HISTOIRE DES DUCS DE BOURGOGNE DE LA MAISON DE VALOIS — 1364 -1477

TOME QUATRIÈME. — JEAN-SANS-PEUR

 

LIVRE TROISIÈME.

 

 

Siège de Bourges. — Paix d'Auxerre. — Domination de la faction des bouchers. — Reprise d'armes. — Paix de Pontoise. — Le duc de Bourgogne quitte Paris. — Il ne peut y rentrer. — Le roi marche contre lui. — Paix d'Arras. — Les Anglais descendent en France. — Négociations avec le duc de Bourgogne. — Prise de Harfleur.

 

LE ROI partit de Vincennes le 6 de mai avec le duc de Bourgogne, le duc de Guyenne et une nombreuse et brillante armée. A son départ, les députés de la ville et de l'université vinrent le trouver, et le conjurèrent, s'il faisait quelque traité avec les princes, de les y comprendre formellement, et de les garantir de la haine qu'ils avaient encourue en soutenant le parti du roi. Il leur accorda authentiquement leur requête.

Le roi suivit la route de Melun, Montereau et Sens. Il fut forcé de passer quelques jours dans cette ville, parce qu'il y reçut un fort coup de pied de cheval dans la jambe ; mais sans attendre une complète guérison, il reprit sa route contre l'avis des hommes sages ; il voulait se montrer, disait-il, soigneux de sa charge de capitaine de l'armée et gagner bonne renommée d'homme de guerre. Le duc de Bourgogne contribuait aussi à presser la marche du roi ; il précipita tellement le départ que, bien que ce fût le jour de la Pentecôte, le roi n'entendit qu'une basse messe. Cela fut fort blâmé et parut bien contraire aux anciens usages des rois de France.

Il y avait un puissant motif pour ne pas perdre un jour. L'accord des princes avec les Anglais pouvait se conclure', et alors la guerre serait devenue bien plus difficile. On apprit bientôt en effet que le connétable d'Albret, ambassadeur du duc de Berri et du duc d'Orléans, avait le 8 mai signé le traité dont le projet était déjà connu. Le roi d'Angleterre n'avait pas hésité entre les deux partis : le duc de Bourgogne ne lui promettait rien d'assuré ; il ne s'était même pas encore engagé à donner sa fille au prince de Galles. Où a vu au contraire, quelles offres lui avaient faites les Armagnacs. Le roi Henri avait dès-lors commencé à sentir quelque scrupule de s'allier avec l'assassin du feu duc d'Orléans. Il avait réfléchi qu'il était de son devoir de secourir des seigneurs qui se reconnaissaient pour ses vassaux ; par honneur et par profit il avait accepté ces conditions avantageuses[1]. Le duc de Bourgogne apprit en même temps, que ses bonnes villes de Flandre avaient reçu du roi d'Angleterre une lettre ainsi conçue :

« Henri, par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre et de France seigneur d'Hibernie, aux honorables et sages seigneurs, bourgeois, échevins et avoués des villes de Gand, Bruges et autres, nos très-chers et particuliers amis. Très-chers et très-honorables seigneurs, il est venu à notre connaissance, comment, sous le nom de notre adversaire de France, le duc de Bourgogne, comte de Flandre, prend son chemin vers notre pays d'Aquitaine, 'pour le ruiner ainsi que nos sujets, et spécialement nos bien chers et aimés cousins, les ducs de Berri, d'Orléans et de Bourbon ; les comtes d'Angoulême et d'Armagnac et le seigneur d'Albret. C'est pourquoi, si votre seigneur persévère dans son envieux et mauvais projet, vous voudrez bien nous faire connaître par vos lettres, et le plutôt que vous pourrez, si ceux du pays de Flandre veulent tenir pour leur compte les trêves conclues récemment entre nous, sans assister le mauvais projet de nos seigneurs contre nous. Et si vous, très-chers amis et honorés seigneurs, et les communes de Flandre, voulez les tenir, nous entendons et nous proposons d'en faire de même de notre côté. Très-chers et honorés amis, que le Saint-Esprit vous ait en sa garde. Donné à Westminster le 13 mai 1413. »

Les bonnes villes avaient répondu que le duc de Bourgogne et comte de Flandre pouvait à sa volonté assister le roi son souverain seigneur, mais, qu'elles voulaient garder la trêve.

Rien n'était donc plus important que de terminer l'entreprise commencée avant l'arrivée des Anglais. Le comte de Saint-Pol avait été envoyé sur les frontières de la Picardie pour s'opposer aux entreprises des gens de Calais ; le roi de Sicile dans le Perche pour saisir la seigneurie du comte d'Alençon. Le maréchal de Loigny avec les Parisiens s'était porté vers la ville de Dreux qui était le principal lieu de refuge des Armagnacs et le dépôt de leur butin. Le reste de l'armée marchait avec le roi.

Il s'empara d'abord de Fontenay et de Dun-le-Roy deux forteresses du Berry qui ne se défendirent pas longtemps ; puis il alla camper devant Bourges, où se tenaient enfermés le duc de Berri, le duc de Bourbon, le sire d'Albret, le comte d'Auxerre, l'archevêque de Sens, l'évêque de Paris, l'archevêque de Bourges, et une foule de seigneurs du parti des Armagnacs.

Parmi les conseillers qui entouraient le roi, beaucoup s'affligeaient de, voir le duc de Bourgogne mener si vivement cette guerre, et ne pas s'efforcer de la prévenir encore une fois par un accommodement. Le roi lui-même éprouvait quelque chagrin de venir combattre son vieil oncle de Berri, le guide et le tuteur de sa jeunesse. Déjà à sa sollicitation, il avait fait quartier à la garnison de Dun-le-Roy, malgré les clameurs des Bourguignons, qui voulaient tomber sur les gens à l'écharpe blanche[2]. On commença par envoyer sommer la ville de Bourges. Le duc de Berri répondit qu'il était parent et serviteur du roi, prêt à ouvrir les portes à lui et à monseigneur le duc de Guyenne, mais qu'ils avaient en leur compagnie des gens qui n'y devaient point être : qu'ainsi il allait garder de son mieux sa ville pour le roi.

Alors on se résolut à faire le siéger Il y avait longtemps qu'une occasion si solennelle ne s'était présentée ; le roi fit plus de cinq cents chevaliers ; plusieurs aussitôt après levèrent leur bannière. L'attaque commença le 11 de juin. La ville était grande ; deux petites rivières qui s'y réunissent formaient de grands marais. Il aurait fallu une armée beaucoup plus nombreuse pour l'environner. On résolut d'en forcer une porte. Il avait été fait pour le siège de Dun-le-Roy une grande machine nommée la griète, qui, à force de poudre, lançait des pierres énormes. Il fallait vingt hommes pour la manœuvrer, elle faisait de grands ravages chez les assiégés, et agissait avec tant de force et de bruit qu'elle n'était pas sans péril pour ceux qui la faisaient aller.

Les deux armées étaient fort animées. On se criait des injures du haut en bas des murailles[3]. Les assiégés appelaient leurs adversaires, traîtres et mauvais Bourguignons. Ils leur reprochaient de tenir prisonnier dans sa tente le roi, qui n'était sensé ni de pensée, ni de propos. Ils traitaient le duc de Bourgogne d'homicide infâme, et disaient que, sans lui, ils eussent ouvert leurs portes au roi. Leur cri était : « Vive le roi, le duc de Berri et le duc d'Orléans. » Le duc de Bourgogne entendait souvent ces propos et ne disait mot, se promettant bien de se venger. Les assiégeants appelaient les autres, rebelles au roi leur souverain seigneur, et les accablaient de toutes les invectives qu'on avait coutume d'adresser aux Armagnacs.

Cependant on s'étonnait qu'une garnison si forte, et qui n'était pas enfermée, ne tentât aucune sortie. Deux jours après le bruit se répandit dans le camp, qu'une trêve venait d'être conclue pour traiter de la paix. Alors chacun se désarma, et rentra dans sa tente pour être à l'abri de la chaleur, qui était forte ce jour-là[4]. Sur les trois heures, deux pages du sire de Croy, en menant leurs chevaux à l'abreuvoir, virent une troupe ennemie qui se glissait dans les vignes, pour surprendre le camp. L'alarme fut bientôt donnée, on courut aux armes. Les nouveaux chevaliers saisirent cette occasion de s'illustrer. Les assiégeants furent durement repoussés, et perdirent beaucoup des leurs. Parmi les prisonniers était un serviteur du sire d'Albret qui révéla le complot caché sous cette entreprise. Les princes avaient de nombreuses intelligences dans le camp Messire Robert de Boissay, premier maître-d'hôtel du roi, maître Geoffroy de Villon, secrétaire du duc d'Aquitaine, Gilles de Soisy et Enguerrand de Seurre, écuyers, leur faisaient savoir tout ce qui se passait dans l'armée et au conseil. C'étaient eux qui avaient semé la nouvelle d'une trêve. Les hommes d'armes qu'on avait vus sortir de la ville devaient être secondés par une troupe de gens à pied ; ceux-là, par une autre porte, seraient venus faire une seconde attaque. A ce moyen on aurait mis le feu à la griète ; tout était même prêt pour enlever le roi et le duc de Guyenne ; c'était le principal espoir qu'on avait conçu.

Le premier maître-d'hôtel et ses complices avouèrent ce dont ils furent accusés, et eurent la tête tranchée. Le duc de Bourgogne redoubla de précautions et de méfiance.

Le siège se prolongeait ; les vivres et les fourrages manquaient. Il fallait aller les chercher au loin. Le pays était pauvre ; c'était du Nivernais et de la ville de la Charité qu'on faisait arriver les convois. Bien que le sire de Helly et le sire de Rambures fussent chargés du service de les escorter, ils étaient toujours inquiétés et quelquefois surpris par la garnison ; elle continuait à tenir la campagne. Il y avait aussi à Sancerre un parti d'Armagnacs qui faisait forte guerre aux fourrageurs de l'armée royale ; mais le grand maître de la maison du roi, messire Guichard Dauphin parvint à gagner son cousin qui commandait la forteresse de Sancerre, et il la rendit.

Les maladies commençaient déjà à ravager l'armée. Les marais de Bourges étaient fort malsains. On disait que les Armagnacs avaient empoisonné tous les puits. La disette se faisait sentir chaque jour davantage. En vain promettait-on aux marchands bonne et sûre escorte[5]. Comme on les payait mal, ils n'étaient point tentés de venir.

Le duc de Bourgogne résolut alors de transporter l'attaque de l'autre côté de la rivière, où la contrée avait été moins dévastée. En même temps, il envoya le prévôt chercher à Paris un convoi d'argent.

Depuis le départ du roi, toute la ville ne semblait occupée que de prières pour le rétablissement de la paix, ou l'heureux succès des armes du roi et le maintien de sa santé. C'était chaque dimanche des processions magnifiques, où l'on portait les reliques des saints, où le clergé et les évêques, qui étaient pour lors à Paris, marchaient dans la plus grande pompe, suivis de quarante ou cinquante mille bourgeois, de l'université, du Parlement, de tous les étudiants, les pieds nus et un cierge à la main. Jamais on n'avait vu tant de dévotion, ni de si tristes processions. Chacun jeûnait et se mortifiait afin d'obtenir du ciel la fin de tant de maux ; la France était, depuis deux ans, ravagée et mise à feu et à sang[6].

Pendant ce temps, la milice de Paris courait la campagne, poursuivant les Armagnacs qui tenaient encore quelques places dans la Beauce. De-là, ils allèrent, sous le maréchal de Loigny, attaquer Dreux. La place était forte, et les assiégés se raillaient beaucoup des gros bourgeois de Paris. La milice y mit tant de vigueur et de courage, que bientôt elle fit une brèche praticable et prit d'assaut la ville ; elle fut cruellement pillée. Les restes de la garnison se réfugièrent dans le château qui continua à se défendre. Comme il ne pouvait s'être emporté aussi facilement, et que le siège traînait en longueur, les Parisiens de la milice commencèrent à dire qu'ils étaient trahis, et que les commandants qu'on leur avait donnés recevaient de l'argent des Armagnacs. On leur avait persuadé cependant que le maréchal de Loigny était un des bons ; ils ne savaient plus à qui se fier, et assuraient, dans leur colère, qu'on les voulait empêcher de nettoyer le royaume de tous ces traîtres et de ces gentilshommes dont ils étaient si fort haïs parce qu'ils se battaient aussi bien qu'eux[7].

Ce ne fut pas sans peine que le prévôt parvint à rassembler de l'argent pour le siège de Bourges. Les Armagnacs, prévenus de l'arrivée du convoi, firent une entreprise pour l'enlever. Mais le sire de Helly et les hommes d'armes picards vinrent au secours et repoussèrent les gens de la garnison.

Le siège n'avançait pas. A la disette avait succédé l'épidémie. Elle ravageait l'armée du roi. Déjà près de huit mille gens d'armes[8] avaient péri. Le sire Gilles de Bretagne, second frère du duc, le comte de Mortagne frère du roi de Navarre, le sire Aimé de Viry, le sire de Ghistelles, beaucoup d'autres chevaliers illustres étaient mortellement malades. La sécheresse était extraordinaire. Les exhalaisons des marais, l'infection des cadavres répandaient partout la contagion. Le découragement commença à gagner les assiégeants. Les gens de bien, qui avaient toujours travaillé pour la paix, profitèrent de cette disposition des esprits ; ils réussirent surtout auprès du duc de Guyenne. C'était un jeune prince sans ressort et sans activité, lourd de corps et de caractère, qui ne montrait de goût que pour ses aises et ses plaisirs ; il aimait l'éclat en toutes choses, mais ne voulait point se donner de peine[9]. Il commença par se montrer mécontent de tous les maux qu'on faisait souffrir à la province de Berri, qui devait, à la mort de son oncle, passer dans son apanage. Bientôt il ordonna que l'on cessât de ruiner par les machines et les canons sa belle ville de Bourges. Le duc de Bourgogne, voyant qu'on cessait de presser le siège, en' parla à son gendre ; il s'aperçut bientôt à sa réponse qu'il n'était plus maître de son esprit, et que le duc de Guyenne prenait maintenant d'autres conseils. En effet, après quelques paroles, ce prince déclara qu'il fallait absolument que la guerre finît. Le duc de Bourgogne le conjura du moins que ce fût aux conditions arrêtées dans le conseil, et que soumission entière fût exigée des révoltés. « La guerre a trop duré, répliqua le dauphin, elle se fait au préjudice du royaume, du roi mon père, et de moi-même. Nous la faisons à mon oncle, à mes cousins-germains, à mes parents les plus proches, dont je pourrais être grandement entouré et servi. Cependant je veux qu'ils rentrent en l'obéissance du roi. »

Le duc de Bourgogne répondit humblement. Il jugeait que c'était une résolution prise ; d'ailleurs, on avait nouvelle que les Anglais étaient débarqués ; la ville ne pouvait être forcée, ni la guerre finie avant leur arrivée. On commença à traiter ; le maréchal de Savoie, que son maître envoyait expressément pour conseiller la paix .au roi, et le sire Philibert de Naillac, grand-maître de Rhodes, se chargèrent d'aller trouver le duc de Berri[10]. Il se montra d'abord assez hautain. L'archevêque de Bourges vint de sa part haranguer le roi, en présence de tous les princes et de son conseil ; là, dans un fort beau discours, il témoigna, au nom du duc de Berri et de ses alliés, un grand respect pour le roi, dei égards marqués pour les princes qui étaient présents, ne prononça point le nom du duc de Bourgogne, et insista beaucoup sur les méchants conseils et les suggestions des traîtres et des perfides. Il demanda que justice en fût faite, et protesta que le duc de Berri n'avait, ni d'intention, ni de fait, offensé le roi.

Les seigneurs, qui avaient profité de la dépouille des Armagnacs, ne manquèrent pas de saisir ce qu'il y avait de rude dans cette réponse, pour ranimer et fomenter la discorde ; mais le duc de Guyenne demeura sourd à leurs conseils ; il répétait souvent : « Le souverain bien de l'état consiste dans la réconciliation de la maison royale, et je la souhaite avec une passion extrême. »

Le grand maître de Rhodes, qui était né vassal du duc de Berri et qui en était fort aimé, parvint enfin à l'adoucir. D'ailleurs il ne savait plus comment payer ses hommes d'armes. Il avait vendu ou mis en gage son argenterie et ses joyaux. Il avait fait frapper de la monnaie au coin du roi avec une moindre valeur. La garnison manquait de vivres ; la ville avait été abîmée par les pierres 'que lançaient les assiégeants. Lui-même avait été obligé de changer mainte fois de logement, parce qu'on dirigeait les machines sur une maison dès qu'il y venait habiter.

Il consentit donc à une entrevue avec le duc de Bourgogne. Le lieu fut convenu. On éleva une barrière ; des hommes d'armes furent placés assez, près de chaque côté, car chacun n'avait pas grande confiance en son ennemi. Alors les deux princes s'avancèrent, accompagnés de leurs conseils, pour y recourir quand on en viendrait à discuter les articles du traité. Tous deux étaient revêtus de leur armure. Le duc de Berri, âgé de plus de soixante-dix ans, avait une belle et noble contenance, il portait un casque d'acier, dont la visière relevée était ornée de pierreries ; un jacque de pourpre couvrait son armure ; il avait l'écharpe blanche bordée de marguerites ; une dague à sa ceinture, la hache d'armes à la main.

A peine se furent-ils regardés, qu'émus par le souvenir d'une amitié, qui était bien plus ancienne et qui avait duré plus longtemps que leurs querelles, ils se tendirent la main, puis s'embrassèrent, et demeurèrent un moment ainsi serrés l'un contre l'autre. Le duc de Berri rompit le silence : « Mon neveu, dit-il, j'ai mal fait, et vous encore pis. C'est à nous de tâcher que le royaume demeure paisible et heureux — Il ne tiendra pas à moi, mon oncle, répondit le duc Jean. » Chacun autour d'eux était attendri jusqu'aux larmes. On commença à parlementer sur les articles. Après deux heures de conférence les deux princes se quittèrent, en se faisant une grande amitié. Seulement le duc de Berri lui dit avec un peu de rancune : « Ah mon cher neveu et filleul, quand votre père vivait, il ne fallait pas de barrière entre nous deux ; nous étions bien d'accord lui et moi. — Monseigneur, ce n'est pas moi, répondit le duc de Bourgogne. »

Il y eut encore beaucoup de difficultés. Les deux partis étaient aussi irrités que jamais l'un contre l'autre. Les Armagnacs ne pouvaient s'avouer vaincus et n'entendaient en aucune façon avoir besoin de pardon. Enfin, la volonté du duc de Guyenne l'emporta sur tous les efforts des Bourguignons. Il fut réglé que le duc de Berri rendrait au roi et au duc de Guyenne les clefs de Bourges et de toute autre ville où ils voudraient entrer avec leurs troupes, en s'excusant de leur en avoir refusé l'entrée : que le duc et les seigneurs renonceraient à toute alliance avec les Anglais et les ennemis du royaume : qu'ils renonceraient aussi à toute confédération formée contre le duc de Bourgogne, qui, de son côté, renoncerait à celles qu'il avait pu faire contre eux : qu'ils promettaient aide, service et obéissance au roi, contre son adversaire d'Angleterre, comme les y obligeaient le droit et la raison : qu'ils exécuteraient les articles de la paix de Chartres et les jureraient de nouveau : que le duc de Bourgogne et les autres princes qui étaient auprès du roi, s'engageraient à employer leurs bons offices pour faire restituer les confiscations prononcées ; enfin, qu'il ne serait de part ni d'autre conservé aucune haine, ni ressentiment contre qui que ce soit, de quelque rang ou qualité qu'il pût être.

Ces conditions ainsi arrêtées, il fut conclu de les envoyer au duc de Berri, et que le roi attendrait sa réponse à la tête de son armée rangée en bataille, et l'oriflamme déployée, afin d'obtenir par la force, s'il le fallait, obéissance à son autorité.

Une si fâcheuse extrémité ne fut pas nécessaire ; le duc de Berri, avec un cortége de cinq cents chevaliers, vint porter les clefs de la ville au roi, qui le reçut avec tendresse. Lorsqu'il' embrassa son petit-neveu le duc de Guyenne, les larmes lui vinrent aux yeux ; il jura sans réserve les conditions du traité, et s'engagea, au nom du duc d'Orléans, comme au sien. Tous les gens de bien de l'armée étaient dans la joie de cette heureuse réconciliation. La paix fut publiée avec solennité dans la ville et dans le camp. Défenses furent faites de se servir désormais des mots d'Armagnacs et de Bourguignons, ni d'aucune autre injure en usage entre les deux partis. Toutefois le duc de Berri et ses partisans continuaient à porter leur écharpe blanche, ce qui irritait beaucoup les serviteurs du duc Jean ; ils appelaient cette obstination une offense à la majesté du roi.

A ce moment, arrivèrent au camp le roi de Sicile et le comte de Penthièvre ; ils avaient d'abord fait une guerre heureuse contre le comte d'Alençon, et s'étaient emparés de presque toute sa seigneurie ; mais les Anglais, sous les ordres du duc de Clarence, fils du roi d'Angleterre, venaient de débarquer à la Hogue, et ils étaient les plus forts ; déjà ils dévastaient tout le pays. Il était pressant de les renvoyer. Pour terminer les affaires de la paix, et la faire jurer au duc d'Orléans, le roi indiqua Auxerre ; il fut convenu que tous les princes s'y rendraient.

Ils y vinrent en effet. Le roi était tombé malade et ne pouvait être produit en public. Mais le duc de Guyenne voulut donner à cette cérémonie toute la solennité possible. Les députations du Parlement, de la chambre des comptes, de l'université, des échevins et de la bourgeoisie de Paris, le prévôt de la ville, le prévôt des marchands, des députés des bonnes villes furent mandés. On avait dressé un grand échafaud dans la cour de l'abbaye Saint-Germain d'Auxerre. Une foule énorme se pressait ; de nobles hommes d'armes avaient été préparés par le connétable pour maintenir l'ordre et empêcher le peuple d'avancer. Cet emploi leur déplaisait fort, et le connétable fut obligé de s'emporter et même d'en frapper quelques-uns pour les faire obéir[11].

Le duc de Guyenne se plaça près du siège laissé vacant pour le roi. A sa droite étaient les ducs de Berri et de Bourgogne. Le duc d'Orléans se fit un peu attendre. Enfin, il arriva avec son frère le comte de Vertus. Leur suite était nombreuse, plus éclatante peut-être que celle du roi ; mais, pour eux, ils portaient l'habit de deuil ; chacun se leva à leur arrivée. Le duc de Bourbon alla au-devant d'eux, les amena devant le duc de Guyenne, qui les embrassa et leur fit grand accueil ; puis il fit signe au duc d'Orléans de s'asseoir entre le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon. Les hérauts d'armes commandèrent le silence, et le chancelier de France ayant annoncé que les princes étaient réunis par les ordres du roi, pour jurer l'observation des articles de la paix, un secrétaire en donna lecture à haute voix ; puis le duc de Guyenne fit apporter les saints Évangiles, un morceau du bois de la vraie croix, et d'autres reliques. Les princes, appelés l'un après l'autre, posèrent la main dessus, et firent le serment. Lorsqu'ils furent retournés en leur place, le chancelier de Guyenne dit : « Le roi ordonne à tous les ecclésiastiques-ici présents, de protester, la main sur la conscience, en foi et parole de prêtre, d'agréer et de ratifier ce qui a été lu. » Cela fait, le chancelier reprit de nouveau : « Le roi commande à tous les nobles et non nobles ici assemblés, de lever la main vers le ciel et de faire le même serment. » Il fut proféré de grand cœur. La foule était ravie de joie ; chacun avait les larmes aux yeux, et voyait la fin de toutes les calamités du royaume. On attribuait à quelque miracle de la Providence, cette réconciliation des princes, qui semblait si complète et si sincère[12].

En effet, les princes se donnaient les uns aux autres des témoignages publics d'affection et de familiarité ; ils dînaient tous ensemble, assistaient aux cérémonies et aux réjouissances ; on vit même le duc de Bourgogne et le duc d'Orléans, en signe d'intimité fraternelle, se promener tous deux sur le même cheval. Le peuple et les bonnes gens en poussaient des cris d'allégresse, et chantaient Gloria in excelsis. Les mauvaises langues, et ceux qui savaient mieux y voir, en faisaient au contraire grande risée[13].

En renouvelant le traité de Chartres, le duc de Bourgogne s'était encore engagé à donner en mariage une de ses filles au comte de Vertus ; il en fiança une autre, mademoiselle Agnès alors âgée de cinq ans avec le fils aîné du duc de Bourbon.

L'épidémie, après avoir ravagé l'armée devant Bourges, s'était étendue dans les villes qu'elle avait traversées ; de pernicieuses maladies régnaient à Auxerre ; le sire de Bretagne, le comte de Mortagne venaient d'y succomber. Les princes ramenèrent le roi-dans son château de Melun, et passèrent encore plusieurs jours dans cette ville, pour aviser aux affaires du royaume. Il fut statué que toutes les confiscations seraient restituées, mais qu'aucune indemnité ne serait accordée pour dommages mobiliers, châteaux démolis, villes détruites, meubles ou argent dérobés, vignes rasées, bois coupés. On régla aussi que les évêques seraient rétablis sur leurs sièges ; mais les charges et offices furent conservés à ceux qui venaient d'en être pourvus[14]. Le sire d'Albret, qui avait déjà eu querelle avec le comte de Saint-Pol, sur la dignité de connétable, se trouva fort offensé de cette clause, et se retira. Néanmoins l'union paraissait toujours aussi grande entre les princes. Le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon contractèrent ensemble une alliance ; peu de jours après elle fut rendue commune aussi au duc d'Orléans et au comte de Vertus. Ils se promirent de tout leur cœur affection et bonne volonté ; ils se jurèrent de s'aimer, et de travailler, par toute sorte de moyens, à l'avancement, l'honneur, le bien et le profit les uns des autres : de se garantir les uns les autres de tous maux ou inconvénients. Ils convinrent que, si quelque rapport sinistre était fait à l'un contre l'autre, aussitôt que possible ils s'en éclairciraient loyalement, et se nommeraient le dénonciateur, pour en faire justice et vengeance s'il y avait lieu. Ils ôtaient de leur cœur toute haine et toute rancune contre les vassaux les uns des autres, et leur remettaient les injures. Enfin, ils faisaient jurer cette même alliance par leurs chanceliers : les chargeant spécialement de veiller au maintien de la paix entre eux[15].

Il se forma à Melun une amitié nouvelle et assez droite entre le duc de Guyenne et son cousin-germain le duc d'Orléans. Il n'y avait pas en effet de prince plus aimable, plus accompli. Au contraire, le duc Jean, qui jusque-là avait possédé toute la confiance du dauphin, était impérieux et plein de rudesse. Le duc d'Orléans plaça dans cette cour deux de ses serviteurs les plus dévoués, Jacques de La Rivière et un autre gentilhomme des environs de Dreux, simple écuyer, qu'on nommait le petit Mesnil[16]. Le duc de Guyenne approcha aussi de sa personne, et rappela à son office de chambellan le sire de Montaigu, en lui rendant tous ses biens confisqués[17]. En même temps, il dit hautement que la condamnation prononcée contre le grand-maître lui avait toujours fort déplu, que c'était un jugement en mauvaise forme, trop soudain, et qui avait en pour motif la haine et une volonté absolue, plus que la justice et la raison. L'ordre fut donné au prévôt de Paris d'aller solennellement chercher le corps de Montaigu au gibet de Montfaucon, et sa tête qu'on voyait encore exposée aux Halles sur une pique. Ses restes furent ensevelis dans l'église des Célestins qu'il avait élevée à Marcoussis. Plus tard deux de ses filles étant devenues veuves, épousèrent deux princes de la maison de Bourbon[18].

Mais bientôt le duc d'Orléans fut obligé de s'éloigner ; les Anglais qu'il avait appelés en France réclamaient leur paiement. Ils avaient traversé la Normandie et le Maine en y faisant mille ravages, et maintenant ils allaient entrer dans le duché d'Orléans ; en même temps une autre armée anglaise entrait par Calais et le comté de Boulogne. On résolut de leur opposer la force. Des mande-mens furent envoyés aux hommes d'armes de France de s'assembler à Melun, aux hommes d'armes de Bourgogne pour se trouver à Montereau. De-là on devait marcher par Chartres. Le trésor du roi n'offrait aucune ressource pour payer les Anglais. Les princes alliés avaient épuisé toutes leurs finances. Dans cette détresse, le chancelier s'adressa à la ville de Paris. Il lui fut répondu tout d'une voix que ceux qui avaient fait venir les Anglais n'avaient qu'à les payer. Cette réponse était trop juste pour insister davantage. Le duc d'Orléans obtint la permission de lever une taille extraordinaire dans ses seigneuries, puis partit pour aller traiter avec le duc de Clarence. Il lui porta le peu (l'argent qu'il put, avec ses confédérés, obtenir en mettant en gage les ornements et les reliquaires des églises ; il donna en otage, pour le paiement du reste, son frère le duc d'Angoulême, et quatre chevaliers. Les Anglais poursuivirent alors leur route vers Bordeaux en assez bon ordre, annonçant qu'ils allaient bientôt rentrer en France pour y porter la guerre au nom de leur roi.

Le 29 septembre, le dauphin fit son entrée à Paris, ayant à côté de lui le duc de Bourgogne et le comte de Vertus. Le roi et la reine y revinrent aussi. Peu de jours après, le duc de Berri retourna aussi, avec beaucoup de répugnance et de rancune contre les Parisiens, à son bel hôtel de Nesle qu'ils avaient saccagé. Le peuple était joyeux de revoir tous ces princes ; il faisait grand accueil, même à ceux du parti Armagnacs, et prenait confiance en eux. Mais les bouchers et les gens de la milice regardaient cette paix comme une trahison, et supposaient à tous ces seigneurs de mauvaises intentions contre le bien public[19]. Un des serviteurs du duc de Berry oyant voulu tuer un habitant de Paris, la ville eut la permission de faire faire le guet nuit et jour, et il fut défendu à tout autre 'qu'aux bourgeois de marcher armé durant la nuit[20].

Dans la pompe de l'entrée du roi, on remarqua que nul n'était plus fastueux en ses équipages, que le sire Lourdin de Saligny chambellan du duc de Bourgogne, et l'on fut bien surpris lorsque le lendemain il fut saisi par l'ordre de son maitre et envoyé en Flandre. On ne savait rien de précis sur le crime qui lui était imputé. Les uns disaient que le sire de Jacqueville, chevalier du pays de Beauce, qui avait tout dernièrement gagné la faveur du duc Jean, et qui succédait dans sa confiance au prévôt de. Paris, lui avait révélé un complot tramé contre sa vie par la veuve du grand-maître Montaigu, et dont le sire de Saligny devait être le principal instrument. D'autres disaient que c'était sur un avis donné par le duc de Bourbon qu'il avait été arrêté.

Le duc de Lorraine était venu à Paris sous la protection du duc de Bourgogne pour y terminer une fâcheuse affaire que lui avait attirée son imprudence. Il prétendait que la seigneurie de Neufchâteau relevait, non du roi, mais de l'empire. Un exploit lui fut signifié pour qu'il eût à rendre foi et hommage à son légitime seigneur. Non-seulement les huissiers furent mis en prison, mais l'écusson de France qu'ils avaient attaché aux murs de la ville en témoignage de suzeraineté, fut arraché et traîné dans la boue. Le duc fut ajourné au Parlement, n'y comparut point et fut condamné par défaut, comme coupable de lèse-majesté ; il fut banni et ses seigneuries déclarées en forfaiture[21]. Dès que le Parlement sut que le duc de Lorraine était à Paris, il ordonna au procureur et aux avocats du roi, d'aller à la cour, et de requérir le roi qu'il fit justice du duc de Lorraine, et le livrât au Parlement. Les gens du roi arrivèrent comme le duc Jean présentait au roi le duc de Lorraine. Le chancelier leur demanda ce qu'ils voulaient. Pour lors maître Juvénal, avocat du roi, s'agenouilla et fit sa requête. « Juvénal, dit le duc de Bourgogne, ce n'est pas la manière d'agir. — « Monseigneur, repartit l'avocat du roi, il faut faire ce que la cour du Parlement a ordonné, et je requiers ceux qui sont bons et loyaux de venir avec nous : que ceux qui ne le sont pas passent vers le duc de Lorraine. » Alors le duc de Bourgogne lui-même quitta le duc de Lorraine, tenait par la manche, et celui-ci se vit forcé à demander bien humblement pardon au roi, qui lui remit sa condamnation. Le duc de Bourgogne n'aimait pas assez le bien du royaume pour savoir gré à mi bon et loyal serviteur du roi d'avoir ainsi fait son devoir, il en garda rancune à maître Juvénal.

Outre les malheurs et le désordre du royaume, qu'il était instant de réparer, on voyait bien que la guerre allait recommencer avec les Anglais. Les sires de Helly et de Rambure, le connétable, le roi de Sicile, étaient en Guyenne, en Picardie et en Anjou pour s'opposer à leurs attaques ; mais ils avaient trop peu de forces pour résister. Le conseil du roi résolut, dans de si tristes circonstances, de réunir des députés des trois États du royaume. On dépêcha des exprès aux villes pour leur mander d'envoyer leurs députés auprès du roi. Ils arrivèrent à Paris dans le courant de janvier, et le 30 ils furent assemblés en présence du roi, dans son hôtel Saint-Paul, avec l'université et le corps de la ville ; les ducs de Guyenne, ceux de Bourgogne, de Bourbon, le comte de Vertus, y assistaient. Le duc d'Orléans était toujours absent, et le duc de Berri fort malade. Beaucoup de seigneurs et de prélats avaient été convoqués aussi, et faisaient partie de l'assemblée.

Le sire d'Ollehain, chancelier de Guyenne, exposa le sujet de cette réunion ; il peignit les malheurs du royaume, insista avec force sur la réconciliation des princes, la présenta comme inaltérable, parla de la nécessité de réunir tous les efforts contre l'ennemi commun, et termina en demandant les moyens de subvenir à une guerre qui s'annonçait comme si redoutable. « Le roi vous donne six jours pour y penser, ajouta-t-il ; après ce délai vous reviendrez lui faire savoir quels sont vos sentimens, et quelle assistance il peut se promettre de vous pour sa gloire et le repos de ses peuples. »

Au jour fixé, les députés revinrent : ceux des provinces de Reims et de Rouen prirent successivement la parole, exposèrent la détresse du peuple, louèrent beaucoup les princes d'avoir mis fin à une si déplorable guerre ; mais prièrent le roi d'avoir compassion de ses pauvres sujets, et d'être bien convaincu qu'ils étaient hors d'état de porter le fardeau de la moindre taxe nouvelle. Le lendemain l'abbé de Saint-Jean parla au nom du clergé avec plus de force encore ; il ne craignit point d'attaquer les malversations des collecteurs et receveurs, et bien plus encore les dispensateurs des finances du roi : il dit qu'il fallait reprendre, sur les gens qui avaient pillé le peuple et le trésor royal, de quoi entretenir les armées et faire la guerre.

Deux jours après, l'université et la ville de Paris portèrent la parole devant le roi : il leur donna audience dans le cloître qui entourait la cour de son hôtel Saint-Paul, et où il avait l'habitude de se promener ; car il n'y avait pas de salle assez grande pour une si nombreuse assemblée. Le Parlement avait refusé de se joindre à l'université qui l'y engageait. « Il ne convient pas, avait-il répondu, à une cour établie pour rendre la justice au nom du roi, de se rendre partie plaignante pour la demander. Au surplus, le Parlement est toujours prêt toutes et quantes fois il plaira au roi de choisir quelques-uns de ses membres pour s'occuper des affaires du royaume. L'université et le corps de la ville sauront bien ne faire nulle chose qui ne soit à faire[22]. »

Maître Benoît Gentien, religieux de Saint-Denis, et fameux docteur en théologie, fut l'orateur. Il parla d'abord de la paix jurée à Auxerre, et dit que le roi était particulièrement obligé à la conserver : qu'il n'y avait aucune faveur, aucune qualité, si grande qu'elle pût être, qui dût dispenser d'une punition sévère quiconque oserait à l'avenir enfreindre une paix si heureuse et si salutaire. Le texte de son discours était : Imperavit ventis et mari, et facta est tranquillitas magna. Il partit de ces paroles pour imputer les tempêtes de l'état au vent de l'ambition et au vent de la sédition. Il fit une vive peinture des maux qu'avait produits l'ambition. Chacun y reconnut le duc de Bourgogne, et beaucoup de personnes dans l'assemblée en murmurèrent. Puis il passa au mauvais maniement des finances, à la quantité d'offices, à leurs gages et pensions, à la cupidité des gens de cour, enfin à ce désordre qui ne laissait pas au roi de quoi entretenir sa maison ou réparer ses châteaux quand ils tombaient en ruines. « Sire, dit-il en terminant, vous me pardonnerez si j'ose dire que tous vos sujets estiment que vous vous éloignez un peu de la sage et prudente conduite du bon roi Charles votre père d'heureuse mémoire. L'université votre fille et vos bons et fidèles bourgeois de cette ville en ont beaucoup de douleur, et vous conjurent de ne pas avoir la main toujours ouverte aux importunes demandes des gens de votre maison, de vos conseils et des capitaines de vos forteresses ; ils abusent de votre magnificence ; nous vous conseillons en outre de reprendre les deniers royaux qui vous ont été dérobés par la fraude des receveurs. »

Les députés de Sens et de Bourg-es parlèrent dans le même sens. Le roi écouta toutes ces remontrances avec bonté, fit répondre par le chancelier qu'il les prendrait en considération, et l'assemblée fut congédiée.

Il n'y avait point là de quoi satisfaire un peuple mécontent et porté à la sédition, ni même les hommes sensés et les gens de bien. L'université et la ville trouvèrent que le discours de maître Gentien, qui avait tant choqué les seigneurs de la cour, ne remplissait point l'intention publique ; et qu'au lieu de se contenter de plaintes vagues et générales, il fallait nommer ceux qui profitaient des abus et les perpétuaient. Pour réparer cette lâcheté, car c'était ainsi qu'on appelait la conduite de maître Gentien, on fit rédiger par maître Eustache de Pavilly, de l'ordre des carmes, un long mémoire, et l'on demanda au roi une nouvelle audience pour lui en faire lecture. Elle fut accordée, et le recteur de l'université fit lire à haute voix un cahier qui renfermait à peu près ce qui suit :

« Très-haut et très-excellent prince, notre souverain seigneur et père, voici les articles, que votre très-humble et dévouée fille, l'université de Paris, vos très-humbles et obéissants sujets le prévôt des marchands, les échevins et bourgeois de votre bonne ville de Paris, ont dressés, pour vous donner avis, confort et aide, comme vous l'avez requis, pour le profit, l'honneur, et le bien de vous et de la chose publique de votre royaume. »

Le premier article se rapportait à la paix des princes. On priait le roi de leur en faire jurer l'observation entre ses propres mains. On se plaignait de ce qu'elle restait sans exécution puisque les Anglais étaient dans le royaume, et que des compagnies parcouraient encore diverses provinces en les ravageant ; on s'étonnait surtout que le comte d'Armagnac n'eût pas désarmé, et qu'il ne tînt nul compte de la paix d'Auxerre.

« Secondement, l'université et la ville, considérant que pour l'honneur de votre royaume, et aussi pour la continuation et conservation de votre seigneurie et domination, il est de la plus grande nécessité de vous exposer les défauts qui sont dans votre royaume, vous parleront des finances de votre domaine. Elles doivent se distribuer en quatre emplois différents : les aumônes ; la dépense de vous, de la reine et du duc de Guyenne ; les salaires de vos serviteurs, et les réparations de vos hôtels, châteaux et domaines ; enfin le reste qui, comme autrefois, doit être mis dans l'épargne du roi.

» Or il est clair que vos finances ne sont pas employées aux choses susdites. Quant aux aumônes, on voit souvent les pauvres religieux et religieuses, tant des abbayes que des hôpitaux, dépenser leur propre bien pour tâcher d'obtenir justice. Leurs églises tombent en ruines, et le service divin cesse d'y être célébré au préjudice des âmes de vos prédécesseurs, et à la charge de votre conscience.

» Quant à la dépense de vous et du duc de Guyenne, il est prouvé qu'on prend pour la faire quatre cent cinquante Mille francs tant du domaine que d'ailleurs, Au temps passé, elle ne coûtait que quatre-vingt-quatorze mille francs, pourtant vos prédécesseurs tenaient un bel état ; les marchands et autres gens étaient payés de leurs denrées ; mais maintenant, ils ne le sont point. Et il arrive souvent que le service de votre hôtel est interrompu, comme cela s'est vu jeudi dernier à l'hôtel de la reine. De même, pour son hôtel, on ne prenait auparavant que trente-six mille francs, aujourd'hui c'est cent quatre mille francs sans compter le revenu de ses propres domaines, et les aides qu'elle y lève. Il y a désordre aussi dans l'office de votre argentier, de même dans votre écurie, objet de grandes dépenses, et où il s'en fait beaucoup qui ne tournent pas à votre honneur et profit.

» Quant aux salaires des serviteurs de votre hôtel, ils se plaignent beaucoup des gens de votre chambre aux deniers. Souvent ils ne peuvent avoir nouvelle de leurs gages, et vivent ainsi dans la gêne et la pauvreté, sans pouvoir paraître autour de vous aussi honnêtement qu'il conviendrait. Cependant il y en a d'autres qui sont fort bien payés.

« Vos édifices, hôtels, châteaux, moulins, fours, vos chaussées, ponts, ports, bacs, passages ne sont pas réparés, et tombent en ruine et en perdition.

« Pour l'épargne de votre domaine, il n'y a pas pour le présent un denier, bien qu'au temps passé, sous le roi Philippe, le roi Jean, le roi Charles, il s'y trouvât toujours de grandes sommes.

« Tout cela est de la faute des officiers commis au gouvernement desdites dépenses. Raymond Raguier, maître de votre chambre aux deniers, est le principal gouverneur et trésorier de la maison de la reine. Il s'est tellement conduit, dans cet office, qu'il a fait de grandes acquisitions et édifices, comme on peut le voir aux champs et à la ville. Chabot Poupart, votre argentier, et Guillaume Budé, maître de vos garnisons, ont aussi gagné des rentes et des possessions, et ont maintenant grosse et large consistance ; ils mènent un grand état ; ils ont des chevaux, ils élèvent chaque jour des châteaux et édifices. Ils ne pourraient faire tout cela avec le salaire de leur office, ni avec les richesses qu'ils avaient quand ils, y sont entrés.

« Pour les finances du domaine de l'État, il y a trente ans et plus qu'elles sont mal gouvernées, et qu'elles sont dévorées par plusieurs officiers, non pour le bien de vous et de votre royaume, mais pour leur profit particulier ; sur ce point l'université et vos sujets vous exposent ceci : premièrement, vous avez un nombre excessif de trésoriers ; il y a tant à gagner dans ces charges qu'une foule de gens s'efforcent d'y entrer, si bien qu'il n'est pas d'année qu'il n'y en ait de changés, de remis, d'ôtés, selon ceux qui ont du crédit dans le royaume. Dieu sait pourquoi ils y entrent si volontiers, sinon pour les lopins et larcins qu'ils y font car si un trésorier ne retire pas de vous quatre ou cinq mille francs par an, il lui semble que ce n'est rien. Il y en avait deux autrefois ; maintenant il y en a quatre ou cinq, et il y en a eu jusqu'à sept. Ils ne s'occupent point à payer les choses nécessaires, ni à tenir les serments qu'ils font, mais à payer les grands et excessifs présents qu'ils ont à faire à ceux qui les ont poussés là ; et tout cela se prend sur les coffres. Toutes les finances leur ont passé par les mains, et ils ont acquis, comme on sait, de hautes et innombrables possessions. Les trésoriers d'à-présent, André Giffart, Bureau Dammartin, Regnier de Boligny, Nicolas Bonnet et Guy Boucher sont inutiles, et coupables de ce mauvais régime, spécialement André Giffart. Il avait perdu tout ce que son père avait gagné. Néanmoins, par la protection du prévôt de Paris, dont il est cousin par sa femme, il a été fait trésorier, et là s'est tellement gorgé de deniers, que le voilà plein de rubis, de saphirs, de pierres précieuses, de vêtements magnifiques et de chevaux ; il tient un état merveilleux, et l'on ne voit chez lui que plats, écuelles, tasses et gobelets d'argent.

« Autrefois, pour suivre en justice les affaires de finance, il n'y avait qu'un conseiller clerc ; aujourd'hui il y en a quatre, avec de grands profits.

« Quant aux aides, elles sont gouvernées par des officiers, nommés généraux des aides, par l'ordonnance desquels passe tout le produit des aides levées pour la guerre, qui va à douze mille francs, années communes. Ces généraux ne se conduisent pas mieux que vos trésoriers. Il faut aussi qu'ils paient les amis qui les ont placés là ; et en deux ans, ils gagnent, sans faute, neuf ou dix mille francs, sans parler des dons qu'ils se procurent, dons qu'ils lèvent quelquefois au nom des seigneurs, à l'insu de ceux-ci, comme on a pu le découvrir lorsqu'on a voulu faire une réformation.

« Il y a encore un autre office, c'est l'épargne. On lève sur les aides cent ou cent vingt mille francs pour mettre dans cette caisse, qui a deux clefs dont vous devez porter une. Cet argent doit servir aux nécessités pressantes de vous et de votre royaume ; Antoine Desessarts qui le gouverne, en a tellement disposé qu'il n'y reste croix ni pile. Cet Antoine Desessarts a été aussi le gardien de vos joyaux et de vos livrées ; il a acheté ce qu'il vous faut pour votre corps : ce qu'il a, dit-on, fort mal ménagé.

« On a créé un autre office, de la garde des coffres, dont est pourvu Maurice de Reuilly. Il reçoit chaque jour dix écus d'or en monnaie, pour que vous en fassiez à votre plaisir ; mais vous n'en avez pas un denier, il l'a distribué à sa fantaisie. Lorsque vous avez besoin urgent de finances pour votre guerre ou vos grandes affaires, on ne trouve point d'argent. Alors on va aux marchands qui en vendent et l'ont acquis par usure et rapine ; on leur donne en gage vos joyaux et votre vaisselle ; au moyen de l'usure et du change, vous payez quinze mille francs pour en avoir dix, ce qui montre bien que vos serviteurs participent à de telles affaires et en partagent les profits. C'est ainsi que cela se passe aussi chez les autres seigneurs de votre famille, sans en excepter un. Une autre pratique des généraux de vos finances, c'est de démettre de leur office les receveurs lorsqu'ils sont en avance de cinq ou six mille francs ; alors ils en nomment un autre qui reçoit tout ce qui est à recouvrer ; puis on remet le premier en exigeant de lui quelque bonne somme, et il reprend son office, non pour vous, mais pour se payer de ce qui lui était dû. C'est ainsi qu'on fait chevaucher une année sur l'autre, et qu'on vous fait boire votre vin en verjus. Vous êtes si gêné d'argent que souvent, quand il y a une ambassade à envoyer, on ne trouverait pas de quoi faire partir un simple chanoine ; l'ambassade ne se fait pas ou arrive trop tard, à votre grand préjudice.

« Outre le domaine et les aides, il a été levé, depuis deux ou trois ans, des tailles, dixièmes, demi-dixièmes, impositions, maltôtes, taxes par suite de réforme 9 et diverses autres manières d'avoir finances. C'est le prévôt de Paris qui s'en est entremis. Il s'est fait appeler souverain maître des finances et gouverneur général. Lui, et d'autres de vos grands officiers ont aussi possédé un grand nombre de charges, puis les ont vendues, et en ont touché la finance qu'ils ont mise en leur sac, au préjudice de vous et de la chose publique, en plaçant dans lesdites charges des gens inutiles et ignorants. Ainsi, le prévôt de Paris tenait, depuis quelque temps l'office de gouverneur général et maître des eaux et forêts. Il l'a résigné au seigneur d'Ivry et en a touché six mille francs. Outre la prévôté de Paris, il a la capitainerie de Cherbourg qui lui vaut six mille francs, et celle de Nemours deux mille francs.

« Ce prévôt, et les autres gouverneurs de vos finances, ont encore une autre manière de vous faire tort, c'est de faire avoir aux receveurs, grenetiers, à leurs clercs, à leurs serviteurs, des dons qu'ils obtiennent régulièrement chaque année comme une rente, outre leurs gages ordinaires ; si bien que lorsque quelque jeune homme se met au service d'un receveur général ou d'un grenetier, bien qu'il soit de petit état et de peu de science, en peu de temps il se fait riche, mène un grand train, et achète, à vos dépens, des offices et des héritages. Pendant ce temps-là on retarde le paiement des gages des prud'hommes, chevaliers, conseillers ou autres. Souvent on exige d'eux des quittances signées en blanc, et l'on en fait mauvais usage. C'est grande pitié d'entendre les plaintes de ces chevaliers sur la façon dont ils sont payés. Maintenant, c'est une règle générale que les gens d'armes vivent sur le pays, faute de recevoir leurs gages. L'université pense aussi que, généralement, toutes sortes d'officiers tiennent un trop grand état, et craint que Dieu ne se courrouce enfin des inconvénients qui en proviennent.

« Quant à votre grand conseil, on n'y tient pas l'ordre qui conviendrait ; on y est reçu à petites conditions. Cependant on n'y devrait admettre que des prud'hommes, de sages clercs ou chevaliers, touchant gage ou pension de vous, et non de quelqu'autre seigneur ; ayant l'œil à vos intérêts, à votre honneur et à celui de votre royaume. Il arrive souvent, à cause de la multitude qui s'y trouve, que les requêtes qui vous sont faites et vos affaires sont laissées là. Les ambassadeurs, tant étrangers que du royaume, demeurent sans être expédiés. Lorsqu'une bonne conclusion y est prise, ce qui arrive quelquefois, il faudrait qu'elle ne tardât pas à être exécutée, et qu'elle ne fût pas ensuite rétractée un jour où il n'assiste que peu de gens au conseil, ainsi que cela s'est vu. C'est un grand inconvénient que cette lenteur d'expédition dans les affaires. On entend des seigneurs se plaindre de ce que votre conseil ne leur donne nulle réponse, même quand il s'agit du bien de votre royaume ; il en est qui disent que si l'on n'y met pas ordre, il leur faudra nécessairement faire leur paix avec vos ennemis ; par-là, vous êtes en péril de perdre plusieurs de vos bons vassaux.

« Passant à la justice de votre' royaume, votre cour de Parlement qui est souveraine cour dans votre royaume, ne se gouverne pas comme elle était accoutumée. Autrefois, on y mettait de hauts et excellents clercs, de notables prud'hommes d'âge mer, experts en droit et en justice. Telle était la renommée de la justice rendue en cette cour, sans faveur pour personne, que non pas seulement des chrétiens, mais même des Sarrazins sont venus y demander jugement. Depuis quelque temps, par faveur, par parenté, par amitié, par prière, des jeunes gens ignorant le fait de justice, et indignes d'un si noble et excellent office, y ont été mis ; l'autorité et la renommée de cette cour en sont fort amoindries. On y voit aussi siéger ensemble des fils et des pères, des frères, des oncles et des neveux, des pareils, et il peul, en résulter de grands inconvénients. On dit encore que les causes de plusieurs pauvres gens y sont comme enterrées, et qu'ils ne peuvent avoir justice.

« Quant à la chambre des comptes, toutes sortes d'inconvénients y sont amassés ; bien que récemment on ait nommé de nouveaux maîtres, il ne semble pas que la chose aille mieux. Parmi ces nouveaux, est Alexandre Boursier qui a été receveur-général des aides et qui n'a pas encore clos ses comptes : de sorte que celui qui est à réformer, est chargé de réformer les autres.

« Pour les généraux de justice chargés de prononcer sur le fait des aides, nous remarquerons qu'il n'y en avait qu'un ou deux sous le règne du feu roi Charles, et qu'il y en a maintenant sept, dont chacun a cent francs de gage, et un greffier, sans parler des clercs et des sergents, tous ayant de gros gages, et recevant des présents.

« Qui voudrait parler des maîtres des requêtes de l'hôtel du roi, Dieu sait s'il aurait à dire ! Au temps passé, on y mettait des hommes anciens et expérimentés, connaissant les coutumes du royaume ; ils savaient répondre à toutes les supplications et requêtes, et signer celles qui devaient l'être, après quoi elles étaient expédiées à la chancellerie. A présent, ces jeunes gens qui ne savent rien ne peuvent expédier les affaires, si ce n'est à la volonté du chancelier ; d'où il suit qu'on est contraint, pour les suppléer, de nommer des officiers extraordinaires qui sont fort payés.

« Pour votre chancelier de France, on sait assez qu'il a soutenu de grandes peines et qu'il est bien digne d'avoir de grands profits, sans que le bien commun en souffre. Cependant il ne devrait avoir pour ses gages, que deux mille livres, et il a, depuis vingt ans, pris en outre deux mille francs sur les émoluments du sceau ; de plus le registre des rémissions qui, à vingt sous chacune, peut donner une grosse somme ; deux mille francs sur les aides ; deux cents francs par an pour ses vêtements ; cinq à six cents livres sur le trésor. Il a obtenu encore de grands dons sur les tailles et impositions. On peut dire aussi qu'il a bien légèrement passé et scellé des lettres portant des dons excessifs. Ainsi la chancellerie est gouvernée de façon qu'il ne vous en revient pas grand profit, bien que les émoluments du sceau soient très-considérables.

« Il ne faut pas oublier de dire que, depuis un peu de temps, votre monnaie est grandement diminuée en poids et en valeur. L'écu a été diminué de deux sous, et les pièces de deux blancs de deux oboles. Cela est à votre préjudice, car les Lombards recueillent tout le bon or et font leurs paye-mens en nouvelle monnaie. Le prévôt de Paris, le prévôt des marchands et Michel Lailler ont attiré à eux la connaissance des affaires des monnaies ; à supposer que par cette diminution ils vous aient fait faire quelque profit, cela n'est pas à comparer à la perte qu'en ont souffert vous et le royaume, comme pourraient l'expliquer mieux gens à ce connaissant.

« Mais il ne suffit pas à l'université et à vos sujets de vous exposer les fautes et le mauvais régime des susdits, vous avez voulu qu'ils vinssent à vous pour vous bien conseiller ; ils souhaiteraient qu'il plût à Dieu de leur faire cette grâce. Ils y sont tenus, tout comme à vous sacrifier de bon cœur leur personne et leur avoir. Premièrement pour remédier à ces choses et avoir, le plutôt que faire se pourra, une bonne et juste finance, il est à propos de clore la main à tous ces gouvernants, sans exception, de les démettre de leurs offices, et de s'assurer de leurs biens meubles et immeubles ainsi que de leur personne, jusqu'à ce qu'ils aient rendu compte. Il faut annihiler tous dons accordés et toutes pensions extraordinaires : mander tous les receveurs et vicomtes du domaine et des aides, ainsi que les grenetiers de la gabelle, et leur défendre, sous peine de confiscation de corps et de biens, de ne compter leurs recettes qu'à vous-même sans égard à aucune assignation donnée sur eux. Les aides ayant été établies seulement pour la guerre et la défense du royaume, vous devez les retirer toutes en votre main et ne pas les laisser aller à d'autre usage ; vous en avez maintenant un si grand besoin, que personne ne pourra le trouver mauvais. Sur ce, veuillez vous souvenir du bon gouvernement de votre père le roi Charles, qui employa les aides si noblement qu'il chassa les Anglais du royaume et recouvra ses forteresses. Ses officiers étaient pourtant bien payés ; il lui restait encore de grandes finances, et il a laissé de beaux joyaux.

« Et si vous n'avez pas encore assez d'argent, il semble que vous pouvez en prendre à ceux qui le tiennent de vous. On pourrait vous nommer jusqu'à seize cents personnes riches et puissantes, dont le devoir est de secourir celles qui sont pauvres. On pourrait leur demander certaine somme comme mille francs chacune, en disant la manière dont elle leur sera restituée par la suite.

« Pour recevoir vos finances du domaine et des aides, il faudra choisir de notables prud'hommes craignant Dieu, sans avarice, et né s'étant encore jamais mêlés de cette sorte d'affaires, à qui l'on donnera des gages licites, sans dons extraordinaires.

« La dépense ordinaire de vous, de la reine et du duc de Guyenne, doit être soigneusement examinée pour ne point passer deux cent mille francs.

« Quant au Parlement, il faudra que ceux qu'on ne trouvera point suffisons soient déposés, et qu'on les remplace par des personnes notables, en observant les conditions anciennes.

« Le nombre de généraux de finance et de justice pour les aides, doit être réduit aux nombre et usage anciens ; quant aux élus qui prononcent en premier ressort sur le fait des aides, il nous semble que pour le bien de vous et de votre peuple, on aurait pu confier leurs fonctions aux juges, t'eût été une grande épargne.

« La chambre des comptes devait être occupée par de bons prud'hommes anciens ; c'est elle qui aurait dû vous avertir de tout ceci.

« Il nous semble que pour votre conseil, on devrait choisir par bonne et vraie élection quelques hommes sages, et qu'eux seuls avec ceux de votre famille devraient former le conseil, vous conseiller loyalement, n'avoir l'œil à rien qu'à votre bien et celui de votre royaume. Ils devraient être défendus et soutenus par vous et votre justice, de telle manière que ce qu'ils aviseraient fût mis à exécution sans nulle contradiction.

« Nous croyons que pour pourvoir à la défense des frontières d'Aquitaine, de Picardie, et des autres provinces, il faudrait y appliquer somme suffisante d'argent, en veillant à ce qu'il n'en résulte nul inconvénient, Nous demandons qu'on choisisse bonnes et suffisantes personnes, ayant des gages raisonnables, pour avoir, de votre part, l'œil sur ceux qui ont pris en ferme les offices de prévôt, afin qu'ils ne grèvent pas, comme ils le font, les pauvres et simples gens par d'excessives amendes.

« L'université et vos sujets vous supplient humblement d'ordonner à quelques personnes de votre sang et à d'autres sages hommes, de réformer tous ceux qui ont délinqué, et qui ont eu part à vos trésors sans cause raisonnable ; et de commander aux prélats et bourgeois des provinces qui sont ici, de nommer les gens qui sont coupables de quelqu'une des choses susdites.

« Toutes ces choses, notre souverain seigneur, nous vous les avons exposées humblement, parce que nous désirons, par-dessus tout, votre bien, votre honneur, la conservation de votre couronne. L'université, votre fille, ne vous les a point dites pour en retirer aucun avantage temporel, mais pour faire son devoir. Chacun sait que ce n'est pas elle qui a coutume d'avoir les offices, ni les profits. Elle ne se mêle que de ses études, et de vous remontrer ce qui touche votre honneur et votre bien, quand l'occasion le requiert ; bien qu'elle soit venue plusieurs fois vous avertir desdites choses, il n'y a pas été pourvu, et votre royaume est tombé dans un si grand danger, qu'il ne peut plus croître, et nous requerrons l'aide de votre fils aîné le duc de Guyenne, et du duc de Bourgogne, qui avait déjà entrepris la même besogne, sans épargner ni sa peine, ni son bien. Mais les gouvernants susdits, craignant d'être démis, y ont mis toute sorte d'empêchements, comme ils font encore présentement. Ils ont dit publiquement que l'université parlait par haine seulement, et sur le témoignage de cinq ou six personnes ; mais vous savez qu'elle n'a pas coutume de prendre ses informations de la sorte. Elle n'a rien dit qui ne soit clair et notoire, et il n'y a homme de si petit entendement qui ne connaisse leurs méfaits. Mais cela ne leur donnera pas gain de cause, car l'université ne se taira point, parce qu'ils le veulent, elle parlera tant que vous lui accorderez audience, et elle croirait manquer envers vous, si elle ne s'employait pas de tout son pouvoir, à ce que les choses susdites soient mises diligemment à exécution.

« Nous requerrons aussi l'assistance de nos redoutés seigneurs ici présents, de Nevers, de Vertus, de Charolais, de Bar, de Lorraine, du connétable et du maréchal de France, du grand-maître de Rhodes, du maître des arbalétriers, et généralement de toute la chevalerie et écuyerie de votre royaume, qui est destinée à la conservation de votre couronne. Nous demandons encore l'aide de vos conseillers et de tous vos autres sujets, et que chacun, selon son état, s'acquitte de son devoir envers vous. »

Ce cahier de remontrances fut accueilli d'une approbation générale ; il fut surtout fort applaudi par les députés des provinces et par un nombre infini de peuple qui se trouvait à l'assemblée.

Ces propositions de l'université excitèrent de grands débats dans le conseil du roi. Un jour le sire d'Ollehain, chancelier d'Aquitaine, dans une vive discussion, interrompit le chancelier de France, trouvant son discours long et inutile ; messire Arnaud de Corbic s'offensa de cette témérité, et répondit que la parole ne devait pas lui être ainsi ôtée par un homme qui n'était ni aussi ancien, ni aussi fidèle serviteur du roi que lui. « Vous mentez par vos dents, repartit le Bourguignon en colère. —Vous m'injuriez, dit le chancelier, moi qui suis chancelier de France, et ce n'est pas la première fois ; je l'ai toujours supporté et souffert par respect pour monseigneur d'Aquitaine, et, par ce motif seulement, je le supporterai encore. » Tous les assistants étaient troublés et affligés de cette dispute. Le duc d'Aquitaine, ému de colère, se leva, prit son chancelier par les épaules et le mit hors de la chambre. « Vous êtes un mauvais et orgueilleux ribaud, dit-il, d'injurier ainsi, en ma présence, le chancelier de monseigneur le roi ; nous ne nous soucions plus de vos services[23]. »

Aussitôt après, malgré les instances de la reine et du duc de Bourgogne, le dauphin prit pour chancelier un avocat nommé maître Jean de Vailly, que lui recommanda le duc Louis, de Bavière ; des gens plus sages ne le lui auraient peut-être pas indiqué.

Renvoyer ainsi un serviteur du duc de Bourgogne, qui avait été placé par lui, c'était, de la part du dauphin, une marque certaine qu'il cédait de plus en plus à d'autres conseils. Le duc de Bar, qui, déjà au siège de Bourges, avait gagné-crédit sur-son esprit et l'avait déterminé à la paix, le comte de Vertus, le duc de Bavière, avaient peu à peu acquis sa confiance ; ils lui avaient donné le désir de dominer ; ils lui persuadaient qu'il avait l'âge et la prudence nécessaires pour prendre le gouvernement du royaume, et qu'il fallait se faire obéir par ses gens et tous les sujets de son père.

Le duc de Bourgogne voyait bien qu'on travaillait à le mettre hors du gouvernement du royaume ; on lui avait enlevé la faveur du duc d'Aquitaine ; chaque jour on pratiquait ses serviteurs, on les détachait de lui, on les faisait entrer dans les desseins qui lui étaient contraires. Déjà, depuis longtemps, il avait à se plaindre de Pierre Desessarts. Dans un temps même où il l'avait encore fort en gré, et lui confiait un pouvoir si mal exercé, il lui avait dit : « Prévôt de Paris, Montaigu a mis vingt-deux ans à se faire couper la tête, mais vraiment vous n'y en mettrez pas trois. » Depuis, lorsque grâce aux ordres que Desessarts avait donnés, les Armagnacs avaient pu se retirer de Saint-Denis, il avait été fort soupçonné de s'être laissé gagner. A Bourges et à Auxerre, ses intelligences avec le parti opposé avaient été remarquées ; maintenant il était dans les bonnes grâces du dauphin, qui écoutait ses conseils plus que ceux d'aucun autre.

D'un autre côté, le comte d'Armagnac restait en armes ; le duc d'Orléans demeurait éloigné. Il avait eu à Angers une entrevue avec le roi de Sicile, le duc de Bretagne et le comte d'Alençon ; on craignit qu'il ne formât quelqu'entreprise contre la paix. Cependant le chancelier du duc d'Orléans arriva à Paris, et se borna à exposer les griefs de son maître. Il se plaignait que le traité d'Auxerre n'était pas observé : le connétable de Saint-Pol se refusait à lui rendre le château de Coucy ; il l'avait détruit en partie, et avait envoyé vendre à Paris les tuyaux de plomb qui distribuaient l'eau dans tout ce grand et bel édifice. Les habitants de Soissons avaient démoli le château qu'il avait dans leur ville, et il ne pouvait en avoir justice. Il demandait aussi qu'on l'assistât pour racheter son frère des mains des Anglais, et qu'on lui donnât les moyens de lever des subsides sur ses domaines.

Il n'était pas le seul mécontent de la façon dont on se conformait à la paix d'Auxerre : les confiscations n'étaient pas restituées ; ceux qui se les étaient fait donner imaginaient mille prétextes pour s'y maintenir ; ils étaient plus favorisés que les anciens possesseurs ; c'étaient tous les jours nouveaux délais dans les procédures entamées à ce sujet.

Ainsi la haine entre les deux partis ne s'était point assoupie ; ils continuaient à s'accuser des crimes les plus odieux. Les Armagnacs rapportaient que le duc de Bourgogne avait formé le dessein de faire tuer à Auxerre les princes d'Orléans et le duc de Berri : qu'il avait communiqué ce projet aux sires de Jacqueville et Desessarts : que celui-ci s'était refusé à ce crime, et en avait fait secrètement prévenir les princes. Ce récit trouvait une créance assez générale[24]. Le duc de Bourgogne assurait aussi qu'on en voulait à sa vie : il rappelait l'assassin de Pontoise, le complot du sire de Saligny : encore en ce moment le parlement de Dole poursuivait Louis de Chalons, comte de Tonnerre, pour avoir proposé à Jean de Châlons prince d'Orange son cousin, et au sire de Neufchâtel, de faire périr le duc de Bourgogne, ainsi qu'eux-mêmes le déclaraient[25].

Toutefois on ne songeait pas encore à prendre les armes pour se disputer de nouveau le gouvernement. Le dauphin s'éloignait du duc de Bourgogne, mais celui-ci avait toujours la plus grande part au pouvoir. Le roi, par lettres du 2 mars, venait de le charger de chasser hors du royaume les Anglais qui continuaient à y faire mille affreux ravages. Il avait reçu l'autorité d'assembler et de commander autant de gens de guerre qu'il le voudrait, de leur donner tels chefs qu'il jugerait convenable, d'occuper les villes et forteresses, enfin de faire pour la défense du pays tous actes de souveraine puissance. En outre l'opinion des députés aux états lui avait été plus favorable qu'aux autres princes. De concert avec l'université et la ville de Paris il poursuivait la réformation demandée, et la faisait servir à ses vues. On commença par renvoyer ceux qui avaient été nommés dans les doléances de maître Pavilly. Le roi prit sous sa protection le chancelier ; c'était lui qui depuis longtemps avait l'expédition des affaires ; il était vieux et respecté de tous les gens de bien. Dans l'exercice d'une si grande charge il avait toujours montré de la prudence et une inviolable fidélité.

L'homme qui était devenu le plus odieux, c'était Pierre Desessarts. Le grand amour que les Parisiens avaient eu pour lui s'était tourné en fureur. On regrettait que les Armagnacs eussent, par leurs méchantes pratiques, amené à eux un homme qui avait réellement aimé le roi et le bien du peuple, mais on n'en était que plus animé contre lui[26]. Une dernière aventure acheva de le perdre. Un homme d'armes bourguignon était logé dans une auberge rue de La. Harpe. Son cheval mourut ; on le tira de l'écurie' pendant la nuit, et on le traîna à la porte du collège d'Harcourt. Les écoliers trouvant cette charogne le lendemain matin, se tinrent pour insultés, et la traînèrent à l'auberge d'où elle avait été amenée. L'aubergiste était un huissier au Châtelet, grand protégé du prévôt de Paris. Il traita insolemment les écoliers. On s'échauffa, et l'on en vint aux mains ; le sire Desessarts prit le parti de son huissier, et envoya à son secours. Tous les écoliers de l'université s'en mêlèrent ; le trouble se mit dans la ville[27]. Le Duc profita de l'occasion, et destitua le sire Desessarts de la charge de prévôt de Paris ; elle fut donnée à un autre serviteur du duc de Bourgogne, messire Le Borgne de la Henze, un de ses plus vaillants Chevaliers.

Quant au maniement des finances pour lequel il allait être recherché, il arriva à Desessarts de dire que sa justification serait facile : qu'il avait donné deux millions au duc de Bourgogne, et qu'il en montrerait le reçu signé du Duc lui-même. Cette parole décida sa perte. D'ailleurs le duc d'Aquitaine et les princes qui le gouvernaient en étaient venus à ne pouvoir plus se passer de Desessarts ; il était l'âme de leurs conseils. On disait que son projet était d'enlever le roi et le dauphin : qu'il avait réuni pour cela cinq ou six cents hommes d'armes à Melun. On ajoutait que sans cesse il répétait aux princes que le peuple de Paris devait être mené rudement et tenu en crainte[28]. Il lui fallut se dérober aux périls qui le menaçaient ; il se sauva dans la forteresse de Cherbourg dont il était capitaine.

Le peuple commençait à s'échauffer. Les bouchers étaient toujours les maîtres de la ville, chacun tremblait devant eux. Le duc de Bourgogne les avait plus que jamais choyés et caressés. C'était un chagrin pour beaucoup de ses propres serviteurs et chevaliers de le voir se mêler à de telles gens[29]. L'université aussi se repentait d'avoir été pour quelque chose dans une affaire qui tournait en un si grand désordre ; cela donnait en quelque sorte raison à ceux qui avaient trouvé moquable et impertinent de voir des gens sans nulle pratique des affaires, et tout spéculatifs, quitter leurs livres, pour régenter les princes, et pour gouverner l'état comme leurs classes.

Ce fut dans l'espérance de détourner le duc de Bourgogne de cette mauvaise voie, que des hommes de bien, qui ne lui étaient pas contraires, allèrent prier maître Juvénal de le voir et de lui donner de sages conseils. Juvénal se présenta plusieurs fois à l'hôtel d'Artois, il y attendit longtemps sans avoir audience ; enfin une nuit le Duc le fit venir ; alors il lui remontra de son mieux, d'abord qu'il ne devait pas s'obstiner à toujours soutenir qu'il avait bien fait de faire tuer le duc d'Orléans : il en était advenu assez de maux, disait-il, pour qu'il convînt d'avoir tort : au moins devait-il protester qu'il tiendrait les promesses faites à Auxerre. Il lui dit ensuite qu'il n'était pas conforme à son honneur de se laisser gouverner par des bouchers, des écorcheurs de bêtes, et tant de méchantes gens. Il ajouta qu'il pouvait lui garantir que cent bourgeois de Paris, des plus notables, s'engageraient à l'accompagner toujours, à faire ce qu'il leur commanderait, et même à lui prêter de l'argent s'il en avait besoin.

Le Duc écouta assez patiemment l'avocat-général ; mais il répondit d'abord qu'il n'avait pas eu tort et qu'il ne le confesserait jamais : que quant aux gens dont on lui parlait, il savait ce qu'il avait à faire, et qu'il n'en serait pas autrement.

Les choses en étaient là, lorsque tout-à-coup, le 28 avril, Pierre Desessarts à la tête de quelques hommes d'armes, rentra dans Paris, et s'empara de la Bastille Saint-Antoine en vertu des ordres du dauphin. Au premier bruit de cette nouvelle, les deux frères Legoix, Denis de Chaumont, Caboche et Jean de Troyes, chefs des bouchers, répandirent dans le peuple que c'était le commencement du dessein que Pierre Desessarts avait formé d'enlever le roi et de détruire la ville. La sédition commença ; on alla en foule requérir le prévôt des marchands de délivrer la bannière de la ville, et d'avertir les cinquanteniers et les dizainiers qu'ils eussent à se rendre en armes sur la place de Grève. Le clerc de l'Hôtel-de-Ville montra une grande fermeté. Il leur représenta qu'ils avaient promis de ne jamais prendre les armes sans en prévenir le duc d'Aquitaine deux jours d'avance. Les séditieux, et Même les plus petites gens finirent par entendre raison ; ils se retirèrent, en se donnant parole pour le lendemain[30].

Le lendemain le prévôt des marchands, les échevins, les cinquanteniers qui étaient tous d'honorables et riches bourgeois, résolurent de tenter les derniers efforts pour empêcher le désordre. Ils se rappelaient avec un triste souvenir les suites des troubles et des émeutes. Plusieurs d'entre eux entreprirent de ramener la populace à des sentimens plus calmes. Cela était difficile ; les chefs, lorsqu'on leur disait de prendre confiance au duc d'Aquitaine, répondaient en tumulte : « N'est-ce donc pas inutilement que nous avons jusqu'ici soit en secret, soit en public, fait entendre an roi, à son fils, à son conseil et aux grands de l'état, les maux insupportables où des traîtres et des mauvais Français précipitent le royaume ? N'a-t-on pas toujours négligé d'y porter remède ? C'est donc à nous, de nous faire justice et d'en tirer vengeance. »

Peut-être les gens sages de la ville auraient-ils réussi à apaiser cette fureur, mais il y avait des chevaliers du duc de Bourgogne qui entraînaient les séditieux, et leur donnaient de mauvais conseils. Le sire de Jacqueville, qui avait succédé dans leur confiance à Pierre Desessarts et le sire de Mailly se mirent à la tête de tout ce peuple. L'on courut attaquer la Bastille ; cette forteresse était imprenable. Cependant le sire Desessarts, voyant leur fureur, ne voulut point pousser les choses à l'extrême ; il se montra à une fenêtre, répétant qu'il n'était rentré que par l'ordre de monseigneur le duc d'Aquitaine, dont il présentait les lettres et le sceau. Il protesta qu'il n'avait aucun mauvais dessein contre la ville de Paris, qu'il ne demandait qu'à en sortir, et promettait de ne jamais revenir à la cour sans le consentement des bourgeois. Le tumulte était si grand qu'il ne pouvait se faire entendre : en vain, il les conjurait, les mains jointes, de l'écouter : ils ne répondaient que par des cris d'extermination. Sur ce, arriva le duc de Bourgogne, qui commença à calmer le peuplé en disant qu'il se chargeait du sire Desessarts, le garderait lui-même et en répondait. Il lui cria de descendre ; Desessarts obéit ; quand il fut au milieu de cette troupe furieuse, que la présence du Duc contenait à peine : « Monseigneur, dit-il, je suis venu sur votre sauvegarde si vous ne pouvez me garantir de la rage de ces gens-là, laissez-moi rentrer. — N'aie aucun souci, mon ami, répondit le Duc, je t'assure et te jure ma foi, que s'il le faut, je te couvrirai de mon corps. » Il lui prit la main, lui fit une croix sur le dos de la main en signe de serment, l'emmena hors de la foule et le fit conduire au Louvre[31].

Les séditieux alors se portèrent à une violence plus audacieuse encore, et si insolente, que sûrement elle leur avait été conseillée par de grands personnages. Ils se portèrent en tumulte à l'hôtel du duc d'Aquitaine. Il y avait déjà quelque temps que le peuple était porté de mauvaise volonté contre lui ; depuis qu'il n'était plus gouverné par le duc de Bourgogne, on disait de lui que c'était un prince qui ne songeait à rien de sérieux, qui ne s'occupait qu'à avoir de magnifiques habits, à rassembler des chanteurs et des enfants de chœur, à entendre le son des orgues ; on répandait qu'il était livré à l'intempérance et à la débauche, qu'il passait les nuits à table[32] ; enfin, le mauvais train que lui faisaient suivre ses serviteurs le jetterait, disait-on,-dans la même maladie que son père, et perpétuerait ainsi les calamités du royaume. Dès qu'on sut chez le duc d'Aquitaine que la populace allait assiéger l'hôtel, on lui proposa de s'armer avec tous ses chevaliers, et de se ranger devant la porte sous le royal étendard des fleurs de lis. Pendant qu'on en délibérait, les bouchers arrivèrent, plantèrent la bannière de la ville, et avec des cris forcenés, demandèrent qu'on les fît parler au dauphin ; son beau-père, le duc de Bourgogne, était déjà près de lui, il lui conseilla d'ouvrir la fenêtre, et de leur parler doucement.

« Mes chers amis, dit-il, qu'avez-vous ? Non-seulement je vous écouterai, mais je ferai ce que vous voudrez. »

Alors le chirurgien, Jean de Troyes, prit la parole : « Monseigneur, dit-il, vous voyez vos très-humbles sujets, les bourgeois de Paris, en armes devant vous. Ils veulent seulement vous montrer par là qu'ils ne craindraient pas d'exposer leur vie pour votre service, comme ils l'ont déjà su faire ; tout leur déplaisir est que votre royale jeunesse ne brille pas à l'égal de vos ancêtres, et que vous soyez détourné de suivre leurs traces par les traîtres qui vous obsèdent et vous gouvernent. Chacun sait qu'ils prennent à tâche de corrompre vos bonnes mœurs, et de vous jeter dans le dérèglement. Nous n'ignorons pas que notre bonne reine, votre mère, en est fort mal contente ; les princes de votre sang eux-mêmes craignent que lorsque vous serez en âge de régner, votre mauvaise éducation vous en rende incapable. La juste aversion que nous avons contre des hommes si dignes de châtiment, nous a fait solliciter assez souvent qu'on les ôtât de votre service. Nous sommes résolus de tirer aujourd'hui vengeance de leur trahison, et nous vous demandons de les mettre entre nos mains. »

Les cris de la foule témoignèrent que l'orateur avait parlé selon ses sentimens. Le dauphin, avec assez de fermeté, répondit : « Messieurs les bons bourgeois, je vous supplie de retourner à vos métiers, et de ne point montrer cette furieuse animosité contre des serviteurs qui me sont attachés. — Si vous en connaissez quelques-uns, ajouta le chancelier d'Aquitaine, qui aient manqué de fidélité, nommez-les, on les punira comme ils le méritent. » Jean de Troyes en remit alors une liste : elle comprenait près de cinquante seigneurs et gentilshommes : le chancelier d'Aquitaine était lui-même en tête de la liste. Cette populace le força à la lire tout haut plusieurs fois.

Le dauphin, cependant, indigné de tant d'affronts, et voyant qu'il ne pourrait sauver ses serviteurs, jeta un regard de courroux sur le duc de Bourgogne : « Beau-père, dit-il, ceci m'est fait par vos conseils, et vous ne pouvez vous en justifier, car ce sont des gens de votre hôtel qui sont les principaux ; mais comptez qu'une fois vous vous en repentirez, la besogne n'ira pas toujours ainsi à votre plaisir. » Le duc de Bourgogne répondit d'un ton d'excuse : « Monseigneur, vous vous informerez quand votre colère sera refroidie. » Alors le dauphin prit une croix d'or que portait sa femme, et fit jurer dessus au duc de Bourgogne qu'il n'arriverait aucun mal à ceux que le peuple allait saisir ; puis il se retira dans la chambre du roi. Les séditieux enfoncèrent les portes, se répandirent dans l'hôtel, et s'emparèrent violemment du duc de Bar, cousin-germain du roi, du chancelier d'Aquitaine, du sire Jacques de La Rivière, de messire d'Angenne, des deux frères Boissay, des deux frères Mesnil. Leur brutalité fut telle, qu'ils arrachèrent le sire de Vitry à la duchesse d'Aquitaine, qui voulait le sauver.

On mena les prisonniers au Louvre, mais tous ne purent être préservés de la cruauté des bouchers. Maître Bridoul, secrétaire du roi, fut jeté dans la rivière. Un riche tapissier, nommé Martin, fut massacré. On fit périr aussi un habile mécanicien nommé Watelet, qui avait construit de belles machines de guerre pour le duc de Berri. Courtebotte, musicien du duc d'Aquitaine, eut le même sort.

Jamais les bouchers n'avaient exercé un si grand pouvoir dans la ville. Chaque jour ils entraient chez le duc d'Aquitaine, et lui faisaient débiter insolemment, que ce qu'ils avaient fait était pour son honneur et pour le bien du royaume. On lui répétait ensuite avec une licence sans égale, de dures leçons sur sa conduite et son dérèglement.

Maître Eustache Pavilly se signala surtout dans ces injurieuses réprimandes. Il fit un long récit des vices dont les princes de France avaient pu donner le scandale, et alla jusqu'à dire que la maladie du roi et l'assassinat du duc d'Orléans, avaient été des punitions du ciel pour le désordre de leur conduite. Il signifia au dauphin que s'il ne se réformait pas, on serait obligé de transférer son droit à son second frère, ainsi que la reine l'en avait, disait-on, menacé.

On lui demandait en même temps de presser les poursuites contre ceux qui avaient été mis en prison ; on voulait qu'il publiât de nouvelles menaces contre les Armagnacs et tous ceux qui armeraient en leur faveur[33]. Le duc d'Aquitaine n'était en mesure de leur rien refuser. Il les écoutait avec douceur et patience, en les conjurant chaque fois d'avoir quelque considération pour son cousin le duc de Bar, et pour les fidèles serviteurs qu'ils lui avaient enlevés.

En ce même temps, les Gantois avaient envoyé des députés à leur Duc, pour le prier de renvoyer parmi eux son fils le comte Philippe de Charolais, qu'ils aimaient déjà beaucoup. Les Parisiens firent grand'fête à ces Gantois. On leur donna un magnifique dîner à l'Hôtel-de-Ville.

En signe de fraternité, les gens de Paris et ceux de Gand prirent le chaperon blanc, et jurèrent de s'assister mutuellement. Les hommes sages craignirent de voir renaître cette révolte générale de tous les peuples qui avait, trente ans auparavant, failli causer d'étranges révolutions ; en effet ceux qui étaient maîtres de tout à Paris, ne manquèrent pas d'envoyer des députés dans toutes les bonnes villes, pour les engager à faire cause commune, et à arborer le chaperon blanc[34].

Ce chaperon devint tout aussitôt l'enseigne du parti. Les bouchers s'en allèrent l'offrir au dauphin, au duc de Bourgogne, au duc de Berri et aux seigneurs du conseil, en leur disant de le porter en témoignage de leur amour pour le peuple et la bonne ville de Paris. Dans les commencements n'en avait pas qui voulait. Ceux qu'on soupçonnait d'être Armagnacs n'obtenaient pas d'abord cette faveur[35]. Bientôt tout le monde finit par en porter. Ces bouchers, que pour lors on nommait cabochiens, étaient même si malveillants et insolents, qu'un jour le duc d'Aquitaine, étant à sa fenêtre, avait laissé tomber son chaperon, de telle sorte que, par hasard, il passait sur l'épaule droite comme une écharpe. Les bouchers se prirent à dire : « Voyez donc ce bon enfant de dauphin, qui fait de son chaperon blanc la bande des Armagnacs. Il en fera tant qu'il nous mettra en colère[36]. »

Les gens de bien tremblaient, des malheurs effroyables que préparait une telle domination. L'université et les bons bourgeois étaient loin d'approuver un tel désordre. Ils cherchaient les moyens de se préserver des calamités qu'ils voyaient fondre sur eux. Ils envoyèrent le sire de Craon au duc d'Orléans, pour lui protester du respect de la ville de Paris, et pour essayer d'ajuster ce qui s'était passé. L'université, de son côté, offrit de s'entremettre pour apaiser le duc d'Aquitaine. On chercha aussi à tirer quelques bons avis de l'avocat-général Juvénal, qui avait longtemps gouverné Paris, et qui montrait toujours tant d'amour pour le roi et pour le' royaume. Il consentit à entrer en conférence avec quelques Bourguignons assez sages, et même avec maître Pavilly, qui était tout aux Legoix et aux Saint-Yon. Ce n'est pas que l'avocat-général eût grande espérance[37]. Tout dernièrement, il avait su quelles tristes réponses avaient faites des personnes dévotes et contemplatives, et surtout de saintes religieuses qui avaient parfois des visions ; lorsqu'on était venu leur demander comment tout ce désordre finirait. L'une avait vu trois soleils, signe bien funeste ; l'autre avait remarqué le ciel couvert de sombres nuages au-dessus de Paris, et serein du côté d'Orléans. Une troisième avait rêvé que le roi d'Angleterre était sur les tours de 'Notre-Dame, et le roi de France entouré d'un cortége de deuil, humblement assis sur une pierre dans le parvis. Il y avait bien à craindre que tous ces malheurs ne vinssent de l'excommunication que Boniface VIII avait prononcée contre le roi Philippe-le-Bel et sa race. Voilà ce que se disaient tristement les prud'hommes qui consultaient entre eux sur les moyens de sauver le royaume. Juvénal était d'avis que ce qui importait le plus avant tout, c'était que les princes rompissent toute alliance avec les Anglais. En parlant ainsi il semblait faire un reproche aux Bourguignons, tout aussi bien qu'aux Armagnacs. Les uns comme les autres recherchaient le secours des ennemis du royaume ; aussi les gens de bien n'avaient point à se joindre avec aucun des deux partis.

Bien ne pouvait donc arrêter les excès des bouchers. Chaque jour c'était quelque nouvelle violence. Le comte de Vertus ne se trouvant plus en sûreté, parvint à s'évader de Paris sous un déguisement. Le dauphin cherchait aussi les moyens d'échapper à sa déplorable situation. Il écrivait secrètement au duc d'Orléans, au duc de Bretagne, au roi de Sicile, de venir le délivrer. Néanmoins sa faiblesse autorisait et encourageait le désordre. Il n'y avait rien qu'il ne signât et n'approuvât 'sans résistance. Ainsi on le fit consentir à l'emprisonnement de soixante riches bourgeois, qu'on rançonna durement. Il reprit son ancien chancelier ; il donna le gouvernement de Paris au sire de Jacqueville ; Chaumont et Caboche, infâmes écorcheurs, et valets de la boucherie, furent nommés commandants de Saint-Cloud et de Charenton ; ils prêtèrent serment entre ses mains[38].

A ce moment le roi, qui était depuis longtemps malade, revint à la santé. Le 18 de mai, il s'en alla en procession solennelle remercier Dieu à Notre-Dame. Pendant son chemin le prévôt des marchands et les échevins se présentèrent respectueusement à lui. Maître Jean de Troyes le harangua, et lui offrant le chaperon blanc, le conjura de le porter comme marque d'affection pour sa bonne ville de Paris. Le roi y consentit facilement. Dès-lors personne ne put se dispenser d'en faire autant. Le Parlement, l'université, le clergé ne se montrèrent plus en public qu'avec le chaperon.

Deux jours après, maître Pavilly, à la tête d'une députation des factieux, obtint audience du roi. Il lui débita un long discours pour justifier tout ce qui avait été fait depuis quelque temps, et compara la ville de Paris à un jardinier sage, qui aurait arraché les mauvaises herbes dont les lis étaient empoisonnés et étouffés. Le chancelier de France lui demanda au nom de qui il parlait ; le prévôt des marchands et les échevins qui étaient présents l'avouèrent de tout ce qu'il avait dit ; car les plus honnêtes gens de la ville cédaient sans cesse à la crainte qu'inspiraient les séditieux. En même temps la foule s'était amassée autour de l'hôtel Saint-Paul. La milice était en armes, sous le commandement du sire de Jacqueville. De moment en moment de nouveaux bourgeois entraient dans l'hôtel, et venaient grossir la députation. On demandait à grands cris le duc d'Aquitaine. Le prince, épouvanté de cette fureur toujours croissante de la populace, consentit à se montrer. Le duc de Bourgogne, qui peut-être trouvait que les choses allaient trop loin, descendit et supplia instamment les séditieux de se retirer ; il leur représenta que le roi était à peine rétabli : que ce tumulte allait le rejeter dans son désordre d'esprit ; rien ne put les calmer ; ils criaient que c'était pour le bien du roi et du royaume qu'ils étaient venus. Bientôt Jean de Troyes produisit une liste des personnes dont ces furieux demandaient l'emprisonnement. Le duc Louis de Bavière était le premier ; jusque-là il avait été, ainsi que la reine sa sœur, assez agréable au peuple de Paris, mais la méfiance s'était aussi portée sur lui. On prétendait qu'il faisait le bon serviteur, mais qu'au fond il était pour les Armagnacs[39]. C'était la crainte qu'on ne fît échapper le dauphin, et l'idée qu'il était entré en correspondance secrète avec le duc d'Orléans, qui avait animé toute cette populace.

Le duc dé Bourgogne, n'obtenant rien de leur fureur, remonta chez la reine, et lui dit ce qu'on demandait. Elle fut saisie d'un grand trouble, appela son fils, et lui commanda de retourner avec le duc de Bourgogne parler à ces gens-là, pour les supplier d'épargner son frère. Le duc d'Aquitaine se prit alors à pleurer, et se retira dans un cabinet. Le duc de Bourgogne lui rendit quelque courage, et ils descendirent. Là ils conjurèrent les séditieux de se désister-de leur demande, ou du moins d'accorder huit jours sur parole au frère de la reine. Il devait se marier le lendemain à la veuve du comte de Mortagne ; tout était prêt pour la célébration ; il promettait de se représenter, et de se rendre prisonnier la semaine d'après. Ils furent impitoyables, et répondirent qu'ils iraient le prendre en présence même du roi et de la reine. Quand elle sut la cruauté des Parisiens, elle voulait suivre son frère et partager sa prison. Pour lui, ne voyant aucun moyen d'échapper, il descendit plein de tristesse et d'amertume, se rendit à eux, leur demanda de se borner à son emprisonnement et de faire grâce aux autres. « Si je suis coupable, dit-il, punissez-moi sans miséricorde, sinon délivrez-moi promptement afin que je retourne en Bavière pour ne jamais revenir en France. »

Jacqueville monta ensuite dans l'hôtel avec une quinzaine d'hommes armés, et, brutalement, sans nul égard pour la reine, pour le roi, pour monseigneur d'Aquitaine, pénétrant partout, brisant les portes, il s'empara de tous ceux que le peuple demandait. Pour comble de barbarie, il y avait sur cette liste treize dames des plus considérables, de l'hôtel de la reine et de la duchesse d'Aquitaine. Elles furent emmenées avec rudesse, mises deux à deux sur des chevaux, et conduites au Louvre. Parmi les autres prisonniers, étaient l'archevêque de Bourges, prélat du plus grand mérite, et confesseur de la reine ; et ce qui Montrait la folie de ce peuple, le sire d'Ollehain, qu'on avait forcé huit jours auparavant le dauphin de reprendre pour chancelier, fut aussi conduit en prison. On prit encore un écuyer du duc d'Orléans qui, la veille, avait apporté des lettres de son maitre. Peu après ils le remirent pourtant en liberté, ainsi que le sire d'Ollehain[40].

Cependant les bourgeois riches et sages, l'université, le Parlement, gémissaient de plus en plus de cette tyrannie, et refusaient de se mêler en rien à tous les actes des séditieux. Le conseil du roi avait moins de fermeté. On fit formellement approuver et reconnaître pour agréable, par le roi, tout ce qui avait été fait ; ses lettres traitèrent de serviteurs loyaux et zélés, ceux qui avaient arrêté dans son hôtel, les princes de son sang, et leur donnèrent de publiques louanges. Elles justifiaient ces violences, en disant qu'on soupçonnait de machinations, de conspiration et de crimes, les personnes emprisonnées. Ce fut après délibération du conseil, où assistaient les princes et tout ce qui restait encore de seigneurs auprès d'eux, que ces lettres furent délivrées, sans nulle contradiction. On ne trouva pourtant qu'un seul secrétaire du roi, qui voulût les expédier[41].

Le surlendemain, le roi et les princes se rendirent, revêtus du chaperon blanc, au Parlement, pour y faire enregistrer les ordonnances d'économie et de réformation, qui avaient été dressées sur la demande des États et de l'université. Elles étaient bonnes et sages. Des hommes expérimentés et raisonnables les avaient composées pendant tous ces troubles ; il eût été à souhaiter qu'elles fussent observées fidèlement. En même temps, on en enregistra une autre, qui renouvela les défenses d'armer en faveur des princes. En effet, le duc d'Orléans et ses partisans, émus de tout ce qui se passait à Paris, recommençaient à assembler des troupes[42]. Cette fois, il agissait avec la secrète approbation du roi et du duc d'Aquitaine, qui s'était adressé au duc de Bretagne et à lui, pour être délivré des factieux de Paris. Ils donnaient à toute leur conduite l'apparence du respect et de la soumission, et ne réclamaient que l’exécution de la paix d'Auxerre. De sorte que les gens de bien en étaient venus au point de ne les plus blâmer. Il y avait même des serviteurs du duc de Bourgogne, tels que les sires de Croy, de Roubaix, de Châtillon et de la Viefville, qui s'étaient éloignés, par horreur de ce qu'ils étaient obligés de voir à Paris.

Les bouchers se sentant abandonnés de tous les honnêtes gens ne s'en livraient que plus à tous les excès. Le duc de Bourgogne avait traduit les prisonniers devant douze commissaires institués pour les juger. Pendant qu'on instruisait cette informe procédure contre le sire Jacques de La Rivière, le sire de Jaqueville entra un jour dans sa prison. Il commença par adresser de rudes paroles au prisonnier. Le sire de La Rivière était un des seigneurs les plus polis, les plus aimables, et les plus savants de toute la cour[43] ; il vit bien qu'il était dangereux d'engager querelle avec un tel homme, et s'efforça de lui répondre le plus doucement qu'il pouvait. Mais l'autre étant allé jusqu'à lui dire qu'il était traître et déloyal, se sentant attaqué dans son honneur, il répliqua à Jacqueville, qu'il en avait méchamment menti, et que s'il plaisait au roi il le combattrait. Pour lors ce capitaine des bouchers prit sa hache d'armes, en frappa La Rivière à la tête et l'étendit mort à ses pieds. Le lendemain on plaça le cadavre dans une charrette avec le sire de Mesnil que les commissaires venaient de condamner. Le vivant et le mort furent amenés à l'échafaud et décapités. On répandit dans le vulgaire que le sire de La Rivière s'était, tué en se frappant la tête avec un pot d'étain. Tout ce qui n'était point la populace, sut bien que Jaqueville avait assassiné un homme sous la sauvegarde de la Justice.

Peu de jours après le roi retomba dans sa maladie, et comme sa faible volonté n'était plus là pour défendre son vieux serviteur le chancelier, à qui il était attaché, les séditieux le firent révoquer. Les princes, pour adoucir la disgrâce de cet homme respectable, donnèrent les sceaux à son gendre, Eustache de Laître[44].

Pour mettre le comble aux malheurs du royaume, les Anglais entraient sans nulle résistance dans la Guyenne. Le sire d'Albret ne se mettait point en peine de les coin-battre ; le comte d'Armagnac les favorisait plus ouvertement encore, et portait leur croix rouge sur sa cotte d'armes. Bientôt le sire de Helly, maréchal de Guyenne, arriva à Paris disant qu'il n'avait nulle ressource pour soutenir la guerre, mais que si l'on voulait lui donner de l'argent, il tâcherait de réunir une armée pour défendre .la frontière. La chose pressait, et l'on résolut de se servir de la rude autorité des bouchers pour réussir plus tôt à rassembler quelque finance. Des commissaires furent nommés pour taxer chacun selon ses facultés ; Legoix, Caboche, de Troyes et Chaumont, furent commis à la recette. Ils la firent en effet avec leur violence accoutumée et sans ménager personne, conduisant en prison ceux qui ne s'acquittaient pas sur-le-champ, ecclésiastiques, officiers du roi ou autres. L'avocat-général Juvénal, que tout le monde respectait, ayant réclamé contre sa taxe de deux mille écus, fut amené au Châtelet. Le vénérable Jean Gerson, chancelier de Notre-Dame, l'honneur de l'université, ayant refusé de payer, et ayant doucement représenté que la façon dont on s'y prenait n'était ni honorable, ni selon la loi de Dieu, ils voulurent le prendre ; il se cacha dans les voûtes de Notre-Dame, et ils saccagèrent sa maison.

Cette taxe donna encore plus d'aversion à la bourgeoisie contre les bouchers. Peu à peu, se sentant poussée à bout, elle reprenait courage et commençait à exprimer plus haut ses sentimens. Mais les autres répondaient : « D'où vient donc que nous avons toujours été avoués de ce que nous faisions par quelques-uns d'entre vous ? » Les bourgeois s'excusaient alors sur l'autorité du roi, qui avait aussi cédé à la violence. « D'ailleurs, disaient-ils, pouvions-nous croire que vous iriez à de tels excès ?[45] »

Une des choses qui les occupaient le plus, c'était de presser la condamnation du sire Desessarts. Ils le craignaient encore dans sa prison. Comme ils le connaissaient habile et cruel, ils voulaient se mettre à l'abri des retours de fortune, qui auraient pu le ramener auprès des princes. Il avait beaucoup d'ennemis et d'envieux, et avait fait tout ce qu'il fallait pour les mériter ; de sorte que l'opinion ne le défendait guère contre les commissaires chargés de le juger. Il fut donc condamné, et le 1er juillet, on le conduisit au supplice, sur une claie, après lui avoir rasé les cheveux. Il avait une houpelande noire fourrée de martres, et une croix de bois en sa main. Sa fermeté ne l'abandonna pas un instant ; il avait le visage riant, et regardait d'un œil assuré tous les apprêts de sa mort. Le voyant si calme et si gai, beaucoup de gens imaginaient qu'il se flattait d'être délivré par ce peuple dont il avait été tant aimé. Cependant personne n'y songea, bien que tous les assis-tans pleurassent à chaudes larmes. Arrivé sur l'échafaud, il ne demanda pas d'autre grâce que de ne pas entendre la lecture de son jugement, où l'on avait accumulé toutes sortes de crimes. Cela lui fut accordé ; il se mit à genoux, baisa une petite image d'argent que lui présenta le bourreau, et tendit courageusement la tête. Son corps fut suspendu au même gibet où, trois ans auparavant, il avait fait attacher le corps du sire de Montaigu.

L'insolence du sire de Jacqueville allait toujours croissant. Un soir qu'il faisait sa ronde avec le guet, autour de l'hôtel Saint-Paul, il entendit la musique d'un bal chez le duc d'Aquitaine ; il monta, entra hardiment dans la chambre, et commença à réprimander durement le prince sur sa vie dissolue et indigne de son rang. Le sire Georges de la Trémoille s'avança pour répondre à cet injurieux discours. Jacqueville lui reprocha d'être l'auteur de tous ces désordres. Une querelle s'engagea ; les deux chevaliers se donnèrent de mutuels démentis. La patience manqua au dauphin ; il s'élança sur le sire de Jacqueville et le frappa de trois coups de poignard qu'arrêta sa cotte de mailles. Le guet, entendant le bruit, pénétra dans la salle ; le sire de la Trémoille allait être massacré, si le duc de Bourgogne, à force de supplications, n'avait obtenu sa grâce. Le due d'Aquitaine fut si troublé de cette horrible scène, qu'il en cracha le sang. Il ne trouvait aucun moyen de se tirer d'esclavage ; mais les bons bourgeois de Paris souffraient de le voir livré à de tels affronts, et le faisaient secrètement assurer de leur affection[46].

Cependant les princes d'Orléans avaient rassemblé leurs hommes et s'avançaient vers Paris. Déjà Louis de Bosredon et Clignet de Brabant tenaient la campagne dans le Gatinais ; les bouchers conçurent quelqu'inquiétude et les gens sages prirent de l'espérance. Le peuple commençait à être las de tout le train des choses. Il n'y avait plus de commerce et les pauvres ouvriers étaient sans cesse détournés de leur travail, pour faire le guet et garder la ville. En même temps on savait qu'il n'y avait rien de si raisonnable que les demandes des princes : ils ne voulaient que l'exécution de la paix d'Auxerre dont les conditions n'avaient pas été observées à leur égard, encore se plaignaient—ils bien plus des violences et des outrages exercés contre le roi et le duc d'Aquitaine, que des torts qu'on avait à leur égard ; le roi de Sicile était de leur alliance[47]. Le comte d'Eu lui-même, qui venait de marier sa sœur, il y avait peu de jours, au comte de Nevers, frère du duc de Bourgogne, était allé aussitôt après joindre les princes. Ils étaient arrivés jusqu'à Verneuil à vingt-cinq lieues de Paris. De là ils avaient envoyé des commissaires pour protester de leurs bonnes intentions. Le conseil du roi délibéra que des conférences seraient entamées pour le maintien de la paix, et que chaque prince y enverrait son commissaire avec les ambassadeurs du roi. On fit choix d'hommes sages, habiles, et propres à aplanir les difficultés[48].

Au moment de leur retour, le roi recouvra la raison, ce qui parut encore une circonstance heureuse. On lui rendit compte de la situation des affaires et des bonnes dispositions des princes, qui étaient a Verneuil. Ils avaient fait grand accueil aux commissaires, avaient montré un sincère désir de la paix, et ne demandaient pas même à entrer dans Paris.

Il était nécessaire de conduire la chose avec une extrême prudence ; le dauphin et le conseil du roi avaient besoin d'appui pour arriver à une heureuse conclusion. On commença par envoyer le rapport des ambassadeurs au Parlement et à l'hôtel-de-ville, afin d'avoir l'avis de ces deux corps : on avait pris soin de ne pas y noter les plaintes que les princes faisaient de toutes les insultes faites au roi, à sa famille et à son autorité. Le Parlement ne balança point, et sur-le-champ conseilla au roi d'envoyer les ducs de Berri et de Bourgogne conférer avec les princes de l'autre parti.

Les ambassadeurs étaient allés eux-mêmes à l'hôtel-de-ville, et la bourgeoisie semblait être si bien disposée qu'on pouvait espérer un avis favorable. En effet, la nouvelle fut reçue comme un bienfait de la Providence ; presque tout d'une voix, on allait approuver la proposition, lorsque tout-à-coup le sire de Jacqueville entra dans la grande salle, avec Chaumont, Caboche et une centaine de leurs pareils, armés de pied en cap : « Nous ne voulons point de cette paix traîtresse, » s'écrièrent-ils.

Puis Simon Caboche, imposant silence à tous, prit la parole, et s'adressant aux ambassadeurs d'un air farouche et menaçant : « Comment ! vous avez jusqu'ici approuvé tout ce que le roi a fait, et maintenant vous conseillez la paix avec des traîtres qui voulaient le détrôner, il y a deux ans ! S'ils étaient de bonne foi, auraient-ils permis à Louis de Bosredon et à Clignet de Brabant, de conserver des châteaux dans le Gatinais, et de ravager toute la contrée ? Ils offrent leurs personnes et leurs biens pour le service du roi, ils ne demandent qu'à lui présenter leurs respects, et ne désirent pas que ce soit à Paris ! Qu'est-ce que cela veut dire, sinon qu'ils détestent cette bonne-ville, et cherchent quelque moyen de la surprendre ? c'est un expédient dont ils se sont avisés, pour en venir à leurs fins, et contenter leurs passions ; ils veulent se venger des injures que nous leur avons faites dans la personne de leurs serviteurs et de leurs sujets, lesquels nous avons justement emprisonnés, dépouillés de leurs biens, ou fait périr dans les supplices. Serez-vous assez simples pour donner dans le panneau ? Sachez que dès qu'ils auront avec eux, le roi, la reine et M. le dite de Guyenne, ils vous ôteront vos armes, les chaînes de vos rues ; ils aboliront vos privilèges, vous remettront sous le joug de leurs exactions, et s'enrichiront encore de vos dépouilles. Oui, ajouta-t-il en finissant, s'il y a ici quelqu'un, de quelque qualité qu'il soit, assez hardi pour consentir à cette paix, par le sang de notre Seigneur Jésus-Christ, il sera traité comme ennemi de la noble ville de Paris[49]. »

Les menaces de ce malheureux, qui osait ainsi paraître, dans une assemblée, couvert de la brillante armure d'un chevalier, épouvantèrent tout le monde. On se sépara sans rien résoudre. Dès le lendemain, ils répandirent une liste des principaux bourgeois de Paris qu'ils comptaient massacrer au premier tumulte. Ils forcèrent le conseil du roi à expédier des lettres qui enjoignaient aux fidèles bourgeois de Paris et des bonnes villes, de ne pas se laisser séduire par les conteurs de fausses nouvelles. « Quoi qu'on puisse vous dire, croyez, disaient ces lettres, que nous tenons nos rebelles parents, pour des traîtres et de dangereux ennemis du royaume. Nous approuvons en tout le gouvernement présent ; notre fils, le duc d'Aquitaine, ne court nul danger, n'a aucune inquiétude, et se trouve en sûreté autant que dans le sein de sa mère. » Déjà des commissaires avaient été envoyés aux provinces et aux villes pour leur commander de se tenir prêtes à venir au secours du roi. Il y avait surtout un chevalier, chambellan du duc d'Aquitaine, nommé le sire de Moreuil, qui parcourait la Picardie, prêchant la croisade contre les princes, et animant nobles et bourgeois contre eux par mille calomnies. En même temps le sire de Jacqueville venait de sortir de la ville à la tête d'une troupe de la milice, pour aller combattre Louis de Bosredon. De même que ces commissaires, il envoya tout aussitôt à Paris des nouvelles exagérées et fausses sur les ravages des Armagnacs dans les campagnes. On répandait que les princes voulaient détruire la ville, faire périr les principaux bourgeois, et donner leurs femmes à des valets.

Nonobstant tous ces efforts, le pouvoir des bouchers sur la ville de Paris diminuait de jour en jour ; les dix-sept quarteniers, qui gouvernaient les cinq quartiers de la ville, tenaient de secrètes assemblées ; ils y appelaient les cinquanteniers et les dizainiers ; presque tous étaient pour la paix, et en instruisaient le dauphin et le conseil du roi. Les commissaires chargés de juger les prisonniers, n'osaient plus prononcer de condamnations. Ils mirent en liberté les dames de la reine ; ils auraient bien délivré aussi les ducs de Bar et de Bavière, si ce n'eût été les menaces de Jean de Troyes.

L'homme qui travaillait le mieux à détruire la puissance des bouchers, c'était l'avocat-général Juvénal[50]. Il était grand ennemi du désordre, et avait d'ailleurs de justes motifs de rancune contré leur tyrannie. Cependant, tout courageux et ferme qu'il était, il n'osait encore se déclarer publiquement. Toutes ces pensées lui roulaient jour et nuit dans la tête, et ne lui laissaient ni repos ni sommeil. Enfin, une nuit, s'étant endormi vers le matin, il lui sembla qu'une voix lui disait : Surgite cum sederitis, qui manducatis panem doloris. Sa femme, qui était une bonne et dévote dame, lorsqu'il s'éveilla, lui dit : « Mon ami, j'ai entendu ce matin qu'on vous disait, ou que vous prononciez en rêvant, des paroles que j'ai souvent lues dans mes heures, » et elle les lui répéta. Le bon Juvénal lui répondit : « Ma mie, nous avons onze enfants, et par conséquent grand sujet de prier Dieu de nous accorder la paix ; ayons espoir en lui, il nous aidera. » Cet heureux augure lui donna bon courage. Il voyait presque tous les jours le duc de Berri. Comme on avait ruiné son hôtel de Nesle, il venait parfois loger au cloître Notre-Dame, chez son médecin maître Allégret, et se plaisait à y faire venir Juvénal et quelques honnêtes bourgeois, pour deviser ensemble des affaires du temps. « Eh bien ! Juvénal, disait souvent le vieux prince, cela durera-t-il toujours ? resterons-nous sous l'autorité et la domination de ces méchantes gens ? — Monseigneur, répondait l'autre, espérons en Dieu, avant peu nous les verrons confondus et détruits. »

Le soir même il rencontra chez le duc, Etienne d'Antenne et Gervais Mérille, deux braves marchands drapiers, qui étaient quarteniers ; ils racontaient comment, dans la bourgeoisie et même dans le petit peuple, on était mécontent des cabochiens ; ils en raisonnèrent beaucoup, et virent bien qu'il n'y avait rien à faire tant qu'on ne pourrait pas émouvoir le peuple contre ces gens-là. S'encourageant les uns les autres, ils promirent au duc de risquer leur personne et leurs biens pour briser l'autorité des bouchers et de leurs partisans.

Le conseil du roi, encouragé par ces bonnes dispositions, donna suite aux propositions de paix. Le duc de Berri et le duc de Bourgogne partirent pour Pontoise, où devaient se régler les conditions. Ils emmenaient avec eux des conseillers du roi, et huit des principaux bourgeois de la ville. On fit à Paris et à Saint-Denis les plus dévotes processions, pour obtenir la réussite de leur ambassade[51].

Les autres princes étaient venus jusqu'à Vernon, et envoyèrent leurs députés : c'étaient des gens presque tous remplis de mérite et de savoir ; mais celui qui parla le mieux fut maître Guillaume Saignez, député du roi de Sicile : il fit un discours que tout le monde trouva magnifique, rempli des plus belles comparaisons et les mieux soutenues, enrichi d'une foule de citations sacrées et profanes : il insista beaucoup sur les outrages de toutes sortes que les factieux avaient fait endurer à la maison royale, sur l'injure faite aux dames de la reine, sur l'emprisonnement des ducs de Bar et de Bavière. « On dit de plus, ajouta-t-il, et les princes en ont un déplaisir extrême, que le fils aîné du roi, l'héritier présomptif de la couronne, est par eux détenu, dans un état si misérable, qu'il est privé de toute liberté, tant active que passive : active, en ce qu'il ne peut sortir de sa maison, ou du moins désemparer de la ville : passive, en ce qu'aucun, de quelque qualité que ce soit, fût-il même de son sang, n'ose, depuis longtemps, ni parler, ni converser avec lui, excepté ceux qui le gardent ; cela est fort douloureux pour lui, et aussi pour nos seigneurs, qui demeurent ainsi privés de la vue et de la conversation de leur souverain seigneur sur cette terre, comme si après cette vie mortelle, ils étaient privés de la vue de Dieu. »

Il se plaignit aussi des messages calomnieux adressés aux bonnes villes du royaume, contre la conduite du duc d'Aquitaine. « Car, disait-il, il n'y avait que les personnes du sang royal qui eussent à s'enquérir de la façon dont un si grand seigneur se gouverne, et à lui en faire reproche ; que la chose fût vraie ou fausse, ce n'était pas aux villes à s'en entremettre. » Un autre grief, c'était les mandements adressés aux barons, chevaliers, écuyers et vassaux, pour leur défendre de marcher sur l'ordre de leurs seigneurs, et pour leur enjoindre de se tenir dans leurs maisons, jusqu'à ce que le connétable ou les seigneurs du conseil les mandassent. « C'était une chose très-grave que d'avoir voulu leur ôter leurs vassaux, qui ne doivent servir qu'en compagnie de leurs seigneurs, lorsque le roi a besoin de leurs services. » Les princes demandaient que l'on fît cesser ces désordres, en suivant les règles d'une bonne justice ; ils voulaient pourtant que cette justice fût toute paternelle ; ils déclaraient surtout que selon la coutume de la noble maison de France, si accoutumée à la débonnaireté et à la pitié, ils souhaitaient qu'on ne gardât ni rancune, ni malveillance contre ceux de la ville de Paris, qui pourraient se trouver coupables. Ainsi ils suppliaient le roi, la reine et monseigneur d'Aquitaine que, de part et d'autre, on accordât une abolition. S'ils avaient désiré voir la famille royale en toute franchise et liberté, dans quelque ville du royaume, comme Rouen, Chartres, Melun ou Montargis ce n'était point par mauvaise volonté contre Paris, c'était pour éviter toute occasion de rumeur entre les habitants de la ville et leurs serviteurs. Du reste ils offraient que l'on prît quelles précautions on voudrait pour la police de ce lieu de réunion.

Les articles étaient dressés dans ce même esprit de complaisance et de concorde. Ils convinrent à tout le monde, hormis au duc de Bourgogne ; il éleva de telles difficultés, que l'on crut un instant que tout était rompu. Le duc de Berri voulait absolument que les députés vinssent tout aussitôt à Paris présenter au roi ce projet de traité. Le duc de Bourgogne s'y refusa absolument, et l'on convint qu'ils attendraient de nouveaux ordres au château de Beaumont, chez le comte d'Eu. Le mardi ter août, les articles furent lus au conseil devant le roi et le duc d'Aquitaine. Comme on allait en délibérer, Jean de Troyes, Caboche, les Saint-Yon et les Legoix entrèrent avec tumulte et demandèrent que les conditions de la paix leur fussent montrées. Le chancelier répondit que le roi souhaitait la paix, mais qu'il voulait, avant de la conclure, prendre l'avis de sa bonne ville de Paris, du Parlement[52], de la chambre des comptes, du chapitre et de l'université ; qu'ainsi ils connaîtraient les articles.

Le lendemain, il y eut grande assemblée à l'hôtel-de-ville ; beaucoup de braves gens y étaient venus pour tenir tête aux bouchers. On lut les articles ; un avocat, nommé Jean Rapiot, brave homme qui savait fort bien parler, expliqua hautement tous les avantages de la paix, et dit que le prévôt des marchands et les échevins la désiraient aussi ; en effet l'un d'entre eux, Robert du Belloy, se leva, et, après avoir fait une vive peinture du malheur des temps, et des calamités plus horribles encore qui menaçaient le royaume, dit qu'il fallait se hâter d'accepter la paix ; s'animant par degré, il en vint à traiter de méchants et de traîtres ceux qui s'y opposeraient[53].

Jean de Troyes lui répondit aussitôt par un démenti, et dit que si l'on accordait la paix aux Armagnacs, il fallait du moins que ce fût en montrant bien qu'on leur faisait grâce, et qu'on consentait à oublier leurs trahisons et leurs mauvais desseins. Là-dessus, il allait faire la lecture des articles dont il tenait copie. Le moment était dangereux ; un bourgeois fit remarquer aussitôt que la matière étant si grande et si haute, il fallait d'abord se rendre dans les assemblées de quartier pour y lire les articles et en délibérer. C'était tout ce que craignaient les bouchers ; à peine ces paroles furent-elles dites que, dans presque toute la salle, on se mit à crier : « Oui, oui, dans les quartiers ! » Un des Saint-Yon, qui était là tout armé, voulut élever la voix pour dire que la chose était trop pressante, mais on criait toujours : « Dans les quartiers, dans les quartiers ! » Henri de Troyes, fils de Jean, se mit alors dans une telle fureur, qu'il répéta par trois fois : « Il y en a ici qui ont trop de sang ; il faut leur en tirer, nous » jouerons des couteaux. » Les Legoix se levèrent aussi et s'emportèrent en menaces. Guillaume Cirasse, charpentier, qui était quartenier au cimetière Saint-Jean, ne s'intimida point et leur dit que comme le grand nombre voulait qu'on en délibérât dans les quartiers, il fallait bien que cela se fît. « On lira les articles ici, malgré vous et les vôtres disaient toujours les Legoix. — Eh bien, répondit le charpentier, nous verrons s'il y a à Paris autant de frappeurs de cognée, que d'assommeurs de bœufs. » Les bouchers furent réduits à demander que l'assemblée fût remise au samedi, ce qui leur eût donné un jour pour préparer quelque horrible désordre.

Le lendemain, les quarteniers réunirent les bourgeois. Le quartier de la Cité était des plus importants. L'assemblée y était tenue par Jean de Troyes, qui était concierge du Palais. C'était un fort habile homme et qui savait bien tourner les esprits à son gré. Heureusement Ancenne, Mérille et Juvénal étaient de ce quartier. Jean de Troyes proposa, comme la veille, de rappeler dans le traité tous les crimes qu'il imputait aux princes, et fit lecture de ce qu'il avait écrit dans cette idée. « Que vous en semble, dit-il à maître Juvénal, ne serait-il pas à propos de montrer ceci au roi et à son conseil ? — Le roi désire, répliqua l'avocat-général, que toutes choses dites ou faites au temps passé soient abolies de part et d'autre, et que rien ne les puisse rappeler. Les choses contenues en votre cédule sont séditieuses et faites pour empêcher une paix que le peuple désire. — Oui, oui, cria-t-on aussitôt de toutes parts.... La paix... ! la paix ! il finît déchirer cette cédule. » A l’instant même on l’arracha des mains de Jean de Troyes, et elle fut mise en mille morceaux. Bientôt la nouvelle s'en répandit par la ville, et les autres assemblées de quartiers furent de même opinion, hormis le quartier des halles et de l'hôtel d'Artois, où était logé le duc de Bourgogne.

Dès le jour même, Juvénal et les principaux bourgeois de la Cité s'en allèrent à l'hôtel Saint-Paul raconter au roi comment les choses venaient de se passer. Le duc de Bourgogne était présent : « Juvénal, Juvénal, dit-il, ce n'est pas de la sorte qu'on en devait délibérer, entendez-vous ? — Monseigneur, sans cela nous n'aurions jamais eu la paix. Les bouchers seraient restés maîtres. Je vous en ai parlé d'autres fois, et vous n'avez pas voulu m'entendre. »

De-là, ils allèrent vers le dauphin qui était dans une embrasure de fenêtre, où un des Legoix s'était établi familièrement avec lui. On lui répéta ce qui venait d'être dit au roi ; le dauphin assura, avec fermeté, qu'il voulait la paix, et qu'on le verrait bien. Déjà on avait eu la faiblesse de consentir au délai d'un jour que les bouchers exigeaient[54] ; ce délai eût été funeste. On demanda au dauphin de profiter des bonnes circonstances et de tout hâter. Juvénal lui conseilla aussi de s'assurer sur-le-champ de la Bastille. Le duc de Bourgogne n'osa pas en refuser les clefs lorsqu'elles lui furent redemandées ; et messire d'Angenne, que les commissaires avaient fait sortir de prison, trois jours avant, en fut nommé gouverneur.

Le lendemain matin, le duc de Berri envoya quérir l'avocat-général « Eh bien ! lui dit-il, qu'est-ce que tout ceci ? Que ferons-nous ? — Monseigneur, passez la rivière, allez à l'hôtel Saint-Paul et faites-y conduire vos chevaux. Que monseigneur d'Aquitaine se tienne aussi prêt à monter à cheval, pour aller délivrer messeigneurs de Bavière et de Bar. Ne vous inquiétez pas ; j'ai bonne espérance en. Dieu ; tout ira bien ; demain vous serez paisible capitaine de la ville de Paris. »

Vers dix heures, le Parlement[55], la chambre des comptes, le chapitre, la ville vinrent à l'hôtel Saint-Paul présenter au roi leurs délibérations, toutes favorables à la paix. Le roi était à une des fenêtres de la cour, le duc d'Aquitaine à une autre, le duc de Berri à une troisième. Ils entendirent de-là les harangues de chacun des corps, et un beau discours de l'université, qui avait pour texte : Rogate quœ ad pacem. Maître Ursin de Tarenvède, docteur en théologie, qui était orateur, finit par demander que l'on délivrât, sur-le-champ, le duc de Bar et les autres prisonniers, Bientôt entrèrent dans la cour une foule énorme de bourgeois armés, à cheval ou à pied. Tous criaient : « La paix ! la paix ! » Ils venaient de Saint-Germain-l'Auxerrois ; c'était un des bons quartiers de la ville, et tous les bourgeois, amis de la paix, s'y étaient donné rendez-vous, afin d'aller de-là chercher le duc d'Aquitaine. Durant toute la nuit, le peuple, ému de cette paix, avait couru les rues en poussant des cris d'allégresse, et allumant des feux de joie.

Pendant le temps-là, les bouchers tentèrent un dernier effort ; ils assemblèrent leur monde, au nombre d'environ douze cents personnes, sur la place de Grève ; ils commencèrent à parler contre la paix ; mais ils ne pouvaient se faire écouter. Le menu peuple lui-même n'entendait à rien autre chose qu'à la paix. Une voix s'éleva qui cria : « Que ceux qui la veulent, passent à droite, et ceux qui ne la veulent pas, à gauche. » Pas un ne resta à gauche ; car comment contredire une telle volonté du peuple ? Ces gens qui, la veille, auraient remué toute la ville à leur gré, maintenant ne trouvaient plus un seul partisan[56]. Sur cela, arriva le duc de Bourgogne ; il avait voulu empêcher la troupe des bourgeois de Saint-Germain-l'Auxerrois de venir à l'hôtel Saint-Paul. Il les avait conjurés de rester tranquilles, de retourner chez eux : il promettait de leur faire accorder tout ce qu'ils voudraient ; mais ils étaient déjà en route, cheminant par les rues de la ville et la rue Saint-Antoine[57]. Ils n'avaient pas voulu prendre le long de la rivière, pour ne point se rencontrer avec l'assemblée de la place de Grève. Tout ce que le duc de Bourgogne leur put dire ne les avait aucunement touchés ; ils répondaient toujours : « Nous avons ordre du roi[58]. »

Les choses n'allèrent pas mieux-pour lui à la place de Grève ; il n'y demeura qu'un instant et se rendit à l'hôtel Saint-Paul, pour accompagner le dauphin qui, avec les bourgeois, se mit en route pour aller au Louvre délivrer les prisonniers. Le cortége passa par la rue Saint-Antoine, parce qu'il y avait encore de la foule devant l'Hôtel-de-Ville. Cependant elle s'écoula bientôt, et la plupart des bouchers s'en allèrent même rejoindre la suite du duc d'Aquitaine, qui venait d'ouvrir les portes du Louvre à son oncle, le duc de Bavière, et au duc de Bar. Peu à peu les bourgeois s'animèrent contre ceux qui, quelques moments encore, les faisaient trembler. Un nommé Gervais Denis voulut se jeter l'épée nue sur Jean de Troyes, en criant : « Ribaud, pour le coup, je te tiens. » Les chefs de la faction virent le sort qui les menaçait, et s'enfuirent au plutôt de la ville. Le duc de Bourgogne lui-même ne fut pas sans inquiétude ; il envoya demander à Juvénal s'il était en sûreté. On lui répondit de marcher en toute confiance, et que les bourgeois périraient plutôt que de permettre la moindre chose tentée contre lui.

Au retour du Louvre, le duc d'Aquitaine s'arrêta à l'Hôtel-de-Ville. L'avocat-général prit alors la parole ; il raconta les malheurs de la ville, et la tyrannie dont elle venait d'être délivrée[59]. Puis on changea les officiers de la commune ; le prévôt des marchands, qui était un homme honorable et sage, fut conservé ; mais on changea deux échevins, Jean de Troyes et de Belloy, qui furent remplacés par Cirasse et Merille. Le sire Tanneguy Duchâtel fut prévôt de Paris ; le duc de Berri reprit la charge de capitaine de la ville ; le duc d'Aquitaine se déclara gouverneur de la Bastille, et choisit le duc de Bavière pour son lieutenant ; le duc de Bar fut capitaine du Louvre. Toute la journée se passa ainsi joyeusement sans nul désordre. Le lendemain le duc de Berri parcourut la ville à cheval avec sa suite, et chacun disait que cela avait bien meilleure façon que Jacqueville et les cabochiens. Les princes se rendirent aussi en grande pompe à l'université, et le duc d'Aquitaine fit remercier solennellement, par son chancelier, cette illustre fille des rois, de sa belle conduite et de sa sagesse.

Cependant les mutations continuaient toujours. Eustache de Laistre perdit l'office de chancelier et quitta Paris. On lui reprochait d'avoir dressé et expédié tous les actes du conseil, que les princes avaient consentis aux factieux ; le conseil du roi fut assemblé pour le remplacer par une libre élection, et le plus grand nombre de suffrages se porta sur Henri de Marie, premier président du parlement. Maître Robert Mauger le remplaça, aussi par une élection faite dans le parlement. L'avocat-général Juvénal fut nommé chancelier du duc d'Aquitaine, et le sire d'Ollehain renvoyé[60]. Enfin, de jour en jour on défaisait ce qui avait été fait ; on renvoyait de leurs charges des gens notables et estimés, sans donner d'autre raison, sinon que, pour eux, on en avait auparavant renvoyé d'autres.

Ainsi les haines ne faisaient que croître, et l'espoir mis dans cette paix diminuait promptement. Le duc d'Aquitaine éprouvait le désir de punir les insolences qu'il avait souffertes ; il ne manquait pas de gens pour lui en donner le conseil. Ceux qui craignaient qu'on leur imputât le passé, seigneurs ou bourgeois, s'enfuyaient de la ville, et-se sauvaient en Bourgogne ou en Flandre pour ne pas être recherchés. On avait saisi d'abord quelques scélérats qui avaient commis des cruautés. Deux bouchers appelés Caille, qui avaient jeté à l'eau maître Bridoul, secrétaire du roi ; le bourgeois qui avait assassiné Courtebotte, ce musicien favori du duc d'Aquitaine ; Jean de Troyes, cousin du chirurgien qui était coupable de plusieurs crimes, avaient été condamnés et mis à mort avec l'approbation générale. Mais peu à peu la populace s'échauffait, voulait d'autres supplices, commençait à se livrer au désordre et à piller la maison des fugitifs[61]. Le roi fit défendre ces voies de fait, et l'on procéda plus régulièrement à la visite de leur domicile. On trouva chez l'un d'eux une liste d'environ quatorze cents personnes de la cour et de la ville. Chaque nom était marqué d'un T, d'un B ou d'un R, ce qui signifiait, disait-on : Tués, Bannis ou Rançonnés.

Dans cette disposition des esprits, la semaine ne se passa point sans que le ressentiment s'élevât plus haut. On commença à parler ouvertement du duç de Bourgogne. On vint arrêter, jusque dans son hôtel, Robert de Mailly, Charles de Lens, et le sire de la Viefville. Le premier réussit à s'échapper, et le troisième ne dut sa liberté qu'aux instances de la duchesse d'Aquitaine. Le duc Jean n'était pas sans inquiétude pour lui-même. Il n'était plus appelé au conseil ; on ne lui montrait plus nul égard. Bientôt on fit le guet autour de son hôtel. Il vit bien qu'il fallait s'éloigner. Ce pouvait être chose difficile ; la plupart de ses serviteurs et de ses chevaliers s'étaient déjà éloignés. Il écrivit à sa femme, en Bourgogne, pour qu'elle lui envoyât, près de Paris, quelques hommes d'armes, afin d'aider sa retraite. Déjà le bruit qu'il venait d'être emprisonné s'était répandu partout, et avait jeté la duchesse dans les plus vives inquiétudes[62]. Enfin, le 23 août, sans rien dire aux gens de sa maison, il s'en alla au bois de Vincennes, où le roi était allé coucher la veille, et lui persuada de venir dans la forêt chasser à l'oiseau. A Paris, on se douta qu'il voulait enlever le roi. Juvénal alla sur-le-champ avertir le duc de Bavière. Avec une nombreuse compagnie de bourgeois armés et à cheval, ils coururent à Vincennes, en ayant soin de faire garder le pont de Charenton[63]. Juvénal, dès qu'il eut rencontré le roi, lui dit : « Sire, venez-vous en à Paris, le temps est trop chaud pour être dehors. » Le roi parut être de cet avis, et reprit son chemin vers la ville. Le duc de Bourgogne se fâcha, et dit que le roi allait à la chasse : « Vous le mèneriez trop loin, repartit Juvénal ; vos gens sont en houzeaulx de voyage, et vous avez avec vous vos trompettes. » Alors, le Duc prit, en peu de mots, congé du roi, lui dit que ses affaires l'appelaient en Flandre, et partit au plus vite, traversant la forêt de Bondi ; le sire de Saint-Georges et Enguerrand de Beurnonville, l'accompagnaient avec un petit nombre de serviteurs. Il laissait les autres, dans son hôtel d'Artois, en grand péril de ce qui pourrait leur arriver[64].

Ce fut ainsi qu'il quitta Paris en fugitif, ayant perdu le fruit de tout ce qu'il avait fait, se trouvant au même point que lorsqu'il avait commencé ses guerres, et fort diminué dans l'opinion de ses partisans en France[65]. Il n'en était pas pour cela plus abattu, ni moins obstiné en ses desseins.

Les hommes raisonnables du conseil et de la ville s'affligèrent beaucoup de ce départ. Ils avaient espéré la paix ; elle était plus loin que jamais. Tout au contraire, beaucoup de gens du vulgaire disaient que le duc de Bavière avait agi lâchement : que puisque le duc de Bourgogne avait voulu lui faire couper la tête, il aurait dû profiter de l'occasion, le tuer ; même quand il aurait fallu s'enfuir après eu Allemagne[66] ; qu'ainsi tout eût été fini.

Le départ du duc de Bourgogne décida les princes à entrer à Paris, s'écartant ainsi du traité de Pontoise, où il avait été réglé qu'ils verraient le roi dans une autre ville. Mais ils furent mandés par le conseil. Leur entrée fut solennelle. Le duc de Berri alla au-devant d'eux jusqu'à la porte Saint-Jacques, avec tous les corps de la ville. Ils jurèrent que ni eux, ni leurs gens, n'offenseraient en rien les bourgeois ; puis, traversèrent les rues jusqu'à l'hôtel Saint-Paul, au milieu des acclamations populaires, et faisant jeter de l'argent par des hérauts qui, selon l'usage, criaient : « Largesse ! largesse ! »

Le surlendemain, le roi dans la salle verte du palais leur fit jurer sur la vraie croix, paix, amour et union avec le duc de Bourgogne et avec tous les autres princes du sang royal. Ils rentrèrent au conseil, et dès-lors rien ne se fit plus que par leur volonté. Un lit de justice fut tenu au Parlement, où le roi annula tous les actes contraires au duc d'Orléans et à ses adhéreras, en déclarant que lui et le duc d'Aquitaine les avaient signés par force et par menaces, et que tout ce qui y était renfermé contre les princes était faux et calomnieux. On ne se borna point à réparer ce qui les concernait. Le roi cassa, annula, abolit et révoqua aussi les ordonnances de réformation qui renfermaient de justes et salutaires choses, et auxquelles avaient applaudi tous les gens de bien[67]. Il fut dit que « certaines écritures, qui par manière d'ordonnances avaient été faites naguères par des commissaires, tant chevaliers qu'autres, par le confesseur et l’aumônier du roi, par deux conseillers au Parlement, à la poursuite de l'université et de la ville de Paris, et qui, par grande contrainte des gens d'armes de cette ville et autrement, avaient été lues et publiées, en ladite chambre, le roi tenant aussi son lit de justice, étaient mises à néant. Cela, attendu que le chancelier les avait proposées sans observer les formes, et sans l'autorité nécessaire, sans qu'elles eussent été préalablement lues au roi, sans qu'il eût pris l'avis de son conseil, sans que le Parlement eût non plus donné son avis. Attendu encore qu'elles avaient été publiées hâtivement et soudainement, et qu'auparavant elles avaient été tenues clauses et scellées : considérant aussi la clause que les commissaires avaient mise pour se réserver d'en pouvoir encore donner leur avis : et enfin parce que l'autorité du roi en était blessée, diminuée et limitée, ainsi que le gouvernement de son hôtel, de celui de la reine et du duc d'Aquitaine. » Personne dans le conseil n'éleva la voix pour la défense de ces ordonnances qu'on avait trouvées si belles. Il y avait là beaucoup de conseillers qui pour conserver leurs charges étaient toujours de l'avis du plus fort.

Le duc d'Orléans devint le maître du gouvernement. Le dauphin lui témoignait une tendresse extrême. Il l'engagea à laisser le vêtement de deuil, qu'il n'avait point quitté depuis le meurtre de son père. Les deux princes parurent vêtus d'habits pareils, en témoignage public de leur amitié. Ils se firent faire un manteau à l'italienne qu'on nommait huque ; il était de drap violet avec une croix d'argent. Ils portaient le chaperon noir et rouge. La devise était : Le droit chemin ; elle était brodée en argent. L'écharpe des Armagnacs n'était pas oubliée. Ses couleurs succédèrent bientôt aux couleurs de Bourgogne, et l'on était aussi mal venu à ne les point avoir, qu'à ne pas prendre les autres un an avant. Il n'y eut pas jusqu'aux images des saints qu'on n'affublât de l'écharpe blanche[68]. Ce fut ainsi que la folie du peuple changea ; maintenant on n'osait plus prononcer le nom du duc de Bourgogne ; qui aurait dit du bien de lui aurait couru grand risque d'aller en prison. Quand quelques petits enfants chantaient dans la rue, cette chanson qu'on avait tant répétée : « Duc de Bourgogne, Dieu te tienne en joie, » ils étaient bien sûrs d'être battus, et jetés dans la boue[69].

Peu à peu, tous les seigneurs de la faction Armagnac revenaient à Paris. Comme on avait rendu aux princes tout ce qu'ils avaient perdu, les seigneurs disaient : « Que ferez-vous donc pour nous qui avons pris les armes avec vous pour le service du roi ? » Le sire d'Hangest redevint grand-maître des arbalétriers. Le sire Clignet de Brabant, que ses pillages dans les campagnes avaient rendu odieux, reprit la charge de grand amiral. L'archevêque de Sens fut président de la chambre des comptes. On rendit la prévôté des marchands à Pierre Gentien, bien qu'on eût résolu d'abord de garder André Epernon, qui avait l'estime publique[70]. Enfin le roi manda au sire d'Albret de venir reprendre l'épée de connétable qu'on envoya redemander au comte de Saint-Pol. Celui-ci, après avoir pris conseil du duc de Bourgogne, la refusa.

Aussitôt après son arrivée à Lille, ce prince avait écrit au roi pour s'excuser de son départ peut-être un peu trop précipité[71]. Il disait que sa sûreté avait exigé cette retraite ; mais n'en protestait pas moins de sa bonne intention de garder le traité de Pontoise, si les princes voulaient, de leur côté, y rester fidèles. Quelques jours après, il envoya même une grande ambassade pour témoigner solennellement de ses dispositions pacifiques. Les ambassadeurs furent admis au conseil. On écouta l'évêque d'Arras qui parla au nom de son maître, mais il ne persuada personne.

Cela eût été en effet difficile ; car, dans le même moment, le Duc recevait une ambassade des Anglais à Bruges, et s'efforçait de renouer le mariage de sa fille avec le roi d'Angleterre. Henri IV était mort quelques mois auparavant, et son fils le prince de Galles lui avait succédé.

Les princes qui tenaient le gouvernement du royaume ne mettaient pas moins d'empressement à rechercher l'appui des ennemis de la France. C'était le duc de Bretagne qui s'était entremis de cette alliance, et, pour la rendre plus intime, il était question de marier le roi d'Angleterre avec madame Catherine, la plus jeune fille du roi. Le duc de Bretagne vint à Paris ; en même temps, une grande ambassade fut envoyée par le roi d'Angleterre qui, voyant le royaume de France tellement affaibli et divisé, ne cherchait que son avantage et traitait avec les deux partis à la fois. Les ambassadeurs furent reçus avec la plus grande courtoisie. Ils assistèrent aux fêtes et aux tournois qui se donnèrent pour le mariage du duc de Bavière. On leur montra madame Catherine qui n'avait que treize ans ; mais elle était déjà grande et belle, et on l'avait magnifiquement parée. Rien cependant ne fut conclu. Le duc d'York qui était à la tête de cette ambassade, parut désirer ce mariage, et promit de le proposer au roi d'Angleterre. On ne traita, pour le moment, que de la prolongation des trêves ; le sire d'Albret, l'archevêque de Bourges et un fort habile secrétaire du roi, nommé-Gon Lier Col, furent envoyés en Angleterre pour la signer. Le projet de mariage se trouva donc suspendu. Ce qui pouvait le reculer encore ; ce fut la discorde qui éclata entre le duc d'Orléans et le duc de Bretagne. Ils eurent querelle sur la préséance ; le comte de Vendôme prit parti pour le duc d'Orléans. Il y eut de dures paroles dites de part et d'autre. On imputa au duc de. Bretagne d'être plus Anglais que Français. Le comte d'Alençon eut pour lui si peu d'égard qu'il lui reprocha de ne pas avoir plus de cœur qu'un enfant d'un an. Le duc partit fort mécontent des princes et du roi, qui avait donné raison au duc d'Orléans[72].

On craignit cependant que le duc de Bourgogne ne profitât du moment pour conclure le mariage de sa fille avec le roi d'Angleterre. Le sire de Dampierre et l'évêque d'Évreux furent envoyés pour lui remettre, de la part du roi, des lettres qui lui défendaient, sous peine de forfaiture et de confiscation, d'entrer en aucun traité avec le roi d'Angleterre, soit pour le mariage de sa fille, soit pour toute autre cause[73]. Il lui était aussi enjoint de remettre les trois forteresses de Cherbourg, du Crotoy et de Caen qui appartenaient au roi. Ils le trouvèrent â Lille, donnant de grandes fêtes et des tournois. A cela, le Duc ne fit pas d'autre réponse que : « Mes houzeaulx ! » Il monta à cheval et partit pour Audenarde, laissant là les ambassadeurs du roi.

Il avait en effet peu de ménagements garder, comme on en gardait peu avec lui. Chaque jour ses partisans étaient emprisonnés, bannis, privés de leurs biens, nonobstant les promesses faites après la paix de Pontoise[74]. La veille de l'entrée des princes, le 29 août, des lettres du roi avaient été publiées, portant abolition formelle pour tous les désordres commis à Paris, hormis les principaux chefs qui étaient nommés au nombre d'environ cinquante ; déjà plus de trois cents personnes avaient été bannies.

Mais la plus grande offense que pût recevoir le duc de Bourgogne, ce fut le renvoi de sa fille, madame Catherine. Elle avait été non-seulement fiancée[75], mais mariée par contrat authentique passé à Gien, il y avait trois ans, avec Louis d'Anjou, fils du roi de Sicile. Depuis ce temps elle était sous la garde de la reine de Sicile. Sans donner aucun motif au duc Jean, le roi lui fit savoir qu'elle serait ramenée jusqu'à Beauvais et qu'il pouvait l'y envoyer prendre.

Il ne restait plus qu'à se préparer à la guerre ; et le Duc prenait toutes ses mesures. Il mandait ses hommes d'armes, et levait de l'argent. Pendant ce temps le conseil du roi publiait lettres sur lettres, faisant défense de s'armer sous les peines les plus sévères, et renouvelant contre le duc de Bourgogne et ses partisans, toutes les injonctions qui avaient été faites au sujet des Armagnacs[76].

Il voulut, avant de tenter la voie des armes, exposer ses griefs, et le 16 novembre il écrivit au roi une lettre qu'il fit porter par le roi-d'armes de Flandre. Elle était conçue à peu près en ces termes :

« Mon très-cher et très-redouté seigneur, je me recommande à vous de tout mon pouvoir ; et je désire continuellement savoir que vous êtes en bon état, ce que Dieu veuille continuer, et vous maintenir toujours de mieux en mieux ; je souhaiterais humblement en être plus souvent instruit par vous-même et par vos lettres. Dieu sait, mon très-cher et très-redouté seigneur, combien je désire vous voir en bonne prospérité ; je ne puis avoir de plus grande consolation et de plus grande joie en ce monde, que d'entendre de bonnes nouvelles de vous ; et si vous avez la grâce de désirer savoir mon état, je suis, au départ de celle-ci, en parfaite santé.

« Très-cher et redouté sire, je pense que vous avez en mémoire comment, par le conseil de monseigneur d'Aquitaine, par le mien, celui de plusieurs seigneurs de votre sang et de votre grand conseil, à la requête de votre fille l'université de Paris, de l'église de cette ville, etc., vous rendîtes une ordonnance pour procurer paix et union entre les seigneurs de votre sang, pour le bien de vous et d'eux, pour réparer la misère de votre royaume qui était en toute désolation. Moyennant cette ordonnance, que Dieu vous inspira, chacun de vos loyaux parents et sujets pouvait avoir espérance de reposer en paix, comme l'exposa si notablement un savant chevalier, conseiller de mon très-cher cousin le roi de Sicile. Bien que j'eusse juré cette ordonnance en votre présence, en bonne foi, en bonne intention et cordialement, j'ai craint que, d'après mon départ, plusieurs n'eussent quelque étrange imagination de rupture et d'infraction de ma part. Aussitôt après ce départ, je vous ai donc envoyé des lettres pour certifier ma volonté d'observer ladite ordonnance. Depuis, pour la même cause, j'ai envoyé par-devers vous plusieurs de mes gens.

« Nonobstant cela, mon très-cher et redouté seigneur, et bien que, quelles que soient les fausses accusations de quelques-uns contre moi, je n'aie rien fait contre votre ordonnance, beaucoup de choses sont et ont été faites contre sa teneur, au préjudice, au mépris, à l'injure de moi et des miens. Je ne crois pas que cela procède de votre volonté, de celle de votre fils, ni de quelques prud'hommes de votre sang ou de votre grand conseil ; mais, au contraire, de l'instigation, des poursuites et# des grandes importunités de ceux qui, depuis longtemps, ont agi d'une si étrange manière ; lesquels Dieu, par sa sainte grâce, veuille bien réduire, comme il sait bien que cela est nécessaire, et comme je le désire.

« C'est donc à leur instigation et procuration qu'aussitôt après les serments prêtés, ont été faites plusieurs assemblées de gens d'armes et plusieurs chevauchées dans la ville de Paris, spécialement autour de mon hôtel et de mon logis, en mépris de moi ; et qui pis est, si l'on eût cru certains conseils, on eût mis la main sur moi avant mon départ : ce qui n'était pas un signe de paix et d'union. Auparavant plusieurs de vos bons et anciens serviteurs et des miens, qui n'avaient forfait en rien, furent pris et emprisonnés ; et d'autres contraints par force ou menaces indirectes de quitter Paris. Tous ceux qu'on savait avoir part à mon amour et. à ma faveur ont été destitués de leurs états, honneurs et offices, bien qu'aucuns les eussent par élection et sans préjudice de personne, et qu'on n'eût aucun mal à dire d'eux, sinon qu'ils étaient trop Bourguignons ; cela se continue tous les jours ainsi.

« Si par aventure on disait que cela se fait parce qu'étant près de vous, et pour votre service à Paris, j'en avais fait autant, il pourrait être répondu, qu'à supposer que cela fût, les termes de votre ordonnance commandaient paix, amour et union, et non pas vengeance ; et il eût mieux valu, pour le bien de votre royaume, pourvoir aux offices par bonne et vraie élection.

« D'après ces instigations, il n'y a pas un de vos serviteurs, pas un des gens de votre conseil ou de votre sang, ni de l'université de Paris, qui ose parler et communiquer avec ceux qui veulent mon bien et mon honneur, sans être grièvement punis ; de plus, dans beaucoup de sermons, de propositions et parmi des assemblées, il a été dit des paroles contre mon honneur et contre la vérité ; quand mon nom n'était pas prononcé, il était cependant bien clair qu'on parlait de moi ; ce qui est contraire à tous les traités jurés, aux préceptes donnés par le sage Caton, et propre à élever des débats, des dissensions et des terreurs qui pourraient tourner au préjudice de votre royaume.

« En outre, les lettres qui ont été écrites et envoyées dans tout le royaume et au dehors, sont, pour qui les entend bien, contraires à votre honneur et à celui du duc d'Aquitaine, de votre conseil, de l'université et de votre ville de Paris. Si quelques-uns disaient que ces lettres sont pour réparer leur honneur attaqué par les précédentes, au moins auraient-ils dû ne pas accuser en même temps ceux qui se sont toujours conformés à vos ordonnances.

Quant aux gens d'armes et compagnies qu'on m'accuse d'avoir maintenus malgré votre défense, et qui, dit-on, ont opprimé et dommagé votre peuple, la vérité est que vous m'avez chargé avec monseigneur de Berri, mon oncle, d'avoir des hommes d'armes, pour s'opposer aux gens des compagnies qui faisaient des ravages, et aux entreprises faites contre/la ville de Paris et contre votre honneur. Aussitôt après votre nouvelle ordonnance, je contremandai ces gens d'armes ; depuis je n'en ai tenu aucun. S'il y en a eu quelques-uns s'avouant de moi, c'est sans mon ordre, et cela vient sans doute de la volonté qu'ils ont eue d'aller contre ces compagnies, qui font tant de maux entre les rivières de Seine, de Loire et d'Yonne, et qui contreviennent à vos ordonnances, sous prétexte que j'assemble mes hommes dans tous mes pays, pour aller à Paris en grande puissance. Cette chose n'est point vraie, mon très-redouté seigneur, je ne l'ai pas faite, ni même je n'ai pensé à rien qui pût vous déplaire de quelque manière ; et je serai, tant que je vivrai, votre bon et loyal parent, votre très-obéissant sujet.

« Je suis aussi pleinement informé qu'ils ont publié, que j'avais à Paris des meurtriers et assassins pour les tuer ; sur quoi je vous affirme, en vérité, que cela n'est pas et que je n'en ai jamais eu nulle pensée.

« On est encore allé dans les hôtels de mes pauvres serviteurs, aux environs de mon hôtel d'Artois à Paris, et on a tout dérangé et retourné chez eux parce qu'on disait qu'ils avaient reçu des lettres de moi pour remettre à des gens du quartier des halles, afin d'exciter une émeute à Paris. Plusieurs des femmes de mes serviteurs ont même été interrogées, mises au Châtelet et traitées durement à ce sujet. Jamais je n'ai écrit, ni fait écrire de lettres semblables, et l'on devrait bien savoir que les gens de ce quartier et des autres aimeraient mieux mourir que de faire aucune chose qui dût vous déplaire ; quant à moi, Dieu m'ôte la vie, si je voulais leur donner d'autres conseils.

« On dit que j'ai traité un mariage en Angleterre, et que j'ai promis les châteaux de Cherbourg et de Caen, ainsi que plusieurs autres choses au préjudice de vous et de votre royaume. Ce que non plus, je n'ai ni fait, ni pensé, et plût à Dieu que tous ceux de votre royaume eussent été et fussent aussi loyaux pour la conservation de vous, de votre race, de votre seigneurie, de votre domaine, que je l'ai été etle serai toute ma vie.

« Ainsi, d'après tout ce que j'ai dit, et ce que je pourrais encore déclarer, il est visible qu'on a enfreint les termes principaux de votre ordonnance. On m'a fait une guerre plus dure et plus mauvaise qu'aucun homme la puisse faire ; car on a cherché toutes les voies possibles pour m'éloigner de votre amour et de votre grâce, de celle de monseigneur le duc d'Aquitaine et de ma très-redoutée dame la reine.

« Toutefois je ne vous écris pas ceci, afin de pouvoir aller contre votre ordonnance, ni entreprendre quelque chose contre la réparation de votre royaume ; il a tant à souffrir en tous états et de tant de manières, qu'il n'est homme si pervers et si cruel qui n'en prenne pitié ! Mais il est bien vrai que j'ai cherché des précautions pour mettre une paix bonne et établie en votre royaume, me doutant que les choses susdites arriveraient.

« Pour quoi, je vous supplie, mon très-redouté seigneur, qu'il vous plaise pourvoir à ces inconvénients, de telle sorte que ceux qui en sont blessés ou gênés n'aient plus motif de se plaindre, que votre ordonnance soit maintenue pour votre bien et votre honneur et pour la restauration de votre royaume, et que chacun puisse, comme il l'avait espéré, dormir et reposer en paix. Pour cela, je suis prêt à exposer, selon votre bon plaisir, mon corps, mon bien, mes amis et tout ce que Dieu m'a prêté ; et je me tiens prêt à exécuter vos ordres.

« Sur ce, etc. etc.

« Ecrit en notre bonne ville de Gand.

« Le 26 novembre 1413. »

Cette lettre fut présentée au roi qui fit un accueil gracieux au roi-d'armes de Flandre. Le chancelier répondit que le roi ferait savoir ses intentions en temps et lieu[77].

Les choses n'en continuèrent que mieux à suivre le même train sans nulle précaution ni ménagement. Le comte d'Armagnac était arrivé à Paris, et c'était le plus ardent de son parti. Le roi de Sicile, qui avait tout crédit, et qui maintenant était devenu le plus mortel ennemi du duc de Bourgogne, maria sa fille Marie à Charles, troisième fils du roi.

Enfin les princes, et la reine, qui était toute à eux, gouvernèrent avec si peu de sagesse et de précaution, que bientôt le duc d'Aquitaine commença à être mécontent. Sa femme, fille du duc de Bourgogne, avait aussi de fréquents affronts à endurer. Au lieu de ramener à eux le duc d'Aquitaine, qui était un prince frivole, inconstant, occupé de vains divertissements, ils le tinrent enfermé dans le Louvre, en l'y gardant de si près, que les ponts du château étaient toujours levés. Se voyant plus captif et traité avec moins d'égard encore que sous l'autre domination, il fit parvenir à son beau-père le billet suivant.

« Très-cher et très-aimé père, nous vous mandons qu'incontinent ces lettres vues, toute excuse cessant, vous veniez vers nous, bien accompagné pour la sûreté de votre personne ; et si vous craignez de nous courroucer, n'y manquez pas. Écrit de notre propre main, au Louvre le 4 décembre 1413. »

Le 13 du même mois, le dauphin lui écrivit un second billet plus pressant encore, lui promettant de l'avouer de tout. Son impatience était telle que, le 22, il lui écrivit encore :

« Je vous ai mandé par deux fois que vous vinssiez à moi, et vous n'en avez rien fait. Toutefois nous vous mandons encore derechef, que, laissant toutes autres choses, vous veniez le plutôt que vous pourrez et très-bien accompagné pour votre sûreté. A cela ne manquez pas, quelles que soient les lettres contraires que vous receviez de nous ; prouvez-nous ainsi toute l'amour que vous avez pour nous et la crainte que vous avez de nous courroucer. Il y en a certaines causes qui nous touchent plus que rien ne peut nous toucher. Écrit de ma propre main[78]. »

Le duc de Bourgogne n'attendait que ce prétexte. Déjà il avait mandé ses hommes d'armes ; déjà il avait tenu conseil avec ses frères, avec ses beaux-frères le duc Guillaume de Bavière, l’évêque de Liège, avec le duc de Clèves et le comte de Saint-Pol ; ils lui avaient promis leur assistance. Il écrivit aussitôt à plusieurs villes du royaume et à divers bourgeois de Paris, rappela les violations de la paix qu'il imputait aux autres princes, assura qu'il avait patiemment supporté les outrages dirigés contre lui ; mais que le duc d'Aquitaine étant maintenant prisonnier au Louvre et réclamant son secours, il était de son devoir de le délivrer du danger où il était, et de faire cesser une chose si abominable, si odieuse à tous les fidèles sujets du roi. Il requérait donc l'aide et la bienveillance des bonnes villes pour accomplir cette entreprise et affermir la paix du royaume, qui est son seul désir.

Lorsque les princes surent que le duc d'Aquitaine avait écrit de telles lettres, ils pensèrent qu'il y. avait été porté par les suggestions de quelques-uns de ses serviteurs, que le duc de Bourgogne avait auparavant eu soin de placer dans sa maison. On résolut de les éloigner de lui. La reine alla le voir au Louvre, et fit prendre quatre de ses chevaliers, le sire de Croy, qui fut renfermé à Montlhéry chez le duc de Berri, les sires de Brimeu, de Mouy et de Montauban qu'on chassa de Paris. Le dauphin entra d'abord en une grande colère ; il voulait sortir du château et ameuter le peuple ; mais les princes, qui étaient venus aussi, l'apaisèrent peu à peu ; bientôt il fut à leur entière disposition. Le petit nombre de Bourguignons qui pouvaient rester encore à Paris se hâta d'en sortir.

On commença par faire démentir au dauphin les lettres qu'il avait écrites. Il manda aux villes du royaume que son intention n'était pas et n'avait jamais été d'appeler le duc de Bourgogne à son aide. Il enjoignit qu'une nouvelle lettre qu'il écrivait à ce Duc, fût partout publiée ; là il déclarait encore n'avoir jamais envoyé les lettres dont il était question, et que sa volonté, comme celle, du roi, était que toute assemblée de gens d'armes fût aussitôt renvoyée[79].

Il était à croire que le duc de Bourgogne ne céderait pas à cette lettre, on résolut de lui résister et de ne montrer aucune faiblesse. La reine, à qui les princes avaient, en l'absence du roi, rendu le gouvernement, semblait encore plus animée qu'eux. Des lettres du roi commandèrent à tous ses hommes d'armes de Picardie de se rendre le 5 de février à Montdidier où ils trouveraient des gens commis pour les recevoir, ordonner leur payement et leur donner des ordres. Pareil mandement fut envoyé dans les autres provinces du royaume. En même temps il était défendu, même aux vassaux du duc de Bourgogne, d'obéir à ses commandements et de prendre les armes pour lui, sous peine d'être poursuivis dans leur personne et dans leurs biens. Le duc de Bourbon eût ordre de revenir d'Aquitaine avec les forces qu'il commandait contre les Anglais. Le dauphin donnait des festins aux gens de guerre, et se promenait en grand appareil par les rues, en y faisant publier les lettres du roi contre le duc de Bourgogne. Enfin on ta-tuait à la fois et de ménager et de contenir le commun peuple. Quant à la bourgeoisie, les Orléanais y avaient un fort parti. La ville de Paris écrivit elle-même à toutes les bonnes villes pour attester que jamais elle n'avait été plus heureuse, plus tranquille, plus affectionnée et dévouée au roi et aux princes, que depuis le moment où l'on avait chassé les perturbateurs ; jamais le dauphin n'avait été plus libre ni plus tipi dans une même intention avec les princes, la reine, l'université et le peuple, pour maintenir à la paix. Elle invitait aussi les autres bonnes villes à se méfier des artifices de l'ennemi de la paix, et à ne point croire aux faussetés qu'il faisait répandre[80].

Le duc de Bourgogne ne perdit point de temps, et avança à grandes journées vers Paris. Il commença par faire certifier par le bailli royal de Vermandois, la vérité des trois lettres que le duc d'Aquitaine lui avait écrites pour demander son assistance[81]. Elles furent ainsi authentiquement publiées, et contribuèrent à lui faire ouvrir les portes des villes, nonobstant les défenses formelles du roi. Péronne et Senlis, seulement, ne le reçurent point. Mais Roye, Noyon, Soissons, Compiègne lui cédèrent, et il arriva à Dammartin où l'attendait un renfort de chevaliers venant de Bourgogne.

L'alarme fut grande à Paris, dès qu'on le sut si proche[82]. On alla aussitôt chercher le dauphin qui dînait chez un chanoine au cloître Notre-Mme. Les hommes d'armes se rassemblèrent en trois corps ; l'avant-garde commandée par les comtes d'Eu, de Richemont et de Vertus ; le corps de bataille par lé duc d'Aquitaine, le duc d'Orléans et le roi de Sicile ; l'arrière-garde par le comte d'Armagnac, le sire de Bosredon et le sire de Gaucourt. Cette armée qui comptait environ onze mille chevaux, traversa la ville. Il importait beaucoup d'en imposer à la populace ; le duc d'Aquitaine avait, devant lui, son chancelier, à cheval, qui haranguait de place en place les Parisiens au nom de son maître, les louait de leur loyauté et de leur obéissance, et les exhortait à joindre tous leurs efforts pour résister à la mauvaise entreprise du duc de Bourgogne. Chacun alla ensuite-prendre son poste ; le dauphin au Louvre ; le duc d'Orléans, au prieuré de Saint-Martin-des-Champs ; le roi de Sicile, à la Bastille ; le sire de Bosredon, à la porte Saint-Honoré ; le sire de Gaucourt, à la porte Saint-Denis ; et le comte d'Armagnac, vrai chef de cette armée, à l'hôtel d'Artois, dans le quartier des halles, qui était tout Bourguignon. Les portes de la ville furent fermées, hormis la porte Saint-Jacques et la porte Saint-Antoine[83].

Le Duc, de son côté, était venu à Saint-Denis, dont les bourgeois lui avaient ouvert les portes, malgré les ordres du roi. Il n'avait guère que deux mille hommes d'armes, et environ autant de gens de pied et d'arbalétriers ; il avait compté sur les intelligences qu'il avait dans Paris, et sur la faveur du peuple. Il plaça les hommes d'armes de Bourgogne au village d'Aubervilliers ; les Flamands, dans les faubourgs de Saint-Denis ; lui dans cette ville avec les Picards ; il fit publier que tout serait exactement payé : ordre qui s'exécutait toujours fort mal ; les préparatifs commencèrent pour le siège et pour le passage de la rivière.

Il était déjà depuis trois jours à Saint-Denis, lorsqu'il envoya son roi-d'armes remettre des lettres au roi, à la reine, au duc d'Aquitaine, et à la ville de Paris. Il demandait à entrer, et répétait qu'il n'était venu que parce qu'il était mandé par le dauphin. Son héraut ne put obtenir la permission de présenter ses lettres ; on lui dit de se hâter de quitter la ville, s'il voulait qu'il ne lui arrivât pas malheur ; le comte d'Armagnac l'ayant rencontré, le menaça de lui faire couper la tête.

Le lendemain, le duc de Bourgogne Vint' ranger toute son armée en bataille entre Montmartre et Chaillot, et envoya encore son roi-d'armes à la porte Saint-Honoré, avec quatre de ses chevaliers. En même temps, Enguerrand de Bournonville avait déployé la bannière de Bourgogne, sur la butte des Moulins, tout près de cette porte. Les bannis et les gens de la fiction des bouchers, qui s'étaient réfugiés près du Duc, l'avaient flatté qu'il suffisait de se montrer devant Paris pour émouvoir toute la ville. Rien ne bougea[84]. Le comte d'Armagnac chevauchait à travers les rues avec ses hommes d'armes, ordonnant aux ouvriers de rester à leurs métiers, et les menaçant de la corde s'ils approchaient des murailles ; le Parlement eut ordre aussi de monter à cheval avec le chancelier, d'aller par la ville pour la tenir en sûreté, et de donner preuve de sa diligence à garder le bon ordre. Pendant ce temps-là, on refusa au roi-d'armes de Flandre de le laisser entrer. Le sire de Bournonville s'avança lui-même et voulut parler. Bosredon gardait la porte, et, par l'ordre du comte d'Armagnac, pas une parole ne fut répondue. Quelques arbalétriers tirèrent, et un Bourguignon fut blessé.

Il n'y avait rien à faire ; on s'était mépris. Le duc de Bourgogne s'en revint à Saint-Denis ; de-là il reprit la route de Flandre, honteux et en butte aux railleries de ses ennemis. En partant, il renvoya encore son héraut à la porte Saint-Antoine ; il ne fut pas reçu plus que les jours précédents, et, plantant un M-ton fendu, il y laissa ses lettres. Le lendemain, on trouva aussi placardé, contre les murs de Notre-Dame, et en divers autres lieux, la lettre que le Duc écrivit à la ville de Paris, pour se plaindre des procédés que les princes avaient eus pour lui, et du refus qui lui avait été fait d'entrer dans la ville et de voir le roi. Le seul succès de ce voyage fut la délivrance du sire de Croy, que son père envoya prendre par des hommes d'armes déguisés. Ils s'introduisirent pour entendre la messe dans la chapelle du château de Montlhéry, et emmenèrent le prisonnier.

Il n'y avait plus de ménagements à garder envers le duc de Bourgogne. Dès le lendemain de son départ, le roi, qui avait quelque retour de santé, signa des lettres où, à partir du cruel et damnable homicide commis sur la personne du duc d'Orléans, tous les actes du duc Jean étaient rappelés et qualifiés de violences, crimes et rébellions. Elles se terminaient ainsi :

« C'est ce qui nous oblige de faire savoir à tous nos sujets, que pour tous les attentats ci-dessus, et pour plusieurs autres raisons, principalement pour les mauvaises manières qu'a toujours tenues envers nous ledit de Bourgogne, qui, depuis la mort déplorable de notre frère, jusqu'à présent, n'a cessé de procéder, par voie de fait, par puissance et force d'armes, il doit être tenu., pour ingrat et indigne, et, comme tel, déchu de tous les biens et de toutes les grâces qu'il a reçues de nous.

« Sur quoi, après avoir mûrement délibéré, avec plusieurs de notre sang, et autres prud'hommes de nos sujets, tant de notre grand conseil, comme de la cour de notre Parlement, de notre fille l'université, des bons bourgeois et marchands de notre ville de Paris en très-grand nombre ; nous avons tenu et réputé, tenons et réputons ledit Duc et tous autres qui, contre nos défenses, lui donneraient conseil et aide, pour rebelles, désobéissants, violateurs de la paix, et, par conséquent, pour ennemis de nous et du bien public de notre royaume.

« Pour ces causes, avons délibéré de mander et convoquer devers nous, par forme d'arrière-ban, tous nos hommes, vassaux, tenants de nous fiefs ou arrière-fiefs, et aussi les gens des bonnes villes qui ont accoutumé d'être en armes et de suivre les guerres, afin de nous aider, servir et conforter à résister à la perverse volonté et entreprise dudit de Bourgogne et de ses complices, les réduire en notre subjection et obéissance, comme ils doivent être, et les punir, corriger et châtier de leurs méfaits, tellement que l'honneur nous en demeure et que ce soit un exemple pour tous. »

Pendant longtemps le clergé et l'université avaient laissé sans aucune censure les propositions par lesquelles maître Jean Petit avait voulu justifier le meurtre du duc d'Orléans. Aussitôt après le départ du duc de Bourgogne, au mois d'août, le vénérable Jean Gerson, chancelier de l'université, s'adressa au roi pour qu'une telle doctrine ne restât point sans un blâme public. Le roi avait ordonné à l'évêque de Paris de faire examiner, de concert avec l'inquisiteur de la foi, la justification du duc de Bourgogne. L'examen en fut solennellement fait. On envoya assigner le duc de Bourgogne pour savoir s'il voulait avouer les paroles de Jean Petit ; il. répondit qu'il avouait son bon droit, mais non point maître Petit. Comme il inspirait encore beaucoup de crainte les prélats et les docteurs hésitaient à condamner cette pièce. Quelques-uns voulaient que l'affaire fût renvoyée au futur concile ; mais lorsque le Duc se fut retiré de Saint-Denis, il n'y eut plus de doute. Le 13 février, l'évêque de Paris, assisté de l'inquisiteur de la foi, prononça, devant une grande foule de peuple, que les propositions renfermées dans ledit écrit dont on ne nommait pas l'auteur, non plus que le duc de Bourgogne, étaient erronées quant à la foi et quant à la morale, et que cette œuvre devait ; comme scandaleuse, être brûlée. On parla même d'aller déterrer le corps de Jean Petit à Hesdin, où il était mort un an auparavant, pour le brûler aussi. Deux jours après, l'exécution se fit au parvis Notre-Dame, après que Benoît Gentien, religieux de Saint-Denis et célèbre docteur, eut encore montré, dans un beau discours, la monstruosité de telles opinions. Le duc de Bourgogne se trouva ainsi flétri et dégradé dans le peuple ; on en faisait maintenant si peu de compte, qu'on chantait des chansons contre lui dans les rues.

Une maladie qui ravagea Paris et emporta beaucoup de monde retarda le départ du roi et de son armée : Elle était formidable ; beaucoup de Gascons étaient venus sous le comte d'Armagnac, et le sire de Saarbrück avait amené un grand nombre d'Allemands. Jan-i ais le roi n'avait marché avec tant de gens d'armes. Tout se trouva prêt à la fin de mars. Le roi, la reine et le duc d'Aquitaine s'engagèrent par serment, avec tous les princes présents, de n'entendre à aucun traité avec le duc de Bourgogne avant d'avoir détruit sa puissance. La garde de Paris fut laissée au vieux duc de Berri et au roi de Sicile, avec huit cents hommes d'armes, pour maintenir le bon ordré. Le roi commença par aller, avec les princes, implorer la protection divine à Notre-Dame ; de-là il vint prendre l'oriflamme à Saint-Denis. Rien n'était plus brillant que toute cette compagnie nombreuse de princes et de seigneurs. Le dauphin se faisait remarquer entre tous par l'éclat de son équipage ; il faisait porter devant lui un bel étendard tout doré, où l'on avait brodé un K, un cygne et un L, parce qu'il était amoureux d'une demoiselle de l'hôtel de la reine, qu'on nommait la Cassinel, et qui était fort belle et fort bonne[85]. Tous, et même le roi, portaient l'écharpe des Armagnacs. C'était un sujet de murmures pour quelques-uns de ses vieux serviteurs, qui s'affligeaient que l'on quittât la croix blanche, qui avait toujours été le signe des rois de France, pour prendre le signe d'un simple seigneur comme le comte d'Armagnac[86] ; ils disaient même que c'était le pape qui avait condamné un des ancêtres du comte à porter cette écharpe blanche, en expiation, pour avoir tué un prêtre.

Le roi se rendit d'abord devant Compiègne, qu'on assiégeait déjà depuis quelques jours. Les sires de Lannoy, de Solre, et quelques autres chevaliers défendaient bravement cette ville avec la garnison que leur avait laissée le duc de Bourgogne ; toutes les sommations qui leur avaient été faites étaient restées sans nul effet. Déjà il y avait eu de belles sorties, les assiégés avaient pris plusieurs canons et encloué le plus gros, qui se nommait la Bourgeoise. Quand le roi fut arrivé on somma de nouveau les Bourguignons de le laisser entrer dans s'a ville. Il aurait voulu qu'elle ne fût détruite ni saccagée. Le château était fort beau ; les rois de France l'avaient presque tous aimé mieux que leurs autres demeures ; depuis Charles-le-Chauve, qui en avait bâti les grosses tours, il avait toujours été agrandi et décoré. Le comte d'Armagnac et le connétable voulaient au contraire qu'on n'eût aucun ménagement pour ces rebelles ; mais ils De furent pas écoutés, et l'on s'efforça d'amener la garnison à se rendre. On fit dire aux assiégés que le roi était là en personne ; d'abord ils ne voulurent admettre aucun envoyé dans la ville, ni parlementer avec eux, pas même avec un maître des requêtes et un conseiller au parlement, que le roi avait amenés ; le siège continuait toujours, et de chaque côté on y faisait de grandes prouesses.

Dans l'armée du roi était un jeune chevalier nommé Hector de Bourbon, bâtard du dernier duc. Nul n'était plus vaillant et plus aventureux que lui. Il avait fait dire aux assiégés qu'il fêterait avec eux le premier de mai. Cependant la ville n'étant pas encore prise ce jour-là, il voulut tenir sa parole. Suivi de quelques gens de pied, et avec deux de ses hommes d'armes, il s'avança vers une des portes, portant un chapeau de fleurs et de verdure par-dessus son casque, et tenant une branche à la main pour leur souhaiter un bon mai. Cette bravade lui valut un rude combat ; son cheval fut tué, et il en revint à grand'peine.

Enfin on réussit à entrer en conférence aveu les assiégés ; ils firent d'abord semblant de ne point croire que le roi fût en effet à l'armée ; on leur offrit de les en convaincre. Deux habitants, non point riches et honorables bourgeois, comme il eût été convenable, mais deux mauvais sujets furent, au grand scandale de la cour, les députés de la ville en cette occasion. Le roi voulut pourtant bien les recevoir ; ils le saluèrent humblement, lui parlèrent du loyal dévouement des habitants, et répétèrent que dans la ville on ne croyait pas que le roi fût au camp. « Cela est faux et ridicule, dit-il, et nous trouvons fort mauvais que vous vous refusiez à ouvrir vos portes. » Le duc d'Aquitaine ajouta : « Si vous ne vous hâtez, vous serez tous exterminés. » Ils retournèrent dans la ville au milieu des huées de tous les seigneurs, qui leur criaient : « Hé bien, maudits traîtres, à présent que vous avez vu votre roi, vous rendrez-vous ? »

Des otages furent donnés de part et d'autre, et l'ou continua à parlementer. La bonté du roi pour sa ville de Compiègne, résistait à tous les conseils de rigueur qu'il recevait, aux clameurs des Gascons, des Allemands et des Bretons qui voulaient l'assaut et le pillage, et même à l'arrogance du sire de Lannoy et des autres chevaliers de la garnison.

Ils avaient envoyé demander des secours à leur maître, et attendaient sa réponse. Il était loin de leur en pouvoir donner. Jamais le duc de Bourgogne ne s'était trouvé dans une si triste position ; sa retraite de Saint-Denis l'avait fort diminué dans l'esprit des peuples ; il avait épuisé de taxes et d'emprunts les sujets de ses états ; les communes de Flandre n'avaient pas voulu prendre part à cette guerre, et n'avaient pas trouvé juste qu'il retint les villes du roi, comme Compiègne et autres. Tous les traités d'alliance qu'il avait conclus portaient tous, en exception, le service contre le roi et le duc d'Aquitaine ; le duc de Bourbon, qui, dernièrement encore, venait de renouveler avec lui un traité de paix entre le Beaujolais et la Bourgogne[87], était dans l'armée du roi.

C'était en effet la première fois qu'il faisait formellement la guerre au roi et à la couronne, et cela touchait grandement les esprits. Il avait assemblé les états d'Artois, et presque tous les seigneurs avaient déclaré qu'ils ne serviraient point contre le roi et ses enfants[88]. Il n'y eut que le sire de Ront qui répondit : « Envers et contre tous, et contre le roi. » Ses meilleurs alliés, le comte de Saint-Pol, qu'il avait fait connétable ; lé sire de Dampierre, qui lui avait dû la charge d'amiral, s'excusèrent : l'un s'était rompu la jambe, disait-il : l'autre avait la goutte. Ils se bornèrent à lui envoyer quelques-uns de leurs chevaliers. Ses frères eux-mêmes ne le secondaient point. Il était en bons termes avec le roi d'Angleterre, et sur le point de signer un traité où Henri V s'engageait à lui fournir cinq cents hommes d'armes et deux mille archers[89], mais il n'y avait rien de sincère dans ces promesses. Les Anglais ne songeaient qu'à augmenter les discordes, et à obtenir de plus grands avantages ; pour cela, ils étaient toujours en intelligence avec les deux partis.

Le seul allié fidèle du duc Jean c'était le comte de Savoie, son gendre ; il s'était hâté de lui céder la seigneurie de Montréal, en dédommagement de la dot de sa fille, qu'il lui faisait attendre depuis longtemps. Mais le traité n'avait été signé que le 24 avril ; ainsi les hommes d'armes de Savoie n'étaient pas arrivés. Les chevaliers des deux Bourgognes n'avaient pas encore non plus tous rejoint leur Duc ; il s'irritait de leur retard. La duchesse, qui était au château de Rouvre, avait de son côté de grands embarras : elle ne pouvait se procurer d'argent, même eu mettant en gage vaisselle et joyaux. D'ailleurs la Bourgogne était aussi attaquée[90].

Jean de Châlons, fort maintenant du nom du roi, menaçait Châtillon, Montbard, et même Dijon et Rouvre. La duchesse fut obligée de conserver, pour se défendre, les sires de la Guiche, de Choiseul, et plusieurs autres seigneurs que le Duc attendait impatiemment. Il n'avait donc nul moyen de secourir Compiègne ; il fit dire à la garnison de traiter aux meilleures conditions possibles. Elle obtint de sortir avec armes et chevaux, en promettant de ne plus servir contre le roi. Les bourgeois crièrent merci, et la peine criminelle fut, comme on parlait alors, commuée en peine civile : c'est-à-dire qu'on les rançonna. Il fut réglé aussi que le commun peuple ne s'assemblerait plus pour délibérer sur les affaires de la ville. Elles devaient à l'avenir se régler par les gouverneurs préposés, au nom du roi, qui appelleraient auprès d'eux douze notables habitants[91].

De Compiègne, le roi alla devant Soissons. La ville était défendue par le plus brave serviteur du duc de Bourgogne, Enguerrand de Bournonville ; bien qu'il ne fût qu'écuyer, il commandait à de plus grands seigneurs que lui, entre autres au sire de Craon. Lorsqu'il fut sommé de rendre la ville au roi, il répondit que lui et tous ceux de la garnison étaient et avaient toujours été fidèles sujets du roi, ainsi qu'ils l'avaient bien montré l'année d'avant au siège de Bourges : qu'il était donc tout prêt à recevoir le roi et monseigneur d'Aquitaine dans Soissons, mais eux seulement avec leur suite[92].

Cette réponse irrita les princes contre lui : le siège commença. Dès le second jour les assiégés firent une sortie. Le bâtard de Bourbon y courut à demi armé, et reçut un coup d'arbalète à la gorge. La blessure était mortelle. Ce fut un grand chagrin pour toute l'armée ; car il était plein de vaillance et de douceur[93] : les ennemis même le plaignirent. Sa mort anima d'une grande fureur le duc de Bourbon, qui lui était tendrement attaché, et le traitait en frère, ni plus ni moins que s'il eût été légitime.

Le siège fut donc continué avec une extrême ardeur, et soutenu avec la même constance. Enguerrand de Bournonville répondait à toutes les sommations que la ville était au duc d'Orléans, ennemi du duc de Bourgogne : qu'ainsi le duc de Bourgogne pouvait la retenir, selon toutes les règles de la justice et de la guerre. De telles réponses ne faisaient qu'enflammer le courroux des princes. Cependant la ville ne pouvait tenir longtemps, si elle n'était pas secourue. Les assiégés envoyèrent un message au duc Jean, pour le conjurer de prendre en pitié leur situation. « C'est un grand sujet d'épouvante pour nous, lui écrivait Enguerrand, de voir contre nous le roi, notre naturel et souverain seigneur, accompagné d'une si grande armée, qui n'a d'autre désir que d'exterminer vos fidèles serviteurs. » Le messager fut pris, et on lui trancha la tête. Les assiégeants, encouragés par l'assurance de la détresse de la garnison, redoublèrent leurs attaques. Les faubourgs et les défenses extérieures furent emportés. Cette grosse bombarde, qu'on nommait la Bourgeoise, avait été réparée ; elle-faisait de terribles ravages.

Enfin la garnison commença à se décourager. Le sire de Bournonville proposa de faire une sortie pendant la nuit, et d'abandonner la ville. Mais les sires de Craon et de Menou, qui étaient les principaux chevaliers, s'opposèrent à ce dessein. Les bourgeois et les gens de pied ne voulaient pas ainsi être abandonnés. La discorde se mit dans la ville. On ne laissait plus sortir le sire Enguerrand pour repousser les assiégeants, parce qu'on craignait qu'il ne rentrât plus. « Vous boirez à la coupe où nous boirons, » lui disait le sire de Craon, qui, en même temps, tâchait de ménager sa paix avec les princes, au moyen des parents qu'il avait à l'armée du roi. Nonobstant un tel désordre, Enguerrand continuait à se défendre vaillamment ; de rudes assauts furent repoussés. Le duc de Bourbon, qui gravissait aux échelles tout des premiers, animant chacun de son exemple, fut jeté en bas d'un coup de hache ; on le crut mort. Pendant qu'on combattait ainsi sur les murailles avec grand carnage, main à main, à coups d'épée, de lances et de haches, les archers anglais, qui défendaient une autre porte, étaient entrés en intelligence avec des gens de Bordeaux, Anglais aussi, de la suite du comte d'Armagnac, et ils livrèrent l'entrée. Sire Enguerrand y courut ; il était trop tard. Après avoir reçu une grande blessure à la tête, voulant faire franchir la chaîne d'une rue à son cheval, il fut renversé et fait prisonnier. De toutes parts on pénétra dans la ville ; pour lors commença le plus horrible massacre et un pillage que rien ne put arrêter. Presque toute la garnison fut passée au fil de l'épée ; les bourgeois, qui ne pouvaient se racheter, n'obtenaient nulle miséricorde. Le roi fit en vain publier le commandement d'épargner les habitants, leurs femmes et leurs enfants ; rien ne fut écouté. Les Allemands, les Bretons et les Gascons étaient comme autant de bêtes féroces. Le comte d'Armagnac lui-même ne pouvait les arrêter. Après avoir pillé les maisons, ils se jetèrent sur les couvents et les églises, où s'étaient réfugiées les filles et les femmes. Elles ne purent échapper à la brutalité des gens de guerre ; les saints ornements, les reliquaires, tout fut dérobé sans nul respect ; les hosties, les ossements des martyrs foulés aux pieds. Jamais une armée de chrétiens, commandée par de si grands seigneurs, et formée de tant de nobles chevaliers, n'avait, de mémoire d'homme, commis de telles horreurs.

Le lendemain, lorsque la fureur fut un peu calmée, on fit dire aux gens de la ville, qui avaient réussi à se sauver, de revenir, et que le roi leur pardonnerait. Ce ne fut pas pour tous cependant qu'il fut miséricordieux. Le vaillant sire de Bournonville eut la tête tranchée, malgré les instances que firent en sa-faveur plusieurs chevaliers de l'armée du roi, qui avaient fait avec lui les guerres d'Italie, et de France, et assisté à ses beaux faits d'armes. On aimait aussi sa magnificence ; car il savait, mieux que personne, user de ses profits de guerre et des grands butins qu'il faisait ; et, certes, il aurait été bien en état de se racheter chèrement. Mais le duc de Bourbon, toujours furieux de la mort de son frère, voulut que sire Enguerrand pérît. Sa tête fut mise au haut d'une pique, et son corps pendu au gibet. Avec lui, on exécuta aussi le sire Pierre de Menou. Jean son père allait y passer ; mais le fils protesta, sur le billot, de l'innocence de son vieux père, et jura que c'était lui qui l'avait entraîné à Soissons. On fit grâce à Jean de Menou, et, comme il était riche et chevalier, on le mit à rançon. D'ailleurs il avait, comme le sire de Craon, voulu se soumettre au roi. Quatre autres gentilshommes furent aussi mis à mort, de même que quelques-uns des principaux bourgeois. D'autres, au nombre de vingt-cinq, furent envoyés à Paris ; la plupart furent pendus ou décapités. Maître Titet, avocat sage et habile, qui avait longtemps fait toutes les affaires de la ville, fut mené à Laon, et y eut la tête tranchée. Cent ou Cent vingt archers anglais furent aussi attachés au gibet.

Après ces-exécutions, qui semblèrent bien justes à toute l'armée, le roi se livra à des sentimens de clémence ; au lieu de réduire les bourgeois à la servitude, comme le pratiquaient souvent ses prédécesseurs, il se contenta de leur imposer une forte taxe perpétuelle. On pensa qu'ainsi ruinés par le pillage et une rançon, ils étaient, pour ainsi dire, réduits à une condition plus dure que le servage[94].

Avant de partir pour Laon, le roi n'oublia pas de faire soigneusement rechercher les saintes reliques que les gens d'armes avaient profanées et dispersées. On en racheta même-quelques-unes à prix d'argent ; puis le roi s'en alla en pèlerinage à Notre-Dame de Liesse. Dès qu'il fut à Laon, le comte de Nevers lui fit demander la permission de se présenter devant lui ; il voulait sauver son comté de Rethel quia allait être envahi par l'armée. Son frère-, le duc de Bourgogne, n'avait aucun moyen de le secourir. Il fut reçu par le roi ; le genou en terre, il s'excusa de ce qui s'était passé, sollicita la bonté et la clémence du roi, et accepta les conditions qui lui furent faites. Il s'engagea à recevoir dans toutes ses villes les garnisons et les officiers que le roi y voudrait envoyer, et à les payer. Il jura de ne prêter ni aide, ni faveur à son frère, et de remplir dorénavant ses devoirs de loyal sujet et de vassal, sous peine de confiscation de toutes ses seigneuries. Amnistie lui fut accordée pour tous ses serviteurs, vassaux et sujets, à la réserve de ses deux principaux conseillers ; il donna en otages, pour l'exécution .de ces conditions, six de ses gentilshommes et se retira ensuite à Mézières.

Le roi, continuant sa route, arriva à Saint-Quentin. La comtesse de Hainaut, sœur du duc de Bourgogne, vint l'y trouver pour essayer de ménager quelque accommodement. Le roi y semblait si peu disposé, qu'elle repartit le lendemain. Peu de jours après, elle revint encore à Péronne avec son frère le duc de Brabant. Ils quittaient le duc Jean dont la situation devenait chaque jour plus difficile. Un renfort de quatre mille hommes d'armes, qui lui venait des deux Bourgognes et de Savoie, sous les ordres du sire de Neufchâtel, venait, au passage de la Sambre, d'être attaqué par le duc de Bourbon et le comte d'Armagnac. Bien qu'on les eût blâmés dans leur armée de ne pas avoir eu une assez grande diligence, ils avaient surpris l'arrière-garde des Bourguignons, et mis le désordre dans leurs troupes qu'ils avaient rejetées vers Liège et le Brabant. Lorsque le Duc vit arriver à Douay ses chevaliers fugitifs, quelque faibles secours qu'ils lui apportassent, il les reçut à bras ouverts et comme des frères[95].

Le duc de Brabant et la comtesse de Hainaut firent d'inutiles efforts auprès du roi. En vain elle se jeta à ses pieds en pleurant : « Puisqu'il n'a pas intention de nous offenser, dit le roi, qu'il vienne nous trouver comme notre humble sujet, et nous ferons ce qu'il sera raisonnable de faire. S'il nous demande justice, on la lui rendra ; s'il nous demande miséricorde, il l'obtiendra, pourvu toutefois qu'il soit vraiment touché de ses fautes et qu'il les reconnaisse au lieu de les justifier. » C'eût bien été leur avis aussi, mais ils n'espéraient point amener le duc Jean à un tel terme de soumission, ni gagner cela sur son obstination et sa dureté de cœur. Ils promirent de faire leurs efforts pour l'adoucir. Ils purent voir quelle haine on lui portait dans le camp royal : à leurs oreilles, et comme pour les braver, ou chantait la complainte lamentable de monseigneur d'Orléans, tué par un horrible assassin.

Tout prospérait de plus en plus au parti d'Orléans. Les États de Flandre et les quatre grandes communes qu'on appelait les quatre membres de Flandre, envoyèrent des députés au roi pour répondre à un message qu'il leur avait fait. Ils lui protestèrent de leur respect et de leur soumission. On fut bien satisfait au camp de voir arriver ces fameux et redoutables bourgeois, de Gand, d'Ypres et de Bruges. Pour les gagner, on leur fit grand accueil, le roi leur toucha dans la main ; ils reçurent de riches présents. Puis on les adressa pour traiter les affaires au duc d'Aquitaine ; car le roi pouvait bien dire quelques paroles à propos ; mais non point parlementer dans une conférence. Lorsqu'ils furent devant le dauphin, il commença par leur faire adresser par son chancelier un beau discours où tous les crimes de leur Duc étaient rappelés fort au long ; ensuite il leur proposa non point seulement de refuser tout secours à leur indigne seigneur, mais de se déclarer contre lui. Il promit que lorsque les états du duc de Bourgogne seraient réunis à la couronne, leurs privilèges seraient maintenus, même augmentés, et que le roi n'établirait d'officiers de justice ou autres que de leur consentement. Enfin il demanda que les assassins du duc d'Orléans et les bannis de la ville de Paris, qui s'étaient réfugiés chez eux, fussent livrés. Après cette harangue un docteur de l'université demanda à réfuter devant ces Flamands les doctrines de Jean Petit, et fut plus violent encore que le sire Juvénal contre le duc de Bourgogne.

Les députés, qui venaient pour travailler à rétablir la paix entre le roi et leur seigneur, écoutèrent tranquillement tous ces discours' : et ces propositions ; ils demandèrent à en conférer mûrement avec des commissaires du conseil du roi. Après s'être fait donner les explications qui leur semblaient nécessaires, ils repartirent, disant que les villes de Flandre délibéreraient à ce sujet et qu'ils leur exposeraient quelle sorte d'obéissance le roi exigeait de leur seigneur.

Le duc de Bourgogne, voyant qu'on ne voulait lui accorder aucune condition de paix, résolut à se défendre vigoureusement. Son armée commençait à devenir plus nombreuse ; d'ailleurs il était sur son terrain et pensait que ses sujets combattraient plus volontiers lorsqu'on viendrait les attaquer chez eux. Une garnison nombreuse commandée par le sire Jean de Luxembourg fut mise dans Arras. On en fit sortir les femmes, les enfants et les bouches inutiles, on brûla d'avance les faubourgs, enfin l'on s'apprêta à soutenir un terrible siège.

En attendant, le Duc négociait toujours, et pour se tirer d'embarras s'efforçait d'avoir la paix. Il calculait qu'il n'en resterait pas moins un bien plus puissant prince que le duc d'Orléans : que si au contraire on voulait le pousser à bout, les Flamands verraient alors que ce n'était pas lui qui refusait de traiter, et commenceraient à défendre eux et lui[96]. Pour suivre ce projet, il consentit à ce que Bapaume, dont le roi commençait le siège, se rendit, et ne voulut rien risquer pour secourir cette ville. L'armée royale y trouva quelques réfugiés de Paris, de Compiègne et de Soissons, qui furent aussitôt exécutés. Il y avait toujours une grande haine contre le Duc, et autour du roi l'on ne voulait entendre à aucun traité. L'université en ayant ouï parler, fit même un mémoire contre la paix ; elle voulait que du moins le Duc fût publiquement interrogé sur les propositions contraires à la foi et à la morale que Jean Petit avait fait en son nom.

Le siège d'Arras commença donc ; mais peu à peu les affaires du roi se trouvèrent en moins bon état. La ville était grande, remplie de braves et habiles chevaliers ; souvent ils faisaient des sorties. Les garnisons de Lens, d'Hesdin et des autres forteresses, couraient le pays, arrêtaient les convois, gênaient l'armée du roi. Les assiégés avaient une bonne artillerie ; ils se servaient beaucoup des nouveaux canons de main : c'était un tuyau de fer où l'on mettait des balles de plomb, et ainsi, à travers les ouvertures des murailles, on tuait bien du monde aux assaillants. Les bombardes et canons du roi étaient au contraire assez mal servis. Le principal ingénieur qui les dirigeait fut gagné par le duc de Bourgogne ; on s'en aperçut parce qu'on vit que la fameuse Bourgeoise ne faisait plus aucun ravage dans la place. Cet homme se voyant découvert, se sauva dans Arras et y donna beaucoup d'informations. D'autres intelligences s'établirent encore. Ce siège tourna en longueur ; le duc de Bourgogne voulut tenter de le faire lever, mais l'avant—garde de son armée ayant été surprise et défaite, il renonça à la voie des armes et s'occupa plus que jamais d'avoir la paix.

Elle était devenue plus facile ; le siège n'avançait pas ; l'armée manquait souvent de vivres ; les maladies commençaient leurs ravages. Le sire de Saarbrück venait d'en mourir ; le connétable était assez malade pour avoir été contraint à se retirer. Le duc de Bavière était aussi atteint de l'épidémie. Si les Gascons et les Bretons voulaient l'assaut et le pillage, de leur côté les Normands étaient lassés et découragés ; ils souhaitaient de s'en aller, et leur chef, le comte d'Alençon, conseillait de lever le siège.

Durant cette espèce de loisir, il se fit quelques belles joutes entre les chevaliers des deux armées. Jean de Neufchâtel, sire de Montaigu, capitaine de la ville d'Arras, et le comte d'Eu, qui venait d'être armé chevalier par le duc de Bourbon, joutèrent pour un diamant de la valeur de cent écus. Le prix devait être gagné par le sire de Neuf châtel, s'il pouvait réussir à déboucher du fossé qui conduisait à une mine. Le comte d'Eu garda si bien l'issue qu'il l'empêcha de passer, et son adversaire lui fit remettre un beau diamant pour sa dame[97].

Il y eut une autre joute qui se fit aussi avec une extrême courtoisie. La partie était entre trois chevaliers français commandés par un autre bâtard de Bourbon qui était fort jeune et avait envie de se faire connaître, et le sire de Cothebrune, chevalier bourguignon, déjà fameux, avec trois Portugais de l'hôtel du duc de Bourgogne. Lorsque le sire de Cothebrune vit qu'il avait affaire à un enfant, il quitta ses bonnes armes pour prendre une lance plus légère, et jouta si gracieusement, que les armes se rompirent sans qu'aucun fût blessé. Le choc fut plus rude entre les autres ; il y en eut un qui reçut un coup si violent, qu'il en mourut après. La joute finie, tous ces chevaliers se réunirent avec leurs amis dans un pavillon qu'on avait dressé. On se mit à table ; de chaque parti on avait apporté des viandes ; on défonça des barils de vin, où l'on puisait pour boire largement ; enfin, on se fit grand'chère les uns et les autres. Le bâtard de Bourbon et Cothebrune échangèrent leurs chevaux et leurs armes ; et le duc de Bourgogne envoya un de ses écuyers les poches pleines d'argent pour distribuer aux chevaliers et écuyers français.

Cependant le duc de Brabant, la comtesse de Hainaut et des députés de Flandre étaient revenus au camp, ils avaient-recommencé leurs supplications[98]. Ils promettaient que le duc Jean accepterait le pardon du roi pour tout ce qu'il avait fait contre son devoir, depuis la paix de Pontoise, et qu'il ferait acte de soumission, en rendant la ville d'Arras au roi. La comtesse de Hainaut trouva cette fois les esprits mieux disposés. Elle fit si bien, qu'elle mit le dauphin de son parti. Il était gendre du duc de Bourgogne ; son second frère, Jean, duc de Touraine, avait épousé la fille de la comtesse de Hainaut. La famille roy ale était liée de toutes parts à la maison de Bourgogne. D'ailleurs, c'était sur la propre demande du dauphin que le Duc avait violé la paix. En même temps, l'armée était dégoûtée. Les hommes sages étaient toujours portés à la paix ; le duc d'Orléans, le duc de Bavière, le comte d'Eu, firent de vains efforts sur le duc d'Aquitaine. Il prit sa résolution[99].

Le roi n'était jamais un obstacle ; en ce moment, bien qu'il ne fût pas tout-à-fait hors de sens, on trouvait sa volonté plus affaiblie que jamais. Le dauphin lui fit aisément souhaiter la paix. Un matin, qu'il était encore au lit, sans dormir, riant et devisant avec un de ses valets de chambre, un des seigneurs du parti d'Orléans s'avança tout doucement, et passant la main sous la couverture, il tira le roi par le pied. « Monseigneur, vous ne dormez pas, dit-il— Non, mon cousin, répliqua le roi, soyez le bienvenu. Voulez-vous quelque chose ? N'y a-t-il rien de nouveau ? — Non, monseigneur, sinon que vos gens disent que si » vous vouliez faire assaillir la ville, il y aurait espérance d'y entrer. — Mais, reprit le roi, si mon cousin de Bourgogne se rend à la raison, s'il met la ville en ma main sans assaut, nous ferons la paix. — Comment, monseigneur, s'écria l'autre, vous voulez avoir la paix avec ce méchant, ce traître, ce déloyal, qui a si cruellement fait tuer votre frère ? » Ces paroles affligèrent le roi, qui, cependant, répondit : « Tout lui a été pardonné du consentement de mon neveu d'Orléans. — Hélas sire, vous ne le reverrez jamais, votre frère. » Pour lors, le roi perdit patience, et interrompant ce seigneur : « Laissez-moi, mon cousin, je le reverrai au jour du jugement. »

Dès le lendemain, le conseil fut assemblé. Plusieurs se refusaient encore à la paix ; mais le chancelier d'Aquitaine exposa qu'il n'y avait plus d'argent pour payer les gens de guerre, que les fourrages manquaient aux chevaux, les vivres aux hommes. Il ajouta que les Anglais assemblaient une armée pour descendre en France, et qu'il fallait tous se réunir dans un commun amour, pour pouvoir résister aux anciens ennemis du royaume. Bref, c'était la volonté du duc d'Aquitaine. Il ordonna que les articles de la paix fussent lus. Ils portaient que-le duc de Brabant, la comtesse de Hainaut et les Etats de Flandre suppliaient humblement, au nom du duc de Bourgogne, le roi et le duc d'Aquitaine de lui pardonner les torts qu'il avait eus depuis la paix de Pontoise, et de le recevoir dans leurs bonnes grâces : que le Duc promettrait au roi de placer, s'il le jugeait à propos, des baillis et des officiers dans toutes les villes de ses seigneuries, et lui remettrait notamment les clefs d'Arras.

Que le Duc rendrait la forteresse du Crotoy.

Qu'il serait tenu d'éloigner et de mettre hors de ses états ceux qui avait encouru l'indignation du roi et de monseigneur d'Aquitaine, lesquels lui seraient nommés et déclarés en temps et lieu.

Que les terres des vassaux sujets et serviteurs du Duc, mises en la main du roi à l'occasion de cette guerre, leur seraient restituées, et que le duc de Bourgogne de son côté donnerait main levée des saisies qu'il avait faites.

Qu'en outre du serment déjà fait par les négociateurs susnommés, que le Duc n'avait nulle alliance avec les Anglais, ils promettraient que dorénavant il n'entrerait en aucune sorte de confédération avec eux, sans le congé du roi et du duc d'Aquitaine.

Qu'en réparation des lettres injurieuses au duc de Bourgogne, écrites et publiées au nom du roi, des conseillers du roi et des gens choisis par le Duc aviseraient aux lettres que l'on pourrait faire signer au roi, à la décharge de l'honneur du duc de Bourgogne.

Que le Duc promettrait que jamais il ne ferait ni ne procurerait, directement ni indirectement, aucun mal ni trouble aux vassaux, serviteurs ou sujets du roi qui l'avaient servi en cette circonstance, non plus qu'à aucun des bourgeois de Paris.

Qu'il s'engageait aussi à ne jamais revenir près du roi on du dauphin, sans être expressément mandé.

Que le roi ordonnait à ses sujets de garder fidèlement et de se conformer au traité de Chartres.

Ces conditions devaient être jurées par le duc de Brabant et le comte de Hainaut, en leur propre nom d'abord, afin de s'engager à ne point assister le duc de Bourgogne s'il ne s'y conformait pas, puis aussi au sein, comme ses procureurs.

Leur serment prêté, le duc d'Aquitaine prêta le sien aussi[100], puis il appela Charles duc d'Orléans, son cousin germain : « Monseigneur, dit celui-ci, s'inclinant respectueusement, je ne suis pas tenu à faire serment ; je ne suis venu ici que pour servir monseigneur le roi et vous. — Mon cousin, nous vous prions de jurer la paix, répéta le duc d'Aquitaine. — Monseigneur, je ne l'ai point rompue, et ne dois point faire serment ; qu'il vous plaise être satisfait. » Le dauphin répéta l'ordre une troisième fois ; et alors le duc d'Orléans ; tout courroucé, répliqua : « Monseigneur, ni moi ni ceux de mon conseil n'ont rompu la paix ; faites venir ceux qui l'ont rompue ; faites-les jurer, et après je vous contenterai. » Cependant l'archevêque de Reims et plusieurs autres voyant le mécontentement du dauphin, s'entremirent, et à grand' peine persuadèrent au duc d'Orléans de céder. Le duc de Bourbon fut ensuite appelé ; il voulut parler : « Mon cousin, interrompit tout aussitôt le duc d'Aquitaine, nous vous prions qu'il n'en soit plus parlé. » Tous les princes jurèrent alors sans plus de difficultés ; mais lorsque ce fut le tour des prélats, l'archevêque de Sens, frère de Montaigu, s'adressant au duc d'Aquitaine : « Monseigneur, dit-il, souvenez-vous du serment que vous nous fîtes à tous en présence de la reine en quittant Paris. —C'est assez, dit le dauphin, nous voulons que la paix se fasse et que vous la juriez. — Monseigneur, puisque tel est votre plaisir, je le ferai, répondit l'archevêque. »

Dès que la paix fut publiée et que le comte de Vendôme fut allé prendre possession d'Arras au nom du roi et y planter la bannière de France, l'armée partit en toute hâte. On ne vit jamais un tel désordre ; il semblait qu'elle fût mise en déroute. Par négligence ou autrement le feu prit au logis du roi, et il fut contraint à se mettre en route au plus vite. On laissa une grande partie des charrettes et des bagages. Le camp fut pillé par les Bourguignons de la ville : on courut même après les marchands qui étaient venus apporter des provisions, et plusieurs furent dévalisés. Des compagnies de l'un ou de l'autre parti, couraient les campagnes et les dévastaient[101].

Le roi fut de retour à Paris au 1er octobre ; il était tout-à-fait malade, et c'était le duc d'Aquitaine qui tenait le gouvernement. Une portion des bourgeois n'était pas satisfaite de la paix accordée au duc de Bourgogne, dont ils avaient espéré la destruction. Ils le redoutaient d'autant plus qu'avant le retour du roi, dès le jour même où la paix avait été annoncée, il y avait eu du bruit parmi le menu peuple. Les partisans du duc de Bourgogne avaient cru que l'instant allait leur devenir favorable. Déjà un jeune homme avait osé arracher publiquement à la statue de Saint-Eustache son écharpe d'Armagnac ; mais on l'avait arrêté, il avait eu le poing coupé ; tout était rentré dans l'ordre. Les gens de la ville étaient donc allés trouver le duc de Berri, et s'étaient plaints qu'on eût traité sans prendre leur avis, comme on avait fait l'autre fois. Le duc de Berri leur avait répondu : « Cela ne vous touche en rien, vous ne devez pas vous entremettre entre le roi notre sire et nous qui sommes de sa famille ; nous nous courrouçons les uns contre les autres quand il nous plait, et quand il nous plait nous faisons la paix[102]. »

Du reste, cette paix ne semblait point complète ; le royaume était plus malheureux et plus ravagé que jamais. Les articles jurés à Arras n'étaient que des conditions fixées d'avance pour un plus ample traité. Le duc de Brabant et la comtesse de Hainaut devaient se retrouver à Senlis avec des pouvoirs de leur frère, afin de terminer tous les points à éclaircir et à débattre. Il jugea à propos de donner cette commission seulement à quelques-uns de ses conseillers. Ils suivirent le roi à Senlis, puis à Saint-Denis ; leurs pouvoirs ne furent pas considérés comme suffisants, et de nouvelles conférences furent indiquées pour la Toussaint, à Senlis. Le Duc alors donna des pouvoirs à son frère et à sa sœur, en continuant à protester de son respect pour le roi et de son ferme désir de se conformer aux conditions d'Arras[103].

Au même moment, après avoir passé quelques jours à Mézières chez le comte de Nevers, il partit pour son duché avec les gens d'armes de Bourgogne, emmenant ouvertement à sa suite les sires de Jacqueville et de Mailly, le chancelier Eustache de Laître, Legoix, Chaumont, de Troyes et les chefs des bouchers. Il s'en vint ainsi accompagné et faisant de grands ravages dans le comté de Tonnerre. Pour punir Louis de Chalons, dont il avait fait faire le procès, il confisqua sa seigneurie à main armée. Bientôt après des lettres du roi lui reprochèrent son peu de fidélité à garder ses serments ; il répondit qu'il avait voulu punir un vassal rebelle, mais nullement enfreindre la paix. Alors le sire de Gaucourt et plusieurs autres furent envoyés contre les gens du duc de Bourgogne ; ils en surprirent une troupe, et quelques-uns des bannis étant tombés entre leurs mains, ils les envoyèrent bien garrottés à Paris où ils furent pendus.

Dans le même temps, un autre chevalier du duc de Bourgogne, le sire Jean de Poix, neveu de l'amiral Dampierre, fut rencontré par des partisans du duc d'Orléans assailli et tué. De même Hector de Saveuse, qui avait montré une grande vaillance au siège d'Arras et en d'autres occasions, fut pris comme il allait en pèlerinage à Notre-Dame de Liesse ; il allait avoir la tête coupée ; la comtesse de Hainaut fit tant par ses instances qu'elle retarda sa mort ; et Philippe de Sa-yeuse, son frère, s'étant saisi de deux chevaliers qui tenaient le parti d'Orléans, l'échange se fit : tant il y avait peu de sûreté et de bon ordre, malgré la paix.

Chacun en faisait si bien à sa volonté, que d'une part le comte d'Armagnac en s'en retournant dans son pays, prit la ville de Murat pour laquelle il était en procès avec le légitime héritier, qu'un arrêt avait envoyé en possession, et il le jeta en prison. De son côté le sire de Saint-Pol faisait la guerre pour son compte dans le duché de Luxembourg, et assiégeait le château de Neuville sur Meuse afin de faire cesser les courses que les gens du seigneur d'Orchimont faisaient dans tout le pays[104].

Pendant ce temps-là, le gouvernement à Paris était plus en confusion que jamais. Le duc d'Aquitaine cherchait par toutes sortes de moyens à conduire les affaires à sa volonté, et à s'affranchir de la servitude où les princes voulaient le tenir. Déjà à Senlis, lorsque le roi était devenu tout-à-fait malade, il avait fait résoudre que la suprême direction des finances lui serait donnée ; cela avait fort déplu au duc de Berri, qui avait fait assembler l'université, le Parlement, l'hôtel-de-ville, pour que l'on fit au roi des représentations sur la trop grande jeunesse du dauphin ; mais eux s'en étaient excusés, disant que l'affaire était de la seule compétence du conseil[105].

Arrivé à Paris, le duc d'Aquitaine se montra plus prodigue encore et plus négligent de la chose publique, que les princes qui avaient gouverné avant lui[106]. Les tailles étaient excessives, et tout le produit passait dans les bourses particulières de ses serviteurs et de ceux du duc de Berri, qui s'était concilié en ce moment l'amitié de son neveu. C'était des dons continuels de six mille, de sept mille, de dix mille écus. Enfin un jour qu'on en apportait pour une soixantaine de mille francs à signer, le chancelier Juvénal répondit qu'il ne voulait pas y apposer le sceau, et qu'il en parlerait à son maître. Il lui remontra en effet qu'on n'avait que trop besoin d'argent pour de meilleurs emplois. Le duc d'Aquitaine le remercia de son bon avis, et lui défendit de sceller aucun don au-dessus de mille écus.

Tous les serviteurs des deux ducs murmuraient beaucoup, et le duc de Berri résolut de faire mettre Juvénal hors de sa charge. L'occasion ne tarda guère ; il avait envoyé à son neveu deux belles perles que lui portaient l'évêque de Chartres et un de ses chevaliers. Le duc d'Aquitaine ordonna qu'on leur comptât deux mille écus ; Juvénal refusa. On lui redemanda les sceaux, et ils furent donnés à maître Martin Gouge, conseiller favori du duc de Berri, qui le céda à son neveu, en se faisant beaucoup valoir de ce sacrifice. C'était du reste un homme qui parlait bien et passait pour habile au fait des finances. Celles du royaume n'en allèrent pas mieux, et le duc d'Aquitaine se conduisit moins sagement encore que par le passé[107].

Peu de temps après son retour de Paris, le duc d'Orléans et le duc de Bourbon furent avertis qu’il se tramait parmi le peuple et les partisans du duc de Bourgogne un complot pour chasser les princes de Paris[108]. On devait sonner l'alarme au clocher de Saint Eustache ; le quartier des halles devait prendre les armes, mettre le dauphin à la tête des Parisiens et tuer tous ceux qui feraient résistance. L'entreprise découverte ne put même être tentée. Des gardes furent placées partout ; le Louvre, où habitait le dauphin, fut entouré : on arrêta plusieurs de ses serviteurs. Le prévôt de Paris nommé André Marchand, tout dévoué qu'il s'était montré aux Orléanais, et tout cruel qu'il était à leurs ennemis, fut remplacé par le sire Tanneguy-Duchâtel, qui déjà avait rempli cet office. De nouveaux exils furent ordonnés ; presque toutes les femmes des bannis eurent ordre de sortir de Paris, et furent durement reléguées à Orléans[109].

Le dauphin, qui retombait ainsi sous un joug encore plus pesant, partit tout-à-coup de Paris, avec une suite peu nombreuse, et s'en alla à Bourges et au château de Mehun-sur-Yèvre que venait de lui donner le duc de Berri. Le comte de Vertus et le comte de Richemont l'y suivirent aussitôt. La reine, le duc d'Orléans, le duc de Berri lui écrivirent pour l'engager à revenir ; il ne fut que peu de jours absent[110].

Ce départ du dauphin et l'embarras des affaires forcèrent le conseil du roi à retarder les conférences qui devaient s'ouvrir à Senlis sur les articles de la paix d'Arras. Le duc de Bavière et d'autres seigneurs du conseil, allèrent proposer une prolongation au duc de Brabant et à la comtesse de Hainaut. D'ailleurs, les princes qui s'étaient opposés à la paix n'avaient pas un grand empressement à la rendre stable. Le 5 janvier, ils firent faire un service solennel pour le feu duc d'Orléans dans l'église de Notre-Darne. Ils y assistèrent en grand habit de deuil ; le roi, qu'ils y avaient amené, était le seul qui ne fût pas vêtu de noir. Jean Gerson y prêcha avec une hardiesse et une violence, qui causèrent beaucoup de surprise ; il donna de grandes louanges au feu duc d'Orléans, disant que le royaume était bien mieux administré de son vivant, qu'il ne l'avait été depuis[111] ; et comme on aurait pu croire qu'il voulait plutôt exciter les haines que les adoucir, il assura que son avis n'était point la mort ni la destruction du duc de Bourgogne, mais qu'il devait être humilié, qu'il fallait qu'il reconnût son péché, et qu'il donnât satisfaction suffisante, ne fût-ce que pour le salut de son âme. Revenant sur la condamnation des doctrines de Jean Petit, il répéta qu'elle n'avait pas été suffisante. Après le service, il reçut de grands éloges des princes qui le présentèrent au roi, et le lui recommandèrent. Quelques jours après un autre service fut célébré aux Célestins, aussi en présence du roi, et maître Courtecuisse prêcha de la même sorte que Jean Gerson. Enfin une troisième fois la même cérémonie fut répétée dans la chapelle du collège de Navarre. Le duc d'Aquitaine ne fut point présent à ces célébrations ; il alla passer quelques jours à Melun, chez, la reine qui y faisait souvent son séjour.

Cependant le duc de Brabant arriva le 28 janvier, et les conférences commencèrent[112]. Les envoyés du duc de Bourgogne étaient surtout chargés de demander une amnistie générale. Loin de rien obtenir à cet égard, les conditions que le conseil du roi voulut imposer étaient plus dures que le traité d'Arras. Elles portaient qu'il serait accordé une amnistie ; mais que cinq cents personnes en seraient exceptées, ainsi que ceux qui avaient été bannis par procès régulièrement faits, ou qui se trouvaient sous la main de la justice. Toutefois les serviteurs et vassaux du Duc étaient compris dans cette amnistie.

On ajoutait que tous les serviteurs de l'hôtel du roi, de la reine et du duc d'Aquitaine, qui avaient été éloignés, ne pourraient revenir à Paris, durant deux ans, sans une permission expresse du roi.

Un article portait aussi que les charges et offices demeureraient à ceux qui en avaient été pourvus depuis la paix de Pontoise.

Enfin il était dit que tous ceux qui voudraient jouir du bénéfice de ladite paix, seraient tenus de la jurer.

Les députés du Duc demandèrent que ces articles fussent communiqués à madame de Hainaut, qui était venue jusqu'à Senlis seulement, parce que son mari lui avait interdit d'aller plus loin. La chose fut accordée. Le duc d'Aquitaine et les autres princes, pour lui montrer leurs égards, vinrent même lui rendre visite[113].

Les conseillers du duc de Bourgogne, après avoir examiné ces articles, demandèrent diverses explications. En se plaignant de l'exception de cinq cents personnes, ils désiraient savoir leurs noms, et si les nobles y pouvaient être compris. — On répondit que l'exception ne s'appliquerait qu'à des hommes non nobles, et que leur nom serait donné avant la Saint-Jean.

Ils voulurent qu'il fût déclaré aussi, s'il était dérogé à l'amnistie accordée aux serviteurs ou vassaux du Duc, lorsqu'ils étaient bannis par suite de jugement. — Il fut répondu, qu'alors, l'amnistie ne s'appliquait pas.

Ils demandèrent si les bannis pourraient jouir de leurs biens en France, partout ailleurs qu'à Paris. — La réponse fut négative. Mais ceux qui avaient seulement été écartés des hôtels du roi, de la reine et du duc d'Aquitaine, eurent la permission de rester en France et de jouir de leurs biens.

Les conseillers de Bourgogne remarquaient aussi qu'il serait injurieux au Duc, qu'on fit jurer la paix seulement' à ses vassaux et sujets. — Il leur fut dit que le serment serait demandé à tous les habitants du royaume.

Enfin, et c'était le point le plus important, les députés du Duc se plaignaient de l'offense grave qui lui avait été faite, par la sentence portée à l'évêché de Paris, contre le discours de Jean Petit. Dès l'année précédente, après en avoir fait part aux villes de Flandre, il avait envoyé un ambassadeur à Rome, et obtenu la cassation du jugement. L'évêque de Paris en avait appelé au concile de Constance. Le Duc, que cette affaire touchait plus que nulle autre, y avait envoyé ambassade sur ambassade. Il n'y avait sorte d'efforts qu'il ne fit pour obtenir la confirmation de la sentence de Rome. Ses envoyés distribuaient aux docteurs en théologie de riches présents d'argent ou de vaisselle ; les meilleurs vins de ses celliers de Bourgogne étaient offerts aux cardinaux ; il y en eut un que l'on crut toucher davantage en lui donnant un beau manuscrit de Tite-Live, tiré de la bibliothèque du Duc[114]. De son côté, l'évêque de Paris, et surtout Jean Gerson, qui était récemment arrivé au concile, poursuivaient vivement la condamnation de cette doctrine. Le Duc demandait que le roi fît cesser cette action. — On répliqua que l'affaire concernait le clergé et l'évêque de Paris ; mais qu'en ce qui touchait le roi, il serait ordonné à ses ambassadeurs de ne point intervenir.

Ces explications ainsi données aux conseillers de Bourgogne, ils se rendirent à Senlis, auprès de madame de Hainaut. Quand ils furent revenus, le duc d'Aquitaine fit, le 25 février, lire au conseil du roi des lettres conformes à tout ce qu'on venait de régler. Le 14 dis mois suivant, le duc de Brabant et les ambassadeurs de Bourgogne prêtèrent leur serment, ainsi que tous les princes qui étaient présents. Le 16, la paix fut publiée dans toute la ville de Paris ; peu après, les prévôt, échevins, quarteniers et le corps de la bourgeoisie furent appelés à en jurer aussi le maintien. En même temps, des commissaires furent envoyés au nom du roi pour recevoir le serment du comte de Charolais, de tous les princes de Bourgogne et des villes et Etats de Flandre. Le traité portait que le Duc serait tenu à faire le même serment ; lui seul s'y refusa, disant qu'il avait encore des explications à demander[115].

Bientôt il put concevoir l'espérance de trouver moins de rigueur dans le conseil du roi. Le duc d'Aquitaine réussit enfin à se rendre maître du gouvernement. Dans les premiers jours d'avril, étant allé visiter la reine à Melun avec les autres princes, il les y laissa et revint tout-à-coup à Paris ; il fit lever le pont de Charenton, et ordonna que les portes de la ville fussent fermées[116]. Le lendemain, les princes reçurent l'ordre de n'y point rentrer, sans être mandés au nom du roi, et de se retirer dans leurs domaines. Les échevins de Paris furent changés, et le dauphin ayant mandé au Louvre le corps de la ville et l'université, leur fit adresser un grand discours par son chancelier.

D'abord il rappela comment, depuis la mort du sage roi Charles V, les princes avaient causé toutes les calamités de la France : Le duc d'Anjou avait commencé par dérober le trésor de la couronne, pour le dépenser en Italie ; puis le duc de Berri et le feu duc de Bourgogne n'avaient pas mieux ménagé l'argent du royaume. Le duc d'Orléans défunt et ses grandes prodigalités ne furent pas épargnés non plus ; enfin le beau-père du duc d'Aquitaine, le duc Jean, eut aussi large part de blâme[117]. L'évêque de Chartres ne craignit pas de dire que toutes les finances du roi avaient été perdues et dissipées et le royaume ruiné par lui. C'était, dit-il, pour mettre fin à tant de désordres que le duc d'Aquitaine avait signifié à tous les princes de s'en retourner chacun chez soi, et il voulait, pour le bien de la chose publique, pourvoir lui seul, et avec fermeté, au gouvernement du royaume.

Le dessein était bon, c'était à lui, héritier de la couronne, à garder son propre héritage ; il en avait le moyen, &il avait eu quelque sagesse ; car il pouvait toujours menacer un parti avec l'autre, et les tenir ainsi tous deux en respect. Mais ses vices et sa légèreté gâtèrent tout, et jamais peut-être les affaires ne furent plus mal réglées. Il n'avait voulu que s'affranchir de toute contrainte. Il commença par s'emparer des trésors que la reine sa mère avait déposés chez trois bourgeois de la ville de Paris ; il n'était entouré que de jeunes seigneurs qui flattaient et favorisaient tous ses débordements. Bientôt il se livra tellement à sa passion pour une demoiselle, que de concert avec le comte de Richemont il enleva sa femme de chez la reine, et la relégua à Saint-Germain-en-Laye.

C'était un nouveau grief dont le duc de Bourgogne avait à se plaindre. Il envoya, dans le mois de juin, des ambassadeurs au duc d'Aquitaine ; ils renouvelèrent d'abord leurs représentations sur l'amnistie et l'exception de cinq cents personnes, qui était contraire aux promesses faites à Arras, où il n'avait été question que d'excepter sept personnes. Les États de Flandre, tout en jurant la paix, comme on l'avait exigé, avaient aussi présenté les mêmes remontrances au roi. Le duc de Bourgogne regardait son honneur comme engagé à protéger tous ces proscrits dont il était environné, et dont il entendait les continuelles plaintes. Il voulait aussi que Jean Gerson fût rappelé du concile de Constance.

L'offense faite à sa fille le touchait plus encore[118]. Les ambassadeurs demandèrent en son nom au dauphin de reprendre sa légitime épouse et de congédier d'auprès de lui sa bonne amie. Le duc d'Aquitaine s'irrita de leur discours, et leur répondit avec emportement. Comme, dans une seconde audience ils n'obtenaient pas meilleure satisfaction, ils lui dirent : « Très-redouté prince et très-noble seigneur, si vous n'accordez pas ce que monseigneur de Bourgogne vous demande, sachez qu'il ne jurera point la paix, ni ne la tiendra pas ; et si vous avez besoin de lui contre l'Anglais, ni lui, ni ses sujets, ni ses vassaux ne s'armeront pour vous servir, ou vous défendre. »

Ce langage ne fit qu'accroître la colère du duc d'Aquitaine. On n'était pourtant pas dans un moment où une telle menace pût être dédaignée. Ses conseillers lui firent sentir les dangers du royaume. Les ambassadeurs de Bourgogne reçurent donc une réponse gracieuse. Le duc d'Aquitaine promit que leur maître aurait satisfaction, pourvu que d'abord il voulût jurer la paix : qu'alors le roi, par son autorité, expliquerait et réglerait toutes choses, de façon qu'il n'eût rien à en souffrir pour son honneur et ses intérêts. Le dauphin, afin que sa promesse fût plus certaine, leur donna même des lettres de créance.

En effet, le royaume se trouvait alors à la veille de la plus terrible guerre. Pendant que le roi était devant Arras, au mois d'août de l'année précédente, les Anglais avaient envoyé une ambassade à Paris. Comme ils voyaient la détresse de la France, et la discorde qui la déchirait, leurs propositions étaient hautaines. Le roi Henri V rappelait ses droits prétendus à la couronne de France ; cependant il consentait à ce qu'elle lui fût seulement assurée par succession : quant au mariage avec madame Catherine, il demandait en dot toutes les provinces cédées autrefois par le traité de Brétigny, et de plus la Normandie : sinon il annonçait qu'il allait faire une rude guerre à la France.

Toute offensante que fût une telle proposition, le duc de Berri, qui pour lors se trouvait seul à Paris, n'en fit pas moins grand accueil aux ambassadeurs, et les combla de présents. Il s'excusa sur l'absence du roi et ne donna point de réponse.

Au mois de janvier, arriva une nouvelle ambassade plus solennelle encore. Elle était formée du duc d'Exeter, oncle du roi, du lord Grey, amiral d'Angleterre, des évêques de Dublin et de Norwich. Leur suite était de plus de six cents chevaux. On leur fit une réception magnifique. Les comtes de Vertus, d'Eu et de Vendôme allèrent au-devant d'eux jusqu'à la porte de la ville, ainsi que le prévôt des marchands et les échevins. Le Temple leur fut assigné pour logement. On leur fit de beaux présents. Ils assistèrent à un brillant tournoi, où le duc d'Aquitaine jouta contre le duc d'Alençon, et le duc de Brabant contre le duc d'Orléans. Enfin leur séjour se passa en fêtes et en festins. Un tel accueil ne rendait pas leur roi moins exigeant, et n'abattait point ses espérances. Au lieu de répondre nettement à de semblables demandes, on se borna à promettre que le roi de France allait envoyer une ambassade à Londres.

Comme elle tardait, le roi d'Angleterre écrivit des lettres pressantes au roi, en demandant toujours madame Catherine aux conditions qu'il avait proposées, et menaçant de la guerre si elles n'étaient point acceptées. Après une prolongation de trêve, l'ambassade de France partit enfin le 27 avril. Elle se composait du plus éloquent prélat du conseil, l'archevêque de Bourges, du comte de Vendôme grand-maître de France, de l'évêque de Lisieux, du baron d'Ivry, du sire de Braquemont et de maître Gontier Col. Le roi d'Angleterre les reçut avec autant de courtoisie, qu'on en avait mis à recevoir ses envoyés. Mais il fut bientôt facile de voir qu'il ne se départirait en rien de ses prétentions.

Tel était l'état des affaires ; cependant le roi était insensé, le dauphin n'écoutait aucun conseil, et ne faisait que sa volonté ; les princes étaient mortellement divisés ; les conseillers passaient d'une partialité à l'autre ; le clergé n'avait plus le courage de dire la vérité ; les grands se haïssaient ; les moyens étaient ruinés par les impôts ; les petits ne trouvaient pas à gagner leur vie ; chacun s'efforçait à saisir la fortune à la volée ; ni nobles ni bourgeois ne pouvaient compter sur leur état. Les traités et les serments n'étaient pas observés ; le peuple obéissait humblement à de faux protecteurs, qui le trompaient et lui faisaient endurer mille maux ; des gens de guerre ravageaient les campagnes, tandis que la noblesse elle-même manquait de courage contre les ennemis ; l'Anglais, qui longtemps avait été plus faible que la France, était devenu menaçant, et semblait assuré de la victoire[119].

Il importait donc de se réconcilier avec le duc de Bourgogne. Guichard, dauphin d'Auvergne, et maître Jean de Vailly, président au parlement, lui furent envoyés en ambassade. Sur leurs assurances, et d'après le rapport de ses propres députés, le Duc convoqua son grand conseil au château de Rouvre, et donna des lettres de ratification, qui furent remises aussitôt aux ambassadeurs du roi. Mais en même temps le Duc déclara, chez un notaire, qu'il donnait cet acte seulement sous la condition que le dauphin tiendrait les promesses qu'il lui avait faites.

Le temps pressait ; les ambassadeurs de France venaient d'arriver d'Angleterre. Les offres qu'ils avaient faites de donner, en dot à madame Catherine, l'énorme somme de huit cent quarante mille écus d'or, quinze villes d'Aquitaine, comprenant sept comtés, et la vaste sénéchaussée de Limoges, avaient été dédaignées. Le roi d'Angleterre avait persisté à dire que si on ne lui accordait point la Normandie et tous les pays cédés par la paix de Brétigny, il aurait recours à l'épée pour ôter au roi de France sa couronne[120]. L'archevêque de Bourges, qui, dans toute sa conduite et ses discours, avait noblement soutenu l'honneur du royaume, s'adressa, avec le respect convenable, au roi d'Angleterre, et lui dit[121] :

« Ô roi ! à quoi penses-tu, de vouloir ainsi débouter le très-chrétien roi des Français, notre sire, le plus noble et le plus excellent des rois chrétiens, du trône d'un si puissant royaume ? Crois-tu qu'il t'ait fait offrir sa fille avec une si grande finance et une partie de sa terre par peur de toi et des Anglais ? Non, en vérité ; mais il était mu par la pitié, par l'amour de la paix ; il ne voulait pas que le sang innocent fût répandu, et que le peuple chrétien fût détruit clans le tourbillon des batailles. Il appellera l'aide de Dieu tout-puissant, de la bienheureuse vierge Marie et de tous les saints. Alors, par ses armes et celles de ses loyaux sujets, vassaux et alliés, tu seras chassé de son royaume et des régions soumises à sa domination, et peut-être y mourras-tu, ou y seras-tu pris. »

Le roi d'Angleterre fit reconduire les ambassadeurs en grande cérémonie, et ils revinrent en France, où, en plein conseil, devant beaucoup de noblesse, de clergé et de peuple, ils racontèrent toute leur ambassade, et conseillèrent de s'apprêter à la guerre, sans se laisser prendre à aucune espérance de paix. Bientôt de nouvelles lettres du roi d'Angleterre, plus hautaines encore que les premières, signifièrent sa volonté de recourir aux armes.

Pour accomplir sa promesse envers le duc de Bourgogne, le dauphin fit expédier des lettres du roi, portant que le Duc ayant fait sa soumission et ses excuses, et juré la paix, le roi rendait à son cousin son amour et sa bonne grâce, qu'il voulait que partout ledit cousin fût tenu et réputé son bon et loyal parent, vassal et sujet, nonobstant les lettres précédentes, où le contraire avait été publié. « Et défendons, continuait le roi, à tous nos sujets quelconques, sous peine d'encourir notre indignation, que, par paroles, prédications, serinons ou autrement, ils ne disent ni fassent aucune chose à la charge ou au déshonneur de notre cousin de Bourgogne. »

D'autres lettres furent aussi expédiées pour réduire le nombre des cinq cents personnes exceptées de l’abolition, à quarante-cinq seulement, dont les noms étaient donnés. C'étaient les sires de Jacqueville et de Mailly, avec les chefs de la faction des bouchers.

Ces lettres furent portées au duc Jean par messire Thibaut de Soissons seigneur de Moreuil et maître de Vailly, président au Parlement[122]. Ils le trouvèrent à Argilly, près de Beaune. C'était un château dans le voisinage d'une grande forêt très-favorable à la chasse. Le Duc, pour se reposer et se distraire de tant de tracas, avait laissé le gouvernement de la Flandre à son fils Philippe, qui y était de plus en plus aimé. Se trouvant dans son duché, dont il était depuis longtemps absent, il avait voulu se livrer tout entier au plaisir de la chasse. Il avait fait dresser, dans un éclairci au milieu des bois, ses tentes et ses pavillons. La duchesse et deux de ses tilles, avec leurs dames et demoiselles, étaient là, ainsi que toute la cour ; on était comme dans un des châteaux ou dans l'une des bonnes villes du Duc. Il y avait une tente pour la chapelle, une autre pour la salle d'apparat, pour la salle de festin. Enfin l'on y menait joyeuse vie ; le Duc chassait du matin au soir, et la nuit il se plaisait encore à entendre bramer les cerfs. Les ambassadeurs reçurent grand accueil au milieu de cette pompe bocagère. On leur dressa une belle tente, et le Duc les mena à la messe avec lui, leur demandant des nouvelles du roi, de la reine, du duc d'Aquitaine et de sa fille ; puis on Massa dans la tente du conseil ; on lut les lettres du roi. Les députés exposèrent aussi plusieurs griefs sur lesquels le conseil du roi demandait des explications au duc de Bourgogne[123].

On voulait : 1°. Que le Duc fit un serment absolu en se désistant de toutes protestations. — Il y consentit, en annonçant toutefois que son intention était encore de requérir le roi et le duc d'Aquitaine que l'abolition fût sans aucune exception.

2°. Qu'il retranchât de la formule du serment, les mots qu'il y avait ajoutés : « Pourvu que semblable serment soit fait par etc. etc. — Il le voulut bien, mais déclara qu'il n'était lié qu'envers ceux qui tiendraient la paix.

3°. Que le roi de Sicile fût compris dans la paix et que nul trouble ne lui fût apporté en raison du passé. — Le Duc répondit qu'il avait grand sujet de se plaindre du roi de Sicile, qui sans cause raisonnable lui avait renvoyé sa fille, et retenait encore l'argent de la dot, la vaisselle et les joyaux. Il avait encore deux autres motifs de plainte qu'il déclarerait en temps et lieu. Cependant il voulait bien renoncer aux voies de fait, pourvu que le roi lui fît rendre justice sur les points indiqués dans l'espace de six mois, sommairement, et sans formalité de jugement. Autrement il l'obtiendrait comme bon lui semblera.

4°. Que le duc de Bar ne fût nullement inquiété pour avoir fait mettre en liberté les ambassadeurs du roi que des gens d'armes du duc de Bourgogne avaient arrêtés lorsqu'ils revenaient du concile', ni pour avoir démoli le château de Sancy. — Le Duc protesta que son intention n'avait, jamais été de faire pour ce motif aucun tort au duc de Bar.

5°. Qu'il mît hors de ses mains et rendît les terres, revenus et rentes des sires de Made, de Tonnerre, de Roussy, de Gaucourt et autres. — Le Duc répliqua qu'il avait saisi les terres de ses dits vassaux parce qu'ils avaient enfreint la paix de Pontoise, mais qu'il consentait à les leur remettre, si les autres seigneurs en faisaient autant dans leurs seigneuries et rendaient tout ce qu'ils avaient saisi.

6°. Qu'il éloignât et mît hors de sa compagnie, de ses terres et de ses pays, ceux qui étaient exceptés de la dernière amnistie. — Il promit de les éloigner des domaines qu'il avait dans le royaume.

7°. Qu'il rendît les canons laissés au siège d'Arras. — Il y consentit.

8°. Qu'il délivrât les prisonniers. — Il répondit qu'il le ferait par pure obéissance au roi, bien qu'il lui fût cruel de délivrer maître Henry de Béthisy, dont il avait fort à se plaindre ; mais il demanda aussi que le vicomte de Murat, tenu en prison-par le comte d'Armagnac, fût délivré ainsi que les autres.

9°. Qu'il fit sortir de Bourgogne les hommes d'armes étrangers — Il l'accorda.

10°. Qu'il consentit que les aides mises dernièrement sur le royaume, pour résister aux Anglais, fussent levées dans ses terres et pays, comme à la coutume. — Il répliqua que son pays d'Artois était frontière : qu'il allait être obligé d'y avoir des gens d'armes en grand nombre, pour en défendre l'entrée : qu'en outre, la contrée avait été cruellement foulée par l'année, l'année d'auparavant : qu'il faudrait munir et réparer les bonnes villes : qu'ainsi il suppliait le roi de se désister desdites aides et de les lui laisser.

11°. Qu'il voulût bien ordonner, par lettres patentes, la levée d'un décime, que le clergé de France et de Dauphiné avait déjà consenti. — Il remarqua que cela concernait l'Église, et qu'il n'y mettrait nul empêchement.

12°. Qu'il portât empêchement au sire de Jacqueville, qui venait de défier à feu et à sang les villes de Sens, Villeneuve-le-Roi et autres. — Il répondit que cela c'était fait à son insu, et que ledit Jacqueville écrirait aux villes pour retirer ces lettres de défi.

Après ces réponses aux demandes des ambassadeurs, le Duc leur remit aussi ses requêtes au roi.

Il voulait : 1°. Que les quarante-cinq personnes exceptées de l'abolition fussent admises à en jouir, ou du moins réduites-au nombre de sept, comme on l'avait promis à Arras.

2°. Que le roi fît mettre au néant tous les procès suivis' devant le parlement ou devant l'Église, et délivrât les prisonniers retenus en divers lieux, notamment dans les prisons de l'évêque de Paris et de l'archevêque de Sens.

3°. Enfin, que le roi fit rendre les biens qu'il avait fait saisir.

Nonobstant ces réserves, le Duc consentit à jurer la paix. Il se rendit à la chapelle avec les ambassadeurs ; après la messe chantée, il s'avança vers l'autel, et, en leur présence, jura, sur le bois de la vraie croix, les articles du traité, puis en fit délivrer des lettres authentiques. Ce devoir accompli, les ambassadeurs se rendirent dans la tente du festin ; pour leur faire honneur, les veneurs du Duc vinrent forcer un cerf tout près de lit, dans un étang, au bord duquel la tente était dressée. Après ce divertissement, on fit de belles promenades dans la forêt et l'on soupa sous une feuillée.

Mais ces ambassadeurs avaient à traiter, avec le Duc, une affaire plus importante encore, pour laquelle un premier message lui avait été envoyé quelques jours auparavant. Le roi d'Angleterre avait peu tardé à accomplir ses menaces. Le 14 août, il était descendu avec une armée redoutable, à l'embouchure de la Seine, entre Honfleur et Harfleur. Il eût été facile de s'opposer à ce débarquement. Il aurait suffi d'assembler les marins et les gens des communes de la côte. Ils avaient l'habitude de combattre, et avaient eu souvent l'occasion de repousser ces anciens ennemis du royaume. Mais le peuple se fia sur la noblesse et les hommes d'armes. Le connétable était à Rouen ; il avait avec lui un bon nombre de troupes. Chacun s'attendait qu'il allait donner les ordres nécessaires ; il n'en donna aucun et défendit même de rien tenter contre les Anglais ; ainsi ils eurent tout loisir pour se bien établir sur la' côte, .et commencer le siège de Harfleur. Alors l'alarme commença à se répandre, et il n'y eut qu'un cri contre le connétable d'Albret[124]. Les bourgeois disaient qu'il avait été gagné eu Angleterre, lors de sa dernière ambassade ; beaucoup de seigneurs le pensaient de même, et le jeune bâtard de Bourbon s'emporta même au point de l'appeler traître dans un conseil. Les gens mieux instruits et plus calmes, croyaient seulement qu'il avait été aveuglé par trop de présomption.

Maintenant il fallait secourir Harfleur, et chasser les Anglais du royaume. Rien n'était préparé ; les hommes d'armes n'étaient point réunis, à peine étaient-ils mandés ; on manquait encore bien plus d'argent ; tout le trésor du roi s'était dissipé en vaines prodigalités. On établit à la hâte une taille sur les communes et un décime surie clergé. Comme on était pressé, ces impôts se percevaient avec une rigueur inconcevable, en y employant des gens de guerre. On vendait les meubles, on pillait les maisons ; les hommes étaient traînés en prison ; les prêtres de la campagne eux-mêmes étaient obligés de se retirer dans les villes, emportant les orne-mens de l'église, qu'on ne respectait pas plus que les meubles des paysans. « Que feraient de plus les Anglais ? » disait le pauvre peuple.

Parmi tant de maux, et la crainte de maux plus grands encore, les discordes des princes redoublaient les embarras du royaume. On prit la résolution de leur demander d'envoyer leurs hommes n'armes, mais en leur défendant de venir en personne. Le duc de Bourgogne se plaignit amèrement aux ambassadeurs de cet affront ; il promit cependant d'envoyer à Rouen cinq cents hommes d'armes, trois cents hommes de trait, et même davantage sous les ordres de son fils le comte de Charolais. Il se réserva d'écrire au roi touchant la défense qui lui était faite. Ses lettres furent du 24 septembre.

« Mon très-redouté seigneur, pour la conservation de la couronne de France, dont vous êtes seigneur, et que Dieu veuille maintenir dans la vertueuse prospérité où elle fut autrefois, l'Etat des nobles est, parmi les autres Etats, tenu par serment de vous servir loyalement, sans épargner leur corps ni leur bien. Parmi cette noblesse sont ducs, comtes, barons et autres de grande vertu, qui tous sont tenus, chacun selon son droit, de garder fidélité envers vous leur souverain seigneur ; et si quelqu'un parmi eux vous est plus prochain par le sang, et tient de vous de plus notables seigneuries, il est d'autant plus astreint à avoir l'œil à la conservation et augmentation de votre état. A bien dire, en cas de nécessité et de péril éminent, nul ne devrait attendre d'être mandé, chacun devrait de lui-même, à moins d'ordres contraires, obvier aux périls qui peuvent advenir des trop longs retards en temps de guerre. Ainsi le firent certains étrangers dans une cité, comme on le lit dans les histoires antiques ; bien qu'on leur eût défendu, sons peine de mort, de monter sur les murs de la cité, néanmoins, quand ils virent que la ville se perdait s'ils ne mettaient la main à la besogne, ils montèrent sur les murs malgré la défense, et sauvèrent la cité, dont ils furent grandement loués. De même, dans la sainte écriture, on voit la louange d'un certain Éthéï, à qui le roi David commanda de s'en aller, parce qu'il était étranger. Lors Éthéï jura qu'en quelque lieu que serait le roi David, il serait son serviteur ; et il n'est point blâmé, dans la sainte écriture, d'avoir manqué à la défense du roi, mais au contraire prisé et honoré.

« Ainsi donc si lui, qui était étranger, est loué, à plus forte raison celui qui est sujet et parent du roi, en allant à votre service contre votre défense, ne devrait être ni repris ni blâmé. Celui qui, par prudence, laisserait passer le temps, selon mon jugement mériterait blâme et déshonneur. Chacun voit bien que, selon la leçon de nature et l'ordonnance divine, si le chef du corps humain est assailli, tantôt les membres du corps se lèvent et se mettent au-devant pour sa défense. Je ne fais donc point de doute que si vous négligez d'appeler lesdits ducs et comtes ou autres de vos proches, ce ne soit les accuser de ne point mériter qu'on se fie à eux.

« Or, il est venu à ma connaissance, que par vos lettres-patentes du 23 août, vous avez signifié à vos baillifs et sénéchaux, que votre adversaire d'Angleterre est descendu dans votre royaume, et a mis le siège devant votre ville d'Harfleur, qui est la clef du pays de Normandie : et que pour résister à l'entreprise de votre adversaire, préserver, garder et défendre votre royaume, vous avez envoyé monseigneur d'Aquitaine, votre fils aîné, comme votre lieutenant et capitaine général, et vous leur avez mandé de faire, de votre part, commandement, tant par publications que par cris dans les lieux accoutumés pour crier, à tous les nobles et gens qui ont droit de s'armer, de venir, toute excuse cessant, en personne, et accompagnés le plus qu'ils pourront de gens d'armes montés et armés suffisamment, le plus hâtivement possible à Rouen, par devers monseigneur d'Aquitaine.

« Et, toutefois, mon très-cher seigneur, bien que je sois votre très-humble proche parent, vassal, sujet, chevalier, baron, comte, duc, deux fois pair de France, doyen des pairs : ce qui est, après la couronne, la première prérogative, noblesse et dignité, attachées à une seigneurie : bien qu'en outre vous m'ayez fait tant d'honneur que je suis beau-père de votre fils aîné, et de madame Michelle votre fille, qui a épousé mon fils et héritier unique, ce qui me rend plus obligé à vous qu'aucun de vos sujets ; néanmoins vous ne m'avez rien fait savoir à ce sujet, excepté que depuis peu, vous m'avez mandé par messire Jean Pioche, chevalier et maitre d'hôtel de monseigneur votre fils, que j'aye à vous envoyer cinq cents hommes d'armes, et trois cents de trait ; et que vous ne voulez pas que j'y vienne en personne, non plus que mon cousin d'Orléans ; parce que la paix que vous avez faite entre nous, est encore bien nouvelle.

« Ainsi l'on me fait descendre de mon premier rang de pairie, et il s'ensuit diminution de mon autorité ; on me veut, sous couleur bien légère, me priver du service auquel je suis obligé par mon honneur que je veux garder plus que Chose sur la terre. Il semble qu'on ne doive pas avoir confiance en moi. Laquelle chose m'est et doit être douloureuse et déplaisante, tant à cause de nies obligations, que parce qu'au temps passé, je me suis employé le plus loyalement que j'ai pu à votre service, accompagné de nobles, chevaliers et écuyers, qui connaissent ma bonne intention, et dont vous pouvez, grâce à Dieu, être bien servi en ma compagnie. Nonobstant cela, je plains les dommages qu'on fait à vous et votre royaume. Je plains la petite résistance qui y est mise ; je plains les grands inconvénients qui s'ensuivront, si l'on n'y apporte prompt remède.

« Je considère en outre, que je veux et dois aussi bien garder une paix nouvelle, que si elle était ancienne de cent ans et plus ; et que tant plus elle est fraîche et nouvelle, tant plus chacun doit avoir bonne mémoire de la bien garder, et ne la point enfreindre. On ne doit donc pas imaginer que mon cousin d'Orléans, ni moi, ni autre quelconque, voulussions faire une si grande faute envers Dieu, envers votre majesté, divers votre royaume, et cela à la confusion et désolation de nous-mêmes, qui, par votre félicité, sommes en voye de toute prospérité, et par votre adversité en voye d'être abaissés et déchus. Tout bon esprit doit avoir la pensée, dans un tel moment, si périlleux pour vous et pour votre royaume, que lors même que vos sujets ne seraient pas en paix, on devrait loyalement faire son devoir envers vous, se garder du péché de félonie, s'abstenir de guerre privée, et venir d'un commun accord à la défense et au soutien de vous et de votre royaume. Quant à moi, je pense que nous le ferions ainsi, même quand nous ne serions pas dans les termes où nous sommes, grâce à Dieu et à votre bonne ordonnance.

« En outre, il ne faut pas douter que, vu la grandeur de l'entreprise faite contre vous, la demande que vous me faites ne soit trop petite.

« Tout ceci considéré, chacun peut assez savoir que je ne dois pas laisser perdre ce royaume ; mais que je dois employer ma loyauté sans avoir égard à ce qu'aucuns vous pourraient dire de contraire. Sur ce, qu'il vous plaise, mon très-redouté seigneur, de m'envoyer réponse par le porteur des présentes ; car, en vertu des obligations susdites, je suis contraint à votre salut et à celui de votre royaume, dont mon état dépend. Je tiens que les autres nobles feront ce qui leur appartient ; quant à moi, s'il plaît à Dieu, je ne laisserai pas de faire toujours mon devoir, en observant mes droits de doyen des pairs de France, pour obtenir la fin désirée et glorieuse que vous voulez avoir contre votre adversaire. Le Tout-Puissant m'en est témoin, et je le prie qu'il vous ait en sa sainte garde, et vous donne bonne et longue vie, en toute unité et paix. Écrit à Argilly, etc., etc. »

Le même jour, les nobles du duché et de la comté de Bourgogne, que le Duc avait assemblés à Argilly, écrivirent au roi des lettres, pour se plaindre de l'offense faite à leur seigneur. « Nous nous donnons grande merveille, disaient-ils, qu'on ait tant tardé à signifier votre mandement à notre redouté et naturel seigneur, attendu que plusieurs fois, et en vos grandes affaires, il nous a menés à votre service, et l'avons toujours vu autant et plus soigneux de vos besognes que des siennes propres. Nous l'avons su et connu, savons et connaissons très-loyal envers votre seigneurie. D'autre part, il est tenu à vous par le sang, les alliances et l'hommage. Il peut fournir une très-noble compagnie de chevaliers et d'écuyers, et d'autres gens de trait et de guerre de votre royaume et d'ailleurs, dont vous pouvez être grandement et loyalement servi ; sans eux votre affaire pourra tourner à grand danger, dommage et désolation, ce que Dieu ne veuille, surtout lorsque nous considérons le grand appareil et la puissante armée amenée contre vous. Nous avons en mémoire qu'au temps des ducs, ses prédécesseurs, et aussi de notre temps, leur coutume et la nôtre a toujours été de vous servir loyalement en la compagnie et sous notre seigneur de Bourgogne ; il nous serait bien dur de faire autrement et de changer notre coutume, lorsque nous sommes tous assurés de la loyauté de notredit seigneur. Ainsi, nous vous supplions qu'il vous plaise songer au bien et à l'honneur de votre royaume, et à l'honneur de notre seigneur naturel ; car il nous semble, comme à bien d'autres, qu'il est grand besoin que tous vos bons amis et sujets mettent la main à la besogne, comme lui et nous en sa compagnie avons intention de le faire. »

Ces difficultés retardaient des préparatifs qui déjà étaient loin d'avoir été faits à temps[125]. Ce fut le 10 septembre seulement qu'on mena le roi prendre l’oriflamme à Saint-Denis, et qu'il se mit en route pour la Normandie. Déjà Harfleur était pressé par les Anglais ; les faubourgs avaient été brûlés ; les machines de guerre jetaient des pierres énormes ; les vivres manquaient ; la mortalité ravageait la ville[126]. Les sires d'Estouteville, de Gaucourt, de Bacqueville et d'autres vaillants chevaliers Se défendaient avec un grand courage. Leur espoir était soutenu, en apprenant que le roi et le duc d'Aquitaine s'avançaient à la tête d'une armée. Quelques-uns d'entre eux allèrent trouver ce prince à Vernon, et le conjurèrent de hâter sa marche pour les secourir ; mais il n'y avait que désordre parmi les seigneurs et les hommes d'armes qui commençaient à arriver. On ne leur promit rien ; quelques chevaliers seulement se montrèrent avec des forces insuffisantes devant le camp des Anglais[127]. Alors une partie de la garnison songea à traiter et à se rendre ; la discorde se mit entre les chevaliers et dans la ville. Le sire de Gaucourt conclut une trêve, en promettant que l'on ouvrirait les portes, si l'on n'était pas secouru dans l'espace de quatre jours. L'évêque de Norfolk, revêtu de ses habits pontificaux, entra en procession dans la ville, avec trente-deux chapelains et autant d'écuyers portant des cierges. Il reçut le serment des otages que la ville donnait pour l'accomplissement du traité, et les emmena avec lui. Chemin faisant, en passant par les rues, l'évêque disait aux bonnes gens de la ville : « N'ayez pas peur ; on ne vous fera point de mal ; le roi d'Angleterre ne veut pas abîmer son pays ; on ne vous fera pas comme on a fait à Soissons ; nous sommes de bons chrétiens[128]. »

Quand le jour fut arrivé, les uns voulaient tenir le traité, et d'autres non ; de sorte que les Anglais furent obligés de donner l'assaut. On leur ouvrait d'un côté, pendant qu'on se défendait de l'autre. La ville, malgré les promesses des Anglais, fut cruellement traitée ; les chevaliers et hommes d'armes furent emmenés prisonniers où envoyés sur parole à Calais pour être mis à rançon[129]. On prit aussi quelques riches bourgeois pour en tirer de l'argent. Quant au gros du peuple, on ordonna que chacun sortît de la ville, en emportant tout ce qu'il pourrait sans charrette ni fardeau ; puis on promit le pillage aux soldats, en leur enjoignant toutefois de ne toucher ni aux femmes, ni aux prêtres. Toute cette foule désolée s'en alla jusqu'à Rouen, abandonnant ses foyers.

 

 

 



[1] Hollinshed.

[2] Le Religieux de Saint-Denis.

[3] Monstrelet.

[4] Le Religieux de Saint-Denis. — Monstrelet.

[5] Juvénal.

[6] Journal de Paris. — Le Religieux de Saint-Denis.

[7] Journal de Paris.

[8] Rapport au Parlement par le premier président.

[9] Registres du Parlement.

[10] Le Religieux de Saint-Denis. — Monstrelet.

[11] Le Religieux de Saint-Denis.

[12] Le Religieux de Saint-Denis.

[13] Monstrelet.

[14] Monstrelet.

[15] Pièces de l'Histoire de Bourgogne.

[16] Chroniques de France.

[17] Juvénal. — Monstrelet.

[18] Histoire Généalogique.

[19] Journal de Paris.

[20] Le Religieux de Saint-Denis.

[21] Juvénal.

[22] Registres du Parlement.

[23] Monstrelet. — Le Religieux de Saint-Denis.

[24] Chroniques de France. — Juvénal. — Gollut.

[25] Arrêté du 18 juillet 1413.

[26] Le Religieux de Saint-Denis. — Juvénal. — Journal de Paris.

[27] Chronique, n. 10297.

[28] Mezeray. — Fabert.

[29] Le Religieux de Saint-Denis. — Juvénal.

[30] Le Religieux de Saint-Denis.

[31] Le Religieux de Saint-Denis. — Juvénal.

[32] Le Religieux de Saint-Denis. — Registres du Parlement.

[33] Lettres du roi du 9 mai.

[34] Le Religieux de Saint-Denis.

[35] Journal de Paris.

[36] Juvénal.

[37] Juvénal.

[38] Le Religieux de Saint-Denis.

[39] Journal de Paris.

[40] Juvénal. — Le Religieux de Saint-Denis. — Pasquier. — Saint-Remy.

[41] Le Religieux de Saint-Denis.

[42] Monstrelet.

[43] Juvénal. — Saint-Remy.

[44] Le Religieux de Saint-Denis.

[45] Le Religieux de Saint-Denis.

[46] Le Religieux de Saint-Denis. — Juvénal.

[47] Monstrelet.

[48] Le Religieux de Saint-Denis. — Juvénal.

[49] Le Religieux de Saint-Denis.

[50] Juvénal.

[51] Le Religieux de Saint-Denis.

[52] Registres du Parlement.

[53] Juvénal. — Le Religieux de Saint-Denis.

[54] Lettres du roi du 2 août 1413.

[55] Registres du Parlement, du 4 août 1413.

[56] Journal de Paris.

[57] Juvénal. — Le Religieux de Saint-Denis. — Registres du Parlement.

[58] Juvénal. — Le Religieux de Saint-Denis. — Registres du Parlement.

[59] Le Religieux de Saint-Denis.

[60] Juvénal.

[61] Le Religieux de Saint-Denis.

[62] Histoire de Bourgogne.

[63] Juvénal.

[64] Lettre du chancelier de Bourgogne à la duchesse, 23 août.

[65] Gollut.

[66] Juvénal.

[67] Le Religieux de Saint-Denis. — Juvénal. — Registres du Parlement.

[68] Pasquier.

[69] Journal de Paris.

[70] Monstrelet.

[71] Histoire de Bourgogne.

[72] Le Religieux de Saint-Denis. — Monstrelet. — Gollut. — Saint-Remy.

[73] Monstrelet. — Saint-Remy.

[74] Lettres du roi du 31 août 1415.

[75] Monstrelet. — Histoire de Bourgogne.

[76] Monstrelet. — Histoire de Bourgogne.

[77] Monstrelet.

[78] Monstrelet.

[79] Le Religieux de Saint-Denis. — Saint-Remy.

[80] Lettre du 24 janvier dans Juvénal.

[81] Monstrelet. — Saint-Remy. — Le Religieux de Saint-Denis.

[82] Monstrelet.

[83] Monstrelet. — Journal de Paris.

[84] Journal de Paris. — Le Religieux de Saint-Denis. — Monstrelet. — Registres du Parlement.

[85] Juvénal.

[86] Monstrelet.

[87] Traité du 6 juin. — Histoire de Bourgogne.

[88] Monstrelet.

[89] Traité du 24 main 1414. — Histoire de Bourgogne.

[90] Histoire de Bourgogne.

[91] Ordonnances.

[92] Saint-Remy. — Monstrelet. — Fenin.

[93] Juvénal. — Le Religieux de Saint-Denis.

[94] Le Religieux de Saint-Denis.

[95] Monstrelet. — Le Religieux de Saint-Denis.

[96] Gollut.

[97] Saint-Remy.

[98] Juvénal. — Le Religieux de Saint-Denis.

[99] Juvénal.

[100] Monstrelet.

[101] Monstrelet.

[102] Le Religieux de Saint-Denis.

[103] Lettres du duc de Bourgogne du 16 octobre.

[104] Monstrelet. — Juvénal. — Le Religieux de Saint-Denis.

[105] Monstrelet.

[106] Juvénal.

[107] Le Religieux de Saint-Denis.

[108] Chronique, n° 10297.

[109] Journal de Paris.

[110] Monstrelet. — Chronique n° 2029.

[111] Monstrelet.

[112] Monstrelet. — Le Religieux de Saint-Denis. — Lettres du roi.

[113] Le Religieux de Saint-Denis.

[114] Pièces de la Chambre des comptes de Dijon.

[115] Monstrelet.

[116] Monstrelet. — Chronique n° 10297. — Journal de Paris.

[117] Monstrelet. — Gollut.

[118] Monstrelet.

[119] Vers insérés dans le registre du Parlement. — Journal de Paris.

[120] Hollinshed.

[121] Monstrelet.

[122] Saint-Remy.

[123] Juvénal.

[124] Le Religieux de Saint-Denis.

[125] Le Religieux de Saint-Denis.

[126] Factum manuscrit du sire de Gaucourt contre le sire d'Estouteville, bibliothèque du roi.

[127] Saint-Remy.

[128] Juvénal.

[129] Factum du sire de Gaucourt.