : le chancelier lui expliqua dans quelle perplexité on se trouvait, les doutes qui avaient été débattus dans le conseil, et lui demanda ce qu'il croyait qu'il fallait faire.

« Serai-je crue de ce que je dirai ? demanda-t-elle au roi. — Si vous dites des choses raisonnables et profitables, je vous croirai, répondit le roi. — Serai-je crue ? répéta-t-elle. — Oui, dit encore le roi, selon ce que vous direz. — Hé bien, noble dauphin, dites à vos gens de venir et d'assaillir la ville, car, par mon Dieu, vous entrerez en la ville de Troyes par amour ou par puissance, d'ici à deux jours, et les traîtres de Bourguignons en seront tout consternés. — Jeanne, reprit le chancelier, qui serait certain de l'avoir dans six jours, on attendrait bien ; mais je ne sais si ce que vous dites est véritable. — Oui, dit-elle, vous en serez maitre demain. »

Sur sa foi, ou résolut de tenter l'assaut. Elle prit son étendard, et pressant tout le monde, elle fit jeter dans le fossé les planches, les portes, les chevrons, les bois de toute sorte, dont les gens d'armes avaient fait les logis du camp ; on apporta des fagots et des fascines pour se retrancher le plus près possible de la muraille, et pour masquer les petits canons qu'on menait en campagne. Le lendemain matin, tout était prêt pour commencer l'attaque.

Cependant la garnison n'était pas nombreuse ; les bourgeois avaient peu d'envie de se défendre contre leur seigneur et leur roi ; ils avaient passé la nuit à prier dans les églises. Frère Richard, ce fameux prédicateur, était venu chez eux quand on l'avait chassé de Paris, et il n'était pas pour les Anglais. D'ailleurs le nom de la Pucelle, les merveilles qu'on en racontait, effrayaient les habitants et même la garnison. Ils doutaient beaucoup qu'elle vint de Dieu, mais ne l'en craignaient que davantage. De dessus les murailles ils la voyaient agiter son étendard, et les plus simples d'entre eux assuraient qu'une multitude de papillons blancs voltigeaient tout à l'entour[7].

Lorsqu'on vit donc que le roi allait faire livrer l'assaut, les pourparlers recommencèrent ; l'évêque, les chefs de la garnison, les principaux bourgeois vinrent au camp pour traiter. Il fut convenu que la garnison sortirait librement avec ses armes, ses chevaux et tout son avoir ; les bourgeois obtinrent du roi une abolition complète pour leur rébellion, et il fut défendu aux gens de guerre, sous peine de la hart, de leur faire le moindre tort[8].

Comme la garnison avait droit d'emporter ses biens, les gens d'armes voulurent emmener leurs prisonniers, dont la rançon leur était bien loyalement acquis. Mais ces pauvres gens, lorsqu'on les conduisait hors la ville, supplièrent la Pucelle de les délivrer. « Par mon Dieu, dit-elle, ils ne les emmèneront pas ! » La querelle commençait à s'émouvoir ; le roi en fut informé, et paya aussitôt la rançon[9].

Jeanne allait ensuite entrer dans la ville, lorsque frère Richard se présenta devant elle, faisant des signes de croix et des aspersions d'eau bénite. Il venait de la part des habitants, s'assurer si elle ne procédait point du démon. « Allons, approchez, dit-elle, je ne m'envolerai pas. » Puis elle retourna près du roi, et lorsqu'il lit son entrée, elle était près de lui, portant son étendard[10].

Depuis ce jour, frère Richard se mit à la suite du roi, et chevauchait avec les gens d'armes, leur prêchant de bien faire ; il exhortait les villes à se soumettre au roi, et souvent les persuadait par son langage[11]. On disait aussi de lui des choses merveilleuses ; on racontait que ces fèves que, grâce à Dieu, les Français avaient trouvées aux environs de la ville, et qui, peut-être, les avaient empêchés de mourir de faim, provenaient des bons soins de frère Richard ; selon ce qu'on rapportait, il avait beaucoup répété clans ses prédications : « Semez toujours ; celui qui doit cueillir viendra bientôt. » Quand les Parisiens surent qu'il s'était ainsi fait Armagnac, ils perdirent leur amour pour lui, et plusieurs en prirent occasion de retourner à leurs jeux de cartes et de clés.

Châlons ne fit aucune résistance au roi ; l'évêque et les principaux bourgeois vinrent au-devant de lui, présenter leur soumission. La Pucelle promit au roi qu'il en irait de même pour Reims. En effet, le seigneur de Châtillon et le sire de Save use, n'ayant qu'une petite garnison, assemblèrent les habitants et voulurent leur persuader de se défendre ; mais les bourgeois ne les écoutèrent point et répondirent même avec assez de dureté et d'insolence[12]. Ils avaient grande terreur de la Pucelle, car chaque jour ce qu'on en publiait était plus miraculeux. D'ailleurs, le seigneur Regnault de Trie archevêque de Reims et chancelier de France, avait des intelligences dans sa ville. Les capitaines bourguignons furent donc contraints à se retirer.

Le roi fit donc son entrée solennelle ; deux jours après, le 17 juillet 1429, il fut sacré dans la cathédrale de Reims, après avoir été fait chevalier par le duc d'Alençon[13]. Le duc de Bourgogne était alors le seul pair du royaume au triple titre de Flandre, d'Artois et de Bourgogne. Sa place et celle des autres pairies vacantes fut tenue par les principaux seigneurs de la suite du roi ; mais aucun d'eux n'était regardé autant que Jeanne la Pucelle : c'était à elle qu'on devait attribuer ce voyage et cc couronnement. Pendant la cérémonie, elle se tint près de l'autel, portant son étendard ; et lorsqu'après le sacre elle se jeta à genoux devant le roi, qu'elle lui baisa les pieds en pleurant, personne ne pouvait retenir ses larmes en écoutant les paroles qu'elle disait : « Gentil roi, or est exécuté le plaisir de Dieu, qui voulait que vous vinssiez à Reims, recevoir votre digne sacre, pour montrer que vous êtes vrai roi, et celui auquel doit appartenir le royaume. »

Le jour même du couronnement, elle avait fait écrire une lettre au duc de Bourgogne. Les conseillers du roi, sachant les discordes de ce prince avec les Anglais, avaient espoir de le détacher des anciens ennemis du royaume, et cherchaient depuis quelque temps à traiter avec lui. Déjà la Pucelle, trois semaines auparavant, lui avait envoyé par un héraut une première lettre pour l'engager à se trouver au sacre. Depuis, le maréchal de Bourgogne lui avait fait savoir les paroles pacifiques du sire de la Trémoille, pendant les pourparlers tenus au sujet de la ville d'Auxerre[14]. Cette fois, pour faire plus encore, on résolut que le chancelier, les sires de Gaucourt et de Dampierre, et le doyen du chapitre de Paris, se rendraient bientôt après en ambassade à Arras, auprès du duc Philippe. Il dut recevoir ; un peu auparavant, la lettre de la Pucelle, conçue en ces termes[15] :

JHESUS MARIA.

« Haut et redouté prince, duc de Bourgogne, Jehanne la pucelle vous requiert de par le Roi du ciel, mon droiturier souverain Seigneur, que le roi de France et vous, fassiez bonne paix, ferme qui dure longuement. Pardonnez l'un à l'autre de bon cœur, entièrement, ainsi que doivent faire loyaux chrétiens ; et s'il vous plaît guerroyer, allez sur le Sarrazin. Prince de Bourgogne, je vous prie, supplie et requiers tant humblement que je vous puis requérir, que ne guerroyiez plus au saint royaume de France ; et faites retraire incontinent et brièvement vos gens qui sont en aucunes places et forteresses dudit royaume. De la part du gentil roi de France, il est prêt de faire paix avec vous, sauf son honneur ; et il ne tient qu'à vous. Et je vous fais savoir, de par le Roi du ciel, mon droiturier et souverain Seigneur, pour votre bien et pour votre honneur, que vous ne gagnerez point de bataille contre les loyaux Français ; et que tous ceux qui guerroyent audit saint royaume de France, guerroyent contre le roi Jhésus, roi du ciel et de tout le monde, mon droiturier et souverain Seigneur. Et vous prie et vous requiers à jointes mains que ne fassiez nulle bataille, ni ne guerroyiez contre nous, vous, vos gens et vos sujets. Croyez sûrement, quelque nombre de gens que vous ameniez contre nous, qu'ils n'y gagneront mie ; et sera grand’pitié de la grande bataille et du sang qui sera répandu de ceux qui y viendront contre nous. Il y a trois semaines que je vous ai écrit et envoyé de borines lettres par un hérault, pour que vous fussiez au sacre du roi qui, aujourd'hui dimanche dix-septième jour de ce présent mois de juillet, se fait en la cité de Reims. Je n'en ai pas en réponse, ni onc depuis n'ai ouï nouvelles du hérault. A Dieu vous recommande et soit garde de vous, s'il lui plaît, et prie Dieu qu'il y mette bonne paix. Écrit audit lieu de Reims, le 17 juillet. »

En attendant ce qui arriverait de ces propositions de paix, le roi se trouvait assez de puissance pour entrer dans l'île de France, et se rapprocher de Paris, où Jeanne avait plus d'une fois témoigné l'espoir d'entrer[16]. Le régent anglais était sorti de Paris pour hâter l'arrivée des gens d'armes de la croisade que conduisait le cardinal de Winchester. Quant au duc de Bourgogne„ il n'avait point assemblé ses hommes, ni en Picardie ni dans son duché. René d'Anjou, héritier des duchés de Lorraine et de Bar, le damoisel de Commercy, qui précédemment avaient traité avec l'Angleterre ou les Bourguignons, étaient venus à Reims offrir leurs services au roi. Tout semblait lui prospérer.

Il commença, selon l'usage des rois après leur sacre, par se rendre en pèlerinage au tombeau de saint Marcou à Corbeny, pour y recevoir, par les mérites de 'ce saint, qui fut, disait-on, de la race royale, le pouvoir de guérir les écrouelles en les touchant. De là on vint à la petite ville de Vailly, du diocèse de Reims, qui se rendit tout aussitôt[17]. Bientôt arrivèrent les députés de Laon et, de Soissons, apportant la soumission de ces deux bonnes et fortes villes. Le roi passa trois jours à Soissons, où les habitons lui montrèrent beaucoup d'amour et de joie. Pendant ce temps, Crécy, Coulommiers, Provins, et plusieurs autres forteresses de la Brie, reconnaissaient aussi son obéissance.

Il semblait que Château-Thierry dût mieux se défendre ; Jean de Croy, le sire de Brimeu, le sire de Châtillon et d'autres grands seigneurs bourguignons y étaient renfermés, et leur garnison s'était augmentée des gens qui avaient abandonné les autres forteresses. Mais les bourgeois se montraient tout Français et voulaient reconnaître le roi. La Pucelle parut à la vue des murailles[18] ; le bruit se répandit encore qu'on voyait des papillons blancs voltiger autour de son étendard ; la peur gagna dans la ville[19]. Les assiégeants crurent un instant que les Anglais arrivaient du côté de Paris ; Jeanne maintint leur courage ; un moment après, la garnison rendit la ville et sortit sauve de corps et de bien.

S'approchant toujours de Paris, le roi arriva à Provins. Déjà les Parisiens du parti anglais et bourguignon commençaient à s'effrayer. Ils voyaient se réfugier dans la ville les ‘habitants des campagnes, qui, dans la crainte de voir arriver les Armagnacs, s'enfuyaient, emmenant leurs récoltes et leur bétail. Il n'y avait eu ce moment aucun grand seigneur à Paris que le sire de l'Isle — Adam avec quelques Bourguignons. Cependant le 24 juillet, les Parisiens furent rassurés par le retour du duc de Bedford, qui fit son entrée avec le cardinal de Winchester et les gens qu'il amenait d’Angleterre. En peu de jours, avec les hommes qu'il avait-tirés des garnisons de Normandie, les Bourguignons et la milice de la commune de Paris, il se trouva à la tête de dix mille combattants. Le 4 août, il sortit de la ville et s'en alla par Corbeil et Melun jusqu'à Montereau ; de là il écrivit au roi une lettre où il le défiait, à peu près en ces termes :

« Nous, Jean de Lancastre, régent et gouverneur de France, savoir faisons à vous, Charles de Valois, qui aviez coutume de vous nommer dauphin de Viennois, et maintenant sans causes, vous dites roi : vous avez de nouveau formé entreprise contre la couronne et seigneurie de très-haut et très-excellent prince Henri, par la grâce de Dieu, vrai, naturel, droiturier roi de France et d'Angleterre ; vous donnez à entendre au simple peuple, que vous venez pour lui rendre paix et sûreté, ce qui n'est pas, et ne peut être d'après les moyens dont vous usez pour séduire ce peuple ignorant ; car vous vous aidez de gens superstitieux et réprouvés, comme d'une femme désordonnée et diffamée, portant habits d'homme, et de conduite dissolue ; et aussi d'un frère mendiant, apostat et séditieux ; tous les deux, comme nous en sommes informés, abominables à Dieu. Par force et par puissance d'armes, vous avez occupé au pays de Champagne aucunes cités, villes et châteaux appartenant à mon seigneur le roi, et vous avez contraint les sujets à se parjurer de la paix jurée, par les grands seigneurs, les pairs, les prélats, les barons et les trois États du royaume : Nous, pour garder et défendre le vrai droit de mon seigneur le roi, et nous rebouter hors de sa seigneurie, nous sommes mis sus et tenons les champs en notre personne ; et nous avons poursuivi et poursuivons de lieu en lieu sans avoir pu encore vous rencontrer. Nous, qui désirons de tout notre cœur l'abrègement de la guerre, nous vous sommons et requerrons, si vous êtes un prince qui cherchez l'honneur, d'avoir compassion du pauvre peuple chrétien, lequel tant longuement a été, pour votre cause, foulé, opprimé, et inhumainement traité ; et sans plus continuer la guerre, de prendre au pays de Brie, où nous sommes si proches l'un de l'autre, une place convenable et raisonnable, et un jour aussi prochain que peut le permettre notre proximité. Si vous voulez comparaître au jour, et à la place marquée, même avec cette femme indigne, cet apostat, tous les parjures que vous voudrez, et toute la puissance que vous pourrez avoir, nous y comparaîtrons aussi par le bon plaisir de notre roi, et pour représenter sa personne. Alors, si vous voulez offrir ou mettre en avant aucune chose touchant le bien de la paix, nous ferons ce qu'un bon prince catholique peut et doit faire ; car nous sommes toujours enclins à une bonne paix non dissimulée, qui ne soit ni parjurée, ni violée, comme à Montereau, où par votre coulpe et votre consentement s'ensuivit le terrible, détestable et cruel meurtre, commis contre l'honneur et la loi de chevalerie, sur la personne de mon cher et très-aimé père, le duc de Bourgogne, à qui Dieu pardonne ; par où les nobles et autres sujets de ce royaume et d'ailleurs sont demeurés quittes et exempts de vous, de votre seigneurie, et de tous serments de loyauté, subjection et feauté, comme vous l'aviez déclaré d'avance par vos lettres-patentes, signé es votre main et de votre scel.

« Toutefois, si par l'iniquité et la malice des hommes, on ne peut obtenir le bien de la paix, chacun de nous gardera, et défendra par l'épée, sa cause et sa querelle ; et Dieu, qui est seul juge, auquel mon seigneur doit répondre et non à aucun autre, lui en donnera la grâce. Nous le supplions humblement, lui qui sait et connaît le vrai droit et la légitime querelle de mon seigneur, de disposer à son plaisir, pour que le peuple de ce royaume puisse demeurer sans tort de foulement et d'oppression, en longue paix et en repos, comme tous les rois et princes chrétiens qui ont gouvernement doivent le requérir et demander. Ainsi faites-nous savoir hâtivement, sans plus différer, ni perdre de temps en écritures, ni en arguments, ce que vous en voudrez faire ; car si, par votre défaut, adviennent de plus grands maux, continuation de la guerre, pillerie, rançonnements, occisions, dépopulation du pays, nous prenons Dieu à témoin, et protestons devant lui et devant les hommes, que nous n'en serons point cause, que nous avons fait notre devoir, et que nous avons proposé des termes de raison et d'honneur, soit préalablement au moyen de la paix, soit par journée de bataille, comme il doit être par droit de prince, lorsqu'entré si grandes et puissantes parties, on ne peut faire autrement. »

Lorsque Bedford, héraut du régent anglais, eut porté cette lettre au roi de France, ce prince, et les chefs de guerre qui l'entouraient, montrèrent joyeuse contenance. « Ton maître, dit le roi, aura peu de peine à me trouver ; c'est bien plutôt moi qui le cherche[20]. » Les Français s'avancèrent encore un peu vers Paris, et placèrent leur camp près du château de Nangis. Tout fut disposé pour la bataille, avec prudence et habileté : C'était plaisir de voir le maintien guerrier de Jeanne, et sa diligence à ordonner les apprêts du combat. On disait qu'elle s'y entendait aussi bien qu'aucun homme d'armes, tant expert qu'il pût être[21].

Le duc de Bedford avait bien l'intention de recevoir la bataille, mais point de l'aller chercher ; quand il vit que le roi tenait la campagne, mais ne venait pas l'attaquer, il se hâta -de revenir à Paris, dont les Français étaient en ce moment plus près que lui. L'alarme y était déjà grande ; on avait fermé la porte Saint-Martin ; et la foire Saint-Laurent, où du reste il ne vint pas nombreuse foule, se tint pour cette fois dans la grande cour de l'abbaye Saint-Martin[22].

L'entreprise du roi sur Paris se trouvait ainsi manquée. Plusieurs de ses conseillers proposèrent alors de revenir vers la Loire[23]. Les chefs de guerre étaient d'avis contraire ; ils disaient que les ennemis n'ayant osé combattre, il fallait pousser en avant, et toujours conquérir. Le roi ne fut pas de leur opinion, et l'on marcha vers Brai pour y passer la Seine sur le pont ; mais les Bourguignons s'étaient, pendant la nuit, emparés de la ville ; ils défendaient le passage, et il fallait le gagner par la force. Ceci fit changer la résolution prise, et, à la grande joie de la Pucelle, du duc d'Alençon, du duc de Bar, et de la plupart des capitaines, on revint à Château-Thierry ; puis on s'avança jusqu'auprès de Dammartin, à dix lieues de Paris. Partout les habitants des villages et le pauvre peuple, espérant la fin de leurs misères, criaient : « Noël, » en voyant le roi, et couraient dans les églises chanter : Te Deum laudamus. La Pucelle, touchée à cette vue, dit alors au bâtard d'Orléans : « En mon Dieu, voici un bon peuple, et bien dévot. Quand je devrai mourir, je voudrais que ce fût en ce pays. — Jeanne, dit le Bâtard, savez-vous quand vous mourrez, et en quel lieu ? — Je ne sais, répliqua-t-elle, c'est à la volonté de Dieu ; j'ai accompli ce que Messire m'a commandé, qui était de lever le siège d'Orléans, et de faire sacrer le gentil roi. Je voudrais bien qu'il voulût me faire ramener auprès de mes père et mère qui auraient tant de joie à me revoir. Je garderais leurs brebis et bétail, et ferais ce que j'avais coutume de faire. » Parlant ainsi, ses yeux étaient tournés vers le ciel, et jamais les seigneurs, qui étaient là présents, n'avaient si bien vu qu'elle venait de la part de Dieu, et non du démon, ainsi que les Anglais s'obstinaient à le publier[24].

Sa grande renommée l'avait laissée aussi simple et aussi modeste. On voyait en elle la même piété ; elle était partout assidue aux églises, et priait tant qu'elle en avait le loisir. Sa chasteté et sa pudeur étaient si grandes, que sa présence chassait jusqu'aux mauvaises pensées des hommes d'armes et des grands seigneurs, qui parfois avaient fantaisie de lui faire des propositions déshonnêtes. Chaque soir elle allait prendre son logis dans la maison de la plus honnête femme du lieu, et souvent même couchait dans son lit ; autrement elle passait la nuit sans se désarmer, et jamais ne voulait quitter ses habillements d'homme ; afin, disait-elle, de mieux garder sa chasteté[25]. Elle était douce, surtout pour les pauvres gens, et les secourait quand elle pouvait. Pour ne les point rudoyer, et de crainte de leur faire de la peine, elle ne les renvoyait point lorsqu'ils venaient baiser ses mains et ses vêtements ; cette sorte d'adoration lui semblait néanmoins messéante ; car, sauf qu'elle se disait envoyée de Dieu, elle ne cherchait point à faire croire qu'elle eût un pouvoir miraculeux. Jamais on ne lui avait entendu dire, ou qu'elle ne serait point blessée, ou qu'elle pouvait empêcher quelqu’un de l'être. Beaucoup d'hommes d'armes qui n'étaient pas, il est vrai, de grands seigneurs, avaient quitté leur propre bannière, pour porter un étendard semblable au sien ; elle ne le donnait pourtant ni pour béni, ni pour merveilleux, pas plus que son épée. Elle tâchait de prêter courage à tous par son exemple et par sa confiance aux promesses de Dieu qu'elle publiait : c'était tout son savoir-faire. « Mon fait, disait-elle, n'est qu'un ministère[26]. » Et quand on répondait-que jamais on n'avait rien vu de pareil, même dans les livres, « Mon Seigneur, répliquait-elle ; a un livre où aucun clerc ne peut lire, tant parfait qu’il soit en cléricature[27]. »

Le duc de Bedford, sachant le roi si près de Paris, sortit encore une fois avec dix ou douze mille combattants, et vint se camper dans une forte position, au village de Mittry, près Dammartin. Les Français se placèrent de leur côté à Lagny-le-Sec, et attendirent la bataille. La Hire et d'autres allèrent reconnaître l'ennemi, et il y eut quelques escarmouches au village de Thieux, sur la Beuvronne. Le régent anglais était résolu à attendre l'attaque ; lorsqu'il vit que les Français avaient aussi la même volonté ; il retourna tout aussitôt à Paris. Il était toujours inquiet de ce qui pourrait s'y passer pendant que le roi en était si peu éloigné, et ne s'assurait pas beaucoup en la fidélité des Parisiens ; surtout lorsqu’il voyait toutes les villes du pays de France se soumettre l’une après l’autre avec empressement[28].

En effet, le roi reçut à ce moment même la soumission de Compiègne et de Beauvais, d'où les habitants avaient chassé leur évêque, Pierre Cauchon ; bien qu'il fût natif de France, il était toujours un des plus furieux pour le parti anglais.

Le duc de Bedford, sur ces nouvelles, quitta encore Paris, craignant que le roi ne prît route vers la Normandie. Les Anglais voulaient, avant tout, garder cette province. C'était là qu'ils avaient jeté l'ancre en France. Leurs communications avec l'Angleterre étaient promptes et faciles par cette voie ; en outre, leur pensée était toujours qu'ils la pourraient garder, même s'il leur fallait traiter avec le roi de France. Le régent se porta donc, avec toute sa puissance, vers Senlis. Le roi était à Crespy. Il se rapprocha aussi de Senlis, et campa près du village de Baron, sous le mont Piloy. Saintrailles et Antoine de Loré furent envoyés pour reconnaître l'ennemi ; il était arrivé par la route de Senlis, avait passé la rivière de Nonette, qui coule de Baron à Senlis, et commençait à se retrancher. Le duc de Bedford prit soin de choisir une forte situation près de l'abbaye de la Victoire, fondée jadis par Philippe-Auguste, après la bataille de Bovines. Des haies et des fossés couvraient les flancs ; la rivière et un grand étang étaient par derrière. Sur le front, les archers avaient planté leurs pieux aiguisés, et se tenaient serrés. Dans ce camp anglais, la bannière de France était portée en même temps que la bannière d'Angleterre ; c'était le sire de l'Isle-Adam qui la tenait. Toute la droite était formée des Picards et des Bourguignons, au nombre de sept ou huit cents hommes d'armes. Les meilleurs chevaliers du duc Philippe se trouvaient là. Les sires de Croy, de Créquy, de Béthune, de Fosseuse, de Saveuse, de Lannoy, de Lalaing, le bâtard de Saint-Pol, et d'autres jeunes seigneurs, furent armés chevaliers par le duc de Bedford. Personne ne doutait que quelque grande bataille ne fût sur le point de se livrer.

Du côté des Français, tout se disposait avec non moins de prudence ; l'avant-garde était commandée par le duc d'Alençon et le comte de Vendôme ; le corps de bataille par les ducs de Bar et de Lorraine ; les maréchaux de Boussac et de Raiz conduisaient un troisième corps qui formait l'aile de l'armée. Le sire de Graville grand-maître des arbalétriers, et Jean Foucault chevalier limousin, menaient les archers.

Le roi avait pour la garde' de sa personne, le comte de Clermont ; le sire de la Trémoille, et beaucoup d'autres, composant une assez nombreuse compagnie d'hommes d'armes. Enfin une autre troupe, avec le sire d'Albret, le bâtard d'Orléans, la Hire, Saintrailles, était destinée à se porter d'un lieu à l'autre, et à engager, es escarmouches avec les Anglais. C'était là qu'était la Pucelle ; quelques-uns racontaient qu'elle était incertaine et diverse dans ses paroles : tantôt disant qu'il fallait combattre, tantôt qu'il ne le fallait point[29].

Le roi semblait avoir grande envie d'attaquer ; lui-même, avec le sire de la Trémoille et le comte de Clermont, chevaucha plus d'une fois au front de son armée, non loin des Anglais, qui n'étaient qu'à deux traits d'arbalète des Français. Mais l'ennemi était si bien retranché et dans une place si forte, qu'il Y. aurait eu un très - grand danger à attaquer. Le roi fit savoir au duc de Bedford, que s'il, voulait sortir de son parc, on combattrait ; mais il ne répondit point. Alors on tenta, d'attirer les Anglais en rase campagne. Beaucoup de vaillants Français, soit à pied, soit à cheval, venaient jusqu'à leurs fortifications pour les provoquer au combat ; quelques-uns sortaient en effet, surtout parmi les Picards et les Français du parti anglais ; ainsi s'engageaient de fortes escarmouches, où de chaque côté on venait secourir les siens, lorsqu'ils étaient repoussés. Jamais on n'avait de part et d'autre combattu avec tant de vaillance, de haine et de cruauté. On ne faisait nulle merci ; aucun homme, de quelque état qu'il fût, n'était admis à rançon : tous étaient mis à mort sans miséricorde[30]. Le sire de la Trémoille courut ainsi un grand péril ; c'était un des plus brillants chevaliers parmi ceux du parti du roi. Il voulut se distinguer ce jour-là par quelque fait d'armes. Monté sur un grand coursier, couvert d'une armure magnifique, il mit la lance au poing, serra les éperons, et se lança à travers l'escarmouche. Par malheur son cheval s'abattit, et l'on eut grand’peine à le retirer du milieu des ennemis[31].

Sur le soir, au coucher du soleil, le combat devint plus vif entre les Français et les Picards qui étaient sortis de leur enceinte. La chaleur était grande ; le jour baissait ; à peine pouvait-on se reconnaître à travers les nuages de poussière. Les archers français s'étaient approchés, et tiraient serrés contre les Anglais, qui répondaient de la même sorte. La foule des combattants s'accroissait de moment en moment. Les hommes qui avaient l'expérience de la guerre, voyant comme l'affaire s'engageait, n'hésitaient pas à croire qu'elle finirait par la complète destruction d'un des deux partis. Cependant quand la nuit fut tombée, les Français retournèrent à leur camp sous le mont Piloy.

Le duc de Bedford vint aussitôt le long de la troupe des Picards, et il s'arrêtait de place en place pour les remercier de leur vaillance : « Mes amis, disait-il, vous êtes de braves gens ; vous avez supporté pour nous tout le poids de la bataille ; nous vous remercions bien grandement, et nous vous prions, s'il nous survient d'autres affaires, de vous comporter avec la même hardiesse. » Le bâtard Saint-Pol et le sire Jean de Croy s'étaient distingués entre tous. Le dernier avait reçu une blessure à la jambe[32].

Le roi, s'étant ainsi assuré que les ennemis ne voulaient jamais sortir de leurs remparts, revint à Crespy, et prit sa route vers Compiègne, qui venait de lui ouvrir ses portes. Le duc de Bedford retourna à Paris ; mais malgré l'inquiétude qu'il avait sur cette ville, il n'y resta guère. Les affaires des Anglais étaient chaque jour en plus mauvais état. Toutes les villes se rendaient au roi. Le connétable s'avançait dans le Maine ; il avait pris Gallerande, Rameffort et Malicorne. On craignait qu'il ne marchât sur Évreux. La Normandie même commençait à ne plus être si assurée aux Anglais. De tous côtés les Français reprenaient courage, formaient des entreprises, et trouvaient partout des intelligences. Ainsi revinrent entre leurs mains Aumale et Torcy près de Dieppe, Etrépagny proche Gisors, Bon-Moulin et Saint-Célerin du côté d'Alençon.

Mais ce qui devait sembler plus grave au régent anglais, le duc de Bourgogne négociait avec le roi ; il avait reçu ses ambassadeurs à Arras, et depuis les premiers jours du mois d'août, de publics pourparlers avaient lieu dans cette ville. C'était donc le moment de s'assurer de la Normandie, et de veiller sur la plus précieuse conquête des Anglais. Il envoya au duc de Bourgogne deux de ses conseillers flamands, l'évêque de Tournay et le sire de Lannoy, pour lui rappeler ses serments, et l'empêcher de traiter[33] ; puis, laissant Paris entre les mains de Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, chancelier de France pour les Anglais, du sire de l'Isle-Adam et des capitaines picards, de Simon Morhier prévôt de Paris qui y avait grande autorité et avait commandé la milice à la journée des. Harengs, et de sir Thomas Ratcliff, chef des Anglais, qu'avait amenés le cardinal de Winchester, le duc de Bedford s'en alla à Rouen tenir les États de Normandie, et leur faire de grandes promesses, pour les engager à ne le point abandonner.

Le roi n'avait pas moins d'intérêt à se réconcilier avec le duc de Bourgogne, que les Anglais à le conserver pour ami. Ainsi la puissance de ce prince ne pouvait que s'accroître par le besoin que les deux partis avaient de lui. Le chancelier et les ambassadeurs de France avaient d'abord été admis en sa présence, devant son conseil, ses chevaliers et ses principaux serviteurs[34], et s'étaient résolus à proposer les conditions suivantes :

1° Le roi Charles reconnaîtra par lui-même ou par ses fondés de pouvoir que l'événement de la mort du duc Jean était mauvais et damnable : que cette mort a été consommée damnablement et par mauvais conseil : qu'elle lui déplaît de tout sou cœur, et que s'il avait alors eu autant d'âge et d'entendement qu'aujourd'hui, il y eût pourvu ; mais il était en ce temps-là bien jeune, avait peu de connaissance, et ne sut point y aviser. Il priera le seigneur de Bourgogne d'ôter de son cœur la rancune et la haine qu'il peut avoir conçues contre lui à ce sujet, et d'avoir entre eux bonne paix et amour.

2° Le roi Charles abandonnera ceux qui accomplirent cette action ou y consentirent ; et s'il les peut tenir, les punira ; autrement il les bannira à jamais, sans grâce ni rappel ; et ils seront hors de tous traités.

3° Le roi Charles fondera à Montereau une chapelle de vingt-quatre chartreux pour le repos de l'âme du feu duc Jean et des autres trépassés pendant les guerres.

4° On restituera les joyaux que le duc Jean avait sur lui lors de son décès.

5° Le duc de Bourgogne conservera les terres et seigneuries provenant de la couronne qu'il tient aujourd'hui ; d'autres lui seront données.

6° Les dettes pour pensions, dons ou autres causes que le feu roi avait envers le duc de Bourgogne seront payées.

7° Le seigneur de Bourgogne et ses sujets sont exempts de faire aucun serment de feauté au roi Charles, et ledit seigneur n'aura aucune obligation envers lui.

8° On restituera les biens et joyaux de ceux qui furent présents au décès du duc Jean.

9° Abolition générale sera accordée, et chacun recouvrera ses biens, sauf certaines exceptions.

10° Pour sûreté, il sera donné des otages, et consenti des peines corporelles et séculières aussi bien que des soumissions à l'Église.

Le Duc reçut avec bonté ces premières propositions, promit d'y répondre, et commit plusieurs de ses conseillers pour en conférer avec les ambassadeurs du roi, et aussi avec les ambassadeurs qu'avait envoyés le duc de Savoie[35], que chacune des parties avait prié de se porter pour médiateur.

Ils ajoutèrent que, pour parvenir à une paix générale et même pour traiter celle-ci, il fallait conclure une suspension de guerre, et assigner un temps et un lieu convenables pour traiter.

Ce fut à ce moment qu'arrivèrent de Paris l'évêque de Tournay et le sire de Lannoy, pour représenter au duc Philippe, de la part du régent anglais, ses engagements avec l'Angleterre. Par-là, les négociations se trouvèrent retardées, et le Duc résolut d'envoyer une ambassade au roi de France pour connaître mieux ses intentions. Cependant tout le monde, et surtout les gens de bas et de moyen état se réjouissaient de cette paix[36]. Les ambassadeurs du roi de France étaient fêtés de tous, et bien qu'il n'y eût encore ni paix ni trêve, bien que ce fût dans une ville dont le duc de Bourgogne était seigneur direct, on venait en foule s'adresser au chancelier pour avoir de lui des lettres de rémission, des ordonnances royales, et d'autres expéditions, comme si le roi eût retrouvé sa pleine puissance. Les chevaliers et les conseillers de Bourgogne se montraient hautement favorables à la paix ; ils avaient le cœur français, et n'avaient jamais incliné pour l'Angleterre, comme les conseillers flamands ; ceux-ci songeaient toujours au commerce et à la richesse de leur province.

Jean de Luxembourg, l'évêque d'Arras et les sires de Brimeu et de Charny arrivèrent à Compiègne avec les ambassadeurs de France et de Savoie[37]. Le roi fit mettre sous ses yeux les articles que ses ambassadeurs avaient cru nécessaire de proposer. Ils furent examinés dans le conseil où se trouvaient le duc de Bar, le comte de Clermont, M. de Vendôme, M. d'Albret, le chancelier, les évêques de Séez et de Castres, M. de la Trémoille, le bâtard d'Orléans, les seigneurs de Trèves, de Gaucourt, d'Argenton, de. Mareuil, de Mortemart, et le doyen du chapitre de Paris.

Le roi et son conseil firent peu d'observations sur ces articles[38] ; on demanda, 1° que le duc de Bourgogne nommât une fois pour toutes ceux qu'il suspectait de la mort de son père, afin qu'il leur fût permis de présenter leur justification selon le droit et la coutume, et qu'après cette nomination personne ne pût être inquiété à ce sujet.

2° On désigna particulièrement les seigneuries qui pourraient être détachées de la couronne pour être ajoutées à l'apanage du Duc ; les principales étaient les comtés d'Auxerre et de Mâcon.

3° On se réserva de discuter les dettes réclamées par le Duc.

4° On expliqua formellement que lui seulement, et non pas ses héritiers et successeurs, serait dispensé du serment de feauté envers le roi vivant, mais non pas envers les héritiers et successeurs du roi.

5° On ne voulut point d'exception à la remise générale faite à chacun de ses biens, sans remboursement de dommages.

6° Le roi se refusa absolument à donner des otages pour sûreté du traité.

Enfin, comme le Duc voulait que les Anglais fussent admis- à traiter, le roi déclara qu'il y consentait, pourvu que les princes prisonniers en Angleterre depuis quinze années fussent délivrés ou admis à rançon. Il s'engagea aussi d'avance à abandonner toute la Guyenne jusqu'à la Dordogne.

Telles furent les conditions arrêtées à Compiègne le 27 août pour servir à négocier la paix définitive. En attendant, une trêve fut conclue le 28 pour les pays de la rive droite de la Seine, depuis Nogent jusqu'à Honfleur. Paris était excepté, ainsi que les villes servant de passage sur la rivière. Le roi se réservait de les attaquer, et le Duc de les défendre. La trêve devait être commune aux Anglais, toutefois après leur consentement.

Pendant qu'on traitait ainsi à Compiègne, la guerre avait continué avec la même activité. La Hire avec quelques hardis compagnons s'en alla jusqu'à sept lieues de Rouen, devant la forteresse de Château-Gaillard, passa la Seine durant la nuit, et donna l'assaut. Le commandant anglais, qui se nommait Kingston, se voyant surpris, obtint la vie sauve, et se hâta de partir[39]. On trouva dans le château le braye sire de Barbazan, qui, depuis neuf ans qu'il avait été pris à Melun, vivait en prison. Il était enfermé dans une étroite cage de fer. On en rompit les barreaux ; mais le chevalier ne voulut point sortir. Il avait promis à Kingston d'être son loyal prisonnier, et il fallait que sa parole fût dégagée. On envoya courir après ce capitaine anglais, qui revint délivrer le sire de Barbazan. Le roi fut bien joyeux de revoir cet illustre et vaillant chevalier, qu'on tenait presque pour mort.

A peine les Anglais avaient-ils 'quitté Senlis, que les habitants envoyèrent présenter leur soumission au roi. Il résolut alors de s'approcher encore de Paris, où le duc de Bedford n'était plus[40]. On eût été mieux assuré de trouver en Picardie des villes et forteresses sans défense, et des habitants tous portés de bonne volonté pour le roi[41] ; mais c'était s'approcher beaucoup des frontières du duc de Bourgogne, qui pouvait mettre ses gens d'armes en campagne ; ce motif et l'espoir d'arriver à la paix avaient décidé le conseil â conclure la trêve. D'ailleurs les pourparlers continuaient, et les ambassadeurs de Savoie et de Bourgogne suivaient le roi. Ce fut donc à Senlis qu'il se rendit. Déjà son avant-garde avait, dès le 25 août, pris Saint-Denis qui ne s'était point défendu, et dont les principaux habitants se retirèrent à Paris[42] ; lui-même y arriva le 29 août. Toute la contrée se soumettait à l'envie. Creil, Chantilly, Gournay-sur-Aronde, Luzarches, Choisy, Lagny, firent actes d'obéissance. Les seigneurs de Montmorency et de Mouy prêtèrent leur serment au roi et se mirent à son service[43].

Il y avait quelque espoir d'entrer dans Paris. La ville était défendue par peu de gens de guerre, et l'on pouvait croire que les partisans du roi, le sachant si proche avec toute sa puissance, se déclareraient fortement. Néanmoins, tout le conseil n'était pas d'opinion qu'il fallût essayer cette entreprise[44]. Le sire de la Trémoille ne le voulait point ; d'autres aussi pensaient que les termes où l'on était avec le duc de Bourgogne, que l'assurance donnée chaque jour par messire de Luxembourg du désir de faire la paix, que les paroles meilleures encore du sire de Charny qui avait laissé penser que son maitre remettrait bientôt Paris aux mains du roi, que la médiation du duc de Savoie, valaient mieux qu'une attaque incertaine, et que tout pourrait échouer ou se retarder beaucoup, si cette attaque venait à manquer[45].

Mais la Pucelle s'assurait d'entrer à Paris, et elle avait alors plus grande renommée que jamais[46]. Elle s'en vint avec l'avant-garde où commandaient le duc d'Alençon, les maréchaux de Raiz et de Boussac, le sire d'Albret, le comte de Vendôme et les principaux chevaliers, loger à la chapelle Saint-Denis. Toute l'armée du roi se répandit dans les villages voisins, devant les portes Saint-Honoré et Saint-Denis.

Il y avait plus à compter sur les intelligences qu'on pourrait pratiquer dans la ville, que sur le succès de l'assaut. Le duc d'Alençon écrivit au prévôt de Paris, au prévôt des marchands, aux échevins, les appelant chacun par leur nom ; leur parlant un langage doux et flatteur, leur faisant des promesses[47]. Ils en furent peu touchés ; c'étaient des gens dévoués aux Anglais et aux Bourguignons. Le Parlement, les magistrats de tout rang, les quarteniers, avaient pour la plupart trop offensé le roi pour se fier à sa bonté ; ils se souvenaient trop d'avoir mis à mort ses plus fidèles serviteurs, lors du massacre des Armagnacs[48] ; aussi rien ne fut-il oublié pour se bien défendre. Les barrières furent réparées, les fossés creusés ; des pierres furent entassées sur les murailles, les serments furent renouvelés publiquement ; les dépôts judiciaires, l'argent des églises, la bourse des principaux bourgeois, furent mis à contribution pour payer les gens d'armes. La populace fut animée contre messire Charles de Valois et les Armagnacs ; on lui fit accroire que la ville de Paris devait, si elle était prise, être renversée, et que la charrue devait en labourer la place[49].

La façon dont se comportaient les gens d'armes de France ne pouvait que donner crédit à ces mensonges ; ils ne recevaient point de paye, et la victoire les rendait insoleras ; de sorte qu'ils se livraient à mille désordres ; rien ne les pouvait retenir. La Pucelle en cela n'était point écoutée. Son courroux était si grand, qu'un jour, rencontrant des gens d'armes qui faisaient la débauche avec une fille de mauvaise vie, elle se mit à les battre du plat de son épée, si fort que l'arme se rompit. C'était l'épée trouvée dans l'église de Fierbois, et qui venait de faire de si belles conquêtes. Ce fut un sujet de chagrin pour tous, et même pour le roi. « Vous deviez, dit-il à Jeanne, prendre un bon bâton et frapper dessus, sans aventurer ainsi cette épée qui vous est venue divinement, comme vous dites[50]. » La Pucelle en eut aussi beaucoup de regret ; elle était bien attachée à cette épée, parce qu'elle venait de l'église de Sainte-Catherine qu'elle aimait tant. Toutefois elle préférait beaucoup, voire quarante fois mieux son étendard, disait-elle. Car elle se servait peu de l'épée[51]. Elle ne voulait tuer personne, et se contentait de s'en aller la première, avec son étendard, écartant ceux qui l'attaquaient avec la lance ou avec une petite hache qu'elle portait suspendue à sa ceinture.

Enfin, après huit jours passés à Saint-Denis, les Français se présentèrent devant la porte Saint-Honoré, et se rangèrent en bataille dans le marché aux pourceaux, sous la butte des Moulins, à peu près au lieu où est aujourd'hui la rue Traversière. Ils amenaient avec eux une nombreuse artillerie qu'ils placèrent sur la hutte, et un grand nombre de chariots remplis de fagots et de fascines pour combler les fossés[52].

Les Parisiens étaient pour lors à la grand' messe ; c'était le jour de la Nativité de la Vierge[53]. Tout à coup le bruit se répandit que les Armagnacs attaquaient la ville. Ceux qui les favorisaient criaient : « L'ennemi est entré, tout est perdu. » Mais il n'y eut aucune émeute ; presque tous les habitants rentrèrent aussitôt chez eux, dans l'angoisse de ce qui allait advenir ; d'autres s'en allèrent bravement défendre Paris, et se joindre aux Anglais, aux Bourguignons et à la milice, qui s'étaient portés au lieu attaqué. Les Français voyaient aller et venir, le long des murailles, les étendards des chevaliers bourguignons, et la bannière blanche à la croix rouge.

Bientôt le combat s'engagea main à main. Jeanne et quelques chevaliers, entre autres le sire de Saint-Vallier, s'en allèrent attaquer la première barrière ; ils y mirent le feu et entrèrent ainsi dans le boulevard du dehors. Il y avait encore deux fossés avant d'arriver à la muraille. La Pucelle voulut continuer Patraque ; elle voyait que le premier fossé n'était pas difficile à passer, mais le second était profond et rempli d'eau. Quelques-uns des hommes d'armes auraient bien pu le lui dire ; mais sans doute, parce que Jeanne commençait à leur déplaire et à exciter leur envie, ils la laissèrent aller[54].

Si toute la puissance des Français se fût employée à cet assaut, les Anglais, pendant temps-là, auraient pu sortir par la porte Saint-Denis et tomber sur les assaillants. Aussi le duc d'Alençon, le comte de Clermont, le sire de Montmorency, qu'on venait de faire chevalier, et la plus grande part des capitaines restèrent en bataille au flanc de la butte des Moulins, qui les mettait à l'abri de l'artillerie des Parisiens.

Pendant ce temps-là, Jeanne, le maréchal de Raiz et d'autres seigneurs en assez bon nombre, passèrent aisément le premier fossé. Quand on fut au second, on le vit large, profond, rempli d'eau et de boue ; la Pucelle s'en allait, sondant de place en place avec sa lance où l'on pourrait risquer le passage. Elle ne s'épouvantait point, et commanda qu'on apportât les fagots et les fascines pour essayer de le combler[55]. Ou lui obéissait vaillamment, et les Français semblaient résolus à ce périlleux assaut. Non-seulement les canons et les coulevrines portaient en cet endroit, mais les traits des archers y pleuvaient sans relâche. Les gens des deux partis, qui se voyaient et s'entendaient, s'adressaient mille menaces et mille injures. Jeanne leur criait : « Rendez la ville au roi de France, » et ne recevait pour toute réponse que des outrages grossiers et des paroles déshonnêtes. Rien ne pouvait l'arrêter ni la troubler. Mais bientôt, atteinte d'une flèche à la jambe, ayant vu tomber le vaillant homme d'armes qui portait son étendard, elle fut contrainte de se coucher par terre, sur le revers du tertre qui séparait les deux fossés. Là, elle ordonnait encore l'attaque, et ne voulait point qu'on se retirât de l'assaut. Cependant la nuit approchait ; il n'y avait nul espoir de passer ce fossé profond ; on n'apercevait point qu'aucun mouvement eût éclaté parmi les habitants de la ville. L'ordre arriva du seigneur de la Trémoille pour revenir vers Saint-Denis[56]. Jeanne ne voulait point entendre parler de s'en aller ; chacun s'en retournait qu'elle restait encore couchée près du fossé, sans écouter les remontrances qu'on lui pouvait faire ; toutes les instances étaient inutiles. Le duc d'Alençon l'envoya conjurer de se laisser ramener ; enfin il vint lui-même la chercher, et parvint à la décider[57].

La retraite des Français ne fut troublée par aucune sortie. Ils ramassèrent leurs, morts qui étaient en assez grand nombre, les enfermèrent dans une grange de la ferme des Mathurins, et les brûlèrent[58].

Le voyage du roi vers Paris était maintenant sans but ; il manquait d'argent ; il se trouvait loin des provinces qui pouvaient lui en donner et fournir des munitions[59]. Le régent allait revenir avec de plus grandes forces. Les gens d'armes ne se sentaient plus le même espoir ni le même courage. La discorde régnait dans le conseil ; les uns rappelaient qu'ils n'avaient pas voulu cette attaque de Paris, les autres que, si elle eût été entreprise avec plus de forces et continuée avec plus de constance, un parti se fût déclaré dans Paris pour le roi. Beaucoup murmuraient contre la Pucelle, qui leur avait promis, disaient-ils, de coucher cette nuit même à Paris[60]. Enfin, dans ce chagrin de tous, il fut résolu de retourner vers la Loire. Jeanne, sans doute avec la volonté de quitter le service de guerre, suspendit son armure blanche sur le tombeau de saint Denis, avec une épée qu'elle avait conquise sur un Anglais dans l'assaut de Paris. Mais on s'employa si bien à la consoler ; on loua si fort sa bonne volonté et sa vaillance ; on lui répéta tellement que si l'on eût fait tout ce qu'elle avait dit, la chose eût mieux réussi, qu'elle consentit à suivre le roi. Depuis elle assura que l'entreprise sur Paris s'était faite contre le conseil de ses voix, et qu'elle avait eu tort de ne leur point obéir.

Le roi laissa de fortes garnisons et de vaillants capitaines dans les forteresses qu'il avait conquises. Guillaume de Flavy fut capitaine de Compiègne ; Ambroise de Loré à Lagny ; Jacques de Chabannes à Creil ; le comte de Vendôme à Saint-Denis et à Senlis. Le chancelier et le comte de Clermont devaient se tenir à Beauvais, pour continuer à traiter avec les ambassadeurs de Bourgogne. Puis le roi, prenant la route de Lagny, de Provins, de Bray et de Sens, revint à Gien et dans les provinces de la Loire.

A peine les Français se furent-ils éloignés, que le duc de Bedford rentra à Paris ; bientôt le duc de Bourgogne se mit en route pour y venir aussi, et ramener sa sœur qui venait de passer deux mois avec lui. Il avait annoncé au roi de France qu'il allait faire ce voyage, et qu'il s'emploierait à traiter de la paix, aussi avait-il un sauf-conduit[61]. En outre, les capitaines de Compiègne et de Pont-Sainte-Maxence avaient ordre de lui remettre ces villes pour assurer le passage des rivières de l'Aisne et de l'Oise. Mais Guillaume de Flavy, désobéissant au commandement qu'il avait reçu, refusa de donner entrée dans sa ville[62].

Le Duc voyageait avec grand appareil, accompagné de trois ou quatre mille combat-tans. Sa sœur la duchesse de Bedford cheminait près de lui, suivie de ses femmes, montées comme elle sur de belles haquenées. Lorsque ce noble cortége passa devant la ville de Senlis, les Français sortirent en foule pour voir le Duc. Le chancelier de France se présenta pour lui rendre ses hommages, et bientôt après arriva aussi le comte de Clermont, accompagné d'environ soixante chevaliers. Les deux beaux-frères ôtèrent leurs chaperons, se saluèrent courtoisement ; mais ne s'embrassèrent point, et leur maintien ne témoignait ni joie, ni amitié. Le comte de Clermont se tourna ensuite vers sa sœur, madame de Bedford, et l'embrassa. L'entrevue ne se prolongea point davantage, et le Duc montra, par l'air de son visage, qu'il ne voulait point entrer en conférence avec son beau-frère ni le chancelier. Il poursuivit sa route vers Paris. Son entrée 'fut solennelle. Le duc de I3edford, les gens du conseil, les prévôts et les échevins, vinrent au-devant de lui. Le régent l'embrassa tendrement ; chacun lui faisait honneur. Le peuple criait Noël, et jamais ne lui avait montré tant d'affection. Précédé des hérauts et des trompettes, il suivit la rue Saint-Martin et la rue Maubuée, pour aller rendre grâces à Dieu d'ans l'église Sainte-Avoie. De là, il conduisit sa sœur à l'hôtel Saint-Paul, où demeurait le régent[63].

Pour lors commencèrent de grands conseils, où, voyant le désir général des Parisiens, et combien ils étaient peu amis des Anglais, le duc de Bedford, à son grand regret sur la demande expresse de l'Université, du Parlement et de la bourgeoisie, consentit à remettre la régence au duc de Bourgogne, et à se contenter du gouvernement de la Normandie.

Le duc Philippe se fit beaucoup prier par son beau-frère, par le cardinal de Winchester, par les Parisiens. La suite fit voir bientôt après que les Anglais faisaient sagement de suivre enfin le conseil de leur roi Henri V, et de ne rien ménager pour conserver l'amitié du duc de Bourgogne. Cependant il ne rompit point encore ouvertement les négociations commencées avec la France. Le chancelier et les conseillers du roi arrivèrent, sur un sauf-conduit, de Senlis à Saint-Denis. Les sires de Luxembourg et de Lannoy s'y rendirent de leur côté. Par-suite de ces pourparlers, la trêve conclue à Compiègne, qui-avait, le 28 septembre, été étendue à la ville de Paris et aux ponts de Saint-Cloud et de Charenton, fut solennellement publiée à Paris en même temps que la régence du duc de Bourgogne. Deux jours après il écrivit au duc de Savoie, lui témoigna encore son désir de faire la paix, et l'espérance d'y voir consentir son beau-frère le duc de Bedford[64]. Il indiquait comme lieu de conférences la ville d'Auxerre, et priait le duc de Savoie de s'y rendre en personne pour servir de médiateur conjointement avec le sire de Luxembourg, les cardinaux que le pape avait conjuré d'y envoyer, et les ambassadeurs de l'empereur. Les envoyés du duc de Savoie s'en allèrent de là auprès du roi, à Issoudun, et il écrivit dans le même sens à leur maître.

Mais on ne croyait plus à toutes ces protestations pacifiques. Chacun, de son côté, s'apprêtait à reprendre la guerre avec plus de force. La trêve devait finir à Noël ; en attendant elle n'était observée par personne. Les capitaines des garnisons françaises n'obéissaient en aucune façon au comte de Clermont, que le roi avait laissé pour son lieutenant dans les pays de la rive droite de la Seine. Chacun faisait à son gré des entreprises sur l'ennemi ; les Anglais et les Bourguignons s'efforçaient aussi de reprendre les forteresses qu'ils avaient perdues[65]. Ainsi la contrée était redevenue plus malheureuse que jamais. Les ravages s'étendaient jusqu'à la porte de Paris ; la disette y avait recommencé, et les cinq ou six mille Picards, que le duc de Bourgogne avaient amenés, ne faisaient qu'accroître le désordre. Pour observer la trêve, on ne les employait pas contre les Français, mais ils pillaient leurs hôtes à Paris, et dans les villages où ils étaient logés. Ce fut là tout ce que les Parisiens tirèrent de ce duc de Bourgogne qu'ils avaient si bien reçu. Après quinze jours, le duc de Bedford étant parti pour Rouen avec les Anglais, le Duc s'en alla aussi avec presque tous ses gens, laissant la ville sans défense ; seulement pour apaiser les murmures, il recommanda publiquement que, si les Armagnacs revenaient, on eût à se bien défendre, et confia le gouvernement de Paris au maréchal de l'Isle-Adam.

Il était en effet pressé de retourner en Flandre[66]. Déjà, depuis assez longtemps, il avait négocié son mariage avec madame Isabelle, fille du roi Jean Ier de Portugal et de madame Philippe de Lancastre. Les sires de Roubais et de Toulongeon, de Noyelle et d'autres seigneurs bourguignons[67], étaient allés la chercher ; elle s'était embarquée avec un des infans ses frères, pour arriver par mer en Flandre. Déjà elle était en vue du port de l'Écluse, on s'assemblait sur le rivage pour fêter sa venue, lorsqu'une furieuse tempête la rejeta en mer. On fut plusieurs jours sans savoir ce qui lui était advenu, et craignant qu'elle n'eût péri dans quelque naufrage. C'était l'inquiétude qu'avait le duc Philippe, lorsqu'il quitta ainsi Paris en toute hâte. Peu après il sut que le vaisseau, longtemps ballotté sur la mer, avait enfin été jeté sur la côte d'Angleterre[68] ; la princesse avait reçu bon accueil des gouverneurs de ce royaume, qui même lui avaient prêté cent livres pour ses dépenses. A son arrivée en Flandre elle fut reçue avec une magnificence jusqu'alors inconnue, et qui surpassait le faste déjà si célèbre, de la maison de Bourgogne. Ce fut à Bruges, le 10 janvier 1430, que les noces se célébrèrent. Le Duc avait fait construire des salles toutes neuves pour agrandir son- château. Les rues étaient tendues de ces beaux tapis de Flandre, tels qu'ou n'en faisait nulle part de pareils. La duchesse de Bedford, la duchesse de Clèves, étaient venues faire honneur au mariage de leur frère. La comtesse de Namur, la comtesse de Lorraine, madame de Luxembourg et d'autres nobles darnes formaient aussi le cortége de la nouvelle Duchesse. Les grands seigneurs et les puissants gentilshommes étaient en foulé à ces cérémonies. Corinne eux, les riches bourgeois de Bruges, qui commerçaient dans tout le monde, rivalisaient de luxe et de dépense. Les fêtes' durèrent huit jours entiers sans interruption ; non-seulement le palais, mais la ville 'étaient nuit et jour en festin, en danses, en courses de chevaux, en jeux de toute sorte. Bien ne parut plus splendide que trois fontaines placées devant le palais. L'une était un lion de pierre, et versait sans cesse du vin du Rhin ; l'autre un cerf, d'où coulait du vin de Beaune ; la troisième était une licorne qui, aux heures des repas, faisait jaillir de l'eau de rose pour se laver les mains, puis tour à tour du vin de Malvoisie ; du vin de la Romanée, du yin muscat et de l’hypocras. Aussi ne voyait-on par toute la ville que gens de populace, ivres, se gourmant les uns les autres, ou couchés çà et là dans les rues ; tandis que, dans le palais, ceux qui approchaient du Duc se livraient à de plus nobles divertissements[69]. Il régla pour sa femme un train de maison bien plus magnifique et composé d'un beaucoup plus grand nombre de serviteurs que n'en avait aucune reine de la chrétienté[70].

Il donna ainsi à ce troisième mariage un tout autre éclat qu'aux deux premiers, soit qu'il se trouvât alors plus comblé de gloire et de prospérité, soit qu'il voulût faire paraître plus de galanterie envers cette nouvelle épouse. Ce fut à cette occasion et à cause d'elle, dit-on, qu'il prit la devise : Autre n'aurai, l'appliquant sans doute au mariage seulement ; car pour les amours il ne s'en fit faute pas plus après qu'auparavant. En ce moment même on racontait qu'il aimait beaucoup une dame de Bruges ; et ce fut en son honneur, selon le bruit populaire, qu'il institua ce fameux ordre de la Toison-d'Or, le plus grand ornement sans doute de la fête de son mariage, et qui lui sembla toujours depuis un des plus beaux signes de sa gloire et de sa puissance. On disait qu'il avait voulu venger cette dame des moqueries de quelques seigneurs de sa cour, et leur proposer pour objet d'ambition et d'envie un souvenir de cette couleur dorée, qu'ils avaient indiscrètement raillée[71].

Quoi qu'on en ait dit, le duc Philippe donna et eut sans doute de plus dignes motifs pour instituer, dans une occasion solennelle, une chevalerie si conforme à ses nobles inclinations, et au goût qu'il montra toute sa vie pour ce genre de cérémonies et de devoirs. Voici comment il exposa sa pensée, lorsqu'un an après, il régla en définitif son ordre de la Toison-d'Or, dont les vingt-quatre premiers chevaliers avaient paru dans tout leur éclat au mariage.

« A tous présents, à venir, savoir faisons qu'à cause du grand et parfait amour que nous avons pour le noble état et ordre de chevalerie, dont par notre ardente et singulière affection 'nous désirons accroître encore l'honneur, afin que par son moyen, la vraie foi catholique, l'état de notre sainte mère l'Église, la tranquillité et la prospérité de la chose publique, soient, autant qu'ils peuvent l'être, défendus, gardés, et conservés ; nous, pour la gloire et la louange du Créateur tout-puissant et de notre Rédempteur, pour la vénération de la glorieuse Vierge sa mère, pour l'honneur de monseigneur saint André, glorieux apôtre et martyr, pour l'exaltation de la foi et de la sainte Église, pour l'excitation aux vertus et aux bonnes mœurs, le 10 de janvier 1429, qui était le jour de la solennité du mariage célébré à Bruges entre nous et nôtre très-chère et très-aimée épouse  Élisabeth, avons institué, créé et ordonné, comme par les présentes nous instituons, créons et ordonnons un ordre et confrérie de chevalerie et d'association amicale d'un certain nombre de chevaliers que nous avons voulu appeler du nom de la Toison-d'Or conquise par Jason, et sous les conditions ci-après[72]. »

L'ordre devait se composer de trente-et-un chevaliers, gentilshommes de nom et d'armes et sans reproche. Leur chef suprême devait être lé duc Philippe, sa vie durant, et après lui ses successeurs ducs de Bourgogne.

Les chevaliers devaient quitter tout autre ordre, hormis les souverains qui pouvaient garder l'ordre dont ils étaient chefs.

Le collier qui portait la toison-d'or était donné par le Duc et devait lui être renvoyé après le décès du chevalier. Il se composait de briquets, nommés alors fusils, faisant jaillir des étincelles de leurs pierres. C'était depuis longtemps la devise du Duc ; elle signifiait, disait-on, que le heurter, c'était l'enflammer. Le grand manteau de l'ordre était d'écarlate, traînant jusqu'à terre, avec fourrure de vair ; le chaperon de même couleur.

Les quatre-vingt-quatorze articles de cette ordonnance contenaient les devoirs imposés aux chevaliers, tous se rapportant à la fidélité envers la sainte Église, à l'intégrité de la foi catholique, à la loyauté envers le souverain, à l'amitié et à la fraternité entre les chevaliers de l'ordre, à l'honneur dans les armes, aux révélations qu'il leur était prescrit de faire de tout ce qui serait contraire ou injurieux au souverain ou aux membres de l'ordre. Les cérémonies, les réceptions, les serments, les procédures contre les chevaliers délinquants, étaient aussi réglés par le plus menu détail. Enfin le Duc désignait les articles de cette longue ordonnance qui pouvaient être dans la suite expliqués et changés par le chapitre de l'ordre, et ceux qui devaient être immuables. C'était assurément le plus beau code d'honneur et de vertu chevaleresque, et aussi le moyen d'attacher et de rendre de plus en plus docile au duc de Bourgogne toute cette grande noblesse qui l'environnait et le servait.

Après les fêtes de Bruges, le Duc se rendit à Gand et dans les principales villes de Flandre, pour montrer à ses sujets leur nouvelle souveraine. Elle reçut partout un grand accueil et de riches présents. Ce fut à ce moment qu'éclata une sédition à Grammont. Les gens de métier se révoltèrent contre les magistrats qui voulaient les soumettre à une taxe ; mais le Duc, qui se sentait puissant, fut sévère contre les rebelles, et tel il se montra toujours. Son baillif, le sire d'Hallwin, fit trancher la tête aux chefs des mutins, et les autres furent bannis[73].

Au mois de février, continuant toujours à se faire voir à leurs bonnes villes, le Duc et la Duchesse se trouvèrent à Arras ; là, ils publièrent un grand tournoi ; cinq des plus illustres chevaliers français, qui guerroyaient dans le voisinage, et qui avaient, peu de jours auparavant, soutenu un combat très-vif contre la garnison de Clermont en Beauvoisis, vinrent défier cinq chevaliers bourguignons ; c'étaient Saintrailles, Valperga, d'Abrécy, Dubiet et de Nully[74]. Leurs adversaires furent le sire de Beaufremont seigneur de Charny, le sire de Lalaing, Jean de Vauldrey, Nicolas et Philibert de Menthon. La joute dura cinq jours. Elle fut brillante ; le Duc et la Duchesse siégeaient sur un échafaud, entourés de toute leur chevalerie. C'était Jean de Luxembourg qui approchait les lances aux champions de Bourgogne, et Alard de Mouhi aux Français. Le sire de Beaufremont blessa grièvement le sire d'Abrécy, et le sire de Nully fut aussi fortement atteint par Philibert de Menthon ; Valperga, après un rude et long combat contre le sire de Lalaing, fut abattu. Le Duc fit rendre de grands soins aux blessés, et accueillit le plus courtoisement leurs compagnons. Puis on recommença des deux parts à s'apprêter à la guerre plus cruellement que jamais.

La trêve, comme on a vu, ne s'observait pas. Les garnisons françaises, bourguignonnes, anglaises, sans obéir à personne, ne faisaient que courir et piller le pays[75]. Le comte de Clermont, que le roi avait laissé pour lieutenant, voyant que nul ne voulait lui obéir, s'était en allé, laissant le commandement au comte de Vendôme. Le pays, qui commençait à se reposer, lorsqu'un seul parti y était maitre, n'avait jamais été plus malheureux. Les habitants reprenaient leurs habitudes de brigandages ; il y avait même des gens de Paris, qui, laissant femmes et enfants, s'en allaient par bandes piller sur les grandes routes aux environs de la ville et beaucoup de riches bourgeois, pour trouver quelque sûreté, se réfugiaient dans les pays du duc de Bourgogne[76].

De l'autre côté de la Loire, les trêves n'étaient pas mieux gardées. Le duc d'Alençon avait voulu s'en aller avec la Pucelle en Normandie, pour reconquérir son apanage : mais le sire de la Trémoille s'y opposa. Le duc d'Alençon alors y envoya ses gens, et manda le vaillant Ambroise de Loré, capitaine de la forteresse de Lagny, pour être le maréchal de cette entreprise. Pendant ce temps, le conseil du roi revint au dessein de s'assurer de tout le cours de la Loire. Perrinet Grasset, cet aventurier bourguignon, qui ne reconnaissait de chef que le duc Philippe, encore semblait-il que ce fût plus de nom que de fait, et qui traitait avec tant d'arrogance le maréchal de Bourgogne et tous les grands seigneurs du duché, tenait encore en ce moment la Charité et les places de cette contrée[77]. On lui fit proposer de se déclarer pour le roi, mais il n'y voulut point entendre. Alors on assembla à Bourges un certain nombre de gens d'armes. Le sire d'Albret fut leur chef, et s'en allai avec la Pucelle, assaillir Saint-Pierre-le-Moutier.

Ce fut encore là un des plus beaux exploits de Jeanne. Les Français n'étaient pas nombreux ; leurs plus fameux capitaines étaient occupés dans d'autres entreprises ou dans diverses garnisons. Le siège durait depuis quelques jours ; les assiégeants se défendaient bien. Déjà plusieurs attaques avaient échoué. Un jour, que les Français repoussés se retiraient en désordre, et que les meilleurs hommes d'armes pensaient à lever le siège, Jeanne, demeurée presque seule, ne voulut point s'éloigner du rempart[78]. Le sire d'Anion, son écuyer, accourut pour l'emmener : « Vous êtes seule, dit-il. — Non, dit-elle en ôtant son casque ; j'ai cinquante mille hommes, et il faut prendre la ville. » Elle lui sembla insensée ; mais sans s'arrêter à ses discours, la Pucelle se mit à appeler tous ses gens, leur criant d'apporter des claies et des fascines. Sa voix les ranima ; ils obéirent à ses ordres. Elle ne cessait de les presser. Eu un instant le fossé fut comblé, l'assaut recommencé, la ville prise. La Pucelle ne fit jamais rien qui parût plus merveilleux, ni plus divin.

En ce temps-là, il était venu près du roi une autre sainte femme qui se disait aussi prophétesse[79]. Elle se nommait Catherine, et venait de La Rochelle, promettant de même de grandes choses au roi. Elle n'allait point à la guerre, mais sou fait était de prêcher, au nom du ciel, qu'on apportât de l'argent au roi, et elle disait qu'elle saurait bien connaître ceux qui tiendraient leurs trésors cachés. Elle avait aussi des visions, et souvent, disait-elle, il lui apparaissait une dame blanche vêtue d'or. Jeanne, nonobstant qu'il y eut grand besoin d'argent pour payer les gens d'armes, ne voulut point croire aux discours de Catherine. Elle demanda à voir la dame blanche. Catherine la fit coucher avec elle pour être témoin de la vision qui venait toujours la nuit. La Pucelle veilla long - temps sans rien voir apparaître ; mais s'étant endormie, Catherine assura que c'était alors que la dame était venue. La lendemain Jeanne dormit durant la journée pour pouvoir se tenir éveillée toute la nuit. En effet elle ne ferma pas l'œil, et elle demandait toujours à Catherine : « Viendra-t-elle point ? — Oui, bientôt, » disait l'autre ; mais rien ne parut.

Cependant Jeanne ne pouvait pas plus montrer ses visions que Catherine, et disait à ceux qui lui en parlaient, qu'ils n'étaient point assez dignes ni vertueux pour voir ce qu'elle voyait. il était donc raisonnable qu'elle ne regardât point comme une preuve contre cette femme de La Rochelle le fait de ne pouvoir communiquer ses visions à d'autres. Alors elle résolut d'en parler, ainsi qu'elle le raconta, à sainte Catherine et à sainte Marguerite, qui lui dirent qu'il n'y avait que folie et mensonge dans la femme de La Rochelle. Aussi voulut-elle la renvoyer à son ménage nourrir ses enfants, et dit au roi qu'il ne la fallait point écouter. Ce fut, à ce qu'il semble, l'avis de tous. Frère Richard, toutefois, lui était favorable, et tous deux étaient contraires à Jeanne[80].

Après la prise de Saint-Pierre-le-Moutier, on alla assiéger la Charité. Le maréchal de Boussac et le sire d'Albret y étaient avec Jeanne. Catherine avait conseillé de n'y point aller, parce qu'il faisait trop froid. On était au cœur de l'hiver. La ville était merveilleusement bien fortifiée. Perrinet Grasset était un habile et vaillant capitaine. Les Français n'étaient pas fort nombreux. Ils demeurèrent un mois devant les murailles sans avancer en rien. On livra plusieurs assauts sanglants, et toujours sans succès. Enfin une fausse alerte, donnée par Perrinet Grasset, mit en déroute les Français, et ils revinrent, laissant leurs canons. Jeanne assura ensuite que son avis eût été de ne point tenter cette entreprise.

Alors, après avoir assemblé un plus grand nombre de combattants, le conseil du roi revint au projet de porter la guerre dans les environs de Paris, sur la Seine[81]. Les affaires du roi allaient mieux de ce côté-là. Les garnisons françaises avaient presque toutes réussi à se conserver et à se défendre. Les habitants de Melun s'étaient délivrés des Anglais, et avaient appelé chez eux le commandeur de Giresme. Saint-Denis avait été surpris. La Hire avait pris Louviers, et courait jusqu'aux portes de Rouen. Cette ville même avait failli revenir aux mains des Français par le complot de quelques bourgeois. En outre, Paris se remplissait chaque jour de mécontents. Abandonnés du duc de Bourgogne et du régent, affamés par les compagnies qui dévastaient la contrée, se voyant sans défense, apprenant sans cesse que les Armagnacs avaient partout meilleure fortune, les Parisiens détestaient de plus en plus la guerre et les Anglais. Une grande conjuration se forma, pour faire entrer dans la ville les gens de guerre du parti du roi[82]. Un clerc de la chambre des comptes ; deux procureurs au Châtelet, de riches bourgeois, un religieux de l'ordre des carmes, qui conduisait toute l'affaire, et environ cent cinquante autres furent découverts. Les uns furent écartelés ou décapités ; d'autres jetés à la rivière ; il y en eut qui moururent à la torture ; les plus riches se rachetèrent ; un grand nombre s'enfuit. L'entreprise fut ainsi manquée. Mais une autre pareille pouvait se former. Le roi envoya donc toutes ses forces vers Paris ; la Pucelle s'y rendit aussi ; son avis était[83] qu'on ne pouvait trouver la paix qu'au bout de la lance, tandis que Catherine disait au contraire qu'il fallait traiter avec le duc de Bourgogne, et que si l'on voulait elle s'en irait persuader ce prince.

Dès que Jeanne et les secours qu'elle amenait furent arrivés, tout commenta à prospérer mieux encore pour les Français. La garnison anglaise de Corbeil, et les gens venus de Paris, furent repoussés devant Melun, qu'ils voulaient reprendre. Saint-Maur, proche Vincennes, fut surpris. Une nouvelle conjuration éclata dans Paris, parmi les prisonniers qui étaient à la Bastille ; ils étaient sur le point d'égorger le capitaine, et de livrer la porte Saint-Antoine, lorsque le sire de l'Isle-Adam arriva au plus vite ; frappant lui-même de sa hache ceux qui venaient de tuer la garde des portes, il arrêta le succès de l'entreprise, et fit noyer tous ces malheureux prisonniers[84].

Vers le même moment, un des plus vaillants chefs des compagnies bourguignonnes, nommé Franquet d'Arras, courait le pays avec trois cents Anglais on Bourguignons, et commettait mille cruautés. Jeanne s'en alla l'attaquer ; il avait de bons archers, et se retrancha fortement ; tout son monde avait mis pied à terre ; par deux fois, Jeanne et les Français furent repoussés, bien que leur attaque fut hardie et vigoureuse ; enfin, la garnison de Lagny, commandée par le valeureux sire de Foucaud, arriva avec de l'artillerie. Franquet., après s'être défendu obstinément, fut forcé derrière son rempart[85]. Presque tous ses gens furent passés au fil de l'épée, et lui fut prisonnier. La Pucelle voulait le garder pour l'échanger avec un brave Parisien, maître d'une fameuse hôtellerie à l'enseigne de l'Ours, que l'on retenait en prison pour quelque entreprise faite en faveur du roi[86]. Le baillif de Senlis et les juges de Lagny demandaient au contraire que Franquet leur fût livré afin de punir ses brigandages. Jeanne ayant appris que l'aubergiste était mort : « En ce cas, dit-elle, faites de celui-ci ce que justice voudra. » Son procès fut suivi, et il fut décapité. La mort de ce fameux chef de guerre, que le duc de Bourgogne et les Anglais aimaient beaucoup, et que sa grande vaillance avait rendu cher à tous les hommes d'armes, donna un courroux extrême aux ennemis. On assura que Jeanne avait violé la foi promise, et avait manqué à toutes les lois de la guerre[87]. Cela augmenta la réputation de cruauté qu'elle avait parmi les adversaires du roi. Ils répandirent même qu'elle avait tué Franquet de sa main. Jamais elle n'avait inspiré tant de terreur aux Anglais, et par conséquent une si grande haine à leurs chefs. Les archers et les gens d'armes qu'on enrôlait en Angleterre prenaient la fuite, et se cachaient plutôt que de venir en France combattre contre la Pucelle, et l'on était contraint de publier de sévères ordonnances contre les capitaines et les soldats qui tardaient à partir, ou s'y refusaient, effrayés de ses sortilèges[88].

Pour ranimer le courage des Anglais qui étaient en France, pour relever l'espoir des Parisiens, il fut résolu par le conseil d'Angleterre d'envoyer le jeune roi Henri VI, qui avait pour lors neuf ans, se faire couronner roi de France à Saint-Denis. On fit, grand bruit de cette nouvelle à Paris ; on ordonna d'avance des fêtes ; on annonça qu'il arriverait avec un grand nombre de soldats ; on disait aussi, pour se rendre le peuple favorable, que le duc de Bourgogne assemblait une forte armée.

Il semblait en effet que tout projet de faire la paix fût maintenant bien éloigné. Le Duc, à qui le régent anglais avait promis la Champagne et la Brie, et donné d'énormes sommes d'argent, allait tenter de nouveaux efforts pour détruire le roi de France[89]. Déjà il avait envoyé plusieurs de ses conseillers à Amiens et dans les villes de Picardie, pour les empêcher de se mettre de l'autre parti, comme elles paraissaient y incliner beaucoup. Il leur avait promis sa puissante protection, et leur laissait même espérer qu'il pourrait obtenir pour elles la suppression des aides et des gabelles[90]. Par ses bonnes paroles, il avait réussi à se les rendre favorables, et avait assemblé encore une fois les gens de cette province, qui avaient coutume de porter les armes.

En même temps Louis de Châlons, prince d'Orange, assemblait une autre armée de' Bourguignons et de Savoyards, pour aller conquérir le Dauphiné, qui, comme on croyait, devait être partagé entre lui et le duc de Savoie d'après les nouvelles alliances du duc Philippe et du régent anglais[91].

Après Pasques 1430, le Duc et Jean de Luxembourg, qui était toujours son principal capitaine dans les pays du nord, vinrent assiéger Gournay-sur-Aronde, forteresse qui appartenait au comte de Clermont. Le capitaine promit de la rendre, s'il n'était pas secouru avant le mois d'août, et en attendant de ne commettre aucun acte de guerre[92]. De là le sire de Luxembourg se portant vers Beauvais, contraignit le sire Louis de Gaucourt de s'y renfermer, et délivra le pays d'une bande de brigands anglais, qui s'étaient saisis du château de Provenlieu, ravageant toute- la contrée, sans connaître amis ou ennemis. Ils furent presque tous mis à mort. Le duc de Bourgogne alla ensuite mettre le siège devant Choisy-sur-Oise[93]. La Pucelle, le comte de Vendôme et beaucoup d'autres seigneurs partirent des bords de la Marne pour venir secourir cette forteresse. Il fallait passer la rivière d'Aisne. Ils se présentèrent devant Soissons. Le comte de Clermont y avait laissé pour capitaine un écuyer picard, nommé Guichard Journel. Cet homme traitait déjà avec le duc de Bourgogne ; il ferma ses portes aux Français, persuada aux habitants qu'une nombreuse garnison, s'établissant dans la ville, ne tarderait pas à les affamer, et en même temps s'excusa auprès du comte de Vendôme sur la volonté du peuple. La troupe française était nombreuse ; il y avait là plusieurs grands seigneurs avec un train considérable. Voyant que la route n'était point libre, que le pays manquait de vivres, ils s'en retournèrent dans le pays d'où ils venaient ; la Pucelle avec quelques vaillants chevaliers s'en alla à Compiègne, mais n'y demeura guère.

Le duc de Bourgogne, pour que les vivres qui arrivaient à sou camp devant Choisy par Montdidier et Noyon, ne fussent point arrêtés par la garnison française de Compiègne, avait placé à Pont-l'Évêque et dans les faubourgs de Noyon, une garde d'Anglais et de Bourguignons. Un matin à la pointe du jour, la Pucelle, Saintrailles, Valperga, le sire de Chabannes et d'autres, au nombre d'environ deux mille, tombèrent avec vigueur sur les Anglais de Pont-l'Évêque, dont sir John Montgomery était chef. Déjà il était contraint de plier, lorsque les sires de Brimeu et de Saveuse arrivèrent de Noyon en toute hâte avec leurs Bourguignons, et sauvèrent les Anglais. A quelques jours de là, le sire de Brimeu fut surpris par Saintrailles pendant qu'il se rendait devant Choisy, et mis à forte rançon. Toutes ces entreprises ne purent sauver Choisy, que le Duc assiégeait avec une redoutable artillerie[94].

Il vint ensuite mettre le siège devant Compiègne ; c'était la principale ville que les Français eussent dans le pays. Le sire Guillaume de Flavy, que le roi y avait mis pour capitaine, et qui l'avait conservée ensuite malgré ses ordres, était un vaillant homme de guerre, mais le plus dur et le plus cruel peut-être qu'on connût dans ce temps-là. Il n'y avait pas de crime qu'il ne commit chaque jour. Il faisait mourir toutes sortes de gens, sans justice ni miséricorde, dans les plus affreux supplices[95].

Ce terrible capitaine avait fait les plus grands préparatifs pour se bien défendre. La ville était suffisamment approvisionnée de vivres et de munitions. Les murailles étaient fortes et réparées à neuf ; la garnison nombreuse ; l'artillerie bien servie. Aussi le duc de Bourgogne assembla toute sa puissance pour un siège si difficile. Il fit entourer, la ville presque de tous les côtés : le sire de Luxembourg, le sire Baudoin de Voyelles, sir John Montgomery, et le Duc lui-même commandaient chacun les postes principaux[96].

La Pucelle, dès qu'elle apprit que Compiègne était ainsi resserrée, partit de Crespy pour aller s'enfermer avec la garnison. Dès le jour même de son arrivée, elle tenta une sortie par la porte du pont de l'autre côté de la rivière d'Aisne. Elle tomba à l'improviste sur le quartier du sire de Noyelles, au moment où Jean de Luxembourg et quelques- uns de ses cavaliers y étaient venus pour reconnaître la ville de plus près. Le premier choc fut rude ; les Bourguignons étaient presque tous sans armes. Le sire de Luxembourg se maintenait de son mieux, en attendant qu'on pût lui amener les secours de son quartier qui était voisin, et de celui des Anglais. Bientôt le cri d'alarme se répandit parmi tous les assiégeants, et ils commencèrent à arriver en foule. Les Français n'étaient pas en nombre pour résister ; ils se mirent en retraite[97]. La Pucelle se montra plus vaillante que jamais ; deux fois elle ramena ses gens sur l'ennemi ; enfin, voyant qu'il fallait rentrer dans la ville, elle se mit en arrière-garde pour protéger leur marche, et les maintenir en bon ordre, contre les Bourguignons, qui, sûrs maintenant d'être bien appuyés, se lançaient vigoureusement à la poursuite. Ils reconnaissaient l'étendard de la Pucelle[98], et la distinguaient, à sa huque d'écarlate, brodée d'or et d'argent ; enfin, ils poussèrent jusqu'à elle. La foule se pressait sur le pont. De crainte que l'ennemi n'entrât dans la ville à la faveur de ce désordre, la barrière n'était point grande ouverte ; Jeanne se trouva environnée des ennemis. Elle se défendit courageusement avec une forte épée qu'elle avait conquise à Lagny sur un Bourguignon[99]. Enfin, un archer picard, saisissant sa huque de velours, la tira en bas de son cheval ; elle se releva, et combattant encore à pied, elle parvint jusqu'au fossé qui environnait le boulevard de-vaut le pont. Pothon le Bourguignon, vaillant chevalier du parti du roi, et quelques autres étaient restés avec elle, et la défendirent avec des prodiges de valeur. Enfin, il lui fallut se rendre à Lionel bâtard de Vendôme, qui se trouva près d'elle.

Elle fut aussitôt amenée au quartier du sire de Luxembourg, et la nouvelle s'étant répandue parmi les assiégeants, ce fut une joie sans pareille[100]. On aurait dit qu'ils eussent gagné quelque grande bataille, ou que toute la France fût à eux ; car les Anglais ne craignaient rien tant que cette pauvre fille. Chacun accourait de tous côtés pour la voir. Le duc de Bourgogne ne fut pas des derniers ; il vint au logis où elle avait été amenée, et lui parla, sans qu'on pût bien savoir ce qu'il lui dit. On écrivit tout aussitôt à Paris, en Angleterre, et dans toutes les villes de la domination de Bourgogne, pour annoncer cette grande nouvelle. Le Te Deum fut chanté en grande solennité, par ordre du duc de Bedford[101].

Ce fut au contraire un grand sujet de tristesse pour les Français. Aux regrets qu'excita cette perte, se mêlèrent de fâcheux soupçons. On disait parmi le peuple, que les chevaliers et les seigneurs, jaloux de sa grande renommée, avaient tramé sa ruine. Le sire de Flavy, déjà si détesté, fat surtout accusé ; on prétendit qu'il l'avait vendue d'avance au sire de Luxembourg, et qu'il avait fait fermer la porte sur elle, pour qu'elle demeurât aux mains des ennemis. Le bruit se répandit que ses voix lui avaient prédit sa perte, et que le jour même, comme elle était allée communier dévotement à l'église Saint-Jacques, elle s'appuya tristement contre un des piliers, et dit à plusieurs, habitants et à un grand nombre d'enfants qui se trouvaient là : « Mes bons amis et mes chers enfants, je vous le dis avec assurance, il y a un homme qui m'a vendue ; je suis trahie, et bientôt je serai livrée à la mort. Priez Dieu pour moi, je vous supplie ; car je ne pourrai plus servir mon roi ni le noble royaume de France[102]. » Cependant elle ne se plaignit jamais de personne, se bornant à dire que depuis quelque temps, il lui avait été annoncé qu'elle tomberait avant la Saint-Jean au pouvoir des ennemis. Elle n'avait jamais parlé de cette prédiction à personne. Au contraire, les hommes d'armes disaient qu'elle les avait encouragés à faire une sortie, et leur avait promis la victoire contre les Bourguignons[103]. Les récits qui s'accréditèrent contre la trahison du sire de Flavy prouvaient donc seulement la haine qu'on lui portait, et en effet, ii défendit si vaillamment Compiègne, que du moins il n'est pas à croire qu'il eut des intelligences avec les ennemis.

La Pucelle n'était pas prisonnière depuis trois jours, qu'on put voir quelle ardeur de vengeance les Anglais, leurs partisans et leurs serviteurs avaient conçue contre elle. Frère Martin, maître en théologie et vicaire-général de l'inquisiteur de la foi au royaume de France, écrivit au duc de Bourgogne[104] :

« Usant des droits de notre office et de l'autorité à nous commise par le saint siège de Borne, nous requérons instamment et enjoignons, en faveur de la foi catholique et sur les peines de droit, d'envoyer et amener prisonnière par devers nous ladite Jeanne, véhémentement soupçonnée de plusieurs crimes sentant hérésie, pour être, selon le droit, par devers nous procédé contre elle par le promoteur de la sainte inquisition. »

Depuis le roi saint Louis, il y avait en effet en France un office de l'inquisition confié au provincial des Dominicains ou frères Prêcheurs et au gardien des frères Mineurs de Paris[105]. Ils devaient, par eux ou par le vicaire, qu'ils avaient dans chaque diocèse, se faire délivrer les procédures faites contre des hérétiques, ou procéder contre eux de leur propre mouvement, et implorer, s'il le fallait, le bras séculier contre lesdits hérétiques, à moins que les accusés ne se soumissent entièrement à l'Église. Mais ces inquisiteurs ne pouvaient juger que d'accord avec l'évêque du diocèse. C'est ainsi qu'on a vu qu'il avait été procédé contre Jean Petit, pour son apologie du meurtre du duc d'Orléans.

Le sire de Luxembourg, à qui le bâtard de Vendôme avait vendu sa prisonnière, ne s'arrêta point à l'injonction de l'inquisiteur ; il envoya la Pucelle dans son château de Beaurevoir eu Picardie, où, bien qu'elle fût gardée sévèrement, les darnes de Luxembourg lui firent un accueil doux et consolant[106].

Bientôt l'Université, c'est-à-dire, ceux de ses docteurs qui étaient restés à Paris et servaient les Anglais, écrivirent au duc de Bourgogne pour demander instamment que Jeanne fut remise à l'inquisiteur de la foi et à l'évêque de Beauvais, dans le diocèse duquel elle avait été prise. Le Duc ne répondit point, et l'Université envoya une nouvelle lettre, lui reprochant de ne pas avoir répondu, et de n'avoir pourvu encore à rien relativement à cette femme. « Nous craignons beaucoup, écrivaient ces docteurs, que par la séduction et la malice de l'ennemi d'enfer, et par les subtilités des mauvaises personnes et de vos adversaires, qui mettent, dit-on, tout leur soin à la délivrer, elle soit mise hors de votre puissance par quelque manière que Dieu ne voudrait pas permettre. En vérité, au jugement dé tout bon catholique, jamais il ne serait, de mémoire d'homme, advenu si grande lésion de la sainte foi, si énorme péril et dommage pour la chose publique de ce royaume, que si elle échappait par une voie si damnable, et sans punition convenable. » Ils écrivirent de même au sire de Luxembourg.

Mais ces lettres ne produisant encore nul effet, l'évêque de Beauvais, qui commença pour lors à entreprendre la mort de la Pucelle avec le zèle du plus ardent serviteur des Anglais fit signifier au duc de Bourgogne, en présence de ses chevaliers et dans sa bastille devant Compiègne, une lettre de réquisition qui fut remise par des notaires apostoliques. Pareille injonction fut faite au sire de Luxembourg.

« Combien que, disait-il en sa lettre, cette femme qu'on nomme Jeanne la Pucelle, ne doive pas être regardée comme prisonnière de guerre, néanmoins, pour la rémunération de ceux qui l'ont prise et détenue, le roi veut libéralement leur bailler jusqu'à la somme de six mille francs ; et pour ledit bâtard qui l'a prise, lui donner et assigner rente pour soutenir son état jusqu'à deux ou trois cents livres. »

Il ajoutait : « Enfin, si eux ou quelques-uns d'entre eux ne voulaient, pour les motifs susdits, obtempérer à ce qui est demandé, bien que la prise de cette femme ne soit point pareille à celle d'un roi, d'un prince ou d'autres gens de grand état, toutefois, comme un roi, un dauphin ou tout autre prince, pourraient, selon le droit, l'usage et la coutume de France, être retirés du preneur en lui baillant dix mille francs, ledit évêque requiert les susdits que la Pucelle lui soit délivrée, en donnant sûreté pour la somme de dix mille francs. »

Enfin le sire de Luxembourg se rendit à de si fortes instances, et céda la Pucelle au gouvernement des Anglais moyennant dix mille francs. Le duc de Bourgogne venait de retourner dans ses états de Flandre, laissant le siège de Compiègne aux soins des sires de Brimeu, de Lannoy et de Saveuse, et des comtes de Huntington et d'Arondel, qui venaient d'y amener un renfort considérable d'Anglais. Le sire de Luxembourg était chargé d'être chef de toute cette armée.

Des motifs d'une haute importance rappelaient le Duc. Les Liégeois, toujours orgueilleux, entreprenants, et portés de mauvaise volonté contre les ducs de Bourgogne qui leur avaient fait tant de mal et les avaient dépouillés de toutes leurs libertés, venaient de contraindre leur évêque à envoyer des lettres de défi au duc Philippe[107]. Ils étaient excités par le sire de la Mark et quelques seigneurs que le roi de France avait mis dans ses intérêts. Comme les Liégeois et les gens du comté de Namur faisaient sans cesse des courses les uns sur le pays des autres[108], les motifs ne manquaient jamais pour demander réparation, et ce fut la cause que Jean de Hemberch, évêque de Liège, allégua dans sa lettre de défi. Elle fut tout aussitôt suivie d'une forte invasion dans le comté de Namur, où les Liégeois commençaient à tout mettre à feu et à sang.

Le Duc ne voulait pas d'abord laisser le siège de Compiègne ; il se contenta d'envoyer le sire de Croy avec huit cents combattants s'enfermer dans Namur, et défendre la ville contre cette multitude de gens des communes liégeoises, hommes sans connaissance de la guerre, qui n'agissaient qu'en désordre et ne savaient obéir à aucun chef. En effet, le sire de Croy arrêta leurs progrès, et souvent les surprit avec grand avantage ; mais ils étaient nombreux et fort animés. Deux des principaux chevaliers du Duc, les sires de Ghistelles et de Rubempré, périrent en combattant les Liégeois. Le Duc vit bien que l'affaire était grave, qu'il fallait la traîner en longueur et négocier[109].

Une plus grande affaire encore exigeait la présence du duc Philippe. Son cousin Philippe duc de Brabant, le second et le dernier fils d'Antoine de Brabant, qui avait péri à Azincourt, venait de mourir le 4 août, n'ayant survécu à son frère que trois ans. Il était âgé de vingt-six ans seulement. On crut d'abord qu'il avait été empoisonné ; ceux que l'on soupçonnait furent emprisonnés et mis à la torture. Cependant les médecins ne trouvèrent, en ouvrant son corps, nulle trace de poison, et pensèrent qu'il mourait épuisé par les fatigues et les excès de la jeunesse. En effet, il avait toujours aimé les plaisirs, les tournois, les joutes et les aventures[110]. Quelques années avant sa mort, il avait même voulu faire le voyage de Terre-Sainte, et il était allé jusqu'à Rome. Il n'avait encore contracté aucun mariage, et négociait seulement avec René de Sicile, héritier de Lorraine, pour épouser Iolande, sa fille[111].

Le duché de Brabant se trouvant ainsi sans héritier direct, trois branches pouvaient se présenter pour recueillir la succession : Madame Marguerite de Bourgogne, comtesse de Haynaut, mère de madame Jacqueline fille de Philippe-le-Hardi et de Marguerite de Flandre par laquelle l'héritage féminin de Brabant était venu dans la maison de Bourgogne : Charles et Jean de Bourgogne, fils et héritiers du comte de Nevers, tué à Azincourt : et en troisième lieu le duc Philippe, aîné de Bourgogne.

Les États du duché de Brabant et spécialement les nobles se montrèrent aussitôt disposés à reconnaître de préférence les droits du duc Philippe, qui, mieux qu'aucun autre héritier, pouvait favoriser et protéger les habitants ; cependant madame de Haynaut avait aussi ses partisans.

Le Duc tint d'abord de grands conseils à Lille, où il fut décidé qu'il avait le meilleur droit, et qu'il le devait soutenir. Il était le plus fort ; c'était la volonté des gens du Brabant. Madame Marguerite céda. Il ne fut pour le moment fait aucune mention des jeunes princes de Nevers, dont le Duc était tuteur. Après deux mois de négociations sagement conduites, il se rendit en Brabant, reçut à Malines le serment des états, et jura de maintenir les privilèges et coutumes du Brabant : il ajouta aux titres nombreux qu'il avait déjà ceux de duc de Brabant, de Limbourg et de Louvain, marquis d'Anvers et du Saint-Empire.

Quant aux domaines que le feu duc de Brabant tenait de sa mère Jeanne de Luxembourg, ils retournèrent dans cette maison, et une vieille demoiselle de Luxembourg, qui habitait alors le château de Beaurevoir, où elle s'était montrée toute bienveillante pour la Pucelle, hérita des comtés de Saint-Pol et de Ligny ; elle donna le premier à Pierre de Luxembourg, comte de Conversan et de Brienne, l'aîné de ses neveux ; et le comté de Ligny à Jean de Luxembourg, qui commença à eu porter le nom[112].

Pendant que le duc Philippe augmentait ainsi sa puissance dans les pays de Flandre, la guerre n'était point heureuse pour lui en France. Dès le mois de juin, l'entreprise du prince d'Orange sur le Dauphiné avait honteusement échoué. Le sire Raoul de Gaucourt, qui avait si vaillamment défendu Orléans, venait d'être choisi pour gouverner cette province. Le roi n'avait pu lui donner ni finance ni gens de guerre : Ce brave seigneur, ne voulant pas cependant que la province se perdît entre ses mains, prit courage, et résolut de se défendre contre la forte armée qui allait arriver de Bourgogne et de Savoie. Il s'accorda avec le sire Imbert de Grollée, baillif du Lyonnais et maréchal du Dauphiné, qui, depuis plusieurs années, avait fait très-bonne guerre aux Bourguignons. Ils allèrent chercher dans le Velay un capitaine espagnol nommé Rodrigue de Villandrada ; il s'y trouvait avec une compagnie de gens de toutes nations, qu'il amenait au roi de France. On rassembla aussi des hommes de bonne volonté à Lyon et dans le Mâconnais. Un emprunt fut mis sur les plus riches de ces contrées, sauf à le leur rembourser par une taille. Chacun était porté à faire de son mieux, et à ne se point laisser conquérir ni opprimer par le prince d'Orange, qui, depuis plusieurs années, entretenait la guerre dans la province[113].

On se hâta de commencer avant qu'il fût arrivé, et le sire de Gaucourt s'empara d'abord de la forteresse de Colombiers. Le prince d'Orange fut surpris de voir qu'on avait eu l'audace d'attaquer, quand il ne croyait pas qu'on pût essayer de se défendre. Il s'empressa de venir offrir la bataille. C'était pour les Français une chose grave que de l'accepter. Ils étaient moins nombreux. Le sire de Villandrada n'était pas sûr de tous les étrangers qui formaient sa compagnie. Si la bataille était perdue, c'en était fait du Lyonnais, du Dauphiné : et même du Languedoc. Le roi pouvait, de cette affaire, perdre son royaume. D'un autre côté, le prince allait ravager tout le pays ; ses forces devaient chaque jour s'augmenter. Ceux qui étaient venus combattre sous le sire de Gaucourt, et qu'avait amenés le sire de Grollée, avaient grande volonté de bien guerroyer, et bonne idée de la justice de leur cause. Le capitaine espagnol demanda qu'on lui donnât l'avant- garde, afin qu'on pût mieux s'assurer si ses gens se conduisaient bien. « Faites-moi cet honneur, disait-il, et, avec l'aide de Dieu, je me comporterai de façon que- vous serez contents. — Allons, Dieu nous aidera, dit le sire de Gaucourt ; ne soyons pas ébahis ; s'ils sont plus que nous, nous avons juste et raisonnable cause de nous défendre contre le prince d'Orange, qui nous vient assaillir malgré ses serments. Si vous vous battez hardiment, vous ferez grand butin, et serez riches à jamais. » On célébra la messe ; le sire de Grollée se jeta à genoux et fit sa prière à haute voix.

Cependant le prince d'Orange ne faisait pas grand compte de cette armée de Dauphinois, si petite en comparaison de la sienne[114]. Il fut plus content encore quand il vit que les Espagnols faisaient l'avant-garde. Il ne doutait pas de les voir s'enfuir au premier choc ; mais il en fut tout autrement. Avant que les Bourguignons eussent débouché d'un bois qu'ils traversaient, et se fussent rangés dans la plaine, le sire de Villandrada et sa troupe se jetèrent si vivement sur eux, en poussant de grands cris, qu'ils les ébranlèrent. Bientôt l'a t-taque des Français devint tellement rude, que les ennemis furent rompus et mis dans une complète déroute. Il en périt deux ou trois cents, parmi lesquels de très-notables gentilshommes. Le prince d'Orange combattit bravement et fut blessé. Plutôt que d'être pris, il se jeta à cheval et tout armé dans le Rhône ; son cheval, malgré le poids des armures, traversa le fleuve à la nage : ce qui sembla bien merveilleux. Le sire de Montaigu, de la maison de Neufchâtel, s'enfuit des premiers, et le duc de Bourgogne, irrité de ce manque de valeur, lui ôta le collier de la Toison-d'Or. Par cette victoire d'Authon, tout le midi du royaume se trouva délivré des Bourguignons.

Au nord, la prise de la Pucelle n'avait point abattu les Français. Compiègne se défendait contre toutes les attaques du sire de Luxembourg ; tout nombreux que fussent ses gens, il pouvait seulement entourer la ville et en fermer toutes les avenues par des bastilles et des boulevards ; de sorte que rien n'arrivait plus ni par les routes ni par la rivière de l'Oise[115]. Les assiégés, réduits aux extrémités de la famine, envoyèrent supplier le maréchal de Boussac, le comte de Vendôme et les autres capitaines du roi, de venir à leur secours.

Après avoir assemblé environ quatre mille combattants, avec beaucoup de paysans et d'ouvriers pour couper les bois, combler les fossés, réparer les chemins, et détruire ainsi les défenses dont les assiégeants avaient entouré leurs logis, les capitaines français arrivèrent à Verberie vers la fin d'octobre.

Le sire de Luxembourg se consulta longtemps sur ce qu'il avait à faire. S'il marchait avec, toutes ses forces aux ennemis, alors les bastilles et les boulevards demeuraient dégarnis ; la garnison était nombreuse et vaillante ; elle sortirait pendant ce temps-là, et pourrait détruire tous les ouvrages du siège, ou du moins se retirer en sûreté. Après beaucoup de conseils tenus entre les chefs bourguignons et anglais, il fut donc résolu d'attendre les attaques, de garder l'enceinte du siège et de s'y défendre.

La ville est située sur la rive gauche de l'Oise ; le pont avait été coupé. En face était une forte bastille commandée par le sire de Noyelles. Plus haut, en remontant, la rivière, il y en avait trois autres plus petites. Au-dessous de la ville, toujours sur la rive droite, était le logis des Anglais, à l'abbaye de Venette ; le duc de Bourgogne avait fait jeter un pont en cet endroit. De l'autre côté de ce pont, sur la rive gauche, était le sire de Luxembourg, logé dans l'abbaye de Royaulieu, sur la route de Verberie. Enfin, tout auprès de la ville, sur le chemin qui conduit à Pierrefonds, à travers la forêt, était une grande bastille où commandaient les sires de Brimeu et de Créqui.

Il fut réglé que les Anglais passeraient la rivière, et viendraient, avec le sire de Luxembourg, se mettre en bataille en avant de Royaulieu, sur la route de Verberie. Néanmoins chaque bastille, chaque logis, devait demeurer suffisamment défendu, et l'on devait envoyer du secours sur les points attaqués.

Les Français se présentèrent en effet le lendemain pour offrir la bataille, et avancèrent presque jusqu'à la portée du trait. Ils étaient à cheval ; les Anglais et les Bourguignons s'étaient mis à pied, selon leur coutume. Plusieurs gentilshommes se firent armer chevaliers par le sire de Luxembourg. Toute cette noblesse de Picardie et d'Artois espérait et désirait le combat ; mais il eût été imprudent de l'engager ; il fallait se tenir prêt à secourir les bastilles si elles étaient assaillies. De leur côté les Français ne tentaient rien de plus que de fortes escarmouches.

Pendant ce temps - là, deux troupes s'en allaient à travers la forêt, se dirigeant sur la ville. L'une, de cent hommes seulement, pouvait arriver facilement jusqu'aux portes sans être aperçue ; elle amenait des vivres aux assiégés, et devait leur ordonner de sortir tout aussitôt, pour attaquer la grande bastille, que Saintrailles, avec trois cents combattants, allait bientôt assaillir en passant par la route de Pierrefonds ; car cette vaste forêt de Compiègne, qui vient jusqu'aux portes de la ville, dérobait tous les mouvements des Français.

La chose réussit comme elle avait été résolue. Au premier avis, les assiégés, avec une merveilleuse ardeur de vengeance, s'en allèrent en foule donner l'assaut à cette bastille. Ils apportèrent des échelles et tout ce qui est nécessaire dans de telles attaques. Les sires de Brimeu et de Créqui, avec leurs Picards, n'étaient pas nombreux. Ils se défendirent avec courage, et repoussèrent vivement les gens de Compiègne ; mais ceux-ci avaient une ferme volonté de détruire des ennemis qui, depuis six mois, leur faisaient tant de mal. Les bourgeois, les femmes même, sans regarder à aucun péril, se précipitaient dans les fossés de cette bastille pour la forcer. Guillaume de Flavy, le sire de Gamaches abbé de Saint-Pharon qui avait si bien défendu la ville de Meaux, d'autres encore, étaient là, excitant et dirigeant ce brave peuple. Une seconde fois l'attaque fut repoussée ; mais en ce moment. Saintrailles et sa compagnie débouchèrent de la forêt, et l'assaut recommença avec plus de vigueur encore. Cependant aucun secours n'arrivait de Royaulieu aux gens de la bastille. Le sire de Luxembourg n'avait pas trop de tout son monde pour tenir en échec le maréchal de Boussac et les Français. Enfin, après une vaillante défense, la bastille fut emportée. Le carnage y fut, grand ; près de deux cents hommes d'armes y périrent. Les sires de Brimeu et de Créqui et d'autres furent mis à forte rançon.

Le passage ainsi forcé, le maréchal de Boussac et tous les Français entrèrent dans la ville. La famine y était déjà, et elle allait devenir plus cruelle avec une si grande garnison. Néanmoins la joie était extrême, et l'on espérait chasser tout-à-fait les ennemis. Sans plus tarder, on alla attaquer une des bastilles du haut de la rivière, où se tenaient des Portugais venus de leur pays avec la duchesse de Bourgogne. Cette bastille n'était point forte ; elle fut prise. Une autre fut abandonnée par ceux qui la tenaient, et ils y mirent le feu. La bastille du bout du pont était mieux défendue ; elle ne put être emportée.

La journée ainsi passée, le sire de Luxembourg et le comte de Huntington se trouvèrent plus incertains qu'auparavant de ce qu'ils avaient à faire. Ils résolurent que chacun retournerait à son logis, qu'on y coucherait tout armé, et que le lendemain la bataille serait offerte aux Français, qui, nombreux comme ils étaient, ne pouvaient songer à rester enfermés dans Compiègne. Mais les Bourguignons et les Anglais étaient effrayés ; ce long siège avait lassé leur patience. Sans prendre l'ordre de personne, pendant la nuit ils s'en allèrent de tous côtés. Le sire de Luxembourg, qui avait eu quelque méfiance à ce sujet, avait fait promettre au comte de Huntington de bien garder le passage du pont, pour empêcher ses gens de s'en aller ; cela fut impossible, car les Anglais se dispersèrent aussi. Les deux chefs, ainsi abandonnés de leurs hommes, n'eurent autre chose à faire que de se retirer promptement avec ce qui leur restait, abandonnant dans les bastilles les munitions et la belle artillerie du duc de Bourgogne. Ce fut sous leurs yeux et au moment de leur départ que les gens de Compiègne vinrent s'emparer .de leurs logis et détruire leurs ouvrages en leur criant Mille injures. Ils s'en allèrent jusqu'en Picardie. Les. Français demeurant maîtres de la campagne, y reprirent presque toutes les forteresses.

Le Duc était à Bruxelles, célébrant par de belles fêtes la naissance de son fils, qui fut nommé Antoine de Bourgogne, lorsqu'il apprit comment ses gens avaient été chassés de devant Compiègne, et comment les grands frais qu'il avait faits pour prendre cette ville se trouvaient perclus. Il partit aussitôt pour Arras ; il y convoqua toute la noblesse du pays et des provinces voisines, ordonnant à chaque seigneur de venir avec ce qu'il pourrait rassembler de gens de guerre. Puis s'avança jusqu'à Péronne, et envoya son avant-garde occuper Litions en Santerre. Elle était commandée par les sires Jacques de Heilly et Antoine de Vienne. Sir Thomas Kyriel, chevalier anglais, en faisait aussi partie avec des hommes de sa nation. Le Duc devait aller les rejoindre, et leur amener du monde à Germigny : c'était une petite ville dont le château était occupé par une garnison française fort peu nombreuse. L'avant-garde s'en allait donc sans nulle crainte ; les hommes d'armes n'avaient point pris leurs armures ; en arrivant devant la forteresse, ces Bourguignons et ces Anglais virent tout à coup partir un renard dans les champs. Ne redoutant rien d'une garnison qu'ils croyaient trop faible, ils se mirent en chasse, sans précaution ni méfiance. Mais Saintrailles était arrivé la veille au soir dans Germigny. Il sut par ses coureurs que l'ennemi s'avançait eu désordre. Les gens qu'il avait amenés étaient vaillants et éprouvés. Il les exhorta à bien faire, et leur montra que si les ennemis étaient plus nombreux, ils étaient pris au dépourvu. Aussitôt ils tombèrent sur eux avec un grand élan et poussant des cris ; ils eurent bientôt dispersé les Bourguignons. Cependant les capitaines se rassemblèrent avec quelques-uns de leurs hommes sous l'étendard de sir Thomas Kyriel, et se défendirent vaillamment. Ce courage ne put servir qu'à leur honneur ; en peu de moments ils furent tués ou pris. Jacques de Heilly, Antoine de Vienne, et environ cinquante ou soixante chevaliers bourguignons ou anglais périrent. Kyriel fut prisonnier. Le bâtard de Brimeu, qui arrivait avec la garnison de Roye pour se joindre au sire de Heilly, se crut à temps de regagner sa ville ; mais il avait une armure si riche et si éclatante, qu'on le poursuivit vigoureusement, et qu'il ne put échapper. Après cette heureuse expédition, Saintrailles retourna à Compiègne.

Le duc Philippe, irrité de la mort de ses chevaliers, manda auprès de lui un plus grand nombre de combattants, et envoya aussitôt le sire de Saint-Remi[116] au duc de Bedford, pour lui demander des renforts. Le sire de Luxembourg qui maintenant se nommait comte de Ligny, le sire de Saveuse, le vidame d’Amiens, le seigneur d'Antoing, arrivèrent sans tarder.

Les Français, de leur côté, se rassemblaient à Compiègne. Le maréchal de Boussac, le comte de Clermont, Jacques de Chabannes, Guillaume de Flavy, Amadoc de Vignolles, Louis de Gaucourt, Regnaud de Fontaine se trouvant en assez grand nombre et en bon courage, résolurent de s'avancer jusqu'à Montdidier ; ils rencontrèrent justement en route sir Louis Robsart, qui, à la tête d'une compagnie d'Anglais, arrivait au secours du duc de Bourgogne. Les Français étaient les plus forts. Les gens de sir Louis Robsart s'épouvantèrent et prirent la fuite. Lui, qui était chevalier de la Jarretière, craignant pour son honneur et voulant s'acquitter de son devoir, se fit vaillamment tuer en combattant. Encouragés par cette heureuse journée, les capitaines de France envoyèrent un héraut au Duc, pour le défier et lui offrir la bataille. Il eût bien voulu l'accepter, car nul n'était plus vaillant et chevaleresque. Mais son conseil lui représenta qu'il n'avait pas assez de monde ; bien qu'il eût été rejoint par lord Willoughby et par une troupe d'Anglais, ses gens étaient encore tout effrayés de la levée du siège de Compiègne et de la déroute de Germigny. D'ailleurs, lui disait-on, il ne fallait pas risquer sa renommée et sa vie à combattre contre des capitaines de compagnie qui s'étaient assemblés sans avoir pour chef un homme de son rang. Ces motifs lui semblaient appartenir à la sagesse plus qu'à la vaillance. Cependant il les écouta, et le héraut rapporta pour réponse aux Français, que s'ils voulaient attendre un jour, le comte de Ligny viendrait les combattre. Durant ce message, les deux armées étaient en présence ; un marais seulement les séparait, et des deux parts on commençait à se provoquer par des escarmouches. Les Français répondirent qu'ils ne pouvaient demeurer plus long- temps en ce lieu, parce qu'ils manquaient de vivres. Pour lors le duc Philippe leur fit offrir de partager avec eux les vivres de son armée. Comme cependant il ne s'engageait point à combattre en personne, les Français s'en allèrent, et retournèrent à Compiègne, se raillant beaucoup de lui, et bien glorieux de ce qu'il n'avait pas osé combattre.

Ce n'était pas là encore tous les revers des Bourguignons[117]. Le roi, aussitôt après la délivrance de Barbazan, l'avait nommé capitaine de la province de Champagne. Il s'était d'abord rendu à Sens, puis il avait surpris Villeneuve-le-Roi, sur Perrin Grasset, qui y tenait garnison, et qui se sauva lui-même à grand'peine ; puis s'empara de Pont-sur-Seine, et vint mettre le siège devant la forteresse de Chappes, à deux lieues de Troyes. Le sire d'Aumont la défendait, et s'y maintint avec un grand courage durant plusieurs semaines, bien que René d'Anjou duc de Bar, fût venu se joindre aux Français ; enfin il envoya demander des secours au conseil de Bourgogne. Le sire de Toulongeon, maréchal du duché, manda une assemblée d'hommes d'armes à Montbard, puis marcha au secours du château de Chappes. Trois fois il offrit la bataille au sire de Barbazan, qui la refusa constamment, guettant l'occasion favorable. Enfin, le maréchal ayant essayé de faire entrer une portion de ses gens dans la forteresse, Barbazan chargea sur eux ; les Bourguignons vinrent les soutenir ; la bataille s'engagea, et bientôt après, les Français qui avaient pris leurs avantages, mirent les ennemis en déroute. La fleur de la noblesse de Bourgogne se trouvait à ce combat ; les sires de la Trémoille, de Vergy, de Chastellux, et bien d'antres ; mais ils ne purent rallier leurs gens. Le sire de Plancy et le sire de Rochefort furent faits prisonniers. La garnison de Chappes voulut sortir pour venir à l'aide du maréchal de Toulongeon. Le sire d'Aumont fut pris aussi, et le château tomba, aux mains de Barbazan.

Il suivit sa route vers Châlons, s'empara de quelques autres places. Il étendait ses courses jusqu'auprès de Laon. Les garnisons de Reims et des forteresses voisines se joignaient à lui de tous côtés ; les compagnies françaises allaient sans cesse tenter des entreprises. Souvent les gens des communes y venaient en foule ; pour lors la guerre était encore plus cruelle. Ils ne faisaient point de prisonniers ; quand les hommes d'armes avaient reçu la foi de quelque ennemi vaincu, les communes à qui il ne devait rien revenir de ces riches rançons, n'en tuaient pas moins ceux qu'on avait ainsi reçus à composition.

Une bataille plus forte fut bientôt encore gagnée par le sire de Barbazan. Le duc de Bedford apprenant ses progrès, envoya contre lui le comte d'Arondel, le jeune sire de Warwick qu'on nommait vulgairement l'enfant de Warwick, le sire de l'Isle-Adam, le seigneur de Châtillon, et d'autres bons capitaines, avec environ seize cents hommes d'armes. Barbazan et le sire de Conflans capitaine de la ville de Châlons, vinrent à leur rencontre du côté d'Anglures, et le combat s'engagea dans un lieu nommé la Croisette[118]. Durant la bataille, et pendant qu'on en était rudement aux mains, Barbazan envoya avertir un vaillant écuyer nommé Henri de Bourges, qui tenait une petite garnison dans un château voisin, de faire une sortie. Cette garnison ne faisait que rentrer, revenant d'une course sur le pays. Les hommes d'armes changèrent de chevaux, se coulèrent derrière des vignes, et tombèrent tout à coup sur les ennemis. Ce renfort de quatre cents combattants des plus vaillants, parmi lesquels était Regnault de Vignolles, un frère de la Hire, et bien digne de lui, jeta le trouble dans les Anglais. Le sire de l'Isle-Adam fut blessé, et toute cette troupe se retira en désordre.

Tant de défaites, que ne réparaient point la reprise de quelques petites forteresses aux environs de Paris, mettaient la rage au cœur des Anglais. Les Parisiens ne faisaient plus aucun compte de leur puissance à la guerre, et tenaient pour assuré qu'ils n'avaient qu'à se présenter au combat pour être vaincus. Le duc de Bedford, pour se les rendre plus favorables, n'avait su rien de mieux que d'annoncer toujours que le jeune roi Henri allait arriver. En effet, il avait débarqué à Calais au mois d'avril ; mais depuis lors ou le tenait à Rouen, bien qu'à Paris on fit sans cesse des préparatifs pour le recevoir, et qu'on réglât les fêtes de sa joyeuse entrée[119]. Les habitants de Paris ne mettaient d'espoir qu'au duc de Bourgogne ; mais il ne songeait point à eux, n'avait pas même fait renouveler le traité qui lui avait conféré le titre de lieutenant—général, et ne s'occupait que de ses intérêts.

Ce courroux des Anglais, cette honte de leurs revers, allumèrent encore plus la haine qu'ils avaient contre la Pucelle, maintenant leur prisonnière. Elle était la première origine de la ruine de leurs affaires. Quand elle avait paru, ils étaient au comble de leur gloire, et depuis rien ne leur avait prospéré. Comme en général ils étaient plus portés à la superstition que les Français, ils s'imaginaient que tout leur tournerait à niai, tant que Jeanne vivrait. Leurs chefs les plus sages avaient eux- mêmes conçu une ardeur incroyable de vengeance contre cette malheureuse fille ; ils avaient soif de sa mort. Ils voulaient aussi jeter un reproche d'infamie sur les victoires des Français et sur la cause du roi Charles VII, en y montrant un mélange de sorcelleries et de crimes contre la foi catholique. Leur rage était si grande, qu'ils firent brider à Paris une pauvre femme de Bretagne, seulement parce qu'elle affirmait, d'après les visions qu'elle avait souvent de Dieu le Père, que Jeanne était bonne chrétienne : qu'elle n'avait rien fait que de bien, et qu'elle était venue de la part de Dieu[120].

Les Anglais avaient, pour perdre la Pucelle, un zélé et cruel serviteur dans la personne de Pierre Cauchon, évêque de Beauvais. Excité sans cesse par le duc de Bedford et le comte de Warwick, il conduisit toute la procédure. Les docteurs de l'Université de Paris ne furent pas moins ardents ; ce sont eux qui, en apparence, mirent tout en mouvement.

Après six mois passés dans les prisons de Beaurevoir, d'Arras et du Crotoy ; Jeanne avait été conduite à Rouen, où se trouvait le jeune roi Henri et tout le gouvernement des Anglais. Elle fut menée dans 'la grosse tour du château ; on fit forger pour elle une cage de fer, et on lui mit les fers aux pieds. Les archers anglais, qui la gardaient, l'insultaient grossièrement, et parfois essayèrent de lui faire violence. Ce n'était pas seulement les gens du commun qui se montraient cruels et violents envers elle. Le sire de Luxembourg, dont elle avait été prisonnière, passant à Rouen, alla la voir dans sa prison avec le comte de Warwick et le comte de Strafford : « Jeanne, dit-il en plaisantant, je suis venu te mettre à rançon ; mais il faut promettre de ne t'armer jamais contre nous. — Ah ! mon Dieu, vous vous riez de moi, dit-elle ; vous n'en avez ni le vouloir, ni le pouvoir. Je sais bien que les Anglais me feront mourir, croyant après ma mort gagner le royaume de France ; mais fussent-ils cent mille Goddem de plus qu'à présent, ils n'auront pas ce royaume. » Irrité de ces paroles, le comte de Strafford tira sa dague pour la frapper, et ne fut arrêté que par le comte de Warwick.

Il n'y avait pas en ce moment d'archevêque à Rouen. Pour que l'évêque de Beauvais pût devenir juge de la Pucelle, qui avait été prise dans son diocèse, il fallut que le chapitre de Rouen lui accordât territoire et juridiction. Le roi Henri, sur la demande de cet évêque et de l'Université de Paris, ordonna ensuite, par lettres patentes, que la femme qui se faisait appeler la Pucelle fût livrée audit évêque pour l'interroger et procéder contre elle, sauf à reprendre la susdite, si elle n'était pas atteinte et convaincue de ce qui lui était imputé. Du reste, les Anglais ne voulurent jamais consentir à la mettre, ainsi qu'elle aurait dû être, dans la prison de l'archevêque. Jeanne elle-même, ainsi que quelques docteurs, remarqua cette violation du droit, mais l'évêque de Beauvais s'en inquiéta peu.

Il ne se trouvait guère d'ecclésiastiques aussi zélés que Pierre Cauchon pour les Anglais, et aussi furieux contre Jeanne. Cependant cet évêque, tout emporté qu'il était, voulut par précaution s'environner d'autant de gens lettrés et habiles qu'il en pourrait réunir. Sa violence et les menaces des Anglais lui firent trouver beaucoup d'hommes faibles qui agissaient par peur et complaisance, et d'autres, niais en bien petit nombre, qui, comme lui, se firent serviteurs cruels et empressés du conseil d'Angleterre.

Jean Lemaître, vicaire de l'inquisiteur-général du royaume, fut des premiers. Il chercha tous les moyens de ne point prendre part aux iniquités qu'il voyait préparer contre la malheureuse Jeanne. Il prétendit que l'évêque de Beauvais agissant comme sur son propre territoire, le vicaire du diocèse de Rouen n'en devait point connaître. Il fallut qu'une commission spéciale de l'inquisiteur-général lui fût envoyée.

Ce n'était pas chose facile de donner à une telle affaire une apparence de justice, et de contenter les Anglais en suivant les procédés des lois et des coutumes ; car il était public que Jeanne était une sainte personne, qui avait bravement combattu contre les Anglais et les Bourguignons, qui avait été prise à la guerre, et à qui l'on n'avait nul autre reproche à faire. Aussi ce procès fut-il une suite de mensonges, de pièges dressés à l'accusée, de violations continuelles du droit, avec l'hypocrisie d'en vouloir suivre les règles[121].

On commença par laisser pénétrer dans sa prison un prêtre nommé Nicolas l'Oiseleur, qui feignit d'être Lorrain et partisan secret du roi de France. Il mit tout en œuvre pour avoir sa confiance. Pendant ce temps-là, l'évêque de Beauvais et le comte de Warwick, cachés tout auprès, écoutaient ce qu'elle disait. Les notaires, qu'ils avaient amenés pour l'écrire, en eurent honte ; ils dirent qu'ils écriraient ce qu'elle répondrait devant le tribunal ; mais que ceci n'était point chose honnête. D'ailleurs qu'aurait dit Jeanne qu'elle ne fût prête à dire devant tout le monde ? Ce prêtre devint ensuite son confesseur, et durant le procès lui conseilla toujours les réponses qui pouvaient lui nuire.

Les seuls juges qui eussent voix pour prononcer étaient l'évêque et le vicaire de l'inquisiteur. Les docteurs qu'on avait réunis presque jusqu'au nombre de cent, leur servaient seulement de conseil et d'assesseurs. Un chanoine de Beauvais, nommé Estivet, remplissait les fonctions de promoteur, qui sont celles de procureur du roi. Ce fut, après l'évêque, le plus violent contre l'accusée. 11 l'injuriait sans cesse, et s'emportait contre ceux qui demandaient les règles de la justice.

Il y avait aussi un conseiller-commissaire-examinateur pour faire les interrogatoires préliminaires.

On avait envoyé faire des informations à Domremy, dans le pays de Jeanne. Comme elles lui étaient favorables, elles furent supprimées, et l'on n'en donna point connaissance aux docteurs.

Jeanne commença par subir six interrogatoires de suite devant ce nombreux conseil. Elle y parut peut-être plus courageuse et plus étonnante que lorsqu'elle combattait les ennemis du royaume. Cette pauvre fille, si simple, que tout au plus savait-elle son Pater et son Ave, ne se troubla pas un seul instant. Les violences ne lui causaient ni frayeur ni colère. On n'avait voulu lui donner ni avocat ni conseil ; mais sa bonne foi et son bon sens déjouaient toutes les ruses qu'on employait pour la faire répondre d'une manière qui aurait donné lieu à la soupçonner d'hérésie ou de magie. Elle faisait souvent de si belles réponses, que les docteurs en demeuraient ton t stupéfaits. On lui demanda si elle savait être en la grâce de Dieu : « C'est une grande chose, dit-elle, de répondre à une telle question. — Oui, interrompit un des assesseurs nommé Jean Fabri, c'est une grande question, et l'accusée n'est pas tenue d'y répondre. — Vous auriez mieux fait de vous taire, s'écria l'évêque en fureur. — Si je n'y suis pas, répondit-elle. Dieu m'y veuille recevoir ; et si j'y suis, Dieu m'y veuille conserver. » Elle disait encore : « Si ce n'était la grâce de Dieu, je ne saurais moi-même comment agir. » Une autre fois, on l'interrogeait touchant son étendard. « Je le portais au lieu de lance, disait-elle, pour éviter de tuer quelqu'un ; je n'ai jamais tué personne. » Et puis quand on voulait savoir quelle vertu elle supposait dans cette bannière : « Je disais : entrez hardiment parmi les Anglais, et j'y entrais moi-même. » On lui parla du sacre de Reims, où elle avait tenu son étendard près de l'autel : « Il avait été à la peine, c'était bien raison, dit-elle, qu'il fût à l'honneur. »

Quant à ses visions, elle racontait tout ce qu'elle avait déjà dit à Poitiers. Sa foi était la même en ce que lui disaient ses voix. Elle les entendait sans cesse dans sa prison ; elle voyait souvent les deux saintes ; elle recevait leurs consolations et leurs encouragements ; c'était par leur conseil qu'elle répondait hardiment ; c'était d'après elles qu'elle répétait tranquillement devant ce tribunal tout composé de serviteurs des Anglais, que les Anglais seraient chassés de France.

Un point sur lequel on revenait souvent, c'était les signes qu'elle avait donnés au roi pour être agréée de lui. Souvint elle refusait de répondre là-dessus ; d'autres fois c'était les voix qui lui avaient défendu d'en rien dire. Puis cependant elle faisait à ce sujet des récits étranges et divers, d'un ange qui aurait remis une couronne au roi de la part du ciel, et de la façon dont cette vision se serait passée. Tantôt le roi seul l'avait vue ; tantôt beaucoup d'autres en avaient été témoins. D'autres fois c'était elle - même qui était cet ange ; puis elle semblait confondre cette couronne avec celle qu'on avait réellement faire fabriquer pour le sacre de Reims. Enfin ses idées sur les premières entrevues qu'elle avait eues avec le roi semblaient confuses, sans suite et sans signification. Plusieurs ont pu y voir des allégories ou de grands mystères. Dans les sermons qu'on lui faisait prêter de répondre vérité, elle mettait toujours une réserve touchant ce qu'elle avait dit au roi, et elle ne jurait de répondre que sur les faits du procès. Du reste, rien n'était si pieux, si simple, si vrai que tout ce qu'elle disait.

Par-là, elle ne faisait qu'accroître la fureur des Anglais et de l'évêque. Les conseillers qui prenaient le parti de l'accusée étaient insultés, et souvent menacés d'être jetés à la rivière. Les notaires étaient contraints d'admettre les réponses favorables, et à grand'peine pouvaient-ils se défendre d'insérer des faussetés. Après les premiers interrogatoires, l'évêque jugea à propos de ne continuer la procédure que devant un très-petit nombre d'assesseurs : il dit aux autres qu'on leur communiquerait tout, et qu'on leur demanderait leur avis sans requérir leur présence.

Le procès avait déjà éloigné tous les faits de sorcellerie. Aucun témoignage, aucune réponse de l'accusée ne pouvaient laisser sur cela le moindre soupçon. Lorsqu'on lui avait parlé d'un arbre des fées, fameux dans son village, elle avait dit que sa marraine assurait bien avoir vu les fées, mais que pour elle, elle n'avait jamais eu aucune vision en ce lieu. D'ailleurs, on avait procédé aux mêmes visites qu'à Poitiers, et l'idée que le diable ne peut faire de pacte avec une vierge, était encore une justification. Le duc de Bedford eut la déshonnête curiosité de se cacher dans la chambre voisine, durant cette visite, et de regarder par une ouverture de la muraille.

Ainsi l'accusation se dirigea sur deux points : le péché de porter un habit d'homme, et le refus de se soumettre à l'Église. Ce fut une chose singulière que son obstination à tie point porter l'habit de son sexe. Sans 'doute, les vêtements qu'elle conservait pouvaient mieux garantir sa pudeur des outrages de ses gardiens ; mais elle ne disait point ce motif. C'était toujours l'ordre de ses voix qu'elle alléguait ; il semblait que sa volonté ne fût pas libre sur cet article, et qu'elle eût quelque devoir prescrit par la volonté divine. Quant à la soumission à l'Église, c'était un piège où la faisait tomber la malice de son juge. On lui avait fait une distinction savante et subtile de l'Église triomphante dans le ciel, et de l'Église militante sur la terre. Grâce à son perfide confesseur, elle se persuadait que se soumettre à l'Église, c'était reconnaitre le tribunal, qu'elle voyait composé de ses ennemis, et où elle demandait toujours qu'il y eût aussi des gens de son parti.

Après ses premiers interrogatoires, le promoteur dressa les articles sur lesquels il faisait porter l'accusation ; car tout jusqu'alors n'avait été qu'une instruction préparatoire. Les interrogatoires recommencèrent alors devant un plus grand nombre d'assesseurs ; il y en avait trente ou quarante, niais non plus cent. Presque tous ne cherchaient qu'à se dérober à ce cruel office ; et les menaces des Anglais en avaient fait partir plusieurs.

Cependant maître de la Fontaine commissaire-examinateur, et deux autres assesseurs, émus de pitié et de justice, ne purent endurer qu'on trompât ainsi Jeanne sur le chapitre de la soumission à l'Église. Ils allèrent la voir, et tâchèrent de lui expliquer que l'Eglise militante, c'était le pape et les saints conciles : qu'ainsi elle ne risquait rien à s'y soumettre. Un d'entre eux eut même le courage de lui dire en plein interrogatoire, de se soumettre au concile général de Bâle, qui pour lors était assemblé. « Qu'est-ce, dit-elle, qu'un concile général ? — C'est une congrégation de l'Église universelle, ajouta frère Isambard, et il s'y trouve autant de docteurs de votre parti que du parti des Anglais. — Oh, en ce cas, je m'y soumets ! s'écria-t-elle. — Taisez-vous donc, de par le diable, » interrompit l'évêque, et il défendit au notaire d'écrire cette réponse : « Hélas ! vous écrivez ce qui est contre moi, et vous ne voulez pas écrire ce qui est pour, » dit la pauvre fille.

Frère Isambard n'en fut pas quitte pour la colère de l'évêque. Le comte de Warwick l'accabla ensuite d'injures et de menaces. « Pourquoi as-tu, ce matin, soufflé cette méchante ? lui dit-il ; par là morbleu vilain, si je m'aperçois que tu veuilles encore l'avertir pour la sauver, je te ferai jeter à la Seine. » Le commissaire-examinateur et l'autre assesseur se prirent tellement de crainte, qu'ils s'en allèrent de la ville ; il fut défendu que personne, hors l'évêque, pût entrer dans la prison.

Les interrogatoires terminés, on rédigea en douze articles latins la substance des réponses de l'accusée, et comme un des assesseurs remarquait que l'on en rapportait le sens inexactement, l'évêque, sans plus conférer avec personne, envoya ces douze articles mensongers, comme mémoire à consulter sans nommer l'accusée, à l'Université de Paris, an chapitre de Rouen, aux évêques de Lisieux, d'Avranches et de Coutances, et à plus de cinquante docteurs, la plupart assesseurs dans le procès. Les juges voulaient ainsi, selon la forme et la coutume, être éclairés sur les points de doctrine et les faits qui concernaient la foi catholique.

Tous les avis furent contraires à l'accusée. Sans parler du mauvais vouloir de ceux qui étaient consultés, ils ne pouvaient guère répondre d'autre sorte au faux exposé qu'on avait mis sous leurs yeux. Tous pensèrent que l'accusée sur laquelle on les consultait, avait cru légèrement ou orgueilleusement à des apparitions et révélations qui venaient sans doute du malin esprit : qu'elle blasphémait Dieu en lui imputant l'ordre de porter l'habit d'homme, et qu'elle était hérétique en refusant de se soumettre à l'Eglise.

Pendant ce temps-là, les juges sans attendre les réponses, faisaient à Jeanne des monitions ; car un tribunal ecclésiastique n'était jamais censé demander que la soumission du coupable. En ce moment elle tomba fort malade, ce qui mit les Anglais en grande inquiétude. « Pour rien au monde, disait le comte de Warwick, le roi ne voudrait qu'elle mourût de mort naturelle ; il l'a achetée si cher, qu'il entend qu'elle soit brûlée. Qu'on la guérisse au plus vite. »

Lorsqu'elle ne fut plus malade, on reprit les monitions ; personne n'éclaircissait plus à son esprit simple et ignorant tout le verbiage qu'on lui tenait sur la soumission à l'Église ; aussi paraissait-elle toujours s'en rapporter seulement à ce qu'elle tenait elle-même de Dieu par ses voix ; cependant elle parlait sans cesse avec respect de l'autorité du pape. Son obstination à ne pas reprendre les habits de femme n'était pas moindre.

Enfin la sentence fut portée. C'était, comme les jugements ecclésiastiques, une déclaration faite à l'accusée, que, pour tels et tels motifs elle était retranchée de l'Église, comme un membre infect, et livrée à la justice séculière. On ajoutait toujours pour la forme, que les laïques seraient engagés à modérer la peine, en ce qui touche la mort ou la mutilation.

Mais l'on voulut avoir d'elle, avant son supplice, une sorte d'aveu public de la justice de sa condamnation. Pour lors on commença à lui faire donner par son faux confesseur le conseil de se soumettre, avec la promesse d'être traitée doucement, et de passer des mains des Anglais aux mains de l'Église. Le 24 mai 1431 elle fut amenée au cimetière Saint-Ouen ; là, deux grands échafauds étaient dressés ; sur l'un était le cardinal Winchester, l'évêque de Beauvais, les évêques de Noyon et de Boulogne, et une partie des assesseurs.

Jean ne fut conduite sur l'autre échafaud ; sur celui-ci, se trouvaient le docteur qui devait prêcher, les notaires du procès, les appariteurs qui avaient été chargés de sa garde durant les interrogatoires, maître l'Oiseleur et un autre assesseur qui l'avait aussi confessée. Tout auprès était le bourreau avec sa charrette, disposée pour recevoir la Pucelle et la conduire au bûcher préparé sur la grande place. Une foule immense de Français et d'Anglais remplissaient le cimetière. Le prédicateur parla longuement. « Ô noble maison de France ! dit-il entre autres choses, qui toujours jusqu'à présent t'étais gardée des choses monstrueuses, et qui a toujours protégé la foi, as-tu été assez abusée pour adhérer à une hérétique et une schismatique ; c'est grand’pitié ! Ah ! France, tu es bien abusée, toi qui a toujours été la chambre très-chrétienne ; et Charles, qui te dis son roi et son gouverneur, tu as adhéré, comme un hérétique que tu es, aux paroles et aux faits d'une vaine femme diffamée et pleine de déshonneur. »

Sur ce, elle l'interrompit : « Parlez de moi, mais non pas du roi ; il est bon chrétien, et j'ose bien dire- et jurer, sous peine de la vie ; que c'est le plus noble d'entre les chrétiens, qui aime le mieux la foi et l'Église. Il n'est point tel que vous dites. — Faites-la taire, » s'écria l'évêque de Beauvais.

En finissant le sermon, le prédicateur lut à Jeanne une formule d'abjuration, et lui dit de la signer. « Qu'est-ce qu'abjuration ? » dit-elle ? On lui expliqua que si elle refusait les articles qu'on lui présentait, elle serait brûlée, et qu'il fallait se soumettre à l'Église universelle. « Eh bien, j'abjurerai, si l’Église universelle le veut ainsi. » Mais ce n'était pas les soumissions à l'Église ni au pape qu'on voulait avoir d'elle, c'était l'aveu que ses juges avaient bien jugé. Alors on redoubla de menaces, d'instances, de promesses. On tenta tous les moyens de la troubler. Elle fut longtemps ferme et invariable. « Tout ce que j'ai fait, j'ai bien fait de le faire, » disait-elle.

Cette scène se prolongeait. Pour lors les Anglais commencèrent à s'impatienter de ce qui leur semblait de la miséricorde. Des cris s'élevaient contre l'évêque de Beauvais ; on l'appelait traître. « Vous en avez menti, disait-il ; mais c'est le devoir d'un évêque de chercher le salut de l'âme et du corps de l'accusé. » Le cardinal de Winchester imposa silence à ses gens.

Enfin l'on triompha de la résistance de Jeanne. « Je veux, dit-elle, tout ce que l'Église voudra, et puisque les gens d'église disent que mes visions ne sont pas croyables, je ne les soutiendrai pas. — Signe donc, ou tu vas périr par le feu, » lui dit le prédicateur. Dans tout cet intervalle, un secrétaire du roi d'Angleterre, qui se trouvait près de l'échafaud de Jeanne, avait mis à la place des articles qu'on lui avait lus, et qu'on avait eu tant de peine à lui faire approuver, un autre papier contenant une longue abjuration, où elle avouait que tout ce qu'elle avait dit était mensonger, et priait qu'on lui pardonnât ses crimes. On prit sa main, et on lui fit mettre au bas de ce papier une croix pour signature. Le trouble se mit aussitôt parmi la foule ; les Français se réjouissant de la voir sauvée ; les Anglais furieux et jetant des pierres.

L'évêque de Beauvais et l'inquisiteur prononcèrent alors une autre sentence qu'ils avaient apportée, et condamnèrent Jeanne à passer le reste de ses jours en prison, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse. Dès l'instant même, on manqua aux promesses qu'on venait de lui faire. Elle croyait être remise au clergé, et ne plus être aux mains des Anglais ; quoi qu'elle pût dire, on la ramena à la Tour.

Cependant les Anglais étaient en grande colère ; ils tiraient leurs épées, et menaçaient l'évêque et les assesseurs, criant qu'ils avaient mal gagné l'argent du roi. Le comte de -Warwick lui-même se plaignit à l'évêque : « L'affaire va mal, puisque Jeanne échappe, dit-il. — N'ayez pas de souci, dit un des assesseurs ; nous la retrouverons bien. »

Ce fut en effet à quoi l'on s'occupa sans tarder. Elle avait repris l'habit de femme. On laissa son habit d'homme dans la même chambre. En même temps les Anglais qui la gardaient, et même un seigneur d'Angleterre, se portaient contre elle à d'indignés violences. Elle était plus étroitement enchaînée qu'auparavant, et traitée avec plus de dureté. On n'omettait rien, pour la jeter dans le désespoir. Enfin, voyant qu'on ne pouvait réussir à lui faire violer la promesse qu'elle avait faite de garder les vêtements de son sexe, on les lui enleva durant son sommeil, et on ne lui laissa que l'habit d'homme. « Messieurs, dit-elle en s'éveillant, vous savez que cela m'est défendu ; je ne veux point prendre cet habit. » Mais pourtant il lui fallut se lever et se vêtir. Alors ce fut une joie extrême parmi les Anglais. « Elle est prise ! » s'écria le comte de Warwick. On fit aussitôt avertir l'évêque. Les assesseurs, qui arrivèrent un peu avant lui, furent menacés et repoussés par les Anglais qui remplissaient la cour du château.

Sans vouloir écouter ses excuses, sans laisser mettre dans le procès-verbal les outrages qu'on lui avait faits et la nécessité où elle avait été placée de changer de vêtements, sans s'arrêter à ses justes plaintes, l'évêque lui dit qu'il voyait bien qu'elle tenait encore à ses illusions. « Avez-vous encore entendu vos voix ? ajouta-t-il. — Il est vrai, répondit-elle. — Qu'ont-elles dit ? poursuivit l'évêque. — Dieu m'a fait connaître, continua-t-elle, que c'était grand'pitié d'avoir signé votre abjuration pour sauver ma vie. Les deux saintes m'avaient bien dit sur l'échafaud de répondre hardiment à ce faux prédicateur, qui m'accusait de ce que je n'ai jamais fait ; elles m'ont reproché ma faute. » Alors elle affirma plus-que jamais qu'elle croyait que ses voix venaient de Dieu : qu'elle n'avait nullement compris- ce que c'était qu'abjuration : qu'elle n'avait signé que par crainte du feu : qu'elle aimait mieux mourir que de rester enchaînée : que la seule chose qu'elle pût faire, c'était de porter l'habit de femme. « Du reste, donnez-moi une prison douce ; je serai bonne et ferai tout ce que voudra l'Église. »

C'en était assez, elle était perdue. « Farewell ! » cria l'évêque aux Anglais et au comte de Warwick, qui l'attendaient au sortir de la prison.

Les juges résolurent donc de la remettre à la justice séculière, c'est-à-dire de l'envoyer au supplice. Quand cette dure et cruelle mort fut annoncée à la pauvre fille, elle se prit à pleurer et à s'arracher les cheveux. Ses voix l'avaient souvent avertie qu'elle périrait ; souvent aussi elle avait cru que leurs paroles lui promettaient délivrance ; mais aujourd'hui elle ne songeait qu'à cet horrible supplice. « Hélas ! disait-elle, réduire en cendres mon corps qui est pur et n'a rien de corrompu. J'aimerais sept fois mieux qu'on me coupât la tête. Si, comme je le demandais, l'eusse été gardée par les gens d'église, et non par mes ennemis, il ne me serait pas si cruellement advenu. Ah ! j'en appelle à Dieu, le grand juge, des cruautés et des injustices qu'on me fait. »

Lorsqu'elle vit Pierre Cauchon : « Évêque, dit-elle, je meurs par vous. » Puis à un des assesseurs : « Ah ! maître Pierre, où serai-je aujourd'hui ? — N'avez-vous pas bonne espérance en Dieu ? répondit-il. — Oui, reprit-elle ; Dieu aidant, j'espère bien aller en paradis. » Par une singulière contradiction avec la sentence, on lui permit de communier. Le 30 mai, sept jours après son abjuration, elle monta dans la charrette du bourreau. Son confesseur, non celui qui l'avait trahie, mais frère Martin-l'Advenu et frère Isambart, qui avaient au contraire plus d'une -fois réclamé justice dans le procès, étaient près d'elle. Huit cents Anglais, armés de haches, de lances et d'épées, marchaient à l'entour.

Dans le chemin, elle priait si dévotement, et se lamentait avec tant de douceur, qu'aucun Français ne pouvait retenir ses larmes. Quelques-uns des assesseurs n'eurent pas la force de la suivre jusqu'à l'échafaud. Tout à coup un prêtre perça la foule, arriva jusqu'à la charrette et y monta. C'était maître Nicolas l'Oiseleur, son faux confesseur, qui, le cœur contrit, -venait demander à Jeanne pardon 'de sa perfidie. Les Anglais l'entendant, et furieux de son repentir, voulaient le tuer. Le comte de Warwick eut grand'peine à le sauver.

Arrivée à la place du supplice : « Ah ! Rouen, dit-elle, Rouen ! est-ce ici que je dois mourir ? »

Le cardinal de Winchester et plusieurs prélats français étaient placés sur un échafaud ; les juges ecclésiastiques et séculiers sur un autre. Jeanne fut amenée devant eux. On lui fit d'abord un sermon pour lui reprocher sa rechute ; elle l'entendit avec patience et grand calme. « Jeanne, allez en paix ; l'Église ne peut plus te défendre, et te livre aux mains séculières. » Tels furent les derniers mots du prédicateur.

Alors elle se mit à genoux, et se recommanda à Dieu, à la sainte Vierge et aux saints, surtout à saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite ; elle laissait voir tant de ferveur, que chacun pleurait, même le cardinal de Winchester, et plusieurs Anglais. Jean de Mailli, évêque de Noyon, et quelques autres du clergé de France, descendirent de l'échafaud, ne pouvant endurer un si lamentable spectacle.

L'évêque de Beauvais donna lecture de la sentence qui la déclarait relapse et l'abandonnait au bras séculier. Ainsi repoussée par l'Église, elle demanda la croix. Un Anglais en fit une de deux bâtons, et la lui donna. Elle la prit dévotement et la baisa ; mais elle désira avoir celle de la paroisse ; ou alla la quérir, et elle la serrait étroitement contre son cœur en continuant ses prières.

Cependant les gens de guerre des Anglais, et même quelques capitaines, commencèrent à se lasser de tant de délai. « Allons donc, prêtre ; voulez-vous nous faire dîner ici ? disaient les uns. — Donnez-la-nous, disaient les autres, et ce sera bientôt fini. — Fais ton office, » disaient-ils au bourreau.

Sans autre commandement, et avant la sentence du juge séculier, le bourreau la saisit. Elle embrassa la croix, et marcha vers le bûcher. Des hommes d'armes anglais l'y entraînaient avec fureur. Jean de Mailli, évêque de Noyon et plusieurs ecclésiastiques, ne pouvant soutenir ce spectacle, descendirent de leur échafaud, et se retirèrent.

Le bûcher était dressé sur un massif de plâtre. Lorsqu'on y fit monter Jeanne, on plaça sur sa tête une mitre où étaient écrits les mots hérétique, relapse, apostate, idolâtre. Frère Martin-l'Advenu son confesseur, était monté sur le bûcher avec elle ; il y était encore, que le bourreau alluma le feu. « Jésus ! » s'écria Jeanne. Et elle fit descendre le bon prêtre. « Tenez-vous en bas, dit-elle ; levez la croix devant moi, que je la voie en mourant, et dites-moi de pieuses paroles jusqu'à la fin. »

L'évêque s'approcha ; elle lui répéta : « Je meurs par vous. » Et elle assura encore que les voix venaient de Dieu, qu'elle ne croyait pas avoir été trompée, et qu'elle n'avait rien fait que par ordre de Dieu. « Ah ! Rouen, ajoutait-elle, j'ai grand'peur que tu ne souffres de ma mort. » Ainsi protestant de son innocence, et se recommandant au ciel, on l'entendit encore prier à travers la flamme ; le dernier mot qu'on put distinguer fut : Jésus !

Il y avait peu d'hommes assez durs pour retenir leurs larmes ; tous les Anglais, sauf quelques gens de guerre qui continuaient à rire, étaient attendris. « C'est une belle fin, disaient quelques-uns, et je me tiens heureux de l'avoir vue, car elle fut bonne » femme. » Les Français murmuraient que cette mort était cruelle et injuste. « Elle meurt martyre pour son vrai seigneur ; — Ah ! nous sommes perdus ; on a brûlé une sainte ; — Plût à Dieu que mon âme fût où est la sienne ! » Tels étaient les discours qu'on tenait. Un autre avait vu le nom de jésus écrit en lettres de flamme au-dessus lu bûcher.

Mais ce qui fut plus merveilleux, c'est ce qui advint à un homme d'armes anglais. Il avait juré de porter un fagot de sa propre main au bûcher ; quand il s'approcha pour faire ce qu'il avait dit, entendant la voix étouffée de Jeanne, qui criait : Jésus ! le cœur lui man qua, et on le porta en défaillance à la prochaine taverne. Dès le soir, il alla trouver frère Isambart, se confessa à lui, dit qu'il se repentait d'avoir tant haï la Pucelle, qu'il la tenait pour sainte femme, et qu'il avait vu son âme s'envoler des flammes vers le ciel, sous la forme d'une blanche colombe. Le bourreau vint aussi se confesser le jour même, craignant de ne jamais obtenir le pardon de Dieu.

Ce qui faisait encore crier au miracle, c'est que, lorsque Jeanne fut étouffée, ce bourreau avait écarté le feu pour montrer au peuple son corps dépouillé, et qu'on avait cru voir que la flamme l'avait laissé presque entier. Pour qu'il n'en restât plus de vestiges, le cardinal de Winchester ordonna que les cendres de la malheureuse Jeanne fussent jetées dans la Seine.

Cependant le gouvernement des Anglais n'avait point obtenu, comme il le désirait tant, l'aveu que toutes les apparitions de Jeanne et les prédictions de ses voix étaient autant de mensonges. Il pouvait voir par le bruit commun qu'on tenait la sentence pour injuste, et rendue en haine de la Pucelle et du roi de France. D'autre part, l'évêque de Beauvais était inquiet de ce qui pourrait lui arriver pour avoir conduit une telle procédure ; il voulut même avoir des lettres de garantie du roi d'Angleterre, qui s'engagea à Le soutenir et à le défendre devant le concile et le pape, s'il en était besoin.

Huit jours après la mort de Jeanne, on imagina donc de commencer une information, afin de prouver par témoins qu'elle avait abjuré et reconnu la fausseté de ses visions ; on trouva encore, pour être garants de ce récit, maître l'Oiseleur et quelques autres. Les notaires du procès se refusèrent à signer. Personne ne sembla croire à ces témoignages tardifs. Il était à croire que, si Jeanne se fût ainsi démentie, on n'eût pas manqué à en constater, de son vivant, la certitude juridique.

Néanmoins le roi d'Angleterre écrivit à tous les princes de la chrétienté une lettre pour leur exposer comment il avait été procédé contre Jeanne, et ce qui lui avait été imputé ; il assurait qu'elle avait reconnu à sa mort que des esprits mauvais et mensongers l'avaient moquée et déçue. Le même récit fut envoyé aux évêques, aux églises, aux principaux seigneurs et aux bonnes villes du royaume. Il n'en demeura pas moins établi dans les esprits, en France et dans les pays chrétiens, que les Anglais avaient cruellement mis à mort cette pauvre fille par une basse vengeance, par colère de leurs défaites, et en mettant leur volonté à la place de la justice. Les Bourguignons eux-mêmes ne partageaient en rien le ressentiment des Anglais, et chez eux[122] on parla toujours de la Pucelle comme d'une fille merveilleuse, vaillante à la guerre, et qui ne méritait en rien cette horrible sentence.

Elle n'eut, ce semble, d'autres approbateurs que parmi le peuple de Paris, où beaucoup de gens avaient encore une si grande haine des Armagnacs et du roi, que tout ce qui était contre eux leur semblait croyable[123]. Le 4 juillet, conformément à ce que le roi d'Angleterre avait ordonné dans sa lettre aux évêques, il fut fait une prédication pour informer le peuple du jugement et des crimes de la Pucelle. Ce fut un dominicain, inquisiteur de la foi, qui fit ce sermon. Il ne se borna point aux imputations du procès, ni aux faux motifs du jugement, mais raconta encore aux Parisiens beaucoup d'autres mensonges et rumeurs populaires ; il dit entre autres que c'était frère Richard qui avait instruit Jeanne à débiter de telles impostures, ainsi que Catherine de La Rochelle, et Perrette-la-Bretonne, qu'on avait, l'année d'auparavant, brûlée à Paris.

Tous ces restes de la faction des bouchers avaient assurément un très-mauvais vouloir contre le parti des Français ; néanmoins il s'en fallait beaucoup qu'ils eussent le moindre amour pour les Anglais[124]. Depuis la chute de leur fortune, les anciens ennemis du royaume perdaient tout crédit sur les esprits. C'était de continuelles railleries sur leurs défaites. On assurait que, lorsqu'ils étaient allés attaquer Lagny, toute leur entreprise s'était réduite à tuer un coq ; et, quand ils en revinrent, on disait que c'était pour se confesser et faire leurs pâques[125].

Louviers que les Anglais assiégeaient depuis longtemps, et qu'ils se vantaient de prendre aussitôt après la mort de la Pucelle, continuait aussi à se bien défendre ; la Hire était dans la ville avec son frère Amadoc et le sire d'Illiers.

Pendant ce temps, Ambroise de Loré, qui commandait l'armée du duc d'Alençon, avait encore de plus grands avantages dans la Normandie et le Perche.

Le maréchal de Boussac et Saintrailles se tenaient à Beauvais ; ils furent avertis que, le 4 août, le duc de Bedford devait se rendre, assez peu accompagné, de Rouen à Paris. Ils tombèrent à l'improviste sur lui auprès de Mantes ; il n'eut le temps que de se jeter en un bateau, et de passer la rivière pour gagner Paris en toute hâte[126] ; presque tous ses gens y périrent. Le bruit se répandit même au camp des Anglais devant Louviers qu'il était tué ou pris. Aussitôt le comte de Warwick et le comte d'A rondel quittèrent le siège et marchèrent contre le maréchal de Boussac, qui menaçait aussi la Normandie et Rouen. Il n'avait pas une armée nombreuse ; il se renferma dans Beauvais. Les Anglais le suivirent jusque-là. Quelques jours après, les Français firent une sortie, et se lancèrent à la poursuite des ennemis jusqu'au village de Nulli ; mais ils tombèrent ainsi dans un piège. Tout à coup le comte d'Arundel déboucha d'un petit vallon. Les Français furent surpris : le maréchal de Boussac ordonna aussitôt qu'on se mit en ordre et en bataille. Il était trop tard ; l'avant-garde que commandait Saintrailles, s'était emportée trop loin. Elle fut environnée ; et, après s'être défendus de leur mieux, les sires de Saintrailles et de Gaucourt furent faits prisonniers. Avec eux, tomba aux mains des Anglais un jeune berger, que, depuis la mort de la Pucelle, on tâchait de mettre en crédit parmi les gens de guerre. Cet enfant était une sorte de fou ; il avait des visions, et montrait ses mains et son côté tachés de sang, ainsi qu'un autre saint François ; il montait à cheval, assis comme une femme. On répandait qu'il n'avait qu'à toucher les portes d'une ville pour les faire ouvrir, et qu'il avait promis de mener les Français à Rouen. On le nommait Guillaume-le-Pastourel[127].

Cette victoire des Anglais n'était pas grande, et réparait mal leurs affaires. Elles déclinaient d'autant plus que leur puissant allié, le duc de Bourgogne, s'était lassé de faire tant de frais pour recueillir si peu d'avantages. Peu après le moment où il avait été défié par les : Français, il avait quitté son armée pour retourner près de la Duchesse qui venait de perdre son fils, né depuis cinq mois. « Plût à Dieu que je fusse mort aussi, je me tiendrais pour plus heureux ! » s'était écrié le Duc, en recevant cette triste nouvelle.

Au mois d'avril suivant, désirant enfin sortir des embarras et des chagrins que lui causait cette guerre, il envoya des ambassadeurs au roi Henri à Rouen, et à Londres au conseil d'Angleterre ; ils étaient chargés de montrer fortement l'état des affaires[128].

Le duché de Bourgogne et le comté de Charolais étaient sur une frontière de cent soixante lieues, exposés aux courses des Français. Le comte de Clermont attaquait le Charolais, et s'avançait jusqu'à Marcigny. Au nord, vers Auxerre, il y avait deux ans que les moissons et les récoltes n'avaient pu se faire. Crevant, Mailli, Mussi étaient tombés aux mains des Français, qui occupaient déjà Sens et Villeneuve-le-Roi ; de sorte que Auxerre était comme bloqué ; la famine y régnait ; il n'y pouvait entrer de grains que ce qu'apportaient, dans leurs besaces, les femmes et les filles de la campagne. Le Duc avait été obligé d'envoyer, à main armée, un convoi de vivres pour soulager les malheureux habitants.

Le Nivernais était ravagé par les garnisons de Saint-Pierre-le-Moutier et de Château-Chinon. Le sire de Chabannes, avec six cents hommes d'armes, n'y trouvait que peu de résistance.

Le Rethélois était en proie aux attaques des Français de la Champagne, que commandait le sire de Barbazan.

L'Artois était la province la plus exposée à la guerre. La ville de Corbie avait récemment été presque surprise par une attaque imprévue. Les riches terres de Péronne, de Roye, de Montdidier, restaient sans culture, et il fallait tenir à grande dépense des garnisons dans chaque ville et dans chaque château.

Le comté de Namur était pressé par les Liégeois, qui y menaient une forte guerre.

Ainsi les vastes états du Duc se trouvaient épuisés d'hommes et d'argent. Ses fidèles sujets lui demandaient de tous côtés la fin de leurs malheurs. Les seigneurs et les chevaliers tombaient sans cesse aux mains des Français, et se ruinaient à payer leur rançon.

Les ambassadeurs du duc Philippe remontrèrent que lui seul de tous les parons et alliés du roi d'Angleterre, se mettait de la sorte en frais et en péril, contre les usages du temps passé, où le roi entreprenait et conduisait les guerres à ses frais et dépens.

Nonobstant la détresse de ses domaines, le Duc promettait de donner encore mille combattants au comte de Ligny, pour défendre la Picardie : d'en confier autant à son maréchal de Bourgogne, qui était venu lui demander secours pour le duché. Mais c'était pour deux mois seulement qu'il s'engageait à soutenir la guerre ; passé ce temps, le roi Henri aurait à la faire à ses frais. Autrement, il ne trouverait pas mauvais que le duc de Bourgogne cherchât une manière de sauver ses états. Notre maître et seigneur souffrirait trop, disaient les ambassadeurs, de perdre ainsi des pays que lui ont laissés ses prédécesseurs, d'autant que la conquête de la France ne sera pas à son profit.

Lorsqu'on répondait que la guerre regardait autant le Duc que le roi, les ambassadeurs disaient que leur maître avait le cœur plein de pitié et de douleur de voir ce noble et puissant royaume dans une si grande misère, et que sans l'intérêt particulier du roi, il procéderait assurément d'autre sorte.

Enfin, comme on voulait faire entendre que le Duc avait eu tort de quitter le siège de Compiègne, les envoyés répondaient qu'il avait fait loyalement son devoir, et que l'issue de ce siège le chagrinait phis que nul autre ; car il y avait perdu un grand nombre de ses gens tués ou mis à rançon. En outre, il y avait dépensé une première somme de 260.300 fr., argent de Flandre, où le franc valait trente-deux gros, de huit deniers chaque, tandis qu'il n'avait reçu que 54.000 saluts, qui étaient la monnaie d'or que les Anglais faisaient frapper en France, et qui valaient 25 sols ; puis, une seconde somme de 57,5oo francs d'or français, à 20 sols le franc. Maintenant, pour assembler des hommes d'armes en Picardie et en Bourgogne, il allait lui en coûter, sans parler de l'artillerie, encore 50.000 francs.

« En un mot, il déplaît sans doute beaucoup à monseigneur de Bourgogne que depuis le siège d'Orléans les affaires aillent si mal ; mais il sait qu'en fait de guerre, les choses ne vont pas toujours comme on veut, et que Dieu est par-dessus tout, qui en fait à son plaisir et à sa volonté. »

Le conseil du roi d'Angleterre, séant à Rouen, répliquait que le Duc devait se souvenir comment les marches de Bourgogne étaient depuis longtemps ravagées par la guerre, lorsque le comte de Salisbury et les chefs anglais étaient venus les dégager, de sorte qu'elles étaient restées ensuite deux ans en bonne situation. On ajoutait qu'au mois de juillet on entretiendrait, aux frais de l'Angleterre, dix-huit cents combattants en Picardie, pour seconder le comte de Ligny. Quant au duché de la Bourgogne, le conseil de Londres n'avait pu le secourir ; mais si le siège de Louviers avait bonne conclusion, on verrait ce qu'on pourrait faire.

Revenant sur le siège de Compiègne, le roi Henri disait, qu'à lui aussi il avait coûté cher, et offrait de montrer les dettes qu'il avait contractées à ce sujet avec les marchands de Bruges et de Gand.

Pendant que le duc de Bourgogne se plaignait de la guerre et des maux qu'elle faisait, il s'engageait dans une guerre nouvelle.

Charles, duc de Bar et de Lorraine, tué à la bataille d'Azincourt, n'avait point laissé d'enfants mâles, et son héritage avait passé à son frère le cardinal de Bar, évêque de Verdun ; il avait choisi pour héritier le duc René d'Anjou, son petit-neveu, fils d'Iolande d'Aragon, et petit-fils d'Iolande de Lorraine, reine d'Aragon. Pour serrer encore les liens des maisons d'Anjou et de Lorraine, il avait fait épouser au duc René, Isabelle, troisi4ne fille de son frère Charles le feu duc de Lorraine.

Le cardinal de Bar étant mort en 1430, le duc René avait voulu tout aussitôt se mettre en possession de l'héritage ; mais Antoine de Vaudemont, fils de Frédéric de Lorraine frère du cardinal et du feu duc, prétendait, que le fief était masculin, et ne pouvait passer au duc René par le droit des femmes.

Le comte de Vaudemont avait toujours été du parti bourguignon. Le duc René était fils du roi de Sicile, un des plus grands ennemis qu'avait jamais eus la maison de Bourgogne. Lui-même s'était, depuis le sacre, déclaré pour les Français, avait joint ses armes à celles du roi, et en ce moment même avec le sire de Barbazan, faisait une fâcheuse guerre aux Bourguignons. Le maréchal de Toulongeon tenait pour lors les États de Bourgogne ; il était grand ami du comte de Vaudemont, et se hâta de porter à la connaissance des États l'injure qu'on faisait à son droit[129]. Les États, voyant combien il serait dangereux pour le duché d'avoir sur sa frontière du nord un nouvel ennemi aussi puissant que le serait le duc René, résolurent de soutenir son adversaire ; d'ailleurs on répandait le bruit qu'après avoir soumis le comté de Vaudemont, ce prince voulait entreprendre la conquête de la Bourgogne. Les Etats accordèrent un subside de 50.000 francs.

On manquait d'hommes ; la noblesse de Bourgogne ne suffisait pas même à garder la province contre tant d'attaques. Le maréchal se rendit à Bruxelles pour exposer au Duc la détresse de son principal domaine, et pour le prier d'y envoyer un renfort de ses gens de Picardie et d'Artois, afin de défendre la Bourgogne et d'aider au comte de Vaudemont. Le conseil du Duc ne trouvait pas que l'Artois fût moins menacé que le duché, et les seigneurs de cette province, qui avaient leurs biens à garder, ne se souciaient point d'aller si loin, dans un pays où les Français étaient en force, encore pour y être mal payés[130]. Alors le maréchal de Toulongeon et le comte de Vaudemont s'adressèrent à quelques bâtards de grandes maisons, à de pauvres gentilshommes, à des aventuriers chefs de compagnies, tous gens qui n'avaient que de petits revenus, et ne se trouvaient pas dans leur pays en aussi bonne position qu'ils auraient voulu. Les bâtards de Brimeu, de Fosseuse, de Neuville, le sire de Humières, un nommé Robinet Huche - Chien et quelques autres, consentirent volontiers à aller chercher aventure sur les marches de Lorraine. Ils rassemblèrent mille ou douze cents pauvres compagnons accoutumés depuis longtemps à courir les camps et à vivre de pillage, de ces hommes qu'on voyait partir sans trop s'inquiéter s'ils reviendraient, mais roides, vigoureux et éprouvés à la guerre.

Pendant ces apprêts, le duc René avait réuni une nombreuse armée ; l'évêque de Metz, le comte de Linanges, le comte de Salm, le seigneur d'Heidelberg, le sire de Saarbrück, le sire du Châtelet, le damoiseau de Commercy, Robert de Baudricourt gouverneur de Vaucouleurs, avaient amené leurs hommes. C'était le brave sire de Barbazan, ce noble et fameux chevalier, qui était maréchal de l'armée. L'empereur d'Allemagne avait reconnu les droits du duc René, qui trouva d'abord peu d'obstacles à les faire valoir. Après avoir pris possession de toute la Lorraine, il fit signifier au comte de Vaudemont de lui rendre foi et hommage. Sur son refus, il vint mettre le siège devant la forteresse de Vaudemont, proche Vezelize. La garnison, qui avait l'assurance d'être secourue, se défendit vaillamment ; elle résistait depuis trois mois.

L'armée de Bourgogne se réunit avec les Picards, qu'amenait le maréchal de Toulongeon, à Mont-Saugeon près de Langres. Le comte de Vaudemont y vint aussi avec ses partisans. On commença par entrer dans le duché de Bar, et y mettre tout à feu et à sang, comme faisait le duc René dans le comté de Vaudemont. Alors ce prince, laissant assez de monde pour continuer son siège, s'en vint à la rencontre des Bourguignons. Ils n'étaient point assez nombreux pour s'engager ainsi dans un pays difficile, tout coupé de haies et de fossés ; les vivres allaient leur manquer. Le maréchal ordonna prudemment, au grand chagrin du comte de Vaudemont, de revenir en Bourgogne.

Mais le duc René les avait gagnés de vitesse, et se trouvait sur le chemin du retour. Dès qu'ils en furent informés par leurs coureurs, ils tinrent grand conseil. Quelques Anglais qui se trouvaient en cette armée, les Picards qui avaient l'habitude de combattre avec eux, furent aussitôt d'avis de mettre les archers au front, retranchés derrière leurs pieux, et de faire descendre de cheval tous les hommes d'armes. Les Bourguignons n'étaient pas accoutumés à cette façon de combattre ; les gentilshommes ne voulaient pas mettre pied à terre[131]. Cependant le maréchal l'ordonna sous peine de mort, et tout se disposa selon l'usage des Anglais, en plaçant par derrière et sur le flanc gauche un rempart de charrettes et de bagages, afin de ne pas être surpris de ce côté ; la petite rivière de Vaire, des fossés et des haies achevaient cette forte enceinte.

Les Lorrains avancèrent ; le duc de Bar envoya défier les Bourguignons ; le sire de Toulongeon répondit qu'il était prêt, et ne désirait que combattre. Barbazan, voyant la belle ordonnance de l'ennemi n'était point d'avis d'attaquer ; il conseillait d'attendre ; il représentait que les Bourguignons manquaient de vivres, qu'ils seraient obligés de déloger ; mais il ne put se faire écouter. Le duc René se fiait au grand nombre de ses gens ; il avait avec lui de jeunes seigneurs de Lorraine et d'Allemagne, qui n'avaient pas vu la guerre comme les Français, les Anglais et les Bourguignons ; dans leur présomption, ils s'assuraient de forcer sans peine cette petite troupe. « Il n'y à pas d'ennemis pour nos pages, » s'écriait le comte de Saarbrück. « Quand on a peur des feuilles, il ne faut pas aller au bois, » disait au brave Barbazan cette jeunesse sans expérience. « Ces paroles ne sont pas pour moi, répondit-il ; Dieu merci, j'ai toujours vécu sans reproche ; et encore aujourd'hui on verra si c'est la crainte ou le bon conseil qui me font parler de la sorte. »

Le vaillant chevalier disposa de son mieux cette attaque entreprise contre son gré ; il avait au moins deux hommes contre un, moins d'archers cependant que les Bourguignons.

Le maréchal de Toulongeon fit distribuer du vin à ses gens, leur donna courage en ce grand péril ; ceux qui avaient haine ou rancune s'embrassèrent ; le comte de Vaudemont parcourait les rangs à cheval. Il protestait, sur le salut de son âme, que sa querelle était bonne et juste, et que le duc René voulait à tort lui ravir son héritage ; il rappelait que toujours il avait fidèlement tenu le parti de Bourgogne ; enfin cette petite armée prenait bon et joyeux courage.

L'attaque commença avec vigueur ; les Bourguignons avaient placé derrière le rempart de leurs archers, à droite et à gauche, des canons et des coulevrines. Ils laissèrent avancer les Lorrains, puis tout à coup mirent le feu à l'artillerie en poussant de grands cris. Les gens du duc de Bar se jetèrent contre terre, et parurent troublés. Cependant Barbazan, qui conduisait l'aile droite, n'en continua pas moins à assaillir vivement de ce côté ; déjà même il avait fait enlever un des chariots qui formaient le rempart de l'ennemi, et commençait à pénétrer dans son parc. Les Bourguignons se portèrent aussitôt vers cet endroit, et la mêlée y devint cruelle. Bientôt après le sire de Barbazan fut tué. Dès que les Lorrains virent tomber sa bannière, le trouble se mit parmi eux. Le duc René fit les plus vaillants efforts pour les rallier ; mais, blessé au visage, il fut forcé de se rendre prisonnier à un écuyer du Hainaut, nommé Martin Farmalt. L'évêque de Metz fut pris aussi ; le comte de Linanges, le comte de Salm, le damoiseau de Rodemach et d'autres chevaliers allemands furent tués. Le damoiseau de Commercy et le sire de Conflans avaient eu ordre, avec deux cents chevaux, de charger sur l'ennemi. Ils ne purent pas un instant entamer les archers picards, qui les repoussèrent par une grêle de flèches. Jamais bataille n'avait été plus perdue ; elle se donna le 2 juillet, près du village de Bulligneville ; mais elle était si grande et si glorieuse pour les Bourguignons, qu'ils la nommèrent la bataille de Bar, ou de Lorraine, ou des Barons, à cause du grand nombre de seigneurs qui s'y étaient trouvés. Le maréchal de Bourgogne revint en grand triomphe à Dijon, ramenant son illustre prisonnier. Comme c'était lui qui était chef de l'armée, il refusa au comte de Vaudemont de lui remettre le duc René.

Peu de jours avant cette victoire inespérée, le duc de Bourgogne, mécontent de la réponse des Anglais, avait envoyé au roi de France une ambassade composée de Jean de la Trémoille sire de Jonvelle, et du sire de Jaucourt. Ils étaient chargés de traiter de la paix générale ; mais, comme il était difficile de la conclure promptement, ils avaient commission de négocier une trêve, afin de soulager le pauvre peuple, et le préserver d'une ruine entière.

Le roi était à Chinon ; les députés du Duc y passèrent longtemps avant de signer les trêves. Pendant ce temps, la guerre continuait vivement sur les frontières de Bourgogne ; elles étaient attaquées à la fois par le Nivernais et le Charolais. D'un autre côté, les États, à qui l'on demandait un nouveau subside de 50.000 francs, n'en voulaient donner que la moitié. Ils profitèrent de l'occasion où l'on avait besoin d'eux pour exposer leurs griefs ; ils désiraient que le Duc abolît la chambre du conseil qu'il avait établie en 1422, et dont les seigneurs se plaignaient beaucoup, parce qu'elle laissait les procès sans jugement, ou prenait des frais énormes. Les Etats demandaient encore l'abolition des droits du vin ; enfin, ils auraient souhaité que les coutumes de Bourgogne fussent écrites en un seul corps de lois[132].

Le duc Philippe, selon la sage politique de ses prédécesseurs, savait, quand il était dans l'embarras, se montrer complaisant aux désirs de ses sujets ; sans s'arrêter aux réclamations de sa chambre du conseil, il la supprima, et nomma un président du Parlement de Paris, avec quelques conseillers, pour siéger à Beaune, et y recevoir les appels des parties. Il se contenta de la moitié du subside, fit un emprunt pour le reste, abolit le droit sur le vin, et promit de faire rassembler et publier les coutumes.

Durant les négociations des États avec le Duc, le maréchal de Toulongeon avait marché contre les Français qui envahissaient les frontières vers le Nivernais ; il avait repris Crevant et Mailli, il avait fait lever le siège de Corbigny. Mais une plus forte attaque se préparait- contre le Charolais ; le comte de Clermont, le comte d'Albret, le maréchal de Boussac, le bâtard d'Orléans, le sire de Gaucourt, avaient réuni huit mille combattants à Moulins. Pour se préserver de cette redoutable entreprise, il valait encore mieux négocier que faire la guerre. Des pourparlers furent entamés ; le duc de Savoie s'offrit pour médiateur ; l'abbé de Cluny, la duchesse de Bourbon se montrèrent bien disposés[133]. D'ailleurs les sires de la Trémoille et de Jaucourt avaient signé à Chinon, le 8 septembre, une suspension d'armes de deux ans pour toutes les frontières de Bourgogne, de Nivernais, de Champagne et de Rethélois. Le comte de Clermont suivit cet exemple, et le 24 du même mois, des trêves furent aussi signées avec lui à Bourg en Bresse.

Ainsi le désir de la paix semblait gagner peu à peu tous les esprits. Nul n'était plus ardent à l'obtenir que le cardinal de Sainte-Croix, légat du pape Eugène IV ; il s'était rendu à Chinon près du roi, de là à Rouen, où se tenait toujours le jeune roi Henri et son conseil ; puis à Arras, chez le duc de Bourgogne, à qui il avait remis une lettre du pape.

Le roi, aussitôt après les trêves signées, envoya à son cousin de Bourgogne l'archevêque de Reims, Christophe de Harcourt archevêque d'Alby, et maître Adam de Cambrai président au Parlement, avec pouvoir de rendre la trêve générale, et de traiter de la paix, sauf à lui d'examiner en son conseil les propositions qui lui seraient faites.

Dès que le Duc semblait disposé à la paix, les Anglais commençaient à s'inquiéter et s'efforçaient de ne point le laisser se séparer d'eux. Le 6 octobre, une lettre fut écrite au nom du jeune roi, à son oncle de Bourgogne. On lui rendait compte des exhortations du pape, et des instances du légat ; on annonçait que, tout en remerciant dévotement le saint Père, de sa bénédiction, et le légat, des peines qu'il se donnait pour le bien de la paix, le roi d'Angleterre avait répondu que sans l'avis, le conseil et l'assentiment du duc de Bourgogne, il ne pouvait traiter, pas plus que le duc de Bourgogne ne le pouvait sans lui. Le conseil d'Angleterre avait donné la même réponse en ce qui touchait toute trêve ou suspension de guerre.

 Le Duc se serait aussi fait conscience de faire une paix séparée ; mais, quant aux trêves, il lui semblait qu'il en pouvait conclure pour mettre ses sujets à l'abri de la guerre ; aussi lorsque les ambassadeurs du roi furent arrivés à Lille, celles qui avaient été précédemment conclues à Chinon furent étendues à tous les pays de France et de Bourgogne, même à la ville de Paris. Toutefois le Duc, toujours fidèle à sa promesse et aux traités d'Amiens, se réservait la faculté d'envoyer, soit au duc de Bretagne, soit au duc de Bedford, les mille lances promises dans le cas où il en serait requis. Il prenait soin aussi de ne reconnaître dans aucun acte, les droits du roi de France. Il ne le traitait jamais que de Dauphin, ou de Charles de Valois. Parfois même les ambassadeurs de France étaient eux-mêmes contraints de ne donner, dans leurs écritures, aucun titre royal à leur maître[134].

Les deux partis s'engagèrent également à envoyer des ambassadeurs pour traiter de la paix dans le lieu que désignerait le légat. Afin de mieux maintenir la trêve, on stipulait que de part et d'autre, il serait nommé pour chaque frontière des conservateurs auxquels on aurait recours pour tous les griefs, et qui prononceraient sur les cas de violation. Ces conservateurs étaient les principaux seigneurs de chaque parti.

En traitant ainsi avec les Français, le Duc, pour que les Anglais n'eussent rien à lui reprocher, rendait compte de tout au roi d'Angleterre.

« Depuis que quelques-uns de mes gens, écrivait-il, ont accordé certaines trêves pour mes pays de Bourgogne, et que j'ai été contraint de les consentir, pour des causes que vous connaissez. bien au long, des ambassadeurs de votre adversaire et le mien sont venus par devers moi. Après diverses ouvertures de paix générale pour ce royaume, à laquelle ils se disent enclins et disposés à s'entendre avec vous et moi, il est vrai que j'ai accordé et amplifié les trêves, comme vous pourrez le voir, dans les lettres ci-jointes. Laquelle chose, mon très-cher et très-redouté seigneur, j'ai faite principalement afin de parvenir à cette paix générale, parce qu'aussi j'en étais requis par les trois États de mes pays, et par plusieurs de vos bonnes villes, et parce que je ne pouvais plus supporter à mes dépens la charge de la guerre, pour laquelle vous ne m'avez point aidé et secouru, comme besoin était, bien que je vous en aye fait prier et requérir. Mon très-redouté seigneur, qu'il vous plaise nie signifier toujours vos bons plaisirs et commandements pour les accomplir selon mon pouvoir, et de bon cœur, à l'aide du saint Esprit. »

Son zèle n'alla point cependant jusqu'à se rendre à Paris pour assister au couronnement de ce jeune roi Henri, qui fit enfin son entrée le 2 décembre 1431. Les Parisiens étaient si mécontents, se regardaient comme tellement abandonnés, dans leurs misères, par tous les princes et les gouverneurs, et même par le duc de Bourgogne en qui ils continuaient à se fier, qu'il avait paru à propos de ranimer leur courage[135]. Le Parlement, le prévôt des marchands, les échevins allèrent solennellement au-devant du jeune roi anglais, et le haranguèrent. Les échevins portaient un dais au- dessus de sa tête. Le peuple criait : Noël. On s'était efforcé de rendre cette entrée magnifique. Dans chaque rue, on avait dressé des échafauds, et l'on y représentait de beaux mystères. Chaque corps de métier prenait à son tour le dais. Le cortége était magnifique, mais on n'y voyait que des seigneurs anglais : le cardinal de Winchester, le cardinal d'York, le duc de Bedford, le comte de Warwick, le comte de Suffolk, et d'autres. De Français il n'y avait que Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, chancelier de France pour les Anglais, Jean de Mailli évêque de Noyon, l'évêque de Paris, Guillaume d'Évreux, Pierre Cauchon le juge de la Pucelle, le bâtard de Saint-Pol, le bâtard de Thian, Guy, le Bouteiller celui qui avait livré Rouen, le seigneur de Pacy et quelques autres aussi peu notables. Parmi la suite, on traînait, attaché avec des cordes, Guillaume-le-Pastourel, ce pauvre fou de berger pris devant Beauvais.

Le cortége suivit la rue Saint-Denis, passa au Châtelet, vint à la Sainte-Chapelle du Palais où le roi baisa les reliques ; puis la rue de la Calandre, la rue de la Vieille-Juiverie, le pont Notre-Dame, le Petit-Saint-Antoine. Quand on passa sous les fenêtres de l'hôtel Saint - Paul, le jeune roi s'arrêta et salua la reine Isabelle sa grand'mère, qui vivait à Paris, oubliée de tous comme une étrangère, et menant fort petit train. Elle s'inclina respectueusement devant ce roi anglais à qui elle avait donné le royaume de France, et détournant la tête, elle se mit à pleurer.

Il alla descendre au palais des Tournelles, que le duc de Bedford habitait d'ordinaire, et qu'il avait fort orné ; puis on le conduisit à Vincennes. Le 16 décembre fut la cérémonie de son couronnement. Il fut sacré à Notre-Dame par le cardinal de Winchester, ce qui offensa beaucoup l'évêque de Paris. Après, il s'en vint dîner à la table de marbre au Palais, dans la grand'salle. Le Parlemente l'Université, les échevins devaient y dîner aussi ; mais les Anglais, qui réglaient tout, savaient si mal les usages de France[136], et prirent si peu de soin, que la populace remplissait tout le palais. Les magistrats furent repoussés et culbutés par la foule ; ils n'arrivèrent dans la salle qu'en fendant la presse. Leurs tables n'avaient pas été gardées, et ils se trouvèrent ainsi pêle-mêle avec les savetiers et les derniers du peuple[137].

Enfin, rien dans ces fêtes ne se passa honorablement, ni au gré des Parisiens. Ils disaient aussi que lorsqu'un orfèvre ou quelque riche bourgeois mariait sa fille, il faisait mieux les choses que tous ces Anglais. La viande distribuée au peuple était gâtée. On n'envoya aucune charité aux pauvres malades de l'Hôtel-Dieu ; on ne délivra aucun prisonnier. Ce qui était plus étrange, et qui ne s'était jamais vu à aucun couronnement de roi, il ne fut donné ni promis aucune abolition de gabelle, de droit d'entrée, de quart sur le vin, et autres impositions qui étaient même levées contre le droit et les lois ; de sorte que les pauvres habitants de Paris qui n'avaient plus ni commerce ni ouvrage, qui payaient les vivres et le chauffage si cher, et qui, nonobstant, s'étaient mis en si grands frais pour bien recevoir ce roi, furent plus ennemis des Anglais qu'auparavant[138] ; niais il ne fallait pas se risquer à le dire tout haie.

Tout était en un tel désordre dans ce gouvernement des Anglais qu'ils ne payaient pas même les gages du Parlement. Quelque rempli qu'il fût de leurs partisans, il fit des remontrances sévères à ce sujet et suspendit sel audiences. Si bien qu'au moment de l'entrée du jeune roi, le Parlement ne siégeait plus. Aussi le greffier écrivit-il sur son registre, le jour de cette cérémonie, qu'il n'en inscrirait point le récit, à cause de l'éclipse de la justice et du malique de parchemin. Les Anglais ne donnaient pas même de quoi subvenir aux moindres dépenses de la première cour du royaume.

Néanmoins l'Université obtint une complète exemption de toutes sortes de tailles, aides et subsides. La ville reçut aussi la confirmation et l'accroissement de ses privilèges. Le préambule de l'ordonnance célébrait pompeusement la renommée et la noblesse de cette antique cité sanctifiée par les reliques des martyrs, décorée par les lumières de l'Université, ornée de la justice du Parlement, enrichie par le commerce des marchands de toute nation et la résidence des rois. Le roi d'Angleterre se louait aussi de la loyauté et de l'obéissance que les habitons lui avaient gardées, malgré tant de maux et de dommages, et il déclarait qu'il voulait traiter et honorer sa bonne ville de Paris, comme le roi Alexandre traita la noble ville de Corinthe, dont il fit son principal séjour, ou comme les empereurs traitèrent leur ville de Rome : pour ces causes il donna ou confirma aux bourgeois de Paris les privilèges suivants[139] :

Ils conservaient leurs hypothèques sur les biens confisqués de leurs créanciers. Si, pour tout autre motif que le crime de lèse-majesté, ils subissaient confiscation, celui des deux époux survivant gardait la moitié des meubles, créances et biens acquis. Ils pouvaient saisir les biens de leurs débiteurs forains, et même leur personne, lorsque Ceux-ci étaient d'une ville ayant semblable privilége. Ils pouvaient acquérir et posséder des fiefs et francs alleux, être réputés nobles et jouir des privilèges de la noblesse, avoir la garde-noble et tutelle de leurs enfants et neveux, mais non point des collatéraux. Les denrées et marchandises amenées à Paris étaient exemptes de toute saisie, et pour nul motif ne devaient être arrêtées dans leur cours. Le même privilége s'étendaient spécialement au bétail destiné à la provision de Paris. Les juridictions du prévôt de la ville et du prévôt des marchands étaient confirmées surtout en ce qui concernait les dettes contractées par signature envers des bourgeois, à qui le droit était accordé de citer à Paris même leurs débiteurs quelconques.

De telles ordonnances ne touchaient en rien le commun peuple, et n'allégeaient point ses souffrances ; la ville n'en demeurait pas moins dans la détresse. Ce qui le témoigna bien, c'est qu'il fallut, peu de jours après, rendre une autre ordonnance, qui réglait la façon de mettre en vente les maisons inhabitées, afin qu'elles ne vinssent pas aux mains de gens qui voulaient seulement les démolir, pour vendre les bois et les châssis des fenêtres. On statua que les acquéreurs justifieraient sous caution du moyen qu'ils avaient pour payer la rente des maisons qu'ils achetaient. En effet, l'aliénation des maisons et terrains se faisait d'ordinaire en cens ou rentes, non point en capital.

Le roi d'Angleterre ne demeura qu'un mois à Paris ; il retourna à Rouen, et quelques mois après en Angleterre. Quant au duc Philippe il convenait si peu à ses desseins de se mêler des affaires de France, que, se rendant en Bourgogne, il ne passa seulement point à Paris. En arrivant à Dijon, et peu de temps après qu'il fut descendu en son palais, son premier soin fut d'aller rendre visite à son prisonnier, le duc René, qui depuis six mois était sévèrement gardé, dans la crainte des entreprises qu'on pouvait faire pour le délivrer. Il traita courtoisement ce noble captif, et s'entretint longtemps avec lui pour adoucir les loisirs de sa prison. Le bon duc René, qui s'entendait mieux qu'aucun prince de son temps aux lettres et aux arts, avait peint sur verre les portraits du feu duc Jean, et de Philippe lui-même. Il les lui offrit, et ils furent placés dans les vitraux de la chapelle des Chartreux.

Dès que madame Isabelle de Lorraine avait vu son Mari prisonnier, elle n'avait épargné aucune démarche pour le délivrer. Elle s'était d'abord adressée à l'empereur Sigismond, qui avait évoqué la cause de l'héritage de Lorraine ; mais le duc de Bourgogne n'avait pas voulu reconnaître l'autorité des citations impériales, et l'affaire s'était plutôt gâtée par cette tentative. Alors la duchesse de Bar avait dirigé tous ses soins à se rendre le duc de Bourgogne favorable. Elle avait eu recours au duc de Savoie. Pour se donner un puissant protecteur, elle avait même conclu un traité d'alliance avec un des principaux seigneurs de Bourgogne, le sire Jean de Vergi, en lui promettant cinq cents francs de rente annuelle, et cinq cents francs par mois chaque fois qu'il ferait la guerre pour le duc de Bar[140]. Le sire de Vergy avait réservé ses devoirs envers le roi d'Angleterre, le régent et son seigneur le duc de Bourgogne ; c'était même sous l'approbation de son conseil qu'il traitait.

Toute la noblesse de Bar et de Lorraine n'était pas moins empressée que la duchesse à obtenir la liberté du duc René. Nul prince n'était plus aimé que lui. Le traité de délivrance fut conclu le 6 avril ; il ne touchait en rien au différend touchant l'héritage de Lorraine ; c'était seulement un serment du duc René, de venir se remettre au 1er mai de l'année suivante à la disposition du duc de Bourgogne ; il donnait en même temps ses deux fils en otages et quatre de ses forteresses en dépôt. Le comte de Linanges, le comte de Salm, les sires du Châtelet, de Ligniville, de Lenoncourt, d'Haussonville, et les principaux seigneurs de Lorraine se portèrent garans pour leur souverain, et promirent de venir tenir prison à sa place, s'il manquait à son engagement. Une suspension d'armes fut aussi stipulée. En outre, le duc de Bar eut à payer 200.000 talents d'or au maréchal de Toulongeon, pour sa rançon.

 

 

 



[1] Chartier. — Chronique de la Pucelle.

[2] Mémoires de Richemont.

[3] Chronique de la Pucelle.

[4] Chartier. — Tripaut. — Chronique de la Pucelle. — Monstrelet.

[5] Histoire de Bourgogne.

[6] Chartier. — Chronique de la Pucelle. — Déposition de Dunois. — Tripaut.

[7] Déposition de la Pucelle. — Chronique de la Pucelle.

[8] Monstrelet. — Chartier. — Chronique de la Pucelle. — Lettres d'abolition du 9 juillet 1429.

[9] Vigiles de Charles VII. — Chartier. — Tripaut. — Chronique de la Pucelle.

[10] Déposition de la Pucelle.

[11] Journal de Paris.

[12] Monstrelet.

[13] Chartier. — Chronique de la Pucelle. — Interrogatoires de la Pucelle.

[14] Histoire de Bourgogne.

[15] L'original est aux archives de Lille.

[16] Lettre de Guy de Laval. — Lettre de Jeanne au comte d'Armagnac.

[17] Chronique de la Pucelle. — Chartier. — Monstrelet.

[18] Interrogatoires de la Pucelle.

[19] Monstrelet.

[20] Hollinshed.

[21] Chronique de la Pucelle. — Chartier.

[22] Journal de Paris.

[23] Chronique de la Pucelle. — Chartier. — Tripaut.

[24] Chronique de la Pucelle. — Déposition du comte de Dunois.

[25] Dépositions de frère Pasquerel et du sire Daulon. — Interrogatoires.

[26] Déposition de frère Pasquerel.

[27] Déposition de frère Pasquerel.

[28] Hollinshed.

[29] Monstrelet.

[30] Monstrelet.

[31] Chronique de la Pucelle.

[32] Saint-Remi.

[33] Hollinshed.

[34] Monstrelet. — Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[35] Guichenon.

[36] Monstrelet.

[37] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[38] Dutillet.

[39] Hollinshed.

[40] Chartier. — Chronique de Berri.

[41] Monstrelet.

[42] Journal de Paris.

[43] Monstrelet.

[44] Chronique de Berri.

[45] Histoire de Bourgogne.

[46] Lettre de Jeanne au comte d'Armagnac, Compiègne, 22 août. — Monstrelet. — Saint-Remi.

[47] Registres du Parlement. — Journal de Paris.

[48] Monstrelet.

[49] Registres du Parlement.

[50] Chartier. — Déposition du duc d'Alençon.

[51] Chartier. — Interrogatoires de la Pucelle.

[52] Journal de Paris. — Chronique de la Pucelle. — Chartier. — Monstrelet.

[53] Registres du Parlement.

[54] Chronique de la Pucelle.

[55] Chronique de la Pucelle. — Chartier. — Monstrelet.

[56] Chartier.

[57] Chronique de la Pucelle. — Journal de Paris.

[58] Journal de Paris.

[59] Amelgard.

[60] Chartier. — Interrogatoires de la Pucelle. — Tripaut.

[61] Chartier.

[62] Monstrelet.

[63] Journal de Paris. — Registres du Parlement. — Monstrelet.

[64] Preuves de l'Histoire de Savoie.

[65] Chartier. — Monstrelet. — Journal de Paris.

[66] Journal de Paris.

[67] Saint-Remi.

[68] Acta publica : Rymer.

[69] Monstrelet. — Meyer. — Heuterus. — Saint-Remi.

[70] Preuves des Mémoires de France et de Bourgogne. — Ordonnance du 5 janvier 1429 (v. s.).

[71] Favin, Théâtre d'honneur. — Colomiès (d'après Vossius, qui disait l'avoir lu dans une chronique). Recueil de particularités.

[72] Meyer. — Pontus Heuterus (leurs textes offrent quelques différences).

[73] Meyer.

[74] Monstrelet.

[75] Chartier.

[76] Journal de Paris. — Chartier. — Chronique de Berri. — Vigiles de Charles VII.

[77] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[78] Déposition de Daulon.

[79] Journal de Paris. — Interrogatoires de la Pucelle.

[80] Déposition de Daulon. — Interrogatoires de la Pucelle.

[81] Monstrelet. — Chronique de Berri. — Chartier.

[82] Journal de Paris.

[83] Interrogatoires de la Pucelle.

[84] Journal de Paris.

[85] Monstrelet. — Chartier.

[86] Interrogatoires de la Pucelle.

[87] Hollinshed.

[88] Meyer. — Hollinshed. — Rymer, Acta publica, tome X.

[89] Rymer, Acta publica. — Rapin Thoyras.

[90] Monstrelet.

[91] Chartier.

[92] Monstrelet.

[93] Chartier. — Chronique de Berri.

[94] Monstrelet.

[95] Mémoires de Duclercq. — Saint-Remi.

[96] Monstrelet.

[97] Interrogatoires de la Pucelle.

[98] Heuterus. — Saint-Remi.

[99] Interrogatoires de la Pucelle.

[100] Monstrelet (témoin oculaire). — Vigiles de Charles VII.

[101] Hume.

[102] Chroniques de Bretagne.

[103] Saint-Remi.

[104] Procès de la Pucelle.

[105] Histoire ecclésiastique.

[106] Procès de la Pucelle.

[107] Monstrelet.

[108] Philippe de Comines.

[109] Meyer.

[110] Monstrelet.

[111] Le Père Anselme.

[112] Monstrelet. — Le Père Anselme.

[113] Histoire manuscrite du Dauphiné, par Thomassin, témoin oculaire.

[114] Chronique de Berri. — Monstrelet.

[115] Monstrelet, témoin oculaire. — Chartier. — Chronique de Berri.

[116] Saint-Remi, témoin oculaire.

[117] Monstrelet. — Histoire de Bourgogne.

[118] Monstrelet. — Chartier.

[119] Registres du Parlement. — Journal de Paris.

[120] Dépositions diverses du procès de révision.

[121] Amelgard.

[122] Monstrelet. — Chastelain. — Amelgard. — Saint-Rémi.

[123] Journal de Paris.

[124] Journal de Paris.

[125] Journal de Paris.

[126] Journal de Paris. — Monstrelet. — Chartier. — Hollinshed.

[127] Journal de Paris. — Monstrelet. — Chartier. — Chronique de Berri. — Abrégé chronologique. — Hollinshed. — Vigiles de Charles VII. — Saint-Remi.

[128] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[129] Histoire de Bourgogne.

[130] Monstrelet.

[131] Chronique de Berri. — Monstrelet. — Saint-Remi.

[132] Histoire de Bourgogne.

[133] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[134] Preuves de l'Histoire de Bourgogne. — Traité du 13 décembre.

[135] Monstrelet. — Journal de Paris.

[136] Journal de Paris.

[137] Journal de Paris.

[138] Journal de Paris. — Registres du Parlement.

[139] Ordonnances.

[140] Histoire de Bourgogne et Preuves.