HISTOIRE DES DUCS DE BOURGOGNE DE LA MAISON DE VALOIS — 1364 -1477

TOME CINQUIÈME. — PHILIPPE-LE-BON

 

LIVRE PREMIER.

 

 

LE 1er septembre, tandis que le curé de Montereau faisait transporter dans son église, par quelques mendiants de la ville, le corps de Jean duc de Bourgogne, renfermé dans la bière des pauvres, encore tout souillé de son sang, et vêtu de ses houzeaulx et de son pourpoint, les gens du Dauphin attaquèrent le château où s'étaient renfermés plusieurs serviteurs du Duc, sans munitions et sans artillerie, Après quelques coups de canon, ils furent sommés de se rendre ; le sire Jean de la Trémoille et le sire de Neufchâtel ne savaient point ce qui était advenu à leur maître ; ils le croyaient seulement prisonnier du Dauphin. Ils répondirent que ce château leur avait été confié par le duc de Bourgogne, et qu'ils ne le rendraient que sur son ordre. Pour lors, on-amena, devant la porte, Antoine de Vergy, pris la veille sur le pont « Frères, leur dit-il, mon seigneur le Dauphin m'ordonne de vous dire que vous lui rendiez cette forteresse. Si vous ne le faites, et qu'il vous prenne par force, il vous fera trancher la tête. Si, au contraire, vous la lui rendez, et que vous suiviez son parti, il vous fera du bien, et vous donnera large part dans les offices du royaume. — Savez-vous des nouvelles de monseigneur ? » répondirent-ils. Il montra la terre de son doigt, et ajouta : « Je vous conseille de rendre le château. » Ils refusèrent encore. Les chevaliers du Dauphin leur dirent : « Proposez vos conditions. » Ils revinrent un moment après apportant par écrit les articles qu'ils demandaient c'étaient la liberté de leur Duc et de ses serviteurs, la garantie des biens et meubles qui se trouvaient au château, un délai de quinze jours, afin de faire venir leurs chevaux, et un sauf-conduit pour s'en aller où bon leur semblerait[1].

Il leur fut répondu qu'ils n'eussent plus à parler du duc de Bourgogne qui ne pouvait leur être rendu que ses serviteurs étaient prisonniers de monseigneur le Dauphin, qui les traiterait bien, et leur donnerait des offices dans le royaume que ce qui appartenait au Duc dans le château serait remis par inventaire aux gens du Dauphin, qui en signeraient quittance, et que, quant à eux, on allait les conduire à Bray. Ils acceptèrent, et s'y rendirent sur-le-champ. La dame de Giac et Jossequin ; qui étaient dans le château, restèrent avec le Dauphin et passèrent dans son parti.

Dès que le sire de Neufchâtel fut à Bray, il écrivit au roi, à la duchesse de Bourgogne, au comte de Charolais, à la ville de Paris, et aux autres bonnes villes, pour leur rendre compte du crime commis sur la personne du duc de Bourgogne.

Lorsque la nouvelle fut connue à Troyes, la reine et le conseil du roi envoyèrent aussitôt Jean Mercier à la duchesse de Bourgogne, en lui écrivant [2]qu'elle mandât le plus tôt possible auprès du roi et pour sa défense les chevaliers, les vassaux, les hommes d'armes de son duché. Comme on craignait de lui porter un trop rude coup, le roi et la reine lui disaient seulement que son mari avait été blessé et retenu prisonnier. Jean Mercier était chargé de la préparer doucement à recevoir la triste nouvelle.

La Duchesse obéit à l'ordre qu'elle recevait ; et en même temps elle envoya une ambassade solennelle au roi, pour demander justice et vengeance de la trahison consommée sur la personne de son seigneur et mari. Elle fit partir aussi messire Gauthier de Rupes, et quelques autres serviteurs, pour aller trouver son fils en Flandre ; enfin elle informa par lettres et ambassades, le pape et les princes de la chrétienté, de ce déplorable événement.

Le comte de Charolais était à Gand lorsque le message du sire de Neufchâtel lui arriva. Sa douleur fut grande ses gouverneurs et son conseil ne pouvaient le calmer, ni sécher ses larmes ; il ne voulait voir personne. « Michelle, dit-il à sa femme, votre frère a assassiné mon père. » La pauvre princesse ressentit vivement ces paroles outre qu'elle était d'un excellent naturel, elle craignait que ce malheur lui ôtât à jamais le cœur de son mari qu'elle aimait tant. Cependant lui-même la consola, et lui montra plus d'affection que jamais.

Le nouveau Duc avait vingt-trois ans ; malgré sa jeunesse, il se montra tout aussitôt animé du ferme désir de venger son père et de se maintenir dans une puissance que sûrement le parti du Dauphin allait s'efforcer de détruire ; Après avoir consulté son conseil et les gens de Gand, d'Ypres et de Bruges, il prit, comme unique héritier du duc Jean, les titres de toutes ses seigneuries ; puis il se rendit à Malines, où il eut une conférence avec le duc de Brabant son cousin, Jean de Bavière son oncle le duc de Clèves son beau-frère, et la comtesse de Hainaut. Dans cette assemblée de famille, il sembla qu'il fallait avant tout traiter avec le roi d'Angleterre et s'assurer son alliance ; des ambassadeurs lui furent aussitôt envoyés[3].

Le Duc vint ensuite à Lille ce fut là qu'il reçut les députés de Paris. La nouvelle de la mort de son père avait produit une indignation générale dans cette ville, qui se voyait par-là livrée à des malheurs terribles et inévitables. Dès le 12 septembre, le comte de Saint-Pol avait réuni dans la chambre du parlement le chancelier, plusieurs nobles capitaines et gens d'armes, le prévôt de Paris, le prévôt des marchands, d'autres conseillers et officiers du roi, des bourgeois et des habitants en grand nombre. Ils prêtèrent serment de lui obéir comme au lieutenant du roi de l'assister et de s'entendre avec lui pour la garde, la conservation et la défense de la ville, et généralement pour la conservation et dépense du royaume de résister de tout leur pouvoir aux damnables projets et entreprises des -criminels, séditieux, infracteurs de la paix et de l’union, conspirateurs, coupables et consentants à l'homicide du feu duc de Bourgogne d'en poursuivre la vengeance et la réparation de vivre et mourir avec le comte de Saint-Pol dans cette poursuite de dénoncer et accuser en justice tous ceux qui voudraient soutenir et aider lesdits criminels, et de ne faire aucun traité partiel a ce sujet sans le consentement l'un de l'autre.

C'est ce serment que maître de Morvilliers, premier président du parlement, vint porter au duc Philippe, tandis que d'autres envoyés allaient à Dijon le présenter à la duchesse Marguerite.

Le Duc répondit aux Parisiens, et écrivit aux autres bonnes villes, qu'il espérait leur faire avoir trêve avec les Anglais, et que si elles voulaient lui envoyer des députés le 17 d'octobre à Arras, on aviserait à ce qu'il convenait de faire. Rien n'était plus pressant, en effet, que de délivrer Paris des courses que les Anglais faisaient jusqu'aux portes de la ville la misère e.t la disette y augmentaient chaque jour. Lorsque l'affluence commença à être grande à Arras, et avant l'ouverture des assemblées, le Duc fit faire un service solennel pour le salut de l'âme de son père. Cinq évêques et dix-neuf abbés mitres y assistèrent. Le deuil fut mené par messire Jean de Luxembourg et messire Jacques de Harcourt. Frère Pierre Floure y inquisiteur de la foi au diocèse de Reims, prêcha un fort beau sermon il exhorta le Duc à ne point poursuivre la vengeance pour la mort de son père il lui dit que c'était à la justice seule qu'il devait s'adresser pour obtenir réparation qu'il pouvait prêter force à la justice s'il le fallait, mais jamais se venger par sa seule puissance, ce qui n'appartient qu'à Dieu. De si chrétiennes paroles furent mal reçues des seigneurs qui étaient avec le Duc, et lui-même en sembla peu touché[4].

Les députés de Paris, qui tous étaient serviteurs ou partisans zélés du duc de Bourgogne, consentirent facilement à ce qui leur fut proposé, et même au projet de traiter avec les Anglais. Ce n'est pas que ces ennemis du royaume ne fussent toujours en grande crainte et aversion au peuple de Paris ; mais il était si malheureux, ceux qui le conduisaient avaient entretenu en lui une telle horreur pour les Armagnacs, les garnisons que le parti du Dauphin avait auprès de Paris commettaient de telles cruautés dans les campagnes, qu'on disait dans la ville avec un grand désespoir : « Mieux valent encore les Anglais que les Armagnacs[5]. »

Tout le reste de l'année se passa en négociations et en messages[6] ; le Dauphin lui-même essaya encore de traiter avec les Anglais, mais le roi Henri avait maintenant de plus grandes prétentions qu'auparavant. Le nouveau duc de Bourgogne, n'ayant plus d'autre idée que sa vengeance, ne songeait pas les contester ; et le roi d'Angleterre trouvait avantage évident à traiter avec lui.

Voici ce qu'il proposa : 1° d'épouser madame Catherine sans imposer aucune charge au royaume 2° de laisser au roi Charles la jouissance de sa couronne et les revenus du royaume pendant sa vie ; 3° qu'après sa mort, la couronne de France serait dévolue a jamais au roi Henri et à ses héritiers ; 4° qu'à cause de la maladie du roi qui l'empêchait de vaquer au gouvernement, le roi d'Angleterre prendrait le titre et l'autorité de régent ; 5° que les princes, les grands, les communes, les bourgeois, prêteraient serment au roi d'Angleterre comme régent, et s'engageraient à le reconnaître pour souverain après la mort du roi Charles.

Le duc Philippe signa des lettres patentes par lesquelles il approuvait ces articles et promettait de les appuyer au conseil du roi ; en même temps il conclut un traité qui portait :

1°. Qu'un des frères du roi Henri épouserait une sœur du Duc ;

2°. Que le roi et le Duc s'aimeraient et s'assisteraient comme frères ;

3°. Qu'ils poursuivraient ensemble la punition du Dauphin et des autres meurtriers du duc Jean ;

4°. Que si le Dauphin ou quelque autre desdits meurtriers était fait prisonnier, il ne pourrait être relâché sans le consentement du Duc ;

5°. Que le roi d'Angleterre assignerait au Duc et à madame Michelle sa femme, des terres pour vingt mille livres de rente, dont hommage lui serait fait.

Moyennant ces conditions, une trêve fut accordée du 24 décembre au 1er mars[7] ; le Dauphin et ses partisans en étaient formellement exceptés. En même temps le duc de Bourgogne assemblait ses vassaux et ses hommes d'armes pour faire une guerre vigoureuse aux Dauphinois. Ils venaient de surprendre la ville de Roye. Messire de Luxembourg se hâta d'aller l'assiéger avant qu'ils y fussent encore bien établis. En effet, ils ne purent s'y défendre longtemps et il leur fut accordé de sortir saufs de corps et de biens ; un sauf-conduit leur fut donné, et le sire Hector de Saveuse fut chargé de les escorter.

Cependant une compagnie d'Anglais, commandée par le comte d'Huntington et le seigneur de Cornwallis, ayant appris que les Dauphinois avaient de si bonnes conditions, accoururent à leur poursuite. Beaucoup de gentilshommes picards de l'armée du sire de Luxembourg, et surtout le bâtard de Croy, mécontents qu'on les eût ainsi privés de l'argent des rançons, se mirent avec les Anglais. Ils tombèrent ensemble sur les Dauphinois, sans écouter les représentations du sire de Saveuse. En vain il voulut prendre sous sa protection et réclamer comme son prisonnier le sire de Karados, chef de la garnison de Roye, le comte de Cornwallis se mit en devoir de le lui ôter. Comme ils se débattaient, l'Anglais donna un grand coup de poing avec son gantelet de fer au sire de Saveuse, et le repoussa brutalement. Saveuse était presque seul ; il lui fallut endurer cette violence. Sans respect du sauf-conduit, les Dauphinois furent emmenés prisonniers par les Anglais.

Ceux qui tombèrent entre les mains du bâtard de Croy et des gentilshommes picards turent bien plus malheureux. Messire de Luxembourg dès qu'il sut que son sauf-conduit avait été enfreint, entra en grande colère et résolut de punir du moins ceux de son armée qui étaient sous son commandement direct. Il envoya ordre au seigneur de Croy de lui livrer son frère le bâtard, et au sire de Longueval de remettre le bâtard de Dunon, frère de sa femme. Les deux seigneurs ne tinrent nul compte de ce message et refusèrent d'obéir[8]. Le sire de Luxembourg déclara qu'il irait les prendre de force. Sa menace ne fut pas mieux écoutée ; on lui répondit qu'il ne serait peut-être pas le plus fort ; et pour que les prisonniers ne tombassent pas entre ses mains, on les mit à mort. Rien ne put être fait contre les coupables. Messire de Luxembourg renvoya son monde et revint auprès du duc de Bourgogne qui s'apprêtait au voyage de Troyes.

Il partit au mois de février, et trouva à Péronne, où ils avaient été mandés, la plus grande partie de ses serviteurs et capitaines. A Saint-Quentin, le comte de Warwick et d'autres ambassadeurs du roi d'Angleterre vinrent le rejoindre avec cinq cents chevaux, Comme il allait suivre sa route vers Troyes, les habitants de Laon le supplièrent de faire auparavant le siège de Crespy, dont la garnison désolait tout le pays elle était commandée par de braves, capitaines du parti du Dauphin, entre autres le sire de Vignolles, dont le surnom était la Hire, Pothon de Saintrailles et Naudonnet son neveu. Ils se défendirent d'abord vaillamment ; mais l'armée de Bourgogne était nombreuse et superbe on y voyait tous les seigneurs et chevaliers qui s'étaient rendus fameux sous le duc Jean : les sires de Luxembourg, de l'Isle-Adam, de Chastellux, Robert de Mailly, Guy de Bar, Antoine de Croy, les frères Fosseuse, le seigneur d'Imbercourt, le sire de Comines, le seigneur de Longueval, les frères Saveuse, le bâtard d'Harcourt. Le Duc amenait son chancelier l’évêque de Tournay, et ses conseillers les plus intimes les sires de Brimeu et de Robais ; enfin il se rendait à Troyes avec toute sa puissance.

Les capitaines de Crespy ne pouvaient, sans espoir de secours, résister à une telle armée. Le Duc faisait là ses premières armes ; il ne voulut point traiter durement la garnison, et lui accorda de sortir sauve de corps et de biens. Mais à peine fut-elle en route, qu'elle fut pillée et dévalisée le Duc en fut très-courroucé, et fit rendre ce qu'on put recouvrer. Ces brigandages n'étaient pas fort surprenants ; il avait dans son armée beaucoup de gens qui depuis longtemps avaient l’habitude de servir dans les compagnies, et de désoler les provinces. Il menait entre autres avec lui un nommé Tabary le Boiteux, chef d'une compagnie de paysans, qui était un des plus cruels brigands de ce temps-là.

Le Duc arriva le 28 mars à Troyes ; les gentilshommes de Bourgogne et de France, les notables bourgeois -et le peuple criant Noël, vinrent au-devant de lui. La reine et madame Catherine lui montrèrent le plus grand amour. Il prêta foi et hommage au roi pour le duché de Bourgogne, le comté de Flandre, le comté d'Artois et ses autres seigneuries. L'hommage ne fut pas en la même forme que celui de son père. Le doyenné de la pairie et la pairie de Flandre furent compris dans l'hommage du duché de Bourgogne et du comté de Flandre, et considérés comme en dérivant. Il disposait de tout au conseil du roi, et se nt accorder de grands avantages. Le roi renonça au droit de racheter Lille, Douai et Orchies. Il assigna, au lieu de la dot en argent de madame Michelle sa Elle, les villes de Péronne, Roye et Montdidier[9]. Il confirma la donation du comté de Tonnerre que le duc Jean avait obtenue un peu avant sa mort. Enfin il adjugea au duc de Bourgogne les biens des meurtriers de son père, et l'hôtel d'Armagnac qui était situé à Paris, rue Saint-Honoré, près l'église des Bons-Enfants.

Mais il se traitait alors d'autres affaires bien plus tristes et funestes au royaume. Dès le 9 avril, la reine et le duc de Bourgogne firent signer au roi qu'il accordait au roi d'Angleterre sa fille Catherine, qu'il le reconnaissait pour son héritier, au préjudice du Dauphin, et le nommait régent. Le malheureux roi n'avait plus ni sens ni mémoire. Ce fut une grande douleur et une indignation universelle de voir la reine transporter le noble royaume de France à ses anciens ennemis, qui, depuis tant d'années le désolaient par mille ravages ; on la détestait, de dépouiller ainsi son propre fils, en annulant les anciennes constitutions par lesquelles les rois avaient sagement ordonné que les femmes ne succéderaient pas à la couronne. On s'étonnait aussi que le duc de Bourgogne un prince de la fleur-de-lis ruinât son pays et sa famille, renonçât aux propres droits qu'il pouvait avoir, et s'abandonnât de la sorte par vengeance aux conseils des étrangers[10]. Les Anglais eux-mêmes s'émerveillaient d'un tel esprit d'aveuglement qui leur livrait de plein gré le royaume[11]. Les factieux de Paris eux-mêmes, tout animés qu'ils étaient d'une furieuse haine contre les Armagnacs et le Dauphin, trouvaient cependant cruel et honteux de devenir sujets des Anglais[12]. Tous les prud'hommes, les bons et loyaux Français, regardaient ce traité comme damnable et de toute nullité[13] : « C'est une grande horreur, disaient-ils, de penser que quelque Français, noble ou non noble, non-seulement a pu favoriser ce traité, mais le voir, mais l'entendre, sans le détester ; il ne peut donner la paix ni spirituelle ni temporelle ; il est plein de divisions, guerres, meurtres, rapines, effusion de sang humain, et horribles séditions il tend a produire et à nourrir la trahison, le parjure, la déloyauté, et à mettre sous indigne sujétion et honteuse servitude, tous les habitants du noble royaume de France, clercs, nobles et bourgeois ; il doit être combattu par tout bon chrétien, de toute sa puissance ecclésiastique ou temporelle, chacun selon son état, spécialement par le pape, les prélats, les princes, encore plus par les pairs-de~ France et les notables cités, enfin par tous ceux qui haïssent la tyrannie et aiment la vertu et une condition libre[14]. »

Cependant les divers offices de la ville de Paris étaient si bien occupés tous par des partisans et des serviteurs du duc de Bourgogne, que lorsque, le 29 avril, le Parlement, la chambre des comptes, l'Université, le chapitre, les gens du roi près le Parlement et le châtelet, le prévôt de Paris et le prévôt des marchands, les quarteniers, cinquanteniers et dizeniers, réunis par le comte de Saint-Pol et le chancelier, reçurent communication du projet de traité avec les Anglais, pas une voix ne s'éleva pour s'y opposer[15].

Les ambassadeurs du roi exposèrent de sa part que le duc de Bourgogne, étant récemment arrivé dans la ville de Troyes, avait, devant plusieurs barons, nobles, prélats, conseillers, procureurs et ambassadeurs des communes et bonnes villes du royaume, fait rendre compte par l'évêque de Tournay son chancelier, de ce qu'il avait, par ordre du roi et de la reine, et par le conseil des bonnes villes, conclu avec le roi d'Angleterre. Cet évêque avait déclaré que ce n'était nullement par vengeance que son maître proposait ce traité, mais pour remédier aux périls, à la désolation, à la destruction du royaume, pour éviter l'effusion du sang humain, pour relever le peuple des oppressions et griefs qu'il avait soufferts et souffrait encore, pour le gouverner avec justice, paix et tranquillité.

Les ambassadeurs ajoutèrent que le roi, la reine, les barons, les prélats, les communes assemblées à Troyes, s'étaient informés préalablement de la personne et de l'état du roi d'Angleterre qu'on le disait prudent et sage, aimant la paix et la justice[16], maintenant parmi ses gens de guerre une bonne discipline, s'opposant à leurs débauches, chassant de son camp les filles de mauvaise vie, protégeant le pauvre peuple, affable pour les petits comme pour les grands, défenseur sévère des églises et des couvents, ami des sages et doctes clercs, soumis à la volonté de Dieu, le louant dans la bonne fortune, et se soumettant sans colère à la mauvaise. On ajoutait qu'il était de noble contenance et d'agréable visage. Ayant par ces discours cherché à donner bonne espérance au peuple, les ambassadeurs déclarèrent que, sauf certaines modifications, le traité conclu par le duc de Bourgogne avait été ratifié. On avait, disaient-ils, considéré surtout les discordes du royaume, la conduite du fils du roi soi-disant Dauphin, et des gens avoués de lui, qui, enfreignant les traités jurés et les serments prêtés, avaient déloyalement mis à mort le feu duc de Bourgogne, s'étaient ainsi rendus indignes de toute dignité et honneurs, avaient encouru les peines et malédictions contenues dans les traités, et absous chacun de foi, service hommage et fidélité.

Le chancelier de France rappela à l'assemblée que ce traité était conforme au désir que la bonne ville de Paris avait déjà montré, et à ce que ses députés avaient réglé à Arras avec le duc de Bourgogne ; puis il demanda si l'on voulait persévérer et adhérer au traité communiqué par le roi. « Oui, oui, » crièrent-ils avec acclamation et tout d'une voix ; « vive le roi, la reine et monseigneur de Bourgogne. » Dès le lendemain le chancelier et le premier président se joignirent aux ambassadeurs, et se rendirent à Pontoise près du roi d'Angleterre, pour le prier de consentir aux modifications proposées à Troyes.

Dès le 13 avril, le duc de Bourgogne s'était empressé d'annoncer à ce prince que tout était conclu, et qu'il pouvait arriver. Pendant que les négociations se continuaient, le Duc fit assiéger par son armée diverses forteresses que les gens du dauphin occupaient en Champagne et sur les marches de la Bourgogne ; elles se défendirent vaillamment, Jean de Luxembourg fut blessé grièvement et perdit l'œil au siège d'Alibaudière. On échoua devant Couci, et le brigand Tabary y fut tué le couvent d'Équan Saint-Germain, près d'Auxerre, fut pris[17]. La routé de Troyes à Dijon se trouvant plus libre après ces expéditions, la duchesse douairière de Bourgogne et son fils, qui ne s'étaient point vus depuis la mort du duc Jean, se donnèrent rendez-vous à Châtillon[18]. Elle le pria de présenter au roi la requête qu'elle avait fait dresser dans son conseil, pour demander justice des meurtriers de son mari. Mais le temps n'était pas bien choisi le Duc avait laissé la reine uniquement occupée de se préparer aux fêtes qu'on allait donner pour célébrer l'arrivée du roi d'Angleterre et son mariage avec madame Catherine lui-même retourna à Troyes promptement pour la recevoir.

Le roi d'Angleterre arriva en-effet le 20 mai, accompagné de ses deux frères, le duc de Glocester et le duc de Clarence, d'une suite nombreuse et brillante, et de sept mille hommes d'armes[19]. Le duc de Bourgogne alla au-devant de lui avec les seigneurs de France, et le conduisit à l'hôtel qui lui avait été préparé. Après quelques moments de repos, le roi Henri alla rendre visite au roi et à la reine de France, qu'il trouva dans l'église Saint-pierre avec madame Catherine. Tout avait été réglé d'avance ; la cérémonie des fiançailles se fit sur-le-champ, et le lendemain, après avoir changé encore quelques articles, le roi d'Angleterre et le roi signèrent ce fameux traité de Troyes, qui fut la honte du royaume. Il fut publié en la forme suivante :

« Charles, par la grâce de Dieu, roi de France, à tous nos baillis, prévôts, sénéchaux et autres chefs de nos justices, ou à leurs lieutenants salut Un accord final et une paix perpétuelle ont été faits et jurés par nous et notre très cher et très aimé fils Henri, roi d'Angleterre, héritier et régent pour nous de la royauté de France, au moyen du mariage de lui et de notre très-chère et très-aimée fille Catherine, et au moyen aussi de différents articles faits, passés, et accordés par chaque partie, pour le bien et l'utilité de nos sujets et la sûreté de nos pays par le moyen de cette paix, nosdits sujets et ceux de notre fils pourront communiquer, commercer et besogner les uns avec les autres en-deçà et au-delà de la mer.

1°. Notre fils le roi Henri nous honorera dorénavant comme son père, et notre compagne la reine comme sa mère, et ne nous empêchera pas durant notre vie de jouir et posséder paisiblement notre royaume.

2°. Il ne mettra empêchement ni trouble à ce que nous tenions et possédions tant que nous vivrons, et comme maintenant, la couronne, la dignité royale de France et les revenus, fruits et profits qui y sont attachés pour soutenir notre état et les charges du royaume et a ce que notre compagne tienne tant qu'elle vivra état et dignité de reine, selon la coutume du royaume avec partie convenable desdits revenus et rentes.

3°. Notre fille Catherine aura et prendra au royaume d'Angleterre un douaire, tel que les reines ont accoutumé d'avoir ; c'est à savoir soixante mille écus par an, que travaillera à lui assurer notre fils le roi Henri, sans pourtant transgresser ou offenser le serment qu'il a prêté d'observer les lois, coutumes et droits de son royaume d'Angleterre.

4°. Il est accordé qu'aussitôt après notre trépas, et dès lors en avant, la couronne et royaume de France avec tous leurs droits et appartenances, seront perpétuellement, et demeureront à notre fils le roi Henri et à ses héritiers.

5°. Comme nous sommes la plupart du temps empêchés d'aviser par nous-même et de Vaquer à la disposition des besognes de notre royaume, la faculté et l'exercice de gouverner et d'ordonner la chose publique seront et demeureront, notre vie durant, à notre fils le roi Henri, avec le conseil des nobles et sages du royaume, qui nous obéiront, et qui aimeront l'honneur et le profit dudit royaume. Ayant ainsi la faculté et l'exercice du gouvernement, il travaillera affectueusement, diligemment et loyalement, l'honneur de Dieu, de nous et de notre compagne, et pour le bien du royaume à le défendre, le tranquilliser, J'apaiser et le gouverner selon l'exigence de la justice et de l'équité, avec le conseil et l'aide des grands seigneurs, barons et nobles du royaume.

6°. Notre fils fera de tout son pouvoir pour que la cour du parlement de France soit maintenant et au temps à venir conservée et gardée dans l'autorité et souveraineté qu'elle doit avoir dans les lieux qui nous sont sujets.

7°. Notredit fils défendra et conservera tous et chacun, nobles, pairs, cités, villes, communautés et personnes, dans leurs droits accoutumés, privilèges prééminences libertés et franchises à eux appartenant.

8°. Il travaillera et fera de tout son pouvoir pour que la justice soit administrée dans le royaume selon les lois accoutumées et les droits du royaume de France, sans acception de personnes conservera et tiendra les sujets en paix, tranquillité, et, au risque de son corps, les défendra de violences ou d'oppressions quelconques.

9°. Il fera son possible pour que les offices, tant de justice dans le Parlement, que dans les bailliages, sénéchaussées et autres, dépendant de la seigneurie du royaume, soient pris par des personnes habiles, profitables, et propres à un régime bon, juste, paisible et tranquille, et à l'administration qui doit leur être commise, et qu'ils soient tels qu'ils doivent être délégués et choisis selon les lois et droits du royaume.

10°. Notre fils travaillera de tout son pourvoir, et le plus tôt que faire se pourra, à remettre en notre obéissance toutes et 'chacune des villes, cités châteaux lieux, pays et personnes de notre royaume, qui tiennent le parti vulgairement appelé du Dauphin ou d'Armagnac.

11°. Afin que notre fils puisse faire exercer et accomplir les choses susdites profitablement, sûrement et 6'anchement, il est accordé que les grands seigneurs, barons et nobles, et les États du royaume, tant spirituels que temporels, et aussi les cités et notables communes, les citoyens et bourgeois des villes, a nous obéissant, feront serment d'obéir et d'écouter humblement en toutes choses les mandements et commandements concernant l'exercice du gouvernement du royaume, qu'ils recevront de notredit fils de garder bien et loyalement, et de faire garder par tous autres, en tout et partout, et autant que cela les pourra toucher, les choses qui sont ou seront appointées et accordées entre nous, notre compagne la reine et notre fils le roi Henri, avec le conseil de ceux que nous, notre compagne et 'notredit fils auront à ce commis aussitôt après notre trépas d'être féaux et hommes liges de notredit fils et de ses héritiers de le recevoir pour leur seigneur lige et souverain, pour vrai roi de France sans aucune opposition contradiction ni difficulté de lui obéir comme tel, et de ne jamais obéir à d'autres, comme roi ou régent qu'à notre fils le roi Henri de ne jamais entrer en conseil, aide ou consentement, pour qu'il perde la vie ou les membres, ou qu'il soit pris par mauvaise prise, ou qu'il souffre dommage ou diminution dans sa personne, son état, son honneur ou ses biens d'empêcher de tout leur pouvoir ce qui pourrait être machiné contre lui, et de le lui faire savoir le plus tôt qu'ils pourront, par message ou par lettres.

12°. Il est accordé que toutes et chacune conquêtes qui se feront au royaume de France par notre fils le roi Henri, seront à notre profit, hormis le duché de Normandie, et qu'il fera que toutes les seigneuries situées dans les lieux de notre obéissance, appartenant aux personnes qui nous obéissent et qui jurent de garder la présente concorde, seront restituées à ceux à qui elles appartiennent.

13°. Il est accordé que toutes personnes ecclésiastiques, bénéficiées dans ledit duché ou dans quelque autre lieu du royaume de France, obéissant à nous et à notre fils, et favorisant le parti de notre très-cher et très-aimé fils le duc de Bourgogne qui jureront de garder cette présente concorde, jouiront paisiblement de leurs bénéfices.

14°. Que toutes et chacune des églises, Universités études générales, collèges ecclésiastiques, situés aux lieux qui nous sont sujets ou dans le duché de Normandie, jouiront de leurs droits, possessions, rentes, prérogatives, libertés, franchises, prééminences, à eux appartenant ou dus sauf les droits de la couronne ou de tous autres.

15°. Quand notre fils le roi Henri adviendra à la couronne de France, le duché de. Normandie et tous les autres lieux conquis par lui dans le royaume, seront dans la monarchie et juridiction de la couronne de France.

16°. Le roi Henri compensera aux personnes à nous obéissant et favorisant le parti de Bourgogne, les seigneuries, revenus et possessions dont il a déjà pris possession dans le duché de Normandie ou ailleurs ; ladite compensation se fera non au détriment de la couronne, mais sur les terres acquises et à acquérir des rebelles et désobéissants et si cette compensation n'était pas faite lors de notre mort, le roi Henri la fera quand il sera venu à la couronne. Mais si les terres, seigneuries et possessions desdites personnes du parti de Bourgogne n'ont pas encore été données, elles seront restituées sans délai.

17°. Durant notre vie, dans tous les lieux qui nous sont présentement sujets ou le deviendraient à l'avenir, les lettres de commune justice, de don, de rémission, de privilèges, devront être écrites sous notre nom et sceau toutefois, comme il peut arriver tels cas singuliers que l'esprit de l'homme ne saurait prévoir, auxquels il serait nécessaire que notre fils le roi Henri fît écrire cela lui sera loisible pour le bien et la sûreté du gouvernement, qui lui appartient ainsi qu'il a été dit, et pour éviter les inconvénients et périls qui autrement pourraient arriver ; alors il mandera, défendra et commandera de par nous, et de par lui comme régent.

18°. Toute notre vie durant, notre fils le roi Henri ne se nommera, fera nommer ni écrira roi de France, et s'abstiendra de ce nom tant que nous vivrons.

19°. Il est accordé que nous le nommerons en langage français : Notre très-cher fils Henri, roi d'Angleterre et héritier de France ; et en langue latine : Noster prœcharissimus filius Henricus, rec Angliœ, hœres Franciœ.

20°. Notre fils n'imposera ni ne &r1a imposer aucune imposition ni exaction à nos sujets, sans cause raisonnable et nécessaire, ni autrement que pour le bien public du royaume, et selon l'ordonnance et exigence des lois et coutumes raisonnables approuvées dudit royaume.

21°. Afin que concorde, paix et tranquillité entre les royaumes de France et d'Angleterre soient pour le temps à venir perpétuellement observées, et qu'on obvie aux obstacles et recommencements par lesquels des débats, dès discords et des dissensions pourraient sourdre au temps à venir, ce que Dieu ne veuille notredit fils travaillera de tout son pouvoir ce que, de l'avis et du consentement des trois États de chaque royaume, soit ordonné et pourvu que dès le temps où notre fils sera venu à la couronne de France, les deux couronnes de France et d'Angleterre demeurent à toujours ensemble et réunies sur la même personne, c'est à savoir la personne de notre fils le roi Henri, tant qu'il vivra, et de là en avant, aux personnes de ses héritiers successivement, les uns après les autres, et à ce que les deux royaumes soient gouvernés non divisément sous divers rois, mais sous une même personne qui sera roi et seigneur souverain de l'un et de l'autre ; mais gardant, en toutes autres choses, toutes les lois de chacun, et ne soumettant en aucune manière un des royaumes à l'autre, ni aux lois, droits, coutumes et usages de l'autre.

22°. Dès maintenant et perpétuellement se tairont et s'apaiseront de tous points, divisions, haines rancunes, iniquités et guerres entre les deux royaumes, et les deux peuples adhéreront à ladite concorde, et il y aura, dès maintenant et à toujours, paix, tranquillité, concorde, amitié ferme et stable, affection mutuelle envers et contre tous ; les deux royaumes s’aideront de conseil et d'assistance contre toutes personnes qui s'efforceraient de faire dommage à eux ou à l'un d'eux ; et ils communiqueront et marchanderont l'un avec l'autre franchement et sûrement, en payant les devoirs ou coutumes dus ou accoutumés.

23°. Tous les confédérés et alliés des royaumes de France et d'Angleterre qui, dans le délai de huit mois après que la présente paix leur sera notifiée, auront déclaré vouloir fermement adhérer à ladite concorde et être compris dans le traité, y seront compris en effet, sauf toutefois les actions, droits en réparations que l'une et l'autre couronne, ou ses sujets, pourraient avoir à exercer contre lesdits alliés.

24°. Il est accordé que notre fils le roi Henri, avec le conseil de notre très-cher fils Philippe de Bourgogne, et des autres nobles du royaume, qui seront pour ce appelés, pourvoira au gouvernement de notre personne, sûrement, convenablement et honnêtement, selon l'exigence de notre état et de la dignité royale, de telle manière que ce soit l'honneur de Dieu et le nôtre, celui du royaume de France et de nos sujets. Toutes personnes, tant nobles qu'autres, qui seront autour de nous pour notre personne et notre service domestique, non pas seulement en titre d'office, mais de toute autre manière, seront nés au royaume de France, ou dans des lieux de langage français, bonnes personnes, sages, loyales, idoines audit service.

25°. Il est accordé que nous résiderons et demeurerons personnellement dans un lieu notable de notre obéissance, et non ailleurs.

26°. Considérant les horribles et énormes crimes et délits commis par Charles, soi-disant Dauphin de Viennois, il est accordé que nous, notredit fils le roi, et aussi notre très-cher fils Philippe, duc de Bourgogne, nous ne traiterons aucunement de paix et de concorde avec ledit Charles, sinon du consentement et du conseil de tous et de chacun de nous trois, et des trois États du royaume.

27°. Sur les choses susdites et sur chacune d'elles, outre nos lettres-patentes scellées de notre grand sceau, nous donnerons et ferons donner à notre fils le roi Henri lettres-patentes approbatives et confirmatoires de notre susdite compagne, de notre fils Philippe de Bourgogne, et autres de notre sang royal, des grands seigneurs, barons, cités et villes à nous obéissant, desquels, pour notre part, le roi Henri voudra avoir des lettres.

28°. Semblablement notre fils le roi Henri, pour sa part, nous fera donner et faire pour ces mêmes choses, outre ces lettres-patentes scellées de son grand sceau lettres-patentes approbatives et confirmatoires de ses très-chers frères, et autres de son sang royal, des grands seigneurs, barons, des cités .et villes à lui obéissant, desquels nous voudrons avoir des lettres.

Toutes lesquelles choses susdites et écrites, nous, Charles, roi de France, pour nous et nos héritiers, sans dol, fraude ni mauvais artifice, promettons et jurons, en parole de roi, sur les saints Évangiles de Dieu par nous corporellement touchés, de faire accomplir et observer, et de faire observer et accomplir par nos sujets et que nos héritiers n'iront jamais au contraire des choses susdites en aucune manière, en jugement et hors jugement, directement ou obliquement, ou sous quelque couleur déguisée que ce soit. Et, afin que ces choses soient fermes et stables perpétuellement et à toujours nous avons fait mettre notre sceau à ces présentes lettres. Donné à Troyes, le 21 mai 1420.

En même temps le duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre renouvelèrent et consacrèrent le traité d'alliance déjà conclu à Arras, et le Duc prêta le serment suivant[20] :

« Nous, Philippe, duc de Bourgogne, pour nous et nos héritiers, jurons sur les saints Évangiles de Dieu, 3 Henri, roi d'Angleterre et régent de France pour le roi Charles, de lui obéir humblement et fidèlement dans tout ce qui concerne la couronne et chose publique de France et aussitôt après la mort du roi Charles notre seigneur, d'être perpétuellement homme lige et fidèle du roi Henri et de ses successeurs de n'avoir ni de souffrir pour souverain seigneur roi de France aucun autre que le roi Henri et ses héritiers de n'entrer jamais en conseil ni consentement d'aucun tort qui pourrait être fait au roi Henri et à ses successeurs par lequel ils auraient à souffrir en leurs corps ou en leurs membres, ou à perdre la vie mais au contraire de leur annoncer diligemment, autant qu'il sera en notre pouvoir, lesdits desseins par lettres ou messages ? »

Un grand nombre de seigneurs spirituels et temporels, qui se trouvaient dans la ville de Troyes prêtèrent aussi le même serment. Mais ces traités et cette soumission à l'ennemi du royaume jetaient dans une profonde affliction beaucoup de gens, même parmi ceux qui étaient attachés au duc de Bourgogne. Il fallut qu'il donnât à plusieurs d'entre eux le commandement formel de jurer cette paix, qui leur semblait une trahison. Il eut grand'peine à y décider Jean de Luxembourg et Louis son frère, évêque de Thérouenne : « Vous le voulez, dirent-ils, nous prêterons ce serment, mais aussi nous le tiendrons jusqu'à la mort[21]. » De moins illustres serviteurs, qui avaient passé de longues années dans la maison de son père, le quittèrent et s'en retournèrent tristement chez eux. On les traitait d'Armagnacs, mais ils étaient seulement, bons et loyaux Français[22]. Dans tout son duché, les villes refusèrent d'abord de prêter serment au roi d'Angleterre[23].

Le 2 de juin on célébra le mariage du roi d'Angleterre et de madame Catherine dans l'église de Saint-Jean, à Troyes. Henri de Savoisy, archevêque de Sens, officia au mariage et bénit le lit des mariés. Dans la nuit on vint leur porter la soupe au vin, car le roi Henri avait voulu que tout se passât à la mode de France. Le lendemain il donna un grand festin au roi, au duc de Bourgogne et aux grands seigneurs de France. On voulait aussi avoir quelque beau tournoi ; mais il s'y refusa[24]. « Je prie, dit-il, monseigneur le roi de permettre, et je commande à tous ses serviteurs et aux miens que nous soyons prêts demain matin pour aller mettre le siège devant la cité de Sens, où sont les ennemis du roi. Là, chacun de nous pourra jouter tournoyer et montrer sa prouesse et son courage ; car il n'y a pas de plus belle prouesse que de faire justice des méchants, pour que le pauvre peuple puisse vivre. » Il tint aussi à tous ceux qui étaient présents un discours plein de gravité[25] ; il parla de l'avantage que trouveraient les deux royaumes à être sujets du même roi. Il dit que, bien qu'il fût né Anglais, il s'occuperait avec autant de zèle de la prospérité du royaume de France que de celle de sa terre natale que d'ailleurs il était né Français par les femmes, ce qui était toujours plus certain. Il répéta que le Dauphin était le seul chef et la seule cause de la guerre civile ; et que par le meurtre du duc Jean, il avait bien montré son mauvais naturel et ses dispositions cruelles. Il ordonna donc aux seigneurs conformément à leur devoir, leur serment et leur consentement, de venir avec lui, et de l'aider à réduire ce fils obstiné et déloyal sous l'obéissance du roi son père. Puis il ajouta : « Quant à moi, je me conformerai aux articles que vous avez arrêtés et agréés. J'aimerai, honorerai et vénérerai le roi Charles à l'égal de mon propre père, ainsi que je l'ai promis par cette paix, qui, je m'assure sera pour toujours. Et vous, si vous vous montrez loyaux et fidèles envers moi, l'Océan cessera plutôt de couler, le soleil perdra plutôt sa lumière que je ne manquerai à ce qu'un prince doit à ses sujets, à ce qu'un fils doit à son père. »

Le siège de Sens dura peu. La ville se rendit deux jours après que le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne se furent présentes. « Vous m'avez donné une femme ; je vous la rends vôtre, » dit le roi Henri, en lui remettant son église[26].

De là ils allèrent attaquer Montereau. Le sire de Guitry y commandait pour le Dauphin, et commença à se défendre vaillamment ; mais le jour de la Saint-Jean, quelques Anglais 'et quelques Bourguignons, sans l'ordre de leurs chefs, ayant donné un assaut, surprirent la ville, et la garnison, non sans perte, fut contrainte de se retirer dans le château. Dès que le duc fut entré, les femmes de la ville le conduisirent aussitôt dans l'église où l'on avait enterré son père[27]. Il fit placer à l'heure même un drap mortuaire et deux cierges sur cette tombe. Le lendemain elle fut ouverte, et l'on trouva le cadavre demi-vêtu et défiguré par les grandes blessures qu'il avait reçues ; sa tête était toute fendue du coup de hache que lui avait donné Tanneguy il n'y avait personne qui ne fût attendri en voyant cette large plaie, par où les Anglais étaient entrés en France comme disait, cent ans après, un chartreux de Dijon, montrant au roi François Ier le tombeau de Jean de Bourgogne. Son fils donna de grandes récompenses aux ecclésiastiques de Montereau qui avaient soustrait ce corps aux insultes des Armagnacs et l'avaient enseveli en terre consacrée ; ils lui remirent le bréviaire du Duc qui avait été trouvé sur lui ; mais tous ses joyaux avaient été pris. Le corps fut embaumé, transporté en grande cérémonie à Dijon, et inhumé aux Chartreux, auprès de Philippe-le-Hardi. Le bâtard de Croy, qui avait été tué à l'attaque de la ville, fut enterré à Montereau dans la fosse que le duc Jean laissait vide.

Le château tenait encore. Le roi d'Angleterre fit sommer le sire de Guitry de se rendre ; le héraut fut reçu injurieusement, et l'on ne tint compte de son message[28]. Le roi, irrité, fit amener les prisonniers qu'on avait faits en s'emparant de la ville, et leur signifia qu'ils seraient pendus s'ils ne persuadaient au gouverneur de céder. Le gibet fut sur-le-champ dressé. Ces malheureux se mirent à genoux sur le bord du fossé, et crièrent au sire de Guitry de leur sauver la vie, lui représentant qu'il ne serait point secouru, et qu'il aurait bientôt a se rendre. Il fut inflexible. Alors ces pauvres malheureux demandèrent a faire leurs adieux leurs femmes à leurs enfants, à ceux de leurs amis qui étaient restés dans la ville. Malgré tant de tristesse et de larmes, le roi d'Angleterre demeura ferme dans sa cruauté, et les fit périr. Huit jours après, le sire de Guitry se rendit, à condition qu'il aurait la vie sauve ainsi que sa garnison. Un gentilhomme du duc de Bourgogne nommé Guillaume de Bierre, l'accusa d'être un des meurtriers du duc Jean. Guitry offrit de se justifier par le combat ; le roi d'Angleterre lui accorda un sauf-conduit pour venir combattre ; cependant la chose en demeura là.

Villeneuve-le-Roi fut prise aussi. Les Bourguignons et les Anglais allèrent ensuite mettre le siège devant Melun, tandis que le Dauphin était allé faire reconnaître son autorité dans le pays de Languedoc. Il avait laissé Barbazan, le sire de Bourbon et ses plus braves chevaliers pour défendre la Brie, et ils s'y étaient rendus redoutables. La ville fut entourée d'une nombreuse armées Lé roi d'Angleterre était logé sur la rive gauche de la. Seine, le duc de Bourgogne occupait la rive droite et le côté de la Brie ; le roi de France et les deux reines se tenaient pendant ce temps-là à Corbeil.

Les chevaliers, du Dauphin commencèrent bientôt à montrer qu'ils feraient une rude et longue défense[29]. Dès les premiers jours ils firent des sorties où les Bourguignons souffrirent beaucoup les assiégeant comprirent alors qu'il était nécessaire de se fortifier eux-mêmes, et environnèrent leur camp de fossés et de palissades. Ils établirent leurs machines de guerre, et tirent tirer contre la ville leurs bombardes et canons. Les assiégés n'étaient pas moins habiles ni moins actifs à se servir de leur artillerie ils avaient des arbalétriers qui tuaient tous ceux qui approchaient de la muraille. Aucun n'était plus diligent ni plus adroit qu'un moine augustin qui tua au moins soixante hommes d'armes. Lorsque quelque portion du mur venait à être renversée, elle était aussitôt réparée en terre Ou en charpente.

Il n'y avait nul moyen de tenter l'assaut contre une ville si bien défendue : c'eût été une entreprise imprudente et in utile le roi d'Angleterre s'y opposait toujours. Le siège durait déjà depuis quelque temps, lorsque le duc Roger de Bavière arriva, amenant avec lui un 'nombreux renfort à l'armée de Bourgogne. Il commença à s'étonner de ce qu'on ne donnait pas un assaut ; le roi Henri lui représenta avec patience et douceur que ce n'était pas une chose à faire, mais il ne put vaincre sa présomption. Le duc de Bourgogne, qui se lassait aussi de la prudence des Anglais, ne demandait pas mieux que d'essayer cette attaque ; le roi les laissa faire, disant seulement que lorsqu'on donnerait un assaut du côté où il était, lui et ses Anglais feraient leur devoir. Les deux ducs firent préparer leurs échelles et tout ce qui était nécessaire ; ce ne fut pas si secrètement que Barbazan ne s'en aperçût. Il laissa arriver les Bourguignons jusqu'au bord du fossé ; déjà ils commençaient à y descendre et à dresser leurs échelles, en sonnant les trompettes et criant : A l'assaut ! La muraille n'était défendue que par une cinquantaine d'archers et par des gens de la ville prêts à rouler de grosses pierres et à jeter sur les assaillants de l'eau ou de la graisse bouillantes. L'attaque commença, et plusieurs arrivaient vers le haut du mur, malgré les Roches et tout ce que les assiégés taisaient pleuvoir sur eux, quand soudainement les trompettes de la ville se firent entendre avec éclat, et la garnison, débouchant tout d'un coup par une poterne dans le fossé tomba sur les Bourguignons et les Allemands. Il leur fallut, en grande hâte, gravir le fossé pour retourner à leur camp, au milieu des traits qui les atteignaient dans le dos beaucoup furent tués ou blessés, et l'entreprise tourna ainsi à leur confusion. Les Anglais ne furent pas lâchés de cette mésaventure, et de la leçon qu'avaient reçue leurs présomptueux alliés. Toutefois le roi Henri disait que, s'ils n'avaient pas réussi, ils s'étaient comportés vaillamment, et qu'à la guerre les fautes où l'on montre du courage valent des succès.

Voyant que les assiégés se défendaient si bien et ne voulaient entendre à aucun traité, quoique les vivres fussent déjà rares dans la ville, les Anglais commencèrent à creuser des mines[30]. Ceux de la garnison s'en doutaient, et Ils épiaient avec soin si l'on n'entendait pas dans les caves quelque bruit sourd et souterrain. Un jour Louis Juvénal des Ursins, vaillant écuyer, fils de l'avocat-général, crut démêler que la mine des ennemis approchait du poste qui lui était confié, il prit sa hache et courut au lieu où le bruit était entendu. Barbazan le rencontra comme il y courait « Louis, où vas-tu ? » lui dit-il. Et, quand il sut de quoi il s'agissait : « Frère, tu ne sais pas bien encore ce que c'est que de combattre dans une mine ; fais-moi couper le manche de ta hache ; les mines sont souvent étroites et en zig-zag ; il y faut des bâtons courts, pour combattre main à main. » Ils descendirent dans la cave, et envoyèrent chercher des ouvriers pour contreminer. On poussa du côté où l'on entendait le bruit, en ayant soin d'établir toujours une forte barrière devant soi. Enfin les deux mines se rencontrèrent, les manœuvres se retirèrent, et les hommes d'armes des deux partis résolurent, pour la curiosité de l'aventure, de faire quelques vaillantes joutes dans ce lieu souterrain et obscur. Le premier qui y combattit du côté des Français fut Louis Juvénal, que Barbazan fit chevalier. On pouvait se blesser, mais non se prendre, car il y avait entre les combattants une barrière à hauteur d’appui. C'était aux torches et aux flambeaux que se passait cette joute. Les uns et les autres y prirent grand plaisir ; pendant plusieurs jours il s’y fît de beaux faits d'armes. Plusieurs chevaliers furent créés à cette occasion. Le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne voulurent eux-mêmes y rompre des lances. Ce fut avec le sire de Barbazan que jouta le roi sans d'abord se faire connaître ; mais, dès que le chevalier sut quel était son adversaire, il se retira respectueusement. Ces combats étaient une sorte de tournoi et de fête si bien qu'au commencement, lorsque les assiégeants entendirent sonner les cloches de la ville, ils crurent qu'on s'y réjouissait de quelque secours qui arrivait ; mais ils surent que c'était pour célébrer ces joutes. Tout se passa avec une grande courtoisie, et le roi d'Angleterre se plaisait à donner des louanges à la vaillance des chevaliers du Dauphin.

Ce prince ne désirait rien tant que de les secourir ; il envoya des commissaires dans tous les pays de son obéissance pour assembler des gens d'armes. On réunit environ quinze mille hommes et ils se mirent en marche. Mais, lorsqu'ils furent arrivés dans le Blaisois, on sut que les Anglais et les Bourguignons étaient si nombreux et leurs camps si bien fortifiés, qu'il n'y avait rien à essayer contre eux.

Barbazan et les siens ne perdirent pas courage. Ils vivaient de chair de cheval le pain manquait, les maladies ravageaient la garnison cependant elle ne voulait entendre à aucune proposition. Le roi Henri fit venir au camp le roi de France, pour que sa présence imposât davantage aux assiégés ; ils répondirent qu'ils lui ouvriraient volontiers, mais non point aux mortels ennemis du royaume. Ce qui soutenait leur constance, c'est que les assiégeants souffraient cruellement aussi. L'épidémie leur emportait beaucoup de monde ; les hommes d'armes n'étaient point payés la disette régnait chez eux, comme à Paris et dans tout ce pays dévasté depuis si longtemps. Tous les chevaux mouraient.

D'ailleurs les Anglais et les. Bourguignons s'accordaient chaque jour moins bien entre eux ils avaient sans cesse déjà querelles. A Sens, après la prise de la ville, un grand débat s'était ému pour les logements, et l'on en était presque venu aux mains. Ce qui offensait le plus les Français, c'était le peu d'égards qu'on témoignait à leur roi, et le petit état où on le tenait entouré d'un petit nombre de serviteurs et médiocrement vêtu, tandis que le roi d'Angleterre avait un train plus fastueux que jamais. Ses façons étaient aussi plus hautaines qu'il ne convenait à la France, où les nobles et les autres n'avaient pas l'habitude d'être traités par leurs maîtres avec tant de rudesse[31].

Un jour, le maréchal de l'Isle-Adam, qui commandait à Joigny, vint au camp pour quelques affaires de la guerre ; il alla trouver le roi Henri, lui fit un respectueux salut, et commença à expliquer le sujet de son voyage. Le roi, qui sans doute trouvait que le maréchal ne se présentait pas devant lui avec assez de cérémonie, lui dit d'un ton railleur « L'Isle-Adam, est-ce là une robe de maréchal de France ? » Celui-ci, sans se troubler et regardant le roi, repartit : « Sire, j'ai fait faire cette robe gris-blanc pour venir ici par eau, sur les bateaux de la rivière de Seine. — Comment ! dit vivement le roi, vous regardez un prince au visage en lui parlant ! — Sire, répliqua l'Isle-Adam, c'est la coutume en France que quand un homme parle à un autre, de quelque rang et quelque puissance qu'il soit, il passe pour mauvais homme et peu honorable, s'il n'ose pas le regarder en face. — Ce n'est pas notre guise, » interrompit le roi. Et l'on vit bien qu'il en voulait beaucoup au sire de l'Isle-Adam ; la suite le montra encore mieux.

Ce qui se passa avec le prince d'Orange fut plus grave encore il amenait des renforts à l'armée. Le roi d'Angleterre voulut exiger de lui le serment réglé par la paix de Troyes : « Je viens ici, dit-il, servir monseigneur de Bourgogne ; mais, quant à prêter serment à l'ancien et mortel ennemi du royaume de France, c'est ce que je ne ferai jamais. » Il serait retourné chez lui sans les instances du duc de Bourgogne.

Le sire de Luxembourg amena aussi de nouveaux renforts an roi d'Angleterre et au Duc qui en avaient grand besoin, tant leur armée était diminuée. Les malheureux assiégés, voyant de loin les bannières s'avancer vers la ville, s'imaginèrent que le Dauphin envoyait enfin à leur secours[32]. Du haut de leurs murailles ils poussèrent des cris de joie, disant aux Anglais de seller leurs chevaux pour partir mais quand ils s'aperçurent de leur erreur, ils redescendirent tristement dans la ville la tête basse et le courage abattu. Peu après arriva aussi la milice de Paris sous les ordres de e Legoix et de Saint-Yon[33]. La garnison, épuisée par un siège de cinq mois, ne tarda pas a se rendre. On accorda la vie sauve aux hommes d'armes, hormis ceux qui, étant soupçonnés d'être complices de la mort du duc de Bourgogne, devaient être mis en justice on imposa aux autres la condition de fournir caution qu'ils ne s'armeraient point contre le roi d'Angleterre les bourgeois ou autres restèrent à la disposition du vainqueur, ainsi que les Ecossais ou Anglais qui se trouvaient parmi la garnison enfin douze otages furent pris parmi les capitaines, et six parmi les bourgeois le sire de Bourbon, le sire de Barbazan, le sire Juvénal, furent exigés dans les otages.

Ce traité reçut une interprétation déloyale et indigne d'un prince aussi vaillant que le roi d'Angleterre. Outre les otages, cinq ou six cents hommes de la garnison furent retenus et envoyés dans les prisons de Paris, et l'on répondit à leurs plaintes qu'ils avaient la vie sauve, comme on la leur avait promise. Les Écossais furent pendus ; diverses personnes de la ville, 'et deux moines de l'abbaye de r Jouarre, furent décapités[34].

Le duc de Bourgogne s'étant plaint qu'un gentilhomme gascon, sujet et serviteur du roi d'Angleterre, venait de laisser échapper, pour de l'argent, Raimond de Loire, accusé d'avoir été complice de la mort du duc Jean, le roi Henri ordonna qu'on coupât la tête à ce gentilhomme. Le Duc ne demandait pas une si grande rigueur et implora sa grâce le duc de Clarence intercéda aussi son frère ; tout lut inutile il n'écouta ni la pitié, ni l'affection qu'il avait toujours montrée à son serviteur, tant était grande sa dureté.

Ce fut le 18 novembre que Melun se rendit. Après quelque séjour a Corbeil, les rois firent leur entrée à Paris. Déjà le duc de Bourgogne avait livré aux Anglais la Bastille, le Louvre, l'hôtel de Nesle, Vincennes ; le premier usage que le roi d'Angleterre avait fait de son pouvoir, c'était d'ôter au comte de Saint-Pol la charge de premier capitaine de Paris, pour la donner à son frère le duc de Clarence. La ville continuait à souffrir une horrible misère le pain devenait chaque jour plus rare et plus cher il fallait se lever la nuit pour aller faire foule à la porte des boulangers, et encore il n'y en avait pas pour tout le monde[35]. Les riches, qui pouvaient, outre le prix du pain, payer pinte ou chopine de vin aux garçons boulangers, étaient les seuls servis. On voyait de pauvres petits enfants se traîner dans les rues en pleurant et criant : « Je meurs de faim. » Ils tombaient sur les fumiers, où on les trouvait morts d'inanition et de froid ; car le bois était devenu aussi d'une rareté extrême, et ce n'était pas une des moindres souffrances.

Ce fut surtout ce malheureux état de la ville qui donna au pauvre peuple un grand empressement à célébrer l'entrée du roi d'Angleterre ; on souffrait tant, qu'on espérait que toute mutation produirait quelque soulagement ; rien ne coûtait pour complaire à des maîtres dont on voulait toucher le cœur, afin qu'ils prissent en pitié une si grande détresse. Les deux rois entrèrent par la porte Saint-Denis, au milieu des acclamations du peuple qui criait Noël. Les riches avaient pris la robe rouge en l'honneur des Anglais les prêtres faisaient des processions, venaient devant leurs églises porter les reliques à baiser aux deux rois, en chantant : Te Deum laudamus, ou Benedictus qui venit. On avait dressé, tout le long de la rue de la Calandre, un grand échafaud où l'on représentait le mystère de la Passion tel qu'il était figuré en relief autour du chœur de Notre-Dame. Ce fut en cette église que se rendirent d'abord les deux rois et les princes, après avoir traversé Paris. Ils étaient à cheval l'un près de l'autre, le roi de France à droite. Derrière eux marchaient, d'un côté, les ducs de Clarence et de Bedford ; de l'autre, le duc de Bourgogne et ses serviteurs vêtus de noir. Après avoir remercié Dieu et fait leurs prières, le roi de France rentra dans son hôtel Saint-Paul, le roi d'Angleterre au Louvre, le duc de Bourgogne à l'hôtel d'Artois. Le lendemain, les deux reines firent aussi leur entrée solennelle. Ce retour du roi, ce concours des seigneurs de France et d'Angleterre, n'eurent d'autre effet que d'augmenter encore le prix des vivres et la famine de Paris ; chaque jour la ville se dépeuplait. Les bons habitants fondèrent des hôpitaux en divers quartiers, pour recueillir les malheureux orphelins qui mouraient de faim. L'hiver était très-froid, les loups venaient dans les cimetières et même dans les rues, pour dévorer les corps morts dont ils trouvaient abondance.

Le roi d'Angleterre fit tout aussitôt assembler des députés des trois États du royaume ; ils jurèrent le traité de Troyes sur les saints Évangiles, et les grands seigneurs remirent au roi Henri leur soumission et leur serment scellés de leur sceau[36]. Les malheurs et les embarras du royaume furent aussi exposés aux États ; on leur demanda des ressources pour la guerre, on leur dit à quoi il fallait pourvoir, en les invitant à y aviser[37].

Parmi tous les dommages qu'avait soufferts la chose publique, un des plus grands c'était l'affaiblissement des monnaies[38]. Le marc d'or, qui, sous le règne de Charles V, valait 63 liv. 17 s. 6. d., était maintenant de 171 liv. 13 s. Le marc d'argent avait été porté de 5 liv. 16 s. à 28 liv. Aussi toutes les denrées étaient devenues fort chères. Le commerce avait été troublé. Les débiteurs et les fermiers s'étaient acquittés au grand détriment de leurs créanciers et de leurs possesseurs. Il n'y avait qu'un cri contre ce désordre.

Les États répondirent qu'ils étaient prêts à faire ce qui plairait au roi et ce que son conseil ordonnerait. Les aides et les gabelles furent rétablies, ainsi que le roi d'Angleterre avait déjà fait à Rouen. Quant aux monnaies, le roi déclara qu'il ferait fabriquer bonne et forte monnaie soit d'or, soit d'argent, et que, pour avoir de quoi la forger, il ordonnait, d'après l'octroi des gens des trois États, qu'il serait recueilli dans les bonnes villes du royaume, sur tous de quelque état qu'ils fussent, un impôt en marcs d'argent. Ces marcs devaient être mis à la monnaie, et chacun recevrait ensuite 7 liv. par marc d'argent qui qui lui aurait été emprunté. Or, au titre de cette nouvelle monnaie, le marc aurait dû valoir 8 liv. C'était donc un rude impôt. On en murmura beaucoup. L'Université vint faire ses remontrances au nom des gens d'église, et réclamer leurs exemptions. Le roi d'Angleterre leur répondit avec rudesse, et comme ils voulaient répliquer, il les fit taire. Il fallut bien se soumettre, car ce roi les eût envoyés en prison. Force était d'obéir avec docilité ; autrement on eût été tenu pour Armagnac et mis en grand danger.

Toutefois les ordres du roi sur la refonte de la monnaie ne purent recevoir d'exécution. Le Dauphin ayant conservé la monnaie faible et l'ayant même encore diminuée, toutes les espèces allaient dans son gouvernement ; mais aussi l'on y payait les choses beaucoup plus cher.

Dès que le duc de Bourgogne fut entré à Paris il s'occupa enfin d'avoir justice de la mort de son père, ainsi que l'en pressait depuis longtemps la duchesse sa mère. Le 23 décembre, le roi siégeant en lit de justice a l'hôtel Saint-Paul, en sa cour du Parlement, présents les députés des États, le roi d'Angleterre à côté de lui comme régent, le duc de Bourgogne en habit de deuil, accompagné des ducs de Clarence et de Bedford, des prélats et seigneurs de son conseil, s'avança et alla s'asseoir sur un banc de l'autre côté de la salle. Messire Nicolas Raulin, son avocat, demanda aux deux rois la permission de parler puis, au nom du duc et de la duchesse sa mère, il exposa l'homicide commis en la personne de Jean duc de Bourgogne, par Charles soi-disant dauphin de Viennois, le vicomte de Narbonne, le sire de Barbazan, Tanneguy Duchâtel, Guillaume le Bouteiller, Jean Louvet, Robert de Loire, Olivier Layet et autres complices, et conclut à ce qu'ils fussent promenés par trois jours de fête, dans les carrefours de Paris, sur un tombereau, tête nue portant un cierge à la main, et disant à haute voix qu'ils avaient méchamment, traîtreusement, damnablement, par envie, et sans cause raisonnable, occis le duc de Bourgogne qu'ils répétassent les mêmes paroles a Montereau, sur le lieu du crime : qu'ils y bâtissent une église, et y fissent une fondation de douze chanoines, six chapelains et six clercs, de même qu'à Paris, à Rome, à Gand, à Dijon, à Saint-Jacques de Compostelle et à Jérusalem, en faisant graver en grosses lettres, sur une pierre du portail, le motif de la fondation[39].

Maître Pierre de Marigny, avocat du roi, prit aussi des conclusions au criminel contre les accusés. En outre, maître Jean Larcher, docteur en théologie et délégué de l'Université de Paris, parla avec plus de force encore exhorta les deux rois à écouter les demandes du duc de Bourgogne, et à lui faire justice ; puis, comme ecclésiastique, il ne prit de conclusions qu'au civil.

Enfin le chancelier, au nom du roi, déclara que les coupables de ce damnable crime avaient commis crime de lèse-majesté, forfait corps et biens, qu'ils étaient inhabiles et indignés de toutes successions, dignités, honneurs et prérogatives quelconques, outre les peines que les lois ordonnaient contre les commetteurs de crimes de lèse-majesté et leur descendance : de plus, que lesdits criminels avaient encouru les peines portées dans le traité de paix et d'alliance signé au Ponceau que tous leurs gens, vassaux, sujets et serviteurs présents et à venir, étaient absous et quittes de tout serment de feauté, de toute promesse on obligation de service envers eux et leurs successeurs.

Cette déclaration du roi n'était pas un jugement ; c'était ce qu'on nommait des lettres de justice elles se terminaient par l'ordre donné aux justiciers et officiers royaux de procéder, chacun dans sa juridiction, contre lesdits coupables, par voie extraordinaire, si besoin était, et d'administrer justice aux parties.

Ce fut en vertu de ces lettres que le Parlement commença à instruire la procédure. Le 3 janvier 1421, à la requête du procureur-général, fut ajourné à trois jours, sous peine de bannissement, à son de trompe, sur la table de marbre, messire Charles de Valois, dauphin de Viennois, pour raison de l'homicide fait en la personne de Jean duc de Bourgogne. Après toutes les formalités usitées en justice, il fut par arrêt, convaincu des faits à lui imputés, comme tel banni et exilé à jamais du royaume, et déclaré indigne de succéder à toutes seigneuries venues et à venir. Cette sentence, que tous les bons et loyaux Français trouvèrent inique, nulle et déraisonnable, toucha peu le Dauphin il en appela à la pointe de son épée, et fit vœu de porter son appel tant en France qu'en Angleterre ou dans les domaines du duc de Bourgogne[40].

En même temps la domination des Anglais devenait rude et pesante ; le roi Henri commençait à tout gouverner selon sa seule volonté ; il mettait ses propres serviteurs dans tous les offices, sans égard pour ceux que le roi, le duc Jean ou le duc Philippe y avaient placés. Le duc d'Exeter, son oncle, fut capitaine de Paris le comte d'Huntington commanda Vincennes, le sire d'Amfreville, Melun. Il menait au Louvre joyeuse vie et grande dépense, tandis que le pauvre vieux roi de France restait solitaire en son hôtel Saint-Paul, délaissé de tous ; tellement que le jour de Noël, ou auparavant il était si solennellement entouré, il ne fut visité que par de vieux serviteurs et quelques bourgeois qui lui gardaient fidèle affection[41].

Le duc de Bourgogne avait aussi à se plaindre du roi d'Angleterre d'une façon qui lui tenait fort au cœur. Parmi les prisonniers de la garnison de Melun, qu'on accusait d'avoir pris part an meurtre du duc Jean, le plus considérable était le sire de Barbazan. La duchesse Marguerite, avait fait dresser par son conseil a Dijon, d'après tous les témoignages qui avaient été recueillis, des articles sur lesquels ce chevalier devait être interrogé[42]. Le roi d'Angleterre ne le laissa point mettre en justice. On assura que le sire de Barbazan, ayant réclamé les droits d'un frère d'armes, que, selon les règles de la chevalerie, il avait acquis en combattant corps à corps avec le roi dans les mines de Melun, ce prince avait accepté cette loyale obligation, et s'était résolu de sauver le brave Barbazan[43]. II l'envoya en prison à Château-Gaillard, mais livra à la justice le bâtard Tanneguy de Coesmerel, et Jean Gault, qui furent écartelés par arrêt du Parlement[44].

Dès le mois de janvier, le roi Henri avait quitté Paris pour retourner en Angleterre avec madame Catherine, et le Duc avait repris le chemin de la Flandre, après avoir donné de belles fêtes et des joutes à la ville de Paris, pour lui montrer toute son affection.

Pendant le voyage qu'il fit dans ses bonnes villes, il manifesta le goût héréditaire de la maison de Bourgogne pour la magnificence et le grand appareil. Il étalait plus de faste encore que 'son père ou son aïeul. Lorsqu'il faisait son entrée dans les villes, il faisait porter devant lui une épée nue, et se montrait entouré de tous les officiers de sa maison. Les seigneurs ne manquaient pas à venir lui former un noble et brillant cortège. Les riches bourgeoisies de Flandre, qui vivaient paisibles et libres tandis que la France et l'Angleterre étaient misérables et ravagées par la guerre, les marchands qui s'étaient enrichis dans un commerce toujours plus grand, marquaient leur reconnaissance à leur seigneur, en lui offrant les plus belles fêtes. Le duc Philippe, quel que fût son goût pour la pompe souveraine, était doux et affable envers tous, et se retrouvait toujours avec plaisir parmi ces Flamands chez qui il avait passé une heureuse jeunesse. Ce n'était partout que joutes et tournois ; il y en eut surtout de superbes à Bruxelles, chez son neveu le duc de Brabant. Le Duc fit faire vingt-quatre habillements de couleur vermeille, chargés d'orfèvrerie pour les chevaliers qui devaient jouter avec lui. Ses serviteurs et ses pages étaient aussi chamarrés des plus brillantes broderies qui représentaient un briquet à allumer le feu, qu'on nommait alors un fusil, avec sa devise.

Pour lui, il était vêtu de la façon la plus galante ; sa cotte d'armes et son manteau étaient ornés, de quarante aunes de ruban d'argent, en nœuds et en rosettes ; mais rien n'était si beau que le panache de son casque ; l’aigrette était de vingt et une plumes de héron ; le cimier de vingt-quatre plumes d'autruche ; par derrière flottaient dix-sept plumes de paon.

Tandis que le duc de Bourgogne se livrait ainsi à de nobles divertissements dans sa seigneurie de Flandre, et que le roi d'Angleterre déployait aussi toute la magnificence de son royaume au couronnement de madame Catherine, les partisans du Dauphin reprenaient pied chaque jour en France. Ils surprirent Villeneuve-le-Roi ; les garnisons de Compiègne, de Pierrefonds, de Château-Thierry, tenaient la campagne et ravageaient le Valois, le Beauvoisis le Vermandois, et jusqu'au Cambrésis. Le bâtard de Vaurus, un des chefs qui commandaient à Meaux, venait jusqu'aux portes de Paris, et répandait, par sa cruauté., la terreur dans tout le pays[45].

Mais les plus grandes forces du Dauphin étaient dans le Perche et dans l'Anjou, sous les ordres du maréchal de La Fayette et du comte de Buchan, qui lui avait amené des Ecossais. La veille de Pâques, le duc de Clarence vint les attaquer près de Bauge. Tant de victoires avaient donné confiance aux Anglais. Le duc de-Clarence, qui était depuis longtemps ému du regret de ne s'être point trouvé à Azincourt, croyait ne pouvoir assez tôt attaquer. Sans attendre les archers il passa, à la tête des hommes d'armes, la rivière qui le séparait des Français ; ceux-ci tombèrent sur lui avant que le comte de Salisbury eût amené le corps de bataille. Le combat fut vif. Dès le commencement de faction la mêlée devint sanglante. Le sire Charles le Bouteiller s'empara bientôt du duc de Clarence et le fit son prisonnier, espérant l'échanger contre le duc d'Orléans ; les Anglais s'efforcèrent de le délivrer ; dans ce conflit, le comte de Buchan arriva jusqu'au prince et le tua de sa main, tandis que le sire le Bouteiller tombait percé de coups sur le corps de son prisonnier ; lord Ros, Gilbert d'Amfreville, périrent aussi ; le comte de Sommerset, le comte de Suffolk, furent pris. Lorsqu'enfin le comte de Salisbury et le bâtard de Clarence arrivèrent au secours, la fleur de la chevalerie anglaise était déjà tombée sur le champ de bataille ou emmenée captive.

Cette belle victoire remonta le courage des Français. D'ailleurs le royaume ne pouvait se faire au gouvernement rude et tyrannique de ses anciens ennemis[46]. Plusieurs des seigneurs de France, qui avaient longtemps tenu le parti de Bourgogne se tournèrent contre lui. Depuis plusieurs années, messire Jacques de Harcourt'7- tout en se disant l'allié et l'ami du Duc, faisait aux Anglais une forte guerre ; il avait même mis en prison le comte de Harcourt son parent, pour leur avoir été favorable, il se déclara enfin complètement pour le Dauphin. Il tenait le fort château de Crotoy en Picardie, sur le bord de la mer, et de là faisait des courses par terre ou par mer. Sur les marches de la Picardie étaient encore les deux plus vaillants et habiles chevaliers du Dauphin Poton de Saintrailles et Vignolles dit la Hire. Avec eux, le seigneur de Rambures, Louis de Gaucourt, et quantité d'autres vaillants gentilshommes du Vimeu et du Ponthieu, se mirent à combattre les Anglais.

A Paris, le peuple n'était pas content ; la famine et les maladies continuaient a faire mourir un nombre infini de personnes ; on changeait sans cesse les ordonnances sur les monnaies, et nul ne savait ce qui lui était dû ni ce qu'il devait ; l'impôt sur les marcs d'argent se percevait, et pourtant la forte monnaie qu'on avait promise n'était point frappée[47].

Les Anglais avaient trouvé un zélé et empressé serviteur dans Philippe de Morvilliers premier président du Parlement ; pour le moindre murmure, il faisait percer la langue à ceux qu'on lui dénonçait. Afin d'obvier à la cherté des denrées, on avait fait une taxe qui avait augmenté la disette car aucun marchand ne voulait plus rien amener. Le premier président faisait mettre au pilori, promener dans des tombereaux ou punir corporellement ceux qui contrevenaient à cette taxe. Il était défendu aussi aux orfèvres de faire le commerce d'or et d'argent ; les changeurs étaient tenus de se conformer aux règlements sur la monnaie on n'avait jamais vu une si cruelle tyrannie dans Paris.

Le nouveau gouverneur anglais, le duc d'Exeter, faisait regretter le duc de Clarence qu'on avait eu d'abord, et qui avait su gagner l'affection des Français, parce qu'il était doux et affable ; au contraire le duc d'Exeter était sévère. Il fit prendre le maréchal de l'Isle-Adam, à qui le roi Henri ne pardonnait pas sa fierté ; le peuple de Paris se révolta pour le défendre ; mille ou douze cents hommes prirent les armes pour l'arracher aux Anglais. Le due d'Exeter fit avancer ses archers et tirer sur le peuple, en promettant toutefois que bonne justice serait laite au seigneur de l'Isle-Adam. Il le fit conduire à la Bastille, où ce seigneur resta longtemps, nonobstant les instances que fit souvent le duc de Bourgogne en sa faveur[48].

Le roi d'Angleterre, apprenant la défaite et la mort de son frère, et l'état de ses affaires en France, se hâta d'y revenir. Il débarqua a à Calais dans les premiers jours de juin, et envoya aussitôt le comte de Clifford avec douze cents hommes d'armes à Paris, où le duc d'Exeter était déjà serré d'assez près par les gens du Dauphin, L'armée &ançaise assiégeait Chartres, et les garnisons menaçaient Paris. La duchesse de Bourgogne avait, de Dijon, écrit à son fils de penser à la sûreté du roi, et il s'était empressé de mander ses hommes d'armes à Arras ; mais, comme le roi d'Angleterre arrivait pour y pourvoir, il vint au-devant de lui à Montreuil. En ce moment il était malade de la fièvre ; ne pouvant monter cheval pour aller sa rencontre, il envoya le sire de Luxembourg afin de l'excuser. Le roi et lui demeurèrent trois jours ensemble à conférer de leurs affaires, puis prirent leur route vers Abbeville. Les gens de la ville, qui étaient tous bons Français, se souciaient peu de livrer le passage de la Somme au roi d'Angleterre ; cependant, sur les instances du Duc et sur la promesse que tout ce qu'on prendrait serait payé, ils consentirent à ouvrir leurs portes. Pendant ce pour parler, l'on s'empara du château de La Ferté près de Saint-Riquier, où se tenait une garnison du sire de Harcourt, et la garde en fut confiée à Nicaise de Boufflers gentilhomme du pays[49].

Le roi d'Angleterre continua sa route vers Paris où il entra le dernier de juin. Bientôt après, il assembla son armée à Mantes, pour marcher vers Chartres contre l'armée du Dauphin le duc de Bourgogne s'y rendit aussi avec ses gens d'armes. Mais les Dauphinois s'étant retirés du côté de Tours, il revint en Picardie, où le sire de Harcourt et les garnisons ennemies prenaient chaque jour plus de force. Le sire de Boufflers avait livré le château de La Ferté ; Saintrailles et le seigneur d'Offemont avaient surpris Saint-Riquier ; plusieurs autres châteaux et forteresses étaient tombés aux mains des Dauphinois. Le roi d'Angleterre nt donner au Duc de fortes sommes pour payer ses hommes d'armes, et lui promit des renforts. Il en avait grand besoin, car les ennemis étaient en plus grande puissance que lui. Il demanda aux gens d'Amiens et des autres bonnes villes de lui fournir des arbalétriers ils promirent de l'assister[50]. Mais Abbeville n'était pas si bien disposé le sire de Harcourt y avait des intelligences le seigneur de Cohen, qui y était capitaine, lut, un soir qu'il faisait sa ronde, assailli et rudement blessé par des gens de la ville, qui se sauvèrent ensuite vers les Dauphinois.

Le Duc commença par attaquer le pont de Remy sur la Somme. Les ennemis avaient mis garnison au château situé dans l'île qui sépare le pont en deux parties. Les arbalétriers s'embarquèrent pour l'assaillir, et forcèrent les Français à se retirer. Le château et tout ce qui était dans File furent brûlés. Le Duc alla ensuite poser son camp devant Saint-Riquier mais il n'était pas assez fort pour en faire le siège. La garnison faisait de vives sorties, et se saisit même de quelques prisonniers de marque. Un défi de six Dauphinois contre six Bourguignons eut lieu pendant ce siège. Il s'y fit de beaux coups de lance ; mais le sire d'Offemont, chef de la garnison et Jean de Luxembourg qui commandait l'armée du Duc, avaient pris de grandes précautions, tant l'on avait peu de confiance dans la foi les uns des autres.

Il y avait plus d'un mois que le siège durait sans faire nul progrès. Le Duc apprit tout à coup que le sire de Harcourt avait envoyé avertir les 'garnisons de Compiègne et des autres villes appartenant au Dauphin, de venir se réunir à lui pour marcher contre les Bourguignons. Le Duc vit qu'il allait se trouver en grand danger, et résolut de prévenir l'ennemi[51]. Il ordonna à Philippe de Saveuse de passer de l'autre côté de la Somme pour avoir nouvelles précises de la marche des Dauphinois. Lui-même, en toute hâte et secrètement pendant la nuit, quitta le camp avec tout son monde, et cheminant toute la matinée, il arriva à Abbeville. Là il ordonna à ses gens de boire et manger, et de faire rafraîchir leurs chevaux, sans se loger, car il attendait de moment en moment l'avis de continuer sa route. Bientôt en effet le sire de Saveuse lui fit dire que les Dauphinois s'avançaient vers le passage de la Blanche-Taque, pour aller se réunir au sire de Harcourt, qui les attendait de l'autre côté de la rivière. Il n'y avait pas un instant à perdre. Le Duc fit remonter à cheval ses gens d'armes y laissa les arbalétriers qui ne pouvaient suivre y et continua sa marche par la rive gauche de la Somme. Il recevait de moment en moment message sur message, pour lui dire de se hâter, et que les ennemis commençaient à passer la rivière ; enfin il arriva. Les Dauphinois s'arrêtèrent et se disposèrent à recevoir le combat les deux armées étaient à trois traits d'arc l'une de l'autre. C'était la première fois que le Duc se trouvait a une bataille rangée. Tout pressé qu'il était, il voulut se faire armer chevalier de la main de messire de Luxembourg ; puis lui-même conféra la chevalerie à Philippe de Saveuse, Collart de Comines, Jean de Roubais, Guillaume de Halewin, André et Jean Vilain, et à plusieurs autres. A même moment on fit aussi plusieurs chevaliers dans l'autre armée.

Le Duc envoya tout aussitôt Philippe de Saveuse avec cent vingt lances pour tourner les Dauphinois et les attaquer en flanc. Alors le choc commença il fut rude. Les hommes d'armes des deux partis s'élanceront les uns sur les autres. Les Dauphinois, dont les chevaux n'étaient point fatigués, arrivèrent à pleine course sur les Bourguignons, qui soutinrent d'abord assez bien le choc. Les lances se brisaient les gens d'armes étaient jetés à terre ; on s'approchait de plus près, on en venait aux mains. La mêlée commençait à devenir sanglante, lorsque soudainement une partie des gens du Duc prit la fuite. Tout s'était, fait en si grande hâte, que sa bannière était demeurée aux mains du valet qui la portait. Cet homme eut peur, tourna bride, s'en alla et laissa même tomber la bannière. Ce fut là ce qui commença à mettre l'épouvante parmi les Bourguignons. Le roi-d'armes de Flandre répandit parmi les rangs que son maître venait d'être abattu. L'alarme redoubla de braves chevaliers d'Artois, de Picardie, de Flandre, qu'on avait toujours vus à l'épreuve du péril, se troublèrent et se mirent à la déroute. Ils coururent vers la rivière pour la repasser au pont d'Abbeville mais la ville, toute favorable au Dauphin, leur ferma ses portes ; ils poursuivirent jusqu'à Pecquigny.

Cependant le Duc, reste avec le tiers de son monde, faisait des prodiges de valeur. Jean de Luxembourg reçut une forte blessure au visage fut jeté en bas de son cheval, et fait prisonnier. Le seigneur d'Himbercourt fut aussi blessé et pris. Rien n’ébranla le courage du Duc. Un coup de lance traversa l'arçon de sa selle ; un autre dérangea son armure. Un homme d'armes dauphinois le saisit vigoureusement pour l'entraîner à terre ; il piqua son cheval, et s'arracha de cette étreinte. Près de lui un bon nombre de braves chevaliers combattaient aussi en désespérés. Aucun, ne se montrait si redoutable que le jeune sire de Vilain, que le Duc venait d’armer chevalier. Il était de haute stature et monté sur un fort cheval laissant la bride, il avait pris deux mains sa hache d'armes, et frappait à grands coups parmi la mêlée. Tout ce qui tombât sous sa main était abattu. Il arriva ainsi jusqu'auprès de Saintrailles, qui était venu de Saint-Riquier prendre part à la bataille il eut l'honneur de faire reculer ce vaillant chevalier qui confessa ensuite qu'il n'avait pas osé braver la terrible hache du sire de Vilain. Pendant longtemps on a montré dans la cathédrale de Lille la forte armure de ce gigantesque chevalier[52].

Cependant une partie des Dauphinois, ayant vu la déroute des gens du Duc s'était lancée -à leur poursuite. Cette division fut secourable aux Bourguignons. La victoire leur demeura ils rompirent et mirent en fuite ce qui leur était resté opposé. Le Duc lui-même fut si âpre et si animé au combat, qu'il suivit longtemps la rive de la Somme poursuivant les Dauphinois. Il en prit même deux de sa main. En même temps le sire de Rosimbos avait relevé la bannière de Bourgogne, et rallié une partie des fuyards. La journée se déclara ainsi pour le Duc, et il échappa miraculeusement à un si grand péril par la victoire[53]. Saintrailles et les principaux chevaliers du Dauphin furent faits prisonniers et emmenés à Abbeville. Ceux des Bourguignons qui s'étaient enfuis en abandonnant leur seigneur reçurent de lui un accueil sévère. Quelques-uns étaient de sa maison ; il les en chassa ; on les surnomma les chevaliers de Pecquigny, et il leur fallut longtemps pour effacer par leur bravoure cette honteuse tache.

Ce succès délivra les marches de Picardie des compagnies dauphinoises. Plusieurs forteresses, n'espérant plus de secours, se rendirent. Le sire d'Offemont traita pour Saint-Riquier, et le livra à condition que le Duc remettrait sans rançon Saintrailles, le sire de Conflans et le e sire de Gamaches ; ce fut même par leurs soins que fut conclu cet arrangement[54]. Le Duc leur avait fait un si honorable accueil qu'il leur avait gagné le cœur, et ils s'en retournèrent répandant partout des louanges de sa courtoisie. Amis et ennemis parlaient de lui avec bienveillance, et comparaient ses bonnes façons à la rude fierté des Anglais.

Pendant qu'il remportait la glorieuse victoire de Mons en Vimeu, le roi Henri avait pris Dreux et Beaugency, avait forcé le Dauphin de se retirer derrière la Loire, puis il était venu mettre le siège devant Meaux[55]. Cette garnison qui depuis longtemps trouvait et ravageait tout le pays autour de Paris, était commandée par de vaillants hommes, les sires Guichard de Chizé capitaine, Louis Dugat, Perron de Luppe, Philippe de Gamaches abbé de Saint-Pharon. Mais le plus terrible et le plus renommé de tous était le bâtard de Vaurus ; il avait appartenu au comte d'Armagnac, et pour venger la mort de son maître., il n'y avait pas de cruautés auxquelles il ne se livrât. Il courait les campagnes prenait les marchands et les pauvres laboureurs, les attachait à la queue, de son cheval, et les ramenait à Meaux ; là il les mettait à forte rançon. Quand il n'en pouvait rien tirer, il les faisait pendre par son bourreau ou les pendait lui-même à un grand arbre. Rien n'était plus fameux et plus redouté dans tout le pays et jusqu'à Paris, que l'orme de Vaurus, où il avait accroché tant de malheureux.

Il y avait surtout une aventuré qui excitait la pitié et l'indignation de tous[56]. Ce bâtard avait traîné à Meaux un jeune homme qu'il avait enlevé de sa charrue. Il commença : par le faire mettre la torture, exigeant de lui une rançon exorbitante. Le jeune homme fit savoir à sa femme quels tourments on lui faisait souffrir et quelle somme on lui demandait. Il n'y avait pas un an qu'ils étaient mariés ; elle était sur le point d'accoucher. Elle arriva à la ville pour essayer d'adoucir le cœur de ce cruel tyran ; ses larmes ne le touchèrent point il lui signifia que si, à jour donné, elle n'apportait pas la rançon, son mari serait accroché aux branches de l'orme. Le jeune laboureur s'attendrissait et pleurait, voyant la douleur de sa femme qui l'aimait tant, et elle le recommandait à Dieu en sanglotant. Quelque diligence qu'elle fit elle ne put se procurer la somme que huit jours après le terme assigné, car l'argent était bien rare et tout le monde très-misérable. Elle accourut à la ville. La fatigue, les douleurs de l'enfantement qui commençaient à se faire sentir, l'accablaient de telle sorte qu'elle s'évanouit en arrivant. Sa première parole en reprenant ses sens fut pour demander son mari. « Payez, lui dit-on, puis vous le verrez. » Tandis qu'elle comptait cet argent, elle voyait d'autres laboureurs qui, n'ayant pas de quoi se racheter, étaient pendus ou jetés à la rivière. Son pauvre cœur se serrait, et un mauvais pressentiment l'avait saisie. En effet, quand la rançon fut livrée, ces cruels lui dirent que son mari avait été pendu au jour fixe. Pour lors, la malheureuse créature forcenée de douleur et tout égarée par le désespoir, se mit à leur reprocher leur crime. Le bâtard, à qui ces clameurs déplaisaient, lui fit couper ses robes, et, demi-nue, elle fut, à grands coups de bâton, menée vers l'orme de Vaurus ; elle y fut liée si serré, que les cordes entraient dans la chair. La nuit arriva une nuit froide et pluvieuse le vent agitait au-dessus de sa tête les cadavres des pendus accrochés aux branches de l'arbre, et parfois même leurs pieds venaient toucher jusqu'à sa tête. A tant de souffrances, à tant d'épouvanté que lui donnait cet horrible lieu, s'ajoutèrent bientôt les douleurs de l'accouchement. Elle poussait des cris lamentables ; on les entendait dans la ville, mais personne n'eût osé lui porter le moindre secours, tant on craignait le bâtard. Les loups seuls accoururent, avertis par sa voix gémissante. Le lendemain matin on trouva au pied de l’orme de Vaurus ses restes sanglants, et les lambeaux de son enfant que les loups avaient arraché de ses flancs.

La clameur générale qui s'élevait contre cette cruelle garnison, et l'inconvénient de laisser auprès de Paris un si grand parti de Dauphinois, fit résoudre au roi Henri de s'emparer de Meaux, quoi qu'il en pût coûter[57].

Il alla y mettre le siège vers le commencement de novembre. Ce fut en effet une entreprise difficile. La misère, la famine, les maladies régnaient sur un pays depuis si longtemps en proie aux gens de guerre, et se firent bientôt sentir aux Anglais. Ils manquaient de vivres ; ils mouraient par milliers de l'épidémie qui durait toujours. Leurs souffrances les rendaient plus cruels et le roi ainsi que ses capitaines étaient devenus plus impitoyables que jamais. Vainement on se plaignait à eux ; ils ne faisaient que s'en moquer, et eux-mêmes encourageaient leurs hommes à se rendre plus exigeants[58]. C'était, comme disait le pauvre peuple, un gouvernement de loups ravissants, qui emportaient la brebis avec la laine, qui dévoraient la chair avec le sang. Aussi les habitants qui avaient déjà tant souffert et depuis tant d'années, qui ne croyaient pas que leur malheur pût croître, devenaient tous comme insensés de désespoir ; ils laissaient là femmes et enfants, et s'en allaient éperdus. « Que devenir ? disaient-ils ; il vaut mieux nous mettre en la main du diable, et faire partout du pis que nous pourrons. Nous allons tout quitter, et nous jeter dans les bois comme des bêtes féroces. Qu'importe ce que nous deviendrons ? Aussi bien que peut-on nous faire que nous tuer ? que peut-il nous advenir de pis que le gouvernement de tous ces traîtres, de tous ces seigneurs, plus barbares que les Sarrasins, qui, depuis quatorze ou quinze ans, ont commencé cette cruelle danse, qui se font périr les uns les autres par le glaive, le poison, la trahison, et que nous voyons mourir l'un après l'autre par mort violente, et sans concession ? »

Ce n'était pas seulement les gens de la campagne qui se livraient à cette rage de la souffrance. Les Parisiens manquant de pain, dépouillés de leur dernier avoir par les taxes, voyant changer chaque semaine la valeur des monnaies, vendaient ou quittaient leurs maisons paternelles, mettaient leurs meubles à l'encan, et partaient de cette ville maudite. Les uns s'en allaient dans les pays du Dauphin, les autres à Rouen il y en avait qui se faisaient aussi brigands dans les bois, comme les paysans.

Aussi lorsqu'au mois de janvier le duc de Bourgogne arriva à Paris, il fut reçu avec de grands transports de joie. Chacun espérait qu'il prendrait les intérêts de la France contre les anciens ennemis du royaume, devenus ses maîtres. On alla au-devant de lui en corps ; le peuple se porta en foule sur son passage. Le peu de conseillers qui étaient demeurés près du roi et de la reine, lui exposèrent l'état horrible de Paris et de la contrée. Il répondit à tous avec affabilité, et s'efforça de relever le courage et la confiance du peuple par de bonnes promesses. Bientôt après il se rendit au camp du roi d'Angleterre devant Meaux ; le prince d'Orange et quelques autres seigneurs bourguignons refusèrent de Fy suivre il y consentit volontiers ; leur séjour avec les Anglais, leur fierté et l'insolence de ceux-ci, la rigueur du roi Henri, auraient fait naître de continuelles occasions de discorde[59]. La noblesse et les communes de la province de Bourgogne étaient françaises dé cœur. Déjà, dans les assemblées d'hommes d'armes que la Duchesse douairière avait convoquées, le sire de Saint-Georges et d'autres, avaient, comme le prince d'Orange, hautement parlé de refuser tout serment au traité de Troyes. L'accueil que le Duc reçut au camp des Anglais ne dut pas disposer plus favorablement ses serviteurs il n'y obtint aucun soulagement pour les peuples aucune vengeance du sire de Barbazan ; tout au plus réussit-il à sauver de la mort le sire de l'Isle-Adam, que le roi Henri voulait faire périr ; encore ne fut-il pas remis en liberté.

Après peu de jours, il revint donc à Paris[60]. Le peuple lui montra d'abord les mêmes transports, la même confiance ; mais lorsqu'on vit qu'il ne pouvait faire aucun bien à cette ville, où il était tant aimé, où sa maison avait toujours eu un si grand parti, on commença à se dégoûter de lui. On le trouvait encore plus insouciant que son père pour les maux du peuple, et plus lent à y porter remède. Il lui fallait, disait-on, trois ans pour arriver à ce qui pouvait se faire en trois mois. On lui reprochait de n'être entouré que de jeunes chevaliers pleins de folie et de présomption, de n'écouter que leurs avis, et de mener une vie de dissipation, comme avaient fait le feu duc d'Orléans et tous ces princes qu'on avait vus finir honteusement ; on s'indignait qu'il songeât si peu à la mémoire de son père, et ne se mît pas plus en peine pour venger sa mort[61]. Ce qui n'ajoutait pas peu à ce blâme du commun peuple, c'étaient les ravages de l'armée bourguignonne dans les campagnes de la rive gauche[62] où elle était cantonnée. Enfin il prit la route de son duché, et arriva à Dijon le 19 février 1422.

Pendant ce temps, le siège de Meaux continuait toujours il dura plus de sept mois. Jamais on n'avait vu tant de courage et de constance que n'en montra le bâtard de Vaurus et les autres chefs de la garnison ils bravaient les Anglais et leur criaient des injures de dessus les murailles ; l'artillerie repoussait toutes les attaques, et tuait l'élite de leurs hommes d'armes ; le comte de Worcester, lord Clifford y périrent[63]. Jean Cornwallis, un des plus braves capitaines de l'armée d'Angleterre, y fut blessé ; au même instant son fils unique, jeune écuyer de la plus noble espérance, fut atteint à ses côtés d'un boulet qui lui emporta la tête. Ce malheur abattit tout le courage du père ; il lui sembla que la guerre qui lui coûtait son fils, était une entreprise damnable qu'il était contraire à Dieu et à la raison de vouloir priver le Dauphin de son héritage que c'était mettre son corps et son âme en péril, de persister en un tel dessein. Rien ne put le retenir ; et il jura de ne plus désormais porter les armes contre les chrétiens[64].

Mais rien ne pouvait vaincre l'obstination du roi d'Angleterre ; ses plus vaillants chefs tombaient dans les assauts la famine et la maladie dépeuplaient son armée, sans qu'il songeât à quitter son camp. Cette valeureuse résistance d'une forteresse de France jeta pourtant en son âme un pressentiment funeste ; on crut même qu'il avait connaissance de quelque prophétie sinistre pour l'Angleterre[65]. Toujours est-il que lorsqu'il apprit que madame Catherine sa femme avait mis au monde un fils au château de Windsor, au lieu de se féliciter, comparant son sort au sort à venir de cet enfant qui venait de naitre, il répondit tristement à lord Fitz-Hugh son chambellan « Henri, né à Montmouth, aura régné peu et conquis beaucoup : Henri, né à Windsor, régnera longtemps et perdra tout ; mais la volonté de Dieu soit faite. »

Une si belle défense méritait tous les soins et tous les secours du Dauphin. Le sire d'Offemont, un de ses plus braves chevaliers, fut envoyé pour conduire un renfort à la garnison de Meaux. L'entreprise fut prudemment concertée pendant qu'une partie de ses gens faisaient une fausse attaque sur le camp des Anglais, le sire d'Offemont pénétra, durant la nuit, jusque dans le fossé. Les assiégés étaient prévenus ; ils descendirent des échelles. Le chevalier, en capitaine bien avisé, commença par faire monter devant lui ceux qui l'accompagnaient. Tous gravissaient en silence, 'et lui derrière eux, lorsque par malheur un des siens, qui peu d'heures auparavant avait volé à un marchand un gros bissac tout rempli de harengs, et qui le portait à son cou, le laissa choir du haut de l'échelle. Le bissac tomba sur la tête du sire d'Offemont, et l'abattit dans le fossé ; aussitôt ses gens s'écrièrent « Ah ! mon Dieu ! Monsieur est tombé ; vite, au secours de Monsieur. » Le guet des Anglais les entendit ; l'entreprise fut découverte, et le sire d'Offemont fait prisonnier[66].

Ce revers commença à décourager la garnison et encore plus les habitants la ville ne tarda pas à être emportée par un assaut. Mais elle était divisée en deux par la rivière de Marne, et formait, sur chaque rive, comme une forteresse séparée. Le bâtard de Vaurus se réfugia dans l'autre partie qu'on nommait le Marché, et continua de s'y défendre avec la même audace. Le roi d'Angleterre s'empara ensuite d'une petite île fortifiée entre les deux villes, et de là son artillerie écrasait les assiégés ; toutefois ils ne se rendirent pas, et surent encore repousser vigoureusement un rude assaut qui leur fut livré ; ils firent même une sortie où ils surprirent une grosse troupe d'Anglais. Ceux-ci se défendirent avec courage, et périrent tous hormis un qui s'enfuit. Le roi d'Angleterre, pour le punir de sa lâcheté, le fit enterrer vif avec ses compagnons morts à la bataille. Enfin dans les derniers jours d'avril, les assiégés, se voyant sans nulle ressource consentirent à traiter. Ils furent obligés de se rendre à discrétion. Le roi d'Angleterre fit pendre le bâtard de Vaurus à son arbre, et sa bannière lui fut plantée dans la poitrine[67]. Les uns disaient que c'était la juste punition de ses cruautés ; les autres, que le roi d'Angleterre ne se comportait pas honorablement, en faisant périr un si vaillant homme. Son cousin, Denis de Vaurus, fut conduit à Paris il y fut exécuté avec Louis Dugast et deux autres chevaliers. Le trompette, qui avait crié tant d'injures aux Anglais de dessus la muraille, fut aussi pendu ; les autres chevaliers et hommes d'armes se rachetèrent par d'excessives rançons[68]. Philippe de Gamaches, abbé de Saint-Pharon, que le vulgaire nommait l'évêque de Meaux, et qui avait combattu aussi vaillamment que les gens de guerre, était tombé aux mains des Anglais, avec trois religieux de Saint-Denis, dont le courage, durant le siège, n'avait pas été moindre[69]. Pierre Cauchon, évoque de Beauvais, afin de se montrer zélé serviteur des Anglais, faisait grande diligence de faire mourir ces braves ecclésiastiques il leur imputait comme un crime d'avoir porté les armes bien que, d'après des gens sages et doctes, la défense fût de droit naturel, civil et canonique. On les tenait dans une rude prison. Cependant, sur les instances de l'abbé de Saint-Denis, et bien plus encore parce que le sire de Gamaches, capitaine de Compiègne, livra la ville aux Anglais pour sauver son frère l'abbé de Saint-Pharon et les trois religieux furent délivrés[70].

Le roi d'Angleterre avait pourtant été ému d'admiration aussi-bien que de colère pour cette prodigieuse défense delà ville de Meaux, et pour le prouver, il offrit au sire de Chizé, capitaine de la garnison, de le combler de biens s'il voulait passer à son service ; le chevalier refusa, et demeura fidèle au Dauphin et à la France[71].

Un petit nombre de chevaliers bourguignons étaient demeurés avec le roi d'Angleterre, et ils avaient montré leur vaillance accoutumée dans les assauts livrés à la ville. Une autre assemblée d'hommes d'armes, sous les ordres de Jean de Luxembourg, continuait la guerre avec les Dauphinois sur les marches de Picardie.

Durant ce temps-là le duc Philippe réglait tout dans sa province de Bourgogne. Il fit son entrée à Dijon le 19 février ; il y jura d'entretenir et de confirmer, à l'exemple de ses prédécesseurs, les privilèges de la ville et reçut les serments des maires et échevins, ainsi que ceux des députés des autres villes du duché[72]. Les cérémonies furent, comme on peut croire, de la plus grande magnificence il y eut des représentations des mystères de la religion et des martyrs des saints. La ville fit des présents à tous les officiers de la maison du Duc ; le chancelier eut deux muids de vin et deux mines d'avoine, et chacun en proportion ; les habitants se taxèrent pour-subvenir aux dépenses de cette belle réception de leur seigneur. Il ne fut pas moins généreux et, magnifique il distribua des présents et des aumônes, et fit, selon la coutume, ouvrir les prisons de la ville ; on avait eu soin auparavant de transférer dans la tour de Marcenay tous les prisonniers impliqués dans le meurtre du duc Jean.

Le Duc se retrouvait avec sa mère et ses sœurs ; sa famille lui donna les marques de la plus vive amitié ; un nouveau service funèbre pour son père fut fait aux Chartreux, et toute la noble maison de Bourgogne y assista avec les seigneurs du duché.

La première affaire qui se traita ensuite fut difficile et fâcheuse il s'agissait de faire jurer à la ville de Dijon la paix de Troyes, cette paix qui donnait le royaume a ses anciens ennemis. Le roi d'Angleterre pour plus de sûreté, avait fait nommer, par le conseil de France des commissaires pour requérir ce serment à peine en eurent-ils fait connaître les clauses, que chacun en fut révolté les bourgeois s'assemblèrent aux Jacobins, et résolurent de refuser le serment. Cependant le maire et les échevins crurent trouver un moyen terme, et proposèrent de jurer qu'ils tiendraient pour roi de France celui que leur seigneur reconnaîtrait pour tel les commissaires déclarèrent qu'ils ne se contenteraient point de ce serment. Le Duc se trouva dans un grand embarras il ne voulait point mécontenter le roi d'Angleterre, et cependant il ne pouvait s'irriter contre ses fidèles sujets qui lui montraient confiance et soumission. En outre c'étaient ses propres droits qu'ils défendaient ; car une des clauses qui les choquait le plus, c'était de jurer qu'ils se regarderaient comme sujets et hommes liges du roi de France et d'Angleterre. Le Duc consentit à ce que cet article fût retranché ; mais les commissaires refusèrent d'adhérer à ce retranchement. Enfin pour résoudre les difficultés, il fut convenu que le serment serait prêté en présence du Duc, dans sa chambre que le procès-verbal déclarerait que c'était seulement par son exprès commandement, ainsi que le constateraient encore mieux les lettres qu'il ferait délivrer à cet effet.

Le Duc s’occupa ensuite de tout ce qui pouvait contribuer à l'avantage de ses sujets et au bon ordre de ses états il confirma et renouvela un traité de paix conclu avec la duchesse de Bourbon, dont le mari était, depuis Azincourt, prisonnier des Anglais il assura par-là le repos du Beaujolais. La promesse de mariage entre Agnès de Bourgogne et Charles, fils du duc de Bourbon, fut aussi l'objet d'assurances nouvelles et réciproques. II termina un grand nombre d'affaires et de procédures qui traînaient en longueur depuis beaucoup de temps ; il statua sur les unes en son conseil d'autres furent réglées dans le parlement qu'il assembla à Dôle. C'était encore un parlement selon les coutumes anciennes, qui ne siégeait point d'habitude et se formait de gens de son conseil ou pris dans les trois Etats. Le Duc le réunissait à sa volonté pour traiter des affaires du duché et pour juger des appels. Il nomma les chevaliers et autres qui devaient le composer, et il fixa leur salaire à tant par jour pour la durée du Parlement. On s'y occupa de régiments généraux de police, de justice et de finances. Par suite de ce qui y fut résolu, des commissaires réformateurs furent envoyés dans les bailliages et prévôtés les lettres du Duc 'e leur conféraient le même pouvoir qu'aux juges assemblés en parlement ils pouvaient corriger les abus et prononcer des jugements au criminel.

Il fallut aussi tenir les Etats de Bourgogne, car les finances étaient en pauvre situation. Les conseillers du Duc représentèrent à quelles dépenses il avait été contraint par le meurtre de son père, l'entretien des troupes, les voyages, les sièges, les frais de sollicitation, les guerres soutenues pour défendre le duché ou entreprises pour le service du roi, enfin, par la nécessité d'assembler encore les gens de guerre pour combattre les Dauphinois. La conclusion fut qu'en de telles circonstances il fallait une aide au moins double de celle qui avait été accordée au duc Jean lors de son avènement. L'assemblée remontra quelle était la misère du peuple, la mortalité sur les hommes et le bétail, les dommages causés par le passage des gens de guerre enfin le subside fut réglé à 36.000 livres ; le Duc proposa quatre élus pour en surveiller la répartition par feu, et en suivre la levée[73].

Le Duc se rendit ensuite dans la Comté, où il prêta foi et hommage à l'archevêque de Besançon, pour les fiefs qu'il tenait de lui, et renouvela le traité par lequel cette ville impériale s'était mise sous la garde des ducs de Bourgogne.

De là il vint à Genève chez son oncle le comte de Savoie, qui lui donna de grandes fêtes avec des joutes sur le lac. A son retour à Dijon, il reçut avec non moins de pompe le duc Charles de Lorraine. Deux grands tournois furent célébrés au premier, le duc Philippe parut vêtu de taffetas vert, contre sa coutume, car il s'habillait toujours en noir il portait la devise : Pour la servir. Le lendemain il avait adopté la couleur gris-blanc, et la devise : Roye et Gand. Ce voyage du duc de Lorraine fut avantageux au parti que suivait le duc de Bourgogne ils contractèrent une alliance par laquelle le duc Charles s'engagea à reconnaître le traité de Troyes.

Pendant que le Duc donnait ainsi tous ses soins au gouvernement de son duché, et passait son temps dans les entrevues et les têtes la guerre se continuait. Meaux n'était pas encore rendu le sire de Luxembourg s'emparait du Quesnoy et de quelques autres forteresses sur les marches de Flandre et de Picardie. Mais d'un autre côté les Français avaient de plus grands avantages. Les Bourguignons, sous les ordres du sire de la Roche-Baron, gentilhomme du Forez, s'étaient répandus dans le Lyonnais et l'Auvergne, et y commettaient beaucoup de désordres. Les habitants de ces provinces résolurent de se défendre. Imbert de Grollée, bailli de Lyon, le sire de la Fayette, le sire Bernard d'Armagnac, formèrent une assemblée de gens d'armes[74]. Les Bourguignons se renfermèrent dans la forteresse de Serverette ils y furent assiégés les Français y mirent le feu, et le sire de la Roche-Baron se sauva presque seul. Toute l'Auvergne fut perdue, le Charolais et le Mâconnais menacés, le comté de Nevers envahi ; bientôt après la ville de La Charité fut prise, et la garnison de Cosne forcée à promettre qu'elle rendrait la ville si elle n'était point secourue avant le 6 d'août. Il devenait donc pressant de s'opposer au progrès des armées du Dauphin. Le Duc instruisit le roi d'Angleterre du danger que courait la ville de Cosne et lui fit remontrer combien il importait de la sauver lui-même envoya un héraut au Dauphin, pour lui faire savoir qu'il se trouverait au rendez-vous avant le jour fixé le prince répondit qu'il l'attendrait de pied ferme.

Le roi Henri, qui était en ce moment à Senlis, où il était venu au-devant de la reine sa femme promit de se rendre en personne au secours de la ville de Cosne. Le Duc se mit en route le 9 juillet, pour se réunir avec lui à Troyes, où devaient aussi lui arriver ses troupes de Flandre. Mais à ce moment il reçut la nouvelle triste et inattendue de la mort de madame Michelle de France, sa femme ; elle venait d'être enlevée tout à coup, à l'âge de vingt-huit ans, par une maladie vive et rapide. Les peuples de Flandre et surtout les Gantois, témoins, depuis plusieurs années, de sa douceur, de sa bonté, de ses aumônes, furent frappés de douleur par cette funeste mort ; ils ne voulurent pas croire qu'elle fût naturelle, et y cherchèrent quelque cause de sortilège ou de poison. Leurs soupçons se portèrent bientôt sur la dame Ursule, femme du seigneur de la Viefville, et dame de la princesse. Après avoir joui de toute sa faveur, elle venait d'être renvoyée de sa maison, ; sur cette idée les Gantois envoyèrent cent vingt hommes pour se saisir de la dame de la Viefville qui était à Ath ; quelques gentilshommes de sa parenté s'opposèrent à cette exécution. Les gens de Gand étaient si animés, qu'ils mirent en prison leurs commissaires, pour s'être mal acquittés de la charge qu'on leur avait confiée. L'affaire fit tant de bruit, que les officiers de justice du Duc firent des informations à Lille, à Arras, à Dijon ; le Parlement de Paris en ordonna aussi ; le sire de Roubais se trouva compris dans ces accusations[75]. La procédure dura longtemps ; le sire de Roubais fut d'abord condamné au bannissement, par contumace ; enfin, après une année, la complète innocence delà dame Ursule fut reconnue, et le Duc lui fit même une réparation.

La triste nouvelle de cette mort arrêta pendant quelques jours la marche du dus Philippe mais le terme où Cosne devait se rendre approchait, et il fallait secourir la ville. Le roi d'Angleterre était tombé gravement malade il envoya son frère, le duc de Bedford, qui assembla l'armée anglaise à Vézelay ; les Bourguignons étaient réunis à Avallon. Les deux armées, sous les ordres du Duc de Bourgogne et de Jean de Luxembourg., du duc de Bedford et du comte de Warwick, arrivèrent le 11 août devant Cosne[76].

Le Dauphin, sachant combien étaient considérables les forces des ennemis, ne jugea pas à propos de les combattre ; il rendit aux gens de Cosne les otages qu'ils avaient donnés, repassa la Loire et se retira, sur Bourges. Quelques-uns des Anglais et des Bourguignons voulurent le poursuivre et furent repoussés.

Il n'eût pas été prudent de passer la rivière et de s'engager dans le Berri ; les vivres étaient devenus si rares, que la marche des armées n'était pas chose facile elles souffraient beaucoup de la famine et ne pouvaient rester longtemps assemblées ; d'ailleurs le duc de Bedford avait laissé le roi Henri très-malade, et les nouvelles qu'il en recevait lui donnaient peu d'espoir. Le duc de Bourgogne ramena l'armée près de Troyes, et les seigneurs anglais se hâtèrent de revenir près de leur roi qui s'était fait transporter en litière à Vincennes.

Ils le trouvèrent gisant sur son lit, connaissant bien qu'il approchait de la mort, et la voyant venir avec sa fermeté accoutumée[77]. Il chercha à les consoler par des paroles graves et douces : « Je vois bien, leur » dit-il, que Dieu ne veut plus me laisser en ce monde. Mon cher frère Bedford je vous prie, au nom de la loyauté et de l'amour que vous avez toujours eus pour moi, d'être aussi toujours bon et loyal pour mon fils Henri. Par-dessus tout, je vous recommande de ne pas souffrir tant que vous vivrez, quelque chose qu'il advienne, qu'aucun traité soit fait avec notre adversaire Charles de Valois, à moins que la Normandie ne reste entièrement à mon fils. Jusqu'à ce qu'il soit en âge de gouverner ses affaires, gardez-vous aussi de délivrer de prison notre cousin d'Orléans, le comte d'Eu, le seigneur de Gaucourt et le sire de Chizé, ancien gouverneur de Meaux. Je vous laisse le gouvernement de France, à moins que notre frère de Bourgogne ne veuille l'entreprendre ; car, sur toutes choses, je vous conjure de n'avoir aucune dissension avec lui. S'il arrivait par malheur, et Dieu vous en préserve, quelque malveillance entre vous et lui, les affaires de ce royaume, qui semblent fort avancées pour nous, deviendraient mauvaises. Recommandez ceci bien expressément à mon frère de Glocester, à qui je laisse le gouvernement d'Angleterre dites-lui que, pour quelque motif que ce soit, il n'en sorte point, et ne vienne jamais en » France. — Pour vous, mon cousin de Warwick, je veux que vous soyez le maître de mon fils que vous demeuriez avec lui pour le conduire et l'enseigner selon son état ; je ne saurais y mieux pourvoir. — Mon frère de Bedford, en souvenir de m'avoir tant aimé, vous surveillerez et visiterez souvent votre neveu. »

Le duc de Bedford, le comte de Warwick, sir Louis Robsart, et ceux de ses plus dévoués serviteurs qui l'entouraient, répondirent avec tendresse et soumission qu'ils lui obéiraient en tout ; mais leur cœur était plein de douleur, et ils ne pouvaient retenir leurs larmes. Le sire Hugues de Lannoy, qui était venu de la part du duc de Bourgogne s'enquérir des nouvelles du roi d'Angleterre, assistait à ces nobles adieux, et alla reporter à son maître les assurances dernières de l'amitié de son royal allié.

Puis il fit entrer ses médecins et leur demanda de lui dire franchement combien de temps il avait encore à vivre ; ils demeurèrent un moment sans répondre enfin l'un d'entre eux lui dit que Dieu pouvait, par sa grâce, lui conserver la vie. « C'est la vérité que je veux, dit-il, répondez-moi. » Ils se retirèrent un moment à l'écart, et après quelques paroles dites entre eux, un médecin se mit à genoux devant son lit, et lui dit : « Sire, pensez à votre âme ; il nous semble que, sauf la miséricorde divine, vous n'avez pas deux heures[78]. » Pour lors il manda son confesseur et quelques gens d'église ; il pria qu'on lui récitât les psaumes de la pénitence. Quand on en vint à ces paroles du vingtième verset du Miserere : Ut œdificentur muri Hierusalem, il les fit arrêter : « Ah ! dit-il, si Dieu eût voulu me laisser vivre mon âge, après avoir mis fin à la guerre de France, réduit le Dauphin à la soumission ou l'avoir chassé du royaume dans lequel j'aurais établi une bonne paix, je serais allé conquérir Jérusalem ; car ce n'est pas l'ambition ni l'amour de la vaine gloire du monde qui m'a mis les armes à la main. Je voulais dépendre mon bon droit, réclamer mon héritage, et rendre aux peuples le repos dont ils ont tant de besoin. Les guerres que j'ai entreprises ont eu l'approbation de tous les prud'hommes et des plus saints personnages ; je les ai commencées et poursuivies sans offenser Dieu et sans mettre mon âme en péril. » Ensuite on se remit à chanter les psaumes, et peu après il rendit l'âme c'était le 31 août 1422[79]. »

Ainsi périt, à l'âge de trente-quatre ans, après un règne de neuf années, ce roi qui avait porté si loin la puissance de l'Angleterre. Il était regardé comme un prince habile et sage, ferme et hautain dans sa volonté, et sachant mener à la fin les choses qu'il entreprenait. Les Anglais avaient pour lui beaucoup d'amour, de respect et de crainte. Il était impitoyable dans ses justices, et ne souffrait pas qu'on s'écartât de ses ordonnances. Les Français louaient en lui la soumission où il tenait les princes de son sang et ses capitaines, mais ils le trouvaient plus altier et plus dur dans ses façons que ce n'est la coutume en France. Le menu peuple, le voyant porté à traiter sévèrement les gentilshommes, à punir leurs insupportables violences et leurs extorsions, a les empêcher de faire nourrir leurs chevaux, leurs chiens et leurs oiseaux par les pauvres laboureurs, commençait à s'attacher à lui ; le clergé même lui rendait grâce de la volonté qu'il faisait paraître de réprimer la licence. Le bruit courait parmi le vulgaire que sa maladie lui avait été envoyée par saint Fiacre, parce qu'il avait eu la volonté de faire transporter en Angleterre les précieuses reliques de ce saint. Il était mort en effet de la dysenterie et des hémorroïdes qu'on nommait alors le mal saint Fiacre.

Les Anglais désolés lui firent des funérailles magnifiques son corps fut embaumé, déposé d'abord à Saint-Denis, où fut célébré un service solennel, puis placé sur un chariot ; on y avait fait, en cuir bouilli, une représentation de sa figure, qui gisait sur un lit de parade, vêtue de tous les ornements royaux. Ce char était traîné par quatre chevaux le premier portait un collier aux armes d'Angleterre ; le second, aux armes de France et d'Angleterre écartelées ; le troisième aux armes de France ; le quatrième avait l'armoirie du fameux et invincible roi Artus de Bretagne, trois couronnes sur un écu d'azur un pompeux cortége accompagnait le char funèbre. Le duc de Bedford et toute la maison du roi d'Angleterre suivaient en grand deuil. Des hommes vêtus de blanc portaient des torches. On cheminait lentement, chantant des psaumes et l'office des morts. Le clergé sortait des villes pour venir au-devant du convoi, et conduisait le char sous un dais jusqu'à l'église principale ; le lendemain matin il reprenait sa route. Ce fut de la sorte que ses obsèques se rendirent à Calais, en suivant la route de Rouen et d'Abbeville la foule se portait sur le passage ; c'était l'objet de la curiosité de tous, et l'on ne parlait d'autre chose. On racontait toute cette magnificence à un vieux chevalier nommé messire Sarrazin que la goutte empêchait d'aller voir ce convoi, et comme on lui disait que cette figure représentant le roi d'Angleterre était vêtue comme lui de son vivant : « A-t-il ses houzeaulx ? demanda-t-il. Non, lui répondit-on. Hé bien, mes bons amis, en voulant conquérir la France, il aura perdu ses houzeaulx. » On s'amusa beaucoup-de cette plaisanterie, et l'on en tirait bon augure pour le royaume[80].

Le duc de Bourgogne était arrivé trop tard pour être présent aux derniers moments du roi Henri il assista à ses funérailles. Conformément aux conseils que son frère mourant lui avait donnés, le duc de Bedford offrit la régence de France au duc de Bourgogne il refusa de s'en charger. Dans ce moment difficile où la mort de ce grand roi préoccupait encore les esprits, où il semblait que tout allait se perdre si l'on ne suivait pas ses sages volontés, les Anglais s'attachèrent principalement à se concilier l'amitié du duc Philippe[81]. La reine Isabelle, qui revint bientôt après avec le roi, de Senlis à Paris, lui fit aussi un accueil de grande affection. Elle souhaitait, disait-on, d'avoir la régence[82] ; mais elle fut déférée au duc de Bedford, qui passait pour un sage prince. Un des premiers actes de son gouvernement fut d'accorder au duc Philippe la liberté du sire de l'Isle-Adam, qui, malgré les soupçons répandus parmi les Anglais, resta fidèle Bourguignon, et ne passa point dans le parti du Dauphin.

Le Duc, après avoir séjourné quelques semaines à Paris, s'en retourna dans ses états de Flandre. Il avait pourvu avec le plus grand soin aux affaires du duché et du comté de Bourgogne. Lorsqu'il en était parti, il venait d'y établir une chambre du conseil, à laquelle il avait donné les plus grands pouvoirs pour gouverner d'administrer la justice, les finances, et faire toutes les choses bonnes et convenables pour la sûreté et le contentement de la chose publique. Cette chambre pouvait voir et connaître de toutes plaintes et clameurs, recevoir toutes requêtes et y pourvoir, connaître de tous cas criminels et civils ordinairement et extraordinairement, ainsi que des appellations des Parlements de Beaune, de Dôle et de Saint-Laurent près Mâcon les évoquer devant elle, et instruire les procès et appellations jusqu'à sentence définitive exclusivement élire quatre de ses membres ou autres pour aller, en qualité d'auditeurs, tenir les jours dan$ le ressort du Parlement de Beaune en6n~ pourvoir à tous attentats, abus de justice et autres cas de réformation. Elle était présidée par le plus renommé et le plus habile des conseillers du Duc, Guy Arménier, docteur en droit, qui, durant les huit premières années de son règne, fut constamment appelé par ce prince et toute sa famille pour conclure et écrire tous les traités de mariage ou d'alliance ; tant était, grande la confiance qu'on mettait en lui. Les autres conseillers de cette chambre souveraine étaient le sire de Pontailler, le seigneur de Commarin, le seigneur de Milliers, chambellan du Duc, Jacques de Busseul, son écuyer, Jean Chossat, maître des comptes, Jean Noisdent, son trésorier et gouverneur des finances, maître Guillaume le Changeur, maître Claude Pochette, maître Guichard de Ganay, et maître Jean de Terrant[83].

Quarante jours après que le duc de Bourgogne eut quitté Paris, le roi de France tomba malade de la fièvre quarte, et mourut presque aussitôt. Déjà depuis longtemps il n'avait plus ni raison ni mémoire ; cependant il était toujours demeuré chéri et respecté du pauvre peuple ; jamais on ne lui avait imputé aucun des malheurs qui avaient désolé le royaume pendant les quarante-trois années de son règne. On se souvenait que, dans sa jeunesse, il avait su plaire à tous par sa douceur, sa courtoisie, ses manières aimables : que de grandes espérances de bonheur avaient été mises en lui, et qu'il avait été surnommé le Bien-Aimé[84]. On s'était toujours dit que les maux publics, les discordes des princes, les rapines des grands seigneurs, le défaut de bon ordre et de discipline, provenaient de l'état de maladie où était tombé ce malheureux prince. La bonté., qu'il laissait voir dans les intervalles de santé, avait augmenté cette idée, et avait fait de ce roi insensé un objet de vénération, de regret et de pitié ; le peuple semblait, l'aimer de la haine qu'il avait eue pour tous ceux qui avaient gouverné en son nom. Quelques semaines encore avant sa mort, quand il était rentré dans Paris, les habitants au milieu de leurs souffrances et sous le dur gouvernement des Anglais, avaient vu avec allégresse leur pauvre roi revenir parmi eux, et l'avaient accueilli de mille cris de Noël. C'était un sujet de douleur et d'amertume que de le voir ainsi mourir seul sans qu'aucun prince de France, sans qu'aucun grand seigneur du royaume lui rendît les derniers soins. En attendant le retour du régent anglais qui suivait alors le convoi du roi Henri, le corps du roi de France fut laissé à l'hôtel Saint-Paul, où chacun put, durant trois jours, le venir voir à visage découvert, et prier pour lui : c'est à quoi ne manquait pas le menu peuple. « Ah cher prince, disait-on en pleurant par les rues ; jamais nous n'en aurons un si bon que toi ; jamais plus nous te verrons maudite soit ta mort ; puisque tu nous quittes, nous n'aurons jamais que guerres et malheurs. Toi, tu t'en vas au repos ; nous demeurons dans la tribulation et la douleur ; nous semblons faits pour tomber dans la détresse où étaient les enfants d'Israël durant la captivité de Babylone. »

Pendant vingt jours, tous les corps de la ville et du royaume vinrent l'un après l'autre visiter la chapelle de l'hôtel Saint-Paul, et faire des prières sur le corps du roi ; puis revint le duc de Bedford qui ordonna les obsèques le Parlement avait déjà commis un de ses membres pour y pourvoir en vendant les meubles du roi, tant la détresse des finances était grande[85]. Cependant le convoi fut magnifique. La représentation du corps, revêtue de tous les vêtements et ornements royaux, était placée sur le cercueil. Tout le clergé de Paris, les religieux des couvents, sept évêques, un grand nombre d'abbés, tenaient la droite du cortège ; l'Université était à gauche ; les gens du Parlement soutenaient le dais au-dessus du corps ; les serviteurs de la porte et les écuyers portaient le cercueil. Les gens de la maison étaient rangés à la droite, les prévôts de Paris et des marchands à la gauche ; le premier valet de chambre tout auprès du corps, et le grand chambellan à la tête.

Puis venaient les pages, et ensuite le duc de Bedford à chevalet vêtu de noir, seul prince qui suivît les funérailles du roi. C'était une grande pitié que de voir ainsi le deuil du roi de France mené par un Anglais par un ancien ennemi du royaume qui en était devenu le maître. Toute la royale famille .de France était dispersée le Dauphin et ses partisans étaient traités en ennemis d'autres étaient depuis huit années prisonniers en Angleterre ; mais le duc de Bourgogne, pourquoi n'y était-il pas ? Voilà ce qui étonnait et indignait beaucoup de bons et loyaux Français[86]. « Ah disaient-Ils, et même assez haut, durant cette triste procession, c'est vous, duc de Bourgogne, qui l'avez mis aux mains de ses ennemis ; vous avez sa maladie, et qu'elle était mortelle, et vous n'êtes point venu recueillir ses derniers soupirs. Depuis sa mort on vous a attendu, et vous n'avez point paru ; si vous l'eussiez voulu, on eût encore différé jusqu'à votre retour, mais vous l'abandonnez en sa mort comme en sa vie. » Les motifs que répondaient les serviteurs qu'il avait envoyés au duc de Bedford pour s'excuser ne semblaient pas suffisants ; la crainte de céder le pas à ce prince d'Angleterre, ne le dispensait pas, disait-on, de ce saint devoir[87].

Lorsque le cortége fut à la croix qui est à moitié chemin de Paris à Saint-Denis les hanouards, ou mesureurs de sel, ayant chacun une fleur de lis sur la poitrine, se chargèrent du cercueil, conformément à leurs privilèges, et le portèrent jusqu'à l'entrée du bourg de Saint-Denis où les religieux devaient le prendre ; mais ce fardeau, de plus de quatorze cents livres pesant, leur paraissant trop lourd, ils promirent de l'argent aux hanouards pour qu'ils continuassent jusqu'à l'église.

Le service fut célébré, sans préjudice des droits de l'abbé de Saint-Denis, par le patriarche de Constantinople, qui faisait alors fonction d'évêque de Paris car les Anglais ne permettaient point que le célèbre docteur Courtemisse, que le chapitre avait élu, prit possession de son siège.

L'église était tendue en noir, et on l'avait éclairée de tant de cierges, qu'on estima qu'il s'y était brûle vingt milliers de cire. Les aumônes furent aussi toutes royales seize ou dix-huit mille personnes reçurent chacune trois blancs.

Lorsque le corps fut descendu dans le caveau, les huissiers d'armes de chez le roi brisèrent leurs baguettes et les jetèrent sur le cercueil ; puis ils renversèrent leurs masses, et les autres serviteurs baissèrent aussi leurs épées, comme pour signifier que leur charge était finie. Pour lors Berri, roi d'armes de France, cria à haute voix : « Dieu veuille avoir pitié et merci de l’âme de très-haut et très excellent prince Charles, roi de France, sixième du nom, notre naturel et souverain seigneur. » Ensuite il reprit : « Dieu accorde bonne vie à Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et d'Angleterre, notre souverain seigneur. » Les sergents relevèrent aussitôt leurs armes et leurs masses, et crièrent « Vive le roi vive le roi ![88] »

Après la cérémonie, une dispute vive s'éleva entre les mesureurs de sel, les religieux de l'abbaye, et les gens de la maison du roi, pour savoir à qui appartiendraient quelques ornements funéraires. On allait en venir aux mains ; le duc de Bedford interposa son autorité, et renvoya les contendants en justice. Le cortége retourna à Paris en fort bon ordre, et le régent anglais fit porter devant lui l'épée nue, sans s'inquiéter des murmures du peuple, qui le voyait avec chagrin s'arroger ainsi un privilége tout royal[89].

Le Dauphin, lorsqu'il apprit la mort du roi, était en Berri, à Mehun-sur-Yèvre. Nonobstant tous les maux qu'on lui avait faits au nom de son père, et ce funeste traité par lequel il avait été déshérité, il pleura beaucoup en recevant cette nouvelle, et prit aussitôt une robe noire ; mais le lendemain, d'après l'avis de son conseil, il se revêtit du deuil royal, et se rendit solennellement à la messe en robe violette ; car les rois, dit-on, ne doivent jamais quitter la pourpre. Les hérauts étaient vêtus de leur blason. La bannière de France fut levée ; et ce fut en cette pauvre chapelle, dans une bourgade presque inconnue, que, pour la première fois, il fut salué du cri de Vive le roi ! Puis il se rendit à Poitiers, où, avec une plus grande pompe, il se fit couronner[90]. Dès lors, et bien qu'il ne fût pas encore sacré, il fut, pour tous les bons Français, le roi Charles VII. Les Anglais, par dérision, le nommaient le roi de Bourges mais on pouvait voir dès lors combien il serait difficile de vaincre son bon droit et d'établir d'une façon durable le pouvoir des anciens ennemis du royaume[91].

Durant les vingt jours qui suivirent la mort du roi Charles VI[92], le Parlement siégeant à Paris, tout composé qu'il était de Bourguignons zélés, présidé par Philippe de Morvilliers, cet empressé serviteur des Anglais, et malgré l'avis du chancelier, n'avait point voulu que les actes fussent scellés au nom du roi Henri VI, et avait réglé qu'en attendant ils le seraient au nom du chancelier et du conseil de France. Ce fut seulement après l'arrivée du duc de Bedford qu'on consentit à reconnaître l'autorité du jeune roi d'Angleterre, pour lors âgé de dix mois[93]. Dès ce moment, un grand nombre de seigneurs commencèrent à passer dans le parti du roi Charles VII. Ils avaient jusque-là obéi à un roi de France dont ils respectaient le caractère royal ; ce n'était pas lui qui gouvernait, il est vrai, mais tout se passait en son nom sa personne était encore un objet de vénération son parti était le parti du roi. Maintenant ce n'était plus la bannière de France qu'il fallait suivre, sur les monnaies et partout à l'écusson des fleurs de lis était joint l'écusson d'Angleterre ; des Anglais étaient nommés gouverneurs de toutes les villes c'était à eux qu'il fallait obéir. Tout cela semblait bien rude et bien nouveau. D'ailleurs, quelle assurance pouvait-on prendre sur le règne d'un enfant au berceau, qui allait être pendant quinze ans au moins en minorité ?

En outre, les affaires du Dauphin devenu roi n'étaient pas, pour le moment, en mauvaise situation ; ses partisans et les compagnies de gens de guerre qui combattaient en son nom, tenaient le Berri, le Bourbonnais, l'Auvergne, le Poitou, la, Saintonge, le Limousin, le Dauphiné ; ils avaient récemment repris le Languedoc sur le comte de Foix, qui y commandait pour les Bourguignons ; le Maine et l'Anjou, domaines de la maison de Sicile, étaient du parti français, D'Orléans et de Blois, qui leur servaient de refuge et d'appui, les compagnies dauphinoises se répandaient dans la Beauce et venaient parfois jusqu'auprès de Paris, surprenant des châteaux et des forteresses. Saintrailles et le sire de Gamaches faisaient encore une vigoureuse guerre sur les marches de Picardie et dans le Vexin. Depuis l'échec du seigneur de Roche-Baron, les affaires allaient de plus mal en plus mal pour les Bourguignons du côté du Beaujolais. Bernard d'Armagnac et le sire de Grollée, bailli de Lyon, s'étaient fait une forte armée ; ils avaient envahi le Charolais, s'étaient emparés de la ville de Tournus, menaçaient Mâcon, et répandaient l'effroi dans toute la Basse-Bourgogne. Le Nivernais se trouvait plus exposé encore à être envahi, et les Français pouvaient s'avancer de l'Orléanais jusque sur Sens et même Auxerre.

Sur ces entrefaites, le duc de Savoie, oncle du duc Philippe, prince tout dévoué à la maison de France, et qui s'était toujours entremis avec tant de zèle pour y rétablir la concorde, essaya encore d'amener un traité de paix. Le voisinage et la parenté le mettaient en rapport habituel avec sa belle-sœur la duchesse douairière de Bourgogne, qui, en l'absence de son fils, s'occupait toujours avec un grand zèle du bien-être de ses chers sujets du duché[94]. Souvent des marchands de Savoie étaient dévalisés et retenus par les compagnies bourguignonnes ; d'autres fois le conseil de Bourgogne faisait solliciter le duc de Savoie de refuser passage sur son territoire aux compagnies françaises ; ainsi il y avait sans cesse des ambassades et des conférences pour traiter les affaires des deux pays. Ce prince fit si bien, qu'il ménagea un pourparler à Bourg en Bresse, entre les envoyés du roi et ceux du duc Philippe. Le chancelier de Bourgogne, Nicolas Raulin, y vint avec une grande suite, et y tint un état splendide. Mais il n'y eut moyen de rien conclure. Les ambassadeurs de France se montrèrent hautains et absolus ; ils reprochèrent ouvertement aux Bourguignons la conduite de leur maître, qui avait appelé les Anglais dans le royaume, qui sacrifiait ses devoirs envers la couronne et même ses propres intérêts, la vengeance, qui transportait le sceptre de France sous la domination de ses anciens ennemis ; ils allèrent même jusqu'à parler de félonie et de lèse-majesté. Les ambassadeurs de Bourgogne, aigris par des paroles si rudes, ne conservèrent pas plus de ménagements, ils traitèrent le roi de jeune homme faible et de peu de sens ils lui imputaient surtout d'être livré entièrement à des conseillers sortis de petit lieu, sans consistance dans le royaume, tels que Tanneguy Duchâtel, le président de Provence, et maître Robert le Masson, gens violents et ennemis de la paix, parce qu'elle les réduirait à rien, précipitant toujours leur maître dans des partis violents, l'ayant poussé dans la révolte contre son père, et rendu complice, par sa présence et son parjure, du meurtre infâme du duc Jean.

Ce n'était pas une route pour arriver à la paix, l'assemblée se sépara le 22 janvier le duc de Savoie conserva toutefois la volonté et l'espoir de renouer des négociations. Celles-ci, quelle qu'eût été leur issue, donnèrent de l'inquiétude au duc de Bedford. Depuis la mort du roi Henri, les affaires devenaient chaque jour plus difficiles il venait de découvrir une conspiration tramée à Paris pour livrer la ville au roi ; et il lui avait fallu se hâter pour arriver à temps de la prévenir. Les auteurs n'étaient point des gens sans crédit parmi le peuple, ni de simples émissaires du roi Charles VII. L'entreprise avait été concertée dans la bourgeoisie. Un des principaux chefs était Michel Lailler, qui jusqu'alors avait semblé des plus empressés pour les Anglais ; dernièrement il était allé en Angleterre porter au jeune roi Henri les respects de la ville ; et, sans doute pour mieux cacher ses desseins, il avait conjuré le duc de Bedford d'arriver, au plus tôt avec un bon nombre de combattants, pour chasser les Dauphinois des forteresses voisines de Paris[95]. Le complot découvert, Michel Lailler, parvint à s'échapper ; d'autres furent moins heureux, et il y en eut un bon nombre d'exécutés ; une femme fut brûlée vive. Peu après, le régent anglais fit prêter à tous les habitants de Paris, bourgeois ou ecclésiastiques, tant grands que petits, jusqu'aux servantes et aux gardeurs de pourceaux, le serment de lui obéir en tout et pour tout, et de nuire de tous leurs pouvoirs aux complices ou alliés de Charles de Valois, soi-disant roi de France ; ce serment fut prêté à contre-cœur par bien des gens[96].

Peu de jours après, Meulan fut surpris par le sire de Graville, et la garnison anglaise presque toute mise à mort. La Ferté-Milon se livra aussi aux Français. Le duc de Bedford qui était un homme prudent et habile, vit bien que le moment devenait périlleux, et qu'il importait plus que jamais, suivant le sage conseil du roi Henri, de resserrer l'alliance avec le duc de Bourgogne. On pouvait en effet craindre que sa disposition fût peu favorable aux Anglais. Il était entouré de conseillers fidèles à sa personne, il est vrai, mais Français dans le cœur. Le duc de Savoie nourrissait un actif désir de rétablir la paix, et avait du crédit sur lui. En outre, le duc Philippe avait un grand motif d'être irrité contre l'Angleterre depuis longtemps elle différait de lui donner satisfaction sur un point important.

Après la mort du comte de Hainaut, beau-frère du duc Jean-sans-Peur, Jacqueline de Hainaut, sa fille unique, s'était trouvée héritière du Hainaut, de la Hollande et de la Zélande ; elle avait eu d'abord à se défendre contre son oncle Jean-sans-Pitié, évêque de Liège ; il avait envahi la Hollande. La jeune princesse était remplie de courage et de résolution elle eut pour elle un parti qui se défendit vaillamment. Cette guerre fut longue et cruelle, et réveilla toutes les vieilles discordes qui depuis cent ans divisaient ce pays. Le duc de Bourgogne intervint dans le différend, et conclut un traité d'après lequel l’évêque de Liège devait avoir pendant douze années, la jouissance de la Hollande et de la Zélande. Peu après, Jean-sans-Pitié se fit séculariser par le pape ; après avoir versé le sang de tant de chrétiens pour rester évêque, il se démit de son évêché, et épousa Elisabeth de Luxembourg, duchesse douairière de Brabant, veuve du duc qui avait péri à Azincourt[97]. A peu près en même temps, pour mieux unir toutes les branches de la maison de Bourgogne, on fit le mariage de Jean, duc de Brabant, avec Jacqueline de Hainaut. Le prince était plus jeune qu'elle ; ils étaient cousins germains, et de plus elle était sa marraine mais on eut des dispenses du pape. Ce fut contre le gré de madame Jacqueline que se fit ce mariage ; le duc de Brabant était faible de corps de santé et d'esprit, entièrement conduit par ses serviteurs ; il ne semblait nullement suffisant pour gouverner ni ses états, ni une princesse belle, grande, absolue dans ses volontés, et que rien n'arrêtait dans ses projets. Ils se convinrent en effet très-mal. Ils n'étaient pas mariés depuis longtemps, lorsqu'un jour le bâtard de Hainaut, frère de la duchesse, et quelques autres s'en vinrent à Mons pendant que le Duc était à la chasse, tuer Guillaume-le-Bègue son principal gouverneur qui était pour lors malade le bailli de Hainaut était auprès du lit ils lui enjoignirent de ne pas bouger et de se taire puis ils s'éloignèrent de la ville sans être nullement inquiétés. Le duc de Brabant fut d'abord troublé et courroucé de la mort violente d'un homme qui avait toute sa confiance et son affection. Madame Jacqueline avait de l'empire sur lui ; elle l'apaisa, et il ne fut plus question de ce meurtre commis à sa persuasion comme chacun le croyait. Quelque temps après, Philippe, comte de Saint-Pol, frère du duc de Brabant, s'en vint à Bruxelles, mandé par la duchesse Jacqueline et par les nobles du pays. Il s'empara du gouvernement, fit trancher la tête à presque tous les serviteurs et conseillers de son frère, et rétablit le pouvoir de la noblesse.

Mais c'était toujours nouvelles discordes. Le duc de Brabant retombait sans cesse sous le gouvernement de quelqu'un de ses serviteurs, gens de petit état, que la duchesse Jacqueline prenait en haine. Le duc Philippe de Bourgogne leur cousin germain, madame la douairière de Hainaut qui les avait mariés, s'entremettaient pour rétablir la paix entr'eux, mais ne réussissaient guère. Enfin le duc de Brabant ayant, à la persuasion de quelqu'un de ses conseillers, chassé un jour toutes les femmes de la duchesse, et les ayant exilées en Hollande, elle ne put endurer cette injure, quitta son mari, et retourna à Valenciennes, chez sa mère. Là, on tâchait de la calmer et de la ramener à la raison. Pour se mettre a l'abri de tant d'importunités et rendre cette séparation durable et solide elle feignit d'aller faire un voyage d'amusement à Bouchain. Là, elle trouva le sire d'Escaillon, chevalier natif' du Hainaut, mais de tout temps Anglais dans le cœur. Avec une compagnie de soixante hommes, il la conduisit à Calais, d'où elle passa en Angleterre, pour demander asile et protection au roi Henri, qui pour lors était vivant : c'était en 1421.

Elle ne tarda guère à s'attacher le duc de Glocester, frère du roi, et forma le projet de l'épouser. Elle fit solliciter à la cour de Rome l'annulation de -son mariage avec le duc de Brabant, sous prétexte qu'elle avait été contrainte ; et comme le pape Martin V ne lui semblait pas favorable, elle s'adressa à l'antipape Benoît XIII qui vivait encore et qui refusait toujours de se soumettre au concile de Constance. Ayant obtenu de lui ce qu'elle souhaitait, elle épousa le duc de Glocester.

Avant la mort du roi Henri, le duc de Bourgogne lui avait souvent porté de vives plaintes sur cette injure faite au duc de Brabant. Mais, soit que le roi d'Angleterre eût de plus pressantes affaires, soit qu'il vît avec satisfaction son frère acquérir des droits sur une aussi grande souveraineté que le patrimoine de madame Jacqueline, il n'avait jamais donné de réponse sincère. Il trainait la chose en longueur, se fiant à la patience du duc de Bourgogne.

Le duc de Bedford avait donc à regagner la faveur du duc Philippe à qui cette affaire de Brabant tenait fort à cœur. Pour contracter avec ce prince un lien solide et durable, il résolut de demander en mariage madame Anne de Bourgogne, sœur du Duc, qui avait alors dix-Huit ans. Ce projet fut agréé, et les articles du contrat furent réglés au mois de décembre 1422. La dot fut stipulée~ cent cinquante mille écus d'or, dont trente payables comptant, et les autres représentés par une rente de quatre mille livres, rachetable par quarts à la volonté du duc de Bourgogne et de ses héritiers. De plus, madame Anne devait, au cas où son frère décéderait sans héritier mâle, succéder au comté d'Artois, à moins qu’elle ne préférât entrer en commun partage avec ses sœurs. Si, au contraire, le Duc avait un héritier mâle, la part. de succession de madame de Bedford devait être de cent mille écus d'or[98].

A ce même moment, un mariage important aussi pour la maison de Bourgogne était prêt à se conclure. Artus de Bretagne., comte de Richemont, avait été fait prisonnier à la bataille d'Azincourt. Il était depuis six ans en Angleterre, lorsque son frère Je duc de Bretagne fut enlevé et fait traîtreusement prisonnier par le comte de Penthièvre de la maison de Blois. La duchesse, les barons et les États de Bretagne envoyèrent une ambassade au roi d'Angleterre, et le requirent de leur prêter M. de Richemont pour commander les Bretons et délivrer son frère ; s'obligeant à le rendre après mort ou vif, ou bien de payer une forte somme d'argent[99]. Le roi Henri tenait alors le siège devant Melun, il fit venir M. de Richemont, qui y trouva aussi le duc de Bourgogne, avec lequel il fut bientôt grand ami. Sans doute il eût obtenu ce que les Bretons demandaient ; mais leur duc ayant été remis en liberté, le motif qu'ils taisaient valoir pour M. de Richemont n'existait plus. Il lui fut néanmoins accordé de tenir prison sur parole en Normandie, sous la garde du comte de Suffolk. Il garda sa foi, malgré les propositions et les instances des Bretons qui voulaient y pour sauver, son honneur, l'enlever de force. Depuis il retourna auprès du roi d'Angleterre, au siège de Meaux, et l'amitié mutuelle du duc Philippe et de lui s'augmenta à mesure qu'ils se connaissaient mieux l'un l'autre. Les conseillers de Bourgogne et le% principaux serviteurs du Duc prirent aussi une haute estime pour lui. Dès lors il forma, le projet d'appartenir de plus près à cette noble maison, et pria le Duc de lui donner une de ses sœurs en mariage : « J'en serais très-joyeux, repartit le Duc ; j'en ai trois à marier, et de deux je me fais fort de vous donner à choisir ; mais pour madame de Guyenne, qui a été la femme du dauphin Louis, je ne puis en répondre il faut son consentement. Quant à madame Anne et à madame Agnès, cela se peut faire ; et même, bien que la dernière soit promise à M. de Clermont à peine de cent mille écus, ce ne me serait pas un empêchement. » Le comte de Richemont répondit que c'était précisément madame de Guyenne qu'il voulait avoir. Le duc de Bourgogne promit de s'y employer. En effet il se rendit à Dijon, et tout aussitôt en parla à sa sœur, lui disant qu'elle serait parfaitement heureuse avec un si noble prince, et que toute la noblesse et les États de Bretagne désiraient vivement ce mariage et l'alliance des deux maisons : Madame de Guyenne assembla son conseil, puis répondit qu'elle ne pouvait épouser un prisonnier ; mais que, si le roi d'Angleterre délivrait M. de Richemont, elle pourrait écouter les conseils de ses amis.

Les choses en étaient là quand mourut le roi Henri. Dès lors le comte de Richemont se regarda comme libre, et poursuivit son mariage avec plus d'empressement que jamais. Tout fut bientôt à peu près conclu, et vers la fin de décembre les États de Bretagne se chargèrent de se rendre auprès du régent anglais et du duc de Bourgogne pour terminer cet heureux mariage, pour travailler, de concert avec le légat du pape à rétablir la paix si nécessaire au malheureux royaume de France, et pour contracter toutes alliances avec le duc de Bourgogne. Les Etats supplièrent en même temps leur duc de ne point s'éloigner de son pays, et de confier la Négociation de toutes ces grandes affaires à son n'ère de Richemont. Lui-même se sentait une grande répugnance à venir à cette entrevue, et montrait une méfiance extrême. Mais le duc de Bedford et le duc de Bourgogne insistèrent pour que le duc de Bretagne vînt en personne aux conférences qu'ils avaient assignées à Amiens pour le temps de Pâques 1423 ; M. de Richement l'y amena, malgré les remontrances des Etats[100].

Dans cet intervalle, le régent anglais avait rétabli ses affaires par les armes en même temps que par les traités. Irrité et inquiet de la prise de Meulan., après avoir exercé de grandes rigueurs et pris de sévères précautions contre ceux de Paris qu'on soupçonnait d'être favorables aux Armagnacs[101], il était allé, en personne, avec les meilleurs et les plus illustres chevaliers d'Angleterre, mettre le siège devant cette forteresse. Le conseil du roi Charles VII comprit combien il était important-de la conserver et de ne point abandonner sans-secours les braves hommes d'armes qui Fa valent avec tant d'audace surprise aux Anglais. Une armée considérable fut assemblée en Berri ; le comte de Buchan, connétable de France, et le vicomte de Narbonne la commandaient. Le roi avait fait remettre l'argent pour la paie des hommes d'armes à Tanneguy Duchâtel, qui était aussi de l'entreprise. A Orléans, Tanneguy exigea encore deux mille francs des habitants pour le même emploi. Cependant lorsque, arrivés déjà à six lieues de Meulan, les gens d'armes demandèrent l'argent qui leur était promis, il ne les voulut point payer. Il s'éleva à ce sujet de grandes querelles entre les chefs. On prétendit que Tanneguy avait employé toute cette finance a acheter pour lui, à Orléans, des joyaux et de la vaisselle. Ce fut un motif de plus pour augmenter les murmures contre la conduite honteuse et déshonnête des conseillers qui gouvernaient le roi. La discorde étant entre les capitaines, le désordre se mit dans l'armée. Chacun s'en alla sans plus obéir à personne. Les garnisons anglaises de Chartres et de quelques forteresses de la Beauce se mirent à poursuivre ces compagnies dispersées, et tuèrent beaucoup de Français[102].

Lorsque le sire de Graville et les gens de Meulan surent qu'ils étaient ainsi livrés aux Anglais sans être secourus, leur désespoir et leur colère furent tels, qu'ils abattirent la bannière du roi Charles, plantée sur la porte de la ville. Plusieurs gentilshommes montèrent sur la muraille, et, aux yeux des assiégeants, déchirèrent la croix blanche et les enseignes françaises, maudissant hautement ceux qui les avaient ainsi trahis et leur avaient promis en vain du secours. Le traité fut bientôt conclu ils livrèrent la forteresse munie de tout son armement ; ils rendirent les armes et jusqu'à leurs chevaux, se mettant, en toute humilité et obéissance, à la volonté de monseigneur le régent. Pour lui, en l'honneur de Dieu et du saint temps de carême, il leur promit la vie sauve néanmoins ceux qui précédemment avaient juré le traité de Troyes et fidélité au roi d'Angleterre, ceux qui avaient été complices ou consentants à la mort du duc Jean, les Ecossais les Irlandais et les, Gallois, enfin les hommes qui avaient aidé les Français à surprendre la ville, furent exceptés, à moins qu'ils ne s'engageassent sous caution de servir, comme hommes liges du roi Henri, contre ses adversaires. Le sire de Graville lui-même prêta ce serment ; il donna au régent anglais des nouvelles exactes du roi Charles VII, qu'il avait vu avant de venir attaquer Meulan. Il assura que ce prince était réellement vivant, bien que légèrement blessé par la chute d'un plancher qui s'était écroulé sur lui à La Rochelle[103].

La prise de Meulan détermina plusieurs autres forteresses à se rendre ; Marcoussis et Montlhéry furent remises au régent. Pendant le même temps, le sire de Luxembourg avait aussi fait la guerre heureusement sur les marches de Picardie, et s'était emparé de plusieurs châteaux.

L'alliance que les ducs de Bourgogne et de Bedford contractèrent à Amiens avec le duc de Bretagne devait leur être surtout d'un grand avantage ; ils y décidèrent ce prince avec d'autant plus de facilité, qu'il ne doutait pas que la trahison par laquelle le comte de Penthièvre l'avait emprisonné, tenait à un complot concerté avec le Dauphin. D'ailleurs le comte de Richement, quelque peu ami des Anglais qu'il pût être, avait une volonté si déterminée de s'allier au duc de Bourgogne, qu'il poussait son frère de ce côté[104]. Le duc de Bedford fournit à la dépense des deux princes de Bretagne pendant leur séjour, et leur fit compter six mille livres[105] pour frais de voyage. Le duc de Bourgogne donna de brillantes fêtes, et le 17 d'avril fut signée une triple alliance où les trois ducs, en considération des mariages qui allaient-unir leur lignage, pour le plus grand bien du roi Henri leur seigneur, de ses royaumes de France et d'Angleterre, ainsi que de leurs propres sujets et domaines, jurèrent de vivre entre eux comme frères, parents et bons amis. Ils se promirent en outre que si fun d'entre eux avait affaire pour garder son honneur ou ses pays, terres et seigneuries, chacun des autres serait tenu de lui fournir cinq cents hommes d'armes ou de trait, et d'en payer la dépense le premier mois sauf au requérant à la payer ensuite ; et même un plus grand secours, si le cas l'exigeait. Les trois princes s'engagèrent aussi à s'employer de toute leur puissance, par les meilleures voies possibles, pour soulager le pauvre peuple qui avait tant à souffrir et endurait une telle pauvreté, pour terminer les guerres, pour remettre le royaume en paix et tranquillité, afin qu'à l'avenir Dieu y pût être servi et honoré, et que marchandise et labour pussent y avoir leur cours.

Le lendemain, les ducs de Bourgogne et de Bretagne passèrent entr'eux un traité particulier qui ne semble pas de nature à avoir été connu du duc de Bedford :

« Philippe, duc de Bourgogne, et Jean, duc de Bretagne, etc., avons promis et octroyé, promettons et octroyons de bonne foi l'un a l'autre, savoir nous, duc de Bourgogne, au duc de Bretagne, que s'il advenait que, pour honneur et révérence de Dieu, pour pitié et compassion du peuple, nous fissions aucun traité, accord ou pardon à Charles, dauphin de Viennois pour la mort accomplie en la personne de notre très-redouté seigneur et père, monseigneur le duc de Bourgogne, que Dieu absolve, nous n'entendons par-là aucunement déroger aux alliances et considérations faites entre ledit duc de Bretagne, notre frère, et nous ; en quoi, promettons a notredit frère de lui être aidant, secourant et confortant envers ledit Dauphin, envers Olivier de Blois, ses frères et leurs adhérents, et envers tous. autres quelconques qui voudraient porter dommage, ennui ou guerre à ses pays, terres ou sujets et voulons que les alliances et considérations faites entre lui et nous vaillent, tiennent et sortent leur plein effet ; et les promettons et jurons tenir en bonne foi et en parole de prince, nonobstant, traite ou accord quelconque, qui se fasse ou se puisse faire entre ledit Dauphin et nous ; lesquelles alliances la teneur suit ; » ici le traité de la veille était rapporté.

« Et pareillement nous, duc de Bretagne, promettons et octroyons à notre frère le duc de Bourgogne que s'il advenait que nous fissions aucun traité accord ou pardon audit Charles, dauphin de Viennois, pour les supports et soutiens qu'il a accordés à Olivier de Blois, à ses frères et à sa mère, nos ennemis, lors de la prise et détention de notre personne, faite traîtreusement par ledit Olivier et Charles son frère, et aussi lors de la venue de leur frère Jean en notre pays, où il était venu pour nous prendre ou tuer par guet-apens attendu que lesdits de Blois ne tendent qu'à notre mort ou destruction ledit traité ou pardon ne dérogerait en rien aux alliances et confédérations faites avec notre frère de Bourgogne. Puis le duc de Bretagne répétait les mêmes assurances que lui donnait le duc de Bourgogne.

Dans les pourparlers d'Amiens il fut question, comme on pouvait s'y attendre, de la fuite de madame Jacqueline de Hainaut, du mariage qu'elle avait contracté avec le duc de Glocester, et des droits qu'elle prétendait lui avoir conférés sur son héritage. Le duc de Brabant avait envoyé comme ambassadeurs les sires de Brimeu, de Ligny et de Lannoy. Pour intéresser encore plus le duc de Bourgogne à demander justice de cet affront, le comte Jean de Bavière, mari de la duchesse douairière de Brabant, venait de le déclarer héritier de toutes ses seigneuries. Cependant le régent ne donna point encore de réponse, et promit seulement de traiter cette affaire lorsqu'il serait de retour à Paris.

Le duc de Bourgogne et le comte de Richemont se rendirent ensemble d'Amiens à Arras. Là, ils assistèrent à une joute où Saintrailles et Lionel de Vendôme avaient pris le Duc pour juge. Le premier jour ils coururent six langes, et Lionel mt légèrement blessé à la tête, le lendemain ils combattirent à pied, à la hache. Lionel, avec une ardeur extrême et sans reprendre haleine, s'en allait jappant du tranchant de sa hache ; Saintrailles, plus froid, parait avec le bâton de la sienne. Puis, saisissant son moment, il porta à Lionel plusieurs coups de la pointe de sa hache dans la visière, si bien qu'il finit par la relever, et lui découvrit le visage ; l'autre saisit aussitôt de sa main la hache de Saintrailles ; celui-ci accrocha son casque, et lui égratignait le visage avec son gantelet de fer pour lors ; le Duc fit cesser le combat. On amena les combattants devant lui ; il leur fit promettre de demeurer à jamais bons amis, et les accueillit avec toute sa courtoisie. Le jour d'après il y eut encore, en sa présence, une joute entre le sire Rifflart de Champremi, du parti des Français, et le bâtard de Rebecque ce dernier perça de sa lança l'armure de son, adversaire, et alors le, combat fut arrêtée Après ces nobles passe-temps, Saintrailles : et les siens retournèrent trouver leur compagnie de gens d'armes qui tenaient la campagne dans le comté de Guise.

Au mois de juin le duc de Bedford se rendit à Troyes et là fut célébré en grand appareil son mariage avec madame Anne de Bourgogne. Le duc Philippe son frère son oncle le comte Jean de Bavière, et une foule de grands seigneurs bourguignons et anglais, assistèrent à ces solennités ou le régent se plut à égaler la magnificence célèbre de la maison de Bourgogne, puis il revint à Paris. Chemin faisant, il attaqua et prit la ville de Pont-sur-Seine ; on y entra d'assaut, et la garnison française y fut cruellement mise à mort[106]. Avant de quitter Paris, il avait aussi envoyé assiéger la forteresse d'Orsay. Les assiégés se défendirent vaillamment pendant plusieurs semaines contre les Anglais, les gens de Paris et les paysans de la campagne voisine qu'animaient contre eux tous leurs brigandages ; enfin, n'ayant nul espoir de secours, ils se rendirent à discrétion. On mit la corde au cou aux gens des communes qui se trouvaient dans la garnison, et on leur fit traverser Paris tête nue, attachés par couples, comme des chiens. Les gentilshommes n'étaient point liés ; mais on les forçait à tenir leur épée par le milieu de la lame, la pointe tournée sur la poitrine[107]. En cet équipage, ils furent amenés sous les fenêtres de l'hôtel des Tournelles, où habitait le duc de Bedford. Quand là jeune duchesse, qui était arrivée un jour ou deux auparavant, vit passer ces pauvres Français qu'on allait envoyer au Châtelet, elle fut émue de si grande pitié, qu'elle supplia son mari en leur faveur ; il ne put refuser la prière de sa femme, et laissa aller sans condition les gens de la garnison d'Orsay[108].

Cependant le roi, son conseil ni ses capitaines ne perdaient point courage la guerre était soutenue avec constance dans le Maine et dans l'Anjou en Picardie, messire Jacques de Harcourt défendait la forteresse importante du Crotoy. Une poignée de Français tenait le fort château de Montaigu en Champagne, contre les attaques du comte de Salisbury, gouverneur anglais de Champagne et de Brie ; d'autres soutenaient aussi le siège dans Mouzon. Le conseil du roi résolut de secourir ces deux places ; elles importaient par leur situation. En effet la force des Français était sur les bords de la Loire, à Orléans, à Blois, à Bourges ; pour communiquer avec les garnisons et les compagnies des marches de Picardie, il fallait donc déboucher par Gien, traverser la Bourgogne vers Auxerre, et remonter à travers la Champagne c'était aussi sur ce point que le duché de Bourgogne était le plus ouvert et qu'on pouvait le mieux s'y avancer.

Ce fut pour assurer cette route de communication que les Français attachèrent un grand prix à s'emparer d'une forteresse assez considérable, nommée Crevant, qui se trouve entre Auxerre et Avallon, sur la rive droite de l'Yonne. Le bâtard de la Baume, qui avait été autrefois Bourguignon ; l'avait surprise mais le sire de Chastellux et quelques autres gentilshommes de Bourgogne étaient aussitôt accourus avant que les Français eussent en force dans Crevant ; et lorsque Tanneguy Duchâtel arriva de Champagne, se retirant devant le comte de Suffolk, il trouva la place déjà reprise par les Bourguignons résolus à se bien défendre[109]. L'armée du roi était à Gien. Jean Stuart, connétable des Écossais, venait d'arriver avec trois mille des siens ; le maréchal de Severac commandait trois fois autant de Français ; il y avait aussi beaucoup de Lombards, d'Aragonais, de Gascons. Toute cette armée se porta ; sans perdre de temps, à Crevant pour l'emporter. Le sire de Chastellux envoya aussitôt annoncer à la Duchesse douairière le péril où il se trouvait. Déjà elle s'était occupée de la défense de la province les États du duché et du comté avaient été rassemblés et avaient donné des subsides. Elle rappela sur-le-champ le chancelier Raulin, qui était allé à Châlons présider pour le Duc à une joute entre deux chevaliers. Des lettres furent expédiées à tous les bailliages pour mander les vassaux ; Jean de Toulongeon, maréchal de Bourgogne, fut chargé de les commander le lieu pour s'assembler fut fixé entre Montbard et Avallon[110].

Cependant la Duchesse avait écrit aussi au duc de Bedford, et les Anglais, au nombre d'environ six mille, sous les ordres du comte de Suffolk, s'avancèrent jusqu'à Auxerre, où ils se rejoignirent aux Bourguignons qui leur tirent bien grand accueil[111].

Les capitaines des deux nations tinrent conseil dans la cathédrale. Crevant était' serré de près ; lé sire de Chastellux et ses braves compagnons se trouvaient réduits aux dernières extrémités de la lamine il fut résolu d'aller les secourir sans tarder tout fut réglé dans le plus grand ordre pour la bataille.

Il était à craindre qu'il ne s'émût quelque discorde, quelque querelle entre Bourguignons et Anglais ; il fut donc arrêté que tout homme qui troublerait le bon accord et la paix serait puni à la discrétion des capitaines ; on nomma deux maréchaux, l'un Bourguignon, le sire de Vergy, l'autre Anglais, sir Gilbert Halsall, pour surveiller chacune des deux armées. Soixante archers et soixante hommes d'armes de chaque nation furent commandés pour marcher à la découverte. II fut ordonné que dès qu'on serait arrivé au lieu où il faudrait combattre, chacun, sous peine de mort, mettrait pied à terre, et que tous les chevaux seraient ramenés à une demi-lieue en arrière. En effet, depuis le roi Henri V, c'était, chez les Anglais, un honneur de combattre parmi les archers[112] et il se mettait toujours un grand nombre des meilleurs hommes d'armes avec ces gens des communes, afin de les rassurer et de les faire mieux combattre. On enjoignit a chaque archer de se munir d'un pieu aiguisé des deux bouts, pour planter en face de lui, penché vers l'ennemi, comme les Anglais l'avaient pratiqué avec tant d'avantage a Azincourt. Il fut prescrit d'emporter pour deux jours de vivres, et la ville d'Auxerre était chargée d'en envoyer au camp, avec promesse de fidèle paiement. Il était enjoint à chacun de se tenir à son ordre de bataille ; le premier qui serait trouvé hors de son rang devait être mis mort ; enfin, il était expressément détendu de faire des prisonniers avant que le terrain fût entièrement gagné, et tout homme d'armes qui se refuserait à tuer son prisonnier devait être tué avec lui.

Toutes ces précautions, que chacun trouva bien sages, furent criées et publiées au son des cloches dans la ville. Le lendemain, après avoir entendu dévotement la messe, et bu fraternellement un coup de vin, Anglais et Bourguignons s'en allèrent en belle ordonnance vers l'ennemi. Le premier jour, ils s'arrêtèrent a Vincelles, au bord de la rivière. Le lendemain, ils avancèrent toujours sur la rive gauche de l'Yonne qui les séparait des Français. Ceux-ci, campés sur une colline, défendaient le passage et protégeaient le siège de Crevant. Les Anglais continuèrent à remonter la même rive vers Coulanges-la-Vineuse, pour passer la rivière plus haut. Une partie de l'armée du roi quitta alors sa position afin de s'y opposer. On resta ainsi en présence pendant trois heures ; enfin les Anglais et les Bourguignons gagnèrent un pont sur leur droite, et le combat s'engagea rudement. L'effort des Bourguignons, se porta sur le maréchal de Severac et sur les Français. On combattait avec vaillance et obstination de part et d'autre, lorsque le sire de Chastellux, se trouvant dégagé, fit une vigoureuse sortie, et attaqua les Français par derrière. Le maréchal de Severac et sa troupe, ne pouvant plus résister, se retirèrent. Le sire de Gamaches, le sire de Fontaine, Saintrailles, le comte de Vantadour et beaucoup d'autres chevaliers de France, continuèrent à se défendre avec les Écossais qui ne montraient pas moins de vaillance ; enfin ils succombèrent. Un grand nombre périt glorieusement. Jean Stuart, que les Français nommaient le connétable des Ecossais, se rendit au sire de Chastellux. Il avait eu l'œil crevé de même que le sire de Gamaches qui fut aussi prisonnier avec Saintrailles, Vantadour et quelques autres. Dans leur malheur, ils accusaient avec aigreur le maréchal de Severac de les avoir abandonnés et d'avoir lâchement pris la fuite.

Après la victoire, les Bourguignons et les Anglais entrèrent à Crevant, où ils remercièrent Dieu ensemble en grande joie et en bon accord. Le sire de Chastellux, qui avait soutenu pendant cinq semaines un siège si glorieux contre toute l'armée française, fut plus que tous comblé de louanges et d'honneurs. Le duc Philippe, en apprenant la bataille de Crevant, lui fit témoigner tout son contentement, et eut soin de le dédommager des pertes qu'il avait faites par d amples gratifications. Le chapitre d'Auxerre, pour consacrer à jamais ce mémorable fait d'armes[113], institua que l'aîné de la maison de Chastellux serait chanoine honoraire et pourrait assister aux offices, armé de toutes pièces avec un surplis par-dessus, et tenant son faucon sur le poing. En outre il fonda, pour l'anniversaire de cette bataille, une messe de la Victoire. Le régent anglais ordonna des feux de joie et des réjouissances à Paris.

Le pauvre peuple n'avait pas cœur à de telles fêtes il en aurait plutôt pleuré[114]. Il ne lui importait guère qu'on eût tué trois ou quatre mille de ces Armagnacs qu'il avait eus en si grande haine car leurs ennemis ne lui avaient pas fait plus de bien. La victoire des Anglais ne pouvait donner sujet de se réjouir à ceux qui supportaient leur rude domination. Il n'y avait à voir en tout cela que des chrétiens s'égorgeant entr'eux ; de plus il était à croire que les uns comme les autres mouraient en péché mortel ; en effet, selon le commun dire tous ces hommes d'armes n'allaient pas tant à la guerre pour l'amour de leurs seigneurs dont ils se targuaient si fort, pour La crainte de Dieu, ni pour aucun motif de charité, que par pure convoitise.

Aussi les Parisiens, nonobstant leur peu d'amour pour les Anglais, ne furent pas plus réjouis lorsque, quelques semaines après, ils apprirent que les Français avaient en quelque sorte réparé le désastre de Crevant, en remportant un avantage signalé sur une troupe anglaise commandée par sire Jean de la Poole, frère du duc de Suffolk. Ils revenaient en Normandie chargés d'un immense butin qu'ils avaient fait en Anjou[115]. Jean de Harcourt, comte d'Aumale, rassembla les gentilshommes et les communes de ces provinces, et tomba sur les Anglais près du château de la Gravelle, non loin de Segré en Anjou. La marche de l'ennemi était embarrassée d'un lourd bagage, et de plus de dix mille bœufs qu'ils avaient dérobés dans les campagnes. Cependant il se défendit vaillamment ; les archers et les gens de pied se retranchèrent, comme à la coutume, derrière leurs pieux aiguisés, mais les hommes d'armes et les chevaliers français les attaquèrent par le flanc, et bientôt les mirent en désordre. Il en périt près de deux mille. Le sire de la Poole Thomas Clinton et d'autres capitaines anglais furent pris.

Ailleurs la fortune semblait moins favorable aux Français. Le château de Montaigu se rendit au duc de Salisbury, puis il emporta Sézanne. Le duc de Suffolk reprit Mâcon. Le sire Jacques de Harcourt s'engagea à rendre le Crotoy si, à jour marqué, il n'était secouru et, comme il n'y pouvait guère compter, il s'embarqua avec sa famille, ses serviteurs ses richesses et tout son monde, pour-aller retrouver le roi de France[116]. Il en fut honorablement reçu et se rendit peu après chez le sire de Parthenay, dont sa femme était unique héritière. Ce seigneur était du parti bourguignon messire de Harcourt voulut lui persuader de passer au parti du roi~ ne pouvant changer son opinion, il donna signal aux hommes d'armes qu'il avait amenés, et saisit le sire de Parthenay, comme prisonnier, au nom du roi. Mais le pont et les portes du château n'étaient point fermés les habitants de la ville de Parthenay, entendant du bruit, entrèrent aussitôt et défendirent leur seigneur. Dans ce débat, messire de Harcourt et la plupart de ses compagnons furent tués ; ils périrent ainsi victimes de leur trahison.

Dans cette guerre de compagnies et de forteresses, les succès étaient divers, et sans autre conséquence que le malheur des peuples. Il arrivait parfois que les Anglais gagnaient un château le matin, et qu'à quelques lieues plus loin ils en perdaient deux le soir[117]. C'est ainsi que Ham Compiègne Guise et d'autres villes ou lieux fortifiés furent alternativement pris et repris par Jean de Luxembourg et par Saintrailles, que le roi Charles VII, après la bataille de Crevant, s'était hâté de racheter à grands deniers, encore qu'il n'en eût guère alors. Mais ce vaillant chevalier, toujours aventureux, fut une troisième fois fait prisonnier dans une sortie au siège de Guise.

C'était avec les chevaliers et seigneurs de Vermandois et de Picardie que messire de Luxembourg faisait infatigablement toutes ses expéditions. Quand ils revenaient chez eux, ils trouvaient leurs villes saccagées, leurs châteaux pillés ou brûlés, leurs domaines dévastés, soit par les uns, soit par les autres. Le sire de Luxembourg était dur et redouté ; il écoutait peu leurs plaintes, ou bien leur donnait des assurances vaines. Enfin ils se lassèrent, et firent entr'eux des assemblées, soit pour exposer fortement leurs griefs, soit pour aviser à défendre leurs seigneuries[118]. De zélés serviteurs de la maison de Bourgogne étaient à la tête de ces assemblées, les sires de Longueval, de Mailli, de Saint-Simon, de Maucourt ; mais ils s'entendirent mal entre eux. Plusieurs craignirent la colère de Jean de Luxembourg, et se retirèrent de ces pourparlers, si bien que les premiers qui avaient entamé l’affaire se trouvèrent contraints de la pousser plus avant ; ils se déclarèrent pour le roi Charles, gardèrent en son nom leurs châteaux ou y appelèrent ses gens. Le régent anglais les fit mettre au ban du royaume, pour avoir rompu le serment qu'ils avaient prêté au roi Henri. Leurs biens furent confisqués, et par la suite il y en eut de misa mort, quand ils étaient pris[119].

Vers ce moment, les affaires du roi de France semblaient, malgré la triste journée de Crevant, ne pas être en si déplorable situation. Il lui était né le 4 juillet, à Bourges, un fils qui fut depuis le roi Louis XI. On avait alors si peu de finances, qu'on fut contraint à demander du temps au chapelain pour lui payer le rachat des vases d'argent qui avaient servi au baptême, et auxquels il avait droit par la coutume. Cependant il y eut de grandes réjouissances tous les peuples de l'obéissance française célébrèrent cette naissance par des fêtes, et jusqu'à Tournay, ville du domaine royal, située au milieu de la Flandre et de la domination de Bourgogne les habitants se réjouissaient, criant : Noël[120].

Ce qui nuisait peut-être le plus à la cause du roi, c'est qu'on disait beaucoup de mal des gens qui formaient son conseil et qui le gouvernaient. Tanneguy, le président de Provence, Guillaume d'Avaugour, Robert-le-Masson, étaient peu estimés dans un parti comme dans l'autre. Quoi qu'on pût leur reprocher, ils n'en montraient pas moins en ce moment une grande constance et une merveilleuse résolution, sans cesse ils savaient former de nouvelles compagnies armées, et opposer partout résistance et même attaque aux Bourguignons et aux Anglais[121]. Ils venaient d'obtenir un remort de cinq cents lances et de mille archets du duc de Milan. En arrivant à Lyon, cette troupe, conduite par le bailli Imbert de Grollée, s'était portée en diligence au château de la Bussière, près de Mâcon, le jour même où le sire de Toulongeon, maréchal de Bourgogne, devait y entrer car le gouverneur avait rendu la place pour ce terme, s'il ne lui arrivait pas secours. Selon l'usage, le maréchal, au jour prescrit, mit sa troupe en bataille pour tenir journée et attendre ceux qui se présenteraient au secours de la forteresse. Tout à coup les Lombards et les Lyonnais tombèrent sur sa troupe ; elle fut taillée en pièces, et il fut fait prisonnier[122].

Le conseil de Bourgogne s'occupa aussitôt de pourvoir à la sûreté du duché. On convoqua des hommes d'armes ; Antoine dé Toulongeon fut chargé de l'office de maréchal, au lieu de son frère prisonnier ; un nommé Perrin Grasset, aventurier et chef de compagnie, fut envoyé dans le Charolais, et tarda peu à surprendre la ville de la Charité, qui était si importante pour les Français à qui elle assurait le passage de la Loire.

Mais le roi espérait pouvoir bientôt porter de plus grands coups ; il recevait d'Écosse des renforts considérables, et n'épargnait rien pour animer et récompenser le zèle des seigneurs de ce pays-là. Déjà le comte de Buchan avait été fait connétable de France ; Jean Stuart, qui avait été pris à Grevant, puis échangé contre sir Jean de la Poole, fut fait comte d'Aubigny, et peu après de Dreux. Le comte Douglas, qui amenait d'Ecosse quatre ou cinq mille hommes d'armes, fut créé duc de Touraine et lieutenant-général de tout le royaume pour le fait de la guerre, au grand murmure des seigneurs de France.

Ainsi la guerre se préparait à devenir-plus vive et plus forte. Le duc de Bourgogne était pour lors en Flandre ; une aventure bizarre l'avait contraint à se rendre à Gand[123]. Une femme s'y était présentée sous le nom de madame Marguerite duchesse de Guyenne, sa sœur, qui allait épouser le comte de Richemont. Elle avait si bien su ménager les apparences, qu'on lui avait rendu toutes sortes d'honneurs ; il se trouva enfin que c'était une religieuse échappée de son couvent à Cologne ; elle fut remise à l'évêque, qui la fit ramener à son abbaye.

Vers la fin d'août, le Duc et le comte de Richemont, qui ne l'avait point quitté depuis les conférences d'Amiens arrivèrent à Paris. Le régent anglais les reçut avec grande pompe ; quant au peuple il n'avait plus de goût ni d'empressement pour aucun de tous ces princes seulement il se plaignait des désordres et de la mauvaise discipline de leur suite, blâmait leurs profusions, qui faisaient enchérir les vivres, déjà si rares, et détestait les magistrats qui, au lieu de leur dire la vérité, ne tâchaient qu'à leur complaire[124].

Le Duc profita de la bonne-volonté du duc de Bedford pour se faire payer ce qui lui était dû sur la dot de madame Michelle de France ; l'affaire fut discutée dans le conseil, et, après beaucoup de difficultés, il obtint les villes de Péronne, Roye et Montdidier, une pension de deux mille francs sur Montreuil, le château d'Andrevic, et le péage de Saint-Jean de Losne.

Le duc Philippe n'eut pas un succès aussi prompt dans l'affaire du duc de Brabant et du duc de Glocester le régent tâchait toujours de gagner du temps ; cependant il proposa au duc de Bourgogne de se faire agréer tous deux pour arbitres par les parties on en écrivit au duc de Glocester, mais il ne se pressa point d'envoyer sa réponse.

Après un séjour de deux semaines, le Duc quitta Paris avec le comte de Richemont, et s'achemina vers la Bourgogne. De ville en ville, selon sa coutume et celle de tous les princes chrétiens, il s'arrêtait pour visiter les églises, entendre dévotement les saints offices, dire ses prières, faire des offrandes. L'anniversaire de la funeste mort de son père se trouva durant ce voyage, et il le solennisa, comme jamais il n'y manquait. Au monastère de Saint-Seine, il déposa ses éperons sur les reliques des saints, puis les racheta par d'autres libéralités[125].

Peu après son arrivée à Dijon, se célébra enfin le mariage du comte de Richemont et de la duchesse de Guyenne ; elle voulut garder ce nom qu'elle avait porté lorsqu'elle était femme du dauphin de France. Les magnificences de la noce furent grandes ; les fêtes durèrent plus d'un mois. Elles étaient à peu près terminées, lorsqu'arrivèrent des ambassadeurs du duc de Savoie. Ce prince s'occupait toujours de rétablir la paix ; il avait eu du roi de France de meilleures paroles que l'année précédente. Maintenant, sous prétexte de traiter des affaires de Bourgogne et de Savoie, il demanda une entrevue à son neveu le duc Philippe. Les ambassadeurs trouvèrent à cette cour le comte de Richemont, qui était porté de bonne volonté pour la France ; le chancelier de Bourgogne, maître Nicolas Raulin, qui avait toute, la confiance de son maître, avait aussi le cœur français. Grâce à eux, le duc Philippe accueillit fort bien l'ambassade, et envoya aussitôt le sire de Saint-George avec d'autres officiers de sa maison, proposer une entrevue à Châlons pour le 1er décembre.

Il s'y rendit en effet. D'abord il fut traité de quelques difficultés concernant la limite des deux états. La guerre donnait lieu aussi à de continuelles plaintes ; le commerce ne pouvait plus se faire avec sûreté ; il y avait sans cesse des marchands dévalisés sur les routes. Un autre objet occupa les deux princes ils pensèrent à faciliter le négoce, en frappant, dans les pays de leur domination, des monnaies du même poids, du même titre et de même valeur. Quand les monnaies d'un état n'avaient pas cours dans un autre, comme cela arrivait presque toujours, tant les princes en faisaient varier la valeur selon leur volonté, les marchands étaient obligés d'acheter des lingots d'or pour s'en aller faire leurs achats ; ils en revendaient d'autant plus cher leurs marchandises. D'ailleurs, en recherchant ainsi l'or pour l'emporter, ils en élevaient la valeur, puis les princes' prenaient cette cause ou ce prétexte pour changer la valeur de leurs monnaies. R était difficile que ce fût la Bourgogne qui se mit au taux de la Savoie, parce qu'alors sa monnaie n'aurait plus eu cours en France. De plus, les conseillers remarquaient qu'il fallait que le marc d'argent et la valeur du poids des écus fussent fixés au même taux par les deux princes, avec des peines sévères contre les transgresseurs ; enfin, disait-on, il deviendrait par-là indispensable que jamais aucun changement eût lieu dans les monnaies d'un état, sans que l'autre en fût prévenu au moins deux mois d'avance ainsi l'affaire ne put s'arranger[126].

Le duc de Savoie parla ensuite de la paix qui semblait être sa pensée principale ; il trouva son neveu irrité contre le roi de France. Il avait paru au duc Philippe et peut-être avec raison, que presque tous les efforts de la guerre avaient été dirigés contre la Bourgogne ; d'ailleurs, pour se montrer fidèle aux Anglais, le duc de Bourgogne avait écrit au duc de Bedford qu'il n'entendrait à rien qui pût porter préjudice aux intérêts du roi d'Angleterre, et qu'il ne prendrait nul arrangement sans le lui avoir auparavant communiqué.

Cependant une trêve fut prononcée par le duc de Savoie, pour les pays de Lyonnais, Bourgogne et Charolais et aussi pour le comté de Nevers et le Berri quant au Beaujolais, la duchesse de Bourbon l'avait constamment maintenu en paix avec la Bourgogne, et les traités avaient été plus d'une fois renouvelés[127].

De retour en ses États, le duc de Savoie fit publier les conditions qu'il avait proposées pour arriver à la conclusion de la paix. Il eût voulu que le roi de France se rendît à Lyon avec son conseil, tandis que le duc de Bourgogne aurait été avec le sien à Châlons ; tout le pays situé entre ces deux villes aurait été libre de gens de guerre, et Mâcon, Tournus et Charlieu auraient été remis en dépôt à lui duc de Savoie.

Ces propositions n'eurent pas de suite, non plus que les efforts du cardinal de Sainte-Croix, légat du, pape, à qui cependant l'Angleterre accorda pouvoir de commencer des négociations avec la France.

Le duc Philippe, après avoir convoqué les trois États du duché et du comté pour en obtenir un subside, se préparait à retourner Paris et en Flandre, lorsqu'il apprit que sa mère était mourante. Il quitta sur-le-champ Montbard où il était, avec le comte de Richemont. Quelle que fût leur diligence, ils ne purent revoir leur mère. Les peuples de Bourgogne donnèrent de grands regrets à cette princesse ; au milieu de ces temps malheureux, elle avait toujours veillé leur bien et leur repos, s'était occupée d'écarter d'eux les maux de la guerre, avait été économe, ne les avait point, pour son compte du moins, surchargés d'impôts, et avait toujours fait payer fidèlement la solde des hommes d'armes, les empêchant ainsi de rançonner les campagnes.

Sa mort accroissait les domaines et les richesses du duc Philippe. Après avoir réglé quelques affaires, il partit pour Paris avec le comte de Richemont. A peine s'était-il éloigné, qu'on découvrit le secret d'une attaque imprévue, que les partisans du roi allaient faire sur la Bourgogne, nonobstant la trêve de Châlons. Leur espoir se fondait sur les intelligences qu'ils avaient dans le pays. Le bâtard de la Baume, étant tombé entre les mains d'une compagnie anglaise, confessa toute l'affaire. Elle avait surtout été conduite par une fille bâtarde que le feu roi Charles VI avait eue, durant sa maladie, d'Odette de Champdivers elle habitait en Bourgogne, d'où était sa mère, et le Duc lui faisait même une pension. On la mit en prison, ainsi qu'un religieux cordelier et un marchand de Genève, ses principaux complices[128].

Cette tentative éloigna encore plus les idées de paix les ducs de Bedford et de Bourgogne ne s'occupèrent qu'à pousser la guerre avec activité. Le comte de Richement demanda que le commandement d'une armée lui fût confié ; mais le régent se méfiant, ou de son habileté ou de sa foi, ne voulut point y consentir ; il ajouta même que le comte de Richemont, n'ayant pas combattu depuis Azincourt, avait pu oublier la guerre[129]. Ce refus offensa mortellement le comte les faveurs par où les Anglais avaient voulu se l'attacher, le don du comté d'Ivry, la promesse d'une forte pension, ne calmèrent point son ressentiment ; il se retira en Bretagne, et pour dérober sa marche aux Anglais, il s'embarqua dans un port de Flandre, tandis que tous ses serviteurs traversaient la Normandie, annonçant qu'il allait passer. C'était un motif de plus pour ménager le duc Philippe ; rien ne lui était refusé ; les comtés d'Auxerre et de Mâcon, ainsi que la châtellenie de Bar-sur-Seine, lui furent concédés en compensation des sommes qu'il prétendait être dues tant à lui qu'à ses prédécesseurs, et un délai de deux ans lui fut accordé pour justifier de ses créances.

Il partit de Paris pour ses États de Flandre là, sur la proposition et les instances de son conseil et de ses parents le duc de Brabant et le comte Jean de Bavière, il se résolut à épouser la veuve de son oncle le comte de Nevers, qui avait péri à la journée d'Azincourt ; c'était Bonne d'Artois, fille du comte d'Eu, connétable de France, mort à la bataille de Nicopolis, et petite-fille du duc de Berri. Une ambassade, chargée de riches présents, partit pour solliciter du pape les dispenses nécessaires. Le souverain pontife fut aussi chargé d'un commun accord, par les ducs de Bedford et de Bourgogne, de prononcer sur le différent soumis à leur arbitrage au sujet du double mariage de Jacqueline de Brabant ; c'est ce qui fut arrêté lorsque le Duc traversa Paris pour retourner dans son duché de Bourgogne. Il obtint encore de nouvelles marques de faveur ; entre autres, il fit obtenir au sire de Chastellux une riche part dans des confiscations faites sur le cardinal de Bar et d'autres partisans du roi[130].

Le duc de Bedford et le duc de Bourgogne quittèrent Paris à peu près en même temps ; le premier, pour conduire son armée contre les forces redoutables, que le comte Douglas avait assemblées sur les marches du Perche et de la Normandie y le second, pour assembler les hommes d'armes de Bourgogne, et pousser la guerre avec vigueur, mais, avant de s'être mis en campagne, il apprit la terrible victoire que les Anglais venaient de remporter à Verneuil le 17 août[131].

Toute l'espérance du roi Charles se trouvait dans cette armée ; les Ecossais, les Lombards, les meilleurs chevaliers du royaume étaient réunis. Il en fut comme a. l'ordinaire ; la discorde se mit entre les chefs. On vit éclater plus que jamais.la haine que les gentilshommes de France avaient conçue contre les Écossais, qui venaient avec orgueil et convoitise exiger du roi de France les emplois, les seigneuries, l'argent et toutes les récompenses.

Le comte Douglas et les Ecossais furent d'abord d'avis d'avoir bataille avec les Anglais ; telle n'était point l'idée du vicomte de Narbonne, du comte d'Aumale et des vieux capitaines français ; ils préféraient faire des sièges, et mettre de fortes garnisons dans les forteresses dont on pourrait s'emparer. Ils venaient cependant de perdre celle d'Ivry, que le duc de Bedford était venu assiéger, et que l'armée du roi avait promis de délivrer elle avança presque jusqu'à la vue de la garnison ; mais, trouvant les Anglais en bonne position, elle se retira. Pour lors le gouverneur, Gérard de la Pallière, qui, s'était engagé à se rendre s'il n'était pas secouru, vint porter les clefs au duc de Bedford : « Voici, dit-il, lui montrant une lettre qu'il tenait à la main, la signature de dix-huit des plus grands seigneurs du royaume, qui m'ont manqué de parole. »

Pendant ce temps-là les Français se dirigeaient sur Verneuil. Pour s'en emparer, ils imaginèrent d'assurer à la garnison qu'ils venaient de remporter une victoire signalée sur l'armée anglaise : « Voyez nos prisonniers », disaient-ils, montrant quelques Écossais qu'ils avaient attachés à la queue de leurs chevaux ; et qui semblaient être blessés et tout sanglants : « Ah triste journée ! » criaient en anglais les soldats écossais. La garnison se laissa duper et rendit la forteresse.

Le duc de Bedford avait suivi l'armée de France, et s'avança sous les murs de Verneuil. Il envoya un héraut au comte Douglas, le faisant prier de s'arrêter, et qu'il seyait bien aise de boire un coup avec lui : « Dis à ton maitre, répondit le lieutenant-général, que, ne le trouvant pas en Angleterre, je viens exprès du royaume d'Ecosse pour le rencontrer en France ; qu'il se hâte, je l'attends ; et, en attendant que nous buvions ensemble, rapporte-lui que j'ai fait faire bonne chère à son héraut. »

On s'apprêta au combat ; les Français mirent pied à terre, et laissèrent leurs chevaux et les bagages dans la ville ; seulement deux mille hommes d'armes, les uns lombards, les autres français, sous les ordres de la Hire et de Saintrailles furent chargés d'aller attaquer les Anglais par derrière.

Le duc de Bedford mit aussi tout son monde à pied, et garnit le front et les flancs de son armée d'archers retranchés derrière leurs épieux ; les chevaux et les bagages furent placés par derrière, sous la garde de deux mille archers. Le régent parla ensuite aux Anglais ; il leur rappela leurs anciennes victoires, et la glorieuse conquête qu'ils venaient de faire du royaume de France il leur dit qu'il était temps de rabattre l'orgueil du Dauphin et de ses partisans, et que s'ils laissaient s'allumer le feu, l'incendie ne pourrait plus s'éteindre.

Le conseil du roi de France n'avait pas voulu qu'il fût de sa personne à cette bataille ; tout eût été perdu avec lui, et il était sage d'en agir ainsi. Toutefois cette prudence faisait dire que ce prince n'aimait pas tant la guerre que les rois ses pères ; sans douter de son courage on croyait qu'il aimait mieux le repos et la paix. Le duc d'Alençon était le seul prince de la maison de France qui fût présent il s'adressa aux Français il les exhorta à se conduire en gens de cœur, et leur rappela qu'il s'agissait de savoir s'ils s'affranchiraient de la plus honteuse servitude, ou subiraient pour toujours le joug des anciens ennemis du royaume.

L'ardeur était extrême. Bientôt, contre la volonté du comte Douglas~ qui voulait attendre l'attaque, et non la commencer, le vicomte de Narbonne, à la tête de ses gens, marcha sur les Anglais, aux cris de : Montjoye ! Saint-Denis ! Il fallut suivre un mouvement qui n'avait point été prévu. Lorsqu'on arriva devant l'ennemi, déjà l'on était lassé, déjà l'armée n'était plus en bon ordre. Les Anglais reçurent le choc en criant d'une voix terrible, selon leur coutume : Saint-George à Bedford ! De part et d'autre il n'y avait ni avant-garde ni réserve toute l'armée donnait à la fois. La bataille fut rude. Pendant plus de trois heures l'avantage ne se déclara pour aucune des deux armées ; mais les Lombards, pendant ce temps-là, ayant passé derrière les Anglais, tombèrent sur les bagages. Ils y furent vigoureusement reçus par les deux mille archers ; cependant ils parvinrent à jeter le désordre parmi les pages et les valets qui gardaient les chevaux. Ce tut la perte des Français ; les cavaliers lombards se mirent à piller ; et, pour mettre à couvert leur butin et les chevaux dont ils se saisissaient, ils laissèrent le champ de bataille, comme si tout combat eût été terminé. Alors les deux mille archers, libres de l'attaque, se portèrent au secours du corps d'armée. Ils arrivèrent comme une réserve de troupes fraîches. Les Français ne purent résister à ce nouvel effort ; la bataille fut perdue malgré les prodiges de valeur des chevaliers de France et d'Écosse, qui vendirent chèrement la victoire aux Anglais. Le comte Douglas, messire Jacques son fils, le comte de Buchan, et beaucoup d'autres Ecossais, furent tués. La perte fut plus grande encore parmi les Français, et ce jour fut presque aussi funeste à la noblesse que Crécy, Poitiers ou Azincourt ; Jean de Harcourt, comte d'Aumale, le comte de Tonnerre, le comte de Vantadour, le sire de Roche-Baron, le sire de Gamaches, et une foule de vaillants chevaliers, périrent dans la bataille. Le corps du vicomte de Narbonne fut reconnu parmi les morts ; on lui trancha la tête, et son corps fut suspendu à un gibet, parce qu'il avait été un des meurtriers du duc Jean. Le duc d'Alençon, le maréchal de la Fayette, et plusieurs autres, furent faits prisonniers. Le sire de Maucourt et le sire Charles de Longueval, qui avaient, ainsi que nous l'avons dit, laissé le parti anglais, ayant été pris, furent décapités, ainsi que quelques chevaliers de Normandie qui, la veille de la bataille, avaient passé avec les Français.

Verneuil, où s'était enfermé le sire de Rambures, ne put résister, le duc de Bedford accorda à la garnison la permission d'emmener ses chevaux et de se retirer en Berri mais les Anglais, dont les Lombards avaient pillé les chevaux ne voulaient pas reconnaître cette condition il fallut que le comte de Salisbury tuât de sa main deux ou trois de ses gens, pour faire rentrer les autres dans le devoir.

Le duc de Bedford revint tout aussitôt à Paris le bruit y avait couru qu'il avait été défait une conspiration avait été découverte elle fut sévèrement punie et la ville, en réjouissance de la bataille de Verneuil, donna de superbes fêtes au régent.

 

 

 



[1] Monstrelet. — Lefebvre de Saint-Remy. — Mémoires de France et de Bourgogne. — Heuterus.

[2] Lettres du roi et de la reine, 15 septembre.

[3] Heuterus. — Monstrelet. — Lefebvre de Saint-Remy.

[4] Monstrelet.

[5] Journal de Paris.

[6] Lefebvre Saint-Remy. — Le Religieux de Saint-Denis.

[7] 1419-1420 (v. s.), l'année commençait le 7 avril.

[8] Monstrelet. — Fenin.

[9] Pièces justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.

[10] Monstrelet.

[11] Chronique d'Hollinshed.

[12] Journal de Paris.

[13] Juvénal des Ursins.

[14] Réponse d'un bon et loyal Français au peuple de France et de tous états. Pièces justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.

[15] Registres du Parlement.

[16] Le Religieux de Saint-Denis.

[17] Histoire de Bourgogne.

[18] Monstrelet. — Fenin.

[19] Monstrelet. — Chronique d'Hollinshed.

[20] Chronique d'Hollinshed.

[21] Saint-Remy.

[22] Juvénal.

[23] Histoire de Bourgogne.

[24] Journal de Paris.

[25] Chronique d'Hollinshed.

[26] Juvénal.

[27] Monstrelet. — Lefebvre Saint-Remy.

[28] Chronique d'Hollinshed. — Fenin.

[29] Juvénal. — Monstrelet.

[30] Chronique d'Hollinshed. — Juvénal. — Monstrelet.

[31] Monstrelet. — Fenin.

[32] Monstrelet.

[33] Mémoires de France et de Bourgogne.

[34] Juvénal. — Journal de Paris.

[35] Journal de Paris.

[36] Hollinshed.

[37] Juvénal.

[38] Traité historique des monnaies de France.

[39] Monstrelet. — Pièces justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.

[40] Pièce jointe aux notes sur Juvénal. — Hollinshed. — Monstrelet. — Fenin.

[41] Chronique d'Hollinshed. — Monstrelet. — Fenin.

[42] Pièces justificatives des Mémoires de France et de Bourgogne.

[43] Chronique d'Hollinshed.

[44] Registres du Parlement.

[45] Juvénal. — Saint-Remy. — Monstrelet. — Hollinshed.

[46] Fenin. — Monstrelet.

[47] Journal de Paris.

[48] Saint Remy. – Monstrelet. — Fenin.

[49] Monstrelet. — Saint-Remy. — Fenin. — Hollinshed. — Histoire de Bourgogne.

[50] Monstrelet. — Fenin. — Saint-Remy.

[51] Monstrelet. — Fenin. — Lefebvre de Saint-Remy.

[52] Meyer.

[53] Journal de Paris.

[54] Histoire de Bourgogne.

[55] Journal de Paris. — Juvénal.

[56] Journal de Paris.

[57] Hollinshed.

[58] Journal de Paris. — La complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs, pièce en vers rapportée dans Monstrelet.

[59] Histoire de Bourgogne.

[60] Journal de Paris.

[61] Journal de Paris.

[62] Gollut.

[63] Hollinshed.

[64] Fenin. — Juvénal des Ursins.

[65] Hollinshed.

[66] Journal de Paris. — Monstrelet.

[67] Monstrelet. — Fenin.

[68] Monstrelet. — Journal de Paris. — Juvénal des Ursins. — Le Religieux de Saint-Denis.

[69] Journal de Paris.

[70] Juvénal des Ursins.

[71] Monstrelet.

[72] Histoire de Bourgogne.

[73] Histoire de Bourgogne.

[74] Mer des chroniques et histoires.

[75] Histoire de Bourgogne. — Monstrelet. — Lefebvre Saint-Remi. — Meyer. — Fenin.

[76] Monstrelet. — Fenin. — Abrégé chronologique.

[77] Lefebvre Saint-Remi. –Monstrelet. — Fenin. — Hollinshed.

[78] Hollinshed.

[79] Monstrelet. — Lefebvre Saint-Remi. —  Fenin. — Juvénal.

[80] Monstrelet.

[81] Monstrelet. — Hollinshed. — Histoire de Bourgogne.

[82] Villaret.

[83] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[84] Journal de Paris. — Juvénal des Ursins.

[85] Registres du Parlement.

[86] Juvénal des Ursins.

[87] Histoire de Bourgogne.

[88] Villaret.

[89] Journal de Paris.

[90] Monstrelet. — Ordonnances des rois de France.

[91] Hollinshed.

[92] Registres du Parlement.

[93] Hollinshed.

[94] Pièces justificatives de l'Histoire de Bourgogne.

[95] Monstrelet. — Hollinshed.

[96] Journal de Paris.

[97] Monstrelet. — Meyer. — Chronique des ducs de Brabant, de Barlandus. — Synopsis ducum Brabantiœi : Hubert Loyens.

[98] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[99] Mémoires de Richemont.

[100] Mémoires de Richemont. — Titres du château de Nantes.

[101] Journal de Paris.

[102] Monstrelet. — Manuscrit 10297. — Journal de Paris.

[103] Monstrelet.

[104] Mémoires de Richemont.

[105] Histoire de Bretagne. — Monstrelet.

[106] Monstrelet. — Hollinshed.

[107] Journal de Paris.

[108] Monstrelet.

[109] Chronique de Berri. — Monstrelet. — Hollinshed. — Histoire de Bourgogne.

[110] Histoire de Bourgogne.

[111] Monstrelet. — Hollinshed.

[112] Monstrelet. — Philippe de Comines.

[113] Histoire de Bourgogne.

[114] Journal de Paris.

[115] Monstrelet.

[116] Monstrelet.

[117] Journal de Paris.

[118] Monstrelet.

[119] Fenin.

[120] Monstrelet.

[121] Chartier.

[122] Histoire de Bourgogne.

[123] Histoire de Bourgogne.

[124] Journal de Paris.

[125] Histoire de Bourgogne.

[126] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[127] Preuves de l'Histoire de Bourgogne.

[128] Histoire de Bourgogne et Preuves.

[129] Histoire de Bourgogne et Preuves.

[130] Histoire de Bourgogne.

[131] Monstrelet. — Chartier. — Berri. — Hollinshed. — Saint-Remi. — Fenin. — Amelgard.