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LE 1er septembre, tandis que le
curé de Montereau faisait transporter dans son église, par quelques mendiants
de la ville, le corps de Jean duc de Bourgogne, renfermé dans la bière des
pauvres, encore tout souillé de son sang, et vêtu de ses houzeaulx et de son
pourpoint, les gens du Dauphin attaquèrent le château où s'étaient renfermés
plusieurs serviteurs du Duc, sans munitions et sans artillerie, Après
quelques coups de canon, ils furent sommés de se rendre ; le sire Jean de la
Trémoille et le sire de Neufchâtel ne savaient point ce qui était advenu à
leur maître ; ils le croyaient seulement prisonnier du Dauphin. Ils
répondirent que ce château leur avait été confié par le duc de Bourgogne, et
qu'ils ne le rendraient que sur son ordre. Pour lors, on-amena, devant la
porte, Antoine de Vergy, pris la veille sur le pont « Frères, leur dit-il,
mon seigneur le Dauphin m'ordonne de vous dire que vous lui rendiez cette
forteresse. Si vous ne le faites, et qu'il vous prenne par force, il vous
fera trancher la tête. Si, au contraire, vous la lui rendez, et que vous
suiviez son parti, il vous fera du bien, et vous donnera large part dans les
offices du royaume. — Savez-vous des nouvelles de monseigneur ? »
répondirent-ils. Il montra la terre de son doigt, et ajouta : « Je vous
conseille de rendre le château. » Ils refusèrent encore. Les chevaliers du
Dauphin leur dirent : « Proposez vos conditions. » Ils
revinrent un moment après apportant par écrit les articles qu'ils demandaient
c'étaient la liberté de leur Duc et de ses serviteurs, la garantie des biens
et meubles qui se trouvaient au château, un délai de quinze jours, afin de
faire venir leurs chevaux, et un sauf-conduit pour s'en aller où bon leur
semblerait[1]. Il leur
fut répondu qu'ils n'eussent plus à parler du duc de Bourgogne qui ne pouvait
leur être rendu que ses serviteurs étaient prisonniers de monseigneur le
Dauphin, qui les traiterait bien, et leur donnerait des offices dans le
royaume que ce qui appartenait au Duc dans le château serait remis par
inventaire aux gens du Dauphin, qui en signeraient quittance, et que, quant à
eux, on allait les conduire à Bray. Ils acceptèrent, et s'y rendirent
sur-le-champ. La dame de Giac et Jossequin ; qui étaient dans le château,
restèrent avec le Dauphin et passèrent dans son parti. Dès que
le sire de Neufchâtel fut à Bray, il écrivit au roi, à la duchesse de
Bourgogne, au comte de Charolais, à la ville de Paris, et aux autres bonnes
villes, pour leur rendre compte du crime commis sur la personne du duc de
Bourgogne. Lorsque
la nouvelle fut connue à Troyes, la reine et le conseil du roi envoyèrent
aussitôt Jean Mercier à la duchesse de Bourgogne, en lui écrivant
[2]qu'elle mandât le plus tôt
possible auprès du roi et pour sa défense les chevaliers, les vassaux, les
hommes d'armes de son duché. Comme on craignait de lui porter un trop rude
coup, le roi et la reine lui disaient seulement que son mari avait été blessé
et retenu prisonnier. Jean Mercier était chargé de la préparer doucement à
recevoir la triste nouvelle. La
Duchesse obéit à l'ordre qu'elle recevait ; et en même temps elle envoya une
ambassade solennelle au roi, pour demander justice et vengeance de la
trahison consommée sur la personne de son seigneur et mari. Elle fit partir aussi
messire Gauthier de Rupes, et quelques autres serviteurs, pour aller trouver
son fils en Flandre ; enfin elle informa par lettres et ambassades, le pape
et les princes de la chrétienté, de ce déplorable événement. Le
comte de Charolais était à Gand lorsque le message du sire de Neufchâtel lui
arriva. Sa douleur fut grande ses gouverneurs et son conseil ne pouvaient le
calmer, ni sécher ses larmes ; il ne voulait voir personne. « Michelle,
dit-il à sa femme, votre frère a assassiné mon père. » La pauvre
princesse ressentit vivement ces paroles outre qu'elle était d'un excellent
naturel, elle craignait que ce malheur lui ôtât à jamais le cœur de son mari
qu'elle aimait tant. Cependant lui-même la consola, et lui montra plus d'affection
que jamais. Le
nouveau Duc avait vingt-trois ans ; malgré sa jeunesse, il se montra tout
aussitôt animé du ferme désir de venger son père et de se maintenir dans une
puissance que sûrement le parti du Dauphin allait s'efforcer de détruire ;
Après avoir consulté son conseil et les gens de Gand, d'Ypres et de Bruges,
il prit, comme unique héritier du duc Jean, les titres de toutes ses
seigneuries ; puis il se rendit à Malines, où il eut une conférence avec le
duc de Brabant son cousin, Jean de Bavière son oncle le duc de Clèves son
beau-frère, et la comtesse de Hainaut. Dans cette assemblée de famille, il
sembla qu'il fallait avant tout traiter avec le roi d'Angleterre et s'assurer
son alliance ; des ambassadeurs lui furent aussitôt envoyés[3]. Le Duc
vint ensuite à Lille ce fut là qu'il reçut les députés de Paris. La nouvelle
de la mort de son père avait produit une indignation générale dans cette
ville, qui se voyait par-là livrée à des malheurs terribles et inévitables.
Dès le 12 septembre, le comte de Saint-Pol avait réuni dans la chambre du
parlement le chancelier, plusieurs nobles capitaines et gens d'armes, le
prévôt de Paris, le prévôt des marchands, d'autres conseillers et officiers
du roi, des bourgeois et des habitants en grand nombre. Ils prêtèrent serment
de lui obéir comme au lieutenant du roi de l'assister et de s'entendre avec
lui pour la garde, la conservation et la défense de la ville, et généralement
pour la conservation et dépense du royaume de résister de tout leur pouvoir
aux damnables projets et entreprises des -criminels, séditieux, infracteurs
de la paix et de l’union, conspirateurs, coupables et consentants à
l'homicide du feu duc de Bourgogne d'en poursuivre la vengeance et la
réparation de vivre et mourir avec le comte de Saint-Pol dans cette poursuite
de dénoncer et accuser en justice tous ceux qui voudraient soutenir et aider
lesdits criminels, et de ne faire aucun traité partiel a ce sujet sans le
consentement l'un de l'autre. C'est
ce serment que maître de Morvilliers, premier président du parlement, vint
porter au duc Philippe, tandis que d'autres envoyés allaient à Dijon le
présenter à la duchesse Marguerite. Le Duc
répondit aux Parisiens, et écrivit aux autres bonnes villes, qu'il espérait
leur faire avoir trêve avec les Anglais, et que si elles voulaient lui
envoyer des députés le 17 d'octobre à Arras, on aviserait à ce qu'il
convenait de faire. Rien n'était plus pressant, en effet, que de délivrer
Paris des courses que les Anglais faisaient jusqu'aux portes de la ville la
misère e.t la disette y augmentaient chaque jour. Lorsque l'affluence
commença à être grande à Arras, et avant l'ouverture des assemblées, le Duc
fit faire un service solennel pour le salut de l'âme de son père. Cinq
évêques et dix-neuf abbés mitres y assistèrent. Le deuil fut mené par messire
Jean de Luxembourg et messire Jacques de Harcourt. Frère Pierre Floure y
inquisiteur de la foi au diocèse de Reims, prêcha un fort beau sermon il
exhorta le Duc à ne point poursuivre la vengeance pour la mort de son père il
lui dit que c'était à la justice seule qu'il devait s'adresser pour obtenir
réparation qu'il pouvait prêter force à la justice s'il le fallait, mais
jamais se venger par sa seule puissance, ce qui n'appartient qu'à Dieu. De si
chrétiennes paroles furent mal reçues des seigneurs qui étaient avec le Duc,
et lui-même en sembla peu touché[4]. Les
députés de Paris, qui tous étaient serviteurs ou partisans zélés du duc de
Bourgogne, consentirent facilement à ce qui leur fut proposé, et même au
projet de traiter avec les Anglais. Ce n'est pas que ces ennemis du royaume
ne fussent toujours en grande crainte et aversion au peuple de Paris ; mais
il était si malheureux, ceux qui le conduisaient avaient entretenu en lui une
telle horreur pour les Armagnacs, les garnisons que le parti du Dauphin avait
auprès de Paris commettaient de telles cruautés dans les campagnes, qu'on
disait dans la ville avec un grand désespoir : « Mieux valent
encore les Anglais que les Armagnacs[5]. » Tout le
reste de l'année se passa en négociations et en messages[6] ; le Dauphin lui-même essaya
encore de traiter avec les Anglais, mais le roi Henri avait maintenant de
plus grandes prétentions qu'auparavant. Le nouveau duc de Bourgogne, n'ayant
plus d'autre idée que sa vengeance, ne songeait pas les contester ; et le roi
d'Angleterre trouvait avantage évident à traiter avec lui. Voici
ce qu'il proposa : 1° d'épouser madame Catherine sans imposer aucune
charge au royaume 2° de laisser au roi Charles la jouissance de sa couronne
et les revenus du royaume pendant sa vie ; 3° qu'après sa mort, la couronne
de France serait dévolue a jamais au roi Henri et à ses héritiers ; 4°
qu'à cause de la maladie du roi qui l'empêchait de vaquer au gouvernement, le
roi d'Angleterre prendrait le titre et l'autorité de régent ; 5° que les
princes, les grands, les communes, les bourgeois, prêteraient serment au roi
d'Angleterre comme régent, et s'engageraient à le reconnaître pour souverain
après la mort du roi Charles. Le duc
Philippe signa des lettres patentes par lesquelles il approuvait ces articles
et promettait de les appuyer au conseil du roi ; en même temps il conclut un
traité qui portait : 1°.
Qu'un des frères du roi Henri épouserait une sœur du Duc ; 2°. Que
le roi et le Duc s'aimeraient et s'assisteraient comme frères ; 3°.
Qu'ils poursuivraient ensemble la punition du Dauphin et des autres
meurtriers du duc Jean ; 4°. Que
si le Dauphin ou quelque autre desdits meurtriers était fait prisonnier, il
ne pourrait être relâché sans le consentement du Duc ; 5°. Que
le roi d'Angleterre assignerait au Duc et à madame Michelle sa femme, des
terres pour vingt mille livres de rente, dont hommage lui serait fait. Moyennant
ces conditions, une trêve fut accordée du 24 décembre au 1er mars[7] ; le Dauphin et ses
partisans en étaient formellement exceptés. En même temps le duc de Bourgogne
assemblait ses vassaux et ses hommes d'armes pour faire une guerre vigoureuse
aux Dauphinois. Ils venaient de surprendre la ville de Roye. Messire de
Luxembourg se hâta d'aller l'assiéger avant qu'ils y fussent encore bien
établis. En effet, ils ne purent s'y défendre longtemps et il leur fut
accordé de sortir saufs de corps et de biens ; un sauf-conduit leur fut
donné, et le sire Hector de Saveuse fut chargé de les escorter. Cependant
une compagnie d'Anglais, commandée par le comte d'Huntington et le seigneur
de Cornwallis, ayant appris que les Dauphinois avaient de si bonnes
conditions, accoururent à leur poursuite. Beaucoup de gentilshommes picards
de l'armée du sire de Luxembourg, et surtout le bâtard de Croy, mécontents
qu'on les eût ainsi privés de l'argent des rançons, se mirent avec les
Anglais. Ils tombèrent ensemble sur les Dauphinois, sans écouter les
représentations du sire de Saveuse. En vain il voulut prendre sous sa
protection et réclamer comme son prisonnier le sire de Karados, chef de la
garnison de Roye, le comte de Cornwallis se mit en devoir de le lui ôter.
Comme ils se débattaient, l'Anglais donna un grand coup de poing avec son
gantelet de fer au sire de Saveuse, et le repoussa brutalement. Saveuse était
presque seul ; il lui fallut endurer cette violence. Sans respect du
sauf-conduit, les Dauphinois furent emmenés prisonniers par les Anglais. Ceux
qui tombèrent entre les mains du bâtard de Croy et des gentilshommes picards
turent bien plus malheureux. Messire de Luxembourg dès qu'il sut que son
sauf-conduit avait été enfreint, entra en grande colère et résolut de punir
du moins ceux de son armée qui étaient sous son commandement direct. Il
envoya ordre au seigneur de Croy de lui livrer son frère le bâtard, et au
sire de Longueval de remettre le bâtard de Dunon, frère de sa femme. Les deux
seigneurs ne tinrent nul compte de ce message et refusèrent d'obéir[8]. Le sire de Luxembourg déclara
qu'il irait les prendre de force. Sa menace ne fut pas mieux écoutée ; on lui
répondit qu'il ne serait peut-être pas le plus fort ; et pour que les
prisonniers ne tombassent pas entre ses mains, on les mit à mort. Rien ne put
être fait contre les coupables. Messire de Luxembourg renvoya son monde et
revint auprès du duc de Bourgogne qui s'apprêtait au voyage de Troyes. Il
partit au mois de février, et trouva à Péronne, où ils avaient été mandés, la
plus grande partie de ses serviteurs et capitaines. A Saint-Quentin, le comte
de Warwick et d'autres ambassadeurs du roi d'Angleterre vinrent le rejoindre
avec cinq cents chevaux, Comme il allait suivre sa route vers Troyes, les habitants
de Laon le supplièrent de faire auparavant le siège de Crespy, dont la
garnison désolait tout le pays elle était commandée par de braves, capitaines
du parti du Dauphin, entre autres le sire de Vignolles, dont le surnom était
la Hire, Pothon de Saintrailles et Naudonnet son neveu. Ils se défendirent
d'abord vaillamment ; mais l'armée de Bourgogne était nombreuse et superbe on
y voyait tous les seigneurs et chevaliers qui s'étaient rendus fameux sous le
duc Jean : les sires de Luxembourg, de l'Isle-Adam, de Chastellux,
Robert de Mailly, Guy de Bar, Antoine de Croy, les frères Fosseuse, le
seigneur d'Imbercourt, le sire de Comines, le seigneur de Longueval, les
frères Saveuse, le bâtard d'Harcourt. Le Duc amenait son chancelier l’évêque
de Tournay, et ses conseillers les plus intimes les sires de Brimeu et de
Robais ; enfin il se rendait à Troyes avec toute sa puissance. Les
capitaines de Crespy ne pouvaient, sans espoir de secours, résister à une
telle armée. Le Duc faisait là ses premières armes ; il ne voulut point
traiter durement la garnison, et lui accorda de sortir sauve de corps et de
biens. Mais à peine fut-elle en route, qu'elle fut pillée et dévalisée le Duc
en fut très-courroucé, et fit rendre ce qu'on put recouvrer. Ces brigandages
n'étaient pas fort surprenants ; il avait dans son armée beaucoup de gens qui
depuis longtemps avaient l’habitude de servir dans les compagnies, et de
désoler les provinces. Il menait entre autres avec lui un nommé Tabary le
Boiteux, chef d'une compagnie de paysans, qui était un des plus cruels
brigands de ce temps-là. Le Duc
arriva le 28 mars à Troyes ; les gentilshommes de Bourgogne et de France, les
notables bourgeois -et le peuple criant Noël, vinrent au-devant de lui. La
reine et madame Catherine lui montrèrent le plus grand amour. Il prêta foi et
hommage au roi pour le duché de Bourgogne, le comté de Flandre, le comté
d'Artois et ses autres seigneuries. L'hommage ne fut pas en la même forme que
celui de son père. Le doyenné de la pairie et la pairie de Flandre furent
compris dans l'hommage du duché de Bourgogne et du comté de Flandre, et
considérés comme en dérivant. Il disposait de tout au conseil du roi, et se
nt accorder de grands avantages. Le roi renonça au droit de racheter Lille,
Douai et Orchies. Il assigna, au lieu de la dot en argent de madame Michelle
sa Elle, les villes de Péronne, Roye et Montdidier[9]. Il confirma la donation du
comté de Tonnerre que le duc Jean avait obtenue un peu avant sa mort. Enfin
il adjugea au duc de Bourgogne les biens des meurtriers de son père, et
l'hôtel d'Armagnac qui était situé à Paris, rue Saint-Honoré, près l'église
des Bons-Enfants. Mais il
se traitait alors d'autres affaires bien plus tristes et funestes au royaume.
Dès le 9 avril, la reine et le duc de Bourgogne firent signer au roi qu'il
accordait au roi d'Angleterre sa fille Catherine, qu'il le reconnaissait pour
son héritier, au préjudice du Dauphin, et le nommait régent. Le malheureux
roi n'avait plus ni sens ni mémoire. Ce fut une grande douleur et une
indignation universelle de voir la reine transporter le noble royaume de
France à ses anciens ennemis, qui, depuis tant d'années le désolaient par
mille ravages ; on la détestait, de dépouiller ainsi son propre fils, en
annulant les anciennes constitutions par lesquelles les rois avaient sagement
ordonné que les femmes ne succéderaient pas à la couronne. On s'étonnait
aussi que le duc de Bourgogne un prince de la fleur-de-lis ruinât son pays et
sa famille, renonçât aux propres droits qu'il pouvait avoir, et s'abandonnât
de la sorte par vengeance aux conseils des étrangers[10]. Les Anglais eux-mêmes
s'émerveillaient d'un tel esprit d'aveuglement qui leur livrait de plein gré
le royaume[11]. Les factieux de Paris
eux-mêmes, tout animés qu'ils étaient d'une furieuse haine contre les
Armagnacs et le Dauphin, trouvaient cependant cruel et honteux de devenir
sujets des Anglais[12]. Tous les prud'hommes, les bons
et loyaux Français, regardaient ce traité comme damnable et de toute nullité[13] : « C'est une grande
horreur, disaient-ils, de penser que quelque Français, noble ou non noble,
non-seulement a pu favoriser ce traité, mais le voir, mais l'entendre, sans
le détester ; il ne peut donner la paix ni spirituelle ni temporelle ; il est
plein de divisions, guerres, meurtres, rapines, effusion de sang humain, et
horribles séditions il tend a produire et à nourrir la trahison, le parjure,
la déloyauté, et à mettre sous indigne sujétion et honteuse servitude, tous
les habitants du noble royaume de France, clercs, nobles et bourgeois ; il
doit être combattu par tout bon chrétien, de toute sa puissance
ecclésiastique ou temporelle, chacun selon son état, spécialement par le
pape, les prélats, les princes, encore plus par les pairs-de~ France et les
notables cités, enfin par tous ceux qui haïssent la tyrannie et aiment la
vertu et une condition libre[14]. » Cependant
les divers offices de la ville de Paris étaient si bien occupés tous par des
partisans et des serviteurs du duc de Bourgogne, que lorsque, le 29 avril, le
Parlement, la chambre des comptes, l'Université, le chapitre, les gens du roi
près le Parlement et le châtelet, le prévôt de Paris et le prévôt des
marchands, les quarteniers, cinquanteniers et dizeniers, réunis par le comte
de Saint-Pol et le chancelier, reçurent communication du projet de traité
avec les Anglais, pas une voix ne s'éleva pour s'y opposer[15]. Les
ambassadeurs du roi exposèrent de sa part que le duc de Bourgogne, étant
récemment arrivé dans la ville de Troyes, avait, devant plusieurs barons,
nobles, prélats, conseillers, procureurs et ambassadeurs des communes et
bonnes villes du royaume, fait rendre compte par l'évêque de Tournay son
chancelier, de ce qu'il avait, par ordre du roi et de la reine, et par le
conseil des bonnes villes, conclu avec le roi d'Angleterre. Cet évêque avait
déclaré que ce n'était nullement par vengeance que son maître proposait ce
traité, mais pour remédier aux périls, à la désolation, à la destruction du
royaume, pour éviter l'effusion du sang humain, pour relever le peuple des
oppressions et griefs qu'il avait soufferts et souffrait encore, pour le
gouverner avec justice, paix et tranquillité. Les
ambassadeurs ajoutèrent que le roi, la reine, les barons, les prélats, les
communes assemblées à Troyes, s'étaient informés préalablement de la personne
et de l'état du roi d'Angleterre qu'on le disait prudent et sage, aimant la
paix et la justice[16], maintenant parmi ses gens de
guerre une bonne discipline, s'opposant à leurs débauches, chassant de son
camp les filles de mauvaise vie, protégeant le pauvre peuple, affable pour
les petits comme pour les grands, défenseur sévère des églises et des couvents,
ami des sages et doctes clercs, soumis à la volonté de Dieu, le louant dans
la bonne fortune, et se soumettant sans colère à la mauvaise. On ajoutait
qu'il était de noble contenance et d'agréable visage. Ayant par ces discours
cherché à donner bonne espérance au peuple, les ambassadeurs déclarèrent que,
sauf certaines modifications, le traité conclu par le duc de Bourgogne avait
été ratifié. On avait, disaient-ils, considéré surtout les discordes du
royaume, la conduite du fils du roi soi-disant Dauphin, et des gens avoués de
lui, qui, enfreignant les traités jurés et les serments prêtés, avaient
déloyalement mis à mort le feu duc de Bourgogne, s'étaient ainsi rendus
indignes de toute dignité et honneurs, avaient encouru les peines et
malédictions contenues dans les traités, et absous chacun de foi, service
hommage et fidélité. Le
chancelier de France rappela à l'assemblée que ce traité était conforme au
désir que la bonne ville de Paris avait déjà montré, et à ce que ses députés
avaient réglé à Arras avec le duc de Bourgogne ; puis il demanda si l'on
voulait persévérer et adhérer au traité communiqué par le roi. « Oui,
oui, » crièrent-ils avec acclamation et tout d'une voix ; « vive le roi,
la reine et monseigneur de Bourgogne. » Dès le lendemain le chancelier et le
premier président se joignirent aux ambassadeurs, et se rendirent à Pontoise
près du roi d'Angleterre, pour le prier de consentir aux modifications
proposées à Troyes. Dès le
13 avril, le duc de Bourgogne s'était empressé d'annoncer à ce prince que
tout était conclu, et qu'il pouvait arriver. Pendant que les négociations se
continuaient, le Duc fit assiéger par son armée diverses forteresses que les
gens du dauphin occupaient en Champagne et sur les marches de la Bourgogne ;
elles se défendirent vaillamment, Jean de Luxembourg fut blessé grièvement et
perdit l'œil au siège d'Alibaudière. On échoua devant Couci, et le brigand
Tabary y fut tué le couvent d'Équan Saint-Germain, près d'Auxerre, fut pris[17]. La routé de Troyes à Dijon se
trouvant plus libre après ces expéditions, la duchesse douairière de
Bourgogne et son fils, qui ne s'étaient point vus depuis la mort du duc Jean,
se donnèrent rendez-vous à Châtillon[18]. Elle le pria de présenter au
roi la requête qu'elle avait fait dresser dans son conseil, pour demander
justice des meurtriers de son mari. Mais le temps n'était pas bien choisi le
Duc avait laissé la reine uniquement occupée de se préparer aux fêtes qu'on
allait donner pour célébrer l'arrivée du roi d'Angleterre et son mariage avec
madame Catherine lui-même retourna à Troyes promptement pour la recevoir. Le roi
d'Angleterre arriva en-effet le 20 mai, accompagné de ses deux frères, le duc
de Glocester et le duc de Clarence, d'une suite nombreuse et brillante, et de
sept mille hommes d'armes[19]. Le duc de Bourgogne alla
au-devant de lui avec les seigneurs de France, et le conduisit à l'hôtel qui
lui avait été préparé. Après quelques moments de repos, le roi Henri alla
rendre visite au roi et à la reine de France, qu'il trouva dans l'église Saint-pierre
avec madame Catherine. Tout avait été réglé d'avance ; la cérémonie des fiançailles
se fit sur-le-champ, et le lendemain, après avoir changé encore quelques
articles, le roi d'Angleterre et le roi signèrent ce fameux traité de Troyes,
qui fut la honte du royaume. Il fut publié en la forme suivante : « Charles,
par la grâce de Dieu, roi de France, à tous nos baillis, prévôts, sénéchaux
et autres chefs de nos justices, ou à leurs lieutenants salut Un accord final
et une paix perpétuelle ont été faits et jurés par nous et notre très cher et
très aimé fils Henri, roi d'Angleterre, héritier et régent pour nous de la
royauté de France, au moyen du mariage de lui et de notre très-chère et très-aimée
fille Catherine, et au moyen aussi de différents articles faits, passés, et
accordés par chaque partie, pour le bien et l'utilité de nos sujets et la
sûreté de nos pays par le moyen de cette paix, nosdits sujets et ceux de
notre fils pourront communiquer, commercer et besogner les uns avec les
autres en-deçà et au-delà de la mer. 1°.
Notre fils le roi Henri nous honorera dorénavant comme son père, et notre
compagne la reine comme sa mère, et ne nous empêchera pas durant notre vie de
jouir et posséder paisiblement notre royaume. 2°. Il
ne mettra empêchement ni trouble à ce que nous tenions et possédions tant que
nous vivrons, et comme maintenant, la couronne, la dignité royale de France
et les revenus, fruits et profits qui y sont attachés pour soutenir notre
état et les charges du royaume et a ce que notre compagne tienne tant qu'elle
vivra état et dignité de reine, selon la coutume du royaume avec partie
convenable desdits revenus et rentes. 3°.
Notre fille Catherine aura et prendra au royaume d'Angleterre un douaire, tel
que les reines ont accoutumé d'avoir ; c'est à savoir soixante mille écus par
an, que travaillera à lui assurer notre fils le roi Henri, sans pourtant
transgresser ou offenser le serment qu'il a prêté d'observer les lois,
coutumes et droits de son royaume d'Angleterre. 4°. Il
est accordé qu'aussitôt après notre trépas, et dès lors en avant, la couronne
et royaume de France avec tous leurs droits et appartenances, seront
perpétuellement, et demeureront à notre fils le roi Henri et à ses héritiers. 5°.
Comme nous sommes la plupart du temps empêchés d'aviser par nous-même et de
Vaquer à la disposition des besognes de notre royaume, la faculté et
l'exercice de gouverner et d'ordonner la chose publique seront et
demeureront, notre vie durant, à notre fils le roi Henri, avec le conseil des
nobles et sages du royaume, qui nous obéiront, et qui aimeront l'honneur et
le profit dudit royaume. Ayant ainsi la faculté et l'exercice du
gouvernement, il travaillera affectueusement, diligemment et loyalement,
l'honneur de Dieu, de nous et de notre compagne, et pour le bien du royaume à
le défendre, le tranquilliser, J'apaiser et le gouverner selon l'exigence de
la justice et de l'équité, avec le conseil et l'aide des grands seigneurs,
barons et nobles du royaume. 6°.
Notre fils fera de tout son pouvoir pour que la cour du parlement de France
soit maintenant et au temps à venir conservée et gardée dans l'autorité et
souveraineté qu'elle doit avoir dans les lieux qui nous sont sujets. 7°.
Notredit fils défendra et conservera tous et chacun, nobles, pairs, cités,
villes, communautés et personnes, dans leurs droits accoutumés, privilèges
prééminences libertés et franchises à eux appartenant. 8°. Il
travaillera et fera de tout son pouvoir pour que la justice soit administrée
dans le royaume selon les lois accoutumées et les droits du royaume de
France, sans acception de personnes conservera et tiendra les sujets en paix,
tranquillité, et, au risque de son corps, les défendra de violences ou
d'oppressions quelconques. 9°. Il
fera son possible pour que les offices, tant de justice dans le Parlement,
que dans les bailliages, sénéchaussées et autres, dépendant de la seigneurie
du royaume, soient pris par des personnes habiles, profitables, et propres à
un régime bon, juste, paisible et tranquille, et à l'administration qui doit
leur être commise, et qu'ils soient tels qu'ils doivent être délégués et
choisis selon les lois et droits du royaume. 10°.
Notre fils travaillera de tout son pourvoir, et le plus tôt que faire se
pourra, à remettre en notre obéissance toutes et 'chacune des villes, cités
châteaux lieux, pays et personnes de notre royaume, qui tiennent le parti
vulgairement appelé du Dauphin ou d'Armagnac. 11°.
Afin que notre fils puisse faire exercer et accomplir les choses susdites
profitablement, sûrement et 6'anchement, il est accordé que les grands
seigneurs, barons et nobles, et les États du royaume, tant spirituels que
temporels, et aussi les cités et notables communes, les citoyens et bourgeois
des villes, a nous obéissant, feront serment d'obéir et d'écouter humblement
en toutes choses les mandements et commandements concernant l'exercice du
gouvernement du royaume, qu'ils recevront de notredit fils de garder bien et
loyalement, et de faire garder par tous autres, en tout et partout, et autant
que cela les pourra toucher, les choses qui sont ou seront appointées et
accordées entre nous, notre compagne la reine et notre fils le roi Henri,
avec le conseil de ceux que nous, notre compagne et 'notredit fils auront à
ce commis aussitôt après notre trépas d'être féaux et hommes liges de
notredit fils et de ses héritiers de le recevoir pour leur seigneur lige et
souverain, pour vrai roi de France sans aucune opposition contradiction ni difficulté
de lui obéir comme tel, et de ne jamais obéir à d'autres, comme roi ou régent
qu'à notre fils le roi Henri de ne jamais entrer en conseil, aide ou consentement,
pour qu'il perde la vie ou les membres, ou qu'il soit pris par mauvaise
prise, ou qu'il souffre dommage ou diminution dans sa personne, son état, son
honneur ou ses biens d'empêcher de tout leur pouvoir ce qui pourrait être
machiné contre lui, et de le lui faire savoir le plus tôt qu'ils pourront,
par message ou par lettres. 12°. Il
est accordé que toutes et chacune conquêtes qui se feront au royaume de
France par notre fils le roi Henri, seront à notre profit, hormis le duché de
Normandie, et qu'il fera que toutes les seigneuries situées dans les lieux de
notre obéissance, appartenant aux personnes qui nous obéissent et qui jurent
de garder la présente concorde, seront restituées à ceux à qui elles
appartiennent. 13°. Il
est accordé que toutes personnes ecclésiastiques, bénéficiées dans ledit
duché ou dans quelque autre lieu du royaume de France, obéissant à nous et à
notre fils, et favorisant le parti de notre très-cher et très-aimé fils le
duc de Bourgogne qui jureront de garder cette présente concorde, jouiront
paisiblement de leurs bénéfices. 14°.
Que toutes et chacune des églises, Universités études générales, collèges
ecclésiastiques, situés aux lieux qui nous sont sujets ou dans le duché de
Normandie, jouiront de leurs droits, possessions, rentes, prérogatives,
libertés, franchises, prééminences, à eux appartenant ou dus sauf les droits
de la couronne ou de tous autres. 15°.
Quand notre fils le roi Henri adviendra à la couronne de France, le duché de.
Normandie et tous les autres lieux conquis par lui dans le royaume, seront
dans la monarchie et juridiction de la couronne de France. 16°. Le
roi Henri compensera aux personnes à nous obéissant et favorisant le parti de
Bourgogne, les seigneuries, revenus et possessions dont il a déjà pris
possession dans le duché de Normandie ou ailleurs ; ladite compensation se
fera non au détriment de la couronne, mais sur les terres acquises et à
acquérir des rebelles et désobéissants et si cette compensation n'était pas
faite lors de notre mort, le roi Henri la fera quand il sera venu à la couronne.
Mais si les terres, seigneuries et possessions desdites personnes du parti de
Bourgogne n'ont pas encore été données, elles seront restituées sans délai. 17°.
Durant notre vie, dans tous les lieux qui nous sont présentement sujets ou le
deviendraient à l'avenir, les lettres de commune justice, de don, de
rémission, de privilèges, devront être écrites sous notre nom et sceau
toutefois, comme il peut arriver tels cas singuliers que l'esprit de l'homme
ne saurait prévoir, auxquels il serait nécessaire que notre fils le roi Henri
fît écrire cela lui sera loisible pour le bien et la sûreté du gouvernement,
qui lui appartient ainsi qu'il a été dit, et pour éviter les inconvénients et
périls qui autrement pourraient arriver ; alors il mandera, défendra et
commandera de par nous, et de par lui comme régent. 18°.
Toute notre vie durant, notre fils le roi Henri ne se nommera, fera nommer ni
écrira roi de France, et s'abstiendra de ce nom tant que nous vivrons. 19°. Il
est accordé que nous le nommerons en langage français : Notre très-cher fils
Henri, roi d'Angleterre et héritier de France ; et en langue latine : Noster
prœcharissimus filius Henricus, rec Angliœ, hœres Franciœ. 20°.
Notre fils n'imposera ni ne &r1a imposer aucune imposition ni exaction à
nos sujets, sans cause raisonnable et nécessaire, ni autrement que pour le
bien public du royaume, et selon l'ordonnance et exigence des lois et
coutumes raisonnables approuvées dudit royaume. 21°.
Afin que concorde, paix et tranquillité entre les royaumes de France et
d'Angleterre soient pour le temps à venir perpétuellement observées, et qu'on
obvie aux obstacles et recommencements par lesquels des débats, dès discords
et des dissensions pourraient sourdre au temps à venir, ce que Dieu ne
veuille notredit fils travaillera de tout son pouvoir ce que, de l'avis et du
consentement des trois États de chaque royaume, soit ordonné et pourvu que
dès le temps où notre fils sera venu à la couronne de France, les deux
couronnes de France et d'Angleterre demeurent à toujours ensemble et réunies
sur la même personne, c'est à savoir la personne de notre fils le roi Henri,
tant qu'il vivra, et de là en avant, aux personnes de ses héritiers
successivement, les uns après les autres, et à ce que les deux royaumes
soient gouvernés non divisément sous divers rois, mais sous une même personne
qui sera roi et seigneur souverain de l'un et de l'autre ; mais gardant, en
toutes autres choses, toutes les lois de chacun, et ne soumettant en aucune
manière un des royaumes à l'autre, ni aux lois, droits, coutumes et usages de
l'autre. 22°.
Dès maintenant et perpétuellement se tairont et s'apaiseront de tous points,
divisions, haines rancunes, iniquités et guerres entre les deux royaumes, et
les deux peuples adhéreront à ladite concorde, et il y aura, dès maintenant
et à toujours, paix, tranquillité, concorde, amitié ferme et stable, affection
mutuelle envers et contre tous ; les deux royaumes s’aideront de conseil et
d'assistance contre toutes personnes qui s'efforceraient de faire dommage à
eux ou à l'un d'eux ; et ils communiqueront et marchanderont l'un avec
l'autre franchement et sûrement, en payant les devoirs ou coutumes dus ou
accoutumés. 23°.
Tous les confédérés et alliés des royaumes de France et d'Angleterre qui,
dans le délai de huit mois après que la présente paix leur sera notifiée,
auront déclaré vouloir fermement adhérer à ladite concorde et être compris
dans le traité, y seront compris en effet, sauf toutefois les actions, droits
en réparations que l'une et l'autre couronne, ou ses sujets, pourraient avoir
à exercer contre lesdits alliés. 24°. Il
est accordé que notre fils le roi Henri, avec le conseil de notre très-cher
fils Philippe de Bourgogne, et des autres nobles du royaume, qui seront pour
ce appelés, pourvoira au gouvernement de notre personne, sûrement,
convenablement et honnêtement, selon l'exigence de notre état et de la
dignité royale, de telle manière que ce soit l'honneur de Dieu et le nôtre,
celui du royaume de France et de nos sujets. Toutes personnes, tant nobles
qu'autres, qui seront autour de nous pour notre personne et notre service
domestique, non pas seulement en titre d'office, mais de toute autre manière,
seront nés au royaume de France, ou dans des lieux de langage français,
bonnes personnes, sages, loyales, idoines audit service. 25°. Il
est accordé que nous résiderons et demeurerons personnellement dans un lieu
notable de notre obéissance, et non ailleurs. 26°.
Considérant les horribles et énormes crimes et délits commis par Charles,
soi-disant Dauphin de Viennois, il est accordé que nous, notredit fils le
roi, et aussi notre très-cher fils Philippe, duc de Bourgogne, nous ne
traiterons aucunement de paix et de concorde avec ledit Charles, sinon du
consentement et du conseil de tous et de chacun de nous trois, et des trois
États du royaume. 27°.
Sur les choses susdites et sur chacune d'elles, outre nos lettres-patentes
scellées de notre grand sceau, nous donnerons et ferons donner à notre fils
le roi Henri lettres-patentes approbatives et confirmatoires de notre susdite
compagne, de notre fils Philippe de Bourgogne, et autres de notre sang royal,
des grands seigneurs, barons, cités et villes à nous obéissant, desquels,
pour notre part, le roi Henri voudra avoir des lettres. 28°. Semblablement
notre fils le roi Henri, pour sa part, nous fera donner et faire pour ces
mêmes choses, outre ces lettres-patentes scellées de son grand sceau
lettres-patentes approbatives et confirmatoires de ses très-chers frères, et
autres de son sang royal, des grands seigneurs, barons, des cités .et villes
à lui obéissant, desquels nous voudrons avoir des lettres. Toutes
lesquelles choses susdites et écrites, nous, Charles, roi de France, pour nous
et nos héritiers, sans dol, fraude ni mauvais artifice, promettons et jurons,
en parole de roi, sur les saints Évangiles de Dieu par nous corporellement
touchés, de faire accomplir et observer, et de faire observer et accomplir
par nos sujets et que nos héritiers n'iront jamais au contraire des choses
susdites en aucune manière, en jugement et hors jugement, directement ou
obliquement, ou sous quelque couleur déguisée que ce soit. Et, afin que ces
choses soient fermes et stables perpétuellement et à toujours nous avons fait
mettre notre sceau à ces présentes lettres. Donné à Troyes, le 21 mai 1420. En même
temps le duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre renouvelèrent et
consacrèrent le traité d'alliance déjà conclu à Arras, et le Duc prêta le
serment suivant[20] : « Nous,
Philippe, duc de Bourgogne, pour nous et nos héritiers, jurons sur les saints
Évangiles de Dieu, 3 Henri, roi d'Angleterre et régent de France pour le roi
Charles, de lui obéir humblement et fidèlement dans tout ce qui concerne la
couronne et chose publique de France et aussitôt après la mort du roi Charles
notre seigneur, d'être perpétuellement homme lige et fidèle du roi Henri et
de ses successeurs de n'avoir ni de souffrir pour souverain seigneur roi de
France aucun autre que le roi Henri et ses héritiers de n'entrer jamais en
conseil ni consentement d'aucun tort qui pourrait être fait au roi Henri et à
ses successeurs par lequel ils auraient à souffrir en leurs corps ou en leurs
membres, ou à perdre la vie mais au contraire de leur annoncer diligemment,
autant qu'il sera en notre pouvoir, lesdits desseins par lettres ou messages
? » Un
grand nombre de seigneurs spirituels et temporels, qui se trouvaient dans la
ville de Troyes prêtèrent aussi le même serment. Mais ces traités et cette
soumission à l'ennemi du royaume jetaient dans une profonde affliction
beaucoup de gens, même parmi ceux qui étaient attachés au duc de Bourgogne.
Il fallut qu'il donnât à plusieurs d'entre eux le commandement formel de
jurer cette paix, qui leur semblait une trahison. Il eut grand'peine à y
décider Jean de Luxembourg et Louis son frère, évêque de Thérouenne : «
Vous le voulez, dirent-ils, nous prêterons ce serment, mais aussi nous le
tiendrons jusqu'à la mort[21]. » De moins illustres
serviteurs, qui avaient passé de longues années dans la maison de son père,
le quittèrent et s'en retournèrent tristement chez eux. On les traitait
d'Armagnacs, mais ils étaient seulement, bons et loyaux Français[22]. Dans tout son duché, les villes
refusèrent d'abord de prêter serment au roi d'Angleterre[23]. Le 2 de
juin on célébra le mariage du roi d'Angleterre et de madame Catherine dans
l'église de Saint-Jean, à Troyes. Henri de Savoisy, archevêque de Sens, officia
au mariage et bénit le lit des mariés. Dans la nuit on vint leur porter la
soupe au vin, car le roi Henri avait voulu que tout se passât à la mode de
France. Le lendemain il donna un grand festin au roi, au duc de Bourgogne et
aux grands seigneurs de France. On voulait aussi avoir quelque beau tournoi ;
mais il s'y refusa[24]. « Je prie, dit-il, monseigneur
le roi de permettre, et je commande à tous ses serviteurs et aux miens que
nous soyons prêts demain matin pour aller mettre le siège devant la cité de
Sens, où sont les ennemis du roi. Là, chacun de nous pourra jouter tournoyer
et montrer sa prouesse et son courage ; car il n'y a pas de plus belle
prouesse que de faire justice des méchants, pour que le pauvre peuple puisse
vivre. » Il tint aussi à tous ceux qui étaient présents un discours plein de
gravité[25] ; il parla de l'avantage
que trouveraient les deux royaumes à être sujets du même roi. Il dit que,
bien qu'il fût né Anglais, il s'occuperait avec autant de zèle de la
prospérité du royaume de France que de celle de sa terre natale que
d'ailleurs il était né Français par les femmes, ce qui était toujours plus
certain. Il répéta que le Dauphin était le seul chef et la seule cause de la
guerre civile ; et que par le meurtre du duc Jean, il avait bien montré son
mauvais naturel et ses dispositions cruelles. Il ordonna donc aux seigneurs
conformément à leur devoir, leur serment et leur consentement, de venir avec
lui, et de l'aider à réduire ce fils obstiné et déloyal sous l'obéissance du
roi son père. Puis il ajouta : « Quant à moi, je me conformerai aux
articles que vous avez arrêtés et agréés. J'aimerai, honorerai et vénérerai
le roi Charles à l'égal de mon propre père, ainsi que je l'ai promis par
cette paix, qui, je m'assure sera pour toujours. Et vous, si vous vous
montrez loyaux et fidèles envers moi, l'Océan cessera plutôt de couler, le
soleil perdra plutôt sa lumière que je ne manquerai à ce qu'un prince doit à
ses sujets, à ce qu'un fils doit à son père. » Le siège
de Sens dura peu. La ville se rendit deux jours après que le roi d'Angleterre
et le duc de Bourgogne se furent présentes. « Vous m'avez donné une femme ;
je vous la rends vôtre, » dit le roi Henri, en lui remettant son église[26]. De là
ils allèrent attaquer Montereau. Le sire de Guitry y commandait pour le
Dauphin, et commença à se défendre vaillamment ; mais le jour de la
Saint-Jean, quelques Anglais 'et quelques Bourguignons, sans l'ordre de leurs
chefs, ayant donné un assaut, surprirent la ville, et la garnison, non sans
perte, fut contrainte de se retirer dans le château. Dès que le duc fut
entré, les femmes de la ville le conduisirent aussitôt dans l'église où l'on
avait enterré son père[27]. Il fit placer à l'heure même un
drap mortuaire et deux cierges sur cette tombe. Le lendemain elle fut
ouverte, et l'on trouva le cadavre demi-vêtu et défiguré par les grandes
blessures qu'il avait reçues ; sa tête était toute fendue du coup de hache
que lui avait donné Tanneguy il n'y avait personne qui ne fût attendri en
voyant cette large plaie, par où les Anglais étaient entrés en France comme
disait, cent ans après, un chartreux de Dijon, montrant au roi François Ier le
tombeau de Jean de Bourgogne. Son fils donna de grandes récompenses aux
ecclésiastiques de Montereau qui avaient soustrait ce corps aux insultes des
Armagnacs et l'avaient enseveli en terre consacrée ; ils lui remirent le
bréviaire du Duc qui avait été trouvé sur lui ; mais tous ses joyaux avaient été
pris. Le corps fut embaumé, transporté en grande cérémonie à Dijon, et inhumé
aux Chartreux, auprès de Philippe-le-Hardi. Le bâtard de Croy, qui avait été
tué à l'attaque de la ville, fut enterré à Montereau dans la fosse que le duc
Jean laissait vide. Le
château tenait encore. Le roi d'Angleterre fit sommer le sire de Guitry de se
rendre ; le héraut fut reçu injurieusement, et l'on ne tint compte de son
message[28]. Le roi, irrité, fit amener les
prisonniers qu'on avait faits en s'emparant de la ville, et leur signifia
qu'ils seraient pendus s'ils ne persuadaient au gouverneur de céder. Le gibet
fut sur-le-champ dressé. Ces malheureux se mirent à genoux sur le bord du
fossé, et crièrent au sire de Guitry de leur sauver la vie, lui représentant
qu'il ne serait point secouru, et qu'il aurait bientôt a se rendre. Il fut
inflexible. Alors ces pauvres malheureux demandèrent a faire leurs adieux
leurs femmes à leurs enfants, à ceux de leurs amis qui étaient restés dans la
ville. Malgré tant de tristesse et de larmes, le roi d'Angleterre demeura
ferme dans sa cruauté, et les fit périr. Huit jours après, le sire de Guitry
se rendit, à condition qu'il aurait la vie sauve ainsi que sa garnison. Un
gentilhomme du duc de Bourgogne nommé Guillaume de Bierre, l'accusa d'être un
des meurtriers du duc Jean. Guitry offrit de se justifier par le combat ; le
roi d'Angleterre lui accorda un sauf-conduit pour venir combattre ; cependant
la chose en demeura là. Villeneuve-le-Roi
fut prise aussi. Les Bourguignons et les Anglais allèrent ensuite mettre le
siège devant Melun, tandis que le Dauphin était allé faire reconnaître son
autorité dans le pays de Languedoc. Il avait laissé Barbazan, le sire de
Bourbon et ses plus braves chevaliers pour défendre la Brie, et ils s'y
étaient rendus redoutables. La ville fut entourée d'une nombreuse armées Lé
roi d'Angleterre était logé sur la rive gauche de la. Seine, le duc de
Bourgogne occupait la rive droite et le côté de la Brie ; le roi de France et
les deux reines se tenaient pendant ce temps-là à Corbeil. Les
chevaliers, du Dauphin commencèrent bientôt à montrer qu'ils feraient une
rude et longue défense[29]. Dès les premiers jours ils
firent des sorties où les Bourguignons souffrirent beaucoup les assiégeant
comprirent alors qu'il était nécessaire de se fortifier eux-mêmes, et
environnèrent leur camp de fossés et de palissades. Ils établirent leurs
machines de guerre, et tirent tirer contre la ville leurs bombardes et
canons. Les assiégés n'étaient pas moins habiles ni moins actifs à se servir
de leur artillerie ils avaient des arbalétriers qui tuaient tous ceux qui
approchaient de la muraille. Aucun n'était plus diligent ni plus adroit qu'un
moine augustin qui tua au moins soixante hommes d'armes. Lorsque quelque
portion du mur venait à être renversée, elle était aussitôt réparée en terre
Ou en charpente. Il n'y
avait nul moyen de tenter l'assaut contre une ville si bien défendue :
c'eût été une entreprise imprudente et in utile le roi d'Angleterre s'y
opposait toujours. Le siège durait déjà depuis quelque temps, lorsque le duc
Roger de Bavière arriva, amenant avec lui un 'nombreux renfort à l'armée de
Bourgogne. Il commença à s'étonner de ce qu'on ne donnait pas un assaut ; le
roi Henri lui représenta avec patience et douceur que ce n'était pas une
chose à faire, mais il ne put vaincre sa présomption. Le duc de Bourgogne,
qui se lassait aussi de la prudence des Anglais, ne demandait pas mieux que d'essayer
cette attaque ; le roi les laissa faire, disant seulement que lorsqu'on
donnerait un assaut du côté où il était, lui et ses Anglais feraient leur
devoir. Les deux ducs firent préparer leurs échelles et tout ce qui était
nécessaire ; ce ne fut pas si secrètement que Barbazan ne s'en aperçût. Il
laissa arriver les Bourguignons jusqu'au bord du fossé ; déjà ils
commençaient à y descendre et à dresser leurs échelles, en sonnant les
trompettes et criant : A l'assaut ! La muraille n'était défendue
que par une cinquantaine d'archers et par des gens de la ville prêts à rouler
de grosses pierres et à jeter sur les assaillants de l'eau ou de la graisse
bouillantes. L'attaque commença, et plusieurs arrivaient vers le haut du mur,
malgré les Roches et tout ce que les assiégés taisaient pleuvoir sur eux,
quand soudainement les trompettes de la ville se firent entendre avec éclat,
et la garnison, débouchant tout d'un coup par une poterne dans le fossé tomba
sur les Bourguignons et les Allemands. Il leur fallut, en grande hâte, gravir
le fossé pour retourner à leur camp, au milieu des traits qui les
atteignaient dans le dos beaucoup furent tués ou blessés, et l'entreprise tourna
ainsi à leur confusion. Les Anglais ne furent pas lâchés de cette
mésaventure, et de la leçon qu'avaient reçue leurs présomptueux alliés.
Toutefois le roi Henri disait que, s'ils n'avaient pas réussi, ils s'étaient
comportés vaillamment, et qu'à la guerre les fautes où l'on montre du courage
valent des succès. Voyant
que les assiégés se défendaient si bien et ne voulaient entendre à aucun
traité, quoique les vivres fussent déjà rares dans la ville, les Anglais
commencèrent à creuser des mines[30]. Ceux de la garnison s'en
doutaient, et Ils épiaient avec soin si l'on n'entendait pas dans les caves
quelque bruit sourd et souterrain. Un jour Louis Juvénal des Ursins, vaillant
écuyer, fils de l'avocat-général, crut démêler que la mine des ennemis approchait
du poste qui lui était confié, il prit sa hache et courut au lieu où le bruit
était entendu. Barbazan le rencontra comme il y courait « Louis, où vas-tu ?
» lui dit-il. Et, quand il sut de quoi il s'agissait : « Frère, tu
ne sais pas bien encore ce que c'est que de combattre dans une mine ; fais-moi
couper le manche de ta hache ; les mines sont souvent étroites et en
zig-zag ; il y faut des bâtons courts, pour combattre main à main. »
Ils descendirent dans la cave, et envoyèrent chercher des ouvriers pour
contreminer. On poussa du côté où l'on entendait le bruit, en ayant soin
d'établir toujours une forte barrière devant soi. Enfin les deux mines se
rencontrèrent, les manœuvres se retirèrent, et les hommes d'armes des deux
partis résolurent, pour la curiosité de l'aventure, de faire quelques
vaillantes joutes dans ce lieu souterrain et obscur. Le premier qui y
combattit du côté des Français fut Louis Juvénal, que Barbazan fit chevalier.
On pouvait se blesser, mais non se prendre, car il y avait entre les combattants
une barrière à hauteur d’appui. C'était aux torches et aux flambeaux que se
passait cette joute. Les uns et les autres y prirent grand plaisir ; pendant
plusieurs jours il s’y fît de beaux faits d'armes. Plusieurs chevaliers
furent créés à cette occasion. Le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne
voulurent eux-mêmes y rompre des lances. Ce fut avec le sire de Barbazan que
jouta le roi sans d'abord se faire connaître ; mais, dès que le chevalier sut
quel était son adversaire, il se retira respectueusement. Ces combats étaient
une sorte de tournoi et de fête si bien qu'au commencement, lorsque les assiégeants
entendirent sonner les cloches de la ville, ils crurent qu'on s'y réjouissait
de quelque secours qui arrivait ; mais ils surent que c'était pour célébrer
ces joutes. Tout se passa avec une grande courtoisie, et le roi d'Angleterre
se plaisait à donner des louanges à la vaillance des chevaliers du Dauphin. Ce
prince ne désirait rien tant que de les secourir ; il envoya des commissaires
dans tous les pays de son obéissance pour assembler des gens d'armes. On
réunit environ quinze mille hommes et ils se mirent en marche. Mais,
lorsqu'ils furent arrivés dans le Blaisois, on sut que les Anglais et les
Bourguignons étaient si nombreux et leurs camps si bien fortifiés, qu'il n'y
avait rien à essayer contre eux. Barbazan
et les siens ne perdirent pas courage. Ils vivaient de chair de cheval le
pain manquait, les maladies ravageaient la garnison cependant elle ne voulait
entendre à aucune proposition. Le roi Henri fit venir au camp le roi de
France, pour que sa présence imposât davantage aux assiégés ; ils répondirent
qu'ils lui ouvriraient volontiers, mais non point aux mortels ennemis du
royaume. Ce qui soutenait leur constance, c'est que les assiégeants souffraient
cruellement aussi. L'épidémie leur emportait beaucoup de monde ; les hommes
d'armes n'étaient point payés la disette régnait chez eux, comme à Paris et
dans tout ce pays dévasté depuis si longtemps. Tous les chevaux mouraient. D'ailleurs
les Anglais et les. Bourguignons s'accordaient chaque jour moins bien entre
eux ils avaient sans cesse déjà querelles. A Sens, après la prise de la ville,
un grand débat s'était ému pour les logements, et l'on en était presque venu
aux mains. Ce qui offensait le plus les Français, c'était le peu d'égards
qu'on témoignait à leur roi, et le petit état où on le tenait entouré d'un
petit nombre de serviteurs et médiocrement vêtu, tandis que le roi
d'Angleterre avait un train plus fastueux que jamais. Ses façons étaient
aussi plus hautaines qu'il ne convenait à la France, où les nobles et les
autres n'avaient pas l'habitude d'être traités par leurs maîtres avec tant de
rudesse[31]. Un
jour, le maréchal de l'Isle-Adam, qui commandait à Joigny, vint au camp pour
quelques affaires de la guerre ; il alla trouver le roi Henri, lui fit un
respectueux salut, et commença à expliquer le sujet de son voyage. Le roi,
qui sans doute trouvait que le maréchal ne se présentait pas devant lui avec
assez de cérémonie, lui dit d'un ton railleur « L'Isle-Adam, est-ce là une
robe de maréchal de France ? » Celui-ci, sans se troubler et regardant
le roi, repartit : « Sire, j'ai fait faire cette robe gris-blanc
pour venir ici par eau, sur les bateaux de la rivière de Seine. — Comment !
dit vivement le roi, vous regardez un prince au visage en lui parlant ! —
Sire, répliqua l'Isle-Adam, c'est la coutume en France que quand un homme
parle à un autre, de quelque rang et quelque puissance qu'il soit, il passe
pour mauvais homme et peu honorable, s'il n'ose pas le regarder en face. — Ce
n'est pas notre guise, » interrompit le roi. Et l'on vit bien qu'il en
voulait beaucoup au sire de l'Isle-Adam ; la suite le montra encore mieux. Ce qui
se passa avec le prince d'Orange fut plus grave encore il amenait des renforts
à l'armée. Le roi d'Angleterre voulut exiger de lui le serment réglé par la
paix de Troyes : « Je viens ici, dit-il, servir monseigneur de Bourgogne
; mais, quant à prêter serment à l'ancien et mortel ennemi du royaume de
France, c'est ce que je ne ferai jamais. » Il serait retourné chez lui sans
les instances du duc de Bourgogne. Le sire
de Luxembourg amena aussi de nouveaux renforts an roi d'Angleterre et au Duc
qui en avaient grand besoin, tant leur armée était diminuée. Les malheureux
assiégés, voyant de loin les bannières s'avancer vers la ville, s'imaginèrent
que le Dauphin envoyait enfin à leur secours[32]. Du haut de leurs murailles ils
poussèrent des cris de joie, disant aux Anglais de seller leurs chevaux pour
partir mais quand ils s'aperçurent de leur erreur, ils redescendirent
tristement dans la ville la tête basse et le courage abattu. Peu après arriva
aussi la milice de Paris sous les ordres de e Legoix et de Saint-Yon[33]. La garnison, épuisée par un
siège de cinq mois, ne tarda pas a se rendre. On accorda la vie sauve aux
hommes d'armes, hormis ceux qui, étant soupçonnés d'être complices de la mort
du duc de Bourgogne, devaient être mis en justice on imposa aux autres la
condition de fournir caution qu'ils ne s'armeraient point contre le roi
d'Angleterre les bourgeois ou autres restèrent à la disposition du vainqueur,
ainsi que les Ecossais ou Anglais qui se trouvaient parmi la garnison enfin
douze otages furent pris parmi les capitaines, et six parmi les bourgeois le
sire de Bourbon, le sire de Barbazan, le sire Juvénal, furent exigés dans les
otages. Ce
traité reçut une interprétation déloyale et indigne d'un prince aussi
vaillant que le roi d'Angleterre. Outre les otages, cinq ou six cents hommes
de la garnison furent retenus et envoyés dans les prisons de Paris, et l'on
répondit à leurs plaintes qu'ils avaient la vie sauve, comme on la leur avait
promise. Les Écossais furent pendus ; diverses personnes de la ville, 'et
deux moines de l'abbaye de r Jouarre, furent décapités[34]. Le duc
de Bourgogne s'étant plaint qu'un gentilhomme gascon, sujet et serviteur du
roi d'Angleterre, venait de laisser échapper, pour de l'argent, Raimond de
Loire, accusé d'avoir été complice de la mort du duc Jean, le roi Henri
ordonna qu'on coupât la tête à ce gentilhomme. Le Duc ne demandait pas une si
grande rigueur et implora sa grâce le duc de Clarence intercéda aussi son frère
; tout lut inutile il n'écouta ni la pitié, ni l'affection qu'il avait
toujours montrée à son serviteur, tant était grande sa dureté. Ce fut
le 18 novembre que Melun se rendit. Après quelque séjour a Corbeil, les rois
firent leur entrée à Paris. Déjà le duc de Bourgogne avait livré aux Anglais
la Bastille, le Louvre, l'hôtel de Nesle, Vincennes ; le premier usage que le
roi d'Angleterre avait fait de son pouvoir, c'était d'ôter au comte de
Saint-Pol la charge de premier capitaine de Paris, pour la donner à son frère
le duc de Clarence. La ville continuait à souffrir une horrible misère le
pain devenait chaque jour plus rare et plus cher il fallait se lever la nuit
pour aller faire foule à la porte des boulangers, et encore il n'y en avait
pas pour tout le monde[35]. Les riches, qui pouvaient,
outre le prix du pain, payer pinte ou chopine de vin aux garçons boulangers,
étaient les seuls servis. On voyait de pauvres petits enfants se traîner dans
les rues en pleurant et criant : « Je meurs de faim. » Ils tombaient sur
les fumiers, où on les trouvait morts d'inanition et de froid ; car le bois
était devenu aussi d'une rareté extrême, et ce n'était pas une des moindres
souffrances. Ce fut
surtout ce malheureux état de la ville qui donna au pauvre peuple un grand
empressement à célébrer l'entrée du roi d'Angleterre ; on souffrait tant,
qu'on espérait que toute mutation produirait quelque soulagement ; rien ne
coûtait pour complaire à des maîtres dont on voulait toucher le cœur, afin
qu'ils prissent en pitié une si grande détresse. Les deux rois entrèrent par
la porte Saint-Denis, au milieu des acclamations du peuple qui criait Noël.
Les riches avaient pris la robe rouge en l'honneur des Anglais les prêtres
faisaient des processions, venaient devant leurs églises porter les reliques
à baiser aux deux rois, en chantant : Te Deum laudamus, ou Benedictus
qui venit. On avait dressé, tout le long de la rue de la Calandre, un
grand échafaud où l'on représentait le mystère de la Passion tel qu'il était
figuré en relief autour du chœur de Notre-Dame. Ce fut en cette église que se
rendirent d'abord les deux rois et les princes, après avoir traversé Paris.
Ils étaient à cheval l'un près de l'autre, le roi de France à droite.
Derrière eux marchaient, d'un côté, les ducs de Clarence et de Bedford ; de
l'autre, le duc de Bourgogne et ses serviteurs vêtus de noir. Après avoir
remercié Dieu et fait leurs prières, le roi de France rentra dans son hôtel
Saint-Paul, le roi d'Angleterre au Louvre, le duc de Bourgogne à l'hôtel
d'Artois. Le lendemain, les deux reines firent aussi leur entrée solennelle.
Ce retour du roi, ce concours des seigneurs de France et d'Angleterre,
n'eurent d'autre effet que d'augmenter encore le prix des vivres et la famine
de Paris ; chaque jour la ville se dépeuplait. Les bons habitants fondèrent
des hôpitaux en divers quartiers, pour recueillir les malheureux orphelins
qui mouraient de faim. L'hiver était très-froid, les loups venaient dans les
cimetières et même dans les rues, pour dévorer les corps morts dont ils
trouvaient abondance. Le roi
d'Angleterre fit tout aussitôt assembler des députés des trois États du
royaume ; ils jurèrent le traité de Troyes sur les saints Évangiles, et les
grands seigneurs remirent au roi Henri leur soumission et leur serment
scellés de leur sceau[36]. Les malheurs et les embarras
du royaume furent aussi exposés aux États ; on leur demanda des ressources
pour la guerre, on leur dit à quoi il fallait pourvoir, en les invitant à y
aviser[37]. Parmi
tous les dommages qu'avait soufferts la chose publique, un des plus grands
c'était l'affaiblissement des monnaies[38]. Le marc d'or, qui, sous le
règne de Charles V, valait 63 liv. 17 s. 6. d., était maintenant de 171 liv.
13 s. Le marc d'argent avait été porté de 5 liv. 16 s. à 28 liv. Aussi toutes
les denrées étaient devenues fort chères. Le commerce avait été troublé. Les
débiteurs et les fermiers s'étaient acquittés au grand détriment de leurs
créanciers et de leurs possesseurs. Il n'y avait qu'un cri contre ce
désordre. Les
États répondirent qu'ils étaient prêts à faire ce qui plairait au roi et ce
que son conseil ordonnerait. Les aides et les gabelles furent rétablies,
ainsi que le roi d'Angleterre avait déjà fait à Rouen. Quant aux monnaies, le
roi déclara qu'il ferait fabriquer bonne et forte monnaie soit d'or, soit
d'argent, et que, pour avoir de quoi la forger, il ordonnait, d'après
l'octroi des gens des trois États, qu'il serait recueilli dans les bonnes
villes du royaume, sur tous de quelque état qu'ils fussent, un impôt en marcs
d'argent. Ces marcs devaient être mis à la monnaie, et chacun recevrait
ensuite 7 liv. par marc d'argent qui qui lui aurait été emprunté. Or, au
titre de cette nouvelle monnaie, le marc aurait dû valoir 8 liv. C'était donc
un rude impôt. On en murmura beaucoup. L'Université vint faire ses
remontrances au nom des gens d'église, et réclamer leurs exemptions. Le roi
d'Angleterre leur répondit avec rudesse, et comme ils voulaient répliquer, il
les fit taire. Il fallut bien se soumettre, car ce roi les eût envoyés en
prison. Force était d'obéir avec docilité ; autrement on eût été tenu pour
Armagnac et mis en grand danger. Toutefois
les ordres du roi sur la refonte de la monnaie ne purent recevoir
d'exécution. Le Dauphin ayant conservé la monnaie faible et l'ayant même
encore diminuée, toutes les espèces allaient dans son gouvernement ; mais
aussi l'on y payait les choses beaucoup plus cher. Dès que
le duc de Bourgogne fut entré à Paris il s'occupa enfin d'avoir justice de la
mort de son père, ainsi que l'en pressait depuis longtemps la duchesse sa
mère. Le 23 décembre, le roi siégeant en lit de justice a l'hôtel Saint-Paul,
en sa cour du Parlement, présents les députés des États, le roi d'Angleterre
à côté de lui comme régent, le duc de Bourgogne en habit de deuil, accompagné
des ducs de Clarence et de Bedford, des prélats et seigneurs de son conseil,
s'avança et alla s'asseoir sur un banc de l'autre côté de la salle. Messire
Nicolas Raulin, son avocat, demanda aux deux rois la permission de parler
puis, au nom du duc et de la duchesse sa mère, il exposa l'homicide commis en
la personne de Jean duc de Bourgogne, par Charles soi-disant dauphin de
Viennois, le vicomte de Narbonne, le sire de Barbazan, Tanneguy Duchâtel,
Guillaume le Bouteiller, Jean Louvet, Robert de Loire, Olivier Layet et
autres complices, et conclut à ce qu'ils fussent promenés par trois jours de
fête, dans les carrefours de Paris, sur un tombereau, tête nue portant un
cierge à la main, et disant à haute voix qu'ils avaient méchamment,
traîtreusement, damnablement, par envie, et sans cause raisonnable, occis le
duc de Bourgogne qu'ils répétassent les mêmes paroles a Montereau, sur le
lieu du crime : qu'ils y bâtissent une église, et y fissent une fondation de
douze chanoines, six chapelains et six clercs, de même qu'à Paris, à Rome, à
Gand, à Dijon, à Saint-Jacques de Compostelle et à Jérusalem, en faisant
graver en grosses lettres, sur une pierre du portail, le motif de la
fondation[39]. Maître
Pierre de Marigny, avocat du roi, prit aussi des conclusions au criminel
contre les accusés. En outre, maître Jean Larcher, docteur en théologie et
délégué de l'Université de Paris, parla avec plus de force encore exhorta les
deux rois à écouter les demandes du duc de Bourgogne, et à lui faire justice
; puis, comme ecclésiastique, il ne prit de conclusions qu'au civil. Enfin
le chancelier, au nom du roi, déclara que les coupables de ce damnable crime
avaient commis crime de lèse-majesté, forfait corps et biens, qu'ils étaient
inhabiles et indignés de toutes successions, dignités, honneurs et
prérogatives quelconques, outre les peines que les lois ordonnaient contre
les commetteurs de crimes de lèse-majesté et leur descendance : de plus, que
lesdits criminels avaient encouru les peines portées dans le traité de paix
et d'alliance signé au Ponceau que tous leurs gens, vassaux, sujets et
serviteurs présents et à venir, étaient absous et quittes de tout serment de feauté,
de toute promesse on obligation de service envers eux et leurs successeurs. Cette
déclaration du roi n'était pas un jugement ; c'était ce qu'on nommait des
lettres de justice elles se terminaient par l'ordre donné aux justiciers et
officiers royaux de procéder, chacun dans sa juridiction, contre lesdits
coupables, par voie extraordinaire, si besoin était, et d'administrer justice
aux parties. Ce fut
en vertu de ces lettres que le Parlement commença à instruire la procédure.
Le 3 janvier 1421, à la requête du procureur-général, fut ajourné à trois
jours, sous peine de bannissement, à son de trompe, sur la table de marbre,
messire Charles de Valois, dauphin de Viennois, pour raison de l'homicide fait
en la personne de Jean duc de Bourgogne. Après toutes les formalités usitées
en justice, il fut par arrêt, convaincu des faits à lui imputés, comme tel
banni et exilé à jamais du royaume, et déclaré indigne de succéder à toutes
seigneuries venues et à venir. Cette sentence, que tous les bons et loyaux
Français trouvèrent inique, nulle et déraisonnable, toucha peu le Dauphin il
en appela à la pointe de son épée, et fit vœu de porter son appel tant en France
qu'en Angleterre ou dans les domaines du duc de Bourgogne[40]. En même
temps la domination des Anglais devenait rude et pesante ; le roi Henri
commençait à tout gouverner selon sa seule volonté ; il mettait ses propres
serviteurs dans tous les offices, sans égard pour ceux que le roi, le duc
Jean ou le duc Philippe y avaient placés. Le duc d'Exeter, son oncle, fut
capitaine de Paris le comte d'Huntington commanda Vincennes, le sire
d'Amfreville, Melun. Il menait au Louvre joyeuse vie et grande dépense,
tandis que le pauvre vieux roi de France restait solitaire en son hôtel
Saint-Paul, délaissé de tous ; tellement que le jour de Noël, ou auparavant
il était si solennellement entouré, il ne fut visité que par de vieux
serviteurs et quelques bourgeois qui lui gardaient fidèle affection[41]. Le duc
de Bourgogne avait aussi à se plaindre du roi d'Angleterre d'une façon qui
lui tenait fort au cœur. Parmi les prisonniers de la garnison de Melun, qu'on
accusait d'avoir pris part an meurtre du duc Jean, le plus considérable était
le sire de Barbazan. La duchesse Marguerite, avait fait dresser par son
conseil a Dijon, d'après tous les témoignages qui avaient été recueillis, des
articles sur lesquels ce chevalier devait être interrogé[42]. Le roi d'Angleterre ne le
laissa point mettre en justice. On assura que le sire de Barbazan, ayant
réclamé les droits d'un frère d'armes, que, selon les règles de la
chevalerie, il avait acquis en combattant corps à corps avec le roi dans les
mines de Melun, ce prince avait accepté cette loyale obligation, et s'était
résolu de sauver le brave Barbazan[43]. II l'envoya en prison à
Château-Gaillard, mais livra à la justice le bâtard Tanneguy de Coesmerel, et
Jean Gault, qui furent écartelés par arrêt du Parlement[44]. Dès le
mois de janvier, le roi Henri avait quitté Paris pour retourner en Angleterre
avec madame Catherine, et le Duc avait repris le chemin de la Flandre, après
avoir donné de belles fêtes et des joutes à la ville de Paris, pour lui
montrer toute son affection. Pendant
le voyage qu'il fit dans ses bonnes villes, il manifesta le goût héréditaire
de la maison de Bourgogne pour la magnificence et le grand appareil. Il
étalait plus de faste encore que 'son père ou son aïeul. Lorsqu'il faisait
son entrée dans les villes, il faisait porter devant lui une épée nue, et se
montrait entouré de tous les officiers de sa maison. Les seigneurs ne
manquaient pas à venir lui former un noble et brillant cortège. Les riches
bourgeoisies de Flandre, qui vivaient paisibles et libres tandis que la
France et l'Angleterre étaient misérables et ravagées par la guerre, les marchands
qui s'étaient enrichis dans un commerce toujours plus grand, marquaient leur
reconnaissance à leur seigneur, en lui offrant les plus belles fêtes. Le duc
Philippe, quel que fût son goût pour la pompe souveraine, était doux et
affable envers tous, et se retrouvait toujours avec plaisir parmi ces
Flamands chez qui il avait passé une heureuse jeunesse. Ce n'était partout que
joutes et tournois ; il y en eut surtout de superbes à Bruxelles, chez son
neveu le duc de Brabant. Le Duc fit faire vingt-quatre habillements de
couleur vermeille, chargés d'orfèvrerie pour les chevaliers qui devaient
jouter avec lui. Ses serviteurs et ses pages étaient aussi chamarrés des plus
brillantes broderies qui représentaient un briquet à allumer le feu, qu'on
nommait alors un fusil, avec sa devise. Pour
lui, il était vêtu de la façon la plus galante ; sa cotte d'armes et son
manteau étaient ornés, de quarante aunes de ruban d'argent, en nœuds et en
rosettes ; mais rien n'était si beau que le panache de son casque ; l’aigrette
était de vingt et une plumes de héron ; le cimier de vingt-quatre plumes
d'autruche ; par derrière flottaient dix-sept plumes de paon. Tandis
que le duc de Bourgogne se livrait ainsi à de nobles divertissements dans sa
seigneurie de Flandre, et que le roi d'Angleterre déployait aussi toute la magnificence
de son royaume au couronnement de madame Catherine, les partisans du Dauphin
reprenaient pied chaque jour en France. Ils surprirent Villeneuve-le-Roi ;
les garnisons de Compiègne, de Pierrefonds, de Château-Thierry, tenaient la
campagne et ravageaient le Valois, le Beauvoisis le Vermandois, et jusqu'au Cambrésis.
Le bâtard de Vaurus, un des chefs qui commandaient à Meaux, venait jusqu'aux
portes de Paris, et répandait, par sa cruauté., la terreur dans tout le pays[45]. Mais
les plus grandes forces du Dauphin étaient dans le Perche et dans l'Anjou,
sous les ordres du maréchal de La Fayette et du comte de Buchan, qui lui
avait amené des Ecossais. La veille de Pâques, le duc de Clarence vint les
attaquer près de Bauge. Tant de victoires avaient donné confiance aux
Anglais. Le duc de-Clarence, qui était depuis longtemps ému du regret de ne
s'être point trouvé à Azincourt, croyait ne pouvoir assez tôt attaquer. Sans
attendre les archers il passa, à la tête des hommes d'armes, la rivière qui
le séparait des Français ; ceux-ci tombèrent sur lui avant que le comte de
Salisbury eût amené le corps de bataille. Le combat fut vif. Dès le
commencement de faction la mêlée devint sanglante. Le sire Charles le
Bouteiller s'empara bientôt du duc de Clarence et le fit son prisonnier,
espérant l'échanger contre le duc d'Orléans ; les Anglais s'efforcèrent de le
délivrer ; dans ce conflit, le comte de Buchan arriva jusqu'au prince et
le tua de sa main, tandis que le sire le Bouteiller tombait percé de coups
sur le corps de son prisonnier ; lord Ros, Gilbert d'Amfreville,
périrent aussi ; le comte de Sommerset, le comte de Suffolk, furent pris.
Lorsqu'enfin le comte de Salisbury et le bâtard de Clarence arrivèrent au
secours, la fleur de la chevalerie anglaise était déjà tombée sur le champ de
bataille ou emmenée captive. Cette
belle victoire remonta le courage des Français. D'ailleurs le royaume ne
pouvait se faire au gouvernement rude et tyrannique de ses anciens ennemis[46]. Plusieurs des seigneurs de
France, qui avaient longtemps tenu le parti de Bourgogne se tournèrent contre
lui. Depuis plusieurs années, messire Jacques de Harcourt'7- tout en se
disant l'allié et l'ami du Duc, faisait aux Anglais une forte guerre ; il avait
même mis en prison le comte de Harcourt son parent, pour leur avoir été favorable,
il se déclara enfin complètement pour le Dauphin. Il tenait le fort château
de Crotoy en Picardie, sur le bord de la mer, et de là faisait des courses
par terre ou par mer. Sur les marches de la Picardie étaient encore les deux
plus vaillants et habiles chevaliers du Dauphin Poton de Saintrailles et
Vignolles dit la Hire. Avec eux, le seigneur de Rambures, Louis de Gaucourt,
et quantité d'autres vaillants gentilshommes du Vimeu et du Ponthieu, se
mirent à combattre les Anglais. A Paris,
le peuple n'était pas content ; la famine et les maladies continuaient a
faire mourir un nombre infini de personnes ; on changeait sans cesse les
ordonnances sur les monnaies, et nul ne savait ce qui lui était dû ni ce
qu'il devait ; l'impôt sur les marcs d'argent se percevait, et pourtant la
forte monnaie qu'on avait promise n'était point frappée[47]. Les
Anglais avaient trouvé un zélé et empressé serviteur dans Philippe de
Morvilliers premier président du Parlement ; pour le moindre murmure, il
faisait percer la langue à ceux qu'on lui dénonçait. Afin d'obvier à la
cherté des denrées, on avait fait une taxe qui avait augmenté la disette car
aucun marchand ne voulait plus rien amener. Le premier président faisait
mettre au pilori, promener dans des tombereaux ou punir corporellement ceux
qui contrevenaient à cette taxe. Il était défendu aussi aux orfèvres de faire
le commerce d'or et d'argent ; les changeurs étaient tenus de se conformer
aux règlements sur la monnaie on n'avait jamais vu une si cruelle tyrannie
dans Paris. Le
nouveau gouverneur anglais, le duc d'Exeter, faisait regretter le duc de
Clarence qu'on avait eu d'abord, et qui avait su gagner l'affection des
Français, parce qu'il était doux et affable ; au contraire le duc d'Exeter
était sévère. Il fit prendre le maréchal de l'Isle-Adam, à qui le roi Henri
ne pardonnait pas sa fierté ; le peuple de Paris se révolta pour le défendre
; mille ou douze cents hommes prirent les armes pour l'arracher aux Anglais.
Le due d'Exeter fit avancer ses archers et tirer sur le peuple, en promettant
toutefois que bonne justice serait laite au seigneur de l'Isle-Adam. Il le
fit conduire à la Bastille, où ce seigneur resta longtemps, nonobstant les
instances que fit souvent le duc de Bourgogne en sa faveur[48]. Le roi
d'Angleterre, apprenant la défaite et la mort de son frère, et l'état de ses
affaires en France, se hâta d'y revenir. Il débarqua a à Calais dans les
premiers jours de juin, et envoya aussitôt le comte de Clifford avec douze
cents hommes d'armes à Paris, où le duc d'Exeter était déjà serré d'assez
près par les gens du Dauphin, L'armée &ançaise assiégeait Chartres, et
les garnisons menaçaient Paris. La duchesse de Bourgogne avait, de Dijon,
écrit à son fils de penser à la sûreté du roi, et il s'était empressé de
mander ses hommes d'armes à Arras ; mais, comme le roi d'Angleterre arrivait
pour y pourvoir, il vint au-devant de lui à Montreuil. En ce moment il était
malade de la fièvre ; ne pouvant monter cheval pour aller sa rencontre, il
envoya le sire de Luxembourg afin de l'excuser. Le roi et lui demeurèrent
trois jours ensemble à conférer de leurs affaires, puis prirent leur route
vers Abbeville. Les gens de la ville, qui étaient tous bons Français, se
souciaient peu de livrer le passage de la Somme au roi d'Angleterre ;
cependant, sur les instances du Duc et sur la promesse que tout ce qu'on
prendrait serait payé, ils consentirent à ouvrir leurs portes. Pendant ce pour
parler, l'on s'empara du château de La Ferté près de Saint-Riquier, où se
tenait une garnison du sire de Harcourt, et la garde en fut confiée à Nicaise
de Boufflers gentilhomme du pays[49]. Le roi
d'Angleterre continua sa route vers Paris où il entra le dernier de juin.
Bientôt après, il assembla son armée à Mantes, pour marcher vers Chartres
contre l'armée du Dauphin le duc de Bourgogne s'y rendit aussi avec ses gens
d'armes. Mais les Dauphinois s'étant retirés du côté de Tours, il revint en
Picardie, où le sire de Harcourt et les garnisons ennemies prenaient chaque
jour plus de force. Le sire de Boufflers avait livré le château de La Ferté ;
Saintrailles et le seigneur d'Offemont avaient surpris Saint-Riquier ;
plusieurs autres châteaux et forteresses étaient tombés aux mains des
Dauphinois. Le roi d'Angleterre nt donner au Duc de fortes sommes pour payer
ses hommes d'armes, et lui promit des renforts. Il en avait grand besoin, car
les ennemis étaient en plus grande puissance que lui. Il demanda aux gens
d'Amiens et des autres bonnes villes de lui fournir des arbalétriers ils
promirent de l'assister[50]. Mais Abbeville n'était pas si
bien disposé le sire de Harcourt y avait des intelligences le seigneur de
Cohen, qui y était capitaine, lut, un soir qu'il faisait sa ronde, assailli
et rudement blessé par des gens de la ville, qui se sauvèrent ensuite vers
les Dauphinois. Le Duc
commença par attaquer le pont de Remy sur la Somme. Les ennemis avaient mis
garnison au château situé dans l'île qui sépare le pont en deux parties. Les
arbalétriers s'embarquèrent pour l'assaillir, et forcèrent les Français à se
retirer. Le château et tout ce qui était dans File furent brûlés. Le Duc alla
ensuite poser son camp devant Saint-Riquier mais il n'était pas assez fort
pour en faire le siège. La garnison faisait de vives sorties, et se saisit
même de quelques prisonniers de marque. Un défi de six Dauphinois contre six
Bourguignons eut lieu pendant ce siège. Il s'y fit de beaux coups de lance ;
mais le sire d'Offemont, chef de la garnison et Jean de Luxembourg qui
commandait l'armée du Duc, avaient pris de grandes précautions, tant l'on
avait peu de confiance dans la foi les uns des autres. Il y
avait plus d'un mois que le siège durait sans faire nul progrès. Le Duc
apprit tout à coup que le sire de Harcourt avait envoyé avertir les
'garnisons de Compiègne et des autres villes appartenant au Dauphin, de venir
se réunir à lui pour marcher contre les Bourguignons. Le Duc vit qu'il allait
se trouver en grand danger, et résolut de prévenir l'ennemi[51]. Il ordonna à Philippe de
Saveuse de passer de l'autre côté de la Somme pour avoir nouvelles précises
de la marche des Dauphinois. Lui-même, en toute hâte et secrètement pendant
la nuit, quitta le camp avec tout son monde, et cheminant toute la matinée,
il arriva à Abbeville. Là il ordonna à ses gens de boire et manger, et de
faire rafraîchir leurs chevaux, sans se loger, car il attendait de moment en
moment l'avis de continuer sa route. Bientôt en effet le sire de Saveuse lui
fit dire que les Dauphinois s'avançaient vers le passage de la Blanche-Taque,
pour aller se réunir au sire de Harcourt, qui les attendait de l'autre côté
de la rivière. Il n'y avait pas un instant à perdre. Le Duc fit remonter à
cheval ses gens d'armes y laissa les arbalétriers qui ne pouvaient suivre y
et continua sa marche par la rive gauche de la Somme. Il recevait de moment
en moment message sur message, pour lui dire de se hâter, et que les ennemis
commençaient à passer la rivière ; enfin il arriva. Les Dauphinois
s'arrêtèrent et se disposèrent à recevoir le combat les deux armées étaient à
trois traits d'arc l'une de l'autre. C'était la première fois que le Duc se
trouvait a une bataille rangée. Tout pressé qu'il était, il voulut se faire
armer chevalier de la main de messire de Luxembourg ; puis lui-même conféra
la chevalerie à Philippe de Saveuse, Collart de Comines, Jean de Roubais,
Guillaume de Halewin, André et Jean Vilain, et à plusieurs autres. A même
moment on fit aussi plusieurs chevaliers dans l'autre armée. Le Duc
envoya tout aussitôt Philippe de Saveuse avec cent vingt lances pour tourner
les Dauphinois et les attaquer en flanc. Alors le choc commença il fut rude.
Les hommes d'armes des deux partis s'élanceront les uns sur les autres. Les
Dauphinois, dont les chevaux n'étaient point fatigués, arrivèrent à pleine
course sur les Bourguignons, qui soutinrent d'abord assez bien le choc. Les
lances se brisaient les gens d'armes étaient jetés à terre ; on s'approchait
de plus près, on en venait aux mains. La mêlée commençait à devenir
sanglante, lorsque soudainement une partie des gens du Duc prit la fuite.
Tout s'était, fait en si grande hâte, que sa bannière était demeurée aux
mains du valet qui la portait. Cet homme eut peur, tourna bride, s'en alla et
laissa même tomber la bannière. Ce fut là ce qui commença à mettre
l'épouvante parmi les Bourguignons. Le roi-d'armes de Flandre répandit parmi
les rangs que son maître venait d'être abattu. L'alarme redoubla de braves
chevaliers d'Artois, de Picardie, de Flandre, qu'on avait toujours vus à
l'épreuve du péril, se troublèrent et se mirent à la déroute. Ils coururent
vers la rivière pour la repasser au pont d'Abbeville mais la ville, toute
favorable au Dauphin, leur ferma ses portes ; ils poursuivirent jusqu'à
Pecquigny. Cependant
le Duc, reste avec le tiers de son monde, faisait des prodiges de valeur.
Jean de Luxembourg reçut une forte blessure au visage fut jeté en bas de son
cheval, et fait prisonnier. Le seigneur d'Himbercourt fut aussi blessé et
pris. Rien n’ébranla le courage du Duc. Un coup de lance traversa l'arçon de
sa selle ; un autre dérangea son armure. Un homme d'armes dauphinois le
saisit vigoureusement pour l'entraîner à terre ; il piqua son cheval, et
s'arracha de cette étreinte. Près de lui un bon nombre de braves chevaliers
combattaient aussi en désespérés. Aucun, ne se montrait si redoutable que le
jeune sire de Vilain, que le Duc venait d’armer chevalier. Il était de haute
stature et monté sur un fort cheval laissant la bride, il avait pris deux
mains sa hache d'armes, et frappait à grands coups parmi la mêlée. Tout ce
qui tombât sous sa main était abattu. Il arriva ainsi jusqu'auprès de
Saintrailles, qui était venu de Saint-Riquier prendre part à la bataille il
eut l'honneur de faire reculer ce vaillant chevalier qui confessa ensuite
qu'il n'avait pas osé braver la terrible hache du sire de Vilain. Pendant
longtemps on a montré dans la cathédrale de Lille la forte armure de ce
gigantesque chevalier[52]. Cependant
une partie des Dauphinois, ayant vu la déroute des gens du Duc s'était lancée
-à leur poursuite. Cette division fut secourable aux Bourguignons. La
victoire leur demeura ils rompirent et mirent en fuite ce qui leur était
resté opposé. Le Duc lui-même fut si âpre et si animé au combat, qu'il suivit
longtemps la rive de la Somme poursuivant les Dauphinois. Il en prit même
deux de sa main. En même temps le sire de Rosimbos avait relevé la bannière
de Bourgogne, et rallié une partie des fuyards. La journée se déclara ainsi
pour le Duc, et il échappa miraculeusement à un si grand péril par la
victoire[53]. Saintrailles et les principaux
chevaliers du Dauphin furent faits prisonniers et emmenés à Abbeville. Ceux
des Bourguignons qui s'étaient enfuis en abandonnant leur seigneur reçurent
de lui un accueil sévère. Quelques-uns étaient de sa maison ; il les en
chassa ; on les surnomma les chevaliers de Pecquigny, et il leur fallut
longtemps pour effacer par leur bravoure cette honteuse tache. Ce
succès délivra les marches de Picardie des compagnies dauphinoises. Plusieurs
forteresses, n'espérant plus de secours, se rendirent. Le sire d'Offemont
traita pour Saint-Riquier, et le livra à condition que le Duc remettrait sans
rançon Saintrailles, le sire de Conflans et le e sire de Gamaches ; ce fut
même par leurs soins que fut conclu cet arrangement[54]. Le Duc leur avait fait un si
honorable accueil qu'il leur avait gagné le cœur, et ils s'en retournèrent
répandant partout des louanges de sa courtoisie. Amis et ennemis parlaient de
lui avec bienveillance, et comparaient ses bonnes façons à la rude fierté des
Anglais. Pendant
qu'il remportait la glorieuse victoire de Mons en Vimeu, le roi Henri avait
pris Dreux et Beaugency, avait forcé le Dauphin de se retirer derrière la
Loire, puis il était venu mettre le siège devant Meaux[55]. Cette garnison qui depuis
longtemps trouvait et ravageait tout le pays autour de Paris, était commandée
par de vaillants hommes, les sires Guichard de Chizé capitaine, Louis Dugat,
Perron de Luppe, Philippe de Gamaches abbé de Saint-Pharon. Mais le plus
terrible et le plus renommé de tous était le bâtard de Vaurus ; il avait
appartenu au comte d'Armagnac, et pour venger la mort de son maître., il n'y
avait pas de cruautés auxquelles il ne se livrât. Il courait les campagnes
prenait les marchands et les pauvres laboureurs, les attachait à la queue, de
son cheval, et les ramenait à Meaux ; là il les mettait à forte rançon. Quand
il n'en pouvait rien tirer, il les faisait pendre par son bourreau ou les
pendait lui-même à un grand arbre. Rien n'était plus fameux et plus redouté
dans tout le pays et jusqu'à Paris, que l'orme de Vaurus, où il avait
accroché tant de malheureux. Il y
avait surtout une aventuré qui excitait la pitié et l'indignation de tous[56]. Ce bâtard avait traîné à Meaux
un jeune homme qu'il avait enlevé de sa charrue. Il commença : par le faire
mettre la torture, exigeant de lui une rançon exorbitante. Le jeune homme fit
savoir à sa femme quels tourments on lui faisait souffrir et quelle somme on
lui demandait. Il n'y avait pas un an qu'ils étaient mariés ; elle était sur
le point d'accoucher. Elle arriva à la ville pour essayer d'adoucir le cœur
de ce cruel tyran ; ses larmes ne le touchèrent point il lui signifia que si,
à jour donné, elle n'apportait pas la rançon, son mari serait accroché aux
branches de l'orme. Le jeune laboureur s'attendrissait et pleurait, voyant la
douleur de sa femme qui l'aimait tant, et elle le recommandait à Dieu en
sanglotant. Quelque diligence qu'elle fit elle ne put se procurer la somme
que huit jours après le terme assigné, car l'argent était bien rare et tout
le monde très-misérable. Elle accourut à la ville. La fatigue, les douleurs
de l'enfantement qui commençaient à se faire sentir, l'accablaient de telle sorte
qu'elle s'évanouit en arrivant. Sa première parole en reprenant ses sens fut
pour demander son mari. « Payez, lui dit-on, puis vous le verrez. » Tandis
qu'elle comptait cet argent, elle voyait d'autres laboureurs qui, n'ayant pas
de quoi se racheter, étaient pendus ou jetés à la rivière. Son pauvre cœur se
serrait, et un mauvais pressentiment l'avait saisie. En effet, quand la
rançon fut livrée, ces cruels lui dirent que son mari avait été pendu au jour
fixe. Pour lors, la malheureuse créature forcenée de douleur et tout égarée
par le désespoir, se mit à leur reprocher leur crime. Le bâtard, à qui ces
clameurs déplaisaient, lui fit couper ses robes, et, demi-nue, elle fut, à
grands coups de bâton, menée vers l'orme de Vaurus ; elle y fut liée si serré,
que les cordes entraient dans la chair. La nuit arriva une nuit froide et
pluvieuse le vent agitait au-dessus de sa tête les cadavres des pendus
accrochés aux branches de l'arbre, et parfois même leurs pieds venaient
toucher jusqu'à sa tête. A tant de souffrances, à tant d'épouvanté que lui
donnait cet horrible lieu, s'ajoutèrent bientôt les douleurs de
l'accouchement. Elle poussait des cris lamentables ; on les entendait dans la
ville, mais personne n'eût osé lui porter le moindre secours, tant on
craignait le bâtard. Les loups seuls accoururent, avertis par sa voix
gémissante. Le lendemain matin on trouva au pied de l’orme de Vaurus ses
restes sanglants, et les lambeaux de son enfant que les loups avaient arraché
de ses flancs. La
clameur générale qui s'élevait contre cette cruelle garnison, et
l'inconvénient de laisser auprès de Paris un si grand parti de Dauphinois,
fit résoudre au roi Henri de s'emparer de Meaux, quoi qu'il en pût coûter[57]. Il alla
y mettre le siège vers le commencement de novembre. Ce fut en effet une
entreprise difficile. La misère, la famine, les maladies régnaient sur un
pays depuis si longtemps en proie aux gens de guerre, et se firent bientôt
sentir aux Anglais. Ils manquaient de vivres ; ils mouraient par milliers de
l'épidémie qui durait toujours. Leurs souffrances les rendaient plus cruels
et le roi ainsi que ses capitaines étaient devenus plus impitoyables que
jamais. Vainement on se plaignait à eux ; ils ne faisaient que s'en moquer,
et eux-mêmes encourageaient leurs hommes à se rendre plus exigeants[58]. C'était, comme disait le
pauvre peuple, un gouvernement de loups ravissants, qui emportaient la brebis
avec la laine, qui dévoraient la chair avec le sang. Aussi les habitants qui
avaient déjà tant souffert et depuis tant d'années, qui ne croyaient pas que
leur malheur pût croître, devenaient tous comme insensés de désespoir ; ils
laissaient là femmes et enfants, et s'en allaient éperdus. « Que devenir
? disaient-ils ; il vaut mieux nous mettre en la main du diable, et faire
partout du pis que nous pourrons. Nous allons tout quitter, et nous jeter
dans les bois comme des bêtes féroces. Qu'importe ce que nous deviendrons ?
Aussi bien que peut-on nous faire que nous tuer ? que peut-il nous advenir de
pis que le gouvernement de tous ces traîtres, de tous ces seigneurs, plus
barbares que les Sarrasins, qui, depuis quatorze ou quinze ans, ont commencé
cette cruelle danse, qui se font périr les uns les autres par le glaive, le
poison, la trahison, et que nous voyons mourir l'un après l'autre par mort
violente, et sans concession ? » Ce
n'était pas seulement les gens de la campagne qui se livraient à cette rage
de la souffrance. Les Parisiens manquant de pain, dépouillés de leur dernier
avoir par les taxes, voyant changer chaque semaine la valeur des monnaies,
vendaient ou quittaient leurs maisons paternelles, mettaient leurs meubles à
l'encan, et partaient de cette ville maudite. Les uns s'en allaient dans les
pays du Dauphin, les autres à Rouen il y en avait qui se faisaient aussi
brigands dans les bois, comme les paysans. Aussi
lorsqu'au mois de janvier le duc de Bourgogne arriva à Paris, il fut reçu
avec de grands transports de joie. Chacun espérait qu'il prendrait les
intérêts de la France contre les anciens ennemis du royaume, devenus ses
maîtres. On alla au-devant de lui en corps ; le peuple se porta en foule sur
son passage. Le peu de conseillers qui étaient demeurés près du roi et de la
reine, lui exposèrent l'état horrible de Paris et de la contrée. Il répondit
à tous avec affabilité, et s'efforça de relever le courage et la confiance du
peuple par de bonnes promesses. Bientôt après il se rendit au camp du roi
d'Angleterre devant Meaux ; le prince d'Orange et quelques autres seigneurs
bourguignons refusèrent de Fy suivre il y consentit volontiers ; leur séjour
avec les Anglais, leur fierté et l'insolence de ceux-ci, la rigueur du roi
Henri, auraient fait naître de continuelles occasions de discorde[59]. La noblesse et les communes de
la province de Bourgogne étaient françaises dé cœur. Déjà, dans les
assemblées d'hommes d'armes que la Duchesse douairière avait convoquées, le
sire de Saint-Georges et d'autres, avaient, comme le prince d'Orange,
hautement parlé de refuser tout serment au traité de Troyes. L'accueil que le
Duc reçut au camp des Anglais ne dut pas disposer plus favorablement ses
serviteurs il n'y obtint aucun soulagement pour les peuples aucune vengeance
du sire de Barbazan ; tout au plus réussit-il à sauver de la mort le sire de
l'Isle-Adam, que le roi Henri voulait faire périr ; encore ne fut-il pas
remis en liberté. Après
peu de jours, il revint donc à Paris[60]. Le peuple lui montra d'abord
les mêmes transports, la même confiance ; mais lorsqu'on vit qu'il ne pouvait
faire aucun bien à cette ville, où il était tant aimé, où sa maison avait
toujours eu un si grand parti, on commença à se dégoûter de lui. On le trouvait
encore plus insouciant que son père pour les maux du peuple, et plus lent à y
porter remède. Il lui fallait, disait-on, trois ans pour arriver à ce qui
pouvait se faire en trois mois. On lui reprochait de n'être entouré que de
jeunes chevaliers pleins de folie et de présomption, de n'écouter que leurs
avis, et de mener une vie de dissipation, comme avaient fait le feu duc
d'Orléans et tous ces princes qu'on avait vus finir honteusement ; on
s'indignait qu'il songeât si peu à la mémoire de son père, et ne se mît pas
plus en peine pour venger sa mort[61]. Ce qui n'ajoutait pas peu à ce
blâme du commun peuple, c'étaient les ravages de l'armée bourguignonne dans
les campagnes de la rive gauche[62] où elle était cantonnée. Enfin
il prit la route de son duché, et arriva à Dijon le 19 février 1422. Pendant
ce temps, le siège de Meaux continuait toujours il dura plus de sept mois.
Jamais on n'avait vu tant de courage et de constance que n'en montra le
bâtard de Vaurus et les autres chefs de la garnison ils bravaient les Anglais
et leur criaient des injures de dessus les murailles ; l'artillerie
repoussait toutes les attaques, et tuait l'élite de leurs hommes d'armes ; le
comte de Worcester, lord Clifford y périrent[63]. Jean Cornwallis, un des plus
braves capitaines de l'armée d'Angleterre, y fut blessé ; au même instant son
fils unique, jeune écuyer de la plus noble espérance, fut atteint à ses côtés
d'un boulet qui lui emporta la tête. Ce malheur abattit tout le courage du
père ; il lui sembla que la guerre qui lui coûtait son fils, était une
entreprise damnable qu'il était contraire à Dieu et à la raison de vouloir
priver le Dauphin de son héritage que c'était mettre son corps et son âme en
péril, de persister en un tel dessein. Rien ne put le retenir ; et il jura de
ne plus désormais porter les armes contre les chrétiens[64]. Mais
rien ne pouvait vaincre l'obstination du roi d'Angleterre ; ses plus
vaillants chefs tombaient dans les assauts la famine et la maladie
dépeuplaient son armée, sans qu'il songeât à quitter son camp. Cette
valeureuse résistance d'une forteresse de France jeta pourtant en son âme un
pressentiment funeste ; on crut même qu'il avait connaissance de quelque
prophétie sinistre pour l'Angleterre[65]. Toujours est-il que lorsqu'il
apprit que madame Catherine sa femme avait mis au monde un fils au château de
Windsor, au lieu de se féliciter, comparant son sort au sort à venir de cet
enfant qui venait de naitre, il répondit tristement à lord Fitz-Hugh son
chambellan « Henri, né à Montmouth, aura régné peu et conquis beaucoup :
Henri, né à Windsor, régnera longtemps et perdra tout ; mais la volonté de
Dieu soit faite. » Une si
belle défense méritait tous les soins et tous les secours du Dauphin. Le sire
d'Offemont, un de ses plus braves chevaliers, fut envoyé pour conduire un
renfort à la garnison de Meaux. L'entreprise fut prudemment concertée pendant
qu'une partie de ses gens faisaient une fausse attaque sur le camp des
Anglais, le sire d'Offemont pénétra, durant la nuit, jusque dans le fossé.
Les assiégés étaient prévenus ; ils descendirent des échelles. Le chevalier,
en capitaine bien avisé, commença par faire monter devant lui ceux qui
l'accompagnaient. Tous gravissaient en silence, 'et lui derrière eux, lorsque
par malheur un des siens, qui peu d'heures auparavant avait volé à un
marchand un gros bissac tout rempli de harengs, et qui le portait à son cou,
le laissa choir du haut de l'échelle. Le bissac tomba sur la tête du sire
d'Offemont, et l'abattit dans le fossé ; aussitôt ses gens s'écrièrent « Ah !
mon Dieu ! Monsieur est tombé ; vite, au secours de Monsieur. » Le guet
des Anglais les entendit ; l'entreprise fut découverte, et le sire d'Offemont
fait prisonnier[66]. Ce
revers commença à décourager la garnison et encore plus les habitants la
ville ne tarda pas à être emportée par un assaut. Mais elle était divisée en
deux par la rivière de Marne, et formait, sur chaque rive, comme une
forteresse séparée. Le bâtard de Vaurus se réfugia dans l'autre partie qu'on
nommait le Marché, et continua de s'y défendre avec la même audace. Le roi
d'Angleterre s'empara ensuite d'une petite île fortifiée entre les deux
villes, et de là son artillerie écrasait les assiégés ; toutefois ils ne se
rendirent pas, et surent encore repousser vigoureusement un rude assaut qui
leur fut livré ; ils firent même une sortie où ils surprirent une grosse
troupe d'Anglais. Ceux-ci se défendirent avec courage, et périrent tous
hormis un qui s'enfuit. Le roi d'Angleterre, pour le punir de sa lâcheté, le
fit enterrer vif avec ses compagnons morts à la bataille. Enfin dans les
derniers jours d'avril, les assiégés, se voyant sans nulle ressource
consentirent à traiter. Ils furent obligés de se rendre à discrétion. Le roi
d'Angleterre fit pendre le bâtard de Vaurus à son arbre, et sa bannière lui
fut plantée dans la poitrine[67]. Les uns disaient que c'était
la juste punition de ses cruautés ; les autres, que le roi d'Angleterre ne se
comportait pas honorablement, en faisant périr un si vaillant homme. Son
cousin, Denis de Vaurus, fut conduit à Paris il y fut exécuté avec Louis
Dugast et deux autres chevaliers. Le trompette, qui avait crié tant d'injures
aux Anglais de dessus la muraille, fut aussi pendu ; les autres chevaliers et
hommes d'armes se rachetèrent par d'excessives rançons[68]. Philippe de Gamaches, abbé de
Saint-Pharon, que le vulgaire nommait l'évêque de Meaux, et qui avait
combattu aussi vaillamment que les gens de guerre, était tombé aux mains des Anglais,
avec trois religieux de Saint-Denis, dont le courage, durant le siège,
n'avait pas été moindre[69]. Pierre Cauchon, évoque de
Beauvais, afin de se montrer zélé serviteur des Anglais, faisait grande
diligence de faire mourir ces braves ecclésiastiques il leur imputait comme
un crime d'avoir porté les armes bien que, d'après des gens sages et doctes,
la défense fût de droit naturel, civil et canonique. On les tenait dans une
rude prison. Cependant, sur les instances de l'abbé de Saint-Denis, et bien
plus encore parce que le sire de Gamaches, capitaine de Compiègne, livra la
ville aux Anglais pour sauver son frère l'abbé de Saint-Pharon et les trois
religieux furent délivrés[70]. Le roi
d'Angleterre avait pourtant été ému d'admiration aussi-bien que de colère
pour cette prodigieuse défense delà ville de Meaux, et pour le prouver, il
offrit au sire de Chizé, capitaine de la garnison, de le combler de biens
s'il voulait passer à son service ; le chevalier refusa, et demeura fidèle au
Dauphin et à la France[71]. Un
petit nombre de chevaliers bourguignons étaient demeurés avec le roi
d'Angleterre, et ils avaient montré leur vaillance accoutumée dans les
assauts livrés à la ville. Une autre assemblée d'hommes d'armes, sous les
ordres de Jean de Luxembourg, continuait la guerre avec les Dauphinois sur
les marches de Picardie. Durant
ce temps-là le duc Philippe réglait tout dans sa province de Bourgogne. Il
fit son entrée à Dijon le 19 février ; il y jura d'entretenir et de
confirmer, à l'exemple de ses prédécesseurs, les privilèges de la ville et
reçut les serments des maires et échevins, ainsi que ceux des députés des
autres villes du duché[72]. Les cérémonies furent, comme
on peut croire, de la plus grande magnificence il y eut des représentations
des mystères de la religion et des martyrs des saints. La ville fit des présents
à tous les officiers de la maison du Duc ; le chancelier eut deux muids de
vin et deux mines d'avoine, et chacun en proportion ; les habitants se
taxèrent pour-subvenir aux dépenses de cette belle réception de leur
seigneur. Il ne fut pas moins généreux et, magnifique il distribua des présents
et des aumônes, et fit, selon la coutume, ouvrir les prisons de la ville ; on
avait eu soin auparavant de transférer dans la tour de Marcenay tous les
prisonniers impliqués dans le meurtre du duc Jean. Le Duc
se retrouvait avec sa mère et ses sœurs ; sa famille lui donna les marques de
la plus vive amitié ; un nouveau service funèbre pour son père fut fait aux
Chartreux, et toute la noble maison de Bourgogne y assista avec les seigneurs
du duché. La
première affaire qui se traita ensuite fut difficile et fâcheuse il
s'agissait de faire jurer à la ville de Dijon la paix de Troyes, cette paix
qui donnait le royaume a ses anciens ennemis. Le roi d'Angleterre pour plus
de sûreté, avait fait nommer, par le conseil de France des commissaires pour
requérir ce serment à peine en eurent-ils fait connaître les clauses, que
chacun en fut révolté les bourgeois s'assemblèrent aux Jacobins, et résolurent
de refuser le serment. Cependant le maire et les échevins crurent trouver un
moyen terme, et proposèrent de jurer qu'ils tiendraient pour roi de France
celui que leur seigneur reconnaîtrait pour tel les commissaires déclarèrent
qu'ils ne se contenteraient point de ce serment. Le Duc se trouva dans un
grand embarras il ne voulait point mécontenter le roi d'Angleterre, et
cependant il ne pouvait s'irriter contre ses fidèles sujets qui lui
montraient confiance et soumission. En outre c'étaient ses propres droits
qu'ils défendaient ; car une des clauses qui les choquait le plus, c'était de
jurer qu'ils se regarderaient comme sujets et hommes liges du roi de France
et d'Angleterre. Le Duc consentit à ce que cet article fût retranché ; mais
les commissaires refusèrent d'adhérer à ce retranchement. Enfin pour résoudre
les difficultés, il fut convenu que le serment serait prêté en présence du
Duc, dans sa chambre que le procès-verbal déclarerait que c'était seulement
par son exprès commandement, ainsi que le constateraient encore mieux les
lettres qu'il ferait délivrer à cet effet. Le Duc
s’occupa ensuite de tout ce qui pouvait contribuer à l'avantage de ses sujets
et au bon ordre de ses états il confirma et renouvela un traité de paix
conclu avec la duchesse de Bourbon, dont le mari était, depuis Azincourt,
prisonnier des Anglais il assura par-là le repos du Beaujolais. La promesse
de mariage entre Agnès de Bourgogne et Charles, fils du duc de Bourbon, fut
aussi l'objet d'assurances nouvelles et réciproques. II termina un grand
nombre d'affaires et de procédures qui traînaient en longueur depuis beaucoup
de temps ; il statua sur les unes en son conseil d'autres furent réglées dans
le parlement qu'il assembla à Dôle. C'était encore un parlement selon les
coutumes anciennes, qui ne siégeait point d'habitude et se formait de gens de
son conseil ou pris dans les trois Etats. Le Duc le réunissait à sa volonté
pour traiter des affaires du duché et pour juger des appels. Il nomma les
chevaliers et autres qui devaient le composer, et il fixa leur salaire à tant
par jour pour la durée du Parlement. On s'y occupa de régiments généraux de
police, de justice et de finances. Par suite de ce qui y fut résolu, des commissaires
réformateurs furent envoyés dans les bailliages et prévôtés les lettres du
Duc 'e leur conféraient le même pouvoir qu'aux juges assemblés en parlement
ils pouvaient corriger les abus et prononcer des jugements au criminel. Il
fallut aussi tenir les Etats de Bourgogne, car les finances étaient en pauvre
situation. Les conseillers du Duc représentèrent à quelles dépenses il avait
été contraint par le meurtre de son père, l'entretien des troupes, les
voyages, les sièges, les frais de sollicitation, les guerres soutenues pour
défendre le duché ou entreprises pour le service du roi, enfin, par la
nécessité d'assembler encore les gens de guerre pour combattre les
Dauphinois. La conclusion fut qu'en de telles circonstances il fallait une
aide au moins double de celle qui avait été accordée au duc Jean lors de son
avènement. L'assemblée remontra quelle était la misère du peuple, la
mortalité sur les hommes et le bétail, les dommages causés par le passage des
gens de guerre enfin le subside fut réglé à 36.000 livres ; le Duc proposa
quatre élus pour en surveiller la répartition par feu, et en suivre la levée[73]. Le Duc
se rendit ensuite dans la Comté, où il prêta foi et hommage à l'archevêque de
Besançon, pour les fiefs qu'il tenait de lui, et renouvela le traité par
lequel cette ville impériale s'était mise sous la garde des ducs de
Bourgogne. De là
il vint à Genève chez son oncle le comte de Savoie, qui lui donna de grandes
fêtes avec des joutes sur le lac. A son retour à Dijon, il reçut avec non
moins de pompe le duc Charles de Lorraine. Deux grands tournois furent
célébrés au premier, le duc Philippe parut vêtu de taffetas vert, contre sa
coutume, car il s'habillait toujours en noir il portait la devise : Pour
la servir. Le lendemain il avait adopté la couleur gris-blanc, et la
devise : Roye et Gand. Ce voyage du duc de Lorraine fut avantageux au
parti que suivait le duc de Bourgogne ils contractèrent une alliance par
laquelle le duc Charles s'engagea à reconnaître le traité de Troyes. Pendant
que le Duc donnait ainsi tous ses soins au gouvernement de son duché, et
passait son temps dans les entrevues et les têtes la guerre se continuait.
Meaux n'était pas encore rendu le sire de Luxembourg s'emparait du Quesnoy et
de quelques autres forteresses sur les marches de Flandre et de Picardie.
Mais d'un autre côté les Français avaient de plus grands avantages. Les
Bourguignons, sous les ordres du sire de la Roche-Baron, gentilhomme du
Forez, s'étaient répandus dans le Lyonnais et l'Auvergne, et y commettaient
beaucoup de désordres. Les habitants de ces provinces résolurent de se
défendre. Imbert de Grollée, bailli de Lyon, le sire de la Fayette, le sire
Bernard d'Armagnac, formèrent une assemblée de gens d'armes[74]. Les Bourguignons se
renfermèrent dans la forteresse de Serverette ils y furent assiégés les
Français y mirent le feu, et le sire de la Roche-Baron se sauva presque seul.
Toute l'Auvergne fut perdue, le Charolais et le Mâconnais menacés, le comté
de Nevers envahi ; bientôt après la ville de La Charité fut prise, et la
garnison de Cosne forcée à promettre qu'elle rendrait la ville si elle
n'était point secourue avant le 6 d'août. Il devenait donc pressant de
s'opposer au progrès des armées du Dauphin. Le Duc instruisit le roi
d'Angleterre du danger que courait la ville de Cosne et lui fit remontrer
combien il importait de la sauver lui-même envoya un héraut au Dauphin, pour
lui faire savoir qu'il se trouverait au rendez-vous avant le jour fixé le
prince répondit qu'il l'attendrait de pied ferme. Le roi
Henri, qui était en ce moment à Senlis, où il était venu au-devant de la
reine sa femme promit de se rendre en personne au secours de la ville de
Cosne. Le Duc se mit en route le 9 juillet, pour se réunir avec lui à Troyes,
où devaient aussi lui arriver ses troupes de Flandre. Mais à ce moment il
reçut la nouvelle triste et inattendue de la mort de madame Michelle de
France, sa femme ; elle venait d'être enlevée tout à coup, à l'âge de
vingt-huit ans, par une maladie vive et rapide. Les peuples de Flandre et
surtout les Gantois, témoins, depuis plusieurs années, de sa douceur, de sa
bonté, de ses aumônes, furent frappés de douleur par cette funeste mort ; ils
ne voulurent pas croire qu'elle fût naturelle, et y cherchèrent quelque cause
de sortilège ou de poison. Leurs soupçons se portèrent bientôt sur la dame
Ursule, femme du seigneur de la Viefville, et dame de la princesse. Après
avoir joui de toute sa faveur, elle venait d'être renvoyée de sa maison, ;
sur cette idée les Gantois envoyèrent cent vingt hommes pour se saisir de la
dame de la Viefville qui était à Ath ; quelques gentilshommes de sa parenté
s'opposèrent à cette exécution. Les gens de Gand étaient si animés, qu'ils
mirent en prison leurs commissaires, pour s'être mal acquittés de la charge
qu'on leur avait confiée. L'affaire fit tant de bruit, que les officiers de
justice du Duc firent des informations à Lille, à Arras, à Dijon ; le
Parlement de Paris en ordonna aussi ; le sire de Roubais se trouva compris
dans ces accusations[75]. La procédure dura longtemps ;
le sire de Roubais fut d'abord condamné au bannissement, par contumace ;
enfin, après une année, la complète innocence delà dame Ursule fut reconnue,
et le Duc lui fit même une réparation. La
triste nouvelle de cette mort arrêta pendant quelques jours la marche du dus
Philippe mais le terme où Cosne devait se rendre approchait, et il fallait
secourir la ville. Le roi d'Angleterre était tombé gravement malade il envoya
son frère, le duc de Bedford, qui assembla l'armée anglaise à Vézelay ; les
Bourguignons étaient réunis à Avallon. Les deux armées, sous les ordres du
Duc de Bourgogne et de Jean de Luxembourg., du duc de Bedford et du comte de
Warwick, arrivèrent le 11 août devant Cosne[76]. Le
Dauphin, sachant combien étaient considérables les forces des ennemis, ne
jugea pas à propos de les combattre ; il rendit aux gens de Cosne les otages
qu'ils avaient donnés, repassa la Loire et se retira, sur Bourges.
Quelques-uns des Anglais et des Bourguignons voulurent le poursuivre et
furent repoussés. Il
n'eût pas été prudent de passer la rivière et de s'engager dans le Berri ;
les vivres étaient devenus si rares, que la marche des armées n'était pas
chose facile elles souffraient beaucoup de la famine et ne pouvaient rester
longtemps assemblées ; d'ailleurs le duc de Bedford avait laissé le roi Henri
très-malade, et les nouvelles qu'il en recevait lui donnaient peu d'espoir.
Le duc de Bourgogne ramena l'armée près de Troyes, et les seigneurs anglais
se hâtèrent de revenir près de leur roi qui s'était fait transporter en
litière à Vincennes. Ils le
trouvèrent gisant sur son lit, connaissant bien qu'il approchait de la mort,
et la voyant venir avec sa fermeté accoutumée[77]. Il chercha à les consoler par
des paroles graves et douces : « Je vois bien, leur » dit-il, que Dieu ne
veut plus me laisser en ce monde. Mon cher frère Bedford je vous prie, au nom
de la loyauté et de l'amour que vous avez toujours eus pour moi, d'être aussi
toujours bon et loyal pour mon fils Henri. Par-dessus tout, je vous
recommande de ne pas souffrir tant que vous vivrez, quelque chose qu'il
advienne, qu'aucun traité soit fait avec notre adversaire Charles de Valois,
à moins que la Normandie ne reste entièrement à mon fils. Jusqu'à ce qu'il
soit en âge de gouverner ses affaires, gardez-vous aussi de délivrer de
prison notre cousin d'Orléans, le comte d'Eu, le seigneur de Gaucourt et le
sire de Chizé, ancien gouverneur de Meaux. Je vous laisse le gouvernement de
France, à moins que notre frère de Bourgogne ne veuille l'entreprendre ; car,
sur toutes choses, je vous conjure de n'avoir aucune dissension avec lui.
S'il arrivait par malheur, et Dieu vous en préserve, quelque malveillance
entre vous et lui, les affaires de ce royaume, qui semblent fort avancées
pour nous, deviendraient mauvaises. Recommandez ceci bien expressément à mon frère
de Glocester, à qui je laisse le gouvernement d'Angleterre dites-lui que,
pour quelque motif que ce soit, il n'en sorte point, et ne vienne jamais en »
France. — Pour vous, mon cousin de Warwick, je veux que vous soyez le maître
de mon fils que vous demeuriez avec lui pour le conduire et l'enseigner selon
son état ; je ne saurais y mieux pourvoir. — Mon frère de Bedford, en
souvenir de m'avoir tant aimé, vous surveillerez et visiterez souvent votre
neveu. » Le duc
de Bedford, le comte de Warwick, sir Louis Robsart, et ceux de ses plus
dévoués serviteurs qui l'entouraient, répondirent avec tendresse et
soumission qu'ils lui obéiraient en tout ; mais leur cœur était plein de
douleur, et ils ne pouvaient retenir leurs larmes. Le sire Hugues de Lannoy,
qui était venu de la part du duc de Bourgogne s'enquérir des nouvelles du roi
d'Angleterre, assistait à ces nobles adieux, et alla reporter à son maître
les assurances dernières de l'amitié de son royal allié. Puis il
fit entrer ses médecins et leur demanda de lui dire franchement combien de
temps il avait encore à vivre ; ils demeurèrent un moment sans répondre enfin
l'un d'entre eux lui dit que Dieu pouvait, par sa grâce, lui conserver la
vie. « C'est la vérité que je veux, dit-il, répondez-moi. » Ils se
retirèrent un moment à l'écart, et après quelques paroles dites entre eux, un
médecin se mit à genoux devant son lit, et lui dit : « Sire, pensez à
votre âme ; il nous semble que, sauf la miséricorde divine, vous n'avez pas
deux heures[78]. » Pour lors il manda son
confesseur et quelques gens d'église ; il pria qu'on lui récitât les psaumes
de la pénitence. Quand on en vint à ces paroles du vingtième verset du Miserere :
Ut œdificentur muri Hierusalem, il les fit arrêter : « Ah ! dit-il, si
Dieu eût voulu me laisser vivre mon âge, après avoir mis fin à la guerre de France,
réduit le Dauphin à la soumission ou l'avoir chassé du royaume dans lequel
j'aurais établi une bonne paix, je serais allé conquérir Jérusalem ; car
ce n'est pas l'ambition ni l'amour de la vaine gloire du monde qui m'a mis
les armes à la main. Je voulais dépendre mon bon droit, réclamer mon
héritage, et rendre aux peuples le repos dont ils ont tant de besoin. Les
guerres que j'ai entreprises ont eu l'approbation de tous les prud'hommes et
des plus saints personnages ; je les ai commencées et poursuivies sans offenser
Dieu et sans mettre mon âme en péril. » Ensuite on se remit à chanter les
psaumes, et peu après il rendit l'âme c'était le 31 août 1422[79]. » Ainsi
périt, à l'âge de trente-quatre ans, après un règne de neuf années, ce roi
qui avait porté si loin la puissance de l'Angleterre. Il était regardé comme
un prince habile et sage, ferme et hautain dans sa volonté, et sachant mener
à la fin les choses qu'il entreprenait. Les Anglais avaient pour lui beaucoup
d'amour, de respect et de crainte. Il était impitoyable dans ses justices, et
ne souffrait pas qu'on s'écartât de ses ordonnances. Les Français louaient en
lui la soumission où il tenait les princes de son sang et ses capitaines,
mais ils le trouvaient plus altier et plus dur dans ses façons que ce n'est
la coutume en France. Le menu peuple, le voyant porté à traiter sévèrement
les gentilshommes, à punir leurs insupportables violences et leurs
extorsions, a les empêcher de faire nourrir leurs chevaux, leurs chiens et
leurs oiseaux par les pauvres laboureurs, commençait à s'attacher à lui ; le
clergé même lui rendait grâce de la volonté qu'il faisait paraître de
réprimer la licence. Le bruit courait parmi le vulgaire que sa maladie lui
avait été envoyée par saint Fiacre, parce qu'il avait eu la volonté de faire
transporter en Angleterre les précieuses reliques de ce saint. Il était mort
en effet de la dysenterie et des hémorroïdes qu'on nommait alors le mal saint
Fiacre. Les
Anglais désolés lui firent des funérailles magnifiques son corps fut embaumé,
déposé d'abord à Saint-Denis, où fut célébré un service solennel, puis placé
sur un chariot ; on y avait fait, en cuir bouilli, une représentation de sa
figure, qui gisait sur un lit de parade, vêtue de tous les ornements royaux.
Ce char était traîné par quatre chevaux le premier portait un collier aux
armes d'Angleterre ; le second, aux armes de France et d'Angleterre
écartelées ; le troisième aux armes de France ; le quatrième avait l'armoirie
du fameux et invincible roi Artus de Bretagne, trois couronnes sur un écu
d'azur un pompeux cortége accompagnait le char funèbre. Le duc de Bedford et
toute la maison du roi d'Angleterre suivaient en grand deuil. Des hommes
vêtus de blanc portaient des torches. On cheminait lentement, chantant des
psaumes et l'office des morts. Le clergé sortait des villes pour venir
au-devant du convoi, et conduisait le char sous un dais jusqu'à l'église
principale ; le lendemain matin il reprenait sa route. Ce fut de la sorte que
ses obsèques se rendirent à Calais, en suivant la route de Rouen et
d'Abbeville la foule se portait sur le passage ; c'était l'objet de la
curiosité de tous, et l'on ne parlait d'autre chose. On racontait toute cette
magnificence à un vieux chevalier nommé messire Sarrazin que la goutte
empêchait d'aller voir ce convoi, et comme on lui disait que cette figure
représentant le roi d'Angleterre était vêtue comme lui de son vivant : « A-t-il
ses houzeaulx ? demanda-t-il. Non, lui répondit-on. Hé bien, mes bons amis,
en voulant conquérir la France, il aura perdu ses houzeaulx. » On
s'amusa beaucoup-de cette plaisanterie, et l'on en tirait bon augure pour le
royaume[80]. Le duc
de Bourgogne était arrivé trop tard pour être présent aux derniers moments du
roi Henri il assista à ses funérailles. Conformément aux conseils que son
frère mourant lui avait donnés, le duc de Bedford offrit la régence de France
au duc de Bourgogne il refusa de s'en charger. Dans ce moment difficile où la
mort de ce grand roi préoccupait encore les esprits, où il semblait que tout
allait se perdre si l'on ne suivait pas ses sages volontés, les Anglais
s'attachèrent principalement à se concilier l'amitié du duc Philippe[81]. La reine Isabelle, qui revint
bientôt après avec le roi, de Senlis à Paris, lui fit aussi un accueil de
grande affection. Elle souhaitait, disait-on, d'avoir la régence[82] ; mais elle fut déférée au
duc de Bedford, qui passait pour un sage prince. Un des premiers actes de son
gouvernement fut d'accorder au duc Philippe la liberté du sire de
l'Isle-Adam, qui, malgré les soupçons répandus parmi les Anglais, resta fidèle
Bourguignon, et ne passa point dans le parti du Dauphin. Le Duc,
après avoir séjourné quelques semaines à Paris, s'en retourna dans ses états
de Flandre. Il avait pourvu avec le plus grand soin aux affaires du duché et
du comté de Bourgogne. Lorsqu'il en était parti, il venait d'y établir une
chambre du conseil, à laquelle il avait donné les plus grands pouvoirs pour
gouverner d'administrer la justice, les finances, et faire toutes les choses
bonnes et convenables pour la sûreté et le contentement de la chose publique.
Cette chambre pouvait voir et connaître de toutes plaintes et clameurs,
recevoir toutes requêtes et y pourvoir, connaître de tous cas criminels et
civils ordinairement et extraordinairement, ainsi que des appellations des Parlements
de Beaune, de Dôle et de Saint-Laurent près Mâcon les évoquer devant elle, et
instruire les procès et appellations jusqu'à sentence définitive
exclusivement élire quatre de ses membres ou autres pour aller, en qualité
d'auditeurs, tenir les jours dan$ le ressort du Parlement de Beaune en6n~
pourvoir à tous attentats, abus de justice et autres cas de réformation. Elle
était présidée par le plus renommé et le plus habile des conseillers du Duc,
Guy Arménier, docteur en droit, qui, durant les huit premières années de son
règne, fut constamment appelé par ce prince et toute sa famille pour conclure
et écrire tous les traités de mariage ou d'alliance ; tant était, grande la
confiance qu'on mettait en lui. Les autres conseillers de cette chambre
souveraine étaient le sire de Pontailler, le seigneur de Commarin, le
seigneur de Milliers, chambellan du Duc, Jacques de Busseul, son écuyer, Jean
Chossat, maître des comptes, Jean Noisdent, son trésorier et gouverneur des
finances, maître Guillaume le Changeur, maître Claude Pochette, maître
Guichard de Ganay, et maître Jean de Terrant[83]. Quarante
jours après que le duc de Bourgogne eut quitté Paris, le roi de France tomba
malade de la fièvre quarte, et mourut presque aussitôt. Déjà depuis longtemps
il n'avait plus ni raison ni mémoire ; cependant il était toujours demeuré
chéri et respecté du pauvre peuple ; jamais on ne lui avait imputé aucun des
malheurs qui avaient désolé le royaume pendant les quarante-trois années de
son règne. On se souvenait que, dans sa jeunesse, il avait su plaire à tous
par sa douceur, sa courtoisie, ses manières aimables : que de grandes
espérances de bonheur avaient été mises en lui, et qu'il avait été surnommé
le Bien-Aimé[84]. On s'était toujours dit que
les maux publics, les discordes des princes, les rapines des grands
seigneurs, le défaut de bon ordre et de discipline, provenaient de l'état de
maladie où était tombé ce malheureux prince. La bonté., qu'il laissait voir
dans les intervalles de santé, avait augmenté cette idée, et avait fait de ce
roi insensé un objet de vénération, de regret et de pitié ; le peuple
semblait, l'aimer de la haine qu'il avait eue pour tous ceux qui avaient
gouverné en son nom. Quelques semaines encore avant sa mort, quand il était
rentré dans Paris, les habitants au milieu de leurs souffrances et sous le
dur gouvernement des Anglais, avaient vu avec allégresse leur pauvre roi
revenir parmi eux, et l'avaient accueilli de mille cris de Noël. C'était un
sujet de douleur et d'amertume que de le voir ainsi mourir seul sans qu'aucun
prince de France, sans qu'aucun grand seigneur du royaume lui rendît les
derniers soins. En attendant le retour du régent anglais qui suivait alors le
convoi du roi Henri, le corps du roi de France fut laissé à l'hôtel
Saint-Paul, où chacun put, durant trois jours, le venir voir à visage
découvert, et prier pour lui : c'est à quoi ne manquait pas le menu peuple. « Ah
cher prince, disait-on en pleurant par les rues ; jamais nous n'en aurons un
si bon que toi ; jamais plus nous te verrons maudite soit ta mort ; puisque
tu nous quittes, nous n'aurons jamais que guerres et malheurs. Toi, tu t'en
vas au repos ; nous demeurons dans la tribulation et la douleur ; nous
semblons faits pour tomber dans la détresse où étaient les enfants d'Israël
durant la captivité de Babylone. » Pendant
vingt jours, tous les corps de la ville et du royaume vinrent l'un après
l'autre visiter la chapelle de l'hôtel Saint-Paul, et faire des prières sur
le corps du roi ; puis revint le duc de Bedford qui ordonna les obsèques le
Parlement avait déjà commis un de ses membres pour y pourvoir en vendant les
meubles du roi, tant la détresse des finances était grande[85]. Cependant le convoi fut
magnifique. La représentation du corps, revêtue de tous les vêtements et ornements
royaux, était placée sur le cercueil. Tout le clergé de Paris, les religieux
des couvents, sept évêques, un grand nombre d'abbés, tenaient la droite du
cortège ; l'Université était à gauche ; les gens du Parlement soutenaient le
dais au-dessus du corps ; les serviteurs de la porte et les écuyers portaient
le cercueil. Les gens de la maison étaient rangés à la droite, les prévôts de
Paris et des marchands à la gauche ; le premier valet de chambre tout auprès
du corps, et le grand chambellan à la tête. Puis
venaient les pages, et ensuite le duc de Bedford à chevalet vêtu de noir,
seul prince qui suivît les funérailles du roi. C'était une grande pitié que
de voir ainsi le deuil du roi de France mené par un Anglais par un ancien
ennemi du royaume qui en était devenu le maître. Toute la royale famille .de
France était dispersée le Dauphin et ses partisans étaient traités en ennemis
d'autres étaient depuis huit années prisonniers en Angleterre ; mais le duc
de Bourgogne, pourquoi n'y était-il pas ? Voilà ce qui étonnait et indignait
beaucoup de bons et loyaux Français[86]. « Ah disaient-Ils, et même assez
haut, durant cette triste procession, c'est vous, duc de Bourgogne, qui
l'avez mis aux mains de ses ennemis ; vous avez sa maladie, et qu'elle était
mortelle, et vous n'êtes point venu recueillir ses derniers soupirs. Depuis
sa mort on vous a attendu, et vous n'avez point paru ; si vous l'eussiez
voulu, on eût encore différé jusqu'à votre retour, mais vous l'abandonnez en
sa mort comme en sa vie. » Les motifs que répondaient les serviteurs qu'il
avait envoyés au duc de Bedford pour s'excuser ne semblaient pas suffisants ;
la crainte de céder le pas à ce prince d'Angleterre, ne le dispensait pas,
disait-on, de ce saint devoir[87]. Lorsque
le cortége fut à la croix qui est à moitié chemin de Paris à Saint-Denis les
hanouards, ou mesureurs de sel, ayant chacun une fleur de lis sur la
poitrine, se chargèrent du cercueil, conformément à leurs privilèges, et le
portèrent jusqu'à l'entrée du bourg de Saint-Denis où les religieux devaient
le prendre ; mais ce fardeau, de plus de quatorze cents livres pesant, leur
paraissant trop lourd, ils promirent de l'argent aux hanouards pour qu'ils
continuassent jusqu'à l'église. Le
service fut célébré, sans préjudice des droits de l'abbé de Saint-Denis, par
le patriarche de Constantinople, qui faisait alors fonction d'évêque de Paris
car les Anglais ne permettaient point que le célèbre docteur Courtemisse, que
le chapitre avait élu, prit possession de son siège. L'église
était tendue en noir, et on l'avait éclairée de tant de cierges, qu'on estima
qu'il s'y était brûle vingt milliers de cire. Les aumônes furent aussi toutes
royales seize ou dix-huit mille personnes reçurent chacune trois blancs. Lorsque
le corps fut descendu dans le caveau, les huissiers d'armes de chez le roi
brisèrent leurs baguettes et les jetèrent sur le cercueil ; puis ils
renversèrent leurs masses, et les autres serviteurs baissèrent aussi leurs
épées, comme pour signifier que leur charge était finie. Pour lors Berri, roi
d'armes de France, cria à haute voix : « Dieu veuille avoir pitié
et merci de l’âme de très-haut et très excellent prince Charles, roi de
France, sixième du nom, notre naturel et souverain seigneur. » Ensuite
il reprit : « Dieu accorde bonne vie à Henri, par la grâce de Dieu, roi de
France et d'Angleterre, notre souverain seigneur. » Les sergents relevèrent aussitôt
leurs armes et leurs masses, et crièrent « Vive le roi vive le roi ![88] » Après
la cérémonie, une dispute vive s'éleva entre les mesureurs de sel, les
religieux de l'abbaye, et les gens de la maison du roi, pour savoir à qui
appartiendraient quelques ornements funéraires. On allait en venir aux mains
; le duc de Bedford interposa son autorité, et renvoya les contendants en
justice. Le cortége retourna à Paris en fort bon ordre, et le régent anglais
fit porter devant lui l'épée nue, sans s'inquiéter des murmures du peuple,
qui le voyait avec chagrin s'arroger ainsi un privilége tout royal[89]. Le
Dauphin, lorsqu'il apprit la mort du roi, était en Berri, à Mehun-sur-Yèvre.
Nonobstant tous les maux qu'on lui avait faits au nom de son père, et ce
funeste traité par lequel il avait été déshérité, il pleura beaucoup en
recevant cette nouvelle, et prit aussitôt une robe noire ; mais le lendemain,
d'après l'avis de son conseil, il se revêtit du deuil royal, et se rendit
solennellement à la messe en robe violette ; car les rois, dit-on, ne doivent
jamais quitter la pourpre. Les hérauts étaient vêtus de leur blason. La
bannière de France fut levée ; et ce fut en cette pauvre chapelle, dans une
bourgade presque inconnue, que, pour la première fois, il fut salué du cri de
Vive le roi ! Puis il se rendit à Poitiers, où, avec une plus
grande pompe, il se fit couronner[90]. Dès lors, et bien qu'il ne fût
pas encore sacré, il fut, pour tous les bons Français, le roi Charles VII.
Les Anglais, par dérision, le nommaient le roi de Bourges mais on pouvait
voir dès lors combien il serait difficile de vaincre son bon droit et
d'établir d'une façon durable le pouvoir des anciens ennemis du royaume[91]. Durant
les vingt jours qui suivirent la mort du roi Charles VI[92], le Parlement siégeant à Paris,
tout composé qu'il était de Bourguignons zélés, présidé par Philippe de
Morvilliers, cet empressé serviteur des Anglais, et malgré l'avis du
chancelier, n'avait point voulu que les actes fussent scellés au nom du roi Henri
VI, et avait réglé qu'en attendant ils le seraient au nom du chancelier et du
conseil de France. Ce fut seulement après l'arrivée du duc de Bedford qu'on
consentit à reconnaître l'autorité du jeune roi d'Angleterre, pour lors âgé
de dix mois[93]. Dès ce moment, un grand nombre
de seigneurs commencèrent à passer dans le parti du roi Charles VII. Ils
avaient jusque-là obéi à un roi de France dont ils respectaient le caractère
royal ; ce n'était pas lui qui gouvernait, il est vrai, mais tout se passait
en son nom sa personne était encore un objet de vénération son parti était le
parti du roi. Maintenant ce n'était plus la bannière de France qu'il fallait
suivre, sur les monnaies et partout à l'écusson des fleurs de lis était joint
l'écusson d'Angleterre ; des Anglais étaient nommés gouverneurs de toutes les
villes c'était à eux qu'il fallait obéir. Tout cela semblait bien rude et
bien nouveau. D'ailleurs, quelle assurance pouvait-on prendre sur le règne
d'un enfant au berceau, qui allait être pendant quinze ans au moins en
minorité ? En
outre, les affaires du Dauphin devenu roi n'étaient pas, pour le moment, en
mauvaise situation ; ses partisans et les compagnies de gens de guerre qui
combattaient en son nom, tenaient le Berri, le Bourbonnais, l'Auvergne, le
Poitou, la, Saintonge, le Limousin, le Dauphiné ; ils avaient récemment
repris le Languedoc sur le comte de Foix, qui y commandait pour les
Bourguignons ; le Maine et l'Anjou, domaines de la maison de Sicile, étaient
du parti français, D'Orléans et de Blois, qui leur servaient de refuge et
d'appui, les compagnies dauphinoises se répandaient dans la Beauce et
venaient parfois jusqu'auprès de Paris, surprenant des châteaux et des
forteresses. Saintrailles et le sire de Gamaches faisaient encore une
vigoureuse guerre sur les marches de Picardie et dans le Vexin. Depuis
l'échec du seigneur de Roche-Baron, les affaires allaient de plus mal en plus
mal pour les Bourguignons du côté du Beaujolais. Bernard d'Armagnac et le
sire de Grollée, bailli de Lyon, s'étaient fait une forte armée ; ils avaient
envahi le Charolais, s'étaient emparés de la ville de Tournus, menaçaient Mâcon,
et répandaient l'effroi dans toute la Basse-Bourgogne. Le Nivernais se
trouvait plus exposé encore à être envahi, et les Français pouvaient
s'avancer de l'Orléanais jusque sur Sens et même Auxerre. Sur ces
entrefaites, le duc de Savoie, oncle du duc Philippe, prince tout dévoué à la
maison de France, et qui s'était toujours entremis avec tant de zèle pour y
rétablir la concorde, essaya encore d'amener un traité de paix. Le voisinage
et la parenté le mettaient en rapport habituel avec sa belle-sœur la duchesse
douairière de Bourgogne, qui, en l'absence de son fils, s'occupait toujours
avec un grand zèle du bien-être de ses chers sujets du duché[94]. Souvent des marchands de
Savoie étaient dévalisés et retenus par les compagnies bourguignonnes ;
d'autres fois le conseil de Bourgogne faisait solliciter le duc de Savoie de
refuser passage sur son territoire aux compagnies françaises ; ainsi il y
avait sans cesse des ambassades et des conférences pour traiter les affaires
des deux pays. Ce prince fit si bien, qu'il ménagea un pourparler à Bourg en
Bresse, entre les envoyés du roi et ceux du duc Philippe. Le chancelier de
Bourgogne, Nicolas Raulin, y vint avec une grande suite, et y tint un état
splendide. Mais il n'y eut moyen de rien conclure. Les ambassadeurs de France
se montrèrent hautains et absolus ; ils reprochèrent ouvertement aux
Bourguignons la conduite de leur maître, qui avait appelé les Anglais dans le
royaume, qui sacrifiait ses devoirs envers la couronne et même ses propres
intérêts, la vengeance, qui transportait le sceptre de France sous la
domination de ses anciens ennemis ; ils allèrent même jusqu'à parler de
félonie et de lèse-majesté. Les ambassadeurs de Bourgogne, aigris par des
paroles si rudes, ne conservèrent pas plus de ménagements, ils traitèrent le
roi de jeune homme faible et de peu de sens ils lui imputaient surtout d'être
livré entièrement à des conseillers sortis de petit lieu, sans consistance
dans le royaume, tels que Tanneguy Duchâtel, le président de Provence, et
maître Robert le Masson, gens violents et ennemis de la paix, parce qu'elle
les réduirait à rien, précipitant toujours leur maître dans des partis violents,
l'ayant poussé dans la révolte contre son père, et rendu complice, par sa
présence et son parjure, du meurtre infâme du duc Jean. Ce
n'était pas une route pour arriver à la paix, l'assemblée se sépara le 22
janvier le duc de Savoie conserva toutefois la volonté et l'espoir de renouer
des négociations. Celles-ci, quelle qu'eût été leur issue, donnèrent de
l'inquiétude au duc de Bedford. Depuis la mort du roi Henri, les affaires
devenaient chaque jour plus difficiles il venait de découvrir une
conspiration tramée à Paris pour livrer la ville au roi ; et il lui avait
fallu se hâter pour arriver à temps de la prévenir. Les auteurs n'étaient
point des gens sans crédit parmi le peuple, ni de simples émissaires du roi
Charles VII. L'entreprise avait été concertée dans la bourgeoisie. Un des
principaux chefs était Michel Lailler, qui jusqu'alors avait semblé des plus
empressés pour les Anglais ; dernièrement il était allé en Angleterre porter
au jeune roi Henri les respects de la ville ; et, sans doute pour mieux
cacher ses desseins, il avait conjuré le duc de Bedford d'arriver, au plus
tôt avec un bon nombre de combattants, pour chasser les Dauphinois des
forteresses voisines de Paris[95]. Le complot découvert, Michel
Lailler, parvint à s'échapper ; d'autres furent moins heureux, et il y en eut
un bon nombre d'exécutés ; une femme fut brûlée vive. Peu après, le régent
anglais fit prêter à tous les habitants de Paris, bourgeois ou
ecclésiastiques, tant grands que petits, jusqu'aux servantes et aux gardeurs
de pourceaux, le serment de lui obéir en tout et pour tout, et de nuire de
tous leurs pouvoirs aux complices ou alliés de Charles de Valois, soi-disant
roi de France ; ce serment fut prêté à contre-cœur par bien des gens[96]. Peu de
jours après, Meulan fut surpris par le sire de Graville, et la garnison
anglaise presque toute mise à mort. La Ferté-Milon se livra aussi aux
Français. Le duc de Bedford qui était un homme prudent et habile, vit bien
que le moment devenait périlleux, et qu'il importait plus que jamais, suivant
le sage conseil du roi Henri, de resserrer l'alliance avec le duc de
Bourgogne. On pouvait en effet craindre que sa disposition fût peu favorable
aux Anglais. Il était entouré de conseillers fidèles à sa personne, il est
vrai, mais Français dans le cœur. Le duc de Savoie nourrissait un actif désir
de rétablir la paix, et avait du crédit sur lui. En outre, le duc Philippe
avait un grand motif d'être irrité contre l'Angleterre depuis longtemps elle
différait de lui donner satisfaction sur un point important. Après
la mort du comte de Hainaut, beau-frère du duc Jean-sans-Peur, Jacqueline de
Hainaut, sa fille unique, s'était trouvée héritière du Hainaut, de la
Hollande et de la Zélande ; elle avait eu d'abord à se défendre contre
son oncle Jean-sans-Pitié, évêque de Liège ; il avait envahi la
Hollande. La jeune princesse était remplie de courage et de résolution elle
eut pour elle un parti qui se défendit vaillamment. Cette guerre fut longue
et cruelle, et réveilla toutes les vieilles discordes qui depuis cent ans
divisaient ce pays. Le duc de Bourgogne intervint dans le différend, et
conclut un traité d'après lequel l’évêque de Liège devait avoir pendant douze
années, la jouissance de la Hollande et de la Zélande. Peu après, Jean-sans-Pitié
se fit séculariser par le pape ; après avoir versé le sang de tant de
chrétiens pour rester évêque, il se démit de son évêché, et épousa Elisabeth
de Luxembourg, duchesse douairière de Brabant, veuve du duc qui avait péri à
Azincourt[97]. A peu près en même temps, pour
mieux unir toutes les branches de la maison de Bourgogne, on fit le mariage
de Jean, duc de Brabant, avec Jacqueline de Hainaut. Le prince était plus
jeune qu'elle ; ils étaient cousins germains, et de plus elle était sa
marraine mais on eut des dispenses du pape. Ce fut contre le gré de madame
Jacqueline que se fit ce mariage ; le duc de Brabant était faible de corps de
santé et d'esprit, entièrement conduit par ses serviteurs ; il ne semblait nullement
suffisant pour gouverner ni ses états, ni une princesse belle, grande,
absolue dans ses volontés, et que rien n'arrêtait dans ses projets. Ils se
convinrent en effet très-mal. Ils n'étaient pas mariés depuis longtemps,
lorsqu'un jour le bâtard de Hainaut, frère de la duchesse, et quelques autres
s'en vinrent à Mons pendant que le Duc était à la chasse, tuer Guillaume-le-Bègue
son principal gouverneur qui était pour lors malade le bailli de Hainaut
était auprès du lit ils lui enjoignirent de ne pas bouger et de se taire puis
ils s'éloignèrent de la ville sans être nullement inquiétés. Le duc de
Brabant fut d'abord troublé et courroucé de la mort violente d'un homme qui
avait toute sa confiance et son affection. Madame Jacqueline avait de
l'empire sur lui ; elle l'apaisa, et il ne fut plus question de ce meurtre
commis à sa persuasion comme chacun le croyait. Quelque temps après,
Philippe, comte de Saint-Pol, frère du duc de Brabant, s'en vint à Bruxelles,
mandé par la duchesse Jacqueline et par les nobles du pays. Il s'empara du gouvernement,
fit trancher la tête à presque tous les serviteurs et conseillers de son
frère, et rétablit le pouvoir de la noblesse. Mais
c'était toujours nouvelles discordes. Le duc de Brabant retombait sans cesse
sous le gouvernement de quelqu'un de ses serviteurs, gens de petit état, que
la duchesse Jacqueline prenait en haine. Le duc Philippe de Bourgogne leur
cousin germain, madame la douairière de Hainaut qui les avait mariés,
s'entremettaient pour rétablir la paix entr'eux, mais ne réussissaient guère.
Enfin le duc de Brabant ayant, à la persuasion de quelqu'un de ses
conseillers, chassé un jour toutes les femmes de la duchesse, et les ayant
exilées en Hollande, elle ne put endurer cette injure, quitta son mari, et
retourna à Valenciennes, chez sa mère. Là, on tâchait de la calmer et de la
ramener à la raison. Pour se mettre a l'abri de tant d'importunités et rendre
cette séparation durable et solide elle feignit d'aller faire un voyage
d'amusement à Bouchain. Là, elle trouva le sire d'Escaillon, chevalier natif'
du Hainaut, mais de tout temps Anglais dans le cœur. Avec une compagnie de
soixante hommes, il la conduisit à Calais, d'où elle passa en Angleterre, pour
demander asile et protection au roi Henri, qui pour lors était vivant :
c'était en 1421. Elle ne
tarda guère à s'attacher le duc de Glocester, frère du roi, et forma le
projet de l'épouser. Elle fit solliciter à la cour de Rome l'annulation de
-son mariage avec le duc de Brabant, sous prétexte qu'elle avait été
contrainte ; et comme le pape Martin V ne lui semblait pas favorable, elle
s'adressa à l'antipape Benoît XIII qui vivait encore et qui refusait toujours
de se soumettre au concile de Constance. Ayant obtenu de lui ce qu'elle
souhaitait, elle épousa le duc de Glocester. Avant
la mort du roi Henri, le duc de Bourgogne lui avait souvent porté de vives
plaintes sur cette injure faite au duc de Brabant. Mais, soit que le roi
d'Angleterre eût de plus pressantes affaires, soit qu'il vît avec
satisfaction son frère acquérir des droits sur une aussi grande souveraineté
que le patrimoine de madame Jacqueline, il n'avait jamais donné de réponse
sincère. Il trainait la chose en longueur, se fiant à la patience du duc de
Bourgogne. Le duc
de Bedford avait donc à regagner la faveur du duc Philippe à qui cette affaire
de Brabant tenait fort à cœur. Pour contracter avec ce prince un lien solide
et durable, il résolut de demander en mariage madame Anne de Bourgogne, sœur
du Duc, qui avait alors dix-Huit ans. Ce projet fut agréé, et les articles du
contrat furent réglés au mois de décembre 1422. La dot fut stipulée~ cent
cinquante mille écus d'or, dont trente payables comptant, et les autres
représentés par une rente de quatre mille livres, rachetable par quarts à la
volonté du duc de Bourgogne et de ses héritiers. De plus, madame Anne devait,
au cas où son frère décéderait sans héritier mâle, succéder au comté
d'Artois, à moins qu’elle ne préférât entrer en commun partage avec ses
sœurs. Si, au contraire, le Duc avait un héritier mâle, la part. de
succession de madame de Bedford devait être de cent mille écus d'or[98]. A ce
même moment, un mariage important aussi pour la maison de Bourgogne était
prêt à se conclure. Artus de Bretagne., comte de Richemont, avait été fait
prisonnier à la bataille d'Azincourt. Il était depuis six ans en Angleterre,
lorsque son frère Je duc de Bretagne fut enlevé et fait traîtreusement
prisonnier par le comte de Penthièvre de la maison de Blois. La duchesse, les
barons et les États de Bretagne envoyèrent une ambassade au roi d'Angleterre,
et le requirent de leur prêter M. de Richemont pour commander les Bretons et
délivrer son frère ; s'obligeant à le rendre après mort ou vif, ou bien de
payer une forte somme d'argent[99]. Le roi Henri tenait alors le
siège devant Melun, il fit venir M. de Richemont, qui y trouva aussi le duc
de Bourgogne, avec lequel il fut bientôt grand ami. Sans doute il eût obtenu
ce que les Bretons demandaient ; mais leur duc ayant été remis en liberté, le
motif qu'ils taisaient valoir pour M. de Richemont n'existait plus. Il lui
fut néanmoins accordé de tenir prison sur parole en Normandie, sous la garde
du comte de Suffolk. Il garda sa foi, malgré les propositions et les
instances des Bretons qui voulaient y pour sauver, son honneur, l'enlever de
force. Depuis il retourna auprès du roi d'Angleterre, au siège de Meaux, et
l'amitié mutuelle du duc Philippe et de lui s'augmenta à mesure qu'ils se
connaissaient mieux l'un l'autre. Les conseillers de Bourgogne et le%
principaux serviteurs du Duc prirent aussi une haute estime pour lui. Dès
lors il forma, le projet d'appartenir de plus près à cette noble maison, et
pria le Duc de lui donner une de ses sœurs en mariage : « J'en serais
très-joyeux, repartit le Duc ; j'en ai trois à marier, et de deux je me fais
fort de vous donner à choisir ; mais pour madame de Guyenne, qui a été la femme
du dauphin Louis, je ne puis en répondre il faut son consentement. Quant à
madame Anne et à madame Agnès, cela se peut faire ; et même, bien que la
dernière soit promise à M. de Clermont à peine de cent mille écus, ce ne me
serait pas un empêchement. » Le comte de Richemont répondit que c'était
précisément madame de Guyenne qu'il voulait avoir. Le duc de Bourgogne promit
de s'y employer. En effet il se rendit à Dijon, et tout aussitôt en parla à
sa sœur, lui disant qu'elle serait parfaitement heureuse avec un si noble
prince, et que toute la noblesse et les États de Bretagne désiraient vivement
ce mariage et l'alliance des deux maisons : Madame de Guyenne assembla son
conseil, puis répondit qu'elle ne pouvait épouser un prisonnier ; mais que,
si le roi d'Angleterre délivrait M. de Richemont, elle pourrait écouter les
conseils de ses amis. Les
choses en étaient là quand mourut le roi Henri. Dès lors le comte de
Richemont se regarda comme libre, et poursuivit son mariage avec plus
d'empressement que jamais. Tout fut bientôt à peu près conclu, et vers la fin
de décembre les États de Bretagne se chargèrent de se rendre auprès du régent
anglais et du duc de Bourgogne pour terminer cet heureux mariage, pour
travailler, de concert avec le légat du pape à rétablir la paix si nécessaire
au malheureux royaume de France, et pour contracter toutes alliances avec le
duc de Bourgogne. Les Etats supplièrent en même temps leur duc de ne point
s'éloigner de son pays, et de confier la Négociation de toutes ces grandes
affaires à son n'ère de Richemont. Lui-même se sentait une grande répugnance
à venir à cette entrevue, et montrait une méfiance extrême. Mais le duc de
Bedford et le duc de Bourgogne insistèrent pour que le duc de Bretagne vînt
en personne aux conférences qu'ils avaient assignées à Amiens pour le temps
de Pâques 1423 ; M. de Richement l'y amena, malgré les remontrances des Etats[100]. Dans
cet intervalle, le régent anglais avait rétabli ses affaires par les armes en
même temps que par les traités. Irrité et inquiet de la prise de Meulan.,
après avoir exercé de grandes rigueurs et pris de sévères précautions contre
ceux de Paris qu'on soupçonnait d'être favorables aux Armagnacs[101], il était allé, en personne,
avec les meilleurs et les plus illustres chevaliers d'Angleterre, mettre le
siège devant cette forteresse. Le conseil du roi Charles VII comprit combien
il était important-de la conserver et de ne point abandonner sans-secours les
braves hommes d'armes qui Fa valent avec tant d'audace surprise aux Anglais.
Une armée considérable fut assemblée en Berri ; le comte de Buchan,
connétable de France, et le vicomte de Narbonne la commandaient. Le roi avait
fait remettre l'argent pour la paie des hommes d'armes à Tanneguy Duchâtel,
qui était aussi de l'entreprise. A Orléans, Tanneguy exigea encore deux mille
francs des habitants pour le même emploi. Cependant lorsque, arrivés déjà à
six lieues de Meulan, les gens d'armes demandèrent l'argent qui leur était
promis, il ne les voulut point payer. Il s'éleva à ce sujet de grandes
querelles entre les chefs. On prétendit que Tanneguy avait employé toute
cette finance a acheter pour lui, à Orléans, des joyaux et de la vaisselle.
Ce fut un motif de plus pour augmenter les murmures contre la conduite
honteuse et déshonnête des conseillers qui gouvernaient le roi. La discorde
étant entre les capitaines, le désordre se mit dans l'armée. Chacun s'en alla
sans plus obéir à personne. Les garnisons anglaises de Chartres et de quelques
forteresses de la Beauce se mirent à poursuivre ces compagnies dispersées, et
tuèrent beaucoup de Français[102]. Lorsque
le sire de Graville et les gens de Meulan surent qu'ils étaient ainsi livrés
aux Anglais sans être secourus, leur désespoir et leur colère furent tels,
qu'ils abattirent la bannière du roi Charles, plantée sur la porte de la
ville. Plusieurs gentilshommes montèrent sur la muraille, et, aux yeux des assiégeants,
déchirèrent la croix blanche et les enseignes françaises, maudissant
hautement ceux qui les avaient ainsi trahis et leur avaient promis en vain du
secours. Le traité fut bientôt conclu ils livrèrent la forteresse munie de
tout son armement ; ils rendirent les armes et jusqu'à leurs chevaux, se
mettant, en toute humilité et obéissance, à la volonté de monseigneur le
régent. Pour lui, en l'honneur de Dieu et du saint temps de carême, il leur
promit la vie sauve néanmoins ceux qui précédemment avaient juré le traité de
Troyes et fidélité au roi d'Angleterre, ceux qui avaient été complices ou consentants
à la mort du duc Jean, les Ecossais les Irlandais et les, Gallois, enfin les
hommes qui avaient aidé les Français à surprendre la ville, furent exceptés,
à moins qu'ils ne s'engageassent sous caution de servir, comme hommes liges
du roi Henri, contre ses adversaires. Le sire de Graville lui-même prêta ce
serment ; il donna au régent anglais des nouvelles exactes du roi Charles
VII, qu'il avait vu avant de venir attaquer Meulan. Il assura que ce prince
était réellement vivant, bien que légèrement blessé par la chute d'un
plancher qui s'était écroulé sur lui à La Rochelle[103]. La
prise de Meulan détermina plusieurs autres forteresses à se rendre ;
Marcoussis et Montlhéry furent remises au régent. Pendant le même temps, le
sire de Luxembourg avait aussi fait la guerre heureusement sur les marches de
Picardie, et s'était emparé de plusieurs châteaux. L'alliance
que les ducs de Bourgogne et de Bedford contractèrent à Amiens avec le duc de
Bretagne devait leur être surtout d'un grand avantage ; ils y décidèrent ce
prince avec d'autant plus de facilité, qu'il ne doutait pas que la trahison
par laquelle le comte de Penthièvre l'avait emprisonné, tenait à un complot
concerté avec le Dauphin. D'ailleurs le comte de Richement, quelque peu ami
des Anglais qu'il pût être, avait une volonté si déterminée de s'allier au
duc de Bourgogne, qu'il poussait son frère de ce côté[104]. Le duc de Bedford fournit à la
dépense des deux princes de Bretagne pendant leur séjour, et leur fit compter
six mille livres[105] pour frais de voyage. Le duc de
Bourgogne donna de brillantes fêtes, et le 17 d'avril fut signée une triple
alliance où les trois ducs, en considération des mariages qui allaient-unir
leur lignage, pour le plus grand bien du roi Henri leur seigneur, de ses
royaumes de France et d'Angleterre, ainsi que de leurs propres sujets et
domaines, jurèrent de vivre entre eux comme frères, parents et bons amis. Ils
se promirent en outre que si fun d'entre eux avait affaire pour garder son
honneur ou ses pays, terres et seigneuries, chacun des autres serait tenu de
lui fournir cinq cents hommes d'armes ou de trait, et d'en payer la dépense
le premier mois sauf au requérant à la payer ensuite ; et même un plus grand
secours, si le cas l'exigeait. Les trois princes s'engagèrent aussi à
s'employer de toute leur puissance, par les meilleures voies possibles, pour
soulager le pauvre peuple qui avait tant à souffrir et endurait une telle
pauvreté, pour terminer les guerres, pour remettre le royaume en paix et
tranquillité, afin qu'à l'avenir Dieu y pût être servi et honoré, et que
marchandise et labour pussent y avoir leur cours. Le
lendemain, les ducs de Bourgogne et de Bretagne passèrent entr'eux un traité
particulier qui ne semble pas de nature à avoir été connu du duc de Bedford : « Philippe,
duc de Bourgogne, et Jean, duc de Bretagne, etc., avons promis et octroyé,
promettons et octroyons de bonne foi l'un a l'autre, savoir nous, duc de
Bourgogne, au duc de Bretagne, que s'il advenait que, pour honneur et
révérence de Dieu, pour pitié et compassion du peuple, nous fissions aucun
traité, accord ou pardon à Charles, dauphin de Viennois pour la mort
accomplie en la personne de notre très-redouté seigneur et père, monseigneur
le duc de Bourgogne, que Dieu absolve, nous n'entendons par-là aucunement
déroger aux alliances et considérations faites entre ledit duc de Bretagne,
notre frère, et nous ; en quoi, promettons a notredit frère de lui être
aidant, secourant et confortant envers ledit Dauphin, envers Olivier de
Blois, ses frères et leurs adhérents, et envers tous. autres quelconques qui
voudraient porter dommage, ennui ou guerre à ses pays, terres ou sujets et
voulons que les alliances et considérations faites entre lui et nous
vaillent, tiennent et sortent leur plein effet ; et les promettons et jurons
tenir en bonne foi et en parole de prince, nonobstant, traite ou accord
quelconque, qui se fasse ou se puisse faire entre ledit Dauphin et nous ;
lesquelles alliances la teneur suit ; » ici le traité de la veille était
rapporté. « Et
pareillement nous, duc de Bretagne, promettons et octroyons à notre frère le
duc de Bourgogne que s'il advenait que nous fissions aucun traité accord ou
pardon audit Charles, dauphin de Viennois, pour les supports et soutiens
qu'il a accordés à Olivier de Blois, à ses frères et à sa mère, nos ennemis,
lors de la prise et détention de notre personne, faite traîtreusement par
ledit Olivier et Charles son frère, et aussi lors de la venue de leur frère
Jean en notre pays, où il était venu pour nous prendre ou tuer par guet-apens
attendu que lesdits de Blois ne tendent qu'à notre mort ou destruction ledit
traité ou pardon ne dérogerait en rien aux alliances et confédérations faites
avec notre frère de Bourgogne. Puis le duc de Bretagne répétait les mêmes
assurances que lui donnait le duc de Bourgogne. Dans
les pourparlers d'Amiens il fut question, comme on pouvait s'y attendre, de
la fuite de madame Jacqueline de Hainaut, du mariage qu'elle avait contracté
avec le duc de Glocester, et des droits qu'elle prétendait lui avoir conférés
sur son héritage. Le duc de Brabant avait envoyé comme ambassadeurs les sires
de Brimeu, de Ligny et de Lannoy. Pour intéresser encore plus le duc de
Bourgogne à demander justice de cet affront, le comte Jean de Bavière, mari
de la duchesse douairière de Brabant, venait de le déclarer héritier de
toutes ses seigneuries. Cependant le régent ne donna point encore de réponse,
et promit seulement de traiter cette affaire lorsqu'il serait de retour à
Paris. Le duc
de Bourgogne et le comte de Richemont se rendirent ensemble d'Amiens à Arras.
Là, ils assistèrent à une joute où Saintrailles et Lionel de Vendôme avaient
pris le Duc pour juge. Le premier jour ils coururent six langes, et Lionel mt
légèrement blessé à la tête, le lendemain ils combattirent à pied, à la
hache. Lionel, avec une ardeur extrême et sans reprendre haleine, s'en allait
jappant du tranchant de sa hache ; Saintrailles, plus froid, parait avec le
bâton de la sienne. Puis, saisissant son moment, il porta à Lionel plusieurs
coups de la pointe de sa hache dans la visière, si bien qu'il finit par la
relever, et lui découvrit le visage ; l'autre saisit aussitôt de sa main la
hache de Saintrailles ; celui-ci accrocha son casque, et lui égratignait le
visage avec son gantelet de fer pour lors ; le Duc fit cesser le combat. On
amena les combattants devant lui ; il leur fit promettre de demeurer à jamais
bons amis, et les accueillit avec toute sa courtoisie. Le jour d'après il y
eut encore, en sa présence, une joute entre le sire Rifflart de Champremi, du
parti des Français, et le bâtard de Rebecque ce dernier perça de sa lança
l'armure de son, adversaire, et alors le, combat fut arrêtée Après ces nobles
passe-temps, Saintrailles : et les siens retournèrent trouver leur compagnie
de gens d'armes qui tenaient la campagne dans le comté de Guise. Au mois
de juin le duc de Bedford se rendit à Troyes et là fut célébré en grand
appareil son mariage avec madame Anne de Bourgogne. Le duc Philippe son frère
son oncle le comte Jean de Bavière, et une foule de grands seigneurs
bourguignons et anglais, assistèrent à ces solennités ou le régent se plut à
égaler la magnificence célèbre de la maison de Bourgogne, puis il revint à
Paris. Chemin faisant, il attaqua et prit la ville de Pont-sur-Seine ; on y
entra d'assaut, et la garnison française y fut cruellement mise à mort[106]. Avant de quitter Paris, il
avait aussi envoyé assiéger la forteresse d'Orsay. Les assiégés se
défendirent vaillamment pendant plusieurs semaines contre les Anglais, les
gens de Paris et les paysans de la campagne voisine qu'animaient contre eux
tous leurs brigandages ; enfin, n'ayant nul espoir de secours, ils se
rendirent à discrétion. On mit la corde au cou aux gens des communes qui se
trouvaient dans la garnison, et on leur fit traverser Paris tête nue,
attachés par couples, comme des chiens. Les gentilshommes n'étaient point
liés ; mais on les forçait à tenir leur épée par le milieu de la lame, la
pointe tournée sur la poitrine[107]. En cet équipage, ils furent
amenés sous les fenêtres de l'hôtel des Tournelles, où habitait le duc de
Bedford. Quand là jeune duchesse, qui était arrivée un jour ou deux
auparavant, vit passer ces pauvres Français qu'on allait envoyer au Châtelet,
elle fut émue de si grande pitié, qu'elle supplia son mari en leur faveur ;
il ne put refuser la prière de sa femme, et laissa aller sans condition les
gens de la garnison d'Orsay[108]. Cependant
le roi, son conseil ni ses capitaines ne perdaient point courage la guerre
était soutenue avec constance dans le Maine et dans l'Anjou en Picardie,
messire Jacques de Harcourt défendait la forteresse importante du Crotoy. Une
poignée de Français tenait le fort château de Montaigu en Champagne, contre
les attaques du comte de Salisbury, gouverneur anglais de Champagne et de
Brie ; d'autres soutenaient aussi le siège dans Mouzon. Le conseil du roi
résolut de secourir ces deux places ; elles importaient par leur situation.
En effet la force des Français était sur les bords de la Loire, à Orléans, à
Blois, à Bourges ; pour communiquer avec les garnisons et les compagnies des
marches de Picardie, il fallait donc déboucher par Gien, traverser la
Bourgogne vers Auxerre, et remonter à travers la Champagne c'était aussi sur
ce point que le duché de Bourgogne était le plus ouvert et qu'on pouvait le
mieux s'y avancer. Ce fut
pour assurer cette route de communication que les Français attachèrent un
grand prix à s'emparer d'une forteresse assez considérable, nommée Crevant,
qui se trouve entre Auxerre et Avallon, sur la rive droite de l'Yonne. Le
bâtard de la Baume, qui avait été autrefois Bourguignon ; l'avait surprise
mais le sire de Chastellux et quelques autres gentilshommes de Bourgogne
étaient aussitôt accourus avant que les Français eussent en force dans
Crevant ; et lorsque Tanneguy Duchâtel arriva de Champagne, se retirant
devant le comte de Suffolk, il trouva la place déjà reprise par les
Bourguignons résolus à se bien défendre[109]. L'armée du roi était à Gien.
Jean Stuart, connétable des Écossais, venait d'arriver avec trois mille des
siens ; le maréchal de Severac commandait trois fois autant de Français ; il
y avait aussi beaucoup de Lombards, d'Aragonais, de Gascons. Toute cette
armée se porta ; sans perdre de temps, à Crevant pour l'emporter. Le sire de
Chastellux envoya aussitôt annoncer à la Duchesse douairière le péril où il
se trouvait. Déjà elle s'était occupée de la défense de la province les États
du duché et du comté avaient été rassemblés et avaient donné des subsides.
Elle rappela sur-le-champ le chancelier Raulin, qui était allé à Châlons
présider pour le Duc à une joute entre deux chevaliers. Des lettres furent
expédiées à tous les bailliages pour mander les vassaux ; Jean de Toulongeon,
maréchal de Bourgogne, fut chargé de les commander le lieu pour s'assembler
fut fixé entre Montbard et Avallon[110]. Cependant
la Duchesse avait écrit aussi au duc de Bedford, et les Anglais, au nombre
d'environ six mille, sous les ordres du comte de Suffolk, s'avancèrent
jusqu'à Auxerre, où ils se rejoignirent aux Bourguignons qui leur tirent bien
grand accueil[111]. Les
capitaines des deux nations tinrent conseil dans la cathédrale. Crevant
était' serré de près ; lé sire de Chastellux et ses braves compagnons se
trouvaient réduits aux dernières extrémités de la lamine il fut résolu
d'aller les secourir sans tarder tout fut réglé dans le plus grand ordre pour
la bataille. Il
était à craindre qu'il ne s'émût quelque discorde, quelque querelle entre
Bourguignons et Anglais ; il fut donc arrêté que tout homme qui troublerait
le bon accord et la paix serait puni à la discrétion des capitaines ; on
nomma deux maréchaux, l'un Bourguignon, le sire de Vergy, l'autre Anglais,
sir Gilbert Halsall, pour surveiller chacune des deux armées. Soixante
archers et soixante hommes d'armes de chaque nation furent commandés pour
marcher à la découverte. II fut ordonné que dès qu'on serait arrivé au lieu
où il faudrait combattre, chacun, sous peine de mort, mettrait pied à terre,
et que tous les chevaux seraient ramenés à une demi-lieue en arrière. En
effet, depuis le roi Henri V, c'était, chez les Anglais, un honneur de
combattre parmi les archers[112] et il se mettait toujours un
grand nombre des meilleurs hommes d'armes avec ces gens des communes, afin de
les rassurer et de les faire mieux combattre. On enjoignit a chaque archer de
se munir d'un pieu aiguisé des deux bouts, pour planter en face de lui,
penché vers l'ennemi, comme les Anglais l'avaient pratiqué avec tant
d'avantage a Azincourt. Il fut prescrit d'emporter pour deux jours de vivres,
et la ville d'Auxerre était chargée d'en envoyer au camp, avec promesse de
fidèle paiement. Il était enjoint à chacun de se tenir à son ordre de
bataille ; le premier qui serait trouvé hors de son rang devait être mis mort
; enfin, il était expressément détendu de faire des prisonniers avant que le
terrain fût entièrement gagné, et tout homme d'armes qui se refuserait à tuer
son prisonnier devait être tué avec lui. Toutes
ces précautions, que chacun trouva bien sages, furent criées et publiées au
son des cloches dans la ville. Le lendemain, après avoir entendu dévotement
la messe, et bu fraternellement un coup de vin, Anglais et Bourguignons s'en
allèrent en belle ordonnance vers l'ennemi. Le premier jour, ils s'arrêtèrent
a Vincelles, au bord de la rivière. Le lendemain, ils avancèrent toujours sur
la rive gauche de l'Yonne qui les séparait des Français. Ceux-ci, campés sur
une colline, défendaient le passage et protégeaient le siège de Crevant. Les
Anglais continuèrent à remonter la même rive vers Coulanges-la-Vineuse, pour
passer la rivière plus haut. Une partie de l'armée du roi quitta alors sa position
afin de s'y opposer. On resta ainsi en présence pendant trois heures ;
enfin les Anglais et les Bourguignons gagnèrent un pont sur leur droite, et
le combat s'engagea rudement. L'effort des Bourguignons, se porta sur le
maréchal de Severac et sur les Français. On combattait avec vaillance et
obstination de part et d'autre, lorsque le sire de Chastellux, se trouvant
dégagé, fit une vigoureuse sortie, et attaqua les Français par derrière. Le
maréchal de Severac et sa troupe, ne pouvant plus résister, se retirèrent. Le
sire de Gamaches, le sire de Fontaine, Saintrailles, le comte de Vantadour et
beaucoup d'autres chevaliers de France, continuèrent à se défendre avec les
Écossais qui ne montraient pas moins de vaillance ; enfin ils succombèrent.
Un grand nombre périt glorieusement. Jean Stuart, que les Français nommaient
le connétable des Ecossais, se rendit au sire de Chastellux. Il avait eu
l'œil crevé de même que le sire de Gamaches qui fut aussi prisonnier avec Saintrailles,
Vantadour et quelques autres. Dans leur malheur, ils accusaient avec aigreur
le maréchal de Severac de les avoir abandonnés et d'avoir lâchement pris la
fuite. Après
la victoire, les Bourguignons et les Anglais entrèrent à Crevant, où ils
remercièrent Dieu ensemble en grande joie et en bon accord. Le sire de
Chastellux, qui avait soutenu pendant cinq semaines un siège si glorieux
contre toute l'armée française, fut plus que tous comblé de louanges et
d'honneurs. Le duc Philippe, en apprenant la bataille de Crevant, lui fit
témoigner tout son contentement, et eut soin de le dédommager des pertes
qu'il avait faites par d amples gratifications. Le chapitre d'Auxerre, pour
consacrer à jamais ce mémorable fait d'armes[113], institua que l'aîné de la
maison de Chastellux serait chanoine honoraire et pourrait assister aux offices,
armé de toutes pièces avec un surplis par-dessus, et tenant son faucon sur le
poing. En outre il fonda, pour l'anniversaire de cette bataille, une messe de
la Victoire. Le régent anglais ordonna des feux de joie et des réjouissances
à Paris. Le
pauvre peuple n'avait pas cœur à de telles fêtes il en aurait plutôt pleuré[114]. Il ne lui importait guère
qu'on eût tué trois ou quatre mille de ces Armagnacs qu'il avait eus en si
grande haine car leurs ennemis ne lui avaient pas fait plus de bien. La
victoire des Anglais ne pouvait donner sujet de se réjouir à ceux qui
supportaient leur rude domination. Il n'y avait à voir en tout cela que des
chrétiens s'égorgeant entr'eux ; de plus il était à croire que les uns comme
les autres mouraient en péché mortel ; en effet, selon le commun dire tous
ces hommes d'armes n'allaient pas tant à la guerre pour l'amour de leurs
seigneurs dont ils se targuaient si fort, pour La crainte de Dieu, ni pour
aucun motif de charité, que par pure convoitise. Aussi
les Parisiens, nonobstant leur peu d'amour pour les Anglais, ne furent pas
plus réjouis lorsque, quelques semaines après, ils apprirent que les Français
avaient en quelque sorte réparé le désastre de Crevant, en remportant un
avantage signalé sur une troupe anglaise commandée par sire Jean de la Poole,
frère du duc de Suffolk. Ils revenaient en Normandie chargés d'un immense
butin qu'ils avaient fait en Anjou[115]. Jean de Harcourt, comte
d'Aumale, rassembla les gentilshommes et les communes de ces provinces, et
tomba sur les Anglais près du château de la Gravelle, non loin de Segré en
Anjou. La marche de l'ennemi était embarrassée d'un lourd bagage, et de plus
de dix mille bœufs qu'ils avaient dérobés dans les campagnes. Cependant il se
défendit vaillamment ; les archers et les gens de pied se retranchèrent,
comme à la coutume, derrière leurs pieux aiguisés, mais les hommes d'armes et
les chevaliers français les attaquèrent par le flanc, et bientôt les mirent
en désordre. Il en périt près de deux mille. Le sire de la Poole Thomas
Clinton et d'autres capitaines anglais furent pris. Ailleurs
la fortune semblait moins favorable aux Français. Le château de Montaigu se
rendit au duc de Salisbury, puis il emporta Sézanne. Le duc de Suffolk reprit
Mâcon. Le sire Jacques de Harcourt s'engagea à rendre le Crotoy si, à jour
marqué, il n'était secouru et, comme il n'y pouvait guère compter, il
s'embarqua avec sa famille, ses serviteurs ses richesses et tout son monde,
pour-aller retrouver le roi de France[116]. Il en fut honorablement reçu
et se rendit peu après chez le sire de Parthenay, dont sa femme était unique
héritière. Ce seigneur était du parti bourguignon messire de Harcourt voulut
lui persuader de passer au parti du roi~ ne pouvant changer son opinion, il
donna signal aux hommes d'armes qu'il avait amenés, et saisit le sire de
Parthenay, comme prisonnier, au nom du roi. Mais le pont et les portes du
château n'étaient point fermés les habitants de la ville de Parthenay,
entendant du bruit, entrèrent aussitôt et défendirent leur seigneur. Dans ce
débat, messire de Harcourt et la plupart de ses compagnons furent tués ; ils
périrent ainsi victimes de leur trahison. Dans
cette guerre de compagnies et de forteresses, les succès étaient divers, et
sans autre conséquence que le malheur des peuples. Il arrivait parfois que
les Anglais gagnaient un château le matin, et qu'à quelques lieues plus loin
ils en perdaient deux le soir[117]. C'est ainsi que Ham Compiègne
Guise et d'autres villes ou lieux fortifiés furent alternativement pris et
repris par Jean de Luxembourg et par Saintrailles, que le roi Charles VII,
après la bataille de Crevant, s'était hâté de racheter à grands deniers,
encore qu'il n'en eût guère alors. Mais ce vaillant chevalier, toujours
aventureux, fut une troisième fois fait prisonnier dans une sortie au siège
de Guise. C'était
avec les chevaliers et seigneurs de Vermandois et de Picardie que messire de
Luxembourg faisait infatigablement toutes ses expéditions. Quand ils
revenaient chez eux, ils trouvaient leurs villes saccagées, leurs châteaux
pillés ou brûlés, leurs domaines dévastés, soit par les uns, soit par les
autres. Le sire de Luxembourg était dur et redouté ; il écoutait peu
leurs plaintes, ou bien leur donnait des assurances vaines. Enfin ils se
lassèrent, et firent entr'eux des assemblées, soit pour exposer fortement
leurs griefs, soit pour aviser à défendre leurs seigneuries[118]. De zélés serviteurs de la
maison de Bourgogne étaient à la tête de ces assemblées, les sires de
Longueval, de Mailli, de Saint-Simon, de Maucourt ; mais ils s'entendirent
mal entre eux. Plusieurs craignirent la colère de Jean de Luxembourg, et se
retirèrent de ces pourparlers, si bien que les premiers qui avaient entamé l’affaire
se trouvèrent contraints de la pousser plus avant ; ils se déclarèrent pour
le roi Charles, gardèrent en son nom leurs châteaux ou y appelèrent ses gens.
Le régent anglais les fit mettre au ban du royaume, pour avoir rompu le
serment qu'ils avaient prêté au roi Henri. Leurs biens furent confisqués, et
par la suite il y en eut de misa mort, quand ils étaient pris[119]. Vers ce
moment, les affaires du roi de France semblaient, malgré la triste journée de
Crevant, ne pas être en si déplorable situation. Il lui était né le 4
juillet, à Bourges, un fils qui fut depuis le roi Louis XI. On avait alors si
peu de finances, qu'on fut contraint à demander du temps au chapelain pour
lui payer le rachat des vases d'argent qui avaient servi au baptême, et
auxquels il avait droit par la coutume. Cependant il y eut de grandes
réjouissances tous les peuples de l'obéissance française célébrèrent cette
naissance par des fêtes, et jusqu'à Tournay, ville du domaine royal, située
au milieu de la Flandre et de la domination de Bourgogne les habitants se
réjouissaient, criant : Noël[120]. Ce qui
nuisait peut-être le plus à la cause du roi, c'est qu'on disait beaucoup de
mal des gens qui formaient son conseil et qui le gouvernaient. Tanneguy, le
président de Provence, Guillaume d'Avaugour, Robert-le-Masson, étaient peu
estimés dans un parti comme dans l'autre. Quoi qu'on pût leur reprocher, ils n'en
montraient pas moins en ce moment une grande constance et une merveilleuse
résolution, sans cesse ils savaient former de nouvelles compagnies armées, et
opposer partout résistance et même attaque aux Bourguignons et aux Anglais[121]. Ils venaient d'obtenir un
remort de cinq cents lances et de mille archets du duc de Milan. En arrivant
à Lyon, cette troupe, conduite par le bailli Imbert de Grollée, s'était
portée en diligence au château de la Bussière, près de Mâcon, le jour même où
le sire de Toulongeon, maréchal de Bourgogne, devait y entrer car le
gouverneur avait rendu la place pour ce terme, s'il ne lui arrivait pas
secours. Selon l'usage, le maréchal, au jour prescrit, mit sa troupe en
bataille pour tenir journée et attendre ceux qui se présenteraient au secours
de la forteresse. Tout à coup les Lombards et les Lyonnais tombèrent sur sa troupe
; elle fut taillée en pièces, et il fut fait prisonnier[122]. Le
conseil de Bourgogne s'occupa aussitôt de pourvoir à la sûreté du duché. On
convoqua des hommes d'armes ; Antoine dé Toulongeon fut chargé de l'office de
maréchal, au lieu de son frère prisonnier ; un nommé Perrin Grasset,
aventurier et chef de compagnie, fut envoyé dans le Charolais, et tarda peu à
surprendre la ville de la Charité, qui était si importante pour les Français
à qui elle assurait le passage de la Loire. Mais le
roi espérait pouvoir bientôt porter de plus grands coups ; il recevait
d'Écosse des renforts considérables, et n'épargnait rien pour animer et
récompenser le zèle des seigneurs de ce pays-là. Déjà le comte de Buchan
avait été fait connétable de France ; Jean Stuart, qui avait été pris à
Grevant, puis échangé contre sir Jean de la Poole, fut fait comte d'Aubigny,
et peu après de Dreux. Le comte Douglas, qui amenait d'Ecosse quatre ou cinq
mille hommes d'armes, fut créé duc de Touraine et lieutenant-général de tout
le royaume pour le fait de la guerre, au grand murmure des seigneurs de
France. Ainsi la
guerre se préparait à devenir-plus vive et plus forte. Le duc de Bourgogne
était pour lors en Flandre ; une aventure bizarre l'avait contraint à se
rendre à Gand[123]. Une femme s'y était présentée
sous le nom de madame Marguerite duchesse de Guyenne, sa sœur, qui allait
épouser le comte de Richemont. Elle avait si bien su ménager les apparences,
qu'on lui avait rendu toutes sortes d'honneurs ; il se trouva enfin que
c'était une religieuse échappée de son couvent à Cologne ; elle fut
remise à l'évêque, qui la fit ramener à son abbaye. Vers la
fin d'août, le Duc et le comte de Richemont, qui ne l'avait point quitté
depuis les conférences d'Amiens arrivèrent à Paris. Le régent anglais les
reçut avec grande pompe ; quant au peuple il n'avait plus de goût ni
d'empressement pour aucun de tous ces princes seulement il se plaignait des
désordres et de la mauvaise discipline de leur suite, blâmait leurs
profusions, qui faisaient enchérir les vivres, déjà si rares, et détestait
les magistrats qui, au lieu de leur dire la vérité, ne tâchaient qu'à leur
complaire[124]. Le Duc
profita de la bonne-volonté du duc de Bedford pour se faire payer ce qui lui
était dû sur la dot de madame Michelle de France ; l'affaire fut discutée
dans le conseil, et, après beaucoup de difficultés, il obtint les villes de
Péronne, Roye et Montdidier, une pension de deux mille francs sur Montreuil,
le château d'Andrevic, et le péage de Saint-Jean de Losne. Le duc
Philippe n'eut pas un succès aussi prompt dans l'affaire du duc de Brabant et
du duc de Glocester le régent tâchait toujours de gagner du temps ; cependant
il proposa au duc de Bourgogne de se faire agréer tous deux pour arbitres par
les parties on en écrivit au duc de Glocester, mais il ne se pressa point
d'envoyer sa réponse. Après
un séjour de deux semaines, le Duc quitta Paris avec le comte de Richemont,
et s'achemina vers la Bourgogne. De ville en ville, selon sa coutume et celle
de tous les princes chrétiens, il s'arrêtait pour visiter les églises,
entendre dévotement les saints offices, dire ses prières, faire des offrandes.
L'anniversaire de la funeste mort de son père se trouva durant ce voyage, et
il le solennisa, comme jamais il n'y manquait. Au monastère de Saint-Seine,
il déposa ses éperons sur les reliques des saints, puis les racheta par
d'autres libéralités[125]. Peu après
son arrivée à Dijon, se célébra enfin le mariage du comte de Richemont et de
la duchesse de Guyenne ; elle voulut garder ce nom qu'elle avait porté lorsqu'elle
était femme du dauphin de France. Les magnificences de la noce furent grandes
; les fêtes durèrent plus d'un mois. Elles étaient à peu près terminées, lorsqu'arrivèrent
des ambassadeurs du duc de Savoie. Ce prince s'occupait toujours de rétablir
la paix ; il avait eu du roi de France de meilleures paroles que l'année
précédente. Maintenant, sous prétexte de traiter des affaires de Bourgogne et
de Savoie, il demanda une entrevue à son neveu le duc Philippe. Les
ambassadeurs trouvèrent à cette cour le comte de Richemont, qui était porté
de bonne volonté pour la France ; le chancelier de Bourgogne, maître Nicolas
Raulin, qui avait toute, la confiance de son maître, avait aussi le cœur
français. Grâce à eux, le duc Philippe accueillit fort bien l'ambassade, et envoya
aussitôt le sire de Saint-George avec d'autres officiers de sa maison,
proposer une entrevue à Châlons pour le 1er décembre. Il s'y
rendit en effet. D'abord il fut traité de quelques difficultés concernant la
limite des deux états. La guerre donnait lieu aussi à de continuelles
plaintes ; le commerce ne pouvait plus se faire avec sûreté ; il y avait sans
cesse des marchands dévalisés sur les routes. Un autre objet occupa les deux
princes ils pensèrent à faciliter le négoce, en frappant, dans les pays de
leur domination, des monnaies du même poids, du même titre et de même valeur.
Quand les monnaies d'un état n'avaient pas cours dans un autre, comme cela
arrivait presque toujours, tant les princes en faisaient varier la valeur
selon leur volonté, les marchands étaient obligés d'acheter des lingots d'or
pour s'en aller faire leurs achats ; ils en revendaient d'autant plus cher
leurs marchandises. D'ailleurs, en recherchant ainsi l'or pour l'emporter,
ils en élevaient la valeur, puis les princes' prenaient cette cause ou ce
prétexte pour changer la valeur de leurs monnaies. R était difficile que ce
fût la Bourgogne qui se mit au taux de la Savoie, parce qu'alors sa monnaie
n'aurait plus eu cours en France. De plus, les conseillers remarquaient qu'il
fallait que le marc d'argent et la valeur du poids des écus fussent fixés au
même taux par les deux princes, avec des peines sévères contre les
transgresseurs ; enfin, disait-on, il deviendrait par-là indispensable que
jamais aucun changement eût lieu dans les monnaies d'un état, sans que
l'autre en fût prévenu au moins deux mois d'avance ainsi l'affaire ne put
s'arranger[126]. Le duc
de Savoie parla ensuite de la paix qui semblait être sa pensée principale ;
il trouva son neveu irrité contre le roi de France. Il avait paru au duc
Philippe et peut-être avec raison, que presque tous les efforts de la guerre
avaient été dirigés contre la Bourgogne ; d'ailleurs, pour se montrer fidèle
aux Anglais, le duc de Bourgogne avait écrit au duc de Bedford qu'il
n'entendrait à rien qui pût porter préjudice aux intérêts du roi
d'Angleterre, et qu'il ne prendrait nul arrangement sans le lui avoir
auparavant communiqué. Cependant
une trêve fut prononcée par le duc de Savoie, pour les pays de Lyonnais,
Bourgogne et Charolais et aussi pour le comté de Nevers et le Berri quant au
Beaujolais, la duchesse de Bourbon l'avait constamment maintenu en paix avec
la Bourgogne, et les traités avaient été plus d'une fois renouvelés[127]. De
retour en ses États, le duc de Savoie fit publier les conditions qu'il avait
proposées pour arriver à la conclusion de la paix. Il eût voulu que le roi de
France se rendît à Lyon avec son conseil, tandis que le duc de Bourgogne
aurait été avec le sien à Châlons ; tout le pays situé entre ces deux villes
aurait été libre de gens de guerre, et Mâcon, Tournus et Charlieu auraient
été remis en dépôt à lui duc de Savoie. Ces
propositions n'eurent pas de suite, non plus que les efforts du cardinal de
Sainte-Croix, légat du, pape, à qui cependant l'Angleterre accorda pouvoir de
commencer des négociations avec la France. Le duc
Philippe, après avoir convoqué les trois États du duché et du comté pour en
obtenir un subside, se préparait à retourner Paris et en Flandre, lorsqu'il
apprit que sa mère était mourante. Il quitta sur-le-champ Montbard où il
était, avec le comte de Richemont. Quelle que fût leur diligence, ils ne
purent revoir leur mère. Les peuples de Bourgogne donnèrent de grands regrets
à cette princesse ; au milieu de ces temps malheureux, elle avait toujours
veillé leur bien et leur repos, s'était occupée d'écarter d'eux les maux de
la guerre, avait été économe, ne les avait point, pour son compte du moins,
surchargés d'impôts, et avait toujours fait payer fidèlement la solde des
hommes d'armes, les empêchant ainsi de rançonner les campagnes. Sa mort
accroissait les domaines et les richesses du duc Philippe. Après avoir réglé
quelques affaires, il partit pour Paris avec le comte de Richemont. A peine
s'était-il éloigné, qu'on découvrit le secret d'une attaque imprévue, que les
partisans du roi allaient faire sur la Bourgogne, nonobstant la trêve de
Châlons. Leur espoir se fondait sur les intelligences qu'ils avaient dans le
pays. Le bâtard de la Baume, étant tombé entre les mains d'une compagnie
anglaise, confessa toute l'affaire. Elle avait surtout été conduite par une
fille bâtarde que le feu roi Charles VI avait eue, durant sa maladie,
d'Odette de Champdivers elle habitait en Bourgogne, d'où était sa mère, et le
Duc lui faisait même une pension. On la mit en prison, ainsi qu'un religieux
cordelier et un marchand de Genève, ses principaux complices[128]. Cette
tentative éloigna encore plus les idées de paix les ducs de Bedford et de
Bourgogne ne s'occupèrent qu'à pousser la guerre avec activité. Le comte de
Richement demanda que le commandement d'une armée lui fût confié ; mais le
régent se méfiant, ou de son habileté ou de sa foi, ne voulut point y
consentir ; il ajouta même que le comte de Richemont, n'ayant pas combattu
depuis Azincourt, avait pu oublier la guerre[129]. Ce refus offensa mortellement
le comte les faveurs par où les Anglais avaient voulu se l'attacher, le don
du comté d'Ivry, la promesse d'une forte pension, ne calmèrent point son
ressentiment ; il se retira en Bretagne, et pour dérober sa marche aux
Anglais, il s'embarqua dans un port de Flandre, tandis que tous ses
serviteurs traversaient la Normandie, annonçant qu'il allait passer. C'était
un motif de plus pour ménager le duc Philippe ; rien ne lui était refusé ;
les comtés d'Auxerre et de Mâcon, ainsi que la châtellenie de Bar-sur-Seine,
lui furent concédés en compensation des sommes qu'il prétendait être dues
tant à lui qu'à ses prédécesseurs, et un délai de deux ans lui fut accordé
pour justifier de ses créances. Il
partit de Paris pour ses États de Flandre là, sur la proposition et les
instances de son conseil et de ses parents le duc de Brabant et le comte Jean
de Bavière, il se résolut à épouser la veuve de son oncle le comte de Nevers,
qui avait péri à la journée d'Azincourt ; c'était Bonne d'Artois, fille du
comte d'Eu, connétable de France, mort à la bataille de Nicopolis, et
petite-fille du duc de Berri. Une ambassade, chargée de riches présents,
partit pour solliciter du pape les dispenses nécessaires. Le souverain
pontife fut aussi chargé d'un commun accord, par les ducs de Bedford et de
Bourgogne, de prononcer sur le différent soumis à leur arbitrage au sujet du
double mariage de Jacqueline de Brabant ; c'est ce qui fut arrêté lorsque le
Duc traversa Paris pour retourner dans son duché de Bourgogne. Il obtint
encore de nouvelles marques de faveur ; entre autres, il fit obtenir au sire
de Chastellux une riche part dans des confiscations faites sur le cardinal de
Bar et d'autres partisans du roi[130]. Le duc
de Bedford et le duc de Bourgogne quittèrent Paris à peu près en même temps ;
le premier, pour conduire son armée contre les forces redoutables, que le
comte Douglas avait assemblées sur les marches du Perche et de la Normandie y
le second, pour assembler les hommes d'armes de Bourgogne, et pousser la
guerre avec vigueur, mais, avant de s'être mis en campagne, il apprit la
terrible victoire que les Anglais venaient de remporter à Verneuil le 17 août[131]. Toute
l'espérance du roi Charles se trouvait dans cette armée ; les Ecossais, les
Lombards, les meilleurs chevaliers du royaume étaient réunis. Il en fut comme
a. l'ordinaire ; la discorde se mit entre les chefs. On vit éclater plus que
jamais.la haine que les gentilshommes de France avaient conçue contre les
Écossais, qui venaient avec orgueil et convoitise exiger du roi de France les
emplois, les seigneuries, l'argent et toutes les récompenses. Le
comte Douglas et les Ecossais furent d'abord d'avis d'avoir bataille avec les
Anglais ; telle n'était point l'idée du vicomte de Narbonne, du comte
d'Aumale et des vieux capitaines français ; ils préféraient faire des sièges,
et mettre de fortes garnisons dans les forteresses dont on pourrait
s'emparer. Ils venaient cependant de perdre celle d'Ivry, que le duc de
Bedford était venu assiéger, et que l'armée du roi avait promis de délivrer
elle avança presque jusqu'à la vue de la garnison ; mais, trouvant les
Anglais en bonne position, elle se retira. Pour lors le gouverneur, Gérard de
la Pallière, qui, s'était engagé à se rendre s'il n'était pas secouru, vint
porter les clefs au duc de Bedford : « Voici, dit-il, lui montrant une
lettre qu'il tenait à la main, la signature de dix-huit des plus grands
seigneurs du royaume, qui m'ont manqué de parole. » Pendant
ce temps-là les Français se dirigeaient sur Verneuil. Pour s'en emparer, ils
imaginèrent d'assurer à la garnison qu'ils venaient de remporter une victoire
signalée sur l'armée anglaise : « Voyez nos prisonniers »,
disaient-ils, montrant quelques Écossais qu'ils avaient attachés à la queue
de leurs chevaux ; et qui semblaient être blessés et tout sanglants : « Ah
triste journée ! » criaient en anglais les soldats écossais. La
garnison se laissa duper et rendit la forteresse. Le duc
de Bedford avait suivi l'armée de France, et s'avança sous les murs de
Verneuil. Il envoya un héraut au comte Douglas, le faisant prier de
s'arrêter, et qu'il seyait bien aise de boire un coup avec lui : « Dis à
ton maitre, répondit le lieutenant-général, que, ne le trouvant pas en
Angleterre, je viens exprès du royaume d'Ecosse pour le rencontrer en France
; qu'il se hâte, je l'attends ; et, en attendant que nous buvions ensemble,
rapporte-lui que j'ai fait faire bonne chère à son héraut. » On
s'apprêta au combat ; les Français mirent pied à terre, et laissèrent leurs
chevaux et les bagages dans la ville ; seulement deux mille hommes d'armes,
les uns lombards, les autres français, sous les ordres de la Hire et de Saintrailles
furent chargés d'aller attaquer les Anglais par derrière. Le duc
de Bedford mit aussi tout son monde à pied, et garnit le front et les flancs
de son armée d'archers retranchés derrière leurs épieux ; les chevaux et les
bagages furent placés par derrière, sous la garde de deux mille archers. Le
régent parla ensuite aux Anglais ; il leur rappela leurs anciennes
victoires, et la glorieuse conquête qu'ils venaient de faire du royaume de
France il leur dit qu'il était temps de rabattre l'orgueil du Dauphin et de
ses partisans, et que s'ils laissaient s'allumer le feu, l'incendie ne
pourrait plus s'éteindre. Le
conseil du roi de France n'avait pas voulu qu'il fût de sa personne à cette
bataille ; tout eût été perdu avec lui, et il était sage d'en agir ainsi.
Toutefois cette prudence faisait dire que ce prince n'aimait pas tant la
guerre que les rois ses pères ; sans douter de son courage on croyait qu'il
aimait mieux le repos et la paix. Le duc d'Alençon était le seul prince de la
maison de France qui fût présent il s'adressa aux Français il les exhorta à
se conduire en gens de cœur, et leur rappela qu'il s'agissait de savoir s'ils
s'affranchiraient de la plus honteuse servitude, ou subiraient pour toujours
le joug des anciens ennemis du royaume. L'ardeur
était extrême. Bientôt, contre la volonté du comte Douglas~ qui voulait
attendre l'attaque, et non la commencer, le vicomte de Narbonne, à la tête de
ses gens, marcha sur les Anglais, aux cris de : Montjoye ! Saint-Denis !
Il fallut suivre un mouvement qui n'avait point été prévu. Lorsqu'on arriva
devant l'ennemi, déjà l'on était lassé, déjà l'armée n'était plus en bon
ordre. Les Anglais reçurent le choc en criant d'une voix terrible, selon leur
coutume : Saint-George à Bedford ! De part et d'autre il n'y
avait ni avant-garde ni réserve toute l'armée donnait à la fois. La bataille
fut rude. Pendant plus de trois heures l'avantage ne se déclara pour aucune
des deux armées ; mais les Lombards, pendant ce temps-là, ayant passé
derrière les Anglais, tombèrent sur les bagages. Ils y furent vigoureusement
reçus par les deux mille archers ; cependant ils parvinrent à jeter le
désordre parmi les pages et les valets qui gardaient les chevaux. Ce tut la
perte des Français ; les cavaliers lombards se mirent à piller ; et, pour
mettre à couvert leur butin et les chevaux dont ils se saisissaient, ils
laissèrent le champ de bataille, comme si tout combat eût été terminé. Alors
les deux mille archers, libres de l'attaque, se portèrent au secours du corps
d'armée. Ils arrivèrent comme une réserve de troupes fraîches. Les Français
ne purent résister à ce nouvel effort ; la bataille fut perdue malgré les
prodiges de valeur des chevaliers de France et d'Écosse, qui vendirent
chèrement la victoire aux Anglais. Le comte Douglas, messire Jacques son
fils, le comte de Buchan, et beaucoup d'autres Ecossais, furent tués. La
perte fut plus grande encore parmi les Français, et ce jour fut presque aussi
funeste à la noblesse que Crécy, Poitiers ou Azincourt ; Jean de Harcourt, comte
d'Aumale, le comte de Tonnerre, le comte de Vantadour, le sire de
Roche-Baron, le sire de Gamaches, et une foule de vaillants chevaliers,
périrent dans la bataille. Le corps du vicomte de Narbonne fut reconnu parmi
les morts ; on lui trancha la tête, et son corps fut suspendu à un gibet,
parce qu'il avait été un des meurtriers du duc Jean. Le duc d'Alençon, le
maréchal de la Fayette, et plusieurs autres, furent faits prisonniers. Le
sire de Maucourt et le sire Charles de Longueval, qui avaient, ainsi que nous
l'avons dit, laissé le parti anglais, ayant été pris, furent décapités, ainsi
que quelques chevaliers de Normandie qui, la veille de la bataille, avaient
passé avec les Français. Verneuil,
où s'était enfermé le sire de Rambures, ne put résister, le duc de Bedford
accorda à la garnison la permission d'emmener ses chevaux et de se retirer en
Berri mais les Anglais, dont les Lombards avaient pillé les chevaux ne
voulaient pas reconnaître cette condition il fallut que le comte de Salisbury
tuât de sa main deux ou trois de ses gens, pour faire rentrer les autres dans
le devoir. Le duc de Bedford revint tout aussitôt à Paris le bruit y avait couru qu'il avait été défait une conspiration avait été découverte elle fut sévèrement punie et la ville, en réjouissance de la bataille de Verneuil, donna de superbes fêtes au régent. |
[1]
Monstrelet. — Lefebvre de Saint-Remy. — Mémoires de France et de Bourgogne.
— Heuterus.
[2]
Lettres du roi et de la reine, 15 septembre.
[3]
Heuterus. — Monstrelet. — Lefebvre de Saint-Remy.
[4]
Monstrelet.
[5]
Journal de Paris.
[6]
Lefebvre Saint-Remy. — Le Religieux de Saint-Denis.
[7]
1419-1420 (v. s.), l'année commençait le 7 avril.
[8]
Monstrelet. — Fenin.
[9]
Pièces justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.
[10]
Monstrelet.
[11]
Chronique d'Hollinshed.
[12]
Journal de Paris.
[13]
Juvénal des Ursins.
[14]
Réponse d'un bon et loyal Français au peuple de France et de tous états. Pièces
justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.
[15]
Registres du Parlement.
[16]
Le Religieux de Saint-Denis.
[17]
Histoire de Bourgogne.
[18]
Monstrelet. — Fenin.
[19]
Monstrelet. — Chronique d'Hollinshed.
[20]
Chronique d'Hollinshed.
[21]
Saint-Remy.
[22]
Juvénal.
[23]
Histoire de Bourgogne.
[24]
Journal de Paris.
[25]
Chronique d'Hollinshed.
[26]
Juvénal.
[27]
Monstrelet. — Lefebvre Saint-Remy.
[28]
Chronique d'Hollinshed. — Fenin.
[29]
Juvénal. — Monstrelet.
[30]
Chronique d'Hollinshed. — Juvénal. — Monstrelet.
[31]
Monstrelet. — Fenin.
[32]
Monstrelet.
[33]
Mémoires de France et de Bourgogne.
[34]
Juvénal. — Journal de Paris.
[35]
Journal de Paris.
[36]
Hollinshed.
[37]
Juvénal.
[38]
Traité historique des monnaies de France.
[39]
Monstrelet. — Pièces justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.
[40]
Pièce jointe aux notes sur Juvénal. — Hollinshed. — Monstrelet. — Fenin.
[41]
Chronique d'Hollinshed. — Monstrelet. — Fenin.
[42]
Pièces justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.
[43]
Chronique d'Hollinshed.
[44]
Registres du Parlement.
[45]
Juvénal. — Saint-Remy. — Monstrelet. — Hollinshed.
[46]
Fenin. — Monstrelet.
[47]
Journal de Paris.
[48]
Saint Remy. – Monstrelet. — Fenin.
[49]
Monstrelet. — Saint-Remy. — Fenin. — Hollinshed. — Histoire de Bourgogne.
[50]
Monstrelet. — Fenin. — Saint-Remy.
[51]
Monstrelet. — Fenin. — Lefebvre de Saint-Remy.
[52]
Meyer.
[53]
Journal de Paris.
[54]
Histoire de Bourgogne.
[55]
Journal de Paris. — Juvénal.
[56]
Journal de Paris.
[57]
Hollinshed.
[58]
Journal de Paris. — La complainte du pauvre commun et des pauvres
laboureurs, pièce en vers rapportée dans Monstrelet.
[59]
Histoire de Bourgogne.
[60]
Journal de Paris.
[61]
Journal de Paris.
[62]
Gollut.
[63]
Hollinshed.
[64]
Fenin. — Juvénal des Ursins.
[65]
Hollinshed.
[66]
Journal de Paris. — Monstrelet.
[67]
Monstrelet. — Fenin.
[68]
Monstrelet. — Journal de Paris. — Juvénal des Ursins. — Le Religieux de
Saint-Denis.
[69]
Journal de Paris.
[70]
Juvénal des Ursins.
[71]
Monstrelet.
[72]
Histoire de Bourgogne.
[73]
Histoire de Bourgogne.
[74]
Mer des chroniques et histoires.
[75]
Histoire de Bourgogne. — Monstrelet. — Lefebvre Saint-Remi. — Meyer. —
Fenin.
[76]
Monstrelet. — Fenin. — Abrégé chronologique.
[77]
Lefebvre Saint-Remi. –Monstrelet. — Fenin. — Hollinshed.
[78]
Hollinshed.
[79]
Monstrelet. — Lefebvre Saint-Remi. —
Fenin. — Juvénal.
[80]
Monstrelet.
[81]
Monstrelet. — Hollinshed. — Histoire de Bourgogne.
[82]
Villaret.
[83]
Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
[84]
Journal de Paris. — Juvénal des Ursins.
[85]
Registres du Parlement.
[86]
Juvénal des Ursins.
[87]
Histoire de Bourgogne.
[88]
Villaret.
[89]
Journal de Paris.
[90]
Monstrelet. — Ordonnances des rois de France.
[91]
Hollinshed.
[92]
Registres du Parlement.
[93]
Hollinshed.
[94]
Pièces justificatives de l'Histoire de Bourgogne.
[95]
Monstrelet. — Hollinshed.
[96]
Journal de Paris.
[97]
Monstrelet. — Meyer. — Chronique des ducs de Brabant, de Barlandus. — Synopsis
ducum Brabantiœi : Hubert Loyens.
[98]
Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
[99]
Mémoires de Richemont.
[100]
Mémoires de Richemont. — Titres du château de Nantes.
[101]
Journal de Paris.
[102]
Monstrelet. — Manuscrit 10297. — Journal de Paris.
[103]
Monstrelet.
[104]
Mémoires de Richemont.
[105]
Histoire de Bretagne. — Monstrelet.
[106]
Monstrelet. — Hollinshed.
[107]
Journal de Paris.
[108]
Monstrelet.
[109]
Chronique de Berri. — Monstrelet. — Hollinshed. — Histoire de
Bourgogne.
[110]
Histoire de Bourgogne.
[111]
Monstrelet. — Hollinshed.
[112]
Monstrelet. — Philippe de Comines.
[113]
Histoire de Bourgogne.
[114]
Journal de Paris.
[115]
Monstrelet.
[116]
Monstrelet.
[117]
Journal de Paris.
[118]
Monstrelet.
[119]
Fenin.
[120]
Monstrelet.
[121]
Chartier.
[122]
Histoire de Bourgogne.
[123]
Histoire de Bourgogne.
[124]
Journal de Paris.
[125]
Histoire de Bourgogne.
[126]
Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
[127]
Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
[128]
Histoire de Bourgogne et Preuves.
[129]
Histoire de Bourgogne et Preuves.
[130]
Histoire de Bourgogne.
[131]
Monstrelet. — Chartier. — Berri. — Hollinshed. — Saint-Remi. — Fenin. —
Amelgard.