La
lutte contre Abd el Kader continua sans tenir compte des saisons pendant
toute l’année 1842. Il y eut campagne d’hiver, de printemps, d’été et
d’automne, avec des progrès constants pour la pacification. Dans la
province d'Oran, Bugeaud allait dès le début de février installer une
garnison à Tlemcen et détruire la petite forteresse de Sebdou. Bedeau, nommé
au commandement de Tlemcen, pacifiait la région. La Moricière continuait à
exécuter des razzias autour de Mascara ; il poussait en juillet jusqu’à
Goudjila, nid d’aigle saharien dans lequel Abd el Kader avait cru pouvoir
établir une place d’armes inaccessible. Le général d'Arbouville opérait en
partant de Mostaganem. Dans la
province d’Alger, Changarnier était le principal réalisateur des desseins de
Bugeaud, et exécutait des opérations combinées avec lui ; d’autres colonnes,
aux ordres du général de Bar, du lieutenant-colonel de Saint-Arnaud et du
colonel Comman, du colonel Korte, concouraient à la pacification des tribus. Dans la
province de Constantine, le général de Négrier, aidé par le général Randon
partant de Bône, et par le général Levasseur, avait affaire à l’agitateur
Zerdoud. Baraguey d’Hilliers lui succéda en fin d’année ; il disposait de
plusieurs colonnes, dont les mouvements combinés pouvaient venir à bout de Si
Zerdoud. Ces
opérations se déroulaient simultanément sur toute l’étendue de l’Algérie ;
elles étaient menées avec une âpreté et une continuité dont il est difficile
de se faire une idée sans en suivre les diverses phases[1]. Bugeaud
cherchait à convaincre ses généraux de la nécessité de s’imposer par la force
à leurs adversaires. Il écrivait à Soult le 10 septembre 1842 : « Ne laissez
jamais le dernier mot à l’ennemi, ai-je toujours dit à mes lieutenants. Dès
que l’ennemi vous présente des forces un peu considérables, dès que ses
attaques deviennent sérieuses et dès que vous vous trouvez sur un terrain
tant soit peu facile, reprenez une offensive générale et prolongée. Sachez
perdre une journée pour le poursuivre, et retournez coucher, s’il le faut, à
l’eau que vous avez quittée[2]. » Certains
subordonnés de Bugeaud pratiquaient d’eux-mêmes ces méthodes, et ne
laissaient guère de repos à leurs adversaires. Le
général de la Moricière était secondé par une pléiade d’officiers remarquablement
choisis. Son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Pélissier, avait fait
la guerre sous le Premier Empire, tandis que le général était encore un
enfant. « Néanmoins, il donnait à tous l’exemple de l’obéissance, de la
déférence, dans ses fonctions de chef d’état-major, où il se montrait à la
fois très méthodique et très affable pour les jeunes officiers, qu’il savait
tenir en bride et employer selon leurs aptitudes ». Du Barail, qui apprécie
ainsi ses qualités militaires, trace de lui ce portrait : « Un peu court, un
peu gros, il avait déjà à cette époque la tête toute blanche, ce qui le
faisait paraître plus âgé qu’il ne l’était en réalité. L’œil était beau,
pénétrant et singulièrement vif, surtout lorsque le plissement de la paupière
accompagnait un de ces mots à l’emporte-pièce auxquels rien ne résistait, et
qu’il lançait d’une voix à la fois lente, nasillarde et profonde. Une
moustache noire et épaisse barrait sa figure accentuée, sur laquelle se
lisait toute l’énergie de son âme. On y lisait, à première vue, la qualité
maîtresse du chef, le caractère[3]. » Dans
son état-major, deux officiers jouaient un rôle précieux : le capitaine
Daumas, l’ancien consul auprès d’Abd el Kader à Mascara, qui avait organisé
un bureau de renseignements ; le capitaine de Martimprey, chargé du service
topographique, qui avait dressé une carte détaillée de la région. « Une
expédition, a écrit du Barail, préparée par le capitaine Daumas et guidée par
le capitaine de Martimprey, arrivait aussi sûrement à son but qu’un train de
voyageurs arrive à une gare. Le capitaine de Martimprey marchait à la tête de
la colonne, suivi d’un chasseur portant un fanion blanc avec une large étoile
rouge. On l’avait surnommé l’Etoile Polaire 2[4]. » Les
autres officiers n’étaient pas moins bien choisis : tels les capitaines de
Senneville et Jarras, le lieutenant Cassaigne, et le brillant lieutenant
Trochu, que Bugeaud devait enlever à La Moricière pour le prendre avec lui,
en raison de sa valeur[5]. Dans
les troupes de La Moricière, nombre d’officiers avaient déjà acquis une
personnalité. Le colonel Roguet commandait le 41e de ligne. Le
colonel de la Torre était à la tête du 13e léger : c’était « une figure
étrange de soldat : chagrin, froid, stoïque, n’ayant pas le sentiment du
danger, et flegmatique au milieu du feu le plus vif, sur son petit cheval
blanc et sous son caban à capuchon ; estimé comme militaire, détesté comme
chef[6]. » Le commandant Mellinet, le
futur général, était le chef du 5e bataillon de chasseurs à pied. Le
lieutenant-colonel Renault avait reçu le commandement de deux bataillons
d’élite, composés de grenadiers et de voltigeurs, l’un aux ordres du
commandant de Montagnac, l’autre aux ordres du commandant Pâté. Il était
surnommé « Renault de l’arrière-garde », parce qu’il s’était fait une
spécialité de la direction des combats difficiles livrés à la queue des
colonnes, et qu’il y faisait preuve d’un courage, d’une activité, et d’un
coup d’œil admirables. C’était une figure bien connue : « Il était maigre,
décharné, pâle, a écrit du Barail. On le voyait arriver, le soir, au bivouac,
le dernier, épuisé, sans voix, ayant éreinté trois ou quatre chevaux à courir
partout où il y avait du danger, partout où il y avait un combat[7]. » En le proposant pour
colonel en avril 1842, La Moricière écrivait : « La confiance qu’il
inspire au-dessus et au-dessous de lui, l’ascendant qu’il prend autour de
lui, sont des titres qui valent mieux que tous les éloges[8]. » Le
lieutenant-colonel Yusuf gagnait peu à peu la confiance de La Moricière,
prévenu contre lui par son origine militaire irrégulière et par l’inimitié de
quelques officiers français ; il faisait merveille en colonne à la tête de
ses spahis[9]. Les
razzias tendaient à se généraliser comme procédé de guerre. La Moricière les
avait mises en pratique, surtout depuis son installation à Mascara. Certaines
de ces expéditions avaient pour but de découvrir les « silos » dissimulés
dans la campagne. Lorsqu’elles avaient mis la main sur ces réserves des
tribus, elles les réunissaient pour les magasins : bêtes de somme et chevaux
de cavalerie étaient chargés d’orge, de blé ou de sel, et chaque soldat
transportait en moyenne quinze kilos de blé[10]. D’autres
expéditions étaient destinées à reconstituer le troupeau quand la viande
faisait défaut. Dirigées sur les tribus dissidentes, elles ramenaient, en
même temps que bœufs, moutons, ânes, chevaux et mulets, des prisonniers,
hommes, femmes et enfants, servant d’otages. Elles
donnaient lieu à « des scènes bien pénibles », selon l’expression de
Montagnac : « On arrive sur les tentes, dont les habitants, réveillés par
l’approche des soldats, sortent pêle-mêle avec leurs troupeaux, leurs femmes,
leurs enfants ; tout ce monde se sauve dans tous les sens ; les coups de
fusil partent de tous les côtés sur les misérables surpris sans défense ;
hommes, femmes, enfants poursuivis sont bientôt enveloppés et réunis par
quelques soldats qui les conduisent. Les bœufs, les moutons, les chèvres, les
chevaux, tous les bestiaux enfin, qui fuient, sont vite ramassés. Celui-ci
attrape un mouton, le tue, le dépèce : c’est l’affaire d’une minute ;
celui-là poursuit un veau avec lequel il roule, cul par-dessus tête, dans le
fond d’un ravin ; les autres se jettent sous les tentes, où ils se chargent
de butin ; et chacun sort de là affublé, couvert de tapis, de paquets de
laine, de pots de beurre, de poules, d’armes et d’une foule d’autres choses
que l’on trouve en très grande quantité dans ces douars souvent très riches.
Le feu est ensuite mis partout à ce que l’on ne peut emporter, et bêtes et
gens sont conduits au convoi : tout cela crie, tout cela bêle, tout cela
brait ; c’est un tapage étourdissant[11]. » Les
cavaliers ennemis, après avoir pris la fuite, venaient harceler la colonne
dès qu’elle leur tournait le dos. Lors du retour au camp avait lieu une
distribution de moutons et de chèvres, aussitôt mis à la marmite. Afin de
rendre sa colonne plus agile, La Moricière déchargeait de leurs sacs ses deux
bataillons d’élite, et les faisait précéder d’éléments de cavalerie[12]. Il cherchait à arriver sur les
douars rapidement et par surprise. La
marche des troupes était soumise à des règles strictes : « Tout le monde
gardait le plus profond silence. Les ordres, les recommandations, les
indications se transmettaient à voix basse. Aucune batterie de tambour,
aucune sonnerie de clairon ou de trompette ; défense absolue de fumer, de
battre le briquet, d’enflammer une allumette. Perpétuellement, un officier ou
un sous-officier partait de la tête de la colonne et, faisant l’office de
chien de berger, descendait, par la droite, jusqu’au dernier peloton,
remontait, par la gauche, jusqu’au général, pour lui signaler le moindre
incident, prévenant chaque portion de troupe, toutes les heures, lorsqu’on
s’arrêtait pour la halte réglementaire de dix minutes. Cette privation de
tabac et de parole rendait encore plus pénible la privation totale de sommeil[13]. » Au
retour, la colonne légère était « transformée en un lourd convoi, à la marche
pesante et lente. Le fantassin, parti avec un havresac complètement vide, le
rapportait plein de blé. Nos cavaliers marchaient à pied, conduisant par la
bride leurs chevaux sur lesquels ils étaient remplacés par un sac d’orge[14]. » Pendant la retraite,
exécutée par échelons, Yusuf conservait seulement autour de lui quelques
éléments prêts à charger. « Renault l’arrière-garde » justifiait alors son
surnom. Les
courses de ce genre entraînaient merveilleusement les soldats qui y prenaient
part : « Jamais, depuis l’Empire, écrivait Montagnac, nous n’avons eu de
troupes comme celles-là, aussi aguerries, aussi rompues aux fatigues, faites
à toutes les privations. Sur 98 jours que nous sommes dans la province de
Mascara, nous en avons passé déjà 75 dehors, et Dieu sait par quel temps[15]. » La
description émouvante d’une razzia faite par temps de neige, au mois de mars,
dans la région de Frenda, donne une idée des souffrances éprouvées par les
troupes françaises et par les populations poursuivies[16]. Au cours de cette opération,
une section de carabiniers du 13e léger, comprenant 23 hommes sous le
commandement du lieutenant Deligny, s’égara, et erra pendant deux jours dans
les montagnes sans que les Indigènes osassent l’attaquer : « Voilà, concluait
Montagnac, une preuve bien convaincante de l’effet terrible qu'a exercé sur
tous les Arabes notre nouveau mode de guerre, notre persévérance à la
poursuivre et notre système de destruction de tous les moyens d’existence,
système jusqu’alors employé sur une très petite échelle[17]. » Deligny
avait d’ailleurs tenu les Indigènes en respect par son attitude énergique : «
Il avait, a écrit du Barail, commencé par empoigner les Arabes qui lui
paraissaient les plus riches, en guise d’otages ; puis il avait ordonné aux
autres de dresser des tentes pour lui et ses hommes, de leur apporter à
manger. Il avait ainsi passé la nuit en fort bon ménage avec les Arabes que
nous venions de piller[18]. » La connaissance de la
conduite à tenir vis-à-vis des Indigènes l’avait sauvé. Les
officiers de l’armée d’Afrique étaient désolés d’en venir à des procédés
inhumains. Après les destructions effectuées en avril 1842 aux environs de
Cherchell, Bugeaud écrivait à Soult : « Cela est cruel sans doute, et le cœur
m’en faisait mal ; mais il n’y a pas d’autres moyens d’atteindre et de
soumettre ce peuple extraordinaire... Pour nous soulager de ces rigueurs
nécessaires, nous avons traité avec la plus grande humanité des femmes, des
vieillards et des enfants qui n’avaient pas pu fuir assez vite ; on leur a
donné des vivres et même des vêtements[19]. » Le
lieutenant-colonel de Saint-Arnaud, participant à cette opération avec son
bataillon de zouaves, écrivait : « Nous avons tout brûlé, tout détruit. Oh !
la guerre, la guerre ! Que de femmes et d’enfants, réfugiés dans les neiges
de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère ![20] ». Changarnier
déclarait aussi : « Je n’avais pas le goût de la razzia, et je m’y étais
résigné comme à un devoir pénible. En la pratiquant, j’ai voulu la
régulariser, la moraliser dans la mesure du possible, et j’ai eu le bonheur
d’y réussir. Non seulement les troupes sous mes ordres traitaient avec
douceur les femmes, les enfants, les hommes inoffensifs, mais elles se
contentaient de la part que leur allouaient les règlements dans la valeur des
prises[21]. » Ces
expéditions cruelles apparaissaient comme une nécessité aux officiers qui
connaissaient le pays et ses populations : « Il fallait, assurait Montagnac,
ce mode de guerre inauguré par M. de la Moricière, cette opiniâtreté
diabolique, ce nouveau genre de vie appliqué à notre armée, qui, jusqu’à ce
jour, ne pouvait se passer d’immenses et lourds convois ; il fallait ces
bataillons d’infanterie débarrassés de leurs pesants fardeaux, arrivant,
aussi vite que la cavalerie, au milieu des tribus épouvantées, franchissant
les obstacles les plus ardus, frappant partout, fouillant dans les repaires
les plus cachés, poussant les troupeaux avec plus de rapidité que ne
pouvaient le faire les Arabes eux-mêmes, tenant la campagne par tous les
temps, courant nuit et jour, saisissant, dans toutes les directions, ces
populations en désordre[22]. » Le but
était de dépouiller les tribus de tout ce qu’elles possédaient, chevaux,
tentes, grains, troupeaux, pour les réduire à l’impuissance ; lorsqu’il était
atteint, elles se rendaient ! « Il est impossible, écrivait Montagnac, de se
figurer à quelle extrémité nous avons réduit ces malheureuses populations ;
nous leur avons enlevé, pendant quatre mois, toutes leurs ressources en blé
ou en orge. Nous leur avons pris leurs troupeaux, leurs tentes, leurs tapis,
tous leurs objets de ménage, en un mot toute leur fortune ; il n’y a donc
qu’une longue paix qui puisse les remettre de tant de maux. il ne fallait pas
leur laisser la force de se remuer plus tard et de prendre encore leur vol
avec audace. Il fallait couper les ailes à l’oiseau farouche pour le garder :
c’est ce que M. de la Moricière a parfaitement compris[23]. » Le
général Changarnier qui, pendant l’hiver 1841-1842, fit exécuter à ses
troupes quelques razzia dans la province d’Alger, a donné la même excuse : «
Si, dans une guerre d’Europe, on peut contraindre son adversaire à traiter
quand, après avoir gagné sur lui une ou deux batailles, on occupe sa
capitale, on saisit les caisses publiques, on frappe des contributions, on
interrompt tout commerce, nous ne pouvions employer les mêmes moyens contre
les Arabes. Après avoir ruiné le gouvernement d’Abd el Kader et dispersé ses
troupes, nous devions nous attaquer à la fortune mobilière et aux récoltes
des tribus pour les contraindre à se soumettre[24]. » Le
général de Négrier, amené à employer le même procédé dans la province de
Constantine, écrivait à Soult, à propos d’une opération du général Levasseur
au début de juillet 1842 contre les Zerdeza : « Je déplore d’être obligé de
sévir d’une manière aussi rigoureuse en brûlant les récoltes ; mais c’est le
seul moyen d’action que j’aie sur les Kabyles. Cette population est riche, et
les pertes qu'elle éprouve cette année ne la réduiront pas à la misère et ne
la pousseront pas au désespoir... Il faut qu’ils se calment s’ils veulent que
nous leur laissions reprendre possession de leurs villages, et ils le feront[25]. » Les
razzias avaient l’avantage de remédier aux défaillances du ravitaillement
officiel, et d’améliorer le bien-être du soldat. Grâce au blé rapporté des
expéditions, les troupes pouvaient fabriquer du pain meilleur que celui de
l’administration : « Dans chaque compagnie, écrivait Montagnac, on élève des
fours, dans chaque compagnie il y a un certain nombre de moulins arabes
portatifs, et qui se manœuvrent à la main ; on fait de la farine, on fait de
la bouillie, des galettes et même du pain. Se met-on en campagne, les petits
moulins, qui sont tout bonnement deux meules de pierre d’un pied, un pied et
demi de diamètre, les petits moulins sont portés par des bourricots, et,
aussitôt arrivés au bivouac, ils fonctionnent, la farine se fait, et le
troubadour s’applique bientôt sur la conscience une épaisse pâtée très saine
et très nourrissante. Le brave La Moricière a donc résolu le grand problème
de faire vivre le soldat en Afrique[26]. » Montagnac admirait son
général pour cette idée, et pour bien d’autres, et ne cessait d’écrire dans
ses lettres : « Gloire au général La Moricière, gloire à lui tout seul[27]. » La capture de nombreux
troupeaux semblait à La Moricière une excellente occasion de faire des
largesses aux soldats, pour les dédommager de leurs privations, de leurs
fatigues et de leurs souffrances. Mais l’administration militaire surveillait
l’exécution des règles relatives aux prises de guerre. A la suite des razzias
de janvier 1842, Bugeaud reçut du Ministère des observations assez dures sur
la méconnaissance de ces règles par La Moricière, et un rappel des «
dispositions formelles de l’ordonnance du 3 mai 1832 et de l’arrêté
ministériel du 26 avril 1841[28]. » Il ne
semble pas que La Moricière ait été impressionné par cette intervention ;
mais certains officiers sous ses ordres s’indignèrent. Montagnac était
révolté de voir le Gouvernement disputer aux militaires leurs parts de
prises, « ces misérables petites sommes qu’ils gagnent au prix de mille
fatigues, de mille privations et de tous les dangers de la guerre », et leur
donner l’ordre d’en verser un tiers à l’Etat, un autre tiers à la caisse
coloniale, en laissant le dernier tiers seulement aux « capteurs ». Il
écrivait à son frère : « Qu’ils viennent donc, ces sales écornifleurs de
pièces de six liards, passer ici la moitié d’une des nuits que nous avons
endurées ; ils verront si les soldats qu’ils trouvent si riches et qui sont
aujourd’hui couverts de haillons, ont seulement de quoi acheter un bout de
toile pour se vêtir et de quoi se procurer, au poids de l’or, un peu de sucre
pour refaire leurs estomacs fatigués. Un beau jour, ces vils agioteurs
s’établiront sur le sol que nous avons couvert de notre sueur et de notre
sang ; alors ils nous refuseront, sans doute, une planche pour nous
abriter... Ces infâmes financiers, grands tripoteurs de nos affaires
gouvernementales, ne vont-ils pas jusqu’à menacer le général La Moricière,
s’il manque encore de se conformer à leur ordre saugrenu sur les parts de
prises, de lui retenir, sur ses appointements, le montant des sommes dont il
se sera permis de disposer ![29] ». Il regrettait qu’un
général déployant ses talents et son énergie au service de la France fût mis
au niveau d’un « valet à gages à qui on retient cent sols pour avoir cassé
une carafe ». L’administration
était âprement critiquée par Montagnac : elle se montrait incapable,
disait-il, d’amener à Mascara 700 quintaux de vivres, alors que, en un mois,
le commerce civil y avait amené plus de 30.000 quintaux de marchandises ;
elle ne parvenait pas à payer les Indigènes qui avaient effectué des
transports pour l’armée[30] ! Changarnier
jugeait d’un autre point de vue que Montagnac ; à son avis, la razzia ne
devait pas être une source de profit pour l’officier : « Les règlements
prélevaient, sur le produit des prises, pour chacun des capteurs, une part
proportionnelle à son grade. Celle du général commandant était considérable.
Je l’ai constamment abandonnée aux troupes. Résolu à employer largement le
système des razzias à la soumission de l’Algérie, il m’importait de n’en pas
retirer un bénéfice personnel[31]. » Yusuf
était beaucoup moins respectueux des règlements administratifs, d’autant plus
qu’il opérait généralement un peu en dehors du gros de la colonne. Il
abandonnait à ses spahis la moitié de leurs prises, et vendait l’autre moitié
à l’encan ; le produit de la vente était divisé en deux parts, l’une allouée
aux officiers pour les indemniser des frais imposés par la campagne, l’autre
versée dans la caisse du régiment, pour améliorer le bien-être du soldat,
remplacer les objets perdus, et accroître le prix d’achat des chevaux[32]. Dans
les longues marches exécutées pour escorter les convois de ravitaillement ou
pour atteindre les tribus, une plus grande intimité commençait à s’établir
entre les officiers et leurs soldats, soumis aux mêmes fatigues et aux mêmes
dangers. La familiarité de Bugeaud avec le troupier aidait d’ailleurs à ce
rapprochement, autant que le caractère un peu désinvolte de certains corps
comme les zouaves. Le
commandant de Mac-Mahon participait à la tête du 10e bataillon de chasseurs à
l’expédition dirigée par Bugeaud sur Tlemcen et les environs, en
janvier-février 1842. D’après lui le Gouverneur entendit pour la première
fois, au cours de cette expédition, un zouave chanter : « As-tu vu la
casquette du père Bugeaud ? ». Il se mit à rire, et demanda à l’homme de
chanter la chanson entière. « Celui-ci s’y refusa, prétendant connaître
seulement le refrain. En réalité, les paroles de cette chanson, devenue légendaire,
manquaient tout à fait de bienveillance. Elle avait été composée par le
capitaine Chambry, du 2e spahis[33]. » Chambry « avait de
la-fortune et ne manquait pas d’esprit, suivant du Barail... il avait composé
des chansons populaires pour l’armée d’Afrique[34] » ; mais il préférait ses
plaisirs à son devoir militaire, aimait peu faire colonne, et n’était pas,
pour cette raison, apprécié par ses camarades. La
chanson de « la casquette » eut d’ailleurs plus de faveur encore lorsque, un
ou deux ans plus tard, Bugeaud se fût montré à ses soldats coiffé du bonnet
de coton qu’il portait toujours pendant la nuit au bivouac. Réveillé par la
fusillade, au cours d’une surprise de nuit, il se précipita hors de sa tente
vers la partie du camp menacé, sans quitter son « casque à mèche[35]. » On comprend la saveur prise
dès lors par le refrain As-tu vu la casquette, appliqué auparavant à
la « casquette » de forme particulière portée en colonne par Bugeaud. Pour
dédommager les soldats de leurs pénibles efforts, il fallait leur laisser
certaines libertés au cours des expéditions. Il fallait même savoir leur
accorder, dans les périodes de répit, une détente nécessaire. Lorsque La
Moricière ramena ses troupes à Oran, après les razzias exécutées aux environs
de Mascara, il les laissa deux jours complètement libres, sans les astreindre
à aucun appel. « La ville fut extraordinairement gaie, suivant du Barail, et
les économies réalisées à Mascara fortement entamées, sinon évaporées. Mais
il n’y eut pas de désordres sérieux[36]. » Des
chefs un peu rigides, comme le général Bedeau, ne savaient peut- être pas
assez comprendre la manière dont les troupiers devaient être traités. Nommé
en novembre 1841 commandant de la 1re brigade de la division d’Oran, à
Tlemcen, Bedeau fit merveille pour la pacification de la région. Par contre,
d’après du Barail, « la garnison de Tlemcen, au bout de quelque temps, tomba
dans un état de démoralisation, de découragement, d’affaissement et de
nostalgie, auxquels le général Bedeau, homme austère et de mœurs monacales,
ne comprenait rien. Le général de la Moricière, plus philosophe, plus
observateur des faiblesses humaines, vit tout de suite où le bât blessait ces
braves gens. Et, par son ordre, le vertueux général Bedeau dut procéder au
recrutement et à l’établissement d’un personnel féminin spécial qui ramena la
gaieté, sinon la santé, parmi ses hommes. Il était lui-même ébouriffé de la
mission qu’il avait dû accomplir[37]. » La
tenue des troupes n’avait rien de comparable avec celles des garnisons de
France. Les officiers avaient apporté d'eux-mêmes des modifications à
l’uniforme réglementaire. Un grand nombre d’entre eux par exemple se
coiffaient de la chéchia. Montagnac la portait quoique chef de bataillon dans
la ligne, et écrivait à son frère : « S’ils me voyaient avec mon costume de
flambard, avec un grand fez à la turque, surmonté d’un grand gland qui une
tombe jusque dans le milieu du dos, et là-dessous une figure de Cosaque, ils
riraient bien, va, tes deux moutards, ou ils se sauveraient[38]. » L’existence
vagabonde menée par les unités en expédition et leur éloignement des magasins
ne pouvaient pas leur permettre de conserver la régularité de leurs
uniformes. « Nos
soldats ne sont plus couverts que de guenilles, écrivait Montagnac ; leurs
capotes, leurs pantalons restent tous les jours dans les broussailles... Si,
par un moyen quelconque, on faisait sauter cette division de Mascara sur la
place du Carrousel, le public monterait sur les toits pour la voir[39]. » La
manière dont les parties de l’uniforme laissées aux ronces africaines étaient
remplacées donnait en effet aux troupes un aspect pittoresque : «
Figurez-vous une foule de grands diables vêtus de haillons rafistolés avec de
la toile, des morceaux de laine de toutes les couleurs, et des morceaux de
peaux de chèvre ou de mouton, couverts de poux ; coiffés les uns de képis,
les autres de fez, quelques-uns de chapeaux de feutre, d’autres d’énormes
sombreros de palmier, d’un pied et demi de haut, finissant en pointe, et dont
les bords ont un pied de rayon (coiffures ramassées dans les razzias) ; l’extrémité inférieure du
personnage garnie de peau de mouton ou de peau de bœuf, avec leurs poils,
faute de souliers. Ajoutez à cela une face basanée, une longue barbe pour
ceux qui en ont ; — de véritables sauvages en un mot[40]. » Cette
tenue un peu débraillée était particulière aux périodes d’opérations. Mais
l’élégance ne perdait pas ses droits, surtout chez les jeunes officiers,
quand ils avaient l’occasion de séjourner dans les grandes villes ; elle les
incitait même à apporter à l’uniforme des modifications fantaisistes, suivant
un travers qui a toujours été répandu dans l’armée française,
particulièrement dans l’armée d’Afrique. Le nouvel uniforme des officiers
français de spahis avait été fixé par l’ordonnance réorganisant la cavalerie
indigène. « C’était pour la grande tenue, a écrit du Barail : le spencer
rouge soutaché de noir, orné d'une fourragère en soie noire, dont la large
tresse barrait la poitrine d'une épaule à l’autre, le képi bleu à turban
rouge, le pantalon bleu avec une bande garance ; les galons, insignes du
grade, décoraient la manche en nœuds hongrois. Comme marques de service, la
ceinture de soie rouge à gland d’or avec des passants coulants, en nombre
proportionné au grade[41]. » Cet uniforme était coquet ;
il le devint davantage encore grâce à la modification imaginée par le
sous-lieutenant Fleury, « le maître des élégances militaires » d’alors.
Fleury se fit faire un pantalon bleu de ciel si séduisant que les pantalons
gros bleu réglementaires disparurent en peu de temps. La mode
était de porter les spencers très ajustés. Du Barail, invité à dîner chez le
général Bugeaud, revêtit pour la première fois, ce soir-là, sa nouvelle tenue
de sous-lieutenant de spahis ; il parvint à l’agrafer avec l’aide de trois
camarades : « Je m’en allai portant en anses de panier mes deux bras que
j’aurais été impuissant à rapprocher des flancs. Je ne mangeai ni ne bus. Il
me semblait qu’à la première bouchée de pain, à la première gorgée d’eau,
tout aurait sauté[42]. » On se rend compte en effet,
par les portraits des officiers, combien ils étaient serrés dans leurs
spencers ou leurs tuniques, au détriment de leurs aises ! Les
généraux opéraient sans répit contre les tribus insoumises, principalement La
Moricière dans la province d’Oran, Changarnier dans celle d’Alger et Négrier
dans celle de Constantine. Souvent, leurs colonnes accomplissaient de
pénibles étapes sans gloire et livraient de sanglants combats sans écho. Par
contre, certains accidents survenus à des détachements isolés avaient un
grand retentissement. L’affaire
des Beni-Mered, qui coûta la vie au sergent Blandan et à une partie de sa
petite troupe, a laissé dans l’histoire algérienne une trace éclatante,
tandis que des centaines d’engagements plus importants et aussi glorieux sont
tombés dans l’oubli. Le 11
avril 1842, le lieutenant-colonel Morris, commandant supérieur de Boufarik,
avait à faire porter au commandant Arrighi, à Beni-Mered, une lettre pressée
du colonel de Gaja, commandant supérieur du territoire d’Alger, arrivée la
veille. La garnison de Boufarik, comprenant environ 300 hommes disponibles,
avait déjà fourni 125 hommes pour escorter un convoi, et devait assurer la
garde du poste et du troupeau. Morris prescrivit cependant de constituer un
détachement de 20 hommes, 17 fantassins du 26e de ligne, et 3 cavaliers du
1er chasseurs d’Afrique, commandés par le sergent Blandan, pour porter la
lettre à Beni-Mered. A ce détachement se joignit le sous-aide-major Ducros,
qui revenait de congé et regagnait l’hôpital de Blida. Lorsque
le détachement arriva à moitié route de Beni-Mered, il fut soudainement
environné par une troupe de 200 Indigènes qui avaient passé la nuit dans le
ravin en face du Bordj Mered. Le sergent Blandan fut sommé en bon français,
par un régulier d’Abd el Kader, de se rendre ; il lui répondit par un coup de
fusil qui l’étendit mort. Les Indigènes ripostèrent par une décharge qui
abattit six Français. Blandan, grièvement blessé de trois balles, s’écria en
tombant : « Courage, mes amis, défendez-vous jusqu’à la mort ». Ses hommes
luttèrent avec une farouche énergie ; mais ils étaient successivement
atteints par le feu de leurs adversaires. Le moment approchait où ils
allaient être sauvagement égorgés et mutilés par la horde amassée autour
d’eux... Morris,
averti du danger couru par le détachement, lança en avant 36 chasseurs
d’Afrique restant à Boufarik, avec leurs officiers, le lieutenant Corcy et le
sous-lieutenant de Breteuil ; il les suivit avec les 69 fantassins encore
disponibles. Lorsque,
une demi-heure après le commencement de l’agression, les chasseurs d’Afrique
arrivèrent sur le théâtre de la lutte, cinq hommes se défendaient encore ;
trois étaient morts et treize étaient blessés. Le sous- aide-major Ducros
avait pris le fusil d’un homme tué, s’était bravement battu, et avait été
grièvement atteint au bras droit. Les assaillants, repoussés par les
chasseurs jusqu’à un ravin, puis fusillés par les fantassins arrivés à leur
suite, s’enfuirent en emportant leurs morts et leurs blessés ; ils avaient
cependant abandonné trois des leurs, dont un régulier, sur le lieu du combat
contre Blandan. Le
lieutenant du génie de Jouslard, chargé de diriger les travaux de Beni-Mered,
était courageusement accouru au bruit de la fusillade, avec 30 hommes. Le
lieutenant-colonel Morris, pour éviter une nouvelle catastrophe à ce faible
détachement, lui fournit, pour regagner Mered, une escorte dont il attendit
le retour. Il rentra ensuite à Boufarik, en y ramenant les morts, dont aucun
n’avait été mutilé, et les blessés. Dans la
lettre par laquelle Morris rendait compte le jour même de cette affaire au
colonel de Gaja, il lui disait que la garnison de Boufarik était trop faible
pour suffire aux convois et aux correspondances exigés d’elle[43]. Les hommes ne passaient qu’une
nuit sur trois dans leurs hamacs. En outre, de nombreuses voitures civiles
venant de Douèra se joignaient aux détachements pour être protégées, les
embarrassant et les retardant[44]. Le
sergent Blandan et quatre des blessés moururent le 12 avril et les jours
suivants, ce qui porta le nombre des morts à huit. Parmi les huit autres
blessés, six furent amputés d’un membre, parmi lesquels le sous- aide-major
Ducros. Cinq hommes seulement étaient restés indemnes : un cavalier du 1er
chasseurs d’Afrique, et quatre fantassins du 26e de ligne. Bugeaud
félicita par un ordre général les combattants des Beni-Mered, pour avoir su
lutter « comme les chevaliers des anciens temps », et ne voulut pas oublier
les détachements venus à leur secours. Il exprima aussi dans cet ordre sa
satisfaction au lieutenant-colonel Morris, mais en regrettant la mise en
route d’un aussi faible détachement[45]. Il
écrivit quelques jours plus tard à Morris pour lui développer sa pensée.
Après l’avoir vivement loué « de la promptitude et de l’énergie avec
lesquelles il avait secouru une poignée d’intrépides », il ajoutait : « C’est
une grande imprudence que mettre en route 22 hommes. Vous savez que c’est
entièrement contraire à mes principes et à mes ordres réitérés ». Mieux eût
valu, à son avis, envoyer ou tous les disponibles, ou les trois cavaliers
sans escorte d’infanterie : « Les trois cavaliers auraient fui ; liés aux
fantassins qui ne peuvent éviter le combat, ils sont restés avec eux par
honneur et ont partagé leur désastre glorieux ». L’envoi de cavaliers était
d’ailleurs à réserver pour des cas d’extrême urgence, et devait être effectué
la nuit, à travers champs et non par la route. « Mais je préfère, déclarait
Bugeaud, que l’infanterie, en nombre respectable, fasse seule la
correspondance, sans l’addition d’un seul cavalier ». Il recommandait aussi à
Morris, non seulement de surveiller de loin la marche des détachements
envoyés, mais de faire prendre les armes au reste de la garnison pour leur
servir d’échelon et pouvoir au besoin voler à leur secours. Il concluait : «
Quand vous quitterez le commandement de Boufarik, donnez ces principes à
votre successeur, ou plutôt affichez-les en grosses lettres dans votre bureau[46]. » Le
Ministre de la Guerre décida de communiquer aux journaux la lettre de Bugeaud
lui annonçant le combat de Beni-Mered, et l’ordre général du 14 avril en
exposant les détails[47]. Il écrivit à Bugeaud à ce
sujet : « On ne saurait trop admirer ce sublime dévouement ; mais ce n’est
pas rare en Afrique ; et je me rappelle qu’en pareille circonstance, d’autres
troupes ont fait preuve de la même valeur, et se sont fait tuer plutôt que de
manquer à l’honneur. Ce fait d’armes est trop éclatant pour que je n’aie pas
mis de l’empressement à lui donner la plus grande publicité[48]. » Le
sergent Blandan et son détachement de 20 hommes, en préférant combattre plus
de 200 ennemis que se rendre à eux, ont en effet mérité l’admiration
générale. Mais leur héroïsme a été occasionné par une faute sur laquelle il
faut insister en raison même de la célébrité du combat : l’envoi en pays
incertain d’un détachement d’effectif insuffisant. L’organisation
administrative de l’armée d’Afrique n’avait pas été définie, depuis que
l’ensemble des possessions avait officiellement reçu le nom d’Algérie. Le
Ministre de la Guerre prit, en juin 1842, la décision suivante : « Les
possessions françaises dans le Nord de l’Afrique, comprenant les provinces
d’Alger, d’Oran et de Constantine, sous la dénomination actuelle d’Algérie,
formeront, jusqu’à nouvel ordre, trois divisions militaires ou
circonscriptions administratives[49]. » Les
trois divisions étaient ainsi définies : Division
de Constantine : Constantine, La Galle, Bône, Guelma, Sétif, Philippeville,
Djidjelli, Bougie. Division
d’Alger : Alger, Maison-Carrée, Pointe-Pescade, Koléa, Cherchell, Douèra,
Boufarik, Blida, Médéa, Miliana. Division
d’Oran : Oran, Mers-el-Kebir, Mostaganem, Mazagran, Arzew, Mascara,
Misserghin, Tlemcen, Ile de Rachgoun. La
capitale algérienne commençait à présenter une vive animation. Alger était,
d’après du Barail, « un adorable lieu de garnison, où les plaisirs
paraissaient d’autant plus savoureux qu’ils étaient plus courts, puisqu’à
chaque instant il fallait monter à cheval et partir en guerre... La belle
humeur, la gaieté, l’entrain, la jeunesse avec son grain de folie circulaient
dans les rues sur les pas des troupiers, ou chevauchaient dans les environs
de la ville, dans les cavalcades de jeunes officiers heureux de vivre[50]. » Le
gouverneur, le général commandant la division, les commandants de
l’artillerie et du génie, avec leurs états-majors, l’amirauté et son
personnel, des troupes d’infanterie et de cavalerie, fournissaient à la ville
une garnison perpétuellement remaniée par les expéditions. Les fêtes
officielles, dont l’éclat était rehaussé par la présence de chefs indigènes,
étaient des plus brillantes. Les
officiers allaient dîner, lorsque leur bourse était garnie, à l’Hôtel
d’Orient. Ils étaient certains d’y rencontrer le colonel Korte, commandant le
1er chasseurs d’Afrique, et le colonel Cavaignac, commandant le corps des
zouaves, « dînant en tête à tête à une petite table, contre le comptoir où
trônait la belle Mme Pigeard, que l’un d’eux défendait avec énergie contre
les galanteries des sous-lieutenants ». Après le dîner, les deux colonels,
pliés aux habitudes qui se prennent si facilement dans la vie de garnison, «
allaient volontiers finir la soirée en fumant leur cigare dans le magasin de
Mme Combes, l’aînée des trois sœurs qui tenaient, à Alger, le sceptre de la
beauté[51]. » Certains
postes de création récente se développaient avec une rapidité remarquable.
Philippeville produisit grande impression sur le commandant de Montagnac à
son arrivée, au début de septembre 1842 : « Vous dire l’effet que m’a produit
l’aspect de cette ville qui a trois ans d’existence me serait difficile :
admiration, étonnement, extase, rien ne pourrait rendre ce que j’ai éprouvé
en apercevant ces belles maisons, ces vastes magasins, ces rues bien percées
où se meut une population active ; ce bel hôpital d’un style grandiose qui
domine toute la ville, cette immense caserne qui se trouve sur le même plan,
cette enceinte crénelée, d’un développement gigantesque, garnie de forts, de
redoutes, de blockhaus, etc... Au sud de Philippeville, au-delà de
l’enceinte, est un beau bassin où il y a de superbes jardins qui fournissent
des légumes à toute la ville. Je ne doute pas que, dans quelques années
d’ici, Philippeville ne devienne un des points les plus riches de l’Afrique[52]. » Cette
ville était en effet un témoignage du résultat que pouvait obtenir en peu de
temps l’effort colonisateur bien dirigé de l’armée d’Afrique. Dans
les postes les plus désolés, tout se transformait quand un chef actif, aimant
sa troupe, ayant de l’ingéniosité, veillait à l’hygiène, à l’esthétique, au
bien-être. En juin
1842, le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud fut nommé au commandement
supérieur de Miliana. Il forma aussitôt cent projets, pour le logement de sa
garnison, le rétablissement de la ville indigène, le développement du marché,
la construction de fontaines, les relations avec les tribus. Il pensait avant
tout à sa troupe : « Les soldats, les officiers manquent de vin et de pain
blanc. Dans un mois, il y en aura à Miliana. Quand j’aurai établi la route de
Miliana à Cherchell, notre position deviendra encore meilleure[53]. » Il s’occupait de faire
fonctionner un théâtre et un cercle : « T’ai-je parlé du théâtre de Miliana ?
Ce sont les sous-officiers de la garnison qui jouent. Je favorise
l’établissement de toutes mes forces. C’est une distraction pour les soldats
; ils n’ont ici ni vin, ni femmes. Il y a aussi un cercle où l’on peut lire
quelques ouvrages donnés par l’Etat et laissés par les officiers qui ont
passé à Miliana. Le choix n’est pas merveilleux. Le gouverneur m’a envoyé les
journaux jusqu’au 22 juin, je me suis empressé de les adresser au cercle pour
occuper les officiers[54]. » Ainsi
fonctionnaient à Miliana, dès cette époque, un cercle et une bibliothèque,
dont la création officielle depuis lors, dans les garnisons, a rendu tant de
services aux militaires de tout grade. Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud
menait à Miliana une existence donnant bien idée de l’effort d’un chef dans
un poste en création. Il était accaparé par les préoccupations les plus
diverses : aménagement d’une maison pour le sous-intendant annoncé ; création
d’un bassin de 1 m. 40 de profondeur, permettant à la troupe de se baigner ;
réception ininterrompue de « Français, militaires ou colons, Arabes, Kabyles,
Juifs, chefs et prolétaires » venant le consulter ; organisation du commerce
local et diminution du prix des denrées[55]. Il recherchait toutes les
collaborations parmi ses subordonnés : « J’ai trouvé des officiers instruits
et zélés qui me font de la bière et de la poterie. Un sergent-major me fait
une horloge. Un officier d’artillerie me dirige et m’installe mon cercle, de
manière à ce que dans un mois rien n’y manquera. Le grand talent, c’est de
savoir se servir des hommes et surtout selon leur spécialité[56]. » Il
recevait de son mieux à sa table les officiers supérieurs sous ses ordres, et
hébergeait avec joie les camarades qui passaient par Miliana. Il faisait
abstraction en pareil cas de toute opinion politique ; lui qui écrivait à son
frère, le 12 août : « Il y a une chose que je combattrai toujours de la
parole et de l’action, c’est la République, parce qu’elle m’est odieuse[57] », hébergeait, moins d’un mois
après, son camarade Cavaignac, le rigide républicain, en même temps que
Changarnier et Morris ; il disait de lui : « Cavaignac n’a dédaigné ni mon
lit, ni ma table. Il a du reste été fort bien et nous voilà rapatriés sans autre
explication que d’avoir été l’un au-devant de l’autre et de nous être serré
la main. Quand il y a estime mutuelle, il ne peut pas y avoir de querelle
bien sérieuse à l’endroit des autres[58]. » Voilà de beaux sentiments,
dignes des brillants officiers qui les mettaient en pratique. Les
opérations se poursuivaient sans répit dans les trois divisions. Les colonnes
françaises razziaient les tribus soumises à Abd el Kader ; les contingents de
l’Emir châtiaient les tribus ralliées à la France. Le poids de la guerre
retombait ainsi sur les Indigènes, dont beaucoup commençaient à ressentir de
la lassitude d’un tel état de choses. Tandis
que Bugeaud opérait en septembre et octobre 1842 dans le massif à l’Est
d’Alger contre le khalifa Ben Salem, Changarnier exécutait des razzias aux
environs de Miliana, chez les partisans du khalifa Mohamed ben Allal. Les
combats de l’oued Fodda, les 19 et 20 septembre, sont parmi les plus
angoissants que l’armée d’Afrique ait livrés. Changarnier, disposant
seulement de 1.000 fantassins et 200 cavaliers, sans artillerie, n’hésita pas
à s’engager dans l’oued Fodda, sur lequel il avait des renseignements
insuffisants, afin de ne pas sembler faire une retraite « dont l’effet
politique eût été désastreux ». Assailli dans ce défilé par 4.000 Kabyles,
dont le nombre s’accrut peu à peu, il se trouva plusieurs fois dans une situation
critique ; son arrière-garde fut souvent obligée de se battre au corps à
corps. Changarnier
avait à ce moment sous ses ordres des officiers remarquables, tels que le
colonel Cavaignac, le commandant Forey, le lieutenant-colonel Morris, qui
firent des prodiges de valeur. Ses troupes se montrèrent dignes de leurs
chefs : « Nos soldats, a-t-il écrit, exécutèrent avec un aplomb et une
intelligence rares des ordres judicieusement appliqués aux circonstances.
Jamais la pensée d’un chef ne se communiqua plus rapidement à ses soldats et
n’en fut mieux comprise. Jamais il n’y eut plus d’harmonie dans les
mouvements, de fini dans les détails, de cohésion dans l’ensemble. Ces
troupes étaient accomplies[59]. » Pendant
deux jours, le combat fut mené avec acharnement. Changarnier conduisit
lui-même, le 19 septembre, six retours offensifs, avec des détachements de
300 à 600 fantassins et de 50 à 80 cavaliers. Le dernier, exécuté par quatre
compagnies de zouaves et quatre compagnies du 26e de ligne, appuyées par un
escadron du 1er chasseurs d’Afrique, lui permit de s’établir à un emplacement
de bivouac convenable. La journée du 20 septembre fut moins dure, et permit
d’atteindre la sortie du défilé. Alors Changarnier chargea, à la tête des
chasseurs d’Afrique et des auxiliaires indigènes, un nombreux contingent de
Kabyles, et le força à abandonner sur le terrain beaucoup de cadavres. Il
avait un quart de sa colonne hors de combat, mais il avait infligé à ses
adversaires des pertes énormes[60]. Changarnier
voulut affirmer davantage encore son succès. Il alla, le 22 et le 23,
infliger une razzia à ses ennemis : 100 Kabyles furent tués ; 200 chameaux,
500 bœufs, 10.000 moutons, des chevaux, et des mulets, furent ramenés à son
camp[61]. La
manière inconsidérée dont Changarnier s’était engagé dans le défilé de l’oued
Fodda et les pertes considérables qu’il y avait éprouvées eussent pu lui
attirer des reproches de Bugeaud. Le Gouverneur général écrivit au contraire
à Soult : « Loin de se laisser intimider par ses pertes, Changarnier redouble
de ténacité et reste dans le pays plus qu’il n’en avait le projet. Voilà de
la force morale et du bien jugé... Ce petit événement glorieux et fâcheux ne
diminue en rien la haute estime que j’ai pour les talents de cet officier
général, et il augmente la bonne opinion que j’avais de son énergie. Il a pu
faire une faute, mais il l’a vigoureusement soutenue[62]. » Bugeaud
portait le même jugement dans une lettre au lieutenant-colonel de
Saint-Arnaud : « La grande confiance que j’ai en Changarnier n’est en rien
diminuée par ce meurtrier combat où tout le monde a fait si vaillamment son
devoir[63]. » Saint-Arnaud,
à ce moment même accusé de malversations par Changarnier[64], écrivait à son frère le 30
septembre : « Changarnier a montré dans cette circonstance un moral de fer.
Morris, qui est chez moi et t’embrasse, s’est bien montré : il a été brillant
comme à l’ordinaire et sera bientôt colonel : Cavaignac, très malade de la
fièvre, est dans mon lit. Le capitaine Paër blessé, mon ami, est aussi chez
moi[65]. » Le
commandant supérieur de Miliana pratiquait ainsi une hospitalité large et
cordiale, qui devenait une règle dans l’armée d’Afrique. Il était cependant
calomnié, par passion politique suivant du Barail, parce qu’il avait été
officier d’ordonnance de Bugeaud lorsque ce dernier était chargé de garder à
Blaye la duchesse de Berry. S’il avait commis quelques folies de jeunesse, ce
dont il convenait, il les avait bien rachetées par sa brillante conduite en
toutes circonstances. C’était
une figure très séduisante : « On l’a représenté comme un homme de plaisir, a
écrit du Barail, alors qu’il était avant tout un homme de grand et puissant
travail. Il savait rendre, par le charme de son commandement, le service
facile et attrayant, et, la main toujours ouverte et toujours tendue, il
obtenait par le dévouement et la reconnaissance de ses subordonnés des
efforts et des résultats que d’autres demandent, avec moins de succès, à la
froide et sèche observation du règlement, à l’austère application de la
discipline[66]. » Des
opérations menées au mois de décembre contre le massif de l'Ouarenséris, par
trois colonnes aux ordres respectifs de Bugeaud, de Changarnier et du colonel
Korte, amenèrent la soumission des Beni-Ouragh, tribu couvrant la majeure
partie de la chaîne. Bugeaud et Changarnier convergèrent sur le grand pic de
Cheuba, et y reçurent la soumission du fameux Mohammed bel Hadj. C’était un
succès important, dont le Gouverneur général ne manqua pas de s’enorgueillir.
« Quand Bugeaud eut fini avec les grands du pays, écrit Changarnier, il donna
au duc d’Aumale, à plusieurs officiers supérieurs et à moi, un dîner pendant
lequel il qualifia avec la plus inconvenante dureté la prudence des généraux
de la province d’Oran, qui n’osaient pas mettre le nez dans les montagnes[67]. » Ainsi
trouvait-on parfois, dans la bouche des chefs aux divers échelons, des
appréciations peu en harmonie avec les sentiments de camaraderie répandus
dans l’armée d’Afrique ! Les
généraux de la province de Constantine étaient, plus que les autres, l’objet
de critiques. Le
général Sillègue s’était aventuré hors de Sétif, dans un pays difficile, avec
une colonne d’effectif insuffisant, et avait dû battre en retraite en
subissant des pertes sensibles. Le commandant de Montagnac, arrivé tout
récemment dans la province, racontait le 3 septembre cette sortie, et il ne
ménageait pas son nouveau chef : « Voilà où nous conduit l’ineptie des hommes
appelés à nous commander. Puisque le nôtre avait l’intention d’exiger quelque
chose de ces tribus qu’il ne connaissait pas, il fallait aller chez elles
avec des forces imposantes... S’avancer sans but arrêté et se retirer sans
résultat, c’est un pas d’écolier et un échec. On ne fait jamais de sottises
pareilles impunément, dans ce pays. Toutes ces vieilles défroques de l’Empire
sentent le moisi ; il faut en faire des musées d’antiquailles[68]. » Le
général de Négrier, commandant la province, était violemment attaqué par les
journaux, et s’en montrait fort affecté. Il se déclarait « dégoûté de sa
situation », parce qu’il ne se sentait pas suffisamment défendu par le
Gouvernement ; il avait été, selon l’expression de Montagnac, « abreuvé de
mystifications et d’injures par les puants avocats et le Ministre de la
Guerre lui-même ![69] » Il demanda un congé pour
la fin de décembre 1842, quoique, de l’avis même de Bugeaud, la campagne
menée contre lui fût inspirée par une « coterie de coquins[70]. » Le
maréchal de camp Baraguey d’Hilliers fut désigné pour le remplacer. Était-ce
un bon choix ? Il avait été, remarquait Montagnac, renvoyé en France par
Bugeaud « à cause de son étourderie et de son imprévoyance ». Il exprimait la
prétention de tout modifier sans connaître le pays, et d’abandonner
Constantine pour Philippeville[71]. Les
jeunes officiers comme Montagnac appréciaient peu « tous ces fameux généraux
qui étaient au plus capitaines sous l’Empire » et qui faisaient fi de la
guerre d’Afrique en disant : « Nous étions à Wagram, et nous avons eu
vingt-cinq mille hommes sur le carreau. Comment, avec des soldats
disciplinés, avec des masses compactes, avec notre artillerie, notre
cavalerie, ne viendrions-nous pas à bout de quelques milliers de pouilleux
qui s’attaquent à nous ? Nous vous montrerons comment on traite ces misérables[72]. » C’est
l’éternelle querelle entre les officiers qui possèdent l’expérience
laborieusement acquise de la guerre coloniale, et ceux qui croient pouvoir
pratiquer cette guerre sans préparation, en raison de leurs études sur la
guerre européenne. Les déconvenues et les échecs des chefs novices et
présomptueux ont été décrites en des termes imagés et humoristiques par
Montagnac : « Les
circonstances se sont présentées où ils ont dû faire ressortir leur talent,
et ils ont été fort embarrassés, tous ces foudres de guerre ! «
Entourés, instantanément, d’un immense essaim de guêpes, qui les enveloppe de
tous les côtés, ils se sont demandé comment ils pourraient faire pour se
débarrasser de ces abominables insectes qui sont partout et nulle part, qui
sont insaisissables en un mot, et pourtant qui nous piquent jusqu’au sang. «
Qu’est-ce que cela ? des hommes qui tombent ! Comment ! ces scélérats
d’insectes tuent, tout comme à Wagram ! Que faire de ces morts, de ces
blessés ? Abandonner les uns, sauver les autres. Où est donc le convoi ? Où
va-t-il passer ? Comment ! pas un chemin, pas même un sentier ! et la
cavalerie, comment l’employer ?... et l’artillerie ? mais c’est une trahison
! on ne fait pas la guerre dans un pays semblable... (Il faut reconnaître
qu’il ne ressemble pas du tout à un terrain de manœuvre). Tout est bientôt
pêle-mêle. Chacun crie. Tout le monde commande. Personne n’obéit. Les guêpes
continuent à se répandre, tuent tout ce qu’elles rencontrent, coupent,
taillent... le foudre de guerre n’y voit plus, il se jette çà et là tête
baissée, et ne rencontre partout que difficultés. « On
n’a jamais fait la guerre ainsi ! C’est un guet-apens !... » Débâcle
complète. Les guêpes vous poursuivent, vous harcèlent jusque dans votre camp[73]. » L’incompétence
des officiers de rang élevé arrivant de France les déconsidérait devant leur
troupe ; mais l’humiliation subie avait pour effet d’exciter leur jalousie
contre leurs camarades de l’armée d’Afrique, à la fois plus jeunes et plus
expérimentés : « Toutes ces fameuses reliques de l’Empire arrivent ici avec
des idées préconçues, des systèmes qu’ils se sont forgés dans leurs cabinets,
avec quelques farceurs d’officiers d’état-major ; ensuite et surtout ils
apportent une haine implacable contre tous ces jeunes généraux qui ont grandi
depuis quelques années, et sont autant de soleils dont l’éclat les fatigue.
Il est facile de concevoir que ces anciens héros, tourmentés par leur
jalousie, ne consentiront jamais à suivre la voie tracée par les La Moricière,
les Changarnier, les Bedeau, etc.[74] » Les
méthodes employées dans la province de Constantine étaient en effet fort
différentes de celles employées dans la province d'Oran. Montagnac ne
parvenait pas à les accepter : « On y trouve une véritable armée de Darius :
des convois, des tentes, etc. Tous les officiers ont leur lit, voire même
leur pot de chambre, et se croiraient perdus s’ils restaient deux jours sans
boire de vin. Ils ne comprennent pas qu’on puisse s’imposer la moindre
privation. Les soldats ne voyagent jamais sans être accablés de leurs lourdes
couvertures qui pèsent 3 ou 4 kilos ; enfin, on ne s’imagine pas encore, dans
cette province, qu’on puisse coucher à la belle étoile. Ça fait pitié[75]. » Lorsque
Montagnac racontait à ses nouveaux camarades ses expéditions avec La
Moricière, la manière dont les colonnes marchaient et se nourrissaient, il
les remplissait d’étonnement, ce dont il s’indignait : « Quand on parle d’une
marche forcée, on jette les hauts cris. Il faut faire bien régulièrement des
haltes, de grandes haltes ; il faut que tout le monde ait toutes ses aises ;
et puis... on attrape l’ennemi si on peut... Je tâcherai de ne pas
désapprendre[76]. » Le
général de Négrier quitta la province de Constantine à la fin de décembre
1842, et reçut de tous les corps de sa division des marques de leur
attachement. Il était aimé des indigènes, malgré sa sévérité. Ainsi à
Philippeville, un chef des environs tint à assister, quoique très malade, au
banquet donné par la garnison en son honneur. On l’engageait à se retirer en
raison de ses souffrances : « Non, dit-il, avec des larmes dans les yeux,
laissez-moi, je veux le regarder jusqu’à la fin. » Alors, raconte Montagnac,
« le général remercia, par un geste plein de bienveillance, ce pauvre Arabe,
et je vis de grosses larmes humecter ses paupières[77]. » Un trait comme celui-là
montre quels liens affectueux unissaient souvent les officiers français à
leurs administrés indigènes. Les
continuels changements dans le commandement étaient déplorables, au point de
vue de la direction et de l’instruction des troupes comme à celui de
l’influence française sur les tribus. « L’Afrique est un véritable
kaléidoscope, écrivait Montagnac, où se remuent des hommes de toutes les
formes, de toutes les tailles, de tous les caractères. Si au moins il n’y
avait que des changements de ligures, on se contenterait de rire de pitié à
toutes ces parades ; mais c’est qu’avec ces nouvelles images de Dieu, qui
viennent se poser en puissances, se dressent aussi de nouveaux systèmes qui
renversent ceux existants. C’est par suite de ces bascules continuelles que,
depuis douze ans, tout danse sans cesse dans les espaces imaginaires, et
qu’on n’a rien pu réaliser dans ce pays[78]. » Le
commandant de Montagnac eut du moins l’occasion d’utiliser, au cours d’une
expédition chez les Zerdeza, en février 1843, les méthodes apprises aux
ordres de La Moricière. A la tête de son bataillon du 61e de ligne, sans
sacs, et de l’escadron de spahis de Philippeville, il exécuta une attaque par
surprise et une razzia qui réussirent pleinement[79]. Quelques
jours plus tard, la général Baraguey d'Hilliers combina les efforts de quatre
colonnes pour venir à bout, dans le massif de l’Edough, de Si Zerdoud. Ce
fameux agitateur, contre qui Négrier avait dirigé maintes opérations,
aspirait à jouer dans la province de Constantine un rôle analogue à celui
d’Abd el Kader dans la province d’Oran. Le colonel Barthélemy, chef de la
colonne à laquelle appartenait Montagnac, ayant appris où se trouvait la
retraite de Zerdoud, chargea le 3 mars le jeune commandant de s’emparer de
l’agitateur ; il lui donna à cet effet deux compagnies de grenadiers et deux
de voltigeurs[80]. Si Zerdoud fut cerné et tué ;
sa tête et le poignet mutilé par lequel on le reconnaissait furent apportés à
Baraguey d’Hilliers, et exposés pour convaincre les Indigènes de sa mort[81]. Après
ces opérations, Montagnac écrivait : « Le général Baraguey d’Hilliers a remué
toutes ces tribus qui, depuis la prise de Constantine, avaient acquis le
droit d’insolence ». Il espérait bientôt reprendre la campagne : « Le
Baraguey n’est pas longtemps tranquille sur sa chaise ; il gagne à être
connu, et je suis un peu revenu de mes préventions[82]. » Beaucoup d’officiers se sont
ainsi repentis d’un jugement hâtif porté sur leurs chefs ! Bugeaud
voulait en finir avec Abd el Kader et ses khalifas en 1843, en menant contre
eux une lutte sans trêve. Le
moyen d’obtenir des succès complets était d’établir pour ses colonnes des
bases plus rapprochées des contingents à atteindre. Il
choisit d’abord à cet effet, dans la vallée du Chélif, le point d’El Esnam (Les Idoles), tirant son nom de nombreuses
statues romaines, et s’y installa le 26 avril ; il nomma le colonel Cavaignac
commandant de la subdivision d’El Esnam et de la brigade active[83]. Le point de ravitaillement du
nouveau poste devait être Ténès, qu’il occupa[84]. El Esnam prit, par décision
ministérielle du 16 mai, le nom d’Orléansville[85]. Changarnier
entreprit le 10 mai la création de Teniet-el-Had ; opérant quelques jours
plus tard avec succès dans l’Ouarenséris, il perdit, parmi quelques tués, le
colonel d’Illens, le commandant de la première garnison de Miliana[86]. Le duc
d’Aumale, qui avait été chargé d’installer un poste à Boghar, réalisait au
même moment un des plus hauts faits de l’armée d’Afrique : il partait le 10
mai de la nouvelle base, et six jours plus tard, le 16 mai, s’emparait à
Taguin de la Smala d’Abd el Kader[87]. La
prise de la Smala est un événement glorieux et pathétique, dont les épisodes
sont passionnants[88]. Pour bien comprendre l’audace
du jeune général de 21 ans qui remporta ce succès, il faut se représenter les
effectifs en présence, la distance du secours le plus proche, la situation
tactique de la troupe assaillante. Le duc
d’Aumale, quoique ayant laissé seulement 250 hommes à Boghar, était à la tête
d’une faible colonne : 1.300 fantassins aux ordres du colonel Camou, soit
deux bataillons du 33e de ligne et un de zouaves commandé par le
lieutenant-colonel Chadeysson ; 600 chasseurs, spahis et gendarmes aux ordres
du colonel Yusuf, soit trois escadrons de chasseurs avec le
lieutenant-colonel Morris et trois escadrons de spahis ; une section de
montagne ; une trentaine d’éclaireurs indigènes avec l’agha Ameur ben Ferath,
et environ 300 irréguliers indigènes ; enfin un convoi de 800 chameaux et
mulets. Lorsque
le Prince arriva inopinément en vue de la Smala, il disposait seulement d’une
partie de sa cavalerie ; il avait en effet laissé l’artillerie et les zouaves
fort loin en arrière, pour aller plus rapidement à la recherche de l’ennemi,
et, beaucoup plus loin encore, le convoi escorté par les deux bataillons
d’infanterie et 50 cavaliers. En face de lui, s’étendait l’immense
agglomération de 40.000 âmes, capitale ambulante de l’Emir, contenant sa
famille, ses richesses, ses troupeaux : « C’était grandiose et terrifiant »,
selon le sous-lieutenant du Barail, qui a donné un des plus émouvants récits
de cette expédition, à laquelle assistait aussi le lieutenant Fleury[89]. Après
un rapide conseil de guerre entre le duc d’Aumale, le colonel Yusuf et le
lieutenant-colonel Morris, l’attaque immédiate fut décidée : « Nous nous
précipitâmes à fond de train, a écrit du Barail, et tête baissée, dans cette
mer mouvante, en poussant des cris féroces et en déchargeant nos armes. Je
réponds qu’aucun de nous n’était plus fatigué, et que nos chevaux eux-mêmes
avaient oublié les trente-deux heures de marche qu’ils avaient dans les
jambes... Je renonce à décrire la confusion extraordinaire que notre attaque
produisit au milieu de cette foule affolée et hurlante[90]. » L’effet de surprise avait
été si complet que les pertes françaises furent minimes ; des tribus entières
et d’innombrables troupeaux tombèrent aux mains des vainqueurs. Le duc
d’Aumale avait commis une faute en divisant sa colonne en trois tronçons ;
mais, s’il était resté lié à son convoi, puis à ses zouaves, il n’eût
peut-être pas atteint la Smala. Il avait d’ailleurs réparé cette faute en
prenant sans hésiter la décision d’attaquer. Bugeaud
lui écrivit à ce sujet, de son bivouac : « Vous devez la victoire à votre
résolution, à la détermination de vos sous-ordres, à l’impétuosité de
l’attaque. Oui, vous avez bien fait de ne pas attendre l’infanterie ; il
fallait brusquer l’affaire comme vous l’avez fait. Cette occasion presque
inespérée, il fallait la saisir aux cheveux. Votre audace devait frapper de
terreur cette multitude désordonnée. Si vous aviez hésité, les guerriers se
seraient réunis pour protéger les familles ; un certain ensemble eût été mis
dans leur défense, et le succès, à supposer que vous l’eussiez obtenu, eût
été chèrement acheté. La décision, l’impétuosité, voilà ce qui constitue le
vrai soldat[91]. » Le
général de la Moricière venait de fonder le poste de Tiaret ; il y avait
laissé un bataillon d’infanterie et des approvisionnements, et cherchait à
opérer de concert avec le duc d’Aumale lorsqu’il apprit l’heureuse nouvelle.
Il tomba sur une nombreuse fraction des Hachem[92], qui avaient pu fuir lors du
désastre de la Smala, et les ramena vers la plaine de Mascara. Les Douairs et
les Smela qui l’accompagnaient, sous la conduite du général Mustapha ben
Ismaël, recueillirent dans cette affaire un butin considérable. Mustapha
ben Ismaël avait hâte de revenir à Oran pour y ramener ses prises, et pour y
retrouver une jeune femme qu’il venait d’épouser ; il obtint de La Moricière
l’autorisation de se séparer de lui avec ses cavaliers, et s’engagea sur le
territoire des Flitta. Attaqué par une cinquantaine de piétons, dans un
défilé boisé où ses chevaux et mulets surchargés de butin encombraient le
passage, il s’élança pour rétablir l’ordre : frappé d’une balle en pleine
poitrine, il tomba mort. Ses cavaliers atterrés se débandèrent, abandonnant
leur butin, et laissant même sur place le corps de leur agha[93]. Ses
agresseurs apprirent, en voyant la mutilation faite à la main droite par une
balle reçue à la Sikkak, qu’ils avaient tué Mustapha ben Ismaël. Sa tête et
sa main furent portées à Abd el Kader, qui, voulant affecter quelque
générosité vis-à-vis de son ennemi disparu, fit ensevelir ces sinistres
trophées, au lieu de les exposer suivant la coutume. Ce
soldat magnifique, qui avait entraîné ses cavaliers dans tant de glorieux
combats, tombait ainsi d’une façon obscure. Il avait su se faire apprécier
non seulement par sa bravoure, mais aussi par son équité, et avait mérité,
sous le règne des Turcs, le surnom de Mustapha el Haq (Mustapha la
Justice). Il
était d’une loyauté absolue, que le colonel Walsin-Esterhazy admirait en ces
termes : « Il avait donné sa parole à la France, et jamais, dans les
circonstances qu’il eut à traverser avec nous, malgré les dégoûts dont il fut
parfois abreuvé, son expérience des hommes et des choses du pays, son
dévouement dans les combats, sa coopération dans les conseils, ne nous firent
défaut toutes les fois qu’on voulut bien les invoquer. Les hommes de la
trempe et du caractère de Mustapha ben Ismaël sont trop rares[94]. » Il fut regretté par toute
l’armée française. Il ne
fut pas moins regretté par les Indigènes. Ses cavaliers n’osèrent pas,
pendant plusieurs semaines, reparaître dans leurs douars, craignant la
réprobation de leurs femmes pour leur conduite. Une poésie, chantée dans
toute la province d’Oran, célébra ses vertus : «
Lorsqu’il s’élançait à la tête des goums, sur un coursier impétueux,
l’animant des rênes et de la voix, les guerriers le suivaient en foule.
Pleurons le plus intrépide des hommes, celui que nous avons vu si beau sous
le harnais de guerre, faisant piaffer les coursiers chamarrés d’or. Pleurons
celui qui fut la gloire des cavaliers... « Qu’il
était beau dans l’ivresse du triomphe, lorsque, sur le noir coursier du
Soudan, à la selle étincelante de dorures, il apparaissait comme le génie de
la guerre sur le dragon des combats !... Dieu est témoin que Mustapha ben
Ismaël fut fidèle à sa parole jusqu’à la mort, et qu’il ne cessa jamais
d’être le modèle des cavaliers[95]. » C’était
un grand serviteur de la France qui lui avait été enlevé. La Moricière alla
razzier les Flitta pour les punir de cette agression[96]. Bugeaud
s’efforça, pendant les sept derniers mois de l’année 1843, d’obtenir la
soumission des Flitta et de l'Ouarenséris. De nombreuses colonnes
s’employaient à cette tâche, conduites par les généraux de la Moricière, de
Bourjolly, Bedeau, Changarnier, les colonels Yusuf, Géry, Pélissier, le
lieutenant-colonel Le Flô, etc... L’énumération
de ces colonnes, avec quelques détails sur chacune d'elles, peut seule donner
une idée, cependant bien incomplète, de l’effort fourni par l’armée d’Afrique
pendant les premières années du gouvernement de Bugeaud. Le récit de ces
opérations, déclare Pellissier de Reynaud, n'offre pas grand intérêt ; « mais
l’historien n’est pas, comme le poète, maître de sa matière », et il est bien
obligé d’exposer « cette stratégie de buissons », de laquelle peuvent
d’ailleurs être dégagés d’utiles enseignements[97]. La
guerre d’Afrique n’était pas capable à elle seule, Bugeaud le proclamait
devant ses officiers, de former des troupes pour une campagne contre des
armées européennes instruites et disciplinées ; mais elle était une «
excellente école préparatoire » pour chefs et soldats. « Le général,
disait-il, y étudie pratiquement toutes les importantes questions relatives
au bien- être de ses soldats : approvisionnements, moyens de transport, etc.
; il apprend à les conduire et à user d’eux sans excéder leurs forces, à
poser son camp, à se garder, etc. Les officiers et les soldats s’aguerrissent
par des combats incessants, s’accoutument à la faim, à la soif, à la marche,
sous toutes les températures, et aux privations de toute sorte sans se
laisser démoraliser. Le difficile à la guerre n'est pas tant de savoir
mourir que de savoir vivre. Les officiers, souvent engagés avec leurs
bataillons et leurs compagnies dans les actions isolées, prennent l’habitude
du commandement et de la responsabilité... Nous ne sommes ici qu’à l’école
primaire, mais si nous savons profiter des leçons que nous y recevons, nous
deviendrons certainement les meilleurs élèves des écoles secondaires[98]. » Bugeaud
répondait ainsi aux théoriciens de la Métropole, aux yeux de qui les
militaires de l’armée d’Afrique n’étaient pas aptes à tenir leur rôle dans la
guerre européenne. Léon Roches, en rapportant ces propos, remarquait au
contraire combien le Maréchal comprenait la nécessité pour les généraux
africains « d’apprendre l’art de la grande guerre ». En réalité, un Africain
était parfaitement préparé à la guerre européenne, s’il voulait compléter son
expérience pratique par les connaissances théoriques nécessaires. Par contre,
un Métropolitain éprouvait des difficultés à réussir immédiatement en
Afrique, d’abord parce qu’il avait souvent l’orgueil de se croire apte sans
apprentissage, ensuite parce que cet apprentissage était assez long, même
chez l’officier le mieux doué. Il
faut, pour bien mener la guerre africaine, et d’une manière générale la
guerre coloniale, une connaissance approfondie du pays, du climat, des
populations, de leurs mœurs et de leur mentalité. Seule cette connaissance
permet de prendre des décisions relatives à l’action des troupes. Léon
Roches résumait en quelques lignes les conseils donnés en avril 1844, par les
chefs indigènes dévoués, à deux députés, de Corcelles et de Beaumont, venus
en voyage d’études : «
Restez forts, et toujours forts ; car le jour où les Arabes découvriraient
que vous êtes faibles, ce jour-là ils oublieraient et votre clémence, et
votre justice, et tous vos bons procédés, et, ne se souvenant que de vos deux
titres, chrétiens et conquérants, ils vous jetteraient dans la mer qui vous a
apportés[99]. » Ce
principe immanent de politique indigène, conditionnant les opérations
militaires, n’a pas toujours été compris par les nouveaux venus. Il aurait dû
être inscrit sur la lettre de service de tous ceux qui, à un titre
quelconque, venaient participer aux affaires d’Afrique. Les
principes relatifs à la conduite même des colonnes se précisaient et se
répandaient peu à peu, grâce à la persévérance de Bugeaud. Le
Maréchal ne se bornait pas à réunir les officiers à chaque occasion pour les
leur professer ; il les mettait en pratique devant eux. Lors de
l’organisation d’une colonne, il montrait, par ses longues conférences avec
l’intendant général, quelle importance il attachait aux approvisionnements en
vivres et en munitions, aux transports. Equipé toujours largement, il
provoquait cette réflexion de Mustapha ben Ismaël : « Quand il va chasser le
chacal, il s’arme comme s’il devait rencontrer le lion ». Il s’entourait, par
l’intermédiaire de Léon Roches chargé d’interroger les Indigènes, de tous les
renseignements sur la route, les ressources en eau, en bois, en grains[100]. Ces principes n’ont-ils pas, à
une autre échelle, la même importance dans la guerre européenne ? La
composition des colonnes commençait à être plus appropriée au pays, à ses
moyens de communication et à la tactique des Indigènes. Le colonel Yusuf,
nommé commandant par intérim de la province de Titteri, fut chargé par
Bugeaud, au mois de juillet 1843, de constituer une colonne légère capable
d’atteindre les tribus émigrantes, les khalifas de l’Emir et l’Emir lui-même[101]. Il la forma avec 1.000
fantassins montés sur mulets, 500 spahis et chasseurs, de nombreux
auxiliaires indigènes et 800 chameaux portant des vivres, sans laisser
personne à pied. Il put faire avec cette colonne de fructueuses razzias,
obtenir de nombreuses soumissions, et la ramener à Boghar en parfait état[102]. La
pacification générale faisait de rapides progrès. Aussi le Gouvernement
récompensait-il les principaux artisans du résultat obtenu. La Moricière et
Changarnier avaient été nommés lieutenants généraux le 9 avril 1843. Bugeaud
fut élevé, par décret du 31 juillet, à la dignité de maréchal de France. La
Moricière, Changarnier, Bedeau, émergeaient alors comme les grands
lieutenants de Bugeaud. Du Barail les a caractérisés en des termes originaux
et vrais : « De la
Moricière ! Le plus brillant officier de l’armée d’Afrique ; intrépide au feu
; le favori de la Victoire. «
Changarnier ! L’homme des ressources. Il sauve tout quand tout semble perdu.
De nos désastres mêmes, il sait tirer des éléments de succès. «
Bedeau ! Administrateur par excellence ; a l’œil à tout, de la giberne au
bouton de guêtre. Quand il a passé quelque part, on peut être sûr que tout y
est en règle ; on peut sans crainte engager la bataille. « Le
maréchal Bugeaud est leur maître à tous. A lui seul il vaut tous les autres.
Aucun de ses lieutenants n’arrive à l’épaule de ce véritable grand homme[103]. » Bugeaud
avait malheureusement un défaut : il faisait sentir à ses lieutenants sa
supériorité en des termes parfois blessants ; il s’aliéna ainsi leur
affection. Changarnier, le plus susceptible, quitta l’Algérie après des
démêlés avec son chef occasionnés par des motifs futiles relatifs à ses
inspections[104]. Ce fut une grande perte pour
l’armée d’Afrique. Le
Maréchal devenait par contre de plus en plus populaire parmi les troupiers,
parce qu’il s’intéressait aux détails de leur existence et cherchait à
améliorer leur bien-être. Il allait souvent inopinément s’assurer de la
qualité des vivres distribués, goûter la soupe, passer l’inspection des ceintures
de flanelle, examiner le dos des chevaux et des mulets. Il allait même
gourmander les combattants qui, sur la ligne de feu, s’exposaient
inutilement, au lieu d’utiliser les abris naturels du terrain, et ceux qui
faisaient une consommation excessive de munitions. Aussi, déclarait Léon
Roches, « les soldats lui ont voué une reconnaissance qui brille dans leurs
yeux quand ils le regardent, et qu’exprime leur intonation quand ils disent :
le père Bugeaud 1[105]. » Quand
il était dur avec les Indigènes, c’était par nécessité. Il essayait d’adoucir
la forme des razzias ; comme il le constatait d’ailleurs, les soldats
français étaient plus humains que les cavaliers du goum, en particulier à
l’égard des enfants : « Combien en avons-nous vu, écrit Léon Roches, prendre
dans leurs bras ces pauvres petits êtres affolés de terreur et parvenir à les
calmer, comme aurait pu le faire la mère la plus tendre ![106] » A
l’arrivée de la razzia au camp, Bugeaud veillait lui-même à l’exécution de
ses ordres : femmes et enfants étaient installés sous des tentes requises à
cet effet, et gardés par des factionnaires ; des chèvres ou des vaches
laitières étaient choisies pour fournir le lait nécessaire aux enfants ; tous
les prisonniers recevaient des vivres ; enfin, les troupeaux ne devaient pas
être parqués avant d’avoir bu[107]. Ces traitements n’échappaient
pas aux Indigènes, étaient colportés dans les tribus, et contribuaient à
amener des soumissions. Les
efforts conjugués du Maréchal et de ses lieutenants portaient leurs fruits.
Les mailles du réseau des colonnes se resserraient autour d’Abd el Kader,
dont le camp fut atteint à plusieurs reprises. L’Emir perdait des tués, des
prisonniers, des chameaux, sa tente même, mais parvenait à s’enfuir avec ses
derniers fidèles[108]. Dans
l’un de ces combats, livré le 22 septembre 1843, près des marabouts de
Sidi-Youssef, 350 chasseurs d’Afrique du colonel Morris se précipitèrent sur
les fantassins réguliers ; mais ils furent tout à coup abordés sur leur flanc
par 400 cavaliers conduits par Abd el Kader en personne. Un épisode de cette
lutte est resté célèbre. Le trompette Escoffier vit que le capitaine
adjudant-major de Cotte venait d’avoir son cheval tué en abordant
l’infanterie, et que, ne pouvant pas courir par suite d’une ancienne blessure
à la hanche, il était voué à une mort certaine. Le brave trompette, avec une
héroïque simplicité, mit pied à terre et dit à son chef : « Mon capitaine,
prenez mon cheval ; c’est vous et non pas moi qui rallierez l’escadron[109]. » Le capitaine put ainsi
contribuer largement au succès. Quant à Escoffier, il fut fait prisonnier,
nommé brigadier et chevalier de la légion d’honneur pendant sa captivité, et
reçut sa croix par un émissaire de Bugeaud à Abd el Kader[110]. L’allègement
de la colonne du général Tempoure, engagée à la poursuite du khalifa Ben
Allai, lui permit de surprendre le 11 novembre l’ennemi recherché, et
d’engager avec lui à l’oued Kracheba un combat où le fidèle lieutenant d’Abd
el Kader fut tué[111]. La charge de la cavalerie,
commandée par le colonel Tartas, la marche rapide de l’infanterie suivant de
près les escadrons avec le colonel Roguet, la lutte héroïque de Ben Allai
contre plusieurs cavaliers français avant de mourir, sont restées célèbres
dans les fastes de l’armée d’Afrique[112]. Les
colonnes mobiles, appuyées sur les bases avancées de Tiaret, Teniet-el-Had et
Boghar, étaient ainsi venues à bout des contingents d’Abd el Kader. La mort
du khalifa Ben Allai et la destruction des restes des bataillons réguliers
marquaient la fin de la puissance de l’Emir. Les
progrès de la pacification amenèrent Bugeaud à décider, le 15 décembre 1843,
une organisation des troupes en divisions, subdivisions et cercles. La
division d’Alger comprit les subdivisions d’Alger, du Titteri, de Miliana et
d'Orléansville ; la division d’Oran, les subdivisions d'Oran, de Mascara, de
Mostaganem et de Tlemcen ; la division de Constantine, les subdivisions de
Constantine, de Bône et de Sétif. La
population européenne, attirée, conseillée et aidée par le Gouverneur
général, s’accroissait rapidement. Elle était passée, de 44.500 à la fin de
1842, à 65.000 à la fin de 1843. La
colonisation était, aux yeux de Bugeaud, le but de la conquête. L’armée
devait donc y participer de toutes ses forces dès qu’elle n’était plus
occupée par les nécessités de la guerre ; l’infanterie pouvait apporter, au
développement économique de l’Algérie, une collaboration particulièrement
utile : « Si
l’infanterie, écrivait Bugeaud à Soult, le 4 septembre 1843, est
indispensable pour dominer le pays, elle ne l’est pas moins pour faire les
grands travaux d’utilité publique et de colonisation, et, à cet égard, elle
ne saurait être remplacée par aucune autre arme. Vous voulez, nous voulons
tous faire avancer la colonisation civile, et vous reconnaissez, j’espère,
que la création des villages, comme ceux de M. le colonel Marengo, est le
plus puissant, le plus sûr, le plus économique des moyens ; comment
l'appliquerons-nous, si vous réduisez l’infanterie ? J’espère que l’état de
nos affaires nous permettra, dès cet hiver, de mettre six bataillons au moins
à la disposition de M. le directeur de l’Intérieur, pour faire des villages,
des défrichements et des chemins de communication[113]. » La
collaboration de l’armée d’Afrique à l’œuvre de colonisation, favorisée par
le succès du 11 novembre, devait à son avis hâter le moment où la France
recueillerait le fruit de ses sacrifices : « Une grande partie de l’armée,
écrivait-il à Soult le 24 novembre, va être disponible pour les grands
travaux publics et de colonisation. Elle pourra utiliser tous les crédits
qu’à cet effet voteront les Chambres, et toutes les sommes qui pourront être
prélevées pour cet objet sur la caisse coloniale. Les bras de nos soldats,
qui ne coûtent que 0 fr. 40 centimes par huit heures de travail, exécuteront
des choses qui demanderaient une dépense quintuple par des bras civils. Ainsi
l’armée, tout en contenant les Arabes, tout en protégeant la colonisation,
fécondera la conquête[114]. » Partout,
la culture était à l’honneur : « Il n’est plus question, écrivait le
capitaine Ducrot de Miliana le 17 novembre 1843, que d’agriculture, de
plantations ; les discussions roulent sur l’avantage de semer l’orge ou la
pomme de terre dans tel ou tel terrain ; de planter des mûriers ou des
peupliers, etc.[115] » D’après le jeune officier,
son ordonnance et son jardinier s’entendaient mieux que lui à ces questions.
Il fut cependant désigné par son colonel pour s’occuper des travaux agricoles
entrepris par son régiment : « Je suis donc dans les légumes ! s’exclamait-il.
J’ai été à Alger faire des achats de semences et choisir, au jardin d’essai,
des plants de toute nature. J’ai vu le Gouverneur pour lui rendre compte du
point où en sont les travaux[116]. » Bugeaud lui avait demandé «
une foule de détails » et lui avait « donné d’excellents conseils », lui
montrant ainsi l’importance de la tâche à accomplir. Sans
l’aide matérielle du Gouvernement général et des militaires, que fussent
devenus les colons ? Beaucoup d’entre eux donnaient certainement un effort
courageux ; mais il y avait aussi nombre d’établissements où, suivant
Pellissier de Reynaud, « l’improbité des exploitants s’unissait à leur
ignorance pour rendre infructueux de coûteux essais ». Les gérants de «
malencontreuses compagnies qui s’étaient formées sans intelligence et sans
connaissance des lieux » prenaient d’abord sur le fonds social l’entretien
d’une maîtresse, les gages de domestiques, l’achat de chevaux de luxe, le
prix de repas somptueux et de « soirées indiennes » ; « aussi,
au lieu de dividendes, c’étaient sans cesse de nouveaux appels de fonds,
quelquefois la déconfiture, et même la disparition du gérant avec ceux du
dernier envoi[117]. » Lorsque
l’armée d’Afrique intervenait, tout changeait d’aspect. Les soldats
travaillaient, défrichaient, ensemençaient : « On a presque fini, écrivait
Bugeaud en juillet 1844, de défricher l’espace fixé pour chaque colon. Les
bœufs et les charrues manquant pour ensemencer les terrains défrichés, j’ai
employé les soldats depuis quinze jours à ensemencer avec la pioche. Par ce
moyen, les colons auront une récolte sans laquelle nous aurions été
contraints de les nourrir presque toute l’année prochaine. Ces malheureux ont
épuisé toutes leurs ressources à construire leur petite maison et ils n’ont
plus de quoi acheter des bœufs, des charrues, des outils aratoires, des
semences. L’administration est obligée de leur fournir tous ces objets pour
qu’ils ne meurent pas ou ne désertent pas le village[118]. » Les
défrichements faits par les soldats coûtaient en moyenne 177 fr. 50
l’hectare, tandis qu’avec des ouvriers civils, dont le recrutement en nombre
suffisant eût d’ailleurs été impossible, ils eussent coûté, au prix moyen de
2 fr. 75 par jour, 11.000 francs l’hectare ! La seule comparaison des deux
chiffres indique quels services les militaires ont rendu à la colonisation. Le
développement du commerce tenait, dans les préoccupations de Bugeaud, une
place importante à côté de la colonisation. Le Gouverneur général désirait
ouvrir à la Métropole des débouchés nouveaux, et constatait avec joie, à la
fin de 1843, que les populations indigènes commençaient à préférer les
cotonnades françaises aux anglaises[119]. Les
grandes villes se développaient rapidement. Alger
devenait une vraie capitale. Cependant Bugeaud se plaignait de son manque de
propreté, malgré les 62.000 francs dépensés pour l’obtenir. Il en rejetait la
faute sur l’administration civile dont était dotée la ville, car les
procès-verbaux étaient jugés parfois six ou huit mois après avoir été
dressés, alors que le délinquant n’était plus là[120]. Oran
était une garnison très appréciée, en particulier par le 2e régiment de
chasseurs d’Afrique, caserné à la mosquée de Karguenta. Au début de 1844,
écrit du Barail, « il y avait un bal masqué par semaine ; le brillant colonel
Morris, des chasseurs d’Afrique, y battait volontiers des entrechats, déguisé
en débardeur. Dans les superbes appartements qu’il occupait au Château-Neuf,
le général de la Moricière en offrit un magnifique, où la femme de mon
colonel, Madame de Montauban, en marquise de Pompadour, remporta la palme de
la grâce piquante et de l’élégance[121]. » Les
postes militaires se transformaient en villes avec rapidité, sous la
surveillance de Bugeaud lui-même. Orléansville comptait déjà, au début de
janvier 1844, un certain nombre de maisons et 500 civils. Ténès avait une
population de près de 1.000 Européens et quelques maisons en pierre. Dans ces
deux postes, les aqueducs romains avaient été réparés, plusieurs milliers de
trous avaient été creusés pour planter des arbres, et des terrains aménagés
pour des pépinières[122]. « Une grande harmonie règne
entre les bourgeois et les militaires, écrivait Bugeaud à Soult le 4 janvier
1844, ce qui n’est pas surprenant, car ce sont les troupes, en général, qui
ont fait les travaux d’installation des bourgeois[123]. » Sidi-bel-Abbès
était, en février 1844, un camp où les troupes étaient installées au bivouac.
Le sous-lieutenant du Barail s’y trouvait à ce moment, avec Yusuf et les
spahis d’Oran ; il le décrit en ces termes : « Le poste se composait d’une
redoute en terre à peine ébauchée. Comme unique construction, il y avait une
boulangerie dont le propriétaire avait annexé à son industrie un bazar, aussi
fructueux pour lui qu’agréable pour la troupe, ravitaillée par un convoi
hebdomadaire d’Oran[124]. » Les
Trappistes avaient fondé en 1843 un établissement auquel Bugeaud prêta
secours : « Nos soldats, écrivait-il à Soult, leur ont ensemencé une
trentaine d’hectares et ont fait des plantations assez considérables. Quand
M. de Corcelles viendra les voir, il tombera dans l’admiration de leurs
travaux ; mais, au fait, c’est à nos soldats que cela est dû presque
entièrement[125]. » Il est
difficile de se douter de la somme d’efforts, de peines, de vies humaines,
fournis par l’armée d’Afrique pour créer et développer les villes, les
villages, les routes, les établissements de toute sorte qui sont devenus la
parure et la richesse de l’Algérie française. Le
développement des villes et des villages de création récente s’effectuait
dans d’excellentes conditions parce qu’il était dirigé et surveillé par
l’autorité militaire : « Qu’on vienne voir nos villes de l’intérieur,
écrivait Bugeaud à Soult ; on y trouvera l’ordre et la propreté, sans
commissaires de police, sans procès-verbaux, sans tracasseries, parce que
chacun sait qu’il doit obéir. En un mot, il y a de l’autorité[126]. » Bugeaud
intervenait d’ailleurs personnellement même dans les villages civils ; il
signalait au Directeur de l'Intérieur à Alger le trop grand nombre de
cabarets, en déclarant que les dépenses faites par le Gouvernement et les
fatigues endurées par les soldats, n’étaient pas destinées à favoriser
l’établissement de ces débits. Il
estimait, comme le général Randon et la plupart des généraux, qu’il fallait
étendre l’administration civile en Algérie le plus tard possible, « malgré
les criailleries des folliculaires et quelques imbéciles de colons d’Alger[127]. » Il voyait des inconvénients,
des dépenses et même des dangers à pareille mesure, et ajoutait : « Les
Arabes, qui feront longtemps la grosse masse de la population ; ils ne
peuvent être gouvernés que par les militaires, par ceux qui les ont vaincus,
et dont les formes et le caractère se rapprochent davantage de leurs mœurs et
de leurs formes[128]. » Pour
gouverner les Indigènes, Bugeaud avait rétabli, par un arrêté du 16 août
1841, la Direction des affaires arabes, créée par Damrémont le 15 avril 1837
et supprimée par Valée le 5 mars 1839. Le
directeur des affaires arabes avait autorité au nom du Gouverneur général sur
les fonctionnaires indigènes, caïds, cheikhs, hakems, cadis, muphtis ; il
était chargé des relations avec les tribus et des renseignements politiques
et militaires. Cette
Direction prenait de plus en plus d’importance à mesure que la pacification
s’étendait, et que le nombre des tribus soumises augmentait. Elle avait
besoin d’être décentralisée. Bugeaud
décida, par un arrêté du 1er février 1844, d’instituer dans chaque division
une direction des affaires arabes, sous l’autorité immédiate du général. Des
« bureaux arabes » étaient en outre institués : de première classe, dans
chaque subdivision, aux ordres directs du général ; de deuxième classe, dans
tout autre point occupé par l’armée où le besoin en serait reconnu, aux
ordres de l’officier commandant. Ces divers bureaux dépendaient des divisions
militaires dans lesquelles ils se trouvaient. Les
directions divisionnaires et les bureaux arabes étaient chargés des
traductions et rédactions arabes, de la préparation et de l’expédition des ordres
aux Indigènes, de la surveillance des marchés, et des comptes rendus au
gouverneur général sur la situation politique et administrative du pays. La
direction d’Alger devait, en sus de ses attributions de direction
divisionnaire, centraliser le travail des directions d’Oran et de
Constantine, réunir et conserver les archives et préparer les rapports
d’ensemble à envoyer au Ministre de la Guerre. Aussi prenait-elle le nom de
Direction centrale des affaires arabes, et fonctionnait-elle sous l’autorité
du Gouverneur général. Les
directions et bureaux arabes avaient une composition déterminée, et leur
personnel recevait des allocations spéciales[129]. Ainsi était créé un organisme
permettant de pratiquer une politique générale à l’égard des Indigènes et de
suivre partout leurs affaires avec intérêt. Le lieutenant-colonel Daumas,
désigné comme directeur central, rédigea, grâce à sa grande connaissance des
populations, un code des mesures administratives et judiciaires applicables
aux tribus. Les «
bureaux arabes », dont Bugeaud fixa la liste, allaient être appelés par la
suite à rendre d’immenses services à l’influence française. Les
opérations devenaient, en 1844, moins importantes et plus lointaines. Il
fallait aller vers le Sud chercher les derniers partisans d’Abd el Kader. Le duc
d’Aumale, qui avait succédé en décembre 1843 à Baraguey d’Hilliers à la tête
de la division de Constantine, s’empara de Biskra au début de mars 1844 ; il
organisa une compagnie de 300 tirailleurs indigènes pour occuper la Casba, et
donna au caïd un goum de 50 cavaliers des tribus[130]. Quelques semaines plus tard,
les trois officiers français de la compagnie furent assassinés par leurs
tirailleurs indigènes, fait exceptionnel dans l’histoire de l’armée d’Afrique
; seul un sergent-major parvint à se sauver. Le duc d’Aumale dut aller
installer dans le nouveau poste une garnison française. Le
général Marey organisa, pour opérer dans le sud de la province d’Alger, une
colonne mobile montée sur chameaux, à la suite des expériences faites par le
commandant Carbuccia[131]. Sa colonne comprenait un
chameau pour deux hommes ; l’animal portait les sacs, les vivres, et un des
deux hommes, chacun marchant à pied à tour de rôle. Elle pouvait parcourir 50
à 60 kilomètres par jour[132]. Les
subdivisions du Nord étaient assez calmes. Le colonel Cavaignac eut
cependant, aux environs d'Orléansville, un incident pénible. Ayant à punir
les Sbéa d’une agression, il dut les assiéger dans des grottes où ils
s’étaient réfugiés avec leurs familles, et les enfumer pour les faire sortir
: sept femmes et cinq enfants périrent victimes de ce procédé[133]. Le
maréchal Bugeaud opéra aux abords immédiats de la Kabylie, occupant Dellys et
infligeant des pertes sensibles aux partisans kabyles du khalifa d’Abd el
Kader, Ben Salem ; mais il n’entra pas dans le massif, par suite de
l’insuffisance de ses effectifs, et des nouvelles inquiétantes venues de la
frontière marocaine[134]. Le
général Bedeau, commandant la subdivision de Tlemcen, était obligé de se
garder contre Abd el Kader, réfugié en terre marocaine, au sud d’Oudjda, avec
quelques centaines de réguliers et 800 cavaliers auxiliaires. Le général de
la Moricière établit à Sebdou et à Saïda des postes qui ne suffirent pas à
garantir la frontière[135]. La construction du poste de
Lalla-Maghrnia amena des incursions hostiles des Marocains[136], si bien que le maréchal
Bugeaud arriva le 12 juin à ce poste avec des renforts. L’agression des
Marocains le 15 juin contre le général Bedeau, au cours d’une entrevue avec
le caïd d’Oudjda[137], obligea Bugeaud à aller
jusqu’à Oudjda montrer sa force dans la ville[138]. Des
instructions de prudence étaient données par le Gouvernement au prince de
Joinville, envoyé sur les côtes du Maroc avec une division navale, et au
maréchal Bugeaud. La guerre avec le Maroc paraissait néanmoins inévitable.
Comme le Prince était autorisé à commencer les hostilités en cas d’insulte au
pavillon[139], le Maréchal lui persuada que
les agressions commises à la frontière constituaient bien une insulte au
drapeau. Joinville bombarda le 6 août les batteries de Tanger et se porta sur
Mogador. A cette nouvelle, Bugeaud décida d’aller attaquer le camp marocain
établi sur l’oued Isly[140]. La
bataille de l’Isly devait se dérouler telle que Bugeaud l’avait conçue.
L’illustre Maréchal la dépeignit par avance dans sa lettre du 11 août au
maréchal Soult[141] ; il en décrivit la forme, avec
verve et précision, dans des conversations familières. Une
scène légendaire est la réception organisée le soir du 12 août par les
officiers du 2e chasseurs d’Afrique en l’honneur des escadrons du 1er
chasseurs d’Afrique et du 2e hussards arrivés en renfort le matin : « Sur
les bords de l’Isly, a écrit Léon Roches, ils avaient improvisé un vaste
jardin dont l’enceinte et les allées étaient formées par de splendides
touffes de lauriers-roses et de lentisques. Des portiques en verdure
garnissaient l’allée principale conduisant à une vaste plate-forme également
entourée de lauriers-roses. Tout cet emplacement était splendidement illuminé
par des lanternes en papier de diverses couleurs[142]. » Les
officiers du camp se trouvaient réunis. La Moricière et Bedeau avaient
accepté l’invitation. Bugeaud, fatigué, se reposait sous sa tente, et nul
n’osait troubler son sommeil. Son secrétaire-interprète, Léon Roches, sachant
quel plaisir il éprouverait à se trouver au milieu de ses compagnons,
n’hésita pas à aller le réveiller. Il fut mal reçu ; mais le Maréchal, qui
couchait tout habillé, se coiffa de sa casquette au lieu de son bonnet de
coton, et fit route avec Roches en maugréant, à travers les inégalités du
sol, les cordes des tentes et les piquets des chevaux. Les
petites contrariétés du trajet furent vite oubliées. « A peine, en effet, le
Maréchal était-il entré dans l’allée principale, qu’il fut reconnu et salué
par d’enthousiastes acclamations. Chacun voulait le voir ; les officiers
supérieurs, les généraux, n’avaient pas seuls le privilège de lui toucher la
main[143]. » Le
colonel Tartas, au nom de la cavalerie, reçut le Maréchal, entouré des
colonels Yusuf, Morris et Gagnon, et de tous les officiers réunis. « Sur
le sol débarrassé de ses broussailles, a écrit du Barail, on avait disposé
des bols de punch dont les flammes bleues, mariées à la lueur des bougies
supportées par des baïonnettes fichées en terre, éclairaient la réception...
Dans les gamelles de campement qui représentaient les bols de punch, chacun
puisa avec son quart de fer blanc, et le Maréchal, un quart à la main, porta
un toast à la cavalerie. « Son
plus grand bonheur était de se trouver au milieu des officiers de son armée,
de leur parler, de leur expliquer les manœuvres qu’il leur commanderait et ce
qu’il attendait d’eux. Il excellait dans ces harangues familières, sans
recherches, mais claires et précises. Celle qu’il nous adressa ce soir-là...
est restée dans ma mémoire comme un modèle d’éloquence militaire[144]. » Le
Maréchal mit les officiers en garde contre les exagérations relatives aux
effectifs ennemis ; d’ailleurs, « plus il y en aura, disait-il, plus nous en
abattrons ». Il leur expliqua la marche de sa « tête de porc », aux
quatre côtés se soutenant mutuellement et prêts à se mettre en carré ; puis
le rôle de la cavalerie, lancée sur l’ennemi. Tous
les assistants furent émus et enthousiasmés : « Comment pouvoir décrire, a
écrit Léon Roches, l’effet produit par le discours du Maréchal dont je rends
le fonds, mais sans cette forme originale que revêtait sa parole si bien
faite pour remuer la fibre du soldat ![145] » « Je ne
puis pas dire, constate aussi du Barail, quel effet produisirent sur nous ces
paroles enflammées... La voix de ce grand homme me semble encore vibrer dans
mon oreille... Le Maréchal joignit le geste à la parole, se forma lui-même en
colonne d’attaque et fonça sur le groupe qui était devant lui, bousculant le
général de la Moricière, ce qui nous mit tous en gaieté. Puis, le punch
aidant, toute étiquette disparut dans cette masse d’officiers, heureux de se
trouver ensemble et d’acclamer d’avance leurs succès futurs. « Je
vois encore d’ici un capitaine du 2e de chasseurs d’Afrique, le capitaine
Lecomte. Il voulait à toute force que le Maréchal bût un second verre de
punch. — Mais, capitaine Lecomte, je ne veux plus boire, disait Bugeaud. —
Trinquez toujours, monsieur le Maréchal, ripostait Lecomte, je boirai pour
vous[146]. » Le
capitaine Lecomte était un des officiers coutumiers d’incartades, à qui on
pardonnait beaucoup, parce qu’ils montraient la même gaieté devant la mort
qu’au cours de leurs fredaines. « Nous
passâmes là, concluait du Barail, une soirée délicieuse, autour de ce bon et
illustre Maréchal, qui pouvait sans inconvénient se montrer familier avec
nous, parce que, sans effort, nous étions tous respectueux et que son abandon
ne faisait que surexciter notre déférence[147]. » Cette
réception, organisée dans des circonstances devenues historiques, est le type
de celles qui se sont perpétuées dans l’armée d’Afrique, empreintes
d’enthousiasme et de camaraderie, et où la cordiale familiarité des chefs n’a
jamais nui à l’affectueux respect de leurs subordonnés pour eux. La
bataille de l’Isly, le 14 août, fit ressortir la valeur des troupes
françaises. Les soldats étaient animés d’une ardeur superbe. Lorsqu’après
avoir marché en silence depuis 1 heure du matin, ils aperçurent à 6 heures
les camps marocains, ils « poussèrent un hurrah formidable et jetèrent en
l’air la canne servant à soutenir leur tente-abri pendant la nuit et leur sac
pendant les haltes du jour[148]. » Ils appelèrent ce champ
par la suite, dans leurs conversations, le « champ des cannes ». Toutes
les armes, tous les corps rivalisèrent d’élan, d’énergie, de courage, de
solidarité, enlevant le camp du fils du Sultan du Maroc, et mettant en fuite
ses nombreux contingents, sans éprouver de pertes importantes[149]. L’armée d’Afrique,
magnifiquement entraînée, était à son apogée. Bugeaud
et ses généraux s’étaient aussi bien formés à la politique indigène qu’à la
tactique africaine. Ils avaient appris à connaître les populations de
l’Afrique du Nord, les procédés de gouvernement à employer avec elles, les
conditions à leur imposer dans un traité. Le
Maréchal fut indigné lorsqu’il connut les termes du traité de Tanger, dont
certains articles étaient peu en harmonie avec la force de la France et la
faiblesse du Maroc. Il écrivit à Soult que les erreurs commises coûteraient à
la France « bien de l’argent et bien des soldats », et lui fit les remarques
suivantes : «
L’armée de terre avait du temps devant elle ; rien ne la poussait à
précipiter la conclusion, comme on l’a fait à Tanger ; et enfin, il y avait
là des hommes d’expérience qui auraient pu influencer d’une manière fort
heureuse MM. les diplomates[150]. » Cette vérité n’est pas particulière aux campagnes d’Afrique. Dans toute guerre, les chefs militaires, capables mieux que d’autres de mesurer la valeur de leur victoire, sont les conseillers qualifiés pour indiquer aux diplomates les limites des exigences à maintenir. Mais, dans les questions de tout genre en Afrique du Nord, la collaboration étroite des autorités militaires et des autorités civiles a toujours servi plus qu’ailleurs, lorsqu’elle a pu se réaliser, à accroître le prestige et l’influence de la France. |
[1]
Le détail en est exposé dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification
de l'Algérie, pages 274 à 294.
[2]
Le lieutenant général Bugeaud au maréchal Soult, de Mostaganem, 10 septembre
1842 (original de 15 pages).
[3]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 137 et 138.
[4]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 113.
[5]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 139.
[6]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 141.
[7]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 141.
[8]
Mémoire de proposition pour colonel, par La Moricière, Mascara, 3 avril 1842. Archives
administratives du Ministère de la Guerre, dossier P. H. P. Renault.
[9]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 122.
[10]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 19
décembre 1841-2 février 1842, Lettres d’un soldat, page 189.
[11]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 19
décembre 1841-2 février 1842, pages 192-193.
[12]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 31
mars 1842. Lettres d’un soldat, pages 211 et 212.
[13]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 146.
[14]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 147.
[15]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 8 mars
1842. Lettres d'un soldat, page 209.
[16]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 31
mars 1842. Idem, pages 211 à 219. — Voir aussi : Journal des marches et
opérations de la division (de Mascara), colonne sous les ordres du général de
la Moricière du 1er au 31 mars 1842, Oran, 30 avril 1842, signé par le chef
d’état-major A. Pélissier (original).
[17]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 8 mars
1842. Lettres d'un soldat, page 221.
[18]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 157.
[19]
Le lieutenant général Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 14 avril 1842
(original).
[20]
Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, du bivouac sous Cherchell, 7
avril 1842. Lettres, tome I, page 381.
[21]
Mémoires du général Changarnier, page 230.
[22]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Mascara, 3-7 avril 1842. Lettres
d'un soldat, pages 228-229.
[23]
Lettres d'un soldat, page 230.
[24]
Mémoires du général Changarnier, page 216.
[25]
Le lieutenant général de Négrier au maréchal Soult, de Constantine, 11 juillet
1842 (original).
[26]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 19
décembre 1841-2 février 1842. Lettres d'un soldat, page 190.
[27]
Montagnac, Lettres d'un soldat, pages 204-208-209.
[28]
Le maréchal duc de Dalmatie, président du Conseil, ministre secrétaire d’Etat
de la Guerre, au lieutenant général Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie,
de Paris, 18 février 1842 (original).
[29]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Mascara, 3-7 avril 1842. Lettres
d’un soldat, page 226.
[30]
Lettres d’un soldat, page 234.
[31]
Mémoires du général Changarnier, page 230.
[32]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 154-155.
[33]
Mémoires du maréchal de Mac-Mahon, page 161.
[34]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 223.
[35]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l’Islam, tome II, page 349. Comme
Léon Roches, parti d’Alger pour l’Orient fin juillet 1841, y revint seulement
en juin 1842, la scène à laquelle il assista est postérieure à l’expédition de
janvier-février 1842 sur Tlemcen.
[36]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 158 et 159.
[37]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 158.
[38]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Mostaganem, 25 novembre
1841. Lettres d’un soldat, page 182.
[39]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 8 mars
1842. Lettres d’un soldat, page 209.
[40]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 31
mars 1842. Lettres d’un soldat, page 222.
[41]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 168 et 169.
[42]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 169.
[43]
Le lieutenant-colonel Morris, commandant supérieur à Boufarik, au colonel Gaja,
commandant supérieur du territoire d’Alger ; de Boufarik, 11 avril 1842
(original).
[44]
Le lieutenant-colonel Morris au colonel Gaja, de Boufarik, 13 avril 1842
(original).
[45]
Ordre général donné par le lieutenant général Bugeaud, au Quartier Général, à
Alger, le 14 avril 1842 (copie). — Supplément à cet ordre, à Alger, le 17 avril
1842.
[46]
Le gouverneur général Bugeaud au lieutenant-colonel Morris, d’Alger, 17 avril
1842 (copie).
[47]
Note du Ministre à l’encre rouge, sur la lettre de Bugeaud au Ministre,
d’Alger, 15 avril 1842 (original).
[48]
Le Ministre de la Guerre au lieutenant général Bugeaud, gouverneur général, de
Paris, 30 avril 1842 (minute).
[49]
Décision ministérielle du 18 juin 1842 portant que les possessions françaises
dans le Nord de l’Afrique formeront trois divisions militaires ou
circonscriptions administratives. Paris, 30 juin 1842. Journal militaire
officiel, année 1842, 1er semestre, page 704.
[50]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 176.
[51]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 178.
[52]
Le commandant de Montagnac à M. de Leuglay, de Philippeville, 3 septembre 1842.
Lettres d’un soldat, page 270.
[53]
Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud, à son frère, de Miliana, 1er juillet
1842. Lettres, tome I, page 403.
[54]
Lettres, tome I, page 404.
[55]
Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud, de Miliana, 4 juillet 1842 à son frère,
22 juillet 1842 à Madame de Forcade. Lettres, tome I, pages 405 à 409 et
415 à 417.
[56]
Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 1er août 1842. Lettres,
tome I, page 420.
[57]
Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 12 août 1842, Lettres,
tome I, page 424.
[58]
Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 12 et 15
septembre 1842. Lettres, tome I, page 428.
[59]
Mémoires du général Changarnier, page 264.
[60]
Mémoires du général Changarnier, pages 266 à 268.
[61]
Mémoires du général Changarnier, page 269.
[62]
Le lieutenant-général Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 25 septembre 1842.
Cabinet (original de 3 pages de sa main).
[63]
Quatrelles l’Epine, Le maréchal de Saint-Arnaud, page 279.
[64]
Mémoires du général Changarnier, pages 270 et 275.
[65]
Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 30 septembre
1842. Lettres, tome I, pages 430-431.
[66]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 188.
[67]
Mémoires du général Changarnier, page 280.
[68]
Le commandant de Montagnac à M. de Leuglay, de Philippeville, 3 septembre 1842.
Lettres d’un soldat, page 271.
[69]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre
1842. Lettres d’un soldat, pages 272 et 273.
[70]
Le gouverneur général Bugeaud au maréchal Soult, d'Alger, 15 novembre 1842, 1re
lettre (original de 2 pages de sa main).
[71]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre
1842. Lettres d’un soldat, page 273.
[72]
Lettres d’un soldat, page 274.
[73]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre
1842. Lettres d'un soldat, pages 274-275.
[74]
Lettres d'un soldat, page 275.
[75]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre
1842. Lettres d'un soldat, page 276.
[76]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 4 février
1842. Lettres d'un soldat, pages 289-290.
[77]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Philippeville,
6 janvier 1843. Lettres d'un soldat, page 284.
[78]
Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Philippeville,
14 décembre 1842. Lettres d'un soldat, page 282.
[79]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 15 mars
1843. Lettres d'un soldat, pages 290-293.
[80]
Lettres d'un soldat, pages 294-297.
[81]
Le général Baraguey d’Hilliers au maréchal Soult, de Constantine, 14 mars 1843
(original).
[82]
Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 15 mars
1843. Lettres d'un soldat, page 301.
[83]
Ordre général n° 169 bis, du 26 avril 1843 (original).
[84]
Le gouverneur général Bugeaud au maréchal Soult, près de Ténès, 29 avril 1843 ;
et P. S. de Ténès, 2 mai 1843 (original).
[85]
Le gouverneur général Bugeaud au maréchal Soult, du bivouac du
Khemis-des-Sendjafs, 4 juin 1843 (original).
[86]
Le lieutenant général Changarnier au maréchal Soult, du bivouac de
Teniet-el-Had, 23 mai 1843 (original).
[87]
Le maréchal de camp Henri d’Orléans, commandant la province de Titteri, au
lieutenant-général Changarnier, du bivouac de Chaabounia, sur l’Oued Oueurk, 20
mai 1843 (original de 5 pages).
[88]
Voir ce récit dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de
l'Algérie, pages 298 à 302.
[89]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 192-209.
[90]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 206-207.
[91]
Le gouverneur général Bugeaud au général duc d’Aumale, 23 mai 1843 (original).
[92]
Le lieutenant général de la Moricière au chef de bataillon Maissiat, commandant
supérieur de Tiaret, 19 mai 1843 (copie). — Le même au gouverneur général de
l’Algérie, du bivouac sur l’Oued Tligate, près de Tiaret, 22 mai 1843
(original).
[93]
Le maréchal de camp Thiéry, commandant la subdivision d’Oran, au Gouverneur
général de l’Algérie, d’Oran, 25 mai 1843 (original).
[94]
Colonel Walsin-Esterhazy, Notice historique sur le Maghzen d'Oran, page
176.
[95]
Colonel Walsin-Esterhazy, Notice historique sur le Maghzen d'Oran, pages
177-178.
[96]
Le lieutenant général de la Moricière au gouverneur général Bedeau, du bivouac
de Kef-el-Azreg, sur le Menasfa, 9 juin 1843, rapport n° 182 (copie).
[97]
E. Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, tome III, page 7.
[98]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 346-347.
[99]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 328.
[100]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 348.
[101]
Le gouverneur général Bugeaud au colonel Yusuf, commandant les spahis d'Alger,
16 juillet 1843 (copie).
[102]
Le colonel Yusuf au maréchal Bugeaud, datée d’Alger, 18 juillet 1843 (il faut
lire 18 août) (original de 10 pages).
[103]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 218.
[104]
Le capitaine Ducrot à son grand-père, de Miliana, 28 septembre 1843. La vie
militaire du général Ducrot, tome I, pages 125 et 126.
[105]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 350-351.
[106]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 344.
[107]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 344-345.
[108]
Le lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, au
Gouverneur général de l’Algérie, à Alger, du bivouac sur l’Oued Berbour, 26
août 1843 (original de 11 pages). — Le colonel Géry, du 56e, commandant la
subdivision de Mascara, au lieutenant général de la Moricière, du bivouac sur
l’Oued Tifrit, 13 septembre 1843 (original).
[109]
Le lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, au
maréchal Bugeaud, d’Ouïzert, 28 septembre 1843 (copie signée par La Moricière,
pour le Ministre).
[110]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre,
d’Alger, 19 janvier 1844, 2eme P. S., du 20 janvier (original). — Général du
Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 214-215. — Léon Roches, Trente-deux ans
à travers l'Islam, tome IL pages 379-380.
[111]
Le maréchal de camp Tempoure, commandant la subdivision de Mascara, au
lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, de
Sidi-bel-Abbès, 15 novembre 1843 (original).
[112]
Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages
308-311.
[113]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, au maréchal Ministre de
la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 4 septembre 1843 (original).
[114]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, au maréchal Ministre de
la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 24 novembre 1843 (original).
[115]
Le capitaine Ducrot à son grand-père, de Miliana, 17 novembre 1843. La vie
militaire du général Ducrot, tome I, page 127.
[116]
Le capitaine Ducrot à son grand-père, de Miliana, 10 janvier 1844. La vie
militaire du général Ducrot, tome I, page 130.
[117]
E. Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, tome II, page 341.
[118]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).
[119]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre,
Président du Conseil, d’Alger, 18 novembre 1843 (original).
[120]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).
[121]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 222.
[122]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre,
Président du Conseil, d'Orléansville, 10 octobre 1843 ; suite de Ténès, 14
octobre 1843 ; P. S. d’Alger, 15 octobre 1843 (original). — Le même au même,
d’Alger, 4 janvier 1844 (original).
[123]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre,
d’Alger, 4 janvier 1844 (original).
[124]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 227.
[125]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre,
d’Alger, 23 février 1844 (original).
[126]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).
[127]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 29 janvier 1844 (original).
[128]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).
[129]
Arrêté du 1er février 1844 portant création d’une direction des affaires arabes
dans chaque division militaire de l’Algérie, et de bureaux désignés sous le nom
de bureaux arabes dans chaque subdivision. Journal militaire officiel,
année 1844, 1er semestre, pages 52-54.
[130]
Le lieutenant général Henri d’Orléans, commandant supérieur de la province de
Constantine, au maréchal Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, de Batna, 22
mars 1844, rapport (original de 12 pages).
[131]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, à un général, d’Alger, 31 janvier 1844
(copie).
[132]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre,
Président du Conseil, d’Alger, 29 janvier 1844 (original).
[133]
Le colonel Cavaignac, commandant la subdivision d’Orléansville, au lieutenant
général de Bar, commandant la division d’Alger, d’Orléansville, 14 juin 1844
(original).
[134]
Le maréchal Bugeaud au Ministre de la Guerre, d’Alger, 30 janvier 1844
(original). — Le même au même, 11 mai 1844, 13 mai 1844, 18 mai 1844
(originaux). — Le même au même, de Dellys, 26 mai 1844 au matin (original).
[135]
Le maréchal Bugeaud au lieutenant général de la Moricière, commandant la
province d’Oran, d’Alger, 8 janvier 1844 (copie). — Le lieutenant général de la
Moricière au maréchal Bugeaud, d’Oran, 5 avril 1844 (original).
[136]
Le lieutenant général de la Moricière au maréchal Bugeaud, du camp sous
Lalla-Maghrnia, 30 mai 1844, 10 heures du soir (copie). — Le même au même, 2
juin 1844 (copie) et 9 juin 1844 (original).
[137]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, de
Lalla-Maghrnia, 16 Juin 1844 (original).
[138]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil,
d’Oudjda, 19 juin 1844, confidentielle (original).
[139]
Instructions du Ministre de la Marine au prince de Joinville, citées dans la
lettre de Bugeaud à Soult, de Lalla-Maghrnia, 1er août 1844 (original).
[140]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, du
bivouac près de Lalla-Maghrnia, 11 août 1844 (original).
[141]
Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, du
bivouac près de Lalla-Maghrnia, 11 août 1844 (original).
[142]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 399.
[143]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 400.
[144]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 244-245.
[145]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 401.
[146]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 246-247.
[147]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 248.
[148]
Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 402.
[149]
Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages
322 à 324.
[150]
Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre,
d’Alger, 22 septembre 1844 (original).