L'ARMÉE D’AFRIQUE

DE 1830 À 1852

 

CHAPITRE XI. — L’INSURRECTION ET LA VICTOIRE FINALE (1845-1847).

 

 

La victoire de l'Isly avait eu un immense retentissement en Algérie, et avait valu au maréchal Bugeaud, par décision du 18 septembre 1844, le titre de duc d’Isly.

Le Maréchal eût voulu faire cesser l’agitation en Kabylie. Au mois d’octobre, une colonne dirigée par le général Comman contre les Kabyles des environs de Dellys ayant été ramenée sur ce poste avec des pertes sensibles[1], il alla châtier sévèrement les coupables[2]. Puis il s’embarqua le 16 novembre pour aller passer deux mois de congé en France, et confia l’intérim du gouvernement général à La Moricière.

Le Gouverneur par intérim gardait son attention fixée sur la province d’Oran : il cherchait à arrêter l’émigration des tribus au Maroc provoquée par Abd el Kader ; il voulait établir un poste à Djemmaa-Ghazaouet, contrairement aux ordres de Bugeaud qui lui avait recommandé un minimum de postes fixes et un maximum de troupes mobiles[3]. Aucune agitation sérieuse ne se manifestait.

Cette période de répit permettait aux postes de s’organiser avec un peu plus de confort. Les installations y étaient souvent très sommaires, même celles des commandants d’armes. Saint-Arnaud écrivait, en arrivant à Orléansville à la fin de 1844 : « J’ai pour maison une espèce de kiosque ressemblant à la loge du bouc au Jardin des Plantes. Trois petites pièces se commandant les unes les autres, et entourées d’une mauvaise galerie couverte en toile, composent ce malentendu séjour[4]. » Il faisait de suite transformer une porte en fenêtre et ouvrir une autre porte, ce qui était facile, puisque sa maison était en bois ; il édifiait en face de sa maison un second bâtiment relié par une galerie couverte. Deux mois plus tard, il donnait dans cette demeure un bal de plus de 200 personnes, dont « trente femmes, et quelles femmes ! des femmes de colons travesties en Pompadour, avec des robes faites en pièces de foulards et des perruques en aloès[5]. » La gaieté française conservait tous ses droits dans l’armée d’Afrique.

Le calme général fut troublé soudain, le 30 janvier 1845, par un grave incident : un obscur marabout venu de l’Ouest suscita une agression contre le poste de Sidi-bel-Abbès. Le commandant supérieur du poste, le commandant Vinoy, était allé avec son goum et ses deux escadrons de spahis régler un différend entre tribus, laissant à la garde de la redoute le bataillon du 6e léger aux ordres du commandant Ponsard. Une soixantaine d’Indigènes, précédés d’enfants, s’appuyant sur des bâtons de voyage et récitant des prières, se dirigèrent vers la redoute ; ils en approchèrent sans éveiller la défiance des soldats, tuèrent le factionnaire qui voulait leur en interdire l’entrée, sortirent alors des armes dissimulées sous leurs burnous, et se précipitèrent à l’intérieur avec des cris affreux, en massacrant les militaires sur leur passage. Après une lutte courte, mais acharnée, ces forcenés, qui appartenaient à la secte des Derkaoua, périrent tous ; ils avaient tué ou blessé 32 officiers et soldats de la garnison[6].

Cet événement isolé ne devait pas être pris au tragique ; il montrait cependant combien les populations étaient prêtes à se dresser contre les Français, et symbolisait le mécontentement qui grandissait sourdement.

 

Ce mécontentement était dû en partie à des erreurs de politique indigène. Bugeaud avait adopté l’organisation administrative créée par Abd el Kader, avec la même mission essentielle : percevoir les impôts. Mais, tandis que ces impôts étaient versés à l’Emir pour la défense de la religion, ils reprenaient avec les Français le caractère d’un prélèvement au profit des maîtres du pays, comme sous les Turcs. Les Indigènes semblaient avoir comme seules raisons d’être le paiement de ces impôts et la fourniture de soldats ou de travailleurs.

Les bureaux arabes avaient la charge de surveiller et de régulariser l’administration indigène. Mais les officiers de ces bureaux ne s’étaient pas toujours adaptés aux fonctions nouvelles imposées par les progrès de la pacification. Ils conservaient l’attitude et les procédés employés pendant la guerre contre des ennemis ; ils n’avaient pas tous acquis le sentiment de leurs devoirs de tutelle bienveillante vis-à-vis des populations soumises.

Les directeurs ou chefs de bureaux agissaient isolément, suivant leur tempérament et leur caractère, sans que leurs administrés eussent aucun recours en cas d’arbitraire ou de brutalité. Certains d’entre eux ne faisaient pas assez la différence entre des tribus insoumises, ne méritant pas d'indulgence, et des tribus venues à la France, dont il fallait savoir tolérer les habitudes et les mœurs en cherchant à les améliorer peu à peu. Ils ne tentaient pas de sauvegarder les intérêts des populations, et, comme l’a remarqué Walsin-Esterhazy, de « faire la part du vaincu après la victoire » ; ils ne cherchaient pas à gagner la confiance et l’affection des Indigènes, ni à réaliser, « après la conquête matérielle, la conquête morale[7]. »

Le choix des officiers chargés de ces fonctions si importantes n’avait pas toujours été fait avec discernement. Quelques-uns, désignés en raison de leur grade, ignoraient les mœurs, les traditions et la religion de leurs administrés, et ne pouvaient donc faire de bonne besogne. Ils traitaient les chefs indigènes sans ménagements, surtout dans la province d’Oran ; ils blessaient inutilement leur fierté, au lieu de gagner leur cœur : « Ces actes de capricieuse autocratie, a écrit le colonel Walsin-Esterhazy, d'inintelligente rigidité qui se répétaient sur divers points du territoire, irritaient profondément les populations, et, loin de trouver dans l’autorité supérieure un blâme qui eût suffi pour les faire cesser, ils n’y rencontraient, au contraire, qu’encouragement et approbation[8]. »

 

L’inexpérience du pays et des populations a toujours été, en Afrique du Nord, un écueil pour ceux appelés à y jouer un rôle quelconque.

Aussi lorsque Bugeaud avait, pendant son séjour en France, démontré au maréchal Soult la nécessité de l’expédition de Kabylie, avait-il spécifié ne vouloir, pour l’exécuter, « ni soldats conscrits, ni conscrits généraux[9]. » Il avait l’intention d’en confier la direction au général Bedeau, commandant de la province de Constantine. Mais, en raison de la répugnance manifestée par les Chambres et par la presse, il se borna à envisager pour 1845 des colonnes dans le Sud des trois provinces. A son avis, ces opérations, organisées respectivement par le général de la Moricière dans la province d’Oran, par le général Bedeau dans la province de Constantine, et confiée au général Marey dans la province d’Alger, auraient pour avantage d’ouvrir au commerce des routes sahariennes ; elles permettraient surtout d'étouffer dans l’œuf les tentatives insurrectionnelles toujours à craindre : « Nous allons chercher la guerre, écrivait-il à Soult le 8 avril, parce qu’elle est à nos portes et que, si nous n’y allions pas, elle viendrait avec des avantages moraux que nous voulons lui enlever[10]. »

Le Gouverneur général comptait mettre ainsi en pratique le principe « initiative des opérations », dont l’excellence n’est pas à démontrer, et le principe « manifestation de la force pour en éviter l’emploi », dont les campagnes coloniales ont depuis lors affirmé l’efficacité.

Au moment où il prenait sa décision, une insurrection éclata dans le Dahra, et prit en peu de jours une grande importance ; elle était fomentée par un jeune marabout d’une vingtaine d’années, Mohammed ben Abdallah, étranger au pays, et surnommé Bou Maza (l’homme à la chèvre), en raison d’une chèvre apprivoisée dont il était accompagné.

Le colonel de Saint-Arnaud, qui commandait à Orléansville, se mit aussitôt en campagne ; il fut bientôt rejoint par le général de Bourjolly, accouru de Mostaganem à la tête d’une colonne[11]. Bourjolly se chargea du Dahra tandis que Saint-Arnaud volait au secours de la faible garnison restée au camp des Gorges, près de Ténès, et attaquée le 20 avril par les Kabyles[12]. Pendant ce temps, Bou Maza se portait contre Orléansville, démuni de la majeure partie de sa garnison, et tentait le 28 avril de l’enlever à la tête d’une horde fanatisée qu’il précédait un bâton à la main ; il eût peut-être réussi, sans l’intervention d’un bataillon d’infanterie arrivé en renfort le jour même.

 

Bugeaud se rendit compte de la gravité du mouvement insurrectionnel. Il prescrivit les mesures les plus rigoureuses pour en arrêter le développement : les tribus demandant l’aman devaient payer leurs impôts arriérés et une contribution de guerre, remettre tous leurs fusils et tous leurs chevaux, sinon elles étaient punies par la destruction totale de leurs biens. Néanmoins, l’insurrection se propagea et éclata le 30 avril dans tout l'Ouarenséris.

Tandis que le Gouverneur général partait de Miliana le 6 mai à la tête d’une colonne, Saint-Arnaud opérait dans le Dahra, et Marey revenait en hâte de chez les Ouled Naïl réprimer un soulèvement dans le Djebel Dira[13]. Revenu à Orléansville, Bugeaud en repartait le 25 mai pour opérer de concert avec le général Reveux et le général de Bourjolly contre les tribus de l'Ouarenséris, et parvenait à se faire apporter 1.800 fusils[14].

Le colonel de Saint-Arnaud ne réussissant pas à soumettre le Dahra, deux nouvelles colonnes, aux ordres des colonels Pélissier et de Ladmirault, furent organisées pour coopérer avec lui. Saint-Arnaud et Ladmirault obtinrent plein succès[15].

Pélissier rencontra, chez les Ouled Riah, une résistance obstinée ; il dut assiéger les rebelles dans des grottes où ils s’étaient réfugiés avec leurs femmes et leurs enfants. Pour les obliger à sortir, il fit jeter devant les issues des fascines enflammées ; puis, les pourparlers restant sans résultats, il fit entretenir le feu. Lorsqu’au milieu de la nuit les foyers furent éteints, un émissaire envoyé aux assiégés revint avec quelques hommes haletants qui se rendirent à discrétion ; une centaine d’autres se traînèrent dehors, dont plusieurs moururent presque aussitôt. Un courant d’air brûlant s’était établi entre deux ouvertures de niveau inégal, et avait asphyxié ou brûlé les malheureux assiégés. Le lendemain, lorsque les soldats purent pénétrer dans les grottes, ils y trouvèrent plus de 500 cadavres[16].

L’enfumade des grottes du Dahra laissa une triste impression à ceux qui y avaient assisté. Pélissier lui-même écrivait le 22 juin à Bugeaud : « Ce sont des opérations que l’on entreprend quand on y est forcé, mais que l’on prie Dieu de n’avoir à recommencer jamais ». Cet événement fut commenté dans toute l’armée d’Afrique. Il émut profondément Soult, qui en cacha les détails à la presse, et qui demanda des explications au Gouverneur général[17].

Bugeaud couvrit entièrement son subordonné, et assuma devant le Ministre toute la responsabilité du drame. Portant la question sur un terrain élevé, il exposait que les guerres prolongées par l’emploi de moyens peu rigoureux ruinaient les nations et multipliaient les victimes. Le siège des grottes était-il plus cruel que celui de capitales européennes réduites par le bombardement et la famine, ou que la destruction de vaisseaux coulés en mer avec tout leur équipage ? Le Maréchal se justifiait des moyens de répression employés, tels la destruction des villages et des arbres, l’enlèvement des populations et des troupeaux, en montrant que, faute d’agglomérations urbaines, c’étaient les seuls moyens d’atteindre les intérêts ennemis. Il affirmait enfin les sentiments d’humanité et de pitié communs à tous les militaires de l’armée d’Afrique, mais passant après leurs devoirs envers la patrie[18].

Le terrible châtiment infligé aux Ouled Riah ne parvint pas à enrayer l’insurrection. Le colonel de Saint-Arnaud dut organiser des colonnes convergentes. Il employa lui aussi des moyens cruels : les Mechaïa s’étant retranchés dans des grottes et refusant de capituler, il eut recours à une mine dont l’explosion tua une cinquantaine de rebelles, et obtint ainsi la reddition des autres[19].

Le maréchal Bugeaud fit meilleure besogne en remaniant le commandement indigène du Dahra. Les fonctionnaires installés par Cavaignac étaient intelligents et énergiques, mais de modeste origine et par suite sans grande autorité ; aussi des hommes influents avaient-ils passé à la dissidence ; la création d’un nouvel aghalik, à la tête duquel fut placé un chef qualifié, remédia à cet état de choses[20].

 

Le calme paraissant rétabli, Bugeaud crut le moment venu de préparer les essais de la colonisation militaire qu’il préconisait. Par une circulaire du 9 août 1845, il invita les généraux à dresser des listes de volontaires pour « colonies militaires », en leur signalant, dans un projet d'organisation, les avantages accordés aux colons suivant leur grade et les obligations imposées en échange[21]. Il comptait aller en France et faire état de ses listes auprès du maréchal Soult, pour faire triompher son système de colonisation, et ne pas reprendre ses fonctions de gouverneur s’il n’obtenait pas gain de cause[22]. Il s’embarqua le 4 septembre 1845, laissant l’intérim à La Moricière.

 

Depuis plusieurs mois La Moricière était, dans la province d’Oran, aux prises avec une agitation provoquée par le voisinage d’Abd el Kader.

Afin de protéger les tribus soumises contre les incursions des partisans de l’Emir, il créa au mois d’avril 1845 le poste de Daya, au sud de Sidi-bel-Abbès ; il en confia le commandement au commandant Charras, en lui donnant un bataillon de légion, 80 sapeurs du génie, 3 pièces de campagne, des vivres et des munitions[23].

Charras, officier d’artillerie, connu pour ses opinions républicaines, avait été, comme capitaine, chef de bureau arabe auprès du lieutenant- colonel Géry à Mascara. Du Barail l’a dépeint en ces termes : « Homme de très haute intelligence, mais trop convaincu de ses mérites pour en admettre chez les autres. Il ne pouvait tolérer aucune supériorité, pas même celle de Napoléon Ier , à qui il donna des leçons de tactique dans un opuscule sur Waterloo, laissant entendre que l’Empereur ne connaissait pas grand'- chose au métier de général en chef. Il avait un trait dans l’œil ; il louchait. « Voyez-vous, me disait un jour à propos de lui le général de Martimprey, il ne faut jamais se fier aux gens qui n’ont pas les yeux droits. Ils louchent du cerveau[24]. »

Tandis que Charras s’installait à Daya, le colonel Géry, parti de Mascara, poussait dans le Sud une colonne à Stitten[25], puis jusque chez les Ouled Sidi Cheikh, à Brézina[26]. A peine rentré à Mascara, il apprit qu'Abd cl Kader était venu razzier Stitten[27].

La Moricière avait comme adversaires dans ces régions les tribus nomades, difficilement saisissables, mais obligées de s’approvisionner dans le Tell. Afin de couper leur ravitaillement et de se couvrir contre les entreprises d’Abd el Kader, il voulait faire de Tiaret, Saïda, Daya et Sebdou, les bases d’opération de quatre colonnes[28].

Un réseau serré de colonnes de couverture comprit : le général Cavaignac aux environs de Sebdou ; le général Korte et le colonel Morris pour Sidi-bel-Abbès ; le général de la Moricière à Saïda ; le colonel Géry à Frenda ; le général de Bourjolly à Tiaret ; le général Reveux à Teniet-el-Had.

Pour agir contre les objectifs fugitifs qui se présentaient, les colonnes devaient posséder un entraînement remarquable et pouvoir user de vitesse. Cavaignac, par exemple, voulant tomber à la fin de juin sur une émigration, partit de Sebdou avec 600 fantassins, 400 cavaliers et son goum, et en deux jours fit parcourir 180 kilomètres à ses cavaliers et 90 kilomètres à ses fantassins, sous un soleil brûlant[29].

De tels efforts n’auraient pas dû être nécessaires si la victoire de E Isly avait été convenablement exploitée. Une grande faute avait été commise, de l’avis de Montagnac, en confiant le soin de traiter à d’autres qu’à Bugeaud, et en « abandonnant la ligne avant d’avoir obtenu l’exécution de toutes les conditions du traité ! » Le lieutenant-colonel estimait aussi que les vainqueurs, « enivrés de leurs exploits, avaient été trop pressés d’aller recueillir, en France, les ovations qui leur étaient dues. » Ils n’avaient pas exploité leur victoire : « Chacun a pensé à autre chose : qui à accrocher un ruban, qui à se couronner d’un titre, qui à filer aux pieds d’Omphale, qui à raconter ses exploits[30]. »

 

Le départ de Bugeaud pour la France au début de septembre paraissait cependant sans grand inconvénient, le calme régnant à peu près partout à ce moment. Il était motivé par son désaccord avec le Gouvernement au sujet des questions d’organisation et de colonisation.

Le Maréchal avait été froissé par l’ordonnance du 15 avril 1845. Cette ordonnance instituait un directeur général des affaires civiles, intermédiaire officiel entre le Gouverneur et les trois chefs de service : directeur de l’intérieur et de la colonisation ; procureur général ; directeur des finances. Le directeur général des affaires civiles et le directeur central des affaires arabes entraient au Conseil supérieur d’administration. Un Conseil du contentieux était créé.

L’ordonnance définissait en Algérie trois sortes de territoires ayant des régimes différents : territoires civils où se trouvaient un nombre d'Européens suffisant pour justifier l’organisation de services civils ; territoires mixtes, où les Européens, encore peu nombreux, étaient administrés par les chefs militaires ; territoires arabes, où il n’existait pas de population européenne.

Le projet primitif centralisait les services civils entre les mains d’un haut fonctionnaire et créait un véritable dualisme administratif. A la suite des protestations de Bugeaud, de larges atténuations lui avaient été apportées, laissant cependant subsister un rouage nouveau. Bugeaud devait s’en prendre à lui-même de cette mesure ; car, aimant à intervenir personnellement dans les opérations, et même à prendre le commandement d’une colonne, il était fréquemment absent d’Alger, et laissait la présidence du Conseil d’administration et la signature au lieutenant général de Bar[31]. Il fallait plus d’attention et de continuité dans l’expédition des affaires civiles.

Le Gouverneur général espérait faire rapporter cette ordonnance, et attendit plusieurs mois avant de permettre sa publication dans le Moniteur algérien[32].

Il écrivait à Soult le 27 avril : « Ce n’est pas par des ordonnances plus ou moins libérales sur l’organisation de l’administration civile que nous consoliderons notre puissance. J’aimerais mieux un bataillon de plus que le Conseil du contentieux, le directeur général des services civils et le rapporteur près du Conseil d’administration[33]. »

Quelques semaines plus tard, l’insurrection s’étant aggravée, il critiquait plus âprement encore les partisans de « l’extension des institutions civiles », en lui écrivant : « Si ces utopistes insensés pouvaient participer le sac au dos avec huit jours de vivres, soixante cartouches dans la giberne, à tout ce que nous faisons pour maintenir la sécurité, ... ils ne pousseraient pas le Gouvernement avec tant d’ardeur à annuler le pouvoir militaire[34]. »

Pour la colonisation comme pour l’organisation, Bugeaud préférait aux formules civiles les formules militaires. Il écrivait à Soult : « Il s’agit de créer une force attachée au sol, pour rendre l’Algérie indépendante de la politique de la Métropole en Europe, et débarrasser la Métropole des soucis que lui cause l’Algérie. La colonisation civile toute seule, je ne saurais trop le redire, est insuffisante... Il nous faut une population purement rurale et obéissant à la discipline militaire[35]. »

Fermement attaché à ses idées, le Gouverneur général était décidé à ne pas rester en Algérie s’il n’obtenait pas gain de cause. Il se confiait le 21 août au colonel de Saint-Arnaud en ces termes : « Si l’on ne me comprend pas, si l’on ne veut pas me comprendre, je ne reviendrai pas. Si tout s’arrange comme je le crois, je serai de retour à Alger dans les premiers ours de novembre[36]. »

 

A peine Bugeaud embarqué pour la France, l’insurrection reprit à nouveau ; attisée à la fois par Bou Maza et par Abd el Kader, elle gagna rapidement en intensité et en surface. Avant la fin de septembre, elle était maîtresse d’une grande partie des provinces d’Alger et d’Oran, où les diverses colonnes étaient réduites à la défensive, sans pouvoir communiquer entre elles. Le général de Bourjolly, commandant par intérim la province d’Oran, parti de Mostaganem pour opérer chez les Flitta, était aux prises avec des ennemis acharnés ; ni le colonel de Saint-Arnaud ni le colonel Géry ne pouvaient le rejoindre. La Moricière très inquiet envoya d’Alger à Mostaganem le colonel Renault avec deux bataillons du 6e léger.

A ce moment même des événements très graves se passaient dans l’Ouest : une petite colonne commandée par le lieutenant-colonel de Montagnac était à peu près anéantie aux environs du marabout de Sidi-Brahim[37].

L'affaire de Sidi-Brahim a laissé un renom glorieux et sanglant dans l’histoire algérienne, et est restée le symbole de la vaillance des chasseurs à pied.

La Moricière avait maintenu une garnison à Djemmaa-Ghazaouet, malgré les ordres de Bugeaud, et avait chargé le lieutenant-colonel de Montagnac d’organiser le poste[38].

Montagnac avait servi dans les diverses régions de l’Algérie, et jouissait d’une grande réputation dans l’armée d’Afrique. Un de ses subordonnés du 61e de ligne, le lieutenant J. Rémy, le décrivait en ces termes : « Le colonel avait une voix de stentor, les traits du visage fortement accentués, la moustache épaisse, le front large, le regard intelligent et sévère ; d’une taille imposante, sa belle tête s’élevait, de même que celle de Kléber, au-dessus des rangs, comme un drapeau. D’une instruction profonde et variée, sobre, de mœurs simples et antiques, s’occupant beaucoup du bien-être matériel des autres, sans aucun souci du sien, il n’avait, étant officier supérieur, en expédition, qu’une simple tente-abri, ainsi que le dernier des soldats[39]. » Le commandant d’Exéa, un de ses amis d’enfance, écrivait : « Il était un vrai type de gentilhomme, de soldat et d’artiste. Je n’ai pas connu, dans toute ma carrière, d’officier plus complet que lui ; s’il n’avait pas été tué, il serait certainement devenu maréchal. Je n’ai vu aucun officier d’Afrique qui fût à sa hauteur[40]. »

Les fonctions de commandant supérieur de Djemmaa-Ghazaouet comportaient l’administration des populations indigènes. Montagnac usait avec elles d’une justice prompte et impitoyable ; il employait des procédés rigoureux qui lui valaient des remontrances de Cavaignac, commandant la subdivision de Tlemcen[41].

La garnison du poste comprenait, en septembre 1845, le 8e bataillon de chasseurs d’Orléans aux ordres du commandant Froment-Coste et un escadron du 2e hussards, aux ordres du commandant Courby de Cognord ; le reste était composé surtout de malingres et de convalescents, envoyés là pour se rétablir.

Cavaignac ne voulait pas laisser entre les mains de Montagnac un effectif trop nombreux, craignant que son fougueux subordonné ne l’engageât inopportunément. Il avait fait nommer à la tête de « l’arrondissement de l’Ouest », à Lalla-Maghrnia, le lieutenant-colonel de Barral, promu le même jour que Montagnac, mais plus ancien dans le grade antérieur, parce qu’il le considérait comme calme et sûr. Montagnac, qui désirait et espérait ce commandement, avait été très déçu. Piétinant d’impatience dans son poste, il écrivait : « Je suis un peu trop fatigué de jouer le rôle d’huître dans mon écaille de Djemmaa, il faut que j'en sorte. L’inaction me tue[42]. »

L’occasion se présenta d’agir. Comme Abd el Kader avait réuni des contingents importants à la frontière marocaine pour envahir l’Algérie, Cavaignac recommanda à Barral de « redoubler de surveillance » ... Cette recommandation, transmise à Montagnac, lui apparut à tort comme un reproche de manque d’activité.

Il quitta Djemmaa-Ghazaouet le 21 septembre à 22 heures, avec tous les hommes disponibles : 354 officiers et chasseurs du 8e bataillon, 69 officiers et cavaliers du 2e hussards, et il alla bivouaquer à une douzaine de kilomètres du poste. Le lendemain 22 septembre, il parcourut encore quelques kilomètres pour se rapprocher de la route qu’Abd el Kader pouvait suivre. Il reçut alors de Cavaignac, qui le croyait à Djemmaa-Ghazaouet, l’ordre d’envoyer à Barral 300 chasseurs. Cet ordre lui parvenait avec 30 heures de retard ; des cavaliers ennemis se montraient en face de lui ; Abd el Kader était annoncé comme arrivant le soir même à Sidi bou Djenane. Montagnac estima que sa retraite provoquerait le soulèvement des populations, et décida de rester sur place pour couvrir les tribus soumises. Il fit prévenir de sa décision le lieutenant-colonel de Barral, par l’intermédiaire du capitaine du génie Coffyn resté commandant du poste de Djemmaa-Ghazaouet.

Après une nuit d’inquiétude et d’insomnie, pour les chefs comme pour la troupe, Montagnac partit le 23 septembre à 6 heures de son bivouac avec Courby de Cognord et ses hussards, afin de dégager la montagne du Kerkour des cavaliers indigènes qui s’y montraient ; il était suivi par trois compagnies de chasseurs sans sacs, aux ordres du capitaine de Chargère. Il laissa au bivouac le commandant Froment-Coste avec la compagnie Burgard et la compagnie de carabiniers du capitaine de Géreaux.

Les hussards étant observés et accompagnés de loin par les vedettes ennemies, Montagnac donna à Courby de Cognord l’ordre de charger ; mais de tous côtés, cavaliers et piétons indigènes accoururent à la lutte. Montagnac fut blessé d’une balle au bas-ventre ; le capitaine et le lieutenant de hussards succombèrent ; le commandant Courby de Cognord ayant eu son cheval tué, un hussard du nom de Testard renouvela le geste du trompette Escoffier et lui dit en lui offrant son cheval : « Montez, mon commandant ; à pied que ferez-vous ? Vous seul pouvez nous sauver tous. Quant à moi, advienne que pourra ». Le commandant accepta, rallia les hussards survivants sur un mamelon, et y organisa la défense en attendant l’infanterie.

Les trois compagnies de chasseurs avaient pris le pas de course. Elles arrivèrent essoufflées, désunies, à quelque distance du mamelon défendu par Courby de Cognord. Sur l’ordre de Montagnac, qui, assis sur un tertre, continuait malgré sa terrible blessure à diriger le combat, elles se précipitèrent sur les cavaliers indigènes pour les charger, au lieu d’essayer de rejoindre les hussards. Formées en petits carrés, elles furent anéanties après avoir accompli des prodiges de valeur ; seuls, un certain nombre de retardataires, sur l’appel de Courby de Cognord, purent le rejoindre.

Montagnac mourant avait envoyé le maréchal des logis chef Barbut porter l’ordre au commandant Froment-Coste de venir prendre le commandement et d’amener une compagnie de renfort. Déjà le chef de bataillon était en route, accompagné du capitaine adjudant-major Dutertre et de la compagnie Burgard. Arrivé à un kilomètre du mamelon, il assista aux derniers efforts des défenseurs, qui furent massacrés ou emmenés prisonniers par les Indigènes. Il essaya alors de battre en retraite vers le camp, où il avait laissé le capitaine de Géreaux et sa compagnie de carabiniers à la garde des sacs et des bagages. En peu de temps, il fut entouré : Froment-Coste, Burgard et la plupart de leurs chasseurs tombèrent sous les coups des Indigènes ; le capitaine Dutertre et quelques sous-officiers ou chasseurs, dont le clairon Rolland, furent faits prisonniers. De la colonne partie avec Montagnac, il ne restait que la compagnie de carabiniers. Le capitaine de Géreaux, informé par le lieutenant de Chappedelaine, placé en observation avec 15 hommes, du sort des autres unités, décida d’évacuer le camp, peu propice à une bonne défense ; il se dirigea vers le marabout de Sidi-Brahim. Grâce à la rapacité des Indigènes, qui se précipitèrent sur les bagages et les sacs abandonnés, il put gagner presque sans pertes le marabout et répartir ses 82 carabiniers sur les quatre faces du petit mur d’enceinte.

La compagnie de Géreaux fut bientôt assaillie par une foule d’Indigènes, à pied et à cheval, tirant et vociférant ; par des décharges à bout portant, elle en coucha un grand nombre sur le terrain. Alors ce fut le blocus dans le marabout de Sidi-Brahim de cette troupe sans eau, sans vivres, et disposant de peu de munitions. Abd el Kader voulait l’amener à se rendre. Trois émissaires indigènes apportèrent successivement à Géreaux des billets qui furent recueillis au bout d’un grand roseau : aux deux premiers, rédigés en arabe et traduits par l’interprète Lévy, Géreaux répondit par de fiers refus ; au troisième, écrit en français par un prisonnier sur l’ordre d'Abd el Kader, il refusa de répondre ; le caporal Lavayssière inscrivit au bas une formule expressive : « M.... pour Abd el Kader ; les chasseurs d’Orléans se font tuer, mais ne se rendent jamais » ; il le montra à Géreaux qui sourit et approuva, puis il le retourna à l’envoyeur.

L’émissaire porteur d’un quatrième billet ayant été accueilli à coups de fusil, Abd el Kader voulut en finir. Il chargea le capitaine adjudant- major Dutertre, déjà blessé, d’engager les carabiniers à se rendre, le menaçant de mort en cas d’échec. Dutertre, conduit devant l'une des faces du carré par six Indigènes, refusa d’abord de parler ; puis, pressé par ses gardiens, il s’écria : « Camarades, le reste du bataillon est mort ou prisonnier, et Abd el Kader m’envoie vous demander de vous rendre. Mais moi je vous engage à résister à nos bourreaux et à vous défendre jusqu’à la mort. » Frappé aussitôt de deux coups de pistolet, il fut ensuite décapité ; un Kabyle qui brandissait sa tête en ricanant fut abattu par les carabiniers.

Après un nouvel assaut infructueux et coûteux, Abd el Kader laissa des postes autour du marabout et alla faire reposer ses hommes. Géreaux, espérant le secours de la colonne de Barral, qui devait être dans les environs, fit hisser dans l’après-midi un petit drapeau tricolore de fortune au haut du marabout. La nuit tomba sans qu’aucune intervention se fût produite. Le 24 septembre au matin, Abd el Kader expédia Courby de Cognord et les autres prisonniers vers le Maroc, et décida de poursuivre sa route vers l’Ouest ; il confia aux tribus locales le soin de maintenir le blocus du marabout.

Le 25 septembre, les carabiniers étaient enfiévrés par la soif, torturés par la faim. Ils attendaient toujours anxieusement le secours de Barral. Cependant un Kabyle, envoyé dès le 23 à cet officier supérieur, avec un billet de Géreaux, avait été traité d’imposteur parce que deux carabiniers échappés avaient raconté l’anéantissement complet de la colonne ; il avait reçu vingt-cinq coups de bâton, était revenu au marabout toucher le prix de sa mission, mais n’avait plus consenti à recommencer...

Le 26 septembre au matin, à un signal donné, les carabiniers, quoique exténués, franchirent les murs d’enceinte ; ils bousculèrent le poste indigène chargé de garder la direction de Djemmaa-Ghazaouet, puis, formés en carré, emportant le petit drapeau tricolore fabriqué par eux, ils se dirigèrent vers leur garnison. Les Indigènes se précipitèrent au pillage du butin laissé au marabout de Sidi-Brahim, bagages et animaux, négligeant d’abord la petite troupe. Les hommes de Géreaux, se croyant sauvés, se mirent à chanter, malgré leur épuisement, le Chant du Départ. Mais bientôt les Indigènes les serrèrent de près, de plus en plus nombreux et audacieux.

Le carré resta cependant formé jusqu’au ravin des Ouled Ziri, au fond duquel coule un ruisseau ; à proximité de l’eau, la tentation de ces malheureux fut trop forte : ils se débandèrent pour étancher leur soif : n’ayant plus de munitions, ils se défendirent à l’arme blanche : ce fut le massacre... Trois coups de canon tirés du blockhaus de Djemmaa-Ghazaouet jetèrent la confusion chez les assaillants, et permirent à 16 hommes de regagner Djemmaa-Ghazaouet : deux expirèrent en arrivant. Ainsi, de cette malheureuse expédition, revinrent en tout 14 hommes, parmi lesquels un seul, le caporal Lavayssière, avait conservé son arme.

L’affaire de Sidi-Brahim est magnifique pour les chasseurs d’Orléans et les hussards ; elle est moins brillante pour le chef qui l’a conduite. Montagnac, Africain expérimenté, a commis les fautes qu’il avait précédemment reprochées à certains de ses camarades : il est sorti de sa garnison, en pays troublé, avec une colonne d’effectif insuffisant ; il a engagé sa troupe par petits paquets successifs : les hussards d’abord, puis les trois compagnies de Chargère, enfin la compagnie Burgard ; la compagnie de Géreaux s’est trouvée seule après l’anéantissement des autres et a subi le même sort. Un échelonnement de ce genre n’avait pas empêché le duc d’Aumale de prendre la Smala : mais il ne faut pas compter à la guerre sur un hasard heureux.

Montagnac est parti en expédition comme il faisait jadis avec son « bataillon d’élite » aux environs de Mascara, pour une razzia sur des tribus en place. Les conditions n’étaient pas les mêmes. S’il avait raisonné, il n’aurait pas commis cette faute ; mais il était dans un état de nervosité spécial, provoqué par l’isolement, le dépit, l’inaction. Il y a une foule d’enseignements tactiques ou psychologiques à tirer du drame de Sidi-Brahim[43].

Au moment où la colonne Montagnac se battait au Kerkour et à Sidi-Brahim, le général Cavaignac livrait combat avec 1.600 hommes seulement contre les Trara et rencontrait chez eux une résistance extraordinaire[44]. Le lieutenant-colonel de Barral, inquiet, agité, indécis, mal renseigné, restait inutile avec sa colonne entre Montagnac, qu’il essaya cependant de rejoindre le 23 septembre, et Cavaignac trop éloigné de lui[45]. Un détachement de 200 hommes du 15e léger et des zouaves, commandé par le lieutenant Marin, parti de Tlemcen pour renforcer le poste d’Aïn-Temouchent, était entouré par les contingents d’Abd el Kader près du marabout de Sidi-Moussa ; son chef, par une aberration inconcevable, se rendait sans combat[46] ; ce détachement allait rejoindre au Maroc les prisonniers de Sidi-Brahim.

En exposant au maréchal Soult le 28 septembre la gravité de la situation, La Moricière lui disait : « Vous jugerez sans doute indispensable que M. le maréchal Bugeaud et M. le général Bedeau rentrent immédiatement en Algérie. » Au lieu d’envoyer à Bourjolly les renforts amenés d’Alger, il partit à leur tête dans l’Ouest, rejoignit Cavaignac, et se porta avec lui contre les populations insurgées ; il les repoussa vers la mer pour les avoir à sa merci, mais se montra magnanime : « Je pouvais faire descendre, écrivait-il à Soult, dans les affreux ravins où elles s’étaient jetées sans avoir le moyen d’en sortir, des bataillons d’infanterie qui eussent obtenu une sévère vengeance de cette insurrection... Dans la disposition d’esprit de nos troupes, cette vengeance eût été trop cruelle peut-être... J’ai accordé le pardon qui m’était demandé[47]. »

 

Bugeaud était allé voir Soult dans sa propriété de Soultberg, s’était réconcilié avec lui, et comptait donc aller reprendre ses fonctions. Mais une campagne acharnée était menée contre lui, particulièrement dans les colonnes du journal l’Algérie. Un des principaux reproches faits au Maréchal était d’employer uniquement la guerre comme procédé de pacification, au lieu de chercher à réaliser « la conquête morale des populations. » On lui opposait La Moricière, plus au courant des « grands problèmes de la société nouvelle », et mieux informé du sens des mots « travail, capital, association, gouvernement des hommes[48]. »

La campagne de dénigrement contre le Maréchal cherchait avant tout à l’empêcher de retourner en Afrique : « Pour nous, imprimait l’Algérie le 26 septembre, M. le maréchal Bugeaud ne peut plus être gouverneur général de l’Algérie. Ses opinions sur les concessions, sur la colonisation, sur la guerre de Kabylie, sur le gouvernement des Indigènes, sur le gouvernement civil, sont contraires à celles du Cabinet, du Ministre de la Guerre, des commissions des Chambres, de la presse algérienne et métropolitaine et même des officiers généraux et des principaux administrateurs civils qui servent sous ses ordres en Algérie. Désormais, il ne peut plus ni obéir, ni se faire obéir[49]. » Ces appréciations, inspirées et même rédigées par les bureaux du Ministère de la Guerre, cherchaient à diminuer Bugeaud et à grandir La Moricière.

Le Maréchal, de son côté, n’était pas toujours indulgent pour son subordonné. Il écrivait à un journaliste qui les avait qualifiés de « grands capitaines » que l’expression, exagérée pour tous deux, l’était certainement pour La Moricière. D’après lui, le Gouverneur général intérimaire n’avait rien créé, rien innové, et était meilleur comme chef de bataillon que comme général : « Sa réputation a beaucoup baissé dans l’armée d’Afrique... Il entend bien la conduite des Arabes et leur administration. Il a aussi de bonnes idées pour l’administration des Européens ; il a des idées vraies et des idées fausses en colonisation. Son esprit est plus qu’ordinaire, quoique trop porté vers la controverse. En un mot, c’est un homme distingué, mais à qui il manque les principales qualités du grand capitaine, c’est-à-dire des idées justes sur la guerre, une grande résolution et une grande sérénité d’âme dans les circonstances critiques[50]. »

Soult, au reçu des nouvelles d’Algérie envoyées par La Moricière, engagea le 4 octobre Bugeaud à aller reprendre ses fonctions, et fit envoyer l’ordre à Bedeau de retourner à Constantine. Le 6 octobre, le chef d’escadrons Rivet arriva chez Bugeaud, à La Durantie, lui demander de la part de La Moricière de revenir sans retard en Algérie. Ces démarches pressantes et simultanées développèrent l’orgueil de Bugeaud, qui signifia à Soult sa décision de regagner son poste, en raison de la gravité des événements : « J’ai pensé, lui écrivait-il, qu’étant encore gouverneur nominal de l’Algérie, je ne pouvais me dispenser de répondre à l’appel que me font l’armée et la population, que ce serait manquer à mes devoirs envers le Gouvernement et envers le pays[51]. »

Bugeaud soulignait tous les manquements à ses instructions : Djemmaa-Ghazaouet était devenu un poste permanent malgré lui ; les forces faisant face à la frontière marocaine avaient été divisées en petites colonnes ; la cavalerie laissée à Montagnac ne lui « était pas nécessaire pour garder les murailles » et l’incitait à sortir malgré les défenses faites. D’après lui, c’était La Moricière qui avait commis ces fautes.

Le jour même où le Maréchal incriminait ainsi son remplaçant, le journal l’Algérie opposait la clairvoyance de La Moricière, signalant dès juillet les préparatifs d’Abd el Kader, à l’imprévoyance du Gouverneur général quittant son poste au moment critique, et à la présomption du Ministre de la Guerre voulant tout diriger de Paris[52].

 

Arrivé à Marseille, Bugeaud y recevait de nouveaux détails sur les événements de la province d’Oran. Il donnait son impression au Ministre : dans la malheureuse reddition du lieutenant Marin à Sidi-Moussa, l’origine de la faute appartenait à La Moricière, qui avait créé le poste d’Aïn-Temouchent malgré ses ordres formels, et la faute d’exécution incombait à Cavaignac, qui avait eu l’imprudence de lancer dans un pays en fermentation un détachement de 200 hommes médiocrement composé. Il approuvait du moins la décision de La Moricière d’avoir réuni aux colonnes de Korte et de Cavaignac[53], les renforts amenés par lui de manière à constituer une colonne suffisamment forte.

Bugeaud jugeait ses lieutenants avec un orgueil bourru et parfois choquant, à la manière d’un instituteur de village distribuant le blâme ou l’éloge à ses petits élèves ; mais il ne ressentait pas de jalousie à leur égard, comme on le lui a reproché :« Lui, jalouser ses lieutenants, a écrit Léon Roches. Des pensées si mesquines pouvaient-elles trouver accès dans son esprit élevé, si uniquement préoccupé du succès de la grande mission qui lui était confiée ? Il identifiait, au contraire, l’œuvre de ses lieutenants avec la sienne, et était fier de leur succès[54]. » Des intrigants ou des flatteurs étaient toujours prêts, comme il arrive en pareil cas, à envenimer les rapports du chef avec ses subordonnés, en rapportant des paroles vraies ou fausses ; mais le commandant Fourichon, confident du Maréchal, et « son pays », comme il l’appelait, remplissait auprès de lui un rôle utile de conciliation[55].

Les articles de journaux et les racontars malveillants faisaient croire à un différend profond entre Bugeaud et La Moricière, et produisaient mauvaise impression sur les officiers.

Montagnac écrivait dès juillet 1845 : « Tiraillements partout. Nos généraux ne s’entendent pas. Les deux hommes sur qui les yeux de la France sont constamment tournés deviennent des feuilletonistes et traînent dans les journaux des discussions ridicules. Pendant ce temps, Abd el Kader vient nous mettre des points et virgules, et le Maroc nous renvoie à la ligne[56]. »

Le colonel de Saint-Arnaud définissait un peu plus tard la situation respective de Bugeaud et La Moricière en ces termes : « Il n’y a pas deux camps dans l’armée d’Afrique, frère. Mais il y a deux hommes : l’un grand, plein de génie, qui par sa franchise et sa brusquerie se fait quelquefois des ennemis, lui qui n’est l’ennemi de personne ; l’autre capable, habile, ambitieux, qui croit au pouvoir de la presse et la ménage, qui pense que le civil tuera le militaire en Afrique et se met du côté du civil. L’armée n’est pas divisée, pour cela, entre le maréchal Bugeaud et le général La Moricière ; seulement, il y a un certain nombre d’officiers qui espèrent plus d’un jeune général ayant de l’avenir, qu’en un vieillard illustre dont la carrière ne peut plus être bien longue[57]. »

Soult, Bugeaud et La Moricière, en réalité d’accord sans s’être concertés, envisageaient de la même façon les mesures à prendre pour venir à bout de l’insurrection ; l’ordre de réunir les petites colonnes, donné par Bugeaud, était exécuté par La Moricière avant d’être arrivé à destination ; les demandes de renforts formulées par Bugeaud et par La Moricière étaient satisfaites par Soult avant d’être parvenues à Paris[58].

Les partisans de chacun des chefs étaient plus ardents et plus violents que ceux dont ils croyaient servir la cause. Au moment même où Bugeaud se trouvait à Marseille, prêt à s’embarquer pour rejoindre son poste, l’Algérie se démasquait entièrement dans un suprême effort contre lui : « Qu’une dépêche télégraphique, écrivait ce journal, arrête M. le maréchal Bugeaud à Marseille, que le Ministère confie le gouvernement de l’Algérie à un personnage éminent par sa position, populaire auprès des Indigènes par sa justice et sa prudence, déjà illustre par de glorieux faits d’armes, et le Ministre de la Guerre aussi bien que les braves officiers généraux qui servent le pays avec tant de dévouement et d’éclat depuis quinze ans, pourront prêter leur concours au nouveau gouverneur général, sans faire le sacrifice de leur dignité[59]. »

 

Bugeaud était en mer le lendemain du jour où paraissaient ces lignes.

A bord du Panama, il écrivait son admirable circulaire relative aux postes permanents et aux colonnes mobiles, destinée aux généraux d’Algérie.

Il s’élevait contre la multiplicité des postes permanents. Ces postes n’étaient capables d’assurer ni les communications, ni l’administration du pays, ni la surveillance des populations. Par contre, ils absorbaient non seulement leur garnison, mais aussi les troupes chargées de les ravitailler, de satisfaire à leur relève, et d’aller à leur secours, diminuant d’autant les effectifs disponibles pour les opérations.

Il considérait les postes-magasins, qui permettaient aux colonnes de se ravitailler sans revenir à leur base, comme indispensables à la mobilité de ces colonnes. Mais ces postes devaient se borner à assurer leur propre défense, sans jamais tenter à l’extérieur d’autres opérations que des mesures de police à courte distance. Les troupes tenant la campagne constituaient, d’après le Maréchal, « la véritable puissance », bien supérieure à celle d’une multitude de postes. « La réunion en une seule colonne, écrivait-il, de tous les postes qu’on échelonnerait d’après la routine sur une communication, l’assurera beaucoup mieux, si cette colonne manœuvre convenablement, que ne le ferait la division des forces en postes permanents[60]. »

Bien des événements malheureux eussent été évités, bien des vies humaines sauvées, si, au cours des campagnes de l’armée d’Afrique, les principes posés par cette circulaire avaient toujours été observés.

 

Le Gouvernement, en présence de la gravité de la situation, avait décidé l’envoi en Algérie de renforts importants : six régiments d’infanterie à trois bataillons et deux régiments de cavalerie à quatre escadrons[61].

Avant même que ces renforts fussent tous arrivés, de multiples colonnes agissaient pour étouffer la rébellion. La Moricière, Cavaignac, Korte et Géry s’appuyaient sur Sidi-bel-Abbès, Tlemcen et Mascara pour interdire le pays à Abd el Kader ; Bugeaud et Bourjolly menaçaient les Flitta ; Comman et Saint-Arnaud étaient aux prises avec B ou Maza ; d'Arbouville et Marey agissaient dans le Dira ; Camou rayonnait de Miliana ; et Gentil surveillait le khalifa Ben Salem[62].

L’armée d’Afrique mena, pendant les mois suivants, une campagne faite d’alertes incessantes, de courses épuisantes, d’engagements inopinés, qui mirent les troupes à de rudes épreuves.

Abd el Kader apparaissait soudain, disparaissait dans une direction, revenait par une autre, faisait agir ses khalifas, tandis que Bou Maza, secondé par de nombreux agitateurs parés du même nom, semblait un personnage multiple et insaisissable. Bugeaud écrivait le 24 novembre au Ministre de la Guerre : « Il faudrait être sorcier pour deviner les manœuvres de l’Emir, et que nos soldats eussent des ailes pour l’atteindre. Peut-on courir partout à la fois ? Peut-on parer tous les coups d’aiguillon ? Peut-on mettre 100.000 hommes à la poursuite d’Abd el Kader ?[63] »

Le Gouverneur général était amené à pratiquer une tactique cruelle, mais indispensable, consistant à frapper durement les tribus chez lesquelles l’Emir puisait des cavaliers et des ressources. En tuant peu à peu dans les combats leurs principaux guerriers, en leur enlevant leurs armes et leurs chevaux, en détruisant leurs approvisionnements, il comptait les annihiler, et obliger son adversaire à s’enfoncer dans le Sahara ou à rentrer au Maroc[64].

Une colonne légère pouvait seule avoir quelques chances de surprendre l’Emir. Elle fut organisée et confiée à Yusuf ; malgré toute l’activité et l’énergie déployées, elle rentra à Teniet-el-Had le 14 décembre 1845 et rejoignit Bugeaud le 16, sans avoir obtenu le résultat cherché. Les troupes avaient cependant fait preuve d’une endurance exceptionnelle. « Pendant ces longues marches de nuit, écrivait Yusuf, dans un pays presque complètement dépourvu de bois, par la pluie et la neige, je les ai constamment trouvées pleines d’ardeur et de dévouement. Officiers et soldats ont été admirables ; aussi, Monsieur le Maréchal, ne fais-je aucune mention particulière, car je serais obligé de citer tout le monde[65]. »

Yusuf était parvenu à quelques kilomètres d’Abd el Kader, mais n’avait pas pu l’atteindre. Aussi Bugeaud écrivait-il le 17 décembre au Ministre : « Il est presque chimérique de prétendre forcer Abd el Kader à un combat dans lequel il pourrait perdre la vie ou la liberté. Ce résultat ne peut être obtenu que par l’effet d’un hasard heureux, qui ferait qu’une de nos colonnes, dont il aurait ignoré la marche, rencontrerait la sienne dans un de ces crochets qui lui sont si familiers[66]. »

Poursuivi dans le Sud, Abd el Kader vint audacieusement s’établir dans le Tell, sur le Riou, entre les cinq colonnes françaises du maréchal Bugeaud, du général Yusuf, du général Comman, du colonel de Saint- Arnaud et du colonel Pélissier. Il s’exposait ainsi à être cerné. Bugeaud saisit cette occasion : après avoir fait garder toutes les issues, il lança Yusuf avec la cavalerie sur le camp de l’Emir, dans la nuit du 18 au 19 décembre. Ce fut encore en vain. Yusuf, contrarié par une pluie glaciale, marcha pendant vingt heures sans même pouvoir engager le combat avec l’arrière-garde d’Abd el Kader[67].

Un engagement fortuit eut lieu par contre le 23 décembre dans la vallée de l’oued Temda, où Yusuf découvrit les traces du convoi de l’Emir et de ses cavaliers ; à la tête de ses 450 chasseurs, spahis et gendarmes, il atteignit le convoi, mais il eut aussitôt affaire à 700 cavaliers de l’Emir ; en les chargeant sur trois positions successives, il perdit 10 morts et 20 blessés, et eut soixante chevaux tués, d’où un nouvel affaiblissement de sa cavalerie, sans résultat pratique. Bugeaud tirait de ce combat la leçon que la cavalerie, en pays hostile, ne devait pas rester longtemps séparée de l'infanterie[68].

Cette guerre pénible et sans gloire exigeait une résistance physique, une expérience du pays et un effort intellectuel difficiles à imaginer. Bugeaud écrivait au Ministre : « Beaucoup de militaires de France la traitent avec légèreté, parce qu’on n’y rencontre pas de grosses batailles. Plût au ciel que nous eussions à en livrer. Ce serait bien plus tôt fini, et nous n’aurions pas à exténuer les troupes comme nous le faisons, par des marches et contre-marches que les intempéries et souvent les privations viennent aggraver. Sous ces derniers rapports, je ne crois pas qu’aucune armée ait jamais plus mérité du pays[69]. »

 

Au début de janvier 1846, le général de la Moricière ayant réussi à rejeter Abd el Kader dans le Sud, jugea inutile de le poursuivre et se borna à lui fermer les lignes d’accès du Tell[70].

La cavalerie était très fatiguée, par suite de ses longues courses et des rigueurs de l’hiver. Bugeaud décida de la laisser reposer jusqu’au printemps, à l’exception de quelques cavaliers indispensables dans chaque colonne. Il prescrivit à Bedeau d’inquiéter sans relâche l’Emir par de petites colonnes d’infanterie, de manière à lui créer « une existence intolérable », et de ne pas s’user sans profit[71].

Abd el Kader par contre, avec ses 400 cavaliers réguliers et ses 1.200 ou 1.500 cavaliers de goums, ne prenait pas de repos et se déplaçait avec une incroyable rapidité. Alors que Bugeaud voulait le traquer dans le Sud grâce aux colonnes Bedeau et Marey, il s’était porté vers l’Est, menaçant le centre de la province d’Alger et même la province de Constantine. Toutes les troupes étaient réparties dans les colonnes, et la seule réserve disponible était, à la fin de janvier 1846, la colonne Gentil, rentrée depuis peu à Alger. Aussi Bugeaud, craignant une pointe de l’Emir dans la Mitidja, décida d’organiser deux bataillons de la milice d’Alger et de constituer une unité avec les condamnés[72].

L’annonce de ces mesures provoqua une émotion profonde parmi la population civile d’Alger[73], jusque-là fort indifférente aux difficultés de l’armée. Bugeaud s’indigna de l’égoïsme révélé par cet état d’esprit, et écrivit au général de Bar : « Serait-ce pour notre plaisir que nous ferions endurer à nos braves soldats des fatigues sans nombre, la pluie, le froid, la neige ?... Faut-il attendre les scènes de 1839 pour songer à compulser les listes de la milice afin de savoir qui peut et doit être mobilisé ? Vous ne voyez rien autour de vous à Alger ; mais nous voyons, nous, et savons ce qu’il en coûte à l’armée, pas beaucoup de sang, il est vrai, mais des fatigues énormes, des efforts inouïs. » Il maintint sa décision, dont le retrait eût dénoté, à ses yeux, « inconséquence d’esprit et faiblesse de caractère », et en prit l’entière responsabilité[74].

Pour couvrir la banlieue d’Alger, Bugeaud prescrivit encore au général de Bar de réunir toute la cavalerie disponible et de la mettre aux ordres de Yusuf, à qui il envoya en outre deux bataillons, afin de constituer la colonne de Blida[75].

Un événement imprévu démontra l’opportunité de ces mesures. Le général Gentil, parti d’Alger pour faire relever la garnison de Dellys, tomba inopinément dans la nuit du 6 au 7 février 1846 sur le camp du khalifa Ben Salem, dispersa ses troupes, et constata par des indices qu’Abd el Kader devait s’y trouver[76]. Bugeaud courut se joindre à Gentil pour compléter ce succès et châtier les tribus kabyles qui avaient accueilli l’Emir[77].

Alors que le Gouverneur Général rentrait à Alger, il reçut une lettre du Ministre de la Guerre lui représentant « l’impression pénible produite dans le Conseil du Roi » par les mesures relatives aux bataillons de milices et aux condamnés militaires et le priant d’en suspendre l’exécution[78].

Il répondit aussitôt avec indignation : « Je suis sincèrement affligé qu’une mesure aussi simple, aussi naturelle, aussi légitime, aussi opportune, eût pu produire de pareilles impressions. Je savais très bien, en la prenant, que je provoquerais les clameurs de la presse, écho fidèle de toutes les mauvaises passions, même de la peur, et qu’elle s’empresserait d’exagérer les plaintes de quelques spéculateurs d’Alger, qui croient que tout, même la sécurité, doit être sacrifié à leurs intérêts financiers. Mais, je l’avoue, j’étais loin de présumer que le Gouvernement tout entier se laisserait impressionner dans le même sens. » Il avait fait mieux, ajoutait-il, que rapporter la mesure consistant pour lui à « préparer la mobilisation sur la papier » ; il avait rendu la sécurité aux environs d’Alger, grâce à l’action vigoureuse de ses troupes[79].

L’émoi de la population d’Alger et le désaveu du Gouvernement métropolitain caractérisent bien les difficultés rencontrées par les chefs chargés de gouverner les pays d’Outre-Mer. Ils mèneraient généralement avec aisance leur action contre les ennemis de la France, s’ils n’avaient pas en même temps à se défendre contre les attaques de leurs administrés français locaux et contre la méfiance des bureaux parisiens.

 

Bugeaud avait la qualité, précieuse entre toutes, et déjà mise en lumière par la campagne de l’Isly, de savoir prendre ses responsabilités. Il avait autorisé par exemple, au mois de janvier 1846, le général Cavaignac à tenter d’enlever en territoire marocain la Déïra d’Abd el Kader, et même d’attaquer Bou Hamidi dans Oudjda, si ce khalifa d’Abd el Kader s’y installait. Son autorisation ne comportait aucune ambiguïté : « Il n’y a pas la moindre équivoque dans mes instructions, avait-il écrit à son subordonné, je couvre entièrement votre responsabilité par la mienne[80]. » L’opération n’avait pas pu réussir ; mais Cavaignac avait eu du moins toute liberté d’action.

Les colonnes au Sud de Médéa avaient été disposées de telle façon qu’Abd el Kader, installé sur les pentes sud du Djurdjura, devait passer à proximité de l’une d’elles en quittant sa position.

Le colonel Camou put l’atteindre le 7 mars, avec sa cavalerie commandée par le lieutenant-colonel de Noué, et lui infliger des pertes sensibles[81].

Le général Yusuf, s’étant joint à Camou, découvrit le 12 mars au soir les traces de l’Emir ; il partit avec 600 cavaliers aux ordres du lieutenant-colonel de Nouë et 400 fantassins montés sur mulets, aux ordres du colonel Renault, suivit les traces au clair de lune, mais trouva le bivouac de l’Emir évacué. Le 13 mars, à l’aurore, il aperçut le nouveau bivouac, mais constata qu’Abd el Kader s’enfuyait, abandonnant tentes et bagages. Lançant en avant sa cavalerie, Yusuf le poursuivit ; le capitaine Ducrot, avec ses goums et un escadron de spahis, atteignit le premier l’ennemi. La plupart des réguliers furent tués ou faits prisonniers ; mais Abd el Kader, serré un moment de très près, s’échappa grâce à la vitesse de son cheval avec 14 cavaliers[82]. Pendant cette poursuite, les cavaliers de l’Emir blessèrent de coups de feu deux officiers français prisonniers, pour ne pas les laisser délivrer : l’interprète Lévy, pris à Sidi-Brahim, qui expira bientôt, et le lieutenant de bureau arabe Lacotte, pris dans un guet-apens, qui mourut un peu plus tard[83].

Yusuf croisa encore, le 5 avril dans la nuit, Abd el Kader et sa petite troupe, mais ne le sut que le lendemain ; il exécuta du moins le 6 une razzia considérable sur une émigration d’Ouled Naïl[84].

Pour permettre à Yusuf d’agir plus rapidement encore, le général Marey fut spécialement chargé d’organiser un service de l’arrière, et constitua à cet effet une base à Boghar, avec une colonne aux ordres du colonel de Ladmirault.

Le duc d’Aumale, commandant la province de Constantine, vint le 1er mai 1846 faire sa jonction avec Yusuf, afin d’étayer ses arrières pendant sa campagne contre Abd el Kader dans le Djebel Amour. Le jeune prince ayant donné à Yusuf des instructions un peu sévères à l’égard des tribus, le maréchal Bugeaud crut bon de lui envoyer quelques conseils ; il lui expliqua comment, dans le Sahara, une rigueur excessive à l’égard d’une tribu empêchait les autres de venir se soumettre et faisait perdre le bénéfice des marches et des combats ; « comme je reconnais l’impossibilité du châtiment partout étendu, concluait-il, je fais de la politique et je satisfais en même temps mes idées d’humanité[85]. »

Yusuf ne rencontra pas de difficultés dans le Djebel Amour, Abd el Kader ayant passé chez les Ouled Sidi Cheikh et s’étant installé à Stitten ; il se borna à recevoir les soumissions des tribus et à leur infliger de fortes amendes.

Le duc d’Aumale, chargé par Bugeaud de reconnaître un emplacement destiné à établir une base de ravitaillement et un poste de liaison entre les provinces d’Alger et de Constantine, choisit la position de Sour Ghozlan, sur le revers Nord du Djebel Dira. Bugeaud ayant approuvé ce choix, le Ministre décida la création d’un poste, qui reçut le nom d’Aumale ; le colonel Mollière y resta à partir du 30 mai avec trois bataillons.

Dans le Nord, Bou Maza, traqué dans le Dahra par le lieutenant-colonel Canrobert, commandant la colonne de Ténès, et le colonel de Saint-Arnaud, commandant la colonne d’Orléansville, avait eu le 15 mars le bras fracassé par une balle. Obligé de se réfugier dans l'Ouarenséris, il dut fuir devant les colonnes de Bugeaud, et rejoindre Abd el Kader à Stitten.

A la fin de mai 1846, la province d’Alger se trouvait donc à peu près pacifiée.

 

Les efforts principaux de l’armée d’Afrique, toujours dirigés vers la région où se tenait Abd el Kader, allaient être donnés au printemps de 1846 dans la province d’Oran, commandée par La Moricière.

Dans le nord de cette province, le général Cavaignac avait à réprimer des tentatives isolées, comme au mois de mars celle d’un marabout, Sidi el Fadel, se disant Jésus ressuscité, dont les partisans furent mis en pièces à quelques kilomètres de Tlemcen[86]. Il surveillait la frontière marocaine, non loin de laquelle étaient établies la Déïra d’Abd el Kader et les tribus algériennes émigrées auprès d’elle.

C’est à la Déïra qu’étaient gardés les 280 prisonniers français faits à Sidi-Brahim et à Sidi-Moussa. Malgré les appels émouvants, mais très dignes, du commandant Courby de Cognord à Cavaignac et à La Moricière, le Gouverneur général se refusait à tout pourparler d’échange avec Abd el Kader, pour ne pas sembler traiter d’égal à égal avec son adversaire mis « hors la loi ». Les vivres se faisaient rares à la Déïra, et quoique, distribués peu largement aux prisonniers, manquaient aux contingents de l’Emir ; les refus dédaigneux de discuter un échange exaspéraient Abd el Kader et ses partisans. Le khalifa Mustapha ben Thami prit une décision atroce : celle de faire égorger les malheureux prisonniers, sauf les officiers et leurs ordonnances, qui furent conduits à l’écart. Ce crime fut consommé dans la nuit du 24 au 25 avril 1846.

Parmi les épargnés étaient Courby de Cognord, promu pendant sa captivité officier de la légion d’honneur et lieutenant-colonel, ainsi que son ordonnance le hussard Testard, qui lui avait sauvé la vie[87]. Le clairon Rolland parvint à s’échapper et à rejoindre Lalla-Maghrnia, après quelques vicissitudes[88]. Ainsi tombaient, massacrés lâchement, presque tous les survivants des glorieux combats du Kerkour et de Sidi-Brahim.

Les colonnes qui avaient forcé Abd el Kader à se réfugier à Stitten avaient supporté de dures épreuves ; elles étaient revenues délabrées, avec des hommes dépourvus d’effets et des chevaux fourbus. Comme La Moricière se plaignait de l’état de la colonne Renault, à la suite de la campagne dirigée par Yusuf, Bugeaud lui répondait que Yusuf avait eu raison d’utiliser les troupes mises à sa disposition jusqu’à leur limite d’usure, et de conserver ensuite tous les chevaux valides : « C’est bien joué, écrivait-il, et je jugerais ainsi lors même qu’il n’aurait pas gagné la partie... Si nous chassons et ruinons Abd el Kader, notre infanterie et notre cavalerie auront tout le temps de se remettre[89]. »

Le colonel Renault repartit d’ailleurs bientôt de Frenda pour le Sud ; il reçut la soumission de Stitten ; puis à la tête de ses cavaliers et de 1.000 fantassins sans sacs, il se mit à la poursuite d’Abd el Kader et de Bou Maza, les poussant au-delà de Chellala. Il reçut alors la soumission des Ouled Sidi Cheikh, qui lui dirent : « Nous sommes les supports de la tente que vous voulez planter ; nous voici ; nous soutiendrons l’édifice[90]. »

Le colonel Roche, commandant la colonne d’observation de Daya, voulut empêcher éventuellement Abd el Kader de gagner le Maroc, et se porta dans le Chott. Sa colonne éprouva les 15 et 16 juin, au retour, de cruelles souffrances par suite du manque d’eau ; le troupeau, n’ayant pas bu, ne pouvait plus avancer ; les barils contenant l’eau avaient fui ; les hommes tombaient suffoqués, plusieurs se suicidèrent, d’autres disparurent pour être allés isolément dans la nuit à la recherche d’eau[91].

Ces pénibles efforts des troupes de la province d’Oran furent du moins couronnés de succès : Abd el Kader, repoussé par les habitants des divers ksour qui s’étaient soumis à la France, se décida à passer au Maroc[92]. Il arriva à sa Déïra le 18 juillet 1846, le jour même où Bugeaud s’embarquait pour la France, laissant l’intérim au lieutenant général de Bar.

Abd el Kader, quoique fugitif, disposait dans les Beni-Snassen et au Rif d’une influence qui le rendait dangereux à la fois pour le Sultan du Maroc et pour l’Algérie. Il désirait négocier avec Bugeaud le retour de Courby de Cognord et des quelques prisonniers épargnés. Le Maréchal refusait de discuter avec un adversaire qu’il avait mis hors la loi ; cependant, par l’intermédiaire de Cavaignac, il allait consentir à l’échange des prisonniers français contre des prisonniers musulmans, lorsqu’une négociation menée par l’entourage de l’Emir, en dehors des autorités françaises, aboutit au rachat de Courby de Cognord et de ses compagnons contre une rançon de 6.000 douros espagnols, environ 33.000 francs. Les prisonniers arrivèrent le 25 novembre 1846 sur la côte, près de Melilla[93].

 

La politique indigène, basée sur l’entente directe des chefs français avec les chefs indigènes et les tribus, jouait un rôle chaque jour plus important, et étendait l’influence française sans que les troupes eussent à l’imposer au prix de leurs fatigues et de leur sang.

Dans la province de Constantine, les négociations furent particulièrement fructueuses.

Le colonel de Ladmirault, installé dans le nouveau poste d’Aumale, et aidé par le capitaine Ducrot, chef de bureau arabe, avait entamé des pourparlers avec le khalifa d’Abd el Kader, Ben Salem ; il l’avait amené à correspondre avec Bugeaud. Une entrevue solennelle eut lieu entre le Gouverneur général et le Khalifa à Aumale, en février 1847. Ben Salem refusa le pouvoir avec dignité ; mais il accepta d’organiser le pays, sous le contrôle de chefs désignés par les tribus, suivant les usages locaux. Il alla faire une visite à Bugeaud à Alger, où il fut reçu avec les plus grands égards.

Cette excellente politique, menée par des officiers connaissant bien le pays et ses populations, était étayée par la présence de troupes solides, et devait être complétée ultérieurement par l’occupation de la Kabylie. Elle était définie par Bugeaud en ces termes : « Lors même que toutes les tribus entre Sétif et Bougie auraient fait un semblant de soumission, il serait encore de la plus haute importance militaire et politique de nous montrer dans ces contrées avec des forces imposantes ; c’est dire tacitement aux montagnards : Vous le voyez, si vous ne tenez les engagements faits avec nous, nous pouvons par deux routes arriver chez vous avec des forces tellement imposantes que toute résistance est impossible[94]. » N’est-ce pas le principe formulé plus tard par Lyautey dans les termes : « manifester la force pour en éviter l’emploi ? »

Les colonnes expéditionnaires étaient d’ailleurs, grâce à l’expérience acquise dans les campagnes précédentes, mieux préparées et mieux approvisionnées. Lorsque Cavaignac partit de Daya pour le Sud en avril 1847, avec 3.400 hommes, il emmenait un convoi de 1.950 chameaux, avec des approvisionnements pour 50 jours ; il emportait 400 tonnelets, contenant 20.000 litres d’eau, des toiles imperméables pour l’abreuvoir des animaux, deux norias destinées à extraire l’eau des puits ; il avait même muni ses soldats de petits voiles en gaze verte, pour les protéger contre la poussière et le soleil. Le général Renault, parti de Saïda à la même époque, avait l’aide d’une colonne de ravitaillement. Toutes ces prévisions rendaient la tâche des troupes moins pénible[95].

Yusuf, l’animateur des poursuites acharnées, allait sans difficulté, au même moment, régler des différends entre tribus dans le Djebel Amour. Pendant le séjour de la colonne dans la région, le commandant Féray, officier d’ordonnance de Bugeaud, lit une visite au grand chef religieux Tedjini à Aïn-Mahdi ; il déposa à la mosquée, où il fut exceptionnellement autorisé à entrer, les offrandes du Gouverneur. Tedjini, qui n’était jamais allé voir aucun Chrétien, ni même aucun Musulman, se rendit le soir au bivouac du commandant Féray, consentit à réciter la prière pour le Roi des Français et le Maréchal, et fit remettre trois autruches en cadeau[96]. Une transformation profonde s’opérait dans l’état d’esprit des populations et de leurs chefs.

Les agitateurs étaient abandonnés par les tribus soumises et par les chefs dévoués à la France.

Pour se débarrasser d’eux, il fallait néanmoins employer parfois des procédés un peu rudes. Saint-Arnaud avait nommé caïd un ancien lieutenant de Bou Maza venu à lui ; ayant eu la preuve de son projet de trahir et d’assassiner l’agha, il envoya l’ordre à l’agha « de le tuer comme un chien » ; l’ordre fut exécuté « avec une rare vigueur et beaucoup d’à-propos », pour le plus grand prestige de l’agha.

« Quelles mœurs, quel pays, ajoutait Saint-Arnaud en racontant cet épisode à son frère ; quels hommes et quelle force il faut avoir, quel empire sur soi-même pour ordonner froidement des exécutions nécessaires, et ne pas se gâter à cette tyrannie facile, à cette omnipotence dangereuse. J’ai compris toutes les horreurs de l’histoire, souvent si triste, des proconsuls romains en Afrique... Pour nous, l’histoire des chefs français en Afrique sera pure, belle, instructive et bien intéressante à connaître. Il est à regretter que personne n’y pense, ni ne s’en occupe[97]. »

Bou Maza, qui avait quitté la Déïra d’Abd el Kader, était arrivé par le Sahara jusqu’à la province de Constantine ; il avait été repoussé en janvier 1847 par le général Herbillon parti de Batna, puis par le khalifa installé par les Français à Laghouat. Poursuivi en mars dans l'Ouarenséris par le lieutenant Margueritte, alors en tournée avec une trentaine de spahis et goumiers, il avait failli être pris et avait fui en abandonnant burnous et sandales ! Il n’avait plus d’influence sur les populations, qui restaient sourdes à ses appels ; partout il se heurtait à l’indifférence ou à la crainte de représailles.

C’est au colonel de Saint-Arnaud que Bou Maza décida d'offrir sa soumission, le 13 avril 1847, à la suite d’une dernière déception : « Il arrive, a écrit le colonel à son frère, chez un de ses affidés, le caïd des Ouled Younès, nommé El Hasseni, qui, s’il eût été seul, se serait prosterné devant lui ; mais il y trouve quatre de mes mokhazenis. Cela a été le dernier coup. Il a de suite pris sa détermination, et a dit : « Menez-moi à Orléansville au colonel Saint-Arnaud lui-même », ajoutant que c’était à moi qu’il voulait se rendre, parce que c’était contre moi qu’il s’était le plus battu. Les autres ont obéi ; ils tremblaient encore devant Bou Maza, qui a gardé ses armes et ne les a déposées que chez moi, sur mon ordre... deux pistolets chargés de huit balles. En amenant Bou Maza, mes quatre mokhazenis étaient effrayés de leur audace. D’un signe, Bou Maza les aurait fait fuir... Il a compris que son temps était passé, et qu’il ne pouvait plus soulever des populations fatiguées de lui et domptées par nous[98]. »

Saint-Arnaud se réjouissait du coup de fortune qui allait sans doute lui valoir le grade de maréchal de camp ; comme il le remarquait, les soumissions de Ben Salem et de Bon Maza étaient « de grands pas pour la pacification de l’Algérie ».

 

La situation politique en France et la campagne menée contre Bugeaud fournissaient matière à critiques à beaucoup d’officiers de l’armée d’Afrique.

Saint-Arnaud, ayant reçu d’un des siens une lettre où il était qualifié de « vieil aristocrate », reconnaissait le bien-fondé de l’épithète ; il l’expliquait en disant : « C’est la liberté que j’ai vue qui est cause de cela ; c’est la presse, c’est la Chambre, ce sont vos inutiles révolutions qui ont tué les gens et laissé vivre les abus ; enfin, c’est tout ce que je vois tous les jours avec un grand dégoût[99]. »

Il était particulièrement écœuré de l’hostilité entretenue contre le maréchal Bugeaud, et exprimait son sentiment en ces termes : « On est toujours mal disposé à Paris, à Alger et partout pour ce pauvre maréchal, qui s’en tourmente et y perd son repos et sa santé. As-tu vu les épiciers et bonnetiers de la Chambre avec leur protestation contre l’expédition de Kabylie ? S’ils veulent dicter la guerre, qu’ils viennent conduire nos colonnes. Dans six mois, nous aurons des représentants du peuple à l’armée d’Afrique. Cela ira bien, je demande à m’en aller[100]. »

Il ne cessait d’ailleurs de conseiller au maréchal Bugeaud de quitter l’Algérie. A la suite des soumissions de Ben Salem et Bou Maza, il lui écrivait « que le moment était opportun, bien choisi, et on dirait fourni par sa bonne étoile pour se retirer noblement[101]. »

Bugeaud ne voulait pas s’en aller sans avoir fait l’expédition de Kabylie, préparée par ses soins. Le 6 mai, il donna l’ordre de départ aux troupes. Le lendemain, « au moment de monter à cheval », il reçut une lettre du Ministre qui considérait le Djurdjura comme entièrement soumis et qui envisageait l’ajournement de l’expédition. Il lui répondit : « Je dois prendre sur moi la responsabilité de l’achèvement de l’œuvre dans toute la chaîne du Djurdjura. Je la prends en entier ; il le faut bien d’ailleurs, puisqu’elle m’est laissée. Mais cela ne m’effraye pas ; seulement je vous prierai de remarquer qu’on serait bien mal fondé de me répéter encore que je redoute la presse et l’opinion. Je monte à cheval pour rejoindre mes troupes[102]. »

L’expédition fut confiée à deux colonnes parties, l’une de Bordj Hamza le 12 mai aux ordres de Bugeaud, l’autre de Sétif le 14 mai aux ordres de Bedeau. Ces colonnes firent leur jonction le 21 mai et arrivèrent le lendemain à Bougie, où l’investiture solennelle des chefs eut lieu le 24 mai devant la tente de Bugeaud.

Tandis que le Maréchal menait à bonne fin son expédition en transgressant les ordres reçus, le colonel de Saint-Arnaud s’indignait de l’attitude prise par le Gouvernement. A son avis, la question était simple : les tribus soumises demandaient protection contre les insoumises ; il était indispensable de la leur accorder : « Il n’y avait pas à hésiter, écrivait-il à son frère. Les ministres savent cela, et au lieu de répondre aux attaques, ils ont préféré se taire et attendre les résultats pour dire : « Nous avons autorisé ou nous n’avons pas permis », selon que l’on aura réussi ou non. Est-ce là du gouvernement, de la dignité ? Et tu veux que le Maréchal n’abandonne pas la partie ! Si, pardieu, et je vais le lui conseiller encore. Je l’estime trop pour ne pas être sûr qu’il se retirera, et il fera bien[103]. »

Bugeaud avait pris sa décision. Lorsqu’il revint à Alger le 26 mai, il la fit connaître à Saint-Arnaud qui s’y trouvait. Son confident estima que c’était « une révolution africaine » ; il écrivait : « c’en est une réelle pour tous, pour le pays et pour nous surtout, vieux soldats qui avons vieilli et grandi avec l’homme que nous regretterons toujours[104]. »

L’œuvre de pacification n’était pas terminée ; mais elle pouvait, de l’avis du Maréchal, être poursuivie pacifiquement, grâce à une sage politique, surtout en Kabylie où il était impossible d’assurer matériellement la garde de la contrée.

Pour développer la colonisation, la meilleure méthode consistait à évoluer progressivement, sans vouloir importer prématurément en Algérie les institutions de la métropole : « Demandez d’abord à la Mère- Patrie, disait Bugeaud aux colons dans sa proclamation du 30 mai, qu’elle maintienne l'effectif de l’armée ; qu’elle adopte un large système de colonisation civile et militaire ; qu’elle augmente les allocations pour vos travaux publics de première urgence, et enfin qu’elle ôte à la centralisation de Paris tout ce qui peut lui être ôté sans compromettre la responsabilité ministérielle[105]. »

L’ordre du jour adressé le 5 juin 1847 par Bugeaud à ses troupes était émouvant :

« Officiers, sous-officiers et soldats de l’armée d’Afrique, ma santé et d’autres motifs puissants m’ont obligé à prier le Roi de me donner un successeur... Comment me séparer de vous sans éprouver de profonds regrets. Vous n’avez cessé de m’honorer pendant six ans et demi d’une confiance qui faisait ma force et la vôtre. C’est cette union entre le chef et les troupiers qui rend les armées capables de faire de grandes choses. Vous les avez faites. »

Le Maréchal retraçait à grands traits l’œuvre victorieuse de ses colonnes. Il félicitait ensuite ses soldats d’avoir su travailler pour utiliser leur conquête :

« Vous avez trouvé glorieux de savoir manier, tour à tour, les armes et les instruments de travail ; vous avez fondé presque toutes les routes qui existent ; vous avez construit des ponts et une multitude d’édifices militaires ; vous avez créé des villages et des fermes pour les colons civils ; vous avez défriché les terres des cultivateurs trop faibles encore pour les défricher eux-mêmes ; vous avez créé des prairies, vous avez semé des champs, et vous les avez récoltés. Vous avez montré, par-là, que vous êtes dignes d’avoir une bonne part dans le sol conquis et que vous sauriez aussi bien le cultiver que le faire respecter de vos ennemis[106]. »

Bugeaud s’embarqua le 5 juin 1847, laissant le gouvernement général par intérim au lieutenant général de Bar. Ce dernier ayant reçu un commandement en France, le lieutenant général Bedeau fut désigné le 29 juin pour prendre ces fonctions.

 

Qui allait succéder à Bugeaud ? On avait parlé de Bedeau, ou de Baraguey d’Illiers, ou du duc d’Aumale avec l’un de ces deux généraux pour commander les troupes[107].

Bugeaud avait le duc d’Aumale en haute estime et en grande affection. Léon Roches raconte que, dès la fin de 1843, il s’exprimait ainsi à son sujet : « Je place très haut les talents militaires et administratifs de mes trois lieutenants préférés, Changarnier, La Moricière et Bedeau. Eh bien, si j’avais à faire le choix de mon successeur au gouvernement de l’Algérie, je n’hésiterais pas à désigner le duc d’Aumale, dans lequel se trouvent réunies les qualités qui constituent le chef d’armée et l’administrateur. Il a la décision prompte, le courage entraînant, le corps infatigable et l’amour du travail, le tout dirigé par une haute intelligence et un ferme bon sens. Joignez à cela le prestige dont l’entoure, aux yeux de tous et des Arabes surtout, son titre de fils du sultan de France, et vous aurez en lui le gouverneur qui fera de l’Algérie un royaume prospère[108]. »

Le duc d’Aumale fut nommé gouverneur général le 11 septembre 1847.

« Cette nomination, a écrit du Barail, fut acclamée à la fois par l’armée et par la population civile, comme une promesse de bonheur et de prospérité. Le Roi, en confiant à l’un de ses fils le gouvernement de l’Algérie, témoignait à la colonie sa sollicitude et sa résolution de la développer. Le Prince, qui connaissait à fond l’Algérie, y avait révélé des talents de premier ordre, comme administrateur et comme homme de guerre[109]. »

Le nouveau gouverneur général arriva à Alger le 5 octobre. Dans son ordre du jour à l’armée d’Afrique, il rappelait qu’il avait à cinq reprises servi dans ses rangs et il exprimait bien le sentiment général à l’égard de Bugeaud : « L’armée, disait-il, qui vient d’accomplir tant de grandes choses, a salué d’universels regrets l’illustre chef à qui elle doit tant de gloire, et sous les ordres duquel j’aurais tant aimé à me retrouver encore. Qu’il reçoive ici la nouvelle expression du bien vif et bien reconnaissant souvenir que lui conservera toujours l’armée d’Afrique[110]. »

Sa proclamation aux Indigènes tirait parti de l’expérience acquise et formulait des sentiments capables de les toucher : « Vous avez compris, ô Musulmans, leur disait-il, combien le bras de la France était puissant et redoutable, et combien son Gouvernement était juste et clément. Vous avez obéi à l’immuable volonté de Dieu qui donne les Empires à qui bon lui semble sur la terre... Le Roi des Français m’a envoyé au milieu de vous comme son représentant sur cette terre qu’il aime à l’égard de la France. J’ai déjà vécu parmi vous ; je connais vos lois et vos usages et tous mes actes tendront à augmenter votre prospérité et celle du pays. »

La tâche essentielle à réaliser par le duc d’Aumale, au point de vue militaire, était d’en finir avec Abd el Kader, installé au Maroc près de la frontière algérienne.

Abd el Kader, pris entre les caïds du Sultan du Maroc, à qui La Moricière fournissait des munitions, était dans une situation de plus en plus critique. Il fut abandonné par ses deux frères eux-mêmes, qui obtinrent l’aman de La Moricière ; le colonel de Montauban alla les chercher, le 21 décembre 1847, pour les amener au camp français avec leur suite.

Acculé à la mer par les forces marocaines, Abd el Kader fut obligé de passer en Algérie ; il se rendit à La Moricière dans des circonstances dramatiques, le 23 décembre, après avoir reçu la promesse, donnée par La Moricière au nom du duc d’Aumale, d’être transporté à Alexandrie ou à Akka. C’est à Sidi-Brahim, lieu de son plus sanglant exploit, qu’il se présenta au bivouac du colonel de Montauban ; dirigé sur Djemmaa-Ghazaouet, déjà baptisé du nom de Nemours, il rencontra bientôt La Moricière et Cavaignac ; il fit route avec eux. Le duc d’Aumale, débarqué le matin même à Nemours, l’y attendait ; il confirma les engagements pris par La Moricière[111].

Les troupes d’Afrique étaient alors dans un magnifique état d’entraînement, sans être fatiguées par des expéditions trop pénibles. Lorsque Montauban avait, au bivouac de Sidi-Brahim, fait rendre les honneurs par ses cavaliers à Abd el Kader, ce dernier avait fait une seule remarque : « Si j’avais eu des hommes comme les tiens, je serais actuellement à Fez. »

L’embarquement de l’ancien Emir, de sa famille et des fidèles désireux de l’accompagner s’effectua le 25 décembre à Nemours. L’impression produite en Algérie par cet événement fut immense. Le calme complet s’y établit, de telle sorte que, au début de 1848, la Kabylie seule restait à soumettre.

 

 

 



[1] Le maréchal de camp Comman au maréchal duc d’Isly, du camp d'Aïn-el-Arba, 18 octobre 1844 (original).

[2] Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, du camp de Larbi, 28 octobre 1844 (original).

[3] Le maréchal Bugeaud au lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, d’Alger, 12 octobre 1844 (original).

[4] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, d’Orléansville, 25 novembre 1844. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, 1855, page 2.

[5] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, d’Orléansville, 1er février 1845. Lettres, tome II, page 9.

[6] Le chef de bataillon Vinoy, commandant supérieur de Sidi-bel-Abbès, au général Thiéry, commandant la subdivision à Oran, du camp de Sidi-bel-Abbès, 30 janvier 1845 (extrait).

[7] Colonel Walsin-Esterhazy, Notice historique sur le Maghzen d’Oran, page 203.

[8] Colonel Walsin-Esterhazy, Notice historique sur le Maghzen d’Oran, page 207.

[9] Le maréchal duc d’Isly, gouverneur général de l’Algérie, au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Excideuil, 5 janvier 1845 (original).

[10] Le maréchal duc d’Isly au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 8 avril 1845 (original).

[11] Le maréchal de camp Le Pays de Bourjolly, commandant la subdivision de Mostaganem, au lieutenant général de la Moricière, du bivouac sur l’oued Oudoukhr, 24 avril 1845 (original).

[12] Le colonel de Saint-Arnaud au maréchal de camp de Bourjolly, de Bal, le 23 avril 1845 (original).

[13] Voir le détail des opérations dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 333 à 339.

[14] Le maréchal duc d’Isly au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, du bivouac sur l’oued bou-Zegzag chez les Béni Tighrin, 5 juin 1845 (original).

[15] Le colonel de Saint-Arnaud, commandant la subdivision d'Orléansville, au maréchal duc d’Isly, du bivouac de Sidi-bel-Kassem, 20 juin 1845 (original). — Le colonel de Ladmirault au maréchal duc d’Isly, du bivouac sur l’oued Delfa, 21 juin 1845 (copie).

[16] Le colonel Pélissier, sous-chef d’état-major général, commandant la colonne expéditionnaire de l’ouest du Dahra, au colonel de Saint-Arnaud, de Ghar-el-Frachich, 20 juin 1845 (copie). — Le même au maréchal duc d’Isly, du bivouac de Ghar-el-Frachich, 22 juin 1845 (original de 14 pages).

[17] Le Ministre de la Guerre au maréchal duc d’Isly, gouverneur général de l’Algérie, de Paris, 5 juillet 1845 (minute).

[18] Le maréchal duc d’Isly au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 14 juillet 1845 (original).

[19] Le colonel de Saint-Arnaud, commandant la subdivision d’Orléansville, au maréchal duc d’Isly, d’Aïn-Meran, 15 août 1845 (original).

[20] Le maréchal duc d’Isly, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 août 1845 (original).

[21] Circulaire imprimée du gouverneur général de l’Algérie, maréchal duc d'Isly, signée pour ampliation par le colonel faisant fonctions de chef d’état-major général, Pélissier. — Projet d’organisation des colonies militaires, imprimé au verso.

[22] Le maréchal Bugeaud au colonel de Saint-Arnaud, 21 août 1845, citée par le comte d’Ideville, Le maréchal Bugeaud, tome III, pages 37-38.

[23] Le lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, au maréchal Ministre de la Guerre, de Sidi-bel-Abbès, 24 avril 1845 (original).

[24] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 159.

[25] Le colonel Géry, commandant la colonne expéditionnaire du Sud, au lieutenant général de la Moricière, de Stitten, 25 avril 1845 (original).

[26] Le colonel Géry au lieutenant général de la Moricière, de Goutifa, 9 mai 1845 (copie).

[27] Le lieutenant général de la Moricière, commandant la division d’Oran, au maréchal duc d’Isly, gouverneur général de l’Algérie, du bivouac sous Frenda, 18 mai 1845 (original).

[28] Le lieutenant général de la Moricière au maréchal duc d’Isly, de Saïda, 28 mai 1845 (copie).

[29] Le maréchal de camp Cavaignac, commandant la subdivision de Tlemcen, au lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, 17 juin 1845 (original).

[30] Le lieutenant-colonel de Montagnac à Bernard de Montagnac, de Djemmaa-Ghazaouet, 21 août 1845. Lettres d’un soldat, pages 498-499.

[31] E. Pellissier de Reynaud, Annales algériennes, tome III, page 226.

[32] E. Pellissier de Reynaud, Annales algériennes, tome III, page 228.

[33] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 27 avril 1845 (original).

[34] Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, du bivouac de l’oued bou-Zegzag, chez les Béni Tighrin, 6 juin 1845 (original).

[35] Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 27 avril 1845 (original).

[36] Le maréchal Bugeaud au colonel de Saint-Arnaud, d’Alger, 21 août 1845. Imprimée dans : Comte Henry d’Ideville, Le maréchal Bugeaud, tome III, page 38.

[37] Le lieutenant-général de la Moricière, gouverneur général par intérim, au maréchal duc de Dalmatie, 28 septembre 1845 (original). Imprimée dans : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, 1re édition, 1905, pages 437 à 442.

[38] Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Djemmaa-Ghazaouet, 9 avril 1845. Lettres d'un soldat, page 466.

[39] Eugène-J. Rémy, officier d’infanterie. Biographie du colonel de Montagnac, Paris, Dumaine, 1847.

[40] Général d’Exéa, Mémoires inédits.

[41] Voir : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, 1re édition, pages 65 à 70. — Voir aussi : Le lieutenant-colonel de Montagnac à Bernard de Montagnac, 31 mai 1845. Lettres d'un soldat, pages 481 à 484.

[42] Le lieutenant-colonel de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Djemmaa-Ghazaouet, 16 mai 1843. Lettres d'un soldat, page 481.

[43] Voir : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, 1re édition, 1905.

[44] Le lieutenant général de la Moricière, gouverneur général par intérim, au maréchal duc de Dalmatie, d’Oran, 28 septembre 1845 (original). Imprimée dans : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, pages 437 à 442.

[45] Voir : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, chapitre : La colonne de Barral.

[46] La Moricière à Soult, d’Oran, 1er octobre 1845, 10 heures du soir. Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, page 475.

[47] La Moricière à Soult, du bivouac sur l’oued Tleta, près Nédroma, 17 octobre 1845. Imprimée dans : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, page 563.

[48] L'Algérie, courrier d’Afrique, d’Orient et de la Méditerranée, 22 septembre 1845, n° 122.

[49] L'Algérie, 26 septembre 1845, n° 123.

[50] Lettre du 30 septembre 1845, imprimée dans L’Echo de la Dordogne et de Vésone, à Périgueux, 18 septembre 1865.

[51] Bugeaud à Soult, d’Excideuil, 6 octobre 1845, confidentielle (original). Imprimée dans : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, pages 515 et suivantes.

[52] L’Algérie, 6 octobre 1845, n° 125.

[53] Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, de Marseille, 11 octobre 1845 (original).

[54] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, Paris, 1887, tome II, page 436.

[55] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, Paris, 1887, tome II, page 437.

[56] Le lieutenant-colonel de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Djemmaa-Ghazaouet, 22 juillet 1845. Lettres d'un soldat, page 492.

[57] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, d'Orléansville, 10 janvier 1846. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, Paris, 1855, tome II, page 71.

[58] Voir : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, 1re édition, pages 305 à 307.

[59] L'Algérie, numéro du 12 octobre 1845, n° 126.

[60] Circulaire, à bord du Panama, 14 octobre 1845. Imprimée dans : Lieutenant Paul Azan, Sidi-Brahim, 1re édition, pages 313 à 318.

[61] Le Ministre de la Guerre au maréchal duc d'Isly, gouverneur général, de Paris, 22 octobre 1845 (minute). Imprimée dans : Paul Azan, Sidi-Brahim, 1re édition, pages 568-570.

[62] Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, page 357.

[63] Le maréchal Bugeaud, duc d’Isly, au Ministre de la Guerre (lieutenant général de Saint-Yon), du quartier général d’Ammi-Moussa, 24 novembre 1845 (original).

[64] Le maréchal Bugeaud, duc d’Isly, au Ministre de la Guerre (lieutenant général de Saint-Yon), du quartier général d’Ammi-Moussa, 24 novembre 1845 (original) ; et le même au même, de Ben-Athia sur l’oued Menasfa, 30 novembre 1845 (original).

[65] Le maréchal de camp Yusuf, commandant la colonne détachée de celle du Gouverneur général, d’Aïn-Toukeria, 16 décembre 1845 (copie).

[66] Le maréchal duc d’Isly, gouverneur général, au Ministre de la Guerre, du bivouac d’Aïn-Toukeria, 17 décembre 1845 (original).

[67] Le maréchal duc d’Isly au colonel Mellinet, de l’oued Kramis, près d’El-Bouïb, sur le Riou, 22 décembre 1845 (original).

[68] Le maréchal duc d’Isly au lieutenant général Ministre de la Guerre, du bivouac au confluent de Téguignest et du Riou, 24 décembre 1845 (original).

[69] Le maréchal duc d’Isly, gouverneur général, au Ministre de la Guerre, d'Aïn-Toukeria, 16 décembre 1845 (original), dans le P. S.

[70] Le lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, au lieutenant général Ministre de la Guerre, du bivouac des Matamores de Kalib, dans la vallée de l’oued el-Tat, 6 janvier 1846, 10 heures du soir (original). — Le même au maréchal Gouverneur général de l’Algérie, du bivouac au pied du Djebel-bou-Maïz, entre l’oued el-Tat et l’oued el-Abd, 9 janvier 1846, 1 h. du matin (copie).

[71] Le maréchal duc d’Isly, gouverneur général, au lieutenant général Bedeau, à Médéa, de l’oued Kramis, rive droite du Biou, chez les Keraïch, 14 janvier 1846 (copie).

[72] Le même au lieutenant général de Bar, de Nahr-Ouassel, dépêches télégraphiques des 3 et 4 février 1846. — Le même au même, sous Boghar, 5 février 1846.

[73] Le lieutenant général de Bar au maréchal duc d’Isly, 5 février 1846, 9 heures du matin.

[74] Le maréchal duc d’Isly au lieutenant général de Bar, de Boghar, 5 février 1846, particulière (copie).

[75] Le maréchal duc d’Isly au lieutenant général de Bar, d’Oued-Chaïr, 7 février 1846, 6 heures du soir (copie).

[76] Le maréchal de camp Gentil, commandant la colonne de l’Est, au lieutenant général de Bar, commandant la division d’Alger, du camp de Hadjer-Djouala, 7 février 1846 (copie).

[77] Le maréchal duc d’Isly au Ministre de la Guerre, du revers nord du Djurdjura, chez les Guechtoula, 20 février 1846 (original).

[78] Le Pair de France, ministre secrétaire d’État de la Guerre, au maréchal duc d’Isly, gouverneur général de l’Algérie, de Paris, 16 février 1846 (minute).

[79] Le maréchal duc d’Isly au Ministre de la Guerre, d’Alger, 24 février 1846 (original).

[80] Le maréchal duc d’Isly au général Cavaignac, commandant la subdivision de Tlemcen, du bivouac d’Aïn-Kebira, pointe est de Djebel Sidi-Marouf, entre le Riou el Tiaret, 19 janvier 1846 (duplicatum).

[81] Le colonel Camou, commandant la colonne du Sud, au général Marey-Monge, commandant la subdivision de Médéa, d’Aïn-Cussera, 8 mars. 1846 (copie).

[82] Le général Yusuf au maréchal Gouverneur général de l’Algérie, de Gouiga, 15 mars 1846 (copie).

[83] Voir : Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 289 et 290.

[84] Le maréchal duc d’Isly au Ministre de la Guerre, d’Alger, 13 avril 1846 (original).

[85] Le maréchal duc d’Isly au duc d’Aumale, du bivouac de l’oued Tixal, 12 mai 1846 (copie).

[86] Le maréchal de camp Cavaignac, commandant la subdivision de Tlemcen, au lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, de Tlemcen, 26 mars 1846 (copie).

[87] Voir en particulier les Mémoires inédits de Courby de Cognord (Archives du général Paul Azan).

[88] Voir : Capitaine Paul Azan, Le clairon Rolland, Paris, Fournier, 1914.

[89] Le maréchal duc d’Isly au lieutenant général de la Moricière, sous Miliana, 9 mai 1846 (copie de 8 pages signée par le Maréchal).

[90] Le colonel Renault, commandant la colonne expéditionnaire du Sud, au général Thiéry, de Sidi-Hadj-ben-Ameur, 9 juin 1846 (copie).

[91] Le colonel Roche, du 5e de ligne, commandant la colonne expéditionnaire du Sud, au lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, d’Oglat-Kersouta, 18 juin 1846 (original).

[92] Le colonel Renault au général Thiéry, lettre citée du 9 juin 1846.

[93] Voir : Colonel Paul Azan, Les prisonniers de Sidi-Brahim au Maroc, Bulletin de la Société de Géographie d’Alger, 1925, pages 408-420 ; 1926, pages 38-58. — Voir aussi : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 380-381.

[94] Le maréchal Bugeaud au lieutenant-général Ministre de la Guerre, 30 avril 1847 (original).

[95] Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, page 386. — Journal des opérations militaires, 1847. Colonne expéditionnaire du Sud, sous les ordres de M. le général Cavaignac. Note préliminaire. — Le maréchal de camp d’Arbouville, commandant la division d’Oran par intérim, au maréchal duc d’Isly, gouverneur général, d’Oran, 13 mars 1847 (original).

[96] Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 385-386.

[97] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, d'Orléansville, 16 mars 1847. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, Paris, 1855, tome II, page 139.

[98] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère Leroy de Saint-Arnaud, avocat à Paris, d’Orléansville, 17 avril 1847. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, page 144.

[99] Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, page 145.

[100] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, d’Orléansville, 24 avril 1847. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, pages 146-147.

[101] Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, page 147.

[102] Bugeaud au Ministre de la Guerre, d’Alger, 7 mai 1847 (original).

[103] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, d’Orléansville, 21 mai 1847. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, page 149.

[104] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, 26 mai 1847. — Le même au même, d’Alger, 28 mai 1847. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, Paris, 1855, pages 150 et 151.

[105] Proclamation aux « colons de l’Algérie », en date du 30 mai 1847. Reproduite dans : Comte H. d'Ideville, Le maréchal Bugeaud, tome III, pages 160 à 164.

[106] Ordre du jour du maréchal Bugeaud, du quartier général d’Alger, 5 juin 1847. Reproduit dans : Comte H. d'Ideville, Le maréchal Bugeaud, tome III, pages 164-166.

[107] Le colonel de Saint-Arnaud à son frère, avocat à Paris, d’Alger, 28 mai 1847. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome II, page 151.

[108] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 438-439.

[109] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 321-322.

[110] Ordre du jour du 6 octobre 1847, au quartier général à Alger (imprimé).

[111] Voir : Colonel Paul Azan, L’émir Abd el Kader, Paris, 1925, pages 226 à 235.