LE RHIN DANS L'HISTOIRE

LES FRANCS DE L'EST : FRANÇAIS ET ALLEMANDS

 

CHAPITRE VI. — DEPUIS FRANÇOIS Ier JUSQU'AU TRAITÉ DE WESTPHALIE.

 

 

I

FRANÇOIS Ier CANDIDAT À L'EMPIRE. - CHARLES-QUINT.

 

La candidature de François Ier à la couronne impériale, après la mort de Maximilien, en janvier 1519, pouvait donner à la question rhénane une tournure nouvelle et inattendue. Si le roi de France eût été élu, il en fût résulté une véritable reconstitution de l'empire de Charlemagne, le rêve obstiné de nos rois, à travers tout le moyen âge. L'Italie où François venait de reconquérir le Milanais ; les Cantons suisses avec lesquels il avait conclu la Paix perpétuelle ; la Bourgogne, les Pays-Bas, tout le pays rhénan fut passé sans secousse sous la suzeraineté du roi de France. Qui pourrait pronostiquer ce qu'il fût advenu de l'Europe, dans le cas où une pareille éventualité se fût produite ? François Ier, qui avait au plus haut degré le sentiment de la grandeur de la France, était-il bien l'homme qu'il eût fallu pour remplir ce rôle de suzerain de l'Europe occidentale ? Il était jeune, brave, d'une prestance superbe, de caractère et de tempérament chevaleresques, ami des lettres et des arts, mais politique souvent peu avisé. Son concurrent, l'archiduc Charles d'Autriche, gouverneur des Pays-Bas, l'emportait sur lui sous ce dernier rapport. Mais, ce n'était pas seulement pour François Ier une affaire d'ambition personnelle : on prévoyait que l'élection de son rival entraînerait la guerre ; il en sortit, en effet, une lutte trois fois séculaire de la France contre la maison d'Autriche. François mit tout en œuvre pour réussir et capter les suffrages des Électeurs. Dès le mois de novembre 1516, on vit arriver au château d'Amboise, un aventurier comme l'Allemagne chaotique en suscita un si grand nombre à cette époque, Franz de Sickingen. Il était fils d'un grand-maître de la cour de l'Électeur palatin, qui, compromis dans une conspiration, avait été décapité. Bien qu'alors l'Empereur ne fût point malade, Sickingen venait tout bonnement vendre ses services à François Ier pour lui assurer la couronne impériale dès que Maximilien serait décédé. Il fallait préparer le terrain. Sickingen s'était taillé, dans les années précédentes une réputation à coups d'épée, étant en rébellion ouverte contre l'empereur ; il avait mis à feu et à sang les environs de Worms, et fait pendre une partie des habitants. Le hobereau de Landstuhl avait eu l'audace de déclarer la guerre à l'Électeur de Mayence et au landgrave de Hesse.

François Ier accepta ses propositions : moyennant ce, icelluy seigneur François lui promist donner grosse pension par chascun an[1].

Grâce à ces subsides, à ce que lui procuraient ses rapines et à ses compromissions de divers côtés, car il recevait de toutes mains, Sickingen entretenait sur le pied de guerre une armée de 15.000 hommes, munie d'une nombreuse artillerie. Cet état de choses, dans le pays rhénan, rappelait le temps des grandes Compagnies et des Écorcheurs, voire les incursions des bandes germaines du temps des Romains.

Le roi François ne s'en tint pas là. Il fit sonder les sept Électeurs : les archevêques de Trèves, Mayence et Cologne ; le duc de Saxe, le roi de Bohême, le margrave de Brandebourg, le Palatin du Rhin. Les historiens modernes se sont complu à mettre en relief à la fois l'immoralité des procédés et le grossier cynisme de ces féodaux qui sont au plus offrant et ne s'en cachent point. C'est la plus écœurante surenchère électorale de l'histoire.

Gagnés par des libéralités, des pensions, des promesses flatteuses, dès 1517, l'archevêque de Mayence et son frère le margrave Joachim de Brandebourg, promirent à François Ier de voter pour lui ; l'archevêque de Trèves et le Palatin du Rhin paraissaient non moins bien disposés.

Mais il importait aussi de flatter la noblesse allemande et de créer un courant d'opinion qui pût lever non point, certes, les scrupules, mais les hésitations des Électeurs et entraîner ou même forcer leur vote. Les libéralités de François n'allaient pas seulement aux Électeurs, elles pleuvaient sur leurs vassaux ou sur les chefs de bandes qui faisaient l'opinion, si bien que sur les routes d'Allemagne, cheminaient avec leur escorte, des troupes de mulets lourdement chargés des écus de France, partout bien reçus et bien hébergés.

Charles n'ignorait rien de ces intrigues qu'il trouvait si peu scandaleuses qu'il en faisait tout autant, sinon davantage. Son père, l'empereur Maximilien, dont on se dispute ainsi la succession à sa barbe, lui écrit en insistant sur la nécessité de ne pas se borner à des promesses et de payer argent comptant, comme son compétiteur[2]. Et Charles réussit effectivement, dès 1518, à amener à lui, moyennant l'énorme somme de 525.000 écus d'or, les Électeurs de Cologne, de Brandebourg, de Bohême et le Palatin. Ce dernier toucha 110.000 florins.

Ce fut bien autre chose lorsque Maximilien fut décédé. Les agents de François Ier ayant l'ordre d'y aller à mains pleines, visitèrent les Électeurs, promirent tout ce qu'on leur demanda. Le Palatin fit semblant d'être ramené à la cause française ; le margrave de Brandebourg fut soullé d'or et de promesses. Il reçut une pension viagère de 40.000 thalers, et son fils, une de 20.000 ; il devait épouser Renée de France, avec une dot de 200.000 thalers et avoir le titre de lieutenant général du Roi en Allemagne ; l'archevêque de Mayence, son frère, obtenait un don de 120.000 florins, une annuité de 10.000[3]. Mais en même temps, Joachim recevait de Charles 130.000 florins. Et dire que dans l'histoire de la Maison de Brandebourg, le marquis Joachim est surnommé le Nestor de la famille, à cause des conseils de sagesse et d'habileté prudente qu'il donnait aux siens !

Malgré tout, Charles ralliait à lui l'opinion dans le clergé allemand et chez les barons féodaux, en faisant valoir que son rival François était un Français, tandis que lui, Charles, avait du sang allemand dans les veines. S'il n'estoit, disait-il, de la vraye rasse et origine de la nation germanique, il n'aspirerait pas à l'empire, mais les Électeurs connaissent assez que le vray estoc (origine) et premier fleuron de sa noblesse vient de la Maison d'Austrice, dont à présent il est vray successeur et héritier[4].

En France même, bien des conseillers du Roi n'étaient guère partisans de sa candidature ; tous reconnaissent bien la nécessité d'éviter, à tout prix, l'élection de Charles qui eût occasionné la guerre, mais ils disaient que la seule chose importante, c'était d'empêcher Charles d'être élu, et qu'on y parviendrait plus sûrement en soutenant la candidature d'un autre prince allemand.

D'aucuns, parmi les partisans de Charles, affectaient de se montrer scandalisés de l'ignominie des Electeurs qui, sans pudeur, étaient au plus offrant, passaient de l'un à l'autre, touchaient des deux mains. Ils disaient, résignés : Puisqu'on y est, il faut passer oultre et non regarder à leur honte[5]. Malheureusement pour François Ier, plusieurs de ceux qui se disaient ses partisans étaient plutôt compromettants pour sa cause et indisposaient l'opinion. Le chef de bandes Sickingen vint, sans prétexte, mettre le siège sous les murs de Metz ; il en ravagea les environs et il ne consentit à s'éloigner, en 1518, qu'après que les Messins lui eurent payé une rançon de 25.000 florins d'or. Il partit ensuite en guerre contre le landgrave de Hesse auquel il extorqua, de la même façon, une lourde contribution. François Ier, enfin averti, se sépara du redoutable condottière, mais trop tard et juste au moment où, peut-être, il eût fallu le garder, puisqu'on y était. Maximilien fut trop heureux, alors, d'accepter les offres de service de Sickingen ; il le flatta par des honneurs et lui confia le commandement d'une armée régulière qui envahit le Wurtemberg révolté. Au dernier moment, les Électeurs, sous la pression de l'opinion allemande, se déclarèrent pour Charles. Lors de la réunion de la Diète électorale, raconte Henri Lemonnier, le maréchal de Bonivet, qui avait posté 800 hommes d'armes vers la frontière, se rendit en habit dissimulé et sous un faux nom, à Rudesheim, à proximité de Francfort, pour essayer de maintenir dans leur devoir les Électeurs qui avaient pris des engagements envers le roi de France[6]. Mais Sickingen, de son côté, était venu camper aussi, avec une armée beaucoup plus nombreuse, auprès de Francfort et sa présence ne fut pas pour rien dans le succès de Charles-Quint. C'est probablement pour remercier Sickingen de ses bons offices, que Charles-Quint lui fit cadeau d'un magnifique coffret en argent ciselé, qui, à la suite de je ne sais quelles aventures, échoua, à l'époque de la Révolution, au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale où il est encore.

L'élection de Charles-Quint, le 28 juin 1519, rendit inévitable la guerre entre la France et l'Empire et rouvrit la question rhénane, dont le différend de Flandre et de Bourgogne n'est que l'une des phases. Charles-Quint revendiquait toutes les provinces de l'héritage de Charles le Téméraire, presque un cinquième de la France. Il régnait déjà sur l'Allemagne et l'Autriche, l'Espagne, Naples et la Sicile, la Rhénanie, les Pays-Bas et la Belgique.

En vertu de son titre impérial, il eut l'ambition d'être le chef de la Chrétienté dans le monde entier, puisque l'Amérique venait d'être découverte. Le soleil ne se couchait point sur ses États. Quod in colis sol, in terra Cæsar est : Ce que le soleil est dans les cieux, César l'est sur la terre, dit une de ses médailles.

Mais il était loin d'avoir des ressources financières en rapport avec son vaste empire et avec ces prétentions à l'hégémonie universelle. Les pays qui relèvent de lui sont dispersés, incohérents, étrangers sinon hostiles les uns aux autres. Il fut obligé lui-même, dès 1521, de confier à son frère Ferdinand, avec le titre de roi des Romains, tous les domaines autrichiens. Les villes rhénanes et flamandes sont jalouses de leur indépendance souveraine. Les troubles du protestantisme naissant sont aussi, dans l'Empire, un grand élément de faiblesse. A cette époque, en Allemagne et dans le pays rhénan, les appétits féodaux, les convoitises des burgraves, les brigandages des chevaliers errants, comme Sickingen, redresseurs de torts par l'incendie, le pillage et l'assassinat, sont surexcités sous la poussée des dissensions religieuses. Quiconque croit avoir à gagner quelque chose au désordre et convoite des biens d'Église, abrite ses turpitudes sous le manteau de la Réforme. Tous les grands seigneurs se font ainsi protestants, comme tous les moines que gêne la règle du couvent. L'Allemagne se désagrège socialement et redevient, comme aux IXe et Xe siècles,  le théâtre de guerres privées, atroces, monstrueuses.

L'empereur se fait le champion de la foi, l'adversaire aussi implacable que maladroit de l'hérésie. En Alsace, en 1525, par la répression cruelle de l'insurrection des Paysans, il arrête, mais pour un instant et en apparence, le mouvement réformateur dans les campagnes. Strasbourg se fait en grande partie protestante, ce qui la désaffectionne des Habsbourg, plus encore qu'auparavant.

Au début de 1531, la fameuse ligue de Smalkalde ayant fait du parti luthérien un véritable État souverain, François Ier s'empresse de conclure avec elle un pacte pour la défense de la liberté germanique. Ses émissaires parcourent le Palatinat et toute la région rhénane. En Suisse, le roi favorise aussi les protestants. La politique de François Ier en Allemagne n'a rien de confessionnel : elle est exclusivement inspirée par les nécessités de la lutte contre Charles-Quint. Comme l'observera l'ambassadeur vénitien, en 1535, Sa Majesté conserve une amitié plus étroite que jamais avec tous les princes luthériens, pour un seul motif, celui de soutenir les ennemis de César[7].

Lorsque François Ier, prisonnier après la journée de Pavie, est contraint, en 1526, de signer le traité de sa délivrance, Charles-Quint y inscrit, au premier article, la restitution de la Bourgogne. Mais François est bien résolu à ne pas observer un arrangement qui, ainsi extorqué, est immoral et, sur ce point, toute l'opinion est avec lui. A Cognac, en mai 1526, il reçoit des députés de la Bourgogne qui déclarent que l'engagement pris envers Charles-Quint est nul, puisque le serment prêté par les Rois de France au moment de leur sacre, leur interdit d'aliéner aucune partie du domaine. Ils proclament leur ferme volonté de rester Française[8].

Après bien des luttes et des chicanes, le traité de Cambrai, du mois d'août 1529, laissait à la France la Bourgogne et ses dépendances, ainsi que Péronne, Montdidier, les villes de la Somme, les comtés de Boulogne, de Guines et de Ponthieu ; mais François Ier cède, restitue ou abandonne Hesdin, Lille, Douai, Orchies, Tournai, Saint-Amand, et renonce à toute souveraineté sur la Flandre et l'Artois. Il donne à Marguerite et à l'Empereur, pour leur vie durant, le comté de Charolais[9].

Mais ce traité ne fut et ne pouvait être qu'une trêve, car il était loin de faire le compte de la France. Le roi, fidèle à sa politique, cherche tout de suite, comme auparavant, à se mêler, pour en tirer profit, aux troubles religieux de l'Allemagne qui, dit un contemporain, ne fut jamais, de la vie des vivants, en telle agitation qu'elle est[10]. François Ier soudoie les princes protestants, attise le feu de la guerre civile allumée en Westphalie par les anabaptistes. En même temps, il se prépare à la guerre, lève des troupes, demande des lansquenets à ses alliés d'Allemagne : Guillaume de Furstemberg et Christophe de Wurtemberg lui en amènent dix mille.

Cependant, François Ier commit plus d'une maladresse. Les historiens l'ont beaucoup blâmé de n'avoir pas su répondre à l'appel des Gantois révoltés en 1539, implorant sa protection comme suzerain, et invoquant la décision du lit de justice du 15 janvier 1537 qui avait, de nouveau, affirmé les droits du roi de France sur la Flandre[11]. François croyait toujours que le plus sûr moyen d'atteindre son adversaire c'était de le frapper au cœur, en Italie.

Sur le Rhin, toutefois, il renouvela, en 1540, la vieille alliance de la France avec le duc Guillaume de Clèves qui, enfin maître de Zutphen, de Juliers et de la Gueldre, était devenu le souverain le plus puissant des Pays-Bas. Ses intérêts en faisaient un révolté contre l'empereur ; aussi, se déclara-t-il pour la Réforme, comme les autres princes rhénans que soutenait le roi de France. Quelle habileté a ce roi ! s'écrie Ferdinand à la diète de Spire, en mai 1542 ; quelle insolence et quelle rouerie pour troubler l'Allemagne ![12]

Parmi les épisodes de la guerre, en pays rhénan, nous devons signaler l'écrasement de ce duc de Clèves, dont Charles-Quint ravagea le duché. Le duc Guillaume fut obligé de faire sa paix séparée, le 7 septembre 1543. Cependant, François Ier reprit Luxembourg le 10 septembre[13]. En Italie, il vainquit, à Cérisoles, en avril 1544. Mais Charles-Quint put pousser en Champagne jusque devant Saint-Dizier, en juillet de la même année ; il dressa son camp à Épernay et à Château-Thierry, à 20 lieues de Paris. Là toutefois, s'arrêtèrent ses succès ; il ne put traverser la Marne. Le traité de Crépy est du 18 septembre 1545.

Ayant terrassé le duc de Clèves, Charles-Quint s'occupa, en Allemagne, de réduire les autres chefs du parti luthérien, l'Électeur palatin, le duc Frédéric de Saxe, le landgrave de Hesse, le duc de Wurtemberg. François Ier songeait à les secourir et levait des troupes, lorsqu'il mourut, le 31 mars 1547.

 

II

HENRI II. - CONQUÊTE DES TROIS ÉVÊCHÉS.

 

La mort de François Ier n'amena aucun changement dans la politique extérieure de la France. Les rapports de Henri II avec Charles-Quint ne pouvaient qu'être hostiles et le roi de France soutint toujours les protestants d'Allemagne. L'Empereur disait du roi Henri : Il a hérité la haine que ses aïeux ont toujours manifestée à l'égard des miens ; il écrit qu'en ce qui concerne les Français, il ne faut pas cesser d'avoir l'œil sur eux[14]. Cette défense était justifiée. En effet, sur les conseils de Marillac, de tenir soubs main les affaires d'Allemagne en la plus grande difficulté qu'on pourra, Henri II encourageait par des subsides les villes et les princes révoltés contre Charles-Quint. Il entra en négociations avec l'Électeur de Saxe, Maurice, et les princes protestants confédérés à Augsbourg. Ceux-ci lui députèrent, à Fontainebleau, le 25 mai 1551, une ambassade conduite par Georges de Simmern et le comte de Nassau, pour implorer son appui contre l'Empereur qui voulait asservir à jamais la nation allemande[15].

Ces princes allemands, dit Brantôme, mal menés sous le joug de l'Empereur, concoururent à l'ayde, pour la conquête des trois Évêchés[16]. Ils informèrent le roi Henri des projets de Charles-Quint sur Metz, Toul, Verdun, Strasbourg et les autres villes du Rhin. Se sentant menacés, ils adjurent le roi de France de les secourir, et chose curieuse, l'un des arguments qu'ils emploient consiste à rappeler les traditions françaises dans le pays rhénan. Ces bons Allemands, dit plus tard Brantôme, quand ils demandaient secours au roy Henry (II), proposoient pour leurs principales raisons qu'eux et les Français estoient germains et frères, et que, pour ce, se debvoient aider et maintenir les uns les autres.

Tout en leur faisant le meilleur accueil, le roi hésita à s'engager tout de suite et sans des assurances fermes. L'expérience était là, pour montrer que les Allemands ne pouvaient guère être des alliés sincères et qu'on devait exiger des gages. Le Connétable de Montmorency fit remarquer au Roi que les Allemands sont parfois exposés à se dévoyer aussi souvent de l'entendement comme de l'estomac et ne sont pas trop certains en leurs promesses.

Toutefois, l'opinion du maréchal de Vieilleville, qu'il fallait profiter de l'occasion, prévalut dans le Conseil du Roi. Comme on objectait la question financière, Vieilleville fit valoir les ressources de la France, et plein d'une patriotique émotion, il s'écria :

Et quant à moi, je pense être le plus pauvre de la compagnie, au moins des plus malaisés ; mais j'ai encore pour quinze mille francs de vaisselle, tant de cuisine que de buffet, blanche et vermeille, que j'offre libéralement mettre entre les mains de ceux que vous ordonnerez pour en faire ce qu'il leur plaira, afin de subvenir aux frais de cette si louable entreprise, que Dieu, par sa sainte grâce et bonté, d'autant qu'elle est fondée sur toute justice et équité, fera réussir à la gloire et honneur de Votre Majesté et réputation de la nation française...

Par ainsi, emparez-vous doucement, puisque l'occasion s'y offre, des villes de Metz, Toul et Verdun, qui seront environ quarante lieues de pays Baigné, sans perdre un homme, et un inexpugnable rempart pour la Champagne et la Picardie ; en outre, un beau chemin et tout ouvert pour enfoncer le duché de Luxembourg et les pays qui sont au-dessous jusques à Bruxelles ; plus, vous faire maistre, à la longue, de tant de belles et grandes villes que l'on a arrachées des fleurons de vostre couronne, et de recouvrer pareillement la souveraineté des Flandres que l'on vous a si frauduleusement ravie, qui appartient aux roys de France, il y a plus de mille ans et de toute immémoriale ancienneté.

Et plus tard, Vieilleville dit encore au Roi qu'il aimerait mieux mourir que de s'exposer à ce qu'il soit reproché à lui et à sa postérité d'avoir contribué à frustrer la Couronne de France d'une frontière de telle et si grande étendue qui vous ramène et fait rentrer au royaume d'Austrasie qui est la première couronne de nos anciens roys[17].

Le 15 janvier suivant, Henri II signe, à Chambord, un traité d'alliance avec Maurice de Saxe et les Réformés, parmi lesquels figurent les Strasbourgeois. Le Roi promet de l'argent et des troupes aux confédérés qui, en retour, le laisseront occuper les trois Évêchés de Metz, Toul et Verdun[18].

Ainsi, le roi de France n'appuie les princes protestants que par politique et dans un but exclusif d'agrandissement territorial. On voit, d'autre part, combien les petits souverains allemands tiennent peu à l'Empire ; l'Empire est un agrégat, sans consistance et sans cohésion ; il n'y a point de patrie allemande, tandis qu'il y a une patrie française ; les deux pays sont, au fond, bien distincts, par la race, les mœurs, la mentalité, les tendances ; l'Allemagne tudesque reste dans l'éparpillement ; elle est bien l'héritière de la vieille Germanie. Jamais il n'est apparu plus clairement qu'il y a quelque chose de plus fort et de plus durable que les barrières ou les agrégats politiques : ce sont les frontières de races, créées à la longue par l'habitat, les mœurs et l'éducation.

On vit peu de guerres aussi populaires. Il n'y avait bonne ville, dit Vincent Carloix, le biographe du maréchal de Vieilleville, où les tambours ne se fissent ouyr pour faire levée de gens de pied, où toute la jeunesse ne se dérobât de père et mère pour se faire enrôler ; la plupart des boutiques demeurèrent vuides de tous artisans, tant était grande l'ardeur, en toutes qualités de gens, de faire ce voyage et de voir la rivière du Rhin.

Le connétable de Montmorency se dirigea sur Metz avec une gaillarde armée, dans laquelle on remarquait environ huit mille Allemands rhénans commandés par le Palatin du Rhin : c'est ce qu'on appela d'un nom français bien significatif, la promenade d'Austrasie.

Le roi Henri II, parti de Joinville, franchit la Meuse, entra à Toul dont les magistrats lui ouvrirent les portes le 10 avril ; le connétable, de son côté, entra dans Pont-à-Mousson et campa sous les murs de Metz... L'évêque Robert de Lenoncourt tout dévoué à la France, y avait organisé un parti favorable à Henri II[19]... Avec l'appui de ce parti, Montmorency s'empara de la ville, sans coup férir, le 10 avril. C'était le jour de Pâques ; le roi y fit son entrée solennelle, huit jours après, par la porte Serpenoise.

La mainmise du roi de France sur Metz eut un retentissement énorme dans tout le pays d'entre Rhin et Meuse. On espéra qu'Henri II pousserait jusqu'au bout sa conquête. Le Roi annonçait lui-même qu'il allait récupérer l'ancien royaume franc d'Austrasie jusqu'au Rhin. Il y eut en France, d'après les Mémoires du temps, un enthousiasme patriotique extraordinaire. Dans l'Est les traditions d'autrefois se réveillèrent : il n'était bruit que des droits de la France sur la rive gauche du Rhin.

De Metz, l'armée s'achemina vers Strasbourg par Sarrebourg. Du haut des collines vosgiennes, dont les cimes étaient encore couvertes de neige, on admira la vaste plaine de la basse Alsace : tant que la vue se peut étendre, dit Rabutin, on découvrait une belle et fort grande plaine qui dure de six grandes lieues de pays, semées de gros et grands villages, riches et opulents, de bois, rivières, ruisseaux, prairies et autres lieux de profit.

A Strasbourg cependant, vieille cité, si fière de son indépendance, le parti autonomiste s'agite et proteste, par avance, contre ceux qui éprouvent des sentiments d'affection plus profonds pour la Couronne de France que pour le Saint-Empire romain germanique. Ce sont là, ajoute l'érudit historien de l'Alsace, les exhortations de Jacques Wimpheling, de Beatus Rhenanus, de Jérôme Guebwiler, que leurs compatriotes ne suivaient point, à cause de la toute-puissance de Charles-Quint dont on détestait surtout l'intransigeance religieuse[20].

Les Strasbourgeois, s'ils étaient foncièrement hostiles à l'Empereur, ne voulaient pourtant pas se donner au roi de France, leur allié. Ils déclarèrent qu'ils refuseraient de recevoir le Roi s'il était accompagné de plus de quarante gentilshommes. Henri II n'insista point et n'entra pas. Haguenau, autre ville libre, le reçut, mais sans dissimuler son inquiétude, tandis que Wissembourg fut enthousiaste. Spire ferma ses portes. Les protestants allemands, alliés d'Henri II, inquiets à leur tour, supplièrent le roi de France de ne pas s'avancer plus loin. L'Électeur de Saxe, Maurice, se hâta de faire son accommodement avec l'Empereur, qu'il avait pourtant, peu auparavant, failli faire prisonnier à Inspruck.

Charles-Quint écrivit à son frère, le roi des Romains, pour lui recommander de remonstrer aux Estats le tort que le Roy de France fait freschement au Saint-Empire par (l'occupation de) Metz, Verdun et Thoul, et la violence dont il use à l'endroit du duc de Lorrayne, confédéré et allyé dudict Saint-Empire. Il fallait ménager l'opinion et ne point brusquer les esprits. Déjà, après sa victoire, décisive pourtant, sur la ligue de Smalkade, c'est bien certainement pour ne pas pousser Strasbourg dans les bras de la France, que Charles-Quint avait offert à cette ville des conditions de paix d'une mansuétude particulière ; c'est de même, pour ne pas la rejeter sous l'influence des Habsbourg qu'Henri II s'abstient de tenter contre elle un coup de main[21].

Après avoir projeté sur le grand Fleuve l'ombre protectrice de la France et fait piaffer son cheval dans ses ondes, Henri II jugea opportun de se retirer, non sans un salut plein d'espérance ! En revenant, il entra dans Montmédy, Bouillon, puis Verdun, où il s'arrêta.

Le 17 août 1552, le duc François de Guise arriva à Metz pour consolider ces faciles conquêtes dans un pays qui attendait la France depuis si longtemps. Il mit la place en état de défense : elle allait être attaquée par le duc d'Albe au nom de l'Empereur. Ce qui, raconte Lemonnier[22], compliquait pour le duc de Guise la difficulté de la défense, c'était la présence du marquis Albert de Brandebourg[23] qui disposait de 3.000 cavaliers, de 15.000 piétons et de 40 pièces d'artillerie. Ce personnage équivoque, rejeté par l'Allemagne comme un brigand, s'était réfugié dans la région lorraine, à la faveur de la guerre, et négociait à la fois avec le roi de France et l'Empereur. Il se tenait autour de Metz, demandant d'être introduit dans la ville, mais repoussé par Guise qui se méfiait de lui, à juste titre.

Après l'arrivée de Charles-Quint, le 20 novembre, Albert de Brandebourg se vendit à l'Empereur ; du haut de la colline de Saint-Quentin, il se mit à bombarder Metz, tirant, déjà, sur la cathédrale ; mais les gens de la ville ne faisaient que rire de ses efforts, disent les Chroniques messines.

Le siège de Metz fut un désastre pour les Impériaux. Le 1er janvier 1553, Charles-Quint fut obligé de le lever ; tous ses soldats étaient malades. Sur 60.000 hommes qu'il avait, au début du siège, il n'en ramenait que 12.000 en état de se battre encore. Les Français n'avaient perdu que 22 personnes notables et quelques hommes d'armes. Le duc de Guise se montra aussi généreux envers les blessés et les malades, qu'il s'était montré habile et valeureux guerrier. La trêve de Vaucelles, en février 1556, garantit à la France toutes ses conquêtes.

L'acquisition des trois Évêchés, loin de satisfaire les vœux des Français et l'ambition du Roi, ne fit qu'exciter Henri II à pousser plus loin ses revendications rhénanes. Il continua à servir les protestants d'Allemagne, pour s'en servir. Averti de ces menées incessantes, Ferdinand écrit, en 1557, à son neveu, le roi d'Espagne : ... On m'informe que les Français, redoublant de ruse et d'audace, s'étayent d'inventions diaboliques si préjudiciables et si dangereuses que, à moins d'y porter le plus prompt remède, je puis m'attendre à voir l'Allemagne plongée dans des embarras tels que tous mes efforts ne parviendraient point à l'en faire sortir. Henri II venait, en effet, en ce moment, de faire alliance avec l'Électeur Palatin, en vue de la guerre qui se ralluma bientôt, à la fois en Italie et dans le nord de la France.

Dans les Pays-Bas, les Impériaux s'emparèrent de Saint-Quentin. Mais peu de mois après, le duc François de Guise conquit Calais et Thionville, ce qui entraîna l'ouverture de négociations pour la paix.

Par le célèbre traité de Cateau-Cambrésis (avril 1559), la France fut obligée de rendre une partie de ses conquêtes, Marienbourg, Thionville, Damvillers, Montmédy, mais elle garda Calais et les trois Évêchés. Malgré ce succès, le traité fut désapprouvé en France, comme trop peu avantageux, parce qu'on laissait à l'Empire la Franche-Comté, la Savoie, la Bresse, le Bugey et le Piémont.

Cinquante ans plus tard, Jean de Saulx-Tavannes écrivant la vie de son père Gaspard, reproche à Henri II de n'avoir pas fait la conquête de l'Alsace et de la Lorraine : Ce fut esté, dit-il[24], le rétablissement du royaume d'Austrasie joint à celui de France.

L'expédition de Henri II avait été universellement populaire ; les littérateurs l'avaient encouragée : pour la glorifier, ils ne manquent point, à cette époque, de faire des comparaisons avec l'antiquité. Henri II s'avance sur les traces de Jules César. Tous les humanistes, Ronsard, Du Bellay, Pasquier, Philibert Delorme, Henri Estienne exaltent la précellence de la France et de la langue française ; ils parlent de nos ancêtres, les Gaulois, dont l'empire atteignait le Rhin. Rabutin qui dédie ses Commentaires des dernières guerres en la Gaule Belgique, au prince de Clèves, lui dit : Rappelez-vous les divines louanges que vous donnâtes à Jules César. Et Rabelais exulte, dans son Prologue du troisième livre de Pantagruel : Considérant par tout ce très noble royaume de France... un chascun aujourd'huy soy instamment exercer et travailler, part à la fortification de sa patrie et la défendre ; part au repoulsement des ennemis et le% offendre ; le tout en police tant belle, en ordonnance si mirifique et à profit tant évident pour l'advenir,car désormais sera France superbement bornée, seront Français en repos assurés,que peu de chose me retient que je n'entre en l'opinion du bon Heraclitus, affirmant guerre estre de tous biens père ; et croie que guerre soit, en latin, dite belle, non par antiphrase... mais absolument et simplement par raison qu'en guerre apparaisse toute espèce de bien et beau...

Le branle était donné ; le succès avait favorisé les premiers efforts ; l'enthousiasme était universel. Les Valois n'en seraient évidemment pas restés là, si les guerres de Religion ne fussent venues, malheureusement, comme autrefois la guerre de Cent ans, empêcher la France de parachever son unité politique et son territoire, en conformité avec sa tradition historique et avec la nature[25].

 

III

LES GUERRES DE RELIGION.

 

Au XVIe siècle, l'Allemagne était restée ou redevenue aussi barbare que la Germanie antique, et elle était plus corrompue. Elle n'avait pas, évidemment, le monopole des turpitudes morales et des monstruosités sociales, mais celles-ci ne s'épanouissaient, dans aucun autre pays, plus universellement ; elle les greffait, avec son intempérance instinctive, sur sa barbarie ethnique et toutes les classes, le haut clergé, la noblesse, les burgraves du Rhin, les étalaient sans pudeur. Dans ses sermons, Luther, alors qu'il était encore moine augustin, flétrit ces vices avec véhémence, traitant les seigneurs féodaux d'ivrognes, de fornicateurs, de fieffés coquins, de détrousseurs de marchands. Le terrible prédicateur s'inspire du dicton courant : Principem esse et non esse latronem, vix possibile est : Il est à peu près impossible d'être prince sans être brigand. Voilà le cas qu'il fait de ses auxiliaires de demain. Parmi cent autres témoignages, on se souvient de Schiller, qui met en scène un prince allemand du XVIe siècle, pressurant ses sujets pour entretenir un troupeau de concubines, réduisant en esclavage les prisonniers de guerre ou les vendant à l'étranger[26].

Une réforme sociale et morale s'imposait : ce fut une révolution religieuse et dogmatique que firent les passions et les instincts brutaux des Allemands. Henri Heine, qui a stigmatisé ses compatriotes de sentences aussi justes que sévères, qu'on aime à rappeler, a prononcé, en 1835, ces paroles qui retentissent aujourd'hui comme une prophétie sinistre :

Le Christianisme a adouci, jusqu'à un certain point, cette brutale ardeur batailleuse des Germains, mais il n'a pu la détruire, et quand la Croix, ce talisman qui l'enchaîne, viendra à se briser, alors débordera de nouveau la férocité des anciens combattants, l'exaltation frénétique des Berserkers que les poètes du Nord chantent encore aujourd'hui. Alors — et ce jour, hélas viendra, — les vieilles divinités guerrières se lèveront de leurs tombeaux fabuleux, essuieront de leurs yeux la poussière séculaire. Thor se dressera avec son marteau gigantesque et démolira les cathédrales gothiques...

Thor s'est dressé ; et voici qu'après l'avoir solennellement invoqué, l'empereur Guillaume II, le Sanguinaire, le porte-glaive du luthéranisme, fait bombarder et incendier les cathédrales. Mais Thor avait déjà levé son marteau sanglant, à la voix de Luther, à l'époque de la Réforme.

De tous les aspects sous lesquels peut être envisagée la Réforme religieuse du XVIe siècle, en Allemagne, il en est un que nous devons signaler ici, c'est qu'elle fut, pour les masses allemandes, une réaction du germanisme odinique contre le romanisme. Comme l'odinisme d'Arminius, le luthéranisme s'insurgea contre l'intrusion de la culture latine, sous sa forme catholique, dans la forêt germaine ; il la répudia comme incompatible avec sa mentalité et son habitat, pour se replonger dans la barbarie teutonne et la garder pure de tout mélange. Ainsi avait fait Arminius, au témoignage de Tacite ; Luther fut un autre Hermann le Libérateur. Henri Heine a écrit : Luther est l'homme le plus allemand qui se soit jamais montré dans nos annales ; son caractère réunit, au plus haut degré, toutes les vertus et tous les défauts des Allemands et il représente réellement tout le merveilleux de l'esprit germanique.

C'est vrai. Par le triomphe du luthéranisme, l'Allemagne reste gothique et teutonne : c'est là son originalité, son génie. Celui de la France est d'avoir équilibré la tradition médiévale et la tradition antique, de même que, jadis, son habitat forma la race gallo-romaine du triple apport de la civilisation romaine, du vieil élément gaulois et de l'élément germanique admis sur son territoire.

Alors que le monde se transforme par la merveilleuse floraison de ce qu'on est convenu d'appeler la Renaissance, et que le catholicisme s'imprègne de culture antique, le luthéranisme allemand s'abstrait dans les querelles théologiques de ses chefs, auxquelles, évidemment, les masses ne comprennent rien. Mais elles sont entraînées par la volonté de leurs princes et par le fait que le luthéranisme répudie jusqu'à la langue latine : c'est la traduction de la Bible en un dialecte allemand, qui a fait le succès et la popularité de Luther, et qui a créé la langue allemande officielle et littéraire. L'étude de la culture gréco-latine et axe l'art classique resta, en Allemagne, le privilège de savants et d'artistes qui étaient en rapport avec l'Italie ; elle prit une tournure d'érudition qu'elle gardera toujours en Allemagne, tandis qu'en France, l'humanisme (humaniores litteræ), se fondant harmonieusement avec la tradition et les mœurs, devint la base de l'éducation et de l'instruction des classes distinguées de la nation, et par elles, de toute la nation.

Vous rappelez-vous ces princes Allemands, ignares et besogneux, recevant, sans le moindre scrupule de conscience, une solde annuelle du roi de France, passant d'un camp dans l'autre avec une désinvolture qui stupéfie ? Eh bien ! il en fut de même au point de vue confessionnel. Isolés dans leurs châteaux-forts bâtis en nids d'oiseaux de proie sur les rochers les plus inaccessibles, ou plutôt entourés, là-haut, de soldats que leurs revenus ne leur permettent pas d'entretenir, mais qui leur sont nécessaires pour sauvegarder leur indépendance, qu'ils mènent au pillage ou à la guerre, dont ils vendent les services, ces féodaux farouches ont une grossièreté de mœurs et une brutalité de tempérament dont frémissent, comme au temps de Pétrarque, tous les voyageurs italiens et français. Voilà bien toujours les immanissimæ gentes de l'antiquité. Quelle différence y a-t-il entre eux et ces tribus que Velléius Paterculus ou Ammien Marcellin ont flétries avec tant de virulence indignée ? Seules, les villes d'Allemagne, florissantes, commerçantes, industrielles, où vit une bourgeoisie laborieuse, où se développe un art original et fécond, — l'art tudesque, — font exception, comme des clairières dans la forêt, et échappent à cette juste sentence de l'histoire.

Mais les princes sont restés les Barbares et le peuple, abruti par leurs caprices, les suit, sans avoir seulement l'idée de murmurer. Par la Réforme, les biens d'Église deviennent pour ces forbans une proie facile : pour s'en emparer, ils se font luthériens et ils imposent le luthéranisme à leurs sujets. On connaît l'adage, fameux dès le xvie siècle : cujus regio, ejus religio. Les masses populaires restent catholiques en France, protestantes en Allemagne ; dans le pays rhénan, les catholiques sont en immense majorité, sauf dans les Pays-Bas hollandais, plus foncièrement imprégnés de germanisme.

En vertu du principe proclamé par la Confession d'Augsbourg, en 1555, que les souverains dans les principautés, les majorités dans les villes libres, ont le droit de changer la religion du pays, les féodaux allemands imposent aux populations inconscientes et courbées sous le joug du servage, la religion qu'ils veulent, c'est-à-dire celle qui leur paraît, pour le moment, la plus profitable. Descendez la rive badoise du Rhin, dit Georges Goyau[27], vous y trouverez, d'abord, une assez longue bande protestante : ainsi le voulut Charles II, margrave de Bade-Durlach, qui réforma son église en 1553. Mais, à trois reprises, cette bande est trouée par des villages catholiques. Dépendant de l'évêché de Bâle ou de l'Autriche, ils avaient le droit de conserver la messe...

Et tout le long de la rive droite du Rhin, M. Goyau montre les deux confessions, catholique et protestante, alternant, oscillant, se succédant ou se côtoyant, suivant le bon plaisir des princes souverains qui remplacent la messe par le prêche ou le prêche par la messe. Le Palatinat, par exemple, passe à la Réforme au XVIe siècle ; il redevient catholique après 1625, protestant après 1648, catholique après 1685. Et aujourd'hui, dit M. Goyau[28], partout, en Allemagne, les anciens maîtres ont gardé sur les consciences une prise posthume ; sur le système de correspondance entre les hommes et Dieu, ils ont pour longtemps marqué leur empreinte ; et la confession chrétienne dont ils décidèrent le règne, continue de régner, même sans leur dynastie.

Néanmoins et en dépit du caprice intéressé des princes et des soudards rhénans, on doit reconnaître que le luthéranisme a son foyer dans le nord de l'Allemagne ; il s'est greffé sur le Wotanisme de la forêt germaine. En lui résistant et en demeurant catholique en immense majorité, le peuple rhénan a montré inconsciemment la différence essentielle de sa mentalité avec celle des Allemands d'outre-Rhin. Le fossé du Rhin est là, toujours !

Mais le catholicisme des pays rhénans, après que la réforme morale du haut clergé l'eut purifié, a toujours gardé un caractère particulier, une rigidité, une dureté qu'il emprunte, sans doute, au mélange de sa race, à son habitat ; il manque de souplesse et d'onction ; il est essentiellement théologique, autoritaire et discuteur, avec quelque tendance séparatiste[29].

Le protestantisme rhénan a, lui aussi, son caractère particulier ; il est calviniste ou se rapproche du calvinisme, c'est-à-dire du protestantisme français plutôt que du luthéranisme prussien ou saxon. Il faut des têtes lourdes, massives, obstinées pour s'infatuer d'un Luther, a écrit Proudhon. C'est l'habitat rhénan, ce sont aussi les immigrations suisses, très considérables au XVIe siècle, et les prédicants ardents venus de Genève, qui ont donné cette direction au protestantisme alsacien et rhénan, en un temps où les luttes entre luthériens et calvinistes étaient si violentes qu'elles allumèrent des guerres civiles et jusqu'au bûcher de Michel Servet[30].

Sous sa double forme, luthérienne et calviniste, dans toute l'Allemagne, en Alsace et dans les Pays-Bas, le protestantisme représentait, aux yeux du roi de France, l'affranchissement de tout lien féodal vis-à-vis du Saint-Empire. Voilà pourquoi la politique de nos rois les conduit à soutenir en Allemagne les partis protestants. Par eux ou avec leur concours, la monarchie française poursuit l'abaissement de la maison d'Autriche ; elle tâche de récupérer les provinces qui, anciennement, avaient été démembrées de notre patrimoine national par le jeu faussé du système féodal ; mais, qu'ils fassent alliance avec de tels soudards, qu'ils leur payent pension ou qu'ils les attirent en France avec leurs bandes, nos rois se servent, par eux, d'une arme dangereuse, presque aussi redoutable pour eux-mêmes que pour leurs ennemis. Au XVIe siècle, l'Allemagne est la contrée qui fournit l'aliment principal de nos guerres civiles. C'est au delà du Rhin que les chefs des partis religieux vont recruter ces compagnies de ravageurs, reîtres, lansquenets, pandours, schnapans, à la sinistre renommée, qui viennent piller et dévaster la France.

Du temps que les bandes de Jean-Casimir, de Wolfgang de Bavière, duc de Deux-Ponts, du prince d'Orange, Guillaume de Nassau, et de tant d'autres, ravagent la France dans tous les sens, et qu'à la Cour, autour de Catherine de Médicis et de Charles IX, se nouent les conspirations, l'attention des politiques se trouve, on le conçoit aisément, bien détournée de la grande affaire traditionnelle, la question, toujours pendante, des frontières de l'Est de la monarchie française. Les passions religieuses, poussées au paroxysme dans tous les partis, obscurcissent le sentiment national et voilent aux yeux de tous l'image de la Patrie.

Un instant, toutefois, la marche aveugle des événements fit que l'intérêt national se trouva concorder avec les intérêts des chefs protestants, et Coligny eut la chance et la gloire de combattre vraiment pour la France en même temps que pour son parti. Le duc d'Albe ayant cruellement réprimé l'insurrection des protestants calvinistes, dans les Pays-Bas, en 1566, les protestants français songèrent à les secourir[31]. L'amiral de Coligny, sous la double inspiration de son patriotisme et de son ardeur religieuse, insista longtemps auprès de Charles IX pour qu'il intervînt, l'assurant que tous les habitants de la Flandre se soumettraient d'eux-mêmes, par haine de l'Espagnol : sans grande dépense ils le feroient seigneur de tous les Pays-Bas, la plupart desquels estoient fleurons tirés de cette couronne, usurpés injustement sur les prédécesseurs du Roy, que justement on pouvoit réparer par les armes, ce que par les armes on avait perdu[32].

Paralysé par les hésitations du Roi, Coligny recrutait néanmoins des troupes, lorsqu'il fut englobé dans le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1592) : peu de jours avant sa mort, Coligny parlait encore de cette conquête des Pays-Bas, qu'il avait doublement à cœur, comme protestant et comme Français.

De leur côté, les catholiques poussaient Charles IX du côté. du Rhin. En 1568, le médecin du cardinal de Guise publia, sous forme de requête au Roi, un opuscule de 14 pages qui a pour titre : Le Rhin au Roy. Le Fleuve s'adresse directement à Charles IX : il souffre, dit-il, d'être hors du giron de la France ou des Gaules ; il se dit être la borne du patrimoine ancien de la Monarchie. Je suis joyeux de vous dire ce que de longtemps j'avois sur le tueur : qui est, Syre, qu'estant vostre, et à vostre royaume le seul front, entrée et advenue en, vostre administration et monarchie, il me deult (je souffre) d'estre si long temps soubz main estrange, captif et désolé ; au grand préjudice et ruine de la France. En septembre 1573, Catherine de Médicis eut une entrevue à Blamont, en Lorraine, avec le prince d'Orange et le duc Christophe, fils de l'Electeur palatin. Quelques mois après, Charles IX mourut.

En 1578, sous Henri III, son frère le duc d'Anjou, François, reprit pour son compte l'expédition projetée de l'amiral de Coligny. Il invoquait comme lui, pour justifier ces visées, à la fois, les anciens droits des rois de France et le devoir de secourir les protestants opprimés. Son arrière-pensée était de se créer, pour lui-même, un royaume, en reprenant les projets de Charles le Téméraire. Mais ce rêve féodal était plus que jamais chimérique et surtout au-dessus des forces de ce pauvre prince qui se mourait de la poitrine.

La rupture définitive entre les Pays-Bas catholiques et les Pays-Bas protestants date de cette époque. Les provinces catholiques, l'Artois, le Hainaut, les villes wallonnes constituèrent, le 6 janvier 1579, l'Union d'Arras. Les provinces protestantes de Gueldre, Hollande, Zélande, Utrecht, Groningue et divers cantons de la Flandre formèrent l'Union d'Utrecht. Telles sont les premières origines de la Belgique et de la Hollande modernes. Après cinq années de luttes terribles, en avril 1584, les protestants épuisés se jetèrent, en désespoir de cause, dans les bras du roi de France. Ils consentaient, dirent leurs ambassadeurs, à ce que les Pays-Bas demeurassent unis à la Couronne de France. Henri III était pressé d'accepter par son plus intime conseiller, François de Noailles, évêque de Dax. La Ligue empêcha Henri III de dépouiller Philippe II, chef des Catholiques ; la crainte de l'Angleterre retint aussi le roi, et peut-être quelque incertitude sur la sincérité des solliciteurs.

Tandis qu'en France, la Ligue commettait les plus déplorables excès, la guerre religieuse ensanglantait tous les coins de l'Allemagne et les Pays-Bas ; l'archevêque Électeur de Cologne s'étant fait calviniste et ayant pris femme, avait la prétention de' garder son Électorat pour le transmettre à ses enfants. On voulut aussi transférer à un calviniste la mitre épiscopale de Strasbourg. Le trop fameux Jean-Casimir, régent du Palatinat, appelé par Henri de Navarre, envahit de nouveau la France, avec le burgrave Fabien de Dohna ; la Lorraine fut encore une fois ravagée par les bandes allemandes.

Le duc de Guise, chef des Ligueurs, fut assassiné en 1588 et. le roi Henri III en 1589. L'anarchie était partout. Au milieu de-cet effroyable bouleversement, l'affaire des Pays-Bas fut abandonnée. Il fallut attendre, pour renouer la tradition de la question rhénane, qu'Henri IV eut rétabli enfin définitivement l'ordre et la paix dans le royaume.

 

IV

HENRI IV ET SULLY.

 

Après l'abjuration d'Henri IV, en 1594, la guerre qu'il eut à soutenir contre les derniers Ligueurs et leur protecteur Philippe II, prit le caractère d'une guerre nationale. D'un côté, Philippe II, sous le masque de son zèle catholique, nourrissait toujours le secret dessein de reconquérir l'héritage de Bourgogne ; de l'autre, Henri IV et ses conseillers étaient résolus à reprendre la poursuite du légitime rétablissement des frontières du royaume. Dès 1595, Henri IV envoya le duc de Bouillon occuper le Luxembourg, et il fit envahir la Franche-Comté par une armée de Lorrains qu'il vint lui-même appuyer, après qu'il eut battu les Espagnols à Fontaine-Française, le 5 juin. L'intervention des Suisses empêcha que la conquête de la Franche-Comté fût définitive dès cette époque.

Si, dans le Nord, les Espagnols reprirent Cambrai et Calais, du moins, les subsides et les troupes qu'Henri IV fournit aux Hollandais, de 1.590 à 1597, aidèrent le stathouder, Maurice de Nassau, à remporter les succès qui consacrèrent l'indépendance des Provinces-Unies. Le traité de Vervins, du 2 mars 1598, rétablit, à peu près, l'état de choses créé par la paix de Cambrai ; toutefois, les négociateurs espagnols firent introduire dans le nouvel arrangement, l'affirmation des droits de Philippe II et de ses descendants à l'héritage de la maison de Bourgogne, pour en faire poursuite par voye amiable ou de justice, et non par les armes. C'était une manière platonique de ménager l'amour-propre espagnol. Vers la même époque, une contestation de droit amena Henri IV à tourner ses regards du côté de l'Alsace. Les protestants de Strasbourg réclamaient tout ou partie des biens de l'évêché. Choisi comme arbitre, Henri IV envoya d'abord, en 1595, son représentant, le comte de Sancy ; puis, la querelle s'envenimant, il vint lui-même à Metz et à Nancy, en février 1603, et parvint à régler l'affaire à l'amiable.

Henri IV n'avait point lieu d'être satisfait des protestants français qui, sans cesse, continuaient à faire appel à leurs coreligionnaires étrangers ; ils soutinrent dans sa révolte le duc de Bouillon, le dernier des fauteurs de guerre civile. Celui-ci, voyant sa conspiration découverte, se réfugia chez son beau-frère, l'Électeur Palatin, en janvier 1603[33]. Les princes protestants d'Allemagne eurent l'audace de députer en sa faveur une ambassade à Henri IV qui la reçut fort aigrement : Si vous faites peu d'état de mon amitié, dit-il aux députés, je n'ai que faire de la vôtre[34]. Le roi marcha avec une armée contre Sedan. Bouillon prit peur, avoua son crime et fut contraint dé faire hommage de sa principauté au roi de France (2 avril 1606).

L'ordre et la paix rétablis, la France, unie et compacte, restait toutefois dangereusement enveloppée par les possessions espagnoles, Pays-Bas catholiques, Luxembourg, Franche-Comté, Charolais ; un archiduc d'Autriche était landgrave d'Alsace. C'était là une situation grosse d'inquiétudes, une insécurité qui ramenait fatalement toutes les pensées vers le Rhin et les Pays-Bas. Aussi, Henri IV et Sully ne perdent jamais de vue la reprise de cette frontière ; mais ils pensent qu'il importe, avant tout, à un prince de s'assurer l'affection de ses sujets et de ne point les forcer à obéir par contrainte, ce qui provoque la haine irréconciliable, dit Sully, et les puissantes armes des uns sur les autres.

Sully constate que la France a des frontières que lui a assignées la nature, et que le seul et unique moyen de remettre la France en son ancienne splendeur et la rendre supérieure à tout le reste de la chrestienté, ce serait de lui rendre les pays voisins qui lui ont autrefois appartenu, et semblent estre de la bienséance de ses limites, savoir la Savoie, la Franche-Comté, la Lorraine, l'Artois, le Hainaut, les provinces des Pays-Bas, y compris Clèves et Juliers ; mais serait-il possible de s'y maintenir sans provoquer des rivalités acharnées et des guerres ruineuses[35] ? Il est convenable aussi de ménager ceux qu'une aversion d'esprits ou contrariété de langues, lois et usances peut rendre comme incompatibles, attendu que les dominations les plus heureuses et les mieux assurées étaient celles dont les sujets obéissent volontairement, franchement et gaiement[36].

L'empereur Rodolphe II continuait à faire cause commune avec le roi d'Espagne, Philippe III, successeur de Philippe II. C'était donc, comme autrefois, l'encerclement de la France. La politique d'Henri IV ne pouvait poursuivre d'autre but que de chercher à se dégager, par l'abaissement de la maison d'Autriche. Un nouvel accord, qui ne changea rien à la situation, fut conclu entre la France et l'Espagne, le 12 octobre 1604. Quelques mois après, Henri IV proposait aux Provinces-Unies de les aider à s'emparer des provinces demeurées espagnoles, si elles consentaient à lui céder le comté de Flandre et les pays de langue française[37]. Comme le sort des armes favorisait alors les Hollandais, ils firent la sourde oreille. Mais bientôt, Maurice de Nassau n'éprouva plus que des revers ; il fut vaincu coup sur coup, par Spinola. Lorsqu'Henri IV eut lieu de penser que les Espagnols victorieux allaient redevenir les maîtres des Provinces-Unies, il fit aux révoltés des propositions encore plus hardies ; à plusieurs reprises, en 1606 et 1607, il leur demanda s'ils voudraient reconnaître la suzeraineté de la France. Ce projet, favorisé par Aerssen, ambassadeur des Hollandais à Paris, resta dans les négociations de chancellerie, mais il fut connu de Philippe III qui, malgré les succès de son lieutenant, en redouta la réalisation éventuelle. Quoique victorieux, en 1607, il offrit la paix, en reconnaissant l'indépendance des Provinces-Unies. Puis, en janvier 1608, ces Provinces conclurent avec la France une alliance offensive et défensive. Elles gardaient leur indépendance : les Hollandais ne voulaient être ni Espagnols ni Français.

Le 4 mai 1608, les princes protestants d'Allemagne constituèrent leur Union évangélique, qui comprit, entre autres, l'électeur Palatin, les margraves d'Anspach et de Bade-Dourlach, le comte palatin de Neubourg, le landgrave de Hesse, le duc de Wurtemberg, Strasbourg, Ulm, Nuremberg, Spire, Worms et d'autres villes. Les catholiques d'Allemagne formèrent aussitôt une Sainte Ligue catholique, où entrèrent le duc de Bavière, les électeurs de Cologne, Trèves et Mayence, les évêques de Wurtzbourg, Passau, Augsbourg et d'autres, qui furent soutenus par les archiducs Albert, gouverneur des Pays-Bas, et Léopold, landgrave d'Alsace. Les esprits s'échauffaient de nouveau, lorsqu'en 1609, survint l'affaire de la succession du duché de Juliers, dont nous aurons bientôt à parler.

C'est au milieu de ces conjonctures que Sully conçut cette rêverie pacifiste que l'on appelle son grand dessein. Chaque siècle, à la suite de grandes tourmentes, enfante ainsi quelque généreux idéologue dont, un beau jour, une nouvelle tempête dans un ciel serein se charge de culbuter le château de cartes. Sully nous révèle dans ses Mémoires, qu'il proposa au Roi une attaque générale contre les cours de Vienne et de Madrid, de manière à constituer ensuite les États chrétiens sur des bases nouvelles. La paix régnerait en Europe entre toutes les nations ; on n'aurait plus à faire la guerre qu'aux Turcs. Les différends entre nations chrétiennes seraient désormais réglés par des congrès ou un Conseil général. Si ce fameux grand dessein n'est pas un roman, c'est une utopie qui ne fait guère honneur au sens pratique du grand ministre.

Quant aux projets réels d'Henri IV, on lit dans le Corollaire des Histoires d'Agrippa d'Aubigné : Est à noter qu'il ne venoit au Roy aucune augmentation en apparence que l'etendue de son règne (royaume) au mont Cenis et aux rivières anciennes qui en faisoient le partage, vers la haute et basse Allemagne. Mais il attachoit à soi inséparablement tous ceux qui auroient eu des plumes de cette dépouille et se rendoit arbitre et chef sur eux sans titre par effet, comme le pratiquoient les Romains sur leurs alliés. Henri IV avait donc le regard tourné du côté des pays rhénans et il y entretenait avec soin la clientèle française. Richelieu, au début de ses Mémoires, fait allusion aux projets du feu roi : Peut-être que l'appétit lui fut venu en mangeant, et qu'outre le dessein qu'il faisoit pour l'Italie, il se fut résolu d'attaquer la Flandre, où ses pensées se portoient quelquefois, aussi bien qu'à rendre le Rhin la borne de la France.

On voit donc qu'Henri IV et Sully n'ont point perdu de vue la conquête de notre frontière rhénane ; seulement, en chefs d'État prudents, expérimentés et d'esprit équitable, ils estiment que la conquête en doit être préparée d'abord dans l'opinion des populations à conquérir. Ils répudient les procédés tyranniques appliqués par les Espagnols et les Allemands dans les Pays-Bas, en Franche-Comté, en Italie.

Comment Henri IV eût-il exécuté ce programme de justice et de bon sens, en ce qui touche la frontière de l'Est, s'il ne fût tombé sous le poignard d'un assassin ? Ce prince très sage, dit Albert Sorel[38], n'aurait certainement trouvé bon à prendre que ce qu'il jugeait bon à garder, mais on peut conjecturer que ses vues s'étendaient assez loin, aux Flandres au moins, et à toute la Lorraine. Sandraz de Courtilz, dans un écrit publié en 1688, prétend même que Henri IV vouloit rendre à la France ses premières bornes et porter les frontières du côté de l'Ouest jusqu'au rivage du Rhin ; du côté du midy jusqu'aux Alpes ; du côté de l'Occident jusqu'aux Pyrénées, et enfin du côté du Septentrion jusqu'à l'Océan.

 

V

LA GUERRE DE TRENTE ANS. – RICHELIEU.

 

Le mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche, fille de Philippe III, en 1615, parut un instant destiné à imprimer une direction nouvelle à la politique française en ce qui se rapporte à nos frontières du Nord et de l'Est. Ceux qui l'espéraient, à Vienne et à Madrid, furent bien vite détrompés et l'on vit, une fois de plus, que nulle combinaison politique ne saurait s'opposer à la poussée de la France du côté du Rhin : c'est la condition même de sa vitalité, puisqu'elle est arrêtée net sur ses autres frontières. A l'est et au nord seulement, elle est ouverte aux invasions si elle ne prend pas l'offensive. Ses frontières sont, de ce côté, demeurées artificielles, mobiles, contrariant la nature ; le conflit avec l'Allemagne, vingt fois séculaire, demeurera inévitable aussi longtemps que la limite naturelle ne sera pas rétablie.

Cette lutte, dit le grand historien de notre Diplomatie[39], remplit l'histoire de l'Europe, depuis le XVe siècle. Elle revêt, suivant l'esprit des temps, des formes diverses. Des prétextes différents sont allégués pour soutenir les prétentions ; les théories invoquées se modifient avec les systèmes du droit public ; mais si les moyens changent, le but demeure le même. Tous les hommes politiques qui se succédèrent à la tête des affaires de France, l'ont compris et y ont conformé leur attitude, suivant leur inspiration personnelle. Sur ce point, Richelieu n'hésita pas un moment. Appelé à la Gour par la reine-mère dès 1616, il se hâta de déléguer auprès des protestants d'Allemagne, Schomberg, fils d'un ancien colonel de reîtres au service de la France, avec mission expresse et stipulée par écrit :

De faire cognoistre que c'est une pure calomnie... de dire que nous soyons tellement Romains et Espagnols que nous veuillons embrasser les intérêts, soit de Rome, soit d'Espagne, au préjudice de nos anciennes alliances, de nous-mesmes, c'est-à-dire ou de ceux qui font profession de la religion prétendue réformée en France ou de tous autres qui, haïssant l'Espagne, font particulièrement estai d'estre bons Français. Nul ne croyra aisement qu'un homme brusle sa maison pour faire plaisir à son voisin ; que pour aymer aultruy on se veuille haïr et perdre soy-mesme. Les diverses croyances ne nous rendent pas de divers Estats ; divisés en foi, nous demeurons unis en un Prince, au service duquel nul catholique n'est si aveuglé d'estimer, en matière d'Estat, un Espagnol meilleur qu'un Français huguenot[40].

C'était affirmer nettement que la politique de la France sur le Rhin demeurait en connexité étroite avec les intérêts confessionnels des protestants allemands, insurgés contre le Saint-Empire romain germanique. C'était retourner à la saine doctrine de la monarchie, poursuivre le développement naturel de sa grandeur. La politique contraire eût été une véritable trahison envers notre tradition et nos intérêts nationaux. Richelieu était pénétré des principes d'Henri IV en ce qui concerne le rétablissement territorial de la grande France, et c'est parce qu'il les préconisait avec énergie que le pouvoir lui fut confié. Dès l'année 1612, il parle d'accroîstre nos limites et de nous combler de gloire aux despens des ennemis de la France, et il est, en cela, l'écho du sentiment universel. Le roman de Jean Barclay, l'Argenis, publié à Paris en 1624, se termine par une Prédiction de félicité, où le personnage de Poliarque (Louis XIII) doit devenir le plus grand roi des Gaules et étendre les bornes de son royaume depuis le Rhin jusqu'à l'Océan. Cette allusion non équivoque au roi Louis XIII et aux projets de Richelieu, flattait la Cour et répondait aux vœux de tous les Français. Le duc d'Epernon, gouverneur de Metz, parle avec une ostentation à laquelle on applaudit sans sourire, de son royaume d'Austrasie, qu'il faut rétablir dans son ampleur d'autrefois. Richelieu avait avec lui l'opinion publique.

L'année 1618 marque, en Allemagne, le commencement de la guerre religieuse entre catholiques et protestants, qu'à cause de sa durée on appelle dans l'histoire la Guerre de Trente ans. On sait que ce long bouleversement social où s'agitent tant d'intérêts que couvrent les querelles confessionnelles, débuta en Bohême, par la révolte des protestants qui s'emparèrent du château de Prague parce que l'empereur-roi Mathias leur avait retiré certains privilèges concédés par Rodolphe II.

Mathias étant mort en 1619, son neveu fut élu à Francfort, sous le nom de Ferdinand II ; mais les protestants refusèrent de le reconnaître et élurent l'Électeur Palatin, Frédéric V, chef de l'Union évangélique et gendre du roi d'Angleterre.

Le gouvernement français hésitait à s'engager à fond dans cette querelle et à acquiescer aux sollicitations de Frédéric, à cause de la nationalité anglaise de la femme de l'Électeur et aussi pour d'autres motifs. Les protestants français venaient de s'insurger, les armes à la main, dans l'Ouest et le Midi ; convenait-il de fortifier ce parti politique en lui donnant l'appui moral qu'il recueillerait de notre intervention en Allemagne ?

La défiance, la duplicité même dont avaient fait preuve, trop souvent dans le passé, les protestants allemands, même vis-à-vis d'Henri IV, tout en sollicitant de l'argent et des soldats, n'était-elle pas faite pour inspirer la prudence, et motiver la simple neutralité bienveillante de la France, cette fois encore ? Quelles garanties, quels avantages nous offraient les princes protestants, pour prix de notre intervention ? Les effroyables ravages que leurs armées commettaient dans les pays rhénans ne risquaient-ils pas de nous aliéner l'esprit des populations, si nous nous compromettions ouvertement avec eux ?

C'est dans ces circonstances qu'éclate la clairvoyance, la prudence et aussi l'esprit de décision de Richelieu. Pendant qu'on se bat atrocement dans les Pays-Bas et que les armées catholiques et protestantes sont aux prises des deux côtés du Rhin, depuis l'Alsace jusqu'en Westphalie, en Franche-Comté et en Suisse jusqu'en Valteline, Richelieu négocie sans bruit, renouvelant les alliances antérieures avec Venise et la Savoie, secourant le roi de Danemark, Christian IV, que menaçait Tilly, le général des Impériaux ; il enchaîne l'Angleterre par le mariage d'Henriette de France avec Charles Ier. Il déplore les excès des troupes de Mansfeld, tout en donnant des subsides à ce grand ravageur de l'Alsace impériale. Richelieu va jusqu'à exploiter au bénéfice de la cause française ces déprédations de ses alliés, que lui seul, croit-on, peut faire cesser. Après que Mansfeld eut pris Haguenau, en 1621, toute la population de la Basse-Alsace et d'une partie du Palatinat s'enfuit épouvantée dans les forteresses. Strasbourg donna l'hospitalité à plus de cent mille réfugiés[41]. Du haut de la tour de la cathédrale, raconte la Chronique strasbourgeoise, on assistait, dans l'épouvante, à l'incendie des villages de la grande plaine, sans pouvoir rien tenter pour leur salut. Bientôt, le terrible condottiere passe au service de France, moyennant le titre de maréchal de camp et une pension de 18.000 livres. Le 28 février 1622, il écrit à Louis XIII et demande au Roi de le confirmer dans la possession de l'Estat et ville de Haguenau, sous la reconnaissance et dépendance de Sa Majesté. Mansfeld vint même à Paris, à la fin de décembre 1623 ; il proposa de faire la conquête de toute l'Alsace pour le compte du roi de France.

Richelieu n'accepta point, niais il profita de l'offre, pour parler avec fermeté à Vienne et à Madrid en faveur des protestants d'Alsace et d'Allemagne. Il mande au gouvernement espagnol d'avoir à ménager les alliés de la France et ses protégés. Il oblige les Espagnols à restituer la Valteline au canton des Grisons ; sur son ordre, La Vieuville signe avec les Hollandais un traité d'alliance, leur assurant un subside de deux millions.

Entré dans le Conseil du Roi le 29 avril 1624, Richelieu, sans abandonner les catholiques en France, ce qu'il affirme hautement, n'hésite pas à déclarer que les intérêts politiques de la France sont dans l'alliance avec les protestants d'Allemagne. Il dépêche, en juin 1624, un ambassadeur à Strasbourg, pour affirmer au Conseil de la ville, que le Roi de France est tout prêt à lui venir en aide, le jour où elle se sentirait menacée, et qu'il réunira des troupes près de Metz, afin de conserver les libertés de la ville et de la nation allemande[42].

En France, tous les esprits réfléchis approuvent la politique habile et hardie de Richelieu et sont dans l'enthousiasme. Malherbe, en 1627, écrit à Racan, en parlant du cardinal-ministre : Je vous assure qu'il y a dans cet homme quelque chose qui excède l'humanité... L'espace entre le Rhin et les Pyrénées ne lui semble pas un champ assez grand pour les fleurs de lys. Il veut qu'elles occupent les cieux bords de la Méditerranée, et que, de là, elles portent leur odeur aux dernières contrées de l'Orient[43].

Dans un mémoire politique de 1625, inspiré par Richelieu, les vues du gouvernement de la France sur l'Alsace et les pays rhénans, sont exposées avec netteté :

Les armes du Roy, dit cet écrit confidentiel, ne peuvent être que très honorables et profitables dans l'Allemagne... utiles en ce que, dans cette protection le Roy trouvera moyen de s'accommoder de plusieurs pays voisins de son royaume, ainsi que Henri II a fait de Toul, Verdun et Metz, duquel dernier évêché il y a encore plusieurs places, bourgs et villages dans l'Allemagne, qui en dependent, dont Sa Majesté se peut facilement emparer, sans ce qui se pourra faire dans l'Alsace et le long du Rhin, duquel il importe à la France d'avoir un passage[44].

Des intrigues habiles sont nouées avec diverses villes et des princes rhénans, si bien qu'en 1629, l'Empereur, averti, menace les magistrats de Strasbourg de faire occuper par ses troupes le pont du Rhin et même de faire le blocus de leur ville, pour la punir de s'être engagée avec la France en des négociations secrètes[45].

La même année, dans son programme de politique extérieure destiné à arrêter le cours du progrès d'Espagne par tous les moyens, le Cardinal indique au Roi qu'il faut penser à se fortifier à Metz et s'avancer jusqu'à Strasbourg, s'il était possible, pour acquérir une entrée dans l'Allemagne[46]. Il ajoute qu'il faudra aussi penser à la Franche-Comté, acquérir la souveraineté de Neufchâtel et entretenir soigneusement l'alliance avec les Suisses.

En tout cela, Richelieu est bien loin d'être un révolutionnaire ; il entend faire valoir des droits anciens et légitimes et pour justifier juridiquement ses projets, il fait appel aux légistes. L'un de ses conseillers lui rédige un mémoire sur cette question : Quel est le plus sûr moyen pour réunir à la France les duchés de Lorraine et de Bar ?

L'Empereur, y est-il dit, n'a aucun droit sur les terres qui sont en deçà du Rhin, que par usurpation, d'autant que cette rivière a servi de bornes à la France... cinq cents ans durant. Et quand le comté de Champagne a été réuni à la Couronne par le mariage de l'héritière de Champagne avec Philippe le Bel, il fit un traité à Vaucouleurs avec l'empereur Albert et les prélats et barons de l'Empire, par lequel il est dit que les limites de la France seront jusqu'à la rivière du Rhin, ainsi que d'ancienneté[47].

De nombreux écrits juridiques furent publiés par les légistes pour rendre populaires les projets de Richelieu et les expliquer. D'aucuns de ces factums sont accompagnés d'une carte de l'Austrasie le vrai et primitif héritage de la couronne de France, et partout on pose en principe intangible que le Rhin, l'ancienne limite de la Gaule, doit être aussi la limite de la France, le regnum Francorum de Clovis.

En 1642, l'un de ces publicistes, Chantereau-Lefèvre s'applique à démontrer que pour que la paix soit établie pour toujours entre les Français et les Allemands, il faut à la Monarchie française sa véritable limite, le Rhin. Le rétablissement de ces bornes, conclut-il[48], donnera une paix honorable et sûre, non seulement à la France, mais à toute la République chrétienne, qui a été incessamment troublée depuis sept vingts ans par ceux qui ont envahi sur la couronne franc-gauloise quantité de beaux et importants États...

On le voit, les légistes et les politiques comprenaient comme aujourd'hui, que la grande affaire occidentale était la question du Rhin, et que la paix ne pouvait être assurée à l'Europe, que par le rétablissement des frontières naturelles de la France, qui sont celles de l'ancienne Gaule : Jusqu'où allait la Gaule, répétait Richelieu, jusque-là doit aller la France.

En ce temps-là, l'empereur Ferdinand II devint, pour un instant, le maître de toute l'Allemagne. Il avait battu l'Électeur Palatin Frédéric ; les trois Électeurs ecclésiastiques lui étaient dévoués, ainsi que les autres princes de la Ligue catholique. Les princes protestants de Saxe et de Brandebourg étaient forcés de reconnaître son autorité et de marcher avec lui. Ses armées avaient ravagé les pays rhénans, pénétré jusqu'en Lorraine. Il se crut assez fort pour sévir contre les féodaux qui avaient trouvé commode de se faire protestants pour s'approprier les biens des églises et des monastères. Lorsque le fameux Édit impérial du 6 mars 1629, ordonna la restitution de tous les biens confisqués, ce fut un émoi général chez les usurpateurs. Éperdus, ruinés, ils appelèrent à leur secours le roi de Suède, Gustave-Adolphe, et les Hollandais.

Gustave-Adolphe accourt, signe un traité d'alliance avec la France, bat Tilly à Breitenfeld, près de Leipzig, le 17 septembre 1631, s'avance sur le Rhin par Wurtzbourg et Francfort, prend Mayence, Spire, Worms, Mannheim. Puis, l'on voit avec stupeur le roi de Suède, grisé par le succès, s'installer à Mayence, avec sa cour et son chancelier Oxenstiern, recevoir les hommages empressés des principicules allemands, s'allier aux Hollandais, distribuer des fiefs à ses fidèles. Il semble le souverain de l'Allemagne toute entière. Il refuse avec morgue d'évacuer Mayence, à la demande de Melchior de l'Isle, l'envoyé du roi de France. De quel côté Gustave-Adolphe va-t-il maintenant porter ses armes ?

Sur le conseil de Richelieu, Louis XIII vint en Lorraine, bien plus pour surveiller de près son dangereux allié que pour s'entendre avec lui. Gustave-Adolphe chercha à pousser le Roi en l'attaque de Bourgoigne (Franche-Comté), Luxembourg, Flandres ou Alsace, et Richelieu, dans le Conseil du 6 janvier 1632 parut un instant décidé à saisir cette occasion de reculer les frontières de la France jusqu'aux limites géographiques de l'ancienne Gaule[49]. Les princes protestants affirmaient au Cardinal que s'il soutenait leur cause contre la maison d'Autriche, ils remettraient au Roi de France tout ce qu'ils tenaient en deçà du Rhin. Dès lors, Richelieu fit ressortir, dans un mémoire adressé à Louis XIII, qu'il semblait que les avantages du Roy étoient grands en ce parti, et le péril petit... Il étendrait son royaume jusqu'au Rhin, sans coup frapper.

Mais il fallait d'abord ouvrir la route, c'est-à-dire s'emparer de la Lorraine, dont le duc Charles IV avait pris le parti de l'Empereur. Cela fait, ajoutait Richelieu quelques semaines plus tard, on pourrait insensiblement étendre les bornes de la France jusqu'au Rhin, et être en état, peu après, de prendre part à la Flandre, si par un soulèvement général ou débris manifeste des affaires d'Espagne, on voyait, au printemps, qu'il y eût occasion de le faire[50].

Et pourtant, Richelieu hésita au dernier moment, à cause de l'insécurité que lui présentait l'alliance protestante. Il se rappelait les princes allemands, sous Henri II et Henri IV, répugnant à voir leur alliée, la France, que pourtant ils appelaient, s'approcher de l'Allemagne. Il eut d'autant plus raison de craindre, de leur part, un revirement d'opinion qu'ils semblèrent bientôt favoriser non point les ambitions françaises, mais les visées de Gustave-Adolphe qui manœuvrait pour se tailler un royaume protestant sur le Rhin et annexer ce pays à la couronne de Suède. Et voilà pourquoi, dans les négociations qui s'engagèrent alors entre Gustave-Adolphe et la Ligue catholique allemande pour les bases d'une alliance, le duc de Bavière, Maximilien, demanda au roi de Suède, comme condition préalable, l'évacuation des provinces rhénanes ; et pourquoi aussi Gustave-Adolphe ne voulut point y consentir. Pour échapper aux Suédois, l'archevêque Électeur de Trèves se mit, le 9 avril 1632, sous le protectorat de la France, puisque, disait-il, l'Empereur était dans l'impuissance de protéger ses États. Il enjoignit à tous ses sujets et affidez, de reconnaître le sérénissime roi de France, Louis, pour son seigneur assistant[51].

Ainsi, sous la poussée des événements, les combinaisons de la politique se trouvaient bouleversées : les protestants se rattachaient à Gustave-Adolphe, prince protestant, plutôt qu'à Louis XIII, roi catholique, et l'archevêque de Trèves, prince catholique se jetait dans les bras du roi de France, allié des protestants. Richelieu, dans cet imbroglio, pensa sagement que la question rhénane n'était mûre ni pour Gustave-Adolphe ni pour la France. Il crut prudent d'attendre et de confier la réalisation de ses espérances à la diplomatie, au temps et, si besoin était, au prestige des armes : il se tenait prêt à agir.

 

VI

L'ALSACE PENDANT LA GUERRE DE TRENTE ANS JUSQU'EN 1643.

 

Frédéric Masson racontant les origines de l'Académie française, a tracé de la Monarchie capétienne le plus bel éloge qu'on puisse faire du gouvernement d'un pays, dans cette page aussi éloquente que justifiée :

La Monarchie ne connaissait point, en matière d'institutions, la génération spontanée : c'est pourquoi ce qu'elle fondait était de durée. Ce n'était pas du cerveau d'un politicien, sous un coup de foudre ou par une illumination de ce qu'il croit être du génie, que s'échappait, parée de ses grâces neuves, une loi d'ailleurs inapplicable ou ruineuse ou meurtrière. La monarchie... attendait, pour l'ordinaire, que par lentes stratifications, une institution, sous l'action des besoins, se fût d'elle-même agglomérée ; que des tentatives et des essais eussent montré comment tel ou tel établis-ment pourrait être utile à la nation, profitable à ses intérêts et, par là même, à la gloire du Roi. Alors, non sans des tâtonnements, elle se déterminait à des adoptions, des incorporations, et si l'ou veut, des créations ; le plus souvent ce n'était là qu'un mot. Bien antérieurement à l'acte royal qui lui donnait une forme légale, l'organe existait, créé par la fonction[52]...

Ces observations s'appliquent à la conquête de l'Alsace aussi bien qu'à la création de l'Académie : le traité de Westphalie, en 1648, ne fera que sanctionner pour ainsi dire, et faire entrer dans le droit international un état de choses préexistant et déjà admis par tous. Les populations de l'Alsace dont nous avons fait ressortir, plus haut, les origines et l'amalgame ethnique, formaient, par la constitution physique de leur habitat et sous la suzeraineté impériale, une mosaïque de villes libres, de principautés laïques et ecclésiastiques qui n'avaient guère de commun que leur dialecte germanique. C'est à peine si les malheurs publics supportés en commun leur avaient donné quelque conscience de leur solidarité morale. Elles en tirèrent toutefois la leçon, chaque jour plus évidente, que leur protecteur féodal, l'Empereur, leur suzerain, ne fut jamais en état de les protéger contre une agression étrangère, ni, comme une magistrature supérieure émanée de Dieu, capable de leur assurer l'ordre et la paix à la place de leurs querelles intestines. Aussi, durant les effroyables guerres de Religion, l'Alsace qui, en grande partie, avait adopté la Réforme, ne trouvant plus dans l'Empereur qu'un persécuteur, se tourne du côté de la France. Elle recherche l'alliance ou la protection de nos rois, et ceux-ci ne se font pas faute de répondre à son appel. Leur politique à l'égard de ce pays désemparé, consiste à combiner patiemment les anciens droits naturels et historiques auxquels ils ne renoncèrent jamais, avec les vœux et la volonté des habitants que le hasard des héritages féodaux, quand ce ne fut pas un acte de brigandage, avaient séparés du royaume des Francs — par conséquent de la France, — pour leur imposer cette longue domination autrichienne qui leur rappelait celle des Alamans des temps mérovingiens.

Après Henri II, Henri IV se montra particulièrement habile dans ses rapports avec les protestants, alsaciens et leur métro- pole, Strasbourg. C'est sous son égide bienveillante, dit l'érudit historien de l'Alsace, Rodolphe Reuss[53], que cette contrée a pu passer dans une tranquillité à peu près complète les années de 1600 à 1610, les seules d'une paix continue qu'elle ait connues, dans ce siècle si néfaste pour elle. Les Alsaciens ne furent point ingrats et le souvenir du grand Henri fut invoqué lorsque, plus tard, les États protestants d'Alsace eurent de nouveau recours à Louis XIII contre la tyrannie autrichienne.

Ce furent, à la fois, cette attitude protectrice et bienveillante de nos rois et les atrocités commises en Alsace par les hordes allemandes, à quelque parti qu'elles appartinssent, qui jetèrent définitivement les Alsaciens dans les bras de la France. Les villes libres et les petites principautés disséminées dans la vallée de l'Ill, trop faibles par elles-mêmes, incapables d'union, étaient à la merci des ravageurs de toute confession. Forcées d'aliéner leur liberté et de se placer sous un glaive protecteur, elles choisirent le roi de France, leur allié séculaire, plutôt que l'Empereur, faible et lointain, contre lequel elles avaient, d'ailleurs, toujours lutté pour s'affranchir du joug féodal détesté. Ainsi, dès le milieu du XVIe siècle, dit encore Rodolphe Reuss[54], l'ombre de la puissance française se projette, avant-coureur des événements futurs, sur la carte de l'Alsace.

En 1631, Richelieu refusa l'offre de l'Alsace que lui fit Gustave-Adolphe, parce que ce dernier en faisait le gage de la consolidation des Suédois sur le Rhin. Mais le ministre avisé profita, avec empressement, des avances de l'Électeur de Trèves pour mettre des garnisons françaises à Philippsbourg, en face de Germersheim et à Ehrenbreitstein, en face de Coblence. Il obtint aussi de l'Électeur de Cologne la forteresse de Dinant, dans l'évêché de Liége. Mais, avec quelles précautions l'habile ministre opère ces prises de possession des forteresses ! Avec quel soin et quelle insistance il recommande à ses négociateurs, — qui s'en vont, la bourse à la main, — de traiter la question des places, si délicatement qu'il paraisse que le Roy n'en fasse aucune recherche, et que les Électeurs soient amenés à les offrir d'eux-mêmes[55].

Par ces habiletés diplomatiques, par cette méthode lente, mais ferme et résolue, la France s'avance graduellement, sûrement et sans guerre, vers le Rhin et elle s'établit en Lorraine. Les traités de Vic et de Liverdun (1632) lui donnent Marsal, Stenay, Jamatz et Clermont. En même temps, et dès 1631, Richelieu envoie à Strasbourg un agent spécial, -Melchior de l'Isle, pour confirmer à la ville sa protection bienveillante. Il offre au Conseil un secours pécuniaire pour relever les finances municipales épuisées.

Melchior de l'Isle, dit Reuss, autrefois professeur à Bâle, sa ville natale, et protestant lui-même, allait être bientôt le premier de la longue série des diplomates que, pendant un demi-siècle, le gouvernement royal entretient, à poste fixe, à Strasbourg, afin d'y représenter ses intérêts, d'y gagner les esprits et de préparer, peut-être dès ce moment, les solutions entrevues dans l'avenir. Le secrétaire du Conseil des Quinze, Josias Glaser, fut donc envoyé en mission secrète à Paris, au mois de juillet 1631, pour y obtenir un prêt de trente mille florins. Sa demande fut accordée de la façon la plus gracieuse, et cet emprunt fut le premier lien effectif entre la France et la petite République. Juste au moment où Glaser rentrait à Strasbourg, on apprit la victoire décisive de Gustave-Adolphe sur Tilly, à Breitenfeld ; la joie fut à son comble dans tous les rangs de la société.

L'année suivante, en février 1632, Louis XIII envoie à Strasbourg le sieur Magnien qui expose aux Strasbourgeois le désir de son maître de les voir demeurer fermes et stables à son service et, en honorant le roi de Suède comme ils font, de garder à Sa Majesté (le roi de France) le rang et la dignité dans leurs cœurs et en leurs affaires, telle qu'il lui appartient et à sa Couronne.

Un peu plus tard, le Roi renouvelle aux Strasbourgeois l'assurance de sa bienveillance. Il leur fait assurer, par Melchior de l'Isle, que les protestants ne seront jamais troublés dans leur croyance et l'exercice de leur culte[56]. Puis, c'est un troisième envoyé, La Grange-aux-Ormes, qui vient raffermir la confiance des Strasbourgeois dans le roi de France, qui ne portera aucune atteinte à leurs libertés et les protégera efficacement contre les soudards allemands qui pillent et rançonnent tout le pays.

Le cardinal, que l'ambition du roi de Suède commence à inquiéter, se hâte, dès juillet 1632, d'envoyer des troupes en Lorraine et en basse Alsace, sous les ordres du maréchal d'Effiat et du comte de la Suze ; il fait occuper Wissembourg et Landau, en même temps que les places de l'Électorat de Trèves. Mais les généraux de Gustave-Adolphe, le rhingrave Otton-Louis et Gustave Horn, promènent toujours la torche incendiaire dans la haute Alsace, terre impériale. Les chroniqueurs du temps font la remarque que l'armée française de la basse Alsace s'abstient de tout dégât, tandis que les régiments suédois se signalent, dans toute la vallée de l'Ill, par leur vandalisme et leur barbarie.

Plusieurs fois vainqueur en Allemagne de Tilly et de Maximilien de Bavière, Gustave-Adolphe parle maintenant avec une arrogance dont Louis XIII et Richelieu sont de plus en plus troublés. Que serait-il advenu d'une ambition ainsi déchaînée, si Gustave-Adolphe, vainqueur encore une fois de Wallenstein à Lutzen, en 1632, n'eût été enseveli dans son triomphe ? Sa mort fut une délivrance aussi bien pour son alliée, la France, que pour ses ennemis, les Impériaux et les catholiques allemands.

Mais la guerre n'en continua pas avec moins de fureur de part et, d'autre. Saverne, Colmar, Belfort, les dernières places restées aux Impériaux, sont forcées de capituler, à la fin de 1632. Les protestants brûlent les églises et les couvents[57]. En 1633, disent les Annales des Franciscains de Thann, tantôt les Impériaux viennent battre les Suédois, et tantôt les Suédois reviennent battre les Impériaux : c'est un massacre sempiternel. Le Rhingrave Otton-Louis fit martyriser les catholiques de Ronffach et des environs, dans des conditions d'atrocité inouïe. Rodolphe Reuss, après avoir résumé ces horreurs ajoute : La froide cruauté, l'âpre soif de vengeance qui se manifestèrent, de part et d'autre, ont gravé d'une manière ineffaçable cet épisode lugubre dans les souvenirs des populations de ces contrées 2[58].

Redevenu le maître de la situation politique, Richelieu sentait grandir chaque jour son influence. Tous les partis n'ont plus d'espoir qu'en lui ; catholiques et protestants sollicitent son intervention ; de toutes parts on appelle la France. Le cardinal ne veut rien précipiter, rien brusquer ; plus le mal sera grand, plus il deviendra l'homme indispensable ; tant que les Impériaux ne seront pas réduits à-merci, il engage les protestants à continuer la guerre ; il leur fournit des subsides ; il envoie le gouverneur de Verdun, Dupas de Fauquières, exhorter instamment l'Électeur de Saxe à prendre la direction de la guerre, à se concerter avec Oxenstiern et à ne faire ni paix ni traité sans le consentement de la France. Fauquières a mission de dire au chancelier suédois que le roi Louis XIII n'épargnera rien pour défendre les Suédois et les protestants confédérés contre la maison d'Autriche et même, que, pour le bien commun, il ne refuseroit pas de se charger de la garde de quelques places avec charge de les rendre par la paix. Les places qui conviendraient le mieux à la France étoient Benfeld, Haguenau, Schlestadt et Brisach, s'il étoit pris, et autres principaux lieux de l'Alsace au deçà du Rhin ; Trarbach sur la Moselle et Kreutznach[59]. Sur ces bases, une convention nouvelle est conclue entre la France et la Suède, en 1633.

Dans les premiers jours de 1634, Richelieu eut à faire un. pas plus décisif. Le comte de Salm, administrateur de l'évêché de Strasbourg, croyant ne plus pouvoir se maintenir longtemps dans Saverne, et se voyant à la veille de perdre également Haguenau, préféra les remettre entre les mains du roi de France plutôt que de les voir tomber au pouvoir de la Suède[60]. Les troupes françaises qui occupaient déjà Ingwiller, Bouxwiller et d'autres petites places, entrèrent à Saverne et à Haguenau, en janvier 1634. Les Suédois, bien que maîtres de Schlestadt et de Benfeld, laissent faire, à cause de leurs difficultés avec la Pologne, pour lesquelles ils ont besoin de l'appui de la France. Dans le même temps, Richelieu essayait de corrompre le chef même des Impériaux, Wallenstein, en lui offrant un subside d'un million et la promesse de la couronne de Bohême ; le 25 février 1634, au cours de ses louches intrigues, Wallenstein fut assassiné.

A force de souplesse et de fermeté, Richelieu était à peu près parvenu à ses fins. Ses principaux adversaires avaient été, non point ses ennemis, mais ses alliés, Mansfield et Gustave-Adolphe. A présent, voilà que surgit, à la tête des Suédois, un nouvel aventurier non moins terrible et aussi peu sûr, Bernard de Saxe-Weimar. Celui-ci ravage tout, en Bavière et sur la rive droite du Rhin, avec son allié, le maréchal de Horn, chef de l'armée des Pays-Bas. Richelieu le flatte ou le ménage, négocie sans relâche l'occupation de nouvelles places fortes, en prévision des événements. Il oblige le duc de Lorraine, Charles IV, à recevoir des garnisons françaises à Nancy, à Sierck, à Bitche, à La Mothe. Il prend sous sa protection la forteresse de Montbéliard, l'évêque de Bâle, l'abbaye de Lure. L'Électeur de Cologne a recours à lui et lui promet éventuellement des places fortes. Les Suédois ayant occupé Philippsbourg que l'Électeur de Trèves lui avait promise, Richelieu informe ses terribles alliés, qu'en échange et à 'défaut, il accepterait volontiers Benfeld, Schlestadt et Colmar[61]. Mais voilà que la Diète, mise en éveil, se réunit à Francfort, le 11 mars 1634, et trouve que les Français avancent trop. On les aime bien, mais de loin ; on aime surtout leur argent tout seul et sans eux. Soudain, Bernard, protecteur de la Diète, est battu par les Impériaux à Nördlingen, en septembre 1634 : aussitôt, les princes protestants et Oxenstiern font volte-face et se tournent avec anxiété du côté de la France ; ils envoient une ambassade, pour supplier Louis XIII de se déclarer. Décidément, on ne peut pas se passer des Français : c'est tout ce que voulait Richelieu.

Déjà, les villes du Palatinat, Kaiserslautern, Neustadt, Mannheim, redoutant les troupes suédoises battues et moins disciplinées que jamais, avaient accepté volontiers des garnisons françaises qui y apportaient de l'argent et la sécurité. Sur l'ordre du Cardinal, le vieux maréchal de La Force vint se poster en avant de Haguenau, tandis que son fils se cantonnait à Saverne, avec une armée de réserve. Les populations accueillirent ces troupes avec enthousiasme. A dater de ce jour, les destinées de l'Alsace étaient entre les mains de la France. Richelieu jugea que le moment était venu d'en finir et de ne pas résister davantage aux sollicitations universelles qu'il avait lui-même provoquées. Melchior de l'Isle signe, en son nom, à Francfort, le 9 octobre 1634, une convention par laquelle le Rhingrave Otton-Louis et le chancelier suédois Oxenstiern abandonnent toute l'Alsace à la France. Les principales places de l'Alsace, sauf Strasbourg, sont mises sous la protection de Sa Majesté très Chrétienne[62].

Le lendemain 10 octobre, le résident français avise le margrave Guillaume de Bade, commandant les troupes Impériales dans la Haute Alsace, que le roi de France prend possession de Colmar et de Schlestadt. Le 22, on signe à Worms une convention en vertu de laquelle, dès que le Roi prendra ouvertement part à la lutte, en faveur des protestants, toutes les autres places de l'Alsace, même Brisach, lui seront remises, et ses troupes auront libre passage sur le pont de Kehl, la garde dudit pont demeurant toujours à ceux de la ville de Strasbourg[63].

Il est stipulé, il est vrai, qu'après la cessation des hostilités les garnisons françaises seront retirées, mais la paix était loin, et d'ici là, pour son entrée en campagne, la France gardait toute la ligne du Rhin, depuis Bâle jusqu'à Mayence[64]. L'Alsace était à la France : ainsi l'avait voulu la force des choses. Lorsqu'en janvier 1635, le duc Henri de Rohan y arriva, les Impériaux n'occupaient plus que Rouffach et Riquewihr qui furent vite enlevées ; Strasbourg fut déclarée neutre ; Benfeld garda provisoirement sa garnison suédoise.

Des échecs militaires vinrent pourtant assombrir la joie de Richelieu. Les Espagnols prirent Philippsbourg et Sierck, en 1635 ; l'archevêque Électeur de Trèves fut fait prisonnier dans son palais archiépiscopal. Le traité de Prague du 30 mai 1635 rétablit les affaires de Ferdinand II, en le réconciliant avec les protestants. Le moment était venu pour Richelieu d'intervenir enfin par les armes. Oxenstiern vint à Compiègne où un nouveau traité d'alliance avec la Suède fut conclu, le 28 avril 1635. La France gardait ses positions en Alsace, mais elle garantissait aux Suédois, Mayence, Worms et Benfeld.

Le 19 mai, Richelieu envoie un héraut d'armes à Bruxelles déclarer la guerre à l'Espagne. Quant à l'empereur Ferdinand, Richelieu lui fait offrir, en secret, d'abandonner l'alliance suédoise s'il consentait à céder l'Alsace à la France[65].

L'Empereur, borné, ne sait pas faire le sacrifice nécessaire. Alors, c'est la guerre. Par le traité de Saint-Germain-en-Laye, le 26 octobre 1635, Louis XIII s'engage à fournir à Bernard de Saxe-Weimar un subside annuel de quatre millions de livres, moyennant quoi, le duc entretiendra une armée de 18.000 hommes au service de la France. En sus de cette somme, il aura, après la guerre, 1.500.000 livres de revenus en France, et Sa Majesté donne et délaisse audit sieur duc le landgraviat d'Alsace, y compris le bailliage de Haguenau, pour en jouir sous le titre de landgrave d'Alsace, avec tous les droits qui ont appartenu cy-devant à la maison d'Autriche[66].

Ces engagements signés, Richelieu porta sans retard son attention sur les Pays-Bas espagnols. Par un accord avec le stathouder de Hollande, Frédéric-Henri de Nassau, ces Pays-Bas furent partagés d'avance. La France s'adjugea le Luxembourg, les comtés de Namur et de Hainaut, l'Artois et une partie des Flandres. Les Provinces-Unies devaient recevoir Anvers, Malines, le Brabant, le pays de Waës et une autre partie des Flandres.

Malheureusement, à la fin de 1635, les événements militaires contrarièrent ces projets. Les Impériaux reprirent même une portion de l'Alsace. Saverne dut ouvrir ses portes au comte de Gallas qui s'avança, en ravageur, jusque sur les limites de la Bourgogne et de la Champagne. De 1636 à 1638, pendant deux ans, l'Alsace subit, outre les horreurs de la guerre, celles de la famine. Contributions de guerre arrachées par l'emprisonnement et l'emploi des instruments de torture ; pillages et incendie des églises et des maisons privées. Les survivants de la misère, des massacres ou des mauvais traitements, mouraient de la faim, de la peste, de la rage ; on mangea de la chair humaine. On faisait une sorte de pain avec des glands pulvérisés. Le long des chemins, on trouvait des cadavres, la bouche pleine de racines et d'herbes qu'ils avaient essayé de dévorer[67]. Pour arracher aux malheureux paysans leur dernier écu enterré dans un coin de la chaumière, les barbares n'hésitent pas à leur faire subir les tortures les plus horribles. Ils les rôtissent dans leurs fours, les suspendent par la barbe ou les parties honteuses, les fument dans leurs cheminées, leur entonnent de l'urine de vache, leur arrachent les ongles avec le chien de leurs pistolets... Et ces atrocités sont attestées par des documents contemporains dont la véracité est irrécusable[68].

Bernard de Saxe-Weimar, maitre du pays qu'il tyrannise et détruit, n'écoute aucune remontrance du gouvernement français. Richelieu veut, en vain, lui enlever son titre de landgrave d'Alsace. C'est pis encore, après que, le 3 mars 1638, Bernard a remporté sur les Impériaux sa victoire de Rheinfelden et qu'il s'est emparé de Brisach, le 17 décembre suivant. Et pendant ce temps les malheureux Alsaciens ne cessent de tourner leurs regards du côté du roi de France, leur seul espoir.

En septembre 1638, le gouverneur français de Schlestadt fait célébrer solennellement par la population la naissance du Dauphin de France. Le Magistrat de Strasbourg, à l'occasion du même événement, écrit à Louis XIII une lettre de félicitations, dans laquelle il promet de témoigner ses devoirs et très humbles services à Mgr le Dauphin, quand Sa Majesté, chargée d'années et de triomphes, aura reçu la dernière couronne de gloire et d'immortalité qui lui est acquise et préparée au ciel[69].

Mais Bernard, en dépit de son arrogance, se sent détesté comme un monstre ; il se rend compte que, sans l'appui du roi de France, son autorité en Alsace demeure très précaire. Alors, il tente un rapprochement ; il se déclare prêt à renoncer à ses pensions et à ses conquêtes, sous la seule condition que le Roi le reconnaisse définitivement landgraf et prince de l'Alsace inférieure et supérieure et lui cède les places fortes occupées par Sa Majesté. Il demande, de plus, à posséder ces pays à titre héréditaire et il exprime le désir que la France ne signe point de traité de paix où cette possession ne lui soit garantie[70]. Richelieu, on le conçoit sans peine, était loin de songer à retirer les garnisons françaises de Colmar, de Schlestadt, de Saverne et de Haguenau ; Strasbourg, ville libre, ne tenait pas, de son côté, à voir le prince saxon devenir trop puissant en Alsace.

En réponse à ses demandes, Louis XIII envoie à Bernard, au printemps de 1639, le baron d'Oysonville, avec ordre de lui parler avec fermeté et modération. Les pourparlers sont difficiles. Le roi demande à Bernard, à titre d'allié et d'ami, de lui céder la forteresse de Brisach qui gardait l'un des passages du Rhin les plus fréquentés et les plus faciles. Bernard refuse net : c'est presque une rupture. Richelieu se trouvait de nouveau aux prises avec l'insécurité de ses alliances protestantes. Le hasard le servit à merveille : Bernard mourut subitement, à Neuenbourg, le 18 juillet 1639.

Les lieutenants de Bernard de Saxe-Weimar passèrent sous les ordres du duc de Longueville et du maréchal de Guébriant. Le baron d'Oysonville devint l'auxiliaire du major-général d'Erlach, gouverneur de Brisach, qu'il fut secrètement chargé de surveiller, avec le titre de lieutenant du Roi, intendant de justice, police et finances de l'Alsace, du Brisgau et du Sundgau[71]. Une foule de familles féodales que la guerre avait exilées, furent autorisées à rentrer en Alsace, sous la seule obligation de prêter à Louis XIII le serment de fidélité[72].

Quant à la République de Strasbourg qui avait gardé la neutralité durant les dernières guerres, elle se vit, en quelque sorte, répudiée et rejetée de l'Empire par la maladresse de Ferdinand III. Celui-ci, voulant punir Strasbourg de lui avoir refusé le passage du Rhin, lui marqua son déplaisir en ne la convoquant pas à la Diète impériale de Ratisbonne, en juillet 1640, tandis qu'il affectait d'v convier même des villes d'Alsace qui avaient des garnisons françaises. Cette quasi-exclusion de l'Empire rejetait forcément Strasbourg du côté de la France qui faisait tout pour l'attirer à elle.

La mort de Richelieu, le 4 décembre 1642, n'amena aucun changement dans la situation que le grand cardinal avait faite à l'Alsace vis-à-vis de la France. Le Magistrat de Strasbourg écrivit à Mazarin, le 20 janvier 1643, que la ville avait appris le décès d'un si sage, prudent, heureux et fidèle ministre d'État avec d'autant plus de douleur que nous avons perdu en sa mort un très grand patron et bienfaiteur[73].

Dans le document qu'on appelle le testament latin attribué à Richelieu, on lit cette phrase : Le but de mon ministère a été de rendre à la Gaule les frontières que lui a destinées la nature, de rendre aux Gaulois un roi gaulois, de confondre la Gaule avec la France, et partout où fut l'ancienne Gaule d'y rétablir la nouvelle.

Albert Sorel fait remarquer que si l'authenticité de ce document est contestée, du moins, au point de vue de la revendication des limites naturelles de la France, l'essentiel est que le rédacteur du XVIIe siècle, quel qu'il soit, ait traduit ainsi la pensée du cardinal. Préoccupé d'honorer sa mémoire, il n'a rien trouvé de plus beau que cette recherche de nos frontières naturelles à proposer à l'admiration des Français[74].

 

VII

MAZARIN. - LE TRAITÉ DE WESTPHALIE (1648).

 

Mazarin, recueillant le glorieux héritage de Richelieu, s'efforça de continuer sa politique en Alsace et de maintenir l'alliance de la France avec les Suédois et les protestants d'Allemagne. Dès le 25 décembre 1641, deux ans avant la mort de Richelieu, des pourparlers pour les préliminaires de la paix générale avaient été engagés, à Hambourg, avec les représentants de l'empereur Ferdinand III ; il avait été convenu que le Congrès diplomatique se réunirait en Westphalie, à Munster pour la France et à Osnabruck pour la Suède. Mais les esprits étaient encore trop échauffés ; les affaires de la paix traînèrent en longueur, tandis que celles de la guerre reprirent au contraire une activité plus ardente. C'est la période française de la guerre de Trente ans, le temps des plus retentissantes victoires de Turenne et de Condé. Seulement, les mouvements des armées qui opérèrent en Alsace ou traversèrent ce pays, ne s'effectuaient pas sans entraîner des dégâts matériels et sans causer des préjudices aux habitants. Les Alsaciens, déjà si horriblement foulés par les bandes allemandes, dans les années précédentes, eurent à subir les allées et venues des régiments de Guébriant, de Turenne et de Condé. Ils s'en plaignent à Mazarin qui tache de les calmer et de les rassurer, leur fait dire que ce n'est qu'un orage passager, que toutes les guerres entraînent des désordres qu'on ne peut éviter. Il écrit à d'Oysonville d'exhorter les populations à la patience et de faire son possible pour ne mécontenter personne sans nécessité. Il fait exempter la ville de Strasbourg de toute contribution pour son baillage de la Wantzenau, il charge Turenne de réprimer énergiquement les incursions des Lorrains en Alsace. Enfin, le départ de Guébriant qui put repasser sur la rive droite du Rhin et reprendre l'offensive, ramena la tranquillité et la confiance chez les Alsaciens.

Les armées françaises, partout victorieuses après Rocroy (19 mai 1643), Thionville (4 août 1643) et la rude bataille de Fribourg-en-Brisgau (26 août 1644), s'emparent de Spire, Worms et Mayence ; le prince de Condé écrit dans sa relation : Le Rhin est retourné à ses anciens maîtres qui, depuis la seconde race de nos rois, l'avaient perdu par leurs dissensions et leurs guerres civiles.

Les Français pénètrent en Bavière et chassent l'Électeur ; Ferdinand III ne se sent plus en sécurité dans Vienne même. Il presse alors les négociations entamées depuis longtemps, mais que, jusqu'ici, il avait systématiquement ralenties, dans l'espoir de voir tourner la chance des armes. Ses diplomates n'ignoraient rien des prétentions territoriales de la France sur le Rhin, bien que nos ambassadeurs ne les eussent pas encore nettement formulées. Mais l'opinion publique s'était prononcée depuis longtemps ; chaque jour, paraissent des plaidoyers historiques et juridiques qui poussent Mazarin à garder nos conquêtes, qui ne sont que la reprise d'anciens territoires français indûment détachés de la Couronne. Dès 1643, Jacques Cassan, avocat du Roi au Présidial de Béziers, publie un mémoire intitulé : La Recherche des droits du Roy et de la Couronne de France sur les royaumes, duchés, comtés, villes et pays occupés par les princes étrangers. Cassan soutient la thèse suivant laquelle toute la ligne du Rhin est la limite historique de la Monarchie française depuis Clovis :

Les Francs ont hérité des Gaules et de toutes leurs annexes ; ils ont donc à réunir la Savoie et Nice ; ils ont à reprendre la Lorraine, car elle est des territoires en deçà du Rhin, qui ont été usurpés sur la France.

Quelque nom qu'il eût, ajoute notre légiste, il faisoit toujours une riche pièce de la Couronne de France. C'était une pierre précieuse, tirée de la même roche et de la même mine, comme un or sorti de la substance de la même terre... Il faut y ajouter les Flandres et les Pays-Bas, car Jules César les a comprises dans le domaine gaulois...

Ce sont les bornes, ajoute-t-il, que la nature semble avoir mises de sa propre main et que les anciens rois, auxquels est dû l'établissement de cette Monarchie, donnèrent à l'État[75].

Lefèvre-Chantereau que nous avons déjà cité, publie, en 1644, un nouveau mémoire : Si tes provinces de l'ancien royaume de Lorraine doivent être appelées terres d'Empire. Il y soutient que le Roi doit reprendre l'ancien royaume d'Austrasie dont le royaume de Lorraine (Lotharingie) n'est qu'un débris, et que ce royaume a toujours fait partie de la France, le regnum Francorum ; ue le gouvernement de la reine, mère du Roi, avait donc des raisons pour retenir la Lorraine et revendiquer d'autres terres entre Rhin et Meuse, comme le bas Palatinat, les duchés de Berg et de Juliers, les évêchés de Liège, de Mayence et de Trèves, prenant partout le Rhin pour borne de la France, sans que le corps germanique pût se plaindre qu'on blessât son intégrité, puisque dans l'origine, ces pays ne faisaient pas partie de l'Allemagne.

Le devoir des négociateurs pour la France leur était ainsi tout tracé et Mazarin leur donna avec précision des instructions qu'ils ne devaient faire connaître qu'au moment opportun. A Munster, le 4 décembre 1644, les plénipotentiaires impériaux remirent un avant-projet de traité de paix ; les premières contre-propositions françaises sont du 24 février 1645. Puis, ce furent, tout le long des années suivantes, un chassé-croisé de

notes diplomatiques et de discussions juridiques, au cours desquelles nous voyons, pour la première fois, le 7 janvier 1646, les ambassadeurs français préciser avec fermeté leurs demandes dans une note où la France réclame : l'ancienne Austrasie, les Trois-Évêchés, la haute et la basse Alsace, le Sundgau, le Brisgau et Brisach, Philippsbourg et les quatre villes forestières du Rhin, Rheinfelden, Sæckingen, Lauffenbourg et Waldshut[76]. Suivant un dicton bien connu, on demandait le plus pour ne pas être- réduit à se contenter du moins. L'Empereur déclara qu'il ne céderait jamais l'Alsace, à plus forte raison le Brisgau, sur la rive droite du Rhin, bien qu'il fût occupé par les troupes françaises.

Turenne, qui avait chassé les Espagnols et les Impériaux de l'Alsace et du Palatinat, passa l'hiver de 1646 en Alsace, pays, lui écrivait Mazarin, qui n'appartient pas moins au Roy que la Champagne. En même temps, Mazarin n'oubliait' pas les intérêts de la France dans le Nord ; l'acquisition de la Belgique lui tenait non moins à cœur que celle de l'Alsace :

L'on aurait, écrit-il, le 20 janvier 4616, à son ambassadeur, le comte d'Avaux, étendu les frontières jusqu'à la Hollande, et, du côté de l'Allemagne, qui est celui d'où l'on peut beaucoup craindre, jusques au Rhin, par la rétention de la Lorraine et de l'Alsace et par la possession du Luxembourg et de la comté de Bourgogne (Franche-Comté)... Ce serait sortir avec tant de fruit et de réputation de la présente guerre, que les plus malins seroient bien en peine d'y trouver à redire ; tant de sang répandu et de trésors consommés ne pourroient être tenus par les plus critiques que fort bien employés, quand on verroit annexé à cette Couronne tout l'ancien royaume d'Austrasie[77].

En avril 1646, Ferdinand fit savoir qu'il consentait à l'abandon de ses possessions dans la haute et la basse Alsace contre une indemnité de cinq millions de rixdales à payer aux archiducs. Par contre, la France devait renoncer au Brisgau, à l'Ortenau, aux quatre villes forestières[78]. Mais on chicana sur de nombreux points de détails. Le 19 juillet 1646, les plénipotentiaires français signèrent avec l'Électeur de Trèves, qui était en même temps évêque de Spire, un traité particulier qui accordait au roi de France le droit de garnison permanente dans sa. forteresse de Philippsbourg[79].

Les opérations de guerre continuaient toujours, et par ses avances diplomatiques, Ferdinand semblait vouloir simplement gagner du temps, pour reformer ses armées et négocier des alliances. Mais, le 17 mai 1648, Turenne anéantit à Zusmarshausen la dernière armée impériale, commandée par Melander. Les Français étaient sur l'Isar et sur l'Inn : ce fut l'argument décisif. Ferdinand III autorisa ses ministres à signer la paix, le 24 octobre 1648.

L'article 44 du traité de Munster confirme à la France la possession des Trois Evêchés et de leurs dépendances.

L'article 75 donne l'Alsace à la France ; il est ainsi conçu :

Sa Majesté Impériale et Royale, tant pour soi que pour toute la Maison d'Autriche et l'Empire, renonce à tous les droits de propriété, seigneurie, possession et juridiction qu'elle avait en la ville de Brisach, au landgraviat de la haute et basse Alsace, au Sundgau et en la préfecture provinciale des dix villes impériales sises en Alsace, savoir : Haguenau, Colmar, Schlestadt, Wissembourg, Landau, Oberenheim, Rosheim, Munster en la vallée Saint-Grégoire, Kaisersberg et Turkheim, et en tous les cantons qui en dépendent, lesquels droits elle transporte au Roi très Chrétien et à son royaume.

L'article 79 dit :

L'Empereur, l'Empire et l'archiduc Ferdinand-Charles quittent et dispensent les ordres, magistrats, officiers et sujets desdits lieux et seigneuries, de la servitude et des serments par lesquels, jusqu'à ce jour, ils leur avaient été obligés et sujets à la maison d'Autriche, et les remettent et obligent à la sujétion, obéissance et fidélité du roi de France ; et ainsi établissent cette Couronne en une pleine et juste souveraineté, propriété et possession d'iceux ; renonçant à perpétuité pour eux et les leurs, à tous les droits et prétentions qu'ils y avaient ; s'obligeant d'y faire aussi renoncer le roi d'Espagne et d'en délivrer telles patentes que la France désirera[80].

La ville libre et impériale de Strasbourg n'était pas comprise dans la cession de l'Alsace. En revanche, l'Empereur cédait à la France Brisach, situé sur la rive droite du Rhin, et le droit de garnison à Philippsbourg ; c'étaient deux passages du Rhin, les clefs de l'Allemagne mises en nos mains[81].

Les ratifications du traité de Munster furent échangées seulement le 18 février 1649. Il y avait, alors, une douzaine d'années que les troupes françaises étaient établies dans la plus grande partie de l'Alsace. Aux yeux des populations, le traité de Munster passa pour ainsi dire inaperçu. La conquête militaire était accomplie ; la conquête morale, la seule qui soit véritablement durable et valable aux yeux de l'historien, était déjà très avancée ; après 1648, elle s'acheva comme par enchantement. Ce fut, comme le rappelait récemment un conférencier alsacien, M. Albert Helmer, la justice française, le maintien des anciennes coutumes et des droits individuels, l'amour de la culture, de la langue et des arts locaux, le respect de la dignité humaine qui attachèrent pour jamais à la France cette race vaillante et loyale. Cinquante ans après le traité de Westphalie, un ambassadeur du roi de Prusse écrivait déjà à son maître : Il faudrait deux siècles de chaînes pour arracher l'Alsace à la France.

Aucune violence n'a été faite ni sur les personnes, ni sur les institutions, ni sur les croyances religieuses ; nulle atteinte au droit et à la tradition historique. Tout le monde professe qu'en s'annexant l'Alsace, la France ne fait qu'opérer une légitime reprise[82]. Légistes, jurisconsultes, historiographes, diplomates, politiques enseignent cette doctrine qui ne rencontre nul contradicteur. Hugues de Lionne écrit le 7 juin 1659, après le traité des Pyrénées, que Louis XIV, par ses conquêtes, n'a rien retenu au seul titre de conquête, mais tout au titre de restitution et de réintégration dans les droits de la Monarchie française.

Y eut-il jamais, dans l'histoire des peuples, une conquête plus admirable et plus légitime que celle-là, qui fixa définitivement le sort de l'Alsace et lui assura la paix, qu'elle n'avait jamais connue, jusqu'au jour néfaste de 1871, où les Prussiens, les Barbares modernes, revendiquèrent par violence ce malheureux pays pour le nouvel Empire allemand qu'ils fondaient.

 

 

 



[1] H. LEMONNIER, dans l'Histoire de France de LAVISSE, t. V, 2e partie, p. 4.

[2] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 5.

[3] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 5.

[4] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 7.

[5] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 7.

[6] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 8.

[7] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 366.

[8] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 51.

[9] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 62.

[10] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 78.

[11] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 95.

[12] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 109.

[13] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 112.

[14] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 143.

[15] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 146.

[16] BRANTÔME, le Grand Roy Henri II.

[17] VINCENT CARLOIX, Mémoires sur la vie du maréchal de Vieilleville, ch. XIV.

[18] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 146.

[19] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 149.

[20] Voir la Germania de Wimpheling, réimprimée par CHARLES SCHMIDT (Genève, Fick, 1874, in-4°) ; cf. ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, p. 43.

[21] RODOLPHE REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, p. 43.

[22] H. LEMONNIER, Hist. de France, t. V, 2e part., p. 152.

[23] Albert, margrave de Brandebourg-Bareith.

[24] Mémoires de Gaspard de Saulx, année 1552 ; ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 265.

[25] RODOLPHE REUSS (l'Alsace au XVIIe siècle, p. 43), rappelle que l'expédition de Henri II a été racontée, avec de nombreux et intéressants détails, par divers savants allemands, notamment par LORENZ et SCHERER. Ces derniers, dans leur Histoire d'Alsace (p. 244), sont scandalisés qu'on n'ait point vu paraître la rougeur de la honte sur le front de Henri II lorsqu'il entra dans Strasbourg qu'il méditait pourtant de trahir. Le malheur, remarque Reuss, est que cette entrée n'a jamais eu lieu que dans l'imagination de ces savants écrivains. Mais que penser de ces mots la rougeur de la honte, sous la plume d'historiens allemands !

[26] SCHILLER, Kabale und Liebe. Sur la réputation des Allemands au XVIe siècle, leur barbarie, la grossièreté de leurs mœurs, voyez les témoignages rassemblés par Charles Benoist, les Allemands peints par les Maîtres de l'esprit français. (Séance publique de l'Institut, 1915.)

[27] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse. Le Protestantisme, p. 4.

[28] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse. Le Protestantisme, p. 7.

[29] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse. Le Protestantisme, p. 29.

[30] Sur les divergences entre les églises luthériennes et calvinistes, voir : KAHL, Lehrsystem des Kirchenrecht und der Kirchenpolitik, t. I, p. 126 et suivantes ; G. GOYAU, l'Allemagne religieuse. Le Protestantisme, p. 283.

[31] MARIÉJOL, dans LAVISSE, Hist. de France, t. VI, 2e partie, p. 104.

[32] PIERRE MATTHIEU, Hist. de France, t. I, p. 338 (publiée en 1631).

[33] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 44.

[34] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 44.

[35] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, pp. 267-268.

[36] SULLY, chap. CXCVIII, CXCIX.

[37] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 111.

[38] Cité par ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 271.

[39] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 267.

[40] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e partie, p. 188.

[41] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 60.

[42] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 67.

[43] Cité par ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution, t. I, 272.

[44] Mémoire publié par R. GARDINER dans la Revue historique, 1876, I, p. 229 ; cf. ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 68.

[45] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 70.

[46] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 291.

[47] Cf. ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution, t. I, pp. 273-274.

[48] Cité par ALB. SOREL, l'Europe et la Révolution, t. I, p. 276.

[49] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 307.

[50] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution, t. I, p. 273.

[51] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 308.

[52] FRÉD. MASSON, l'Académie française, p. 1.

[53] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 45.

[54] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 42.

[55] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 309.

[56] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 74.

[57] Chronique de Guebwiller, p. 273, citée par REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 78.

[58] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, pp. 79 et 119.

[59] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 310.

[60] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 80.

[61] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 313.

[62] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, pp. 133-134.

[63] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 315.

[64] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, pp. 82-83.

[65] MARIÉJOL, Hist. de France, t. VI, 2e part., p. 316.

[66] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 88.

[67] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, pp. 129 à 132.

[68] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 115.

[69] Lettre du 6 octobre 1638, dans ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 97.

[70] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 93 et suivantes.

[71] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 97.

[72] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 99.

[73] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 100.

[74] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution, t. I, p. 278.

[75] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution, t. I, p. 277.

[76] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 142.

[77] CHÉRUEL, Hist. de France pendant la minorité de Louis XIV, t. II, p. 176 et 270.

[78] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 145.

[79] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 150.

[80] Voir le texte latin dans ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, p. 163.

[81] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 40.

[82] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution, t. I, p. 276.