L'ARMÉE D’AFRIQUE

DE 1830 À 1852

 

CHAPITRE X. — ÉLARGISSEMENT DE LA LUTTE ET SUCCÈS (1842-1844).

 

 

La lutte contre Abd el Kader continua sans tenir compte des saisons pendant toute l’année 1842. Il y eut campagne d’hiver, de printemps, d’été et d’automne, avec des progrès constants pour la pacification.

Dans la province d'Oran, Bugeaud allait dès le début de février installer une garnison à Tlemcen et détruire la petite forteresse de Sebdou. Bedeau, nommé au commandement de Tlemcen, pacifiait la région. La Moricière continuait à exécuter des razzias autour de Mascara ; il poussait en juillet jusqu’à Goudjila, nid d’aigle saharien dans lequel Abd el Kader avait cru pouvoir établir une place d’armes inaccessible. Le général d'Arbouville opérait en partant de Mostaganem.

Dans la province d’Alger, Changarnier était le principal réalisateur des desseins de Bugeaud, et exécutait des opérations combinées avec lui ; d’autres colonnes, aux ordres du général de Bar, du lieutenant-colonel de Saint-Arnaud et du colonel Comman, du colonel Korte, concouraient à la pacification des tribus.

Dans la province de Constantine, le général de Négrier, aidé par le général Randon partant de Bône, et par le général Levasseur, avait affaire à l’agitateur Zerdoud. Baraguey d’Hilliers lui succéda en fin d’année ; il disposait de plusieurs colonnes, dont les mouvements combinés pouvaient venir à bout de Si Zerdoud.

Ces opérations se déroulaient simultanément sur toute l’étendue de l’Algérie ; elles étaient menées avec une âpreté et une continuité dont il est difficile de se faire une idée sans en suivre les diverses phases[1].

Bugeaud cherchait à convaincre ses généraux de la nécessité de s’imposer par la force à leurs adversaires. Il écrivait à Soult le 10 septembre 1842 : « Ne laissez jamais le dernier mot à l’ennemi, ai-je toujours dit à mes lieutenants. Dès que l’ennemi vous présente des forces un peu considérables, dès que ses attaques deviennent sérieuses et dès que vous vous trouvez sur un terrain tant soit peu facile, reprenez une offensive générale et prolongée. Sachez perdre une journée pour le poursuivre, et retournez coucher, s’il le faut, à l’eau que vous avez quittée[2]. »

 

Certains subordonnés de Bugeaud pratiquaient d’eux-mêmes ces méthodes, et ne laissaient guère de repos à leurs adversaires.

Le général de la Moricière était secondé par une pléiade d’officiers remarquablement choisis. Son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Pélissier, avait fait la guerre sous le Premier Empire, tandis que le général était encore un enfant. « Néanmoins, il donnait à tous l’exemple de l’obéissance, de la déférence, dans ses fonctions de chef d’état-major, où il se montrait à la fois très méthodique et très affable pour les jeunes officiers, qu’il savait tenir en bride et employer selon leurs aptitudes ». Du Barail, qui apprécie ainsi ses qualités militaires, trace de lui ce portrait : « Un peu court, un peu gros, il avait déjà à cette époque la tête toute blanche, ce qui le faisait paraître plus âgé qu’il ne l’était en réalité. L’œil était beau, pénétrant et singulièrement vif, surtout lorsque le plissement de la paupière accompagnait un de ces mots à l’emporte-pièce auxquels rien ne résistait, et qu’il lançait d’une voix à la fois lente, nasillarde et profonde. Une moustache noire et épaisse barrait sa figure accentuée, sur laquelle se lisait toute l’énergie de son âme. On y lisait, à première vue, la qualité maîtresse du chef, le caractère[3]. »

Dans son état-major, deux officiers jouaient un rôle précieux : le capitaine Daumas, l’ancien consul auprès d’Abd el Kader à Mascara, qui avait organisé un bureau de renseignements ; le capitaine de Martimprey, chargé du service topographique, qui avait dressé une carte détaillée de la région. « Une expédition, a écrit du Barail, préparée par le capitaine Daumas et guidée par le capitaine de Martimprey, arrivait aussi sûrement à son but qu’un train de voyageurs arrive à une gare. Le capitaine de Martimprey marchait à la tête de la colonne, suivi d’un chasseur portant un fanion blanc avec une large étoile rouge. On l’avait surnommé l’Etoile Polaire 2[4]. »

Les autres officiers n’étaient pas moins bien choisis : tels les capitaines de Senneville et Jarras, le lieutenant Cassaigne, et le brillant lieutenant Trochu, que Bugeaud devait enlever à La Moricière pour le prendre avec lui, en raison de sa valeur[5].

Dans les troupes de La Moricière, nombre d’officiers avaient déjà acquis une personnalité. Le colonel Roguet commandait le 41e de ligne.

Le colonel de la Torre était à la tête du 13e léger : c’était « une figure étrange de soldat : chagrin, froid, stoïque, n’ayant pas le sentiment du danger, et flegmatique au milieu du feu le plus vif, sur son petit cheval blanc et sous son caban à capuchon ; estimé comme militaire, détesté comme chef[6]. » Le commandant Mellinet, le futur général, était le chef du 5e bataillon de chasseurs à pied.

Le lieutenant-colonel Renault avait reçu le commandement de deux bataillons d’élite, composés de grenadiers et de voltigeurs, l’un aux ordres du commandant de Montagnac, l’autre aux ordres du commandant Pâté. Il était surnommé « Renault de l’arrière-garde », parce qu’il s’était fait une spécialité de la direction des combats difficiles livrés à la queue des colonnes, et qu’il y faisait preuve d’un courage, d’une activité, et d’un coup d’œil admirables. C’était une figure bien connue : « Il était maigre, décharné, pâle, a écrit du Barail. On le voyait arriver, le soir, au bivouac, le dernier, épuisé, sans voix, ayant éreinté trois ou quatre chevaux à courir partout où il y avait du danger, partout où il y avait un combat[7]. » En le proposant pour colonel en avril 1842, La Moricière écrivait : « La confiance qu’il inspire au-dessus et au-dessous de lui, l’ascendant qu’il prend autour de lui, sont des titres qui valent mieux que tous les éloges[8]. »

Le lieutenant-colonel Yusuf gagnait peu à peu la confiance de La Moricière, prévenu contre lui par son origine militaire irrégulière et par l’inimitié de quelques officiers français ; il faisait merveille en colonne à la tête de ses spahis[9].

 

Les razzias tendaient à se généraliser comme procédé de guerre. La Moricière les avait mises en pratique, surtout depuis son installation à Mascara.

Certaines de ces expéditions avaient pour but de découvrir les « silos » dissimulés dans la campagne. Lorsqu’elles avaient mis la main sur ces réserves des tribus, elles les réunissaient pour les magasins : bêtes de somme et chevaux de cavalerie étaient chargés d’orge, de blé ou de sel, et chaque soldat transportait en moyenne quinze kilos de blé[10].

D’autres expéditions étaient destinées à reconstituer le troupeau quand la viande faisait défaut. Dirigées sur les tribus dissidentes, elles ramenaient, en même temps que bœufs, moutons, ânes, chevaux et mulets, des prisonniers, hommes, femmes et enfants, servant d’otages.

Elles donnaient lieu à « des scènes bien pénibles », selon l’expression de Montagnac : « On arrive sur les tentes, dont les habitants, réveillés par l’approche des soldats, sortent pêle-mêle avec leurs troupeaux, leurs femmes, leurs enfants ; tout ce monde se sauve dans tous les sens ; les coups de fusil partent de tous les côtés sur les misérables surpris sans défense ; hommes, femmes, enfants poursuivis sont bientôt enveloppés et réunis par quelques soldats qui les conduisent. Les bœufs, les moutons, les chèvres, les chevaux, tous les bestiaux enfin, qui fuient, sont vite ramassés. Celui-ci attrape un mouton, le tue, le dépèce : c’est l’affaire d’une minute ; celui-là poursuit un veau avec lequel il roule, cul par-dessus tête, dans le fond d’un ravin ; les autres se jettent sous les tentes, où ils se chargent de butin ; et chacun sort de là affublé, couvert de tapis, de paquets de laine, de pots de beurre, de poules, d’armes et d’une foule d’autres choses que l’on trouve en très grande quantité dans ces douars souvent très riches. Le feu est ensuite mis partout à ce que l’on ne peut emporter, et bêtes et gens sont conduits au convoi : tout cela crie, tout cela bêle, tout cela brait ; c’est un tapage étourdissant[11]. »

Les cavaliers ennemis, après avoir pris la fuite, venaient harceler la colonne dès qu’elle leur tournait le dos. Lors du retour au camp avait lieu une distribution de moutons et de chèvres, aussitôt mis à la marmite.

Afin de rendre sa colonne plus agile, La Moricière déchargeait de leurs sacs ses deux bataillons d’élite, et les faisait précéder d’éléments de cavalerie[12]. Il cherchait à arriver sur les douars rapidement et par surprise.

La marche des troupes était soumise à des règles strictes : « Tout le monde gardait le plus profond silence. Les ordres, les recommandations, les indications se transmettaient à voix basse. Aucune batterie de tambour, aucune sonnerie de clairon ou de trompette ; défense absolue de fumer, de battre le briquet, d’enflammer une allumette. Perpétuellement, un officier ou un sous-officier partait de la tête de la colonne et, faisant l’office de chien de berger, descendait, par la droite, jusqu’au dernier peloton, remontait, par la gauche, jusqu’au général, pour lui signaler le moindre incident, prévenant chaque portion de troupe, toutes les heures, lorsqu’on s’arrêtait pour la halte réglementaire de dix minutes. Cette privation de tabac et de parole rendait encore plus pénible la privation totale de sommeil[13]. »

Au retour, la colonne légère était « transformée en un lourd convoi, à la marche pesante et lente. Le fantassin, parti avec un havresac complètement vide, le rapportait plein de blé. Nos cavaliers marchaient à pied, conduisant par la bride leurs chevaux sur lesquels ils étaient remplacés par un sac d’orge[14]. » Pendant la retraite, exécutée par échelons, Yusuf conservait seulement autour de lui quelques éléments prêts à charger. « Renault l’arrière-garde » justifiait alors son surnom.

Les courses de ce genre entraînaient merveilleusement les soldats qui y prenaient part : « Jamais, depuis l’Empire, écrivait Montagnac, nous n’avons eu de troupes comme celles-là, aussi aguerries, aussi rompues aux fatigues, faites à toutes les privations. Sur 98 jours que nous sommes dans la province de Mascara, nous en avons passé déjà 75 dehors, et Dieu sait par quel temps[15]. »

La description émouvante d’une razzia faite par temps de neige, au mois de mars, dans la région de Frenda, donne une idée des souffrances éprouvées par les troupes françaises et par les populations poursuivies[16]. Au cours de cette opération, une section de carabiniers du 13e léger, comprenant 23 hommes sous le commandement du lieutenant Deligny, s’égara, et erra pendant deux jours dans les montagnes sans que les Indigènes osassent l’attaquer : « Voilà, concluait Montagnac, une preuve bien convaincante de l’effet terrible qu'a exercé sur tous les Arabes notre nouveau mode de guerre, notre persévérance à la poursuivre et notre système de destruction de tous les moyens d’existence, système jusqu’alors employé sur une très petite échelle[17]. »

Deligny avait d’ailleurs tenu les Indigènes en respect par son attitude énergique : « Il avait, a écrit du Barail, commencé par empoigner les Arabes qui lui paraissaient les plus riches, en guise d’otages ; puis il avait ordonné aux autres de dresser des tentes pour lui et ses hommes, de leur apporter à manger. Il avait ainsi passé la nuit en fort bon ménage avec les Arabes que nous venions de piller[18]. » La connaissance de la conduite à tenir vis-à-vis des Indigènes l’avait sauvé.

Les officiers de l’armée d’Afrique étaient désolés d’en venir à des procédés inhumains. Après les destructions effectuées en avril 1842 aux environs de Cherchell, Bugeaud écrivait à Soult : « Cela est cruel sans doute, et le cœur m’en faisait mal ; mais il n’y a pas d’autres moyens d’atteindre et de soumettre ce peuple extraordinaire... Pour nous soulager de ces rigueurs nécessaires, nous avons traité avec la plus grande humanité des femmes, des vieillards et des enfants qui n’avaient pas pu fuir assez vite ; on leur a donné des vivres et même des vêtements[19]. »

Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud, participant à cette opération avec son bataillon de zouaves, écrivait : « Nous avons tout brûlé, tout détruit. Oh ! la guerre, la guerre ! Que de femmes et d’enfants, réfugiés dans les neiges de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère ![20] ».

Changarnier déclarait aussi : « Je n’avais pas le goût de la razzia, et je m’y étais résigné comme à un devoir pénible. En la pratiquant, j’ai voulu la régulariser, la moraliser dans la mesure du possible, et j’ai eu le bonheur d’y réussir. Non seulement les troupes sous mes ordres traitaient avec douceur les femmes, les enfants, les hommes inoffensifs, mais elles se contentaient de la part que leur allouaient les règlements dans la valeur des prises[21]. »

Ces expéditions cruelles apparaissaient comme une nécessité aux officiers qui connaissaient le pays et ses populations : « Il fallait, assurait Montagnac, ce mode de guerre inauguré par M. de la Moricière, cette opiniâtreté diabolique, ce nouveau genre de vie appliqué à notre armée, qui, jusqu’à ce jour, ne pouvait se passer d’immenses et lourds convois ; il fallait ces bataillons d’infanterie débarrassés de leurs pesants fardeaux, arrivant, aussi vite que la cavalerie, au milieu des tribus épouvantées, franchissant les obstacles les plus ardus, frappant partout, fouillant dans les repaires les plus cachés, poussant les troupeaux avec plus de rapidité que ne pouvaient le faire les Arabes eux-mêmes, tenant la campagne par tous les temps, courant nuit et jour, saisissant, dans toutes les directions, ces populations en désordre[22]. »

Le but était de dépouiller les tribus de tout ce qu’elles possédaient, chevaux, tentes, grains, troupeaux, pour les réduire à l’impuissance ; lorsqu’il était atteint, elles se rendaient ! « Il est impossible, écrivait Montagnac, de se figurer à quelle extrémité nous avons réduit ces malheureuses populations ; nous leur avons enlevé, pendant quatre mois, toutes leurs ressources en blé ou en orge. Nous leur avons pris leurs troupeaux, leurs tentes, leurs tapis, tous leurs objets de ménage, en un mot toute leur fortune ; il n’y a donc qu’une longue paix qui puisse les remettre de tant de maux. il ne fallait pas leur laisser la force de se remuer plus tard et de prendre encore leur vol avec audace. Il fallait couper les ailes à l’oiseau farouche pour le garder : c’est ce que M. de la Moricière a parfaitement compris[23]. »

Le général Changarnier qui, pendant l’hiver 1841-1842, fit exécuter à ses troupes quelques razzia dans la province d’Alger, a donné la même excuse : « Si, dans une guerre d’Europe, on peut contraindre son adversaire à traiter quand, après avoir gagné sur lui une ou deux batailles, on occupe sa capitale, on saisit les caisses publiques, on frappe des contributions, on interrompt tout commerce, nous ne pouvions employer les mêmes moyens contre les Arabes. Après avoir ruiné le gouvernement d’Abd el Kader et dispersé ses troupes, nous devions nous attaquer à la fortune mobilière et aux récoltes des tribus pour les contraindre à se soumettre[24]. »

Le général de Négrier, amené à employer le même procédé dans la province de Constantine, écrivait à Soult, à propos d’une opération du général Levasseur au début de juillet 1842 contre les Zerdeza : « Je déplore d’être obligé de sévir d’une manière aussi rigoureuse en brûlant les récoltes ; mais c’est le seul moyen d’action que j’aie sur les Kabyles. Cette population est riche, et les pertes qu'elle éprouve cette année ne la réduiront pas à la misère et ne la pousseront pas au désespoir... Il faut qu’ils se calment s’ils veulent que nous leur laissions reprendre possession de leurs villages, et ils le feront[25]. »

 

Les razzias avaient l’avantage de remédier aux défaillances du ravitaillement officiel, et d’améliorer le bien-être du soldat. Grâce au blé rapporté des expéditions, les troupes pouvaient fabriquer du pain meilleur que celui de l’administration : « Dans chaque compagnie, écrivait Montagnac, on élève des fours, dans chaque compagnie il y a un certain nombre de moulins arabes portatifs, et qui se manœuvrent à la main ; on fait de la farine, on fait de la bouillie, des galettes et même du pain. Se met-on en campagne, les petits moulins, qui sont tout bonnement deux meules de pierre d’un pied, un pied et demi de diamètre, les petits moulins sont portés par des bourricots, et, aussitôt arrivés au bivouac, ils fonctionnent, la farine se fait, et le troubadour s’applique bientôt sur la conscience une épaisse pâtée très saine et très nourrissante. Le brave La Moricière a donc résolu le grand problème de faire vivre le soldat en Afrique[26]. » Montagnac admirait son général pour cette idée, et pour bien d’autres, et ne cessait d’écrire dans ses lettres : « Gloire au général La Moricière, gloire à lui tout seul[27]. » La capture de nombreux troupeaux semblait à La Moricière une excellente occasion de faire des largesses aux soldats, pour les dédommager de leurs privations, de leurs fatigues et de leurs souffrances. Mais l’administration militaire surveillait l’exécution des règles relatives aux prises de guerre. A la suite des razzias de janvier 1842, Bugeaud reçut du Ministère des observations assez dures sur la méconnaissance de ces règles par La Moricière, et un rappel des « dispositions formelles de l’ordonnance du 3 mai 1832 et de l’arrêté ministériel du 26 avril 1841[28]. »

Il ne semble pas que La Moricière ait été impressionné par cette intervention ; mais certains officiers sous ses ordres s’indignèrent. Montagnac était révolté de voir le Gouvernement disputer aux militaires leurs parts de prises, « ces misérables petites sommes qu’ils gagnent au prix de mille fatigues, de mille privations et de tous les dangers de la guerre », et leur donner l’ordre d’en verser un tiers à l’Etat, un autre tiers à la caisse coloniale, en laissant le dernier tiers seulement aux « capteurs ». Il écrivait à son frère : « Qu’ils viennent donc, ces sales écornifleurs de pièces de six liards, passer ici la moitié d’une des nuits que nous avons endurées ; ils verront si les soldats qu’ils trouvent si riches et qui sont aujourd’hui couverts de haillons, ont seulement de quoi acheter un bout de toile pour se vêtir et de quoi se procurer, au poids de l’or, un peu de sucre pour refaire leurs estomacs fatigués. Un beau jour, ces vils agioteurs s’établiront sur le sol que nous avons couvert de notre sueur et de notre sang ; alors ils nous refuseront, sans doute, une planche pour nous abriter... Ces infâmes financiers, grands tripoteurs de nos affaires gouvernementales, ne vont-ils pas jusqu’à menacer le général La Moricière, s’il manque encore de se conformer à leur ordre saugrenu sur les parts de prises, de lui retenir, sur ses appointements, le montant des sommes dont il se sera permis de disposer ![29] ». Il regrettait qu’un général déployant ses talents et son énergie au service de la France fût mis au niveau d’un « valet à gages à qui on retient cent sols pour avoir cassé une carafe ».

L’administration était âprement critiquée par Montagnac : elle se montrait incapable, disait-il, d’amener à Mascara 700 quintaux de vivres, alors que, en un mois, le commerce civil y avait amené plus de 30.000 quintaux de marchandises ; elle ne parvenait pas à payer les Indigènes qui avaient effectué des transports pour l’armée[30] !

Changarnier jugeait d’un autre point de vue que Montagnac ; à son avis, la razzia ne devait pas être une source de profit pour l’officier : « Les règlements prélevaient, sur le produit des prises, pour chacun des capteurs, une part proportionnelle à son grade. Celle du général commandant était considérable. Je l’ai constamment abandonnée aux troupes. Résolu à employer largement le système des razzias à la soumission de l’Algérie, il m’importait de n’en pas retirer un bénéfice personnel[31]. »

Yusuf était beaucoup moins respectueux des règlements administratifs, d’autant plus qu’il opérait généralement un peu en dehors du gros de la colonne. Il abandonnait à ses spahis la moitié de leurs prises, et vendait l’autre moitié à l’encan ; le produit de la vente était divisé en deux parts, l’une allouée aux officiers pour les indemniser des frais imposés par la campagne, l’autre versée dans la caisse du régiment, pour améliorer le bien-être du soldat, remplacer les objets perdus, et accroître le prix d’achat des chevaux[32].

 

Dans les longues marches exécutées pour escorter les convois de ravitaillement ou pour atteindre les tribus, une plus grande intimité commençait à s’établir entre les officiers et leurs soldats, soumis aux mêmes fatigues et aux mêmes dangers. La familiarité de Bugeaud avec le troupier aidait d’ailleurs à ce rapprochement, autant que le caractère un peu désinvolte de certains corps comme les zouaves.

Le commandant de Mac-Mahon participait à la tête du 10e bataillon de chasseurs à l’expédition dirigée par Bugeaud sur Tlemcen et les environs, en janvier-février 1842. D’après lui le Gouverneur entendit pour la première fois, au cours de cette expédition, un zouave chanter : « As-tu vu la casquette du père Bugeaud ? ». Il se mit à rire, et demanda à l’homme de chanter la chanson entière. « Celui-ci s’y refusa, prétendant connaître seulement le refrain. En réalité, les paroles de cette chanson, devenue légendaire, manquaient tout à fait de bienveillance. Elle avait été composée par le capitaine Chambry, du 2e spahis[33]. » Chambry « avait de la-fortune et ne manquait pas d’esprit, suivant du Barail... il avait composé des chansons populaires pour l’armée d’Afrique[34] » ; mais il préférait ses plaisirs à son devoir militaire, aimait peu faire colonne, et n’était pas, pour cette raison, apprécié par ses camarades.

La chanson de « la casquette » eut d’ailleurs plus de faveur encore lorsque, un ou deux ans plus tard, Bugeaud se fût montré à ses soldats coiffé du bonnet de coton qu’il portait toujours pendant la nuit au bivouac. Réveillé par la fusillade, au cours d’une surprise de nuit, il se précipita hors de sa tente vers la partie du camp menacé, sans quitter son « casque à mèche[35]. » On comprend la saveur prise dès lors par le refrain As-tu vu la casquette, appliqué auparavant à la « casquette » de forme particulière portée en colonne par Bugeaud.

Pour dédommager les soldats de leurs pénibles efforts, il fallait leur laisser certaines libertés au cours des expéditions. Il fallait même savoir leur accorder, dans les périodes de répit, une détente nécessaire. Lorsque La Moricière ramena ses troupes à Oran, après les razzias exécutées aux environs de Mascara, il les laissa deux jours complètement libres, sans les astreindre à aucun appel. « La ville fut extraordinairement gaie, suivant du Barail, et les économies réalisées à Mascara fortement entamées, sinon évaporées. Mais il n’y eut pas de désordres sérieux[36]. »

Des chefs un peu rigides, comme le général Bedeau, ne savaient peut- être pas assez comprendre la manière dont les troupiers devaient être traités. Nommé en novembre 1841 commandant de la 1re brigade de la division d’Oran, à Tlemcen, Bedeau fit merveille pour la pacification de la région. Par contre, d’après du Barail, « la garnison de Tlemcen, au bout de quelque temps, tomba dans un état de démoralisation, de découragement, d’affaissement et de nostalgie, auxquels le général Bedeau, homme austère et de mœurs monacales, ne comprenait rien. Le général de la Moricière, plus philosophe, plus observateur des faiblesses humaines, vit tout de suite où le bât blessait ces braves gens. Et, par son ordre, le vertueux général Bedeau dut procéder au recrutement et à l’établissement d’un personnel féminin spécial qui ramena la gaieté, sinon la santé, parmi ses hommes. Il était lui-même ébouriffé de la mission qu’il avait dû accomplir[37]. »

La tenue des troupes n’avait rien de comparable avec celles des garnisons de France. Les officiers avaient apporté d'eux-mêmes des modifications à l’uniforme réglementaire. Un grand nombre d’entre eux par exemple se coiffaient de la chéchia. Montagnac la portait quoique chef de bataillon dans la ligne, et écrivait à son frère : « S’ils me voyaient avec mon costume de flambard, avec un grand fez à la turque, surmonté d’un grand gland qui une tombe jusque dans le milieu du dos, et là-dessous une figure de Cosaque, ils riraient bien, va, tes deux moutards, ou ils se sauveraient[38]. »

L’existence vagabonde menée par les unités en expédition et leur éloignement des magasins ne pouvaient pas leur permettre de conserver la régularité de leurs uniformes.

« Nos soldats ne sont plus couverts que de guenilles, écrivait Montagnac ; leurs capotes, leurs pantalons restent tous les jours dans les broussailles... Si, par un moyen quelconque, on faisait sauter cette division de Mascara sur la place du Carrousel, le public monterait sur les toits pour la voir[39]. »

La manière dont les parties de l’uniforme laissées aux ronces africaines étaient remplacées donnait en effet aux troupes un aspect pittoresque : « Figurez-vous une foule de grands diables vêtus de haillons rafistolés avec de la toile, des morceaux de laine de toutes les couleurs, et des morceaux de peaux de chèvre ou de mouton, couverts de poux ; coiffés les uns de képis, les autres de fez, quelques-uns de chapeaux de feutre, d’autres d’énormes sombreros de palmier, d’un pied et demi de haut, finissant en pointe, et dont les bords ont un pied de rayon (coiffures ramassées dans les razzias) ; l’extrémité inférieure du personnage garnie de peau de mouton ou de peau de bœuf, avec leurs poils, faute de souliers. Ajoutez à cela une face basanée, une longue barbe pour ceux qui en ont ; — de véritables sauvages en un mot[40]. »

Cette tenue un peu débraillée était particulière aux périodes d’opérations. Mais l’élégance ne perdait pas ses droits, surtout chez les jeunes officiers, quand ils avaient l’occasion de séjourner dans les grandes villes ; elle les incitait même à apporter à l’uniforme des modifications fantaisistes, suivant un travers qui a toujours été répandu dans l’armée française, particulièrement dans l’armée d’Afrique. Le nouvel uniforme des officiers français de spahis avait été fixé par l’ordonnance réorganisant la cavalerie indigène. « C’était pour la grande tenue, a écrit du Barail : le spencer rouge soutaché de noir, orné d'une fourragère en soie noire, dont la large tresse barrait la poitrine d'une épaule à l’autre, le képi bleu à turban rouge, le pantalon bleu avec une bande garance ; les galons, insignes du grade, décoraient la manche en nœuds hongrois. Comme marques de service, la ceinture de soie rouge à gland d’or avec des passants coulants, en nombre proportionné au grade[41]. » Cet uniforme était coquet ; il le devint davantage encore grâce à la modification imaginée par le sous-lieutenant Fleury, « le maître des élégances militaires » d’alors. Fleury se fit faire un pantalon bleu de ciel si séduisant que les pantalons gros bleu réglementaires disparurent en peu de temps.

La mode était de porter les spencers très ajustés. Du Barail, invité à dîner chez le général Bugeaud, revêtit pour la première fois, ce soir-là, sa nouvelle tenue de sous-lieutenant de spahis ; il parvint à l’agrafer avec l’aide de trois camarades : « Je m’en allai portant en anses de panier mes deux bras que j’aurais été impuissant à rapprocher des flancs. Je ne mangeai ni ne bus. Il me semblait qu’à la première bouchée de pain, à la première gorgée d’eau, tout aurait sauté[42]. » On se rend compte en effet, par les portraits des officiers, combien ils étaient serrés dans leurs spencers ou leurs tuniques, au détriment de leurs aises !

 

Les généraux opéraient sans répit contre les tribus insoumises, principalement La Moricière dans la province d’Oran, Changarnier dans celle d’Alger et Négrier dans celle de Constantine. Souvent, leurs colonnes accomplissaient de pénibles étapes sans gloire et livraient de sanglants combats sans écho. Par contre, certains accidents survenus à des détachements isolés avaient un grand retentissement.

L’affaire des Beni-Mered, qui coûta la vie au sergent Blandan et à une partie de sa petite troupe, a laissé dans l’histoire algérienne une trace éclatante, tandis que des centaines d’engagements plus importants et aussi glorieux sont tombés dans l’oubli.

Le 11 avril 1842, le lieutenant-colonel Morris, commandant supérieur de Boufarik, avait à faire porter au commandant Arrighi, à Beni-Mered, une lettre pressée du colonel de Gaja, commandant supérieur du territoire d’Alger, arrivée la veille. La garnison de Boufarik, comprenant environ 300 hommes disponibles, avait déjà fourni 125 hommes pour escorter un convoi, et devait assurer la garde du poste et du troupeau. Morris prescrivit cependant de constituer un détachement de 20 hommes, 17 fantassins du 26e de ligne, et 3 cavaliers du 1er chasseurs d’Afrique, commandés par le sergent Blandan, pour porter la lettre à Beni-Mered. A ce détachement se joignit le sous-aide-major Ducros, qui revenait de congé et regagnait l’hôpital de Blida.

Lorsque le détachement arriva à moitié route de Beni-Mered, il fut soudainement environné par une troupe de 200 Indigènes qui avaient passé la nuit dans le ravin en face du Bordj Mered. Le sergent Blandan fut sommé en bon français, par un régulier d’Abd el Kader, de se rendre ; il lui répondit par un coup de fusil qui l’étendit mort. Les Indigènes ripostèrent par une décharge qui abattit six Français. Blandan, grièvement blessé de trois balles, s’écria en tombant : « Courage, mes amis, défendez-vous jusqu’à la mort ». Ses hommes luttèrent avec une farouche énergie ; mais ils étaient successivement atteints par le feu de leurs adversaires. Le moment approchait où ils allaient être sauvagement égorgés et mutilés par la horde amassée autour d’eux...

Morris, averti du danger couru par le détachement, lança en avant 36 chasseurs d’Afrique restant à Boufarik, avec leurs officiers, le lieutenant Corcy et le sous-lieutenant de Breteuil ; il les suivit avec les 69 fantassins encore disponibles.

Lorsque, une demi-heure après le commencement de l’agression, les chasseurs d’Afrique arrivèrent sur le théâtre de la lutte, cinq hommes se défendaient encore ; trois étaient morts et treize étaient blessés. Le sous- aide-major Ducros avait pris le fusil d’un homme tué, s’était bravement battu, et avait été grièvement atteint au bras droit. Les assaillants, repoussés par les chasseurs jusqu’à un ravin, puis fusillés par les fantassins arrivés à leur suite, s’enfuirent en emportant leurs morts et leurs blessés ; ils avaient cependant abandonné trois des leurs, dont un régulier, sur le lieu du combat contre Blandan.

Le lieutenant du génie de Jouslard, chargé de diriger les travaux de Beni-Mered, était courageusement accouru au bruit de la fusillade, avec 30 hommes. Le lieutenant-colonel Morris, pour éviter une nouvelle catastrophe à ce faible détachement, lui fournit, pour regagner Mered, une escorte dont il attendit le retour. Il rentra ensuite à Boufarik, en y ramenant les morts, dont aucun n’avait été mutilé, et les blessés.

Dans la lettre par laquelle Morris rendait compte le jour même de cette affaire au colonel de Gaja, il lui disait que la garnison de Boufarik était trop faible pour suffire aux convois et aux correspondances exigés d’elle[43]. Les hommes ne passaient qu’une nuit sur trois dans leurs hamacs. En outre, de nombreuses voitures civiles venant de Douèra se joignaient aux détachements pour être protégées, les embarrassant et les retardant[44].

Le sergent Blandan et quatre des blessés moururent le 12 avril et les jours suivants, ce qui porta le nombre des morts à huit. Parmi les huit autres blessés, six furent amputés d’un membre, parmi lesquels le sous- aide-major Ducros. Cinq hommes seulement étaient restés indemnes : un cavalier du 1er chasseurs d’Afrique, et quatre fantassins du 26e de ligne.

Bugeaud félicita par un ordre général les combattants des Beni-Mered, pour avoir su lutter « comme les chevaliers des anciens temps », et ne voulut pas oublier les détachements venus à leur secours. Il exprima aussi dans cet ordre sa satisfaction au lieutenant-colonel Morris, mais en regrettant la mise en route d’un aussi faible détachement[45].

Il écrivit quelques jours plus tard à Morris pour lui développer sa pensée. Après l’avoir vivement loué « de la promptitude et de l’énergie avec lesquelles il avait secouru une poignée d’intrépides », il ajoutait : « C’est une grande imprudence que mettre en route 22 hommes. Vous savez que c’est entièrement contraire à mes principes et à mes ordres réitérés ». Mieux eût valu, à son avis, envoyer ou tous les disponibles, ou les trois cavaliers sans escorte d’infanterie : « Les trois cavaliers auraient fui ; liés aux fantassins qui ne peuvent éviter le combat, ils sont restés avec eux par honneur et ont partagé leur désastre glorieux ». L’envoi de cavaliers était d’ailleurs à réserver pour des cas d’extrême urgence, et devait être effectué la nuit, à travers champs et non par la route. « Mais je préfère, déclarait Bugeaud, que l’infanterie, en nombre respectable, fasse seule la correspondance, sans l’addition d’un seul cavalier ». Il recommandait aussi à Morris, non seulement de surveiller de loin la marche des détachements envoyés, mais de faire prendre les armes au reste de la garnison pour leur servir d’échelon et pouvoir au besoin voler à leur secours. Il concluait : « Quand vous quitterez le commandement de Boufarik, donnez ces principes à votre successeur, ou plutôt affichez-les en grosses lettres dans votre bureau[46]. »

Le Ministre de la Guerre décida de communiquer aux journaux la lettre de Bugeaud lui annonçant le combat de Beni-Mered, et l’ordre général du 14 avril en exposant les détails[47]. Il écrivit à Bugeaud à ce sujet : « On ne saurait trop admirer ce sublime dévouement ; mais ce n’est pas rare en Afrique ; et je me rappelle qu’en pareille circonstance, d’autres troupes ont fait preuve de la même valeur, et se sont fait tuer plutôt que de manquer à l’honneur. Ce fait d’armes est trop éclatant pour que je n’aie pas mis de l’empressement à lui donner la plus grande publicité[48]. »

Le sergent Blandan et son détachement de 20 hommes, en préférant combattre plus de 200 ennemis que se rendre à eux, ont en effet mérité l’admiration générale. Mais leur héroïsme a été occasionné par une faute sur laquelle il faut insister en raison même de la célébrité du combat : l’envoi en pays incertain d’un détachement d’effectif insuffisant.

 

L’organisation administrative de l’armée d’Afrique n’avait pas été définie, depuis que l’ensemble des possessions avait officiellement reçu le nom d’Algérie.

Le Ministre de la Guerre prit, en juin 1842, la décision suivante : « Les possessions françaises dans le Nord de l’Afrique, comprenant les provinces d’Alger, d’Oran et de Constantine, sous la dénomination actuelle d’Algérie, formeront, jusqu’à nouvel ordre, trois divisions militaires ou circonscriptions administratives[49]. »

Les trois divisions étaient ainsi définies :

Division de Constantine : Constantine, La Galle, Bône, Guelma, Sétif, Philippeville, Djidjelli, Bougie.

Division d’Alger : Alger, Maison-Carrée, Pointe-Pescade, Koléa, Cherchell, Douèra, Boufarik, Blida, Médéa, Miliana.

Division d’Oran : Oran, Mers-el-Kebir, Mostaganem, Mazagran, Arzew, Mascara, Misserghin, Tlemcen, Ile de Rachgoun.

La capitale algérienne commençait à présenter une vive animation. Alger était, d’après du Barail, « un adorable lieu de garnison, où les plaisirs paraissaient d’autant plus savoureux qu’ils étaient plus courts, puisqu’à chaque instant il fallait monter à cheval et partir en guerre... La belle humeur, la gaieté, l’entrain, la jeunesse avec son grain de folie circulaient dans les rues sur les pas des troupiers, ou chevauchaient dans les environs de la ville, dans les cavalcades de jeunes officiers heureux de vivre[50]. »

Le gouverneur, le général commandant la division, les commandants de l’artillerie et du génie, avec leurs états-majors, l’amirauté et son personnel, des troupes d’infanterie et de cavalerie, fournissaient à la ville une garnison perpétuellement remaniée par les expéditions. Les fêtes officielles, dont l’éclat était rehaussé par la présence de chefs indigènes, étaient des plus brillantes.

Les officiers allaient dîner, lorsque leur bourse était garnie, à l’Hôtel d’Orient. Ils étaient certains d’y rencontrer le colonel Korte, commandant le 1er chasseurs d’Afrique, et le colonel Cavaignac, commandant le corps des zouaves, « dînant en tête à tête à une petite table, contre le comptoir où trônait la belle Mme Pigeard, que l’un d’eux défendait avec énergie contre les galanteries des sous-lieutenants ». Après le dîner, les deux colonels, pliés aux habitudes qui se prennent si facilement dans la vie de garnison, « allaient volontiers finir la soirée en fumant leur cigare dans le magasin de Mme Combes, l’aînée des trois sœurs qui tenaient, à Alger, le sceptre de la beauté[51]. »

Certains postes de création récente se développaient avec une rapidité remarquable. Philippeville produisit grande impression sur le commandant de Montagnac à son arrivée, au début de septembre 1842 : « Vous dire l’effet que m’a produit l’aspect de cette ville qui a trois ans d’existence me serait difficile : admiration, étonnement, extase, rien ne pourrait rendre ce que j’ai éprouvé en apercevant ces belles maisons, ces vastes magasins, ces rues bien percées où se meut une population active ; ce bel hôpital d’un style grandiose qui domine toute la ville, cette immense caserne qui se trouve sur le même plan, cette enceinte crénelée, d’un développement gigantesque, garnie de forts, de redoutes, de blockhaus, etc... Au sud de Philippeville, au-delà de l’enceinte, est un beau bassin où il y a de superbes jardins qui fournissent des légumes à toute la ville. Je ne doute pas que, dans quelques années d’ici, Philippeville ne devienne un des points les plus riches de l’Afrique[52]. »

Cette ville était en effet un témoignage du résultat que pouvait obtenir en peu de temps l’effort colonisateur bien dirigé de l’armée d’Afrique.

Dans les postes les plus désolés, tout se transformait quand un chef actif, aimant sa troupe, ayant de l’ingéniosité, veillait à l’hygiène, à l’esthétique, au bien-être.

En juin 1842, le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud fut nommé au commandement supérieur de Miliana. Il forma aussitôt cent projets, pour le logement de sa garnison, le rétablissement de la ville indigène, le développement du marché, la construction de fontaines, les relations avec les tribus. Il pensait avant tout à sa troupe : « Les soldats, les officiers manquent de vin et de pain blanc. Dans un mois, il y en aura à Miliana. Quand j’aurai établi la route de Miliana à Cherchell, notre position deviendra encore meilleure[53]. » Il s’occupait de faire fonctionner un théâtre et un cercle : « T’ai-je parlé du théâtre de Miliana ? Ce sont les sous-officiers de la garnison qui jouent. Je favorise l’établissement de toutes mes forces. C’est une distraction pour les soldats ; ils n’ont ici ni vin, ni femmes. Il y a aussi un cercle où l’on peut lire quelques ouvrages donnés par l’Etat et laissés par les officiers qui ont passé à Miliana. Le choix n’est pas merveilleux. Le gouverneur m’a envoyé les journaux jusqu’au 22 juin, je me suis empressé de les adresser au cercle pour occuper les officiers[54]. »

Ainsi fonctionnaient à Miliana, dès cette époque, un cercle et une bibliothèque, dont la création officielle depuis lors, dans les garnisons, a rendu tant de services aux militaires de tout grade. Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud menait à Miliana une existence donnant bien idée de l’effort d’un chef dans un poste en création. Il était accaparé par les préoccupations les plus diverses : aménagement d’une maison pour le sous-intendant annoncé ; création d’un bassin de 1 m. 40 de profondeur, permettant à la troupe de se baigner ; réception ininterrompue de « Français, militaires ou colons, Arabes, Kabyles, Juifs, chefs et prolétaires » venant le consulter ; organisation du commerce local et diminution du prix des denrées[55]. Il recherchait toutes les collaborations parmi ses subordonnés : « J’ai trouvé des officiers instruits et zélés qui me font de la bière et de la poterie. Un sergent-major me fait une horloge. Un officier d’artillerie me dirige et m’installe mon cercle, de manière à ce que dans un mois rien n’y manquera. Le grand talent, c’est de savoir se servir des hommes et surtout selon leur spécialité[56]. »

Il recevait de son mieux à sa table les officiers supérieurs sous ses ordres, et hébergeait avec joie les camarades qui passaient par Miliana. Il faisait abstraction en pareil cas de toute opinion politique ; lui qui écrivait à son frère, le 12 août : « Il y a une chose que je combattrai toujours de la parole et de l’action, c’est la République, parce qu’elle m’est odieuse[57] », hébergeait, moins d’un mois après, son camarade Cavaignac, le rigide républicain, en même temps que Changarnier et Morris ; il disait de lui : « Cavaignac n’a dédaigné ni mon lit, ni ma table. Il a du reste été fort bien et nous voilà rapatriés sans autre explication que d’avoir été l’un au-devant de l’autre et de nous être serré la main. Quand il y a estime mutuelle, il ne peut pas y avoir de querelle bien sérieuse à l’endroit des autres[58]. » Voilà de beaux sentiments, dignes des brillants officiers qui les mettaient en pratique.

 

Les opérations se poursuivaient sans répit dans les trois divisions. Les colonnes françaises razziaient les tribus soumises à Abd el Kader ; les contingents de l’Emir châtiaient les tribus ralliées à la France. Le poids de la guerre retombait ainsi sur les Indigènes, dont beaucoup commençaient à ressentir de la lassitude d’un tel état de choses.

Tandis que Bugeaud opérait en septembre et octobre 1842 dans le massif à l’Est d’Alger contre le khalifa Ben Salem, Changarnier exécutait des razzias aux environs de Miliana, chez les partisans du khalifa Mohamed ben Allal.

Les combats de l’oued Fodda, les 19 et 20 septembre, sont parmi les plus angoissants que l’armée d’Afrique ait livrés. Changarnier, disposant seulement de 1.000 fantassins et 200 cavaliers, sans artillerie, n’hésita pas à s’engager dans l’oued Fodda, sur lequel il avait des renseignements insuffisants, afin de ne pas sembler faire une retraite « dont l’effet politique eût été désastreux ». Assailli dans ce défilé par 4.000 Kabyles, dont le nombre s’accrut peu à peu, il se trouva plusieurs fois dans une situation critique ; son arrière-garde fut souvent obligée de se battre au corps à corps.

Changarnier avait à ce moment sous ses ordres des officiers remarquables, tels que le colonel Cavaignac, le commandant Forey, le lieutenant-colonel Morris, qui firent des prodiges de valeur. Ses troupes se montrèrent dignes de leurs chefs : « Nos soldats, a-t-il écrit, exécutèrent avec un aplomb et une intelligence rares des ordres judicieusement appliqués aux circonstances. Jamais la pensée d’un chef ne se communiqua plus rapidement à ses soldats et n’en fut mieux comprise. Jamais il n’y eut plus d’harmonie dans les mouvements, de fini dans les détails, de cohésion dans l’ensemble. Ces troupes étaient accomplies[59]. »

Pendant deux jours, le combat fut mené avec acharnement. Changarnier conduisit lui-même, le 19 septembre, six retours offensifs, avec des détachements de 300 à 600 fantassins et de 50 à 80 cavaliers. Le dernier, exécuté par quatre compagnies de zouaves et quatre compagnies du 26e de ligne, appuyées par un escadron du 1er chasseurs d’Afrique, lui permit de s’établir à un emplacement de bivouac convenable. La journée du 20 septembre fut moins dure, et permit d’atteindre la sortie du défilé. Alors Changarnier chargea, à la tête des chasseurs d’Afrique et des auxiliaires indigènes, un nombreux contingent de Kabyles, et le força à abandonner sur le terrain beaucoup de cadavres. Il avait un quart de sa colonne hors de combat, mais il avait infligé à ses adversaires des pertes énormes[60].

Changarnier voulut affirmer davantage encore son succès. Il alla, le 22 et le 23, infliger une razzia à ses ennemis : 100 Kabyles furent tués ; 200 chameaux, 500 bœufs, 10.000 moutons, des chevaux, et des mulets, furent ramenés à son camp[61].

La manière inconsidérée dont Changarnier s’était engagé dans le défilé de l’oued Fodda et les pertes considérables qu’il y avait éprouvées eussent pu lui attirer des reproches de Bugeaud. Le Gouverneur général écrivit au contraire à Soult : « Loin de se laisser intimider par ses pertes, Changarnier redouble de ténacité et reste dans le pays plus qu’il n’en avait le projet. Voilà de la force morale et du bien jugé... Ce petit événement glorieux et fâcheux ne diminue en rien la haute estime que j’ai pour les talents de cet officier général, et il augmente la bonne opinion que j’avais de son énergie. Il a pu faire une faute, mais il l’a vigoureusement soutenue[62]. »

Bugeaud portait le même jugement dans une lettre au lieutenant-colonel de Saint-Arnaud : « La grande confiance que j’ai en Changarnier n’est en rien diminuée par ce meurtrier combat où tout le monde a fait si vaillamment son devoir[63]. »

Saint-Arnaud, à ce moment même accusé de malversations par Changarnier[64], écrivait à son frère le 30 septembre : « Changarnier a montré dans cette circonstance un moral de fer. Morris, qui est chez moi et t’embrasse, s’est bien montré : il a été brillant comme à l’ordinaire et sera bientôt colonel : Cavaignac, très malade de la fièvre, est dans mon lit. Le capitaine Paër blessé, mon ami, est aussi chez moi[65]. »

Le commandant supérieur de Miliana pratiquait ainsi une hospitalité large et cordiale, qui devenait une règle dans l’armée d’Afrique. Il était cependant calomnié, par passion politique suivant du Barail, parce qu’il avait été officier d’ordonnance de Bugeaud lorsque ce dernier était chargé de garder à Blaye la duchesse de Berry. S’il avait commis quelques folies de jeunesse, ce dont il convenait, il les avait bien rachetées par sa brillante conduite en toutes circonstances.

C’était une figure très séduisante : « On l’a représenté comme un homme de plaisir, a écrit du Barail, alors qu’il était avant tout un homme de grand et puissant travail. Il savait rendre, par le charme de son commandement, le service facile et attrayant, et, la main toujours ouverte et toujours tendue, il obtenait par le dévouement et la reconnaissance de ses subordonnés des efforts et des résultats que d’autres demandent, avec moins de succès, à la froide et sèche observation du règlement, à l’austère application de la discipline[66]. »

Des opérations menées au mois de décembre contre le massif de l'Ouarenséris, par trois colonnes aux ordres respectifs de Bugeaud, de Changarnier et du colonel Korte, amenèrent la soumission des Beni-Ouragh, tribu couvrant la majeure partie de la chaîne. Bugeaud et Changarnier convergèrent sur le grand pic de Cheuba, et y reçurent la soumission du fameux Mohammed bel Hadj. C’était un succès important, dont le Gouverneur général ne manqua pas de s’enorgueillir. « Quand Bugeaud eut fini avec les grands du pays, écrit Changarnier, il donna au duc d’Aumale, à plusieurs officiers supérieurs et à moi, un dîner pendant lequel il qualifia avec la plus inconvenante dureté la prudence des généraux de la province d’Oran, qui n’osaient pas mettre le nez dans les montagnes[67]. »

Ainsi trouvait-on parfois, dans la bouche des chefs aux divers échelons, des appréciations peu en harmonie avec les sentiments de camaraderie répandus dans l’armée d’Afrique !

 

Les généraux de la province de Constantine étaient, plus que les autres, l’objet de critiques.

Le général Sillègue s’était aventuré hors de Sétif, dans un pays difficile, avec une colonne d’effectif insuffisant, et avait dû battre en retraite en subissant des pertes sensibles. Le commandant de Montagnac, arrivé tout récemment dans la province, racontait le 3 septembre cette sortie, et il ne ménageait pas son nouveau chef : « Voilà où nous conduit l’ineptie des hommes appelés à nous commander. Puisque le nôtre avait l’intention d’exiger quelque chose de ces tribus qu’il ne connaissait pas, il fallait aller chez elles avec des forces imposantes... S’avancer sans but arrêté et se retirer sans résultat, c’est un pas d’écolier et un échec. On ne fait jamais de sottises pareilles impunément, dans ce pays. Toutes ces vieilles défroques de l’Empire sentent le moisi ; il faut en faire des musées d’antiquailles[68]. »

Le général de Négrier, commandant la province, était violemment attaqué par les journaux, et s’en montrait fort affecté. Il se déclarait « dégoûté de sa situation », parce qu’il ne se sentait pas suffisamment défendu par le Gouvernement ; il avait été, selon l’expression de Montagnac, « abreuvé de mystifications et d’injures par les puants avocats et le Ministre de la Guerre lui-même ![69] » Il demanda un congé pour la fin de décembre 1842, quoique, de l’avis même de Bugeaud, la campagne menée contre lui fût inspirée par une « coterie de coquins[70]. »

Le maréchal de camp Baraguey d’Hilliers fut désigné pour le remplacer. Était-ce un bon choix ? Il avait été, remarquait Montagnac, renvoyé en France par Bugeaud « à cause de son étourderie et de son imprévoyance ». Il exprimait la prétention de tout modifier sans connaître le pays, et d’abandonner Constantine pour Philippeville[71].

Les jeunes officiers comme Montagnac appréciaient peu « tous ces fameux généraux qui étaient au plus capitaines sous l’Empire » et qui faisaient fi de la guerre d’Afrique en disant : « Nous étions à Wagram, et nous avons eu vingt-cinq mille hommes sur le carreau. Comment, avec des soldats disciplinés, avec des masses compactes, avec notre artillerie, notre cavalerie, ne viendrions-nous pas à bout de quelques milliers de pouilleux qui s’attaquent à nous ? Nous vous montrerons comment on traite ces misérables[72]. »

C’est l’éternelle querelle entre les officiers qui possèdent l’expérience laborieusement acquise de la guerre coloniale, et ceux qui croient pouvoir pratiquer cette guerre sans préparation, en raison de leurs études sur la guerre européenne. Les déconvenues et les échecs des chefs novices et présomptueux ont été décrites en des termes imagés et humoristiques par Montagnac :

« Les circonstances se sont présentées où ils ont dû faire ressortir leur talent, et ils ont été fort embarrassés, tous ces foudres de guerre !

« Entourés, instantanément, d’un immense essaim de guêpes, qui les enveloppe de tous les côtés, ils se sont demandé comment ils pourraient faire pour se débarrasser de ces abominables insectes qui sont partout et nulle part, qui sont insaisissables en un mot, et pourtant qui nous piquent jusqu’au sang.

« Qu’est-ce que cela ? des hommes qui tombent ! Comment ! ces scélérats d’insectes tuent, tout comme à Wagram ! Que faire de ces morts, de ces blessés ? Abandonner les uns, sauver les autres. Où est donc le convoi ? Où va-t-il passer ? Comment ! pas un chemin, pas même un sentier ! et la cavalerie, comment l’employer ?... et l’artillerie ? mais c’est une trahison ! on ne fait pas la guerre dans un pays semblable... (Il faut reconnaître qu’il ne ressemble pas du tout à un terrain de manœuvre). Tout est bientôt pêle-mêle. Chacun crie. Tout le monde commande. Personne n’obéit. Les guêpes continuent à se répandre, tuent tout ce qu’elles rencontrent, coupent, taillent... le foudre de guerre n’y voit plus, il se jette çà et là tête baissée, et ne rencontre partout que difficultés.

« On n’a jamais fait la guerre ainsi ! C’est un guet-apens !... » Débâcle complète. Les guêpes vous poursuivent, vous harcèlent jusque dans votre camp[73]. »

L’incompétence des officiers de rang élevé arrivant de France les déconsidérait devant leur troupe ; mais l’humiliation subie avait pour effet d’exciter leur jalousie contre leurs camarades de l’armée d’Afrique, à la fois plus jeunes et plus expérimentés : « Toutes ces fameuses reliques de l’Empire arrivent ici avec des idées préconçues, des systèmes qu’ils se sont forgés dans leurs cabinets, avec quelques farceurs d’officiers d’état-major ; ensuite et surtout ils apportent une haine implacable contre tous ces jeunes généraux qui ont grandi depuis quelques années, et sont autant de soleils dont l’éclat les fatigue. Il est facile de concevoir que ces anciens héros, tourmentés par leur jalousie, ne consentiront jamais à suivre la voie tracée par les La Moricière, les Changarnier, les Bedeau, etc.[74] »

Les méthodes employées dans la province de Constantine étaient en effet fort différentes de celles employées dans la province d'Oran. Montagnac ne parvenait pas à les accepter : « On y trouve une véritable armée de Darius : des convois, des tentes, etc. Tous les officiers ont leur lit, voire même leur pot de chambre, et se croiraient perdus s’ils restaient deux jours sans boire de vin. Ils ne comprennent pas qu’on puisse s’imposer la moindre privation. Les soldats ne voyagent jamais sans être accablés de leurs lourdes couvertures qui pèsent 3 ou 4 kilos ; enfin, on ne s’imagine pas encore, dans cette province, qu’on puisse coucher à la belle étoile. Ça fait pitié[75]. »

Lorsque Montagnac racontait à ses nouveaux camarades ses expéditions avec La Moricière, la manière dont les colonnes marchaient et se nourrissaient, il les remplissait d’étonnement, ce dont il s’indignait : « Quand on parle d’une marche forcée, on jette les hauts cris. Il faut faire bien régulièrement des haltes, de grandes haltes ; il faut que tout le monde ait toutes ses aises ; et puis... on attrape l’ennemi si on peut... Je tâcherai de ne pas désapprendre[76]. »

Le général de Négrier quitta la province de Constantine à la fin de décembre 1842, et reçut de tous les corps de sa division des marques de leur attachement. Il était aimé des indigènes, malgré sa sévérité. Ainsi à Philippeville, un chef des environs tint à assister, quoique très malade, au banquet donné par la garnison en son honneur. On l’engageait à se retirer en raison de ses souffrances : « Non, dit-il, avec des larmes dans les yeux, laissez-moi, je veux le regarder jusqu’à la fin. » Alors, raconte Montagnac, « le général remercia, par un geste plein de bienveillance, ce pauvre Arabe, et je vis de grosses larmes humecter ses paupières[77]. » Un trait comme celui-là montre quels liens affectueux unissaient souvent les officiers français à leurs administrés indigènes.

Les continuels changements dans le commandement étaient déplorables, au point de vue de la direction et de l’instruction des troupes comme à celui de l’influence française sur les tribus. « L’Afrique est un véritable kaléidoscope, écrivait Montagnac, où se remuent des hommes de toutes les formes, de toutes les tailles, de tous les caractères. Si au moins il n’y avait que des changements de ligures, on se contenterait de rire de pitié à toutes ces parades ; mais c’est qu’avec ces nouvelles images de Dieu, qui viennent se poser en puissances, se dressent aussi de nouveaux systèmes qui renversent ceux existants. C’est par suite de ces bascules continuelles que, depuis douze ans, tout danse sans cesse dans les espaces imaginaires, et qu’on n’a rien pu réaliser dans ce pays[78]. »

Le commandant de Montagnac eut du moins l’occasion d’utiliser, au cours d’une expédition chez les Zerdeza, en février 1843, les méthodes apprises aux ordres de La Moricière. A la tête de son bataillon du 61e de ligne, sans sacs, et de l’escadron de spahis de Philippeville, il exécuta une attaque par surprise et une razzia qui réussirent pleinement[79].

Quelques jours plus tard, la général Baraguey d'Hilliers combina les efforts de quatre colonnes pour venir à bout, dans le massif de l’Edough, de Si Zerdoud. Ce fameux agitateur, contre qui Négrier avait dirigé maintes opérations, aspirait à jouer dans la province de Constantine un rôle analogue à celui d’Abd el Kader dans la province d’Oran. Le colonel Barthélemy, chef de la colonne à laquelle appartenait Montagnac, ayant appris où se trouvait la retraite de Zerdoud, chargea le 3 mars le jeune commandant de s’emparer de l’agitateur ; il lui donna à cet effet deux compagnies de grenadiers et deux de voltigeurs[80]. Si Zerdoud fut cerné et tué ; sa tête et le poignet mutilé par lequel on le reconnaissait furent apportés à Baraguey d’Hilliers, et exposés pour convaincre les Indigènes de sa mort[81].

Après ces opérations, Montagnac écrivait : « Le général Baraguey d’Hilliers a remué toutes ces tribus qui, depuis la prise de Constantine, avaient acquis le droit d’insolence ». Il espérait bientôt reprendre la campagne : « Le Baraguey n’est pas longtemps tranquille sur sa chaise ; il gagne à être connu, et je suis un peu revenu de mes préventions[82]. » Beaucoup d’officiers se sont ainsi repentis d’un jugement hâtif porté sur leurs chefs !

 

Bugeaud voulait en finir avec Abd el Kader et ses khalifas en 1843, en menant contre eux une lutte sans trêve.

Le moyen d’obtenir des succès complets était d’établir pour ses colonnes des bases plus rapprochées des contingents à atteindre.

Il choisit d’abord à cet effet, dans la vallée du Chélif, le point d’El Esnam (Les Idoles), tirant son nom de nombreuses statues romaines, et s’y installa le 26 avril ; il nomma le colonel Cavaignac commandant de la subdivision d’El Esnam et de la brigade active[83]. Le point de ravitaillement du nouveau poste devait être Ténès, qu’il occupa[84]. El Esnam prit, par décision ministérielle du 16 mai, le nom d’Orléansville[85].

Changarnier entreprit le 10 mai la création de Teniet-el-Had ; opérant quelques jours plus tard avec succès dans l’Ouarenséris, il perdit, parmi quelques tués, le colonel d’Illens, le commandant de la première garnison de Miliana[86].

Le duc d’Aumale, qui avait été chargé d’installer un poste à Boghar, réalisait au même moment un des plus hauts faits de l’armée d’Afrique : il partait le 10 mai de la nouvelle base, et six jours plus tard, le 16 mai, s’emparait à Taguin de la Smala d’Abd el Kader[87].

La prise de la Smala est un événement glorieux et pathétique, dont les épisodes sont passionnants[88]. Pour bien comprendre l’audace du jeune général de 21 ans qui remporta ce succès, il faut se représenter les effectifs en présence, la distance du secours le plus proche, la situation tactique de la troupe assaillante.

Le duc d’Aumale, quoique ayant laissé seulement 250 hommes à Boghar, était à la tête d’une faible colonne : 1.300 fantassins aux ordres du colonel Camou, soit deux bataillons du 33e de ligne et un de zouaves commandé par le lieutenant-colonel Chadeysson ; 600 chasseurs, spahis et gendarmes aux ordres du colonel Yusuf, soit trois escadrons de chasseurs avec le lieutenant-colonel Morris et trois escadrons de spahis ; une section de montagne ; une trentaine d’éclaireurs indigènes avec l’agha Ameur ben Ferath, et environ 300 irréguliers indigènes ; enfin un convoi de 800 chameaux et mulets.

Lorsque le Prince arriva inopinément en vue de la Smala, il disposait seulement d’une partie de sa cavalerie ; il avait en effet laissé l’artillerie et les zouaves fort loin en arrière, pour aller plus rapidement à la recherche de l’ennemi, et, beaucoup plus loin encore, le convoi escorté par les deux bataillons d’infanterie et 50 cavaliers. En face de lui, s’étendait l’immense agglomération de 40.000 âmes, capitale ambulante de l’Emir, contenant sa famille, ses richesses, ses troupeaux : « C’était grandiose et terrifiant », selon le sous-lieutenant du Barail, qui a donné un des plus émouvants récits de cette expédition, à laquelle assistait aussi le lieutenant Fleury[89].

Après un rapide conseil de guerre entre le duc d’Aumale, le colonel Yusuf et le lieutenant-colonel Morris, l’attaque immédiate fut décidée : « Nous nous précipitâmes à fond de train, a écrit du Barail, et tête baissée, dans cette mer mouvante, en poussant des cris féroces et en déchargeant nos armes. Je réponds qu’aucun de nous n’était plus fatigué, et que nos chevaux eux-mêmes avaient oublié les trente-deux heures de marche qu’ils avaient dans les jambes... Je renonce à décrire la confusion extraordinaire que notre attaque produisit au milieu de cette foule affolée et hurlante[90]. » L’effet de surprise avait été si complet que les pertes françaises furent minimes ; des tribus entières et d’innombrables troupeaux tombèrent aux mains des vainqueurs.

Le duc d’Aumale avait commis une faute en divisant sa colonne en trois tronçons ; mais, s’il était resté lié à son convoi, puis à ses zouaves, il n’eût peut-être pas atteint la Smala. Il avait d’ailleurs réparé cette faute en prenant sans hésiter la décision d’attaquer.

Bugeaud lui écrivit à ce sujet, de son bivouac : « Vous devez la victoire à votre résolution, à la détermination de vos sous-ordres, à l’impétuosité de l’attaque. Oui, vous avez bien fait de ne pas attendre l’infanterie ; il fallait brusquer l’affaire comme vous l’avez fait. Cette occasion presque inespérée, il fallait la saisir aux cheveux. Votre audace devait frapper de terreur cette multitude désordonnée. Si vous aviez hésité, les guerriers se seraient réunis pour protéger les familles ; un certain ensemble eût été mis dans leur défense, et le succès, à supposer que vous l’eussiez obtenu, eût été chèrement acheté. La décision, l’impétuosité, voilà ce qui constitue le vrai soldat[91]. »

 

Le général de la Moricière venait de fonder le poste de Tiaret ; il y avait laissé un bataillon d’infanterie et des approvisionnements, et cherchait à opérer de concert avec le duc d’Aumale lorsqu’il apprit l’heureuse nouvelle. Il tomba sur une nombreuse fraction des Hachem[92], qui avaient pu fuir lors du désastre de la Smala, et les ramena vers la plaine de Mascara. Les Douairs et les Smela qui l’accompagnaient, sous la conduite du général Mustapha ben Ismaël, recueillirent dans cette affaire un butin considérable.

Mustapha ben Ismaël avait hâte de revenir à Oran pour y ramener ses prises, et pour y retrouver une jeune femme qu’il venait d’épouser ; il obtint de La Moricière l’autorisation de se séparer de lui avec ses cavaliers, et s’engagea sur le territoire des Flitta. Attaqué par une cinquantaine de piétons, dans un défilé boisé où ses chevaux et mulets surchargés de butin encombraient le passage, il s’élança pour rétablir l’ordre : frappé d’une balle en pleine poitrine, il tomba mort. Ses cavaliers atterrés se débandèrent, abandonnant leur butin, et laissant même sur place le corps de leur agha[93].

Ses agresseurs apprirent, en voyant la mutilation faite à la main droite par une balle reçue à la Sikkak, qu’ils avaient tué Mustapha ben Ismaël. Sa tête et sa main furent portées à Abd el Kader, qui, voulant affecter quelque générosité vis-à-vis de son ennemi disparu, fit ensevelir ces sinistres trophées, au lieu de les exposer suivant la coutume.

Ce soldat magnifique, qui avait entraîné ses cavaliers dans tant de glorieux combats, tombait ainsi d’une façon obscure. Il avait su se faire apprécier non seulement par sa bravoure, mais aussi par son équité, et avait mérité, sous le règne des Turcs, le surnom de Mustapha el Haq (Mustapha la Justice).

Il était d’une loyauté absolue, que le colonel Walsin-Esterhazy admirait en ces termes : « Il avait donné sa parole à la France, et jamais, dans les circonstances qu’il eut à traverser avec nous, malgré les dégoûts dont il fut parfois abreuvé, son expérience des hommes et des choses du pays, son dévouement dans les combats, sa coopération dans les conseils, ne nous firent défaut toutes les fois qu’on voulut bien les invoquer. Les hommes de la trempe et du caractère de Mustapha ben Ismaël sont trop rares[94]. » Il fut regretté par toute l’armée française.

Il ne fut pas moins regretté par les Indigènes. Ses cavaliers n’osèrent pas, pendant plusieurs semaines, reparaître dans leurs douars, craignant la réprobation de leurs femmes pour leur conduite. Une poésie, chantée dans toute la province d’Oran, célébra ses vertus :

« Lorsqu’il s’élançait à la tête des goums, sur un coursier impétueux, l’animant des rênes et de la voix, les guerriers le suivaient en foule. Pleurons le plus intrépide des hommes, celui que nous avons vu si beau sous le harnais de guerre, faisant piaffer les coursiers chamarrés d’or. Pleurons celui qui fut la gloire des cavaliers...

« Qu’il était beau dans l’ivresse du triomphe, lorsque, sur le noir coursier du Soudan, à la selle étincelante de dorures, il apparaissait comme le génie de la guerre sur le dragon des combats !... Dieu est témoin que Mustapha ben Ismaël fut fidèle à sa parole jusqu’à la mort, et qu’il ne cessa jamais d’être le modèle des cavaliers[95]. »

C’était un grand serviteur de la France qui lui avait été enlevé. La Moricière alla razzier les Flitta pour les punir de cette agression[96].

 

Bugeaud s’efforça, pendant les sept derniers mois de l’année 1843, d’obtenir la soumission des Flitta et de l'Ouarenséris. De nombreuses colonnes s’employaient à cette tâche, conduites par les généraux de la Moricière, de Bourjolly, Bedeau, Changarnier, les colonels Yusuf, Géry, Pélissier, le lieutenant-colonel Le Flô, etc...

L’énumération de ces colonnes, avec quelques détails sur chacune d'elles, peut seule donner une idée, cependant bien incomplète, de l’effort fourni par l’armée d’Afrique pendant les premières années du gouvernement de Bugeaud. Le récit de ces opérations, déclare Pellissier de Reynaud, n'offre pas grand intérêt ; « mais l’historien n’est pas, comme le poète, maître de sa matière », et il est bien obligé d’exposer « cette stratégie de buissons », de laquelle peuvent d’ailleurs être dégagés d’utiles enseignements[97].

La guerre d’Afrique n’était pas capable à elle seule, Bugeaud le proclamait devant ses officiers, de former des troupes pour une campagne contre des armées européennes instruites et disciplinées ; mais elle était une « excellente école préparatoire » pour chefs et soldats. « Le général, disait-il, y étudie pratiquement toutes les importantes questions relatives au bien- être de ses soldats : approvisionnements, moyens de transport, etc. ; il apprend à les conduire et à user d’eux sans excéder leurs forces, à poser son camp, à se garder, etc. Les officiers et les soldats s’aguerrissent par des combats incessants, s’accoutument à la faim, à la soif, à la marche, sous toutes les températures, et aux privations de toute sorte sans se laisser démoraliser. Le difficile à la guerre n'est pas tant de savoir mourir que de savoir vivre. Les officiers, souvent engagés avec leurs bataillons et leurs compagnies dans les actions isolées, prennent l’habitude du commandement et de la responsabilité... Nous ne sommes ici qu’à l’école primaire, mais si nous savons profiter des leçons que nous y recevons, nous deviendrons certainement les meilleurs élèves des écoles secondaires[98]. »

Bugeaud répondait ainsi aux théoriciens de la Métropole, aux yeux de qui les militaires de l’armée d’Afrique n’étaient pas aptes à tenir leur rôle dans la guerre européenne. Léon Roches, en rapportant ces propos, remarquait au contraire combien le Maréchal comprenait la nécessité pour les généraux africains « d’apprendre l’art de la grande guerre ». En réalité, un Africain était parfaitement préparé à la guerre européenne, s’il voulait compléter son expérience pratique par les connaissances théoriques nécessaires. Par contre, un Métropolitain éprouvait des difficultés à réussir immédiatement en Afrique, d’abord parce qu’il avait souvent l’orgueil de se croire apte sans apprentissage, ensuite parce que cet apprentissage était assez long, même chez l’officier le mieux doué.

Il faut, pour bien mener la guerre africaine, et d’une manière générale la guerre coloniale, une connaissance approfondie du pays, du climat, des populations, de leurs mœurs et de leur mentalité. Seule cette connaissance permet de prendre des décisions relatives à l’action des troupes.

Léon Roches résumait en quelques lignes les conseils donnés en avril 1844, par les chefs indigènes dévoués, à deux députés, de Corcelles et de Beaumont, venus en voyage d’études :

« Restez forts, et toujours forts ; car le jour où les Arabes découvriraient que vous êtes faibles, ce jour-là ils oublieraient et votre clémence, et votre justice, et tous vos bons procédés, et, ne se souvenant que de vos deux titres, chrétiens et conquérants, ils vous jetteraient dans la mer qui vous a apportés[99]. »

Ce principe immanent de politique indigène, conditionnant les opérations militaires, n’a pas toujours été compris par les nouveaux venus. Il aurait dû être inscrit sur la lettre de service de tous ceux qui, à un titre quelconque, venaient participer aux affaires d’Afrique.

Les principes relatifs à la conduite même des colonnes se précisaient et se répandaient peu à peu, grâce à la persévérance de Bugeaud.

Le Maréchal ne se bornait pas à réunir les officiers à chaque occasion pour les leur professer ; il les mettait en pratique devant eux. Lors de l’organisation d’une colonne, il montrait, par ses longues conférences avec l’intendant général, quelle importance il attachait aux approvisionnements en vivres et en munitions, aux transports. Equipé toujours largement, il provoquait cette réflexion de Mustapha ben Ismaël : « Quand il va chasser le chacal, il s’arme comme s’il devait rencontrer le lion ». Il s’entourait, par l’intermédiaire de Léon Roches chargé d’interroger les Indigènes, de tous les renseignements sur la route, les ressources en eau, en bois, en grains[100]. Ces principes n’ont-ils pas, à une autre échelle, la même importance dans la guerre européenne ?

La composition des colonnes commençait à être plus appropriée au pays, à ses moyens de communication et à la tactique des Indigènes. Le colonel Yusuf, nommé commandant par intérim de la province de Titteri, fut chargé par Bugeaud, au mois de juillet 1843, de constituer une colonne légère capable d’atteindre les tribus émigrantes, les khalifas de l’Emir et l’Emir lui-même[101]. Il la forma avec 1.000 fantassins montés sur mulets, 500 spahis et chasseurs, de nombreux auxiliaires indigènes et 800 chameaux portant des vivres, sans laisser personne à pied. Il put faire avec cette colonne de fructueuses razzias, obtenir de nombreuses soumissions, et la ramener à Boghar en parfait état[102].

 

La pacification générale faisait de rapides progrès. Aussi le Gouvernement récompensait-il les principaux artisans du résultat obtenu. La Moricière et Changarnier avaient été nommés lieutenants généraux le 9 avril 1843. Bugeaud fut élevé, par décret du 31 juillet, à la dignité de maréchal de France.

La Moricière, Changarnier, Bedeau, émergeaient alors comme les grands lieutenants de Bugeaud. Du Barail les a caractérisés en des termes originaux et vrais :

« De la Moricière ! Le plus brillant officier de l’armée d’Afrique ; intrépide au feu ; le favori de la Victoire.

« Changarnier ! L’homme des ressources. Il sauve tout quand tout semble perdu. De nos désastres mêmes, il sait tirer des éléments de succès.

« Bedeau ! Administrateur par excellence ; a l’œil à tout, de la giberne au bouton de guêtre. Quand il a passé quelque part, on peut être sûr que tout y est en règle ; on peut sans crainte engager la bataille.

« Le maréchal Bugeaud est leur maître à tous. A lui seul il vaut tous les autres. Aucun de ses lieutenants n’arrive à l’épaule de ce véritable grand homme[103]. »

Bugeaud avait malheureusement un défaut : il faisait sentir à ses lieutenants sa supériorité en des termes parfois blessants ; il s’aliéna ainsi leur affection. Changarnier, le plus susceptible, quitta l’Algérie après des démêlés avec son chef occasionnés par des motifs futiles relatifs à ses inspections[104]. Ce fut une grande perte pour l’armée d’Afrique.

Le Maréchal devenait par contre de plus en plus populaire parmi les troupiers, parce qu’il s’intéressait aux détails de leur existence et cherchait à améliorer leur bien-être. Il allait souvent inopinément s’assurer de la qualité des vivres distribués, goûter la soupe, passer l’inspection des ceintures de flanelle, examiner le dos des chevaux et des mulets. Il allait même gourmander les combattants qui, sur la ligne de feu, s’exposaient inutilement, au lieu d’utiliser les abris naturels du terrain, et ceux qui faisaient une consommation excessive de munitions. Aussi, déclarait Léon Roches, « les soldats lui ont voué une reconnaissance qui brille dans leurs yeux quand ils le regardent, et qu’exprime leur intonation quand ils disent : le père Bugeaud 1[105]. »

Quand il était dur avec les Indigènes, c’était par nécessité. Il essayait d’adoucir la forme des razzias ; comme il le constatait d’ailleurs, les soldats français étaient plus humains que les cavaliers du goum, en particulier à l’égard des enfants : « Combien en avons-nous vu, écrit Léon Roches, prendre dans leurs bras ces pauvres petits êtres affolés de terreur et parvenir à les calmer, comme aurait pu le faire la mère la plus tendre ![106] »

A l’arrivée de la razzia au camp, Bugeaud veillait lui-même à l’exécution de ses ordres : femmes et enfants étaient installés sous des tentes requises à cet effet, et gardés par des factionnaires ; des chèvres ou des vaches laitières étaient choisies pour fournir le lait nécessaire aux enfants ; tous les prisonniers recevaient des vivres ; enfin, les troupeaux ne devaient pas être parqués avant d’avoir bu[107]. Ces traitements n’échappaient pas aux Indigènes, étaient colportés dans les tribus, et contribuaient à amener des soumissions.

Les efforts conjugués du Maréchal et de ses lieutenants portaient leurs fruits. Les mailles du réseau des colonnes se resserraient autour d’Abd el Kader, dont le camp fut atteint à plusieurs reprises. L’Emir perdait des tués, des prisonniers, des chameaux, sa tente même, mais parvenait à s’enfuir avec ses derniers fidèles[108].

Dans l’un de ces combats, livré le 22 septembre 1843, près des marabouts de Sidi-Youssef, 350 chasseurs d’Afrique du colonel Morris se précipitèrent sur les fantassins réguliers ; mais ils furent tout à coup abordés sur leur flanc par 400 cavaliers conduits par Abd el Kader en personne. Un épisode de cette lutte est resté célèbre. Le trompette Escoffier vit que le capitaine adjudant-major de Cotte venait d’avoir son cheval tué en abordant l’infanterie, et que, ne pouvant pas courir par suite d’une ancienne blessure à la hanche, il était voué à une mort certaine. Le brave trompette, avec une héroïque simplicité, mit pied à terre et dit à son chef : « Mon capitaine, prenez mon cheval ; c’est vous et non pas moi qui rallierez l’escadron[109]. » Le capitaine put ainsi contribuer largement au succès. Quant à Escoffier, il fut fait prisonnier, nommé brigadier et chevalier de la légion d’honneur pendant sa captivité, et reçut sa croix par un émissaire de Bugeaud à Abd el Kader[110].

L’allègement de la colonne du général Tempoure, engagée à la poursuite du khalifa Ben Allai, lui permit de surprendre le 11 novembre l’ennemi recherché, et d’engager avec lui à l’oued Kracheba un combat où le fidèle lieutenant d’Abd el Kader fut tué[111]. La charge de la cavalerie, commandée par le colonel Tartas, la marche rapide de l’infanterie suivant de près les escadrons avec le colonel Roguet, la lutte héroïque de Ben Allai contre plusieurs cavaliers français avant de mourir, sont restées célèbres dans les fastes de l’armée d’Afrique[112].

Les colonnes mobiles, appuyées sur les bases avancées de Tiaret, Teniet-el-Had et Boghar, étaient ainsi venues à bout des contingents d’Abd el Kader. La mort du khalifa Ben Allai et la destruction des restes des bataillons réguliers marquaient la fin de la puissance de l’Emir.

 

Les progrès de la pacification amenèrent Bugeaud à décider, le 15 décembre 1843, une organisation des troupes en divisions, subdivisions et cercles.

La division d’Alger comprit les subdivisions d’Alger, du Titteri, de Miliana et d'Orléansville ; la division d’Oran, les subdivisions d'Oran, de Mascara, de Mostaganem et de Tlemcen ; la division de Constantine, les subdivisions de Constantine, de Bône et de Sétif.

 

La population européenne, attirée, conseillée et aidée par le Gouverneur général, s’accroissait rapidement. Elle était passée, de 44.500 à la fin de 1842, à 65.000 à la fin de 1843.

La colonisation était, aux yeux de Bugeaud, le but de la conquête. L’armée devait donc y participer de toutes ses forces dès qu’elle n’était plus occupée par les nécessités de la guerre ; l’infanterie pouvait apporter, au développement économique de l’Algérie, une collaboration particulièrement utile :

« Si l’infanterie, écrivait Bugeaud à Soult, le 4 septembre 1843, est indispensable pour dominer le pays, elle ne l’est pas moins pour faire les grands travaux d’utilité publique et de colonisation, et, à cet égard, elle ne saurait être remplacée par aucune autre arme. Vous voulez, nous voulons tous faire avancer la colonisation civile, et vous reconnaissez, j’espère, que la création des villages, comme ceux de M. le colonel Marengo, est le plus puissant, le plus sûr, le plus économique des moyens ; comment l'appliquerons-nous, si vous réduisez l’infanterie ? J’espère que l’état de nos affaires nous permettra, dès cet hiver, de mettre six bataillons au moins à la disposition de M. le directeur de l’Intérieur, pour faire des villages, des défrichements et des chemins de communication[113]. »

La collaboration de l’armée d’Afrique à l’œuvre de colonisation, favorisée par le succès du 11 novembre, devait à son avis hâter le moment où la France recueillerait le fruit de ses sacrifices : « Une grande partie de l’armée, écrivait-il à Soult le 24 novembre, va être disponible pour les grands travaux publics et de colonisation. Elle pourra utiliser tous les crédits qu’à cet effet voteront les Chambres, et toutes les sommes qui pourront être prélevées pour cet objet sur la caisse coloniale. Les bras de nos soldats, qui ne coûtent que 0 fr. 40 centimes par huit heures de travail, exécuteront des choses qui demanderaient une dépense quintuple par des bras civils. Ainsi l’armée, tout en contenant les Arabes, tout en protégeant la colonisation, fécondera la conquête[114]. »

Partout, la culture était à l’honneur : « Il n’est plus question, écrivait le capitaine Ducrot de Miliana le 17 novembre 1843, que d’agriculture, de plantations ; les discussions roulent sur l’avantage de semer l’orge ou la pomme de terre dans tel ou tel terrain ; de planter des mûriers ou des peupliers, etc.[115] » D’après le jeune officier, son ordonnance et son jardinier s’entendaient mieux que lui à ces questions. Il fut cependant désigné par son colonel pour s’occuper des travaux agricoles entrepris par son régiment : « Je suis donc dans les légumes ! s’exclamait-il. J’ai été à Alger faire des achats de semences et choisir, au jardin d’essai, des plants de toute nature. J’ai vu le Gouverneur pour lui rendre compte du point où en sont les travaux[116]. » Bugeaud lui avait demandé « une foule de détails » et lui avait « donné d’excellents conseils », lui montrant ainsi l’importance de la tâche à accomplir.

Sans l’aide matérielle du Gouvernement général et des militaires, que fussent devenus les colons ? Beaucoup d’entre eux donnaient certainement un effort courageux ; mais il y avait aussi nombre d’établissements où, suivant Pellissier de Reynaud, « l’improbité des exploitants s’unissait à leur ignorance pour rendre infructueux de coûteux essais ». Les gérants de « malencontreuses compagnies qui s’étaient formées sans intelligence et sans connaissance des lieux » prenaient d’abord sur le fonds social l’entretien d’une maîtresse, les gages de domestiques, l’achat de chevaux de luxe, le prix de repas somptueux et de « soirées indiennes » ; « aussi, au lieu de dividendes, c’étaient sans cesse de nouveaux appels de fonds, quelquefois la déconfiture, et même la disparition du gérant avec ceux du dernier envoi[117]. »

Lorsque l’armée d’Afrique intervenait, tout changeait d’aspect. Les soldats travaillaient, défrichaient, ensemençaient : « On a presque fini, écrivait Bugeaud en juillet 1844, de défricher l’espace fixé pour chaque colon. Les bœufs et les charrues manquant pour ensemencer les terrains défrichés, j’ai employé les soldats depuis quinze jours à ensemencer avec la pioche. Par ce moyen, les colons auront une récolte sans laquelle nous aurions été contraints de les nourrir presque toute l’année prochaine. Ces malheureux ont épuisé toutes leurs ressources à construire leur petite maison et ils n’ont plus de quoi acheter des bœufs, des charrues, des outils aratoires, des semences. L’administration est obligée de leur fournir tous ces objets pour qu’ils ne meurent pas ou ne désertent pas le village[118]. »

Les défrichements faits par les soldats coûtaient en moyenne 177 fr. 50 l’hectare, tandis qu’avec des ouvriers civils, dont le recrutement en nombre suffisant eût d’ailleurs été impossible, ils eussent coûté, au prix moyen de 2 fr. 75 par jour, 11.000 francs l’hectare ! La seule comparaison des deux chiffres indique quels services les militaires ont rendu à la colonisation.

Le développement du commerce tenait, dans les préoccupations de Bugeaud, une place importante à côté de la colonisation. Le Gouverneur général désirait ouvrir à la Métropole des débouchés nouveaux, et constatait avec joie, à la fin de 1843, que les populations indigènes commençaient à préférer les cotonnades françaises aux anglaises[119].

 

Les grandes villes se développaient rapidement.

Alger devenait une vraie capitale. Cependant Bugeaud se plaignait de son manque de propreté, malgré les 62.000 francs dépensés pour l’obtenir. Il en rejetait la faute sur l’administration civile dont était dotée la ville, car les procès-verbaux étaient jugés parfois six ou huit mois après avoir été dressés, alors que le délinquant n’était plus là[120].

Oran était une garnison très appréciée, en particulier par le 2e régiment de chasseurs d’Afrique, caserné à la mosquée de Karguenta. Au début de 1844, écrit du Barail, « il y avait un bal masqué par semaine ; le brillant colonel Morris, des chasseurs d’Afrique, y battait volontiers des entrechats, déguisé en débardeur. Dans les superbes appartements qu’il occupait au Château-Neuf, le général de la Moricière en offrit un magnifique, où la femme de mon colonel, Madame de Montauban, en marquise de Pompadour, remporta la palme de la grâce piquante et de l’élégance[121]. »

Les postes militaires se transformaient en villes avec rapidité, sous la surveillance de Bugeaud lui-même. Orléansville comptait déjà, au début de janvier 1844, un certain nombre de maisons et 500 civils. Ténès avait une population de près de 1.000 Européens et quelques maisons en pierre. Dans ces deux postes, les aqueducs romains avaient été réparés, plusieurs milliers de trous avaient été creusés pour planter des arbres, et des terrains aménagés pour des pépinières[122]. « Une grande harmonie règne entre les bourgeois et les militaires, écrivait Bugeaud à Soult le 4 janvier 1844, ce qui n’est pas surprenant, car ce sont les troupes, en général, qui ont fait les travaux d’installation des bourgeois[123]. »

Sidi-bel-Abbès était, en février 1844, un camp où les troupes étaient installées au bivouac. Le sous-lieutenant du Barail s’y trouvait à ce moment, avec Yusuf et les spahis d’Oran ; il le décrit en ces termes : « Le poste se composait d’une redoute en terre à peine ébauchée. Comme unique construction, il y avait une boulangerie dont le propriétaire avait annexé à son industrie un bazar, aussi fructueux pour lui qu’agréable pour la troupe, ravitaillée par un convoi hebdomadaire d’Oran[124]. »

Les Trappistes avaient fondé en 1843 un établissement auquel Bugeaud prêta secours : « Nos soldats, écrivait-il à Soult, leur ont ensemencé une trentaine d’hectares et ont fait des plantations assez considérables. Quand M. de Corcelles viendra les voir, il tombera dans l’admiration de leurs travaux ; mais, au fait, c’est à nos soldats que cela est dû presque entièrement[125]. »

Il est difficile de se douter de la somme d’efforts, de peines, de vies humaines, fournis par l’armée d’Afrique pour créer et développer les villes, les villages, les routes, les établissements de toute sorte qui sont devenus la parure et la richesse de l’Algérie française.

Le développement des villes et des villages de création récente s’effectuait dans d’excellentes conditions parce qu’il était dirigé et surveillé par l’autorité militaire : « Qu’on vienne voir nos villes de l’intérieur, écrivait Bugeaud à Soult ; on y trouvera l’ordre et la propreté, sans commissaires de police, sans procès-verbaux, sans tracasseries, parce que chacun sait qu’il doit obéir. En un mot, il y a de l’autorité[126]. »

Bugeaud intervenait d’ailleurs personnellement même dans les villages civils ; il signalait au Directeur de l'Intérieur à Alger le trop grand nombre de cabarets, en déclarant que les dépenses faites par le Gouvernement et les fatigues endurées par les soldats, n’étaient pas destinées à favoriser l’établissement de ces débits.

Il estimait, comme le général Randon et la plupart des généraux, qu’il fallait étendre l’administration civile en Algérie le plus tard possible, « malgré les criailleries des folliculaires et quelques imbéciles de colons d’Alger[127]. » Il voyait des inconvénients, des dépenses et même des dangers à pareille mesure, et ajoutait : « Les Arabes, qui feront longtemps la grosse masse de la population ; ils ne peuvent être gouvernés que par les militaires, par ceux qui les ont vaincus, et dont les formes et le caractère se rapprochent davantage de leurs mœurs et de leurs formes[128]. »

 

Pour gouverner les Indigènes, Bugeaud avait rétabli, par un arrêté du 16 août 1841, la Direction des affaires arabes, créée par Damrémont le 15 avril 1837 et supprimée par Valée le 5 mars 1839.

Le directeur des affaires arabes avait autorité au nom du Gouverneur général sur les fonctionnaires indigènes, caïds, cheikhs, hakems, cadis, muphtis ; il était chargé des relations avec les tribus et des renseignements politiques et militaires.

Cette Direction prenait de plus en plus d’importance à mesure que la pacification s’étendait, et que le nombre des tribus soumises augmentait. Elle avait besoin d’être décentralisée.

Bugeaud décida, par un arrêté du 1er février 1844, d’instituer dans chaque division une direction des affaires arabes, sous l’autorité immédiate du général. Des « bureaux arabes » étaient en outre institués : de première classe, dans chaque subdivision, aux ordres directs du général ; de deuxième classe, dans tout autre point occupé par l’armée où le besoin en serait reconnu, aux ordres de l’officier commandant. Ces divers bureaux dépendaient des divisions militaires dans lesquelles ils se trouvaient.

Les directions divisionnaires et les bureaux arabes étaient chargés des traductions et rédactions arabes, de la préparation et de l’expédition des ordres aux Indigènes, de la surveillance des marchés, et des comptes rendus au gouverneur général sur la situation politique et administrative du pays.

La direction d’Alger devait, en sus de ses attributions de direction divisionnaire, centraliser le travail des directions d’Oran et de Constantine, réunir et conserver les archives et préparer les rapports d’ensemble à envoyer au Ministre de la Guerre. Aussi prenait-elle le nom de Direction centrale des affaires arabes, et fonctionnait-elle sous l’autorité du Gouverneur général.

Les directions et bureaux arabes avaient une composition déterminée, et leur personnel recevait des allocations spéciales[129]. Ainsi était créé un organisme permettant de pratiquer une politique générale à l’égard des Indigènes et de suivre partout leurs affaires avec intérêt. Le lieutenant-colonel Daumas, désigné comme directeur central, rédigea, grâce à sa grande connaissance des populations, un code des mesures administratives et judiciaires applicables aux tribus.

Les « bureaux arabes », dont Bugeaud fixa la liste, allaient être appelés par la suite à rendre d’immenses services à l’influence française.

 

Les opérations devenaient, en 1844, moins importantes et plus lointaines. Il fallait aller vers le Sud chercher les derniers partisans d’Abd el Kader.

Le duc d’Aumale, qui avait succédé en décembre 1843 à Baraguey d’Hilliers à la tête de la division de Constantine, s’empara de Biskra au début de mars 1844 ; il organisa une compagnie de 300 tirailleurs indigènes pour occuper la Casba, et donna au caïd un goum de 50 cavaliers des tribus[130]. Quelques semaines plus tard, les trois officiers français de la compagnie furent assassinés par leurs tirailleurs indigènes, fait exceptionnel dans l’histoire de l’armée d’Afrique ; seul un sergent-major parvint à se sauver. Le duc d’Aumale dut aller installer dans le nouveau poste une garnison française.

Le général Marey organisa, pour opérer dans le sud de la province d’Alger, une colonne mobile montée sur chameaux, à la suite des expériences faites par le commandant Carbuccia[131]. Sa colonne comprenait un chameau pour deux hommes ; l’animal portait les sacs, les vivres, et un des deux hommes, chacun marchant à pied à tour de rôle. Elle pouvait parcourir 50 à 60 kilomètres par jour[132].

Les subdivisions du Nord étaient assez calmes. Le colonel Cavaignac eut cependant, aux environs d'Orléansville, un incident pénible. Ayant à punir les Sbéa d’une agression, il dut les assiéger dans des grottes où ils s’étaient réfugiés avec leurs familles, et les enfumer pour les faire sortir : sept femmes et cinq enfants périrent victimes de ce procédé[133].

Le maréchal Bugeaud opéra aux abords immédiats de la Kabylie, occupant Dellys et infligeant des pertes sensibles aux partisans kabyles du khalifa d’Abd el Kader, Ben Salem ; mais il n’entra pas dans le massif, par suite de l’insuffisance de ses effectifs, et des nouvelles inquiétantes venues de la frontière marocaine[134].

Le général Bedeau, commandant la subdivision de Tlemcen, était obligé de se garder contre Abd el Kader, réfugié en terre marocaine, au sud d’Oudjda, avec quelques centaines de réguliers et 800 cavaliers auxiliaires. Le général de la Moricière établit à Sebdou et à Saïda des postes qui ne suffirent pas à garantir la frontière[135]. La construction du poste de Lalla-Maghrnia amena des incursions hostiles des Marocains[136], si bien que le maréchal Bugeaud arriva le 12 juin à ce poste avec des renforts. L’agression des Marocains le 15 juin contre le général Bedeau, au cours d’une entrevue avec le caïd d’Oudjda[137], obligea Bugeaud à aller jusqu’à Oudjda montrer sa force dans la ville[138].

Des instructions de prudence étaient données par le Gouvernement au prince de Joinville, envoyé sur les côtes du Maroc avec une division navale, et au maréchal Bugeaud. La guerre avec le Maroc paraissait néanmoins inévitable. Comme le Prince était autorisé à commencer les hostilités en cas d’insulte au pavillon[139], le Maréchal lui persuada que les agressions commises à la frontière constituaient bien une insulte au drapeau. Joinville bombarda le 6 août les batteries de Tanger et se porta sur Mogador. A cette nouvelle, Bugeaud décida d’aller attaquer le camp marocain établi sur l’oued Isly[140].

 

La bataille de l’Isly devait se dérouler telle que Bugeaud l’avait conçue. L’illustre Maréchal la dépeignit par avance dans sa lettre du 11 août au maréchal Soult[141] ; il en décrivit la forme, avec verve et précision, dans des conversations familières.

Une scène légendaire est la réception organisée le soir du 12 août par les officiers du 2e chasseurs d’Afrique en l’honneur des escadrons du 1er chasseurs d’Afrique et du 2e hussards arrivés en renfort le matin :

« Sur les bords de l’Isly, a écrit Léon Roches, ils avaient improvisé un vaste jardin dont l’enceinte et les allées étaient formées par de splendides touffes de lauriers-roses et de lentisques. Des portiques en verdure garnissaient l’allée principale conduisant à une vaste plate-forme également entourée de lauriers-roses. Tout cet emplacement était splendidement illuminé par des lanternes en papier de diverses couleurs[142]. »

Les officiers du camp se trouvaient réunis. La Moricière et Bedeau avaient accepté l’invitation. Bugeaud, fatigué, se reposait sous sa tente, et nul n’osait troubler son sommeil. Son secrétaire-interprète, Léon Roches, sachant quel plaisir il éprouverait à se trouver au milieu de ses compagnons, n’hésita pas à aller le réveiller. Il fut mal reçu ; mais le Maréchal, qui couchait tout habillé, se coiffa de sa casquette au lieu de son bonnet de coton, et fit route avec Roches en maugréant, à travers les inégalités du sol, les cordes des tentes et les piquets des chevaux.

Les petites contrariétés du trajet furent vite oubliées. « A peine, en effet, le Maréchal était-il entré dans l’allée principale, qu’il fut reconnu et salué par d’enthousiastes acclamations. Chacun voulait le voir ; les officiers supérieurs, les généraux, n’avaient pas seuls le privilège de lui toucher la main[143]. »

Le colonel Tartas, au nom de la cavalerie, reçut le Maréchal, entouré des colonels Yusuf, Morris et Gagnon, et de tous les officiers réunis.

« Sur le sol débarrassé de ses broussailles, a écrit du Barail, on avait disposé des bols de punch dont les flammes bleues, mariées à la lueur des bougies supportées par des baïonnettes fichées en terre, éclairaient la réception... Dans les gamelles de campement qui représentaient les bols de punch, chacun puisa avec son quart de fer blanc, et le Maréchal, un quart à la main, porta un toast à la cavalerie.

« Son plus grand bonheur était de se trouver au milieu des officiers de son armée, de leur parler, de leur expliquer les manœuvres qu’il leur commanderait et ce qu’il attendait d’eux. Il excellait dans ces harangues familières, sans recherches, mais claires et précises. Celle qu’il nous adressa ce soir-là... est restée dans ma mémoire comme un modèle d’éloquence militaire[144]. »

Le Maréchal mit les officiers en garde contre les exagérations relatives aux effectifs ennemis ; d’ailleurs, « plus il y en aura, disait-il, plus nous en abattrons ». Il leur expliqua la marche de sa « tête de porc », aux quatre côtés se soutenant mutuellement et prêts à se mettre en carré ; puis le rôle de la cavalerie, lancée sur l’ennemi.

Tous les assistants furent émus et enthousiasmés : « Comment pouvoir décrire, a écrit Léon Roches, l’effet produit par le discours du Maréchal dont je rends le fonds, mais sans cette forme originale que revêtait sa parole si bien faite pour remuer la fibre du soldat ![145] »

« Je ne puis pas dire, constate aussi du Barail, quel effet produisirent sur nous ces paroles enflammées... La voix de ce grand homme me semble encore vibrer dans mon oreille... Le Maréchal joignit le geste à la parole, se forma lui-même en colonne d’attaque et fonça sur le groupe qui était devant lui, bousculant le général de la Moricière, ce qui nous mit tous en gaieté. Puis, le punch aidant, toute étiquette disparut dans cette masse d’officiers, heureux de se trouver ensemble et d’acclamer d’avance leurs succès futurs.

« Je vois encore d’ici un capitaine du 2e de chasseurs d’Afrique, le capitaine Lecomte. Il voulait à toute force que le Maréchal bût un second verre de punch. — Mais, capitaine Lecomte, je ne veux plus boire, disait Bugeaud. — Trinquez toujours, monsieur le Maréchal, ripostait Lecomte, je boirai pour vous[146]. »

Le capitaine Lecomte était un des officiers coutumiers d’incartades, à qui on pardonnait beaucoup, parce qu’ils montraient la même gaieté devant la mort qu’au cours de leurs fredaines.

« Nous passâmes là, concluait du Barail, une soirée délicieuse, autour de ce bon et illustre Maréchal, qui pouvait sans inconvénient se montrer familier avec nous, parce que, sans effort, nous étions tous respectueux et que son abandon ne faisait que surexciter notre déférence[147]. »

Cette réception, organisée dans des circonstances devenues historiques, est le type de celles qui se sont perpétuées dans l’armée d’Afrique, empreintes d’enthousiasme et de camaraderie, et où la cordiale familiarité des chefs n’a jamais nui à l’affectueux respect de leurs subordonnés pour eux.

La bataille de l’Isly, le 14 août, fit ressortir la valeur des troupes françaises. Les soldats étaient animés d’une ardeur superbe. Lorsqu’après avoir marché en silence depuis 1 heure du matin, ils aperçurent à 6 heures les camps marocains, ils « poussèrent un hurrah formidable et jetèrent en l’air la canne servant à soutenir leur tente-abri pendant la nuit et leur sac pendant les haltes du jour[148]. » Ils appelèrent ce champ par la suite, dans leurs conversations, le « champ des cannes ».

Toutes les armes, tous les corps rivalisèrent d’élan, d’énergie, de courage, de solidarité, enlevant le camp du fils du Sultan du Maroc, et mettant en fuite ses nombreux contingents, sans éprouver de pertes importantes[149]. L’armée d’Afrique, magnifiquement entraînée, était à son apogée.

Bugeaud et ses généraux s’étaient aussi bien formés à la politique indigène qu’à la tactique africaine. Ils avaient appris à connaître les populations de l’Afrique du Nord, les procédés de gouvernement à employer avec elles, les conditions à leur imposer dans un traité.

Le Maréchal fut indigné lorsqu’il connut les termes du traité de Tanger, dont certains articles étaient peu en harmonie avec la force de la France et la faiblesse du Maroc. Il écrivit à Soult que les erreurs commises coûteraient à la France « bien de l’argent et bien des soldats », et lui fit les remarques suivantes :

« L’armée de terre avait du temps devant elle ; rien ne la poussait à précipiter la conclusion, comme on l’a fait à Tanger ; et enfin, il y avait là des hommes d’expérience qui auraient pu influencer d’une manière fort heureuse MM. les diplomates[150]. »

Cette vérité n’est pas particulière aux campagnes d’Afrique. Dans toute guerre, les chefs militaires, capables mieux que d’autres de mesurer la valeur de leur victoire, sont les conseillers qualifiés pour indiquer aux diplomates les limites des exigences à maintenir. Mais, dans les questions de tout genre en Afrique du Nord, la collaboration étroite des autorités militaires et des autorités civiles a toujours servi plus qu’ailleurs, lorsqu’elle a pu se réaliser, à accroître le prestige et l’influence de la France.

 

 

 



[1] Le détail en est exposé dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 274 à 294.

[2] Le lieutenant général Bugeaud au maréchal Soult, de Mostaganem, 10 septembre 1842 (original de 15 pages).

[3] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 137 et 138.

[4] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 113.

[5] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 139.

[6] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 141.

[7] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 141.

[8] Mémoire de proposition pour colonel, par La Moricière, Mascara, 3 avril 1842. Archives administratives du Ministère de la Guerre, dossier P. H. P. Renault.

[9] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 122.

[10] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 19 décembre 1841-2 février 1842, Lettres d’un soldat, page 189.

[11] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 19 décembre 1841-2 février 1842, pages 192-193.

[12] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 31 mars 1842. Lettres d’un soldat, pages 211 et 212.

[13] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 146.

[14] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 147.

[15] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 8 mars 1842. Lettres d'un soldat, page 209.

[16] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 31 mars 1842. Idem, pages 211 à 219. — Voir aussi : Journal des marches et opérations de la division (de Mascara), colonne sous les ordres du général de la Moricière du 1er au 31 mars 1842, Oran, 30 avril 1842, signé par le chef d’état-major A. Pélissier (original).

[17] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 8 mars 1842. Lettres d'un soldat, page 221.

[18] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 157.

[19] Le lieutenant général Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 14 avril 1842 (original).

[20] Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, du bivouac sous Cherchell, 7 avril 1842. Lettres, tome I, page 381.

[21] Mémoires du général Changarnier, page 230.

[22] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Mascara, 3-7 avril 1842. Lettres d'un soldat, pages 228-229.

[23] Lettres d'un soldat, page 230.

[24] Mémoires du général Changarnier, page 216.

[25] Le lieutenant général de Négrier au maréchal Soult, de Constantine, 11 juillet 1842 (original).

[26] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 19 décembre 1841-2 février 1842. Lettres d'un soldat, page 190.

[27] Montagnac, Lettres d'un soldat, pages 204-208-209.

[28] Le maréchal duc de Dalmatie, président du Conseil, ministre secrétaire d’Etat de la Guerre, au lieutenant général Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, de Paris, 18 février 1842 (original).

[29] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Mascara, 3-7 avril 1842. Lettres d’un soldat, page 226.

[30] Lettres d’un soldat, page 234.

[31] Mémoires du général Changarnier, page 230.

[32] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 154-155.

[33] Mémoires du maréchal de Mac-Mahon, page 161.

[34] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 223.

[35] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l’Islam, tome II, page 349. Comme Léon Roches, parti d’Alger pour l’Orient fin juillet 1841, y revint seulement en juin 1842, la scène à laquelle il assista est postérieure à l’expédition de janvier-février 1842 sur Tlemcen.

[36] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 158 et 159.

[37] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 158.

[38] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Mostaganem, 25 novembre 1841. Lettres d’un soldat, page 182.

[39] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 8 mars 1842. Lettres d’un soldat, page 209.

[40] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Mascara, 31 mars 1842. Lettres d’un soldat, page 222.

[41] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 168 et 169.

[42] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 169.

[43] Le lieutenant-colonel Morris, commandant supérieur à Boufarik, au colonel Gaja, commandant supérieur du territoire d’Alger ; de Boufarik, 11 avril 1842 (original).

[44] Le lieutenant-colonel Morris au colonel Gaja, de Boufarik, 13 avril 1842 (original).

[45] Ordre général donné par le lieutenant général Bugeaud, au Quartier Général, à Alger, le 14 avril 1842 (copie). — Supplément à cet ordre, à Alger, le 17 avril 1842.

[46] Le gouverneur général Bugeaud au lieutenant-colonel Morris, d’Alger, 17 avril 1842 (copie).

[47] Note du Ministre à l’encre rouge, sur la lettre de Bugeaud au Ministre, d’Alger, 15 avril 1842 (original).

[48] Le Ministre de la Guerre au lieutenant général Bugeaud, gouverneur général, de Paris, 30 avril 1842 (minute).

[49] Décision ministérielle du 18 juin 1842 portant que les possessions françaises dans le Nord de l’Afrique formeront trois divisions militaires ou circonscriptions administratives. Paris, 30 juin 1842. Journal militaire officiel, année 1842, 1er semestre, page 704.

[50] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 176.

[51] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 178.

[52] Le commandant de Montagnac à M. de Leuglay, de Philippeville, 3 septembre 1842. Lettres d’un soldat, page 270.

[53] Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud, à son frère, de Miliana, 1er juillet 1842. Lettres, tome I, page 403.

[54] Lettres, tome I, page 404.

[55] Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud, de Miliana, 4 juillet 1842 à son frère, 22 juillet 1842 à Madame de Forcade. Lettres, tome I, pages 405 à 409 et 415 à 417.

[56] Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 1er août 1842. Lettres, tome I, page 420.

[57] Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 12 août 1842, Lettres, tome I, page 424.

[58] Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 12 et 15 septembre 1842. Lettres, tome I, page 428.

[59] Mémoires du général Changarnier, page 264.

[60] Mémoires du général Changarnier, pages 266 à 268.

[61] Mémoires du général Changarnier, page 269.

[62] Le lieutenant-général Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 25 septembre 1842. Cabinet (original de 3 pages de sa main).

[63] Quatrelles l’Epine, Le maréchal de Saint-Arnaud, page 279.

[64] Mémoires du général Changarnier, pages 270 et 275.

[65] Le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud à son frère, de Miliana, 30 septembre 1842. Lettres, tome I, pages 430-431.

[66] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 188.

[67] Mémoires du général Changarnier, page 280.

[68] Le commandant de Montagnac à M. de Leuglay, de Philippeville, 3 septembre 1842. Lettres d’un soldat, page 271.

[69] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre 1842. Lettres d’un soldat, pages 272 et 273.

[70] Le gouverneur général Bugeaud au maréchal Soult, d'Alger, 15 novembre 1842, 1re lettre (original de 2 pages de sa main).

[71] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre 1842. Lettres d’un soldat, page 273.

[72] Lettres d’un soldat, page 274.

[73] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre 1842. Lettres d'un soldat, pages 274-275.

[74] Lettres d'un soldat, page 275.

[75] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 22 novembre 1842. Lettres d'un soldat, page 276.

[76] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 4 février 1842. Lettres d'un soldat, pages 289-290.

[77] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Philippeville, 6 janvier 1843. Lettres d'un soldat, page 284.

[78] Le commandant de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, de Philippeville, 14 décembre 1842. Lettres d'un soldat, page 282.

[79] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 15 mars 1843. Lettres d'un soldat, pages 290-293.

[80] Lettres d'un soldat, pages 294-297.

[81] Le général Baraguey d’Hilliers au maréchal Soult, de Constantine, 14 mars 1843 (original).

[82] Le commandant de Montagnac à Elizé de Montagnac, de Philippeville, 15 mars 1843. Lettres d'un soldat, page 301.

[83] Ordre général n° 169 bis, du 26 avril 1843 (original).

[84] Le gouverneur général Bugeaud au maréchal Soult, près de Ténès, 29 avril 1843 ; et P. S. de Ténès, 2 mai 1843 (original).

[85] Le gouverneur général Bugeaud au maréchal Soult, du bivouac du Khemis-des-Sendjafs, 4 juin 1843 (original).

[86] Le lieutenant général Changarnier au maréchal Soult, du bivouac de Teniet-el-Had, 23 mai 1843 (original).

[87] Le maréchal de camp Henri d’Orléans, commandant la province de Titteri, au lieutenant-général Changarnier, du bivouac de Chaabounia, sur l’Oued Oueurk, 20 mai 1843 (original de 5 pages).

[88] Voir ce récit dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 298 à 302.

[89] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 192-209.

[90] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 206-207.

[91] Le gouverneur général Bugeaud au général duc d’Aumale, 23 mai 1843 (original).

[92] Le lieutenant général de la Moricière au chef de bataillon Maissiat, commandant supérieur de Tiaret, 19 mai 1843 (copie). — Le même au gouverneur général de l’Algérie, du bivouac sur l’Oued Tligate, près de Tiaret, 22 mai 1843 (original).

[93] Le maréchal de camp Thiéry, commandant la subdivision d’Oran, au Gouverneur général de l’Algérie, d’Oran, 25 mai 1843 (original).

[94] Colonel Walsin-Esterhazy, Notice historique sur le Maghzen d'Oran, page 176.

[95] Colonel Walsin-Esterhazy, Notice historique sur le Maghzen d'Oran, pages 177-178.

[96] Le lieutenant général de la Moricière au gouverneur général Bedeau, du bivouac de Kef-el-Azreg, sur le Menasfa, 9 juin 1843, rapport n° 182 (copie).

[97] E. Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, tome III, page 7.

[98] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 346-347.

[99] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 328.

[100] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 348.

[101] Le gouverneur général Bugeaud au colonel Yusuf, commandant les spahis d'Alger, 16 juillet 1843 (copie).

[102] Le colonel Yusuf au maréchal Bugeaud, datée d’Alger, 18 juillet 1843 (il faut lire 18 août) (original de 10 pages).

[103] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 218.

[104] Le capitaine Ducrot à son grand-père, de Miliana, 28 septembre 1843. La vie militaire du général Ducrot, tome I, pages 125 et 126.

[105] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 350-351.

[106] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 344.

[107] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, pages 344-345.

[108] Le lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, au Gouverneur général de l’Algérie, à Alger, du bivouac sur l’Oued Berbour, 26 août 1843 (original de 11 pages). — Le colonel Géry, du 56e, commandant la subdivision de Mascara, au lieutenant général de la Moricière, du bivouac sur l’Oued Tifrit, 13 septembre 1843 (original).

[109] Le lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, au maréchal Bugeaud, d’Ouïzert, 28 septembre 1843 (copie signée par La Moricière, pour le Ministre).

[110] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 19 janvier 1844, 2eme P. S., du 20 janvier (original). — Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 214-215. — Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome IL pages 379-380.

[111] Le maréchal de camp Tempoure, commandant la subdivision de Mascara, au lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, de Sidi-bel-Abbès, 15 novembre 1843 (original).

[112] Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 308-311.

[113] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 4 septembre 1843 (original).

[114] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 24 novembre 1843 (original).

[115] Le capitaine Ducrot à son grand-père, de Miliana, 17 novembre 1843. La vie militaire du général Ducrot, tome I, page 127.

[116] Le capitaine Ducrot à son grand-père, de Miliana, 10 janvier 1844. La vie militaire du général Ducrot, tome I, page 130.

[117] E. Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, tome II, page 341.

[118] Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).

[119] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 18 novembre 1843 (original).

[120] Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).

[121] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 222.

[122] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d'Orléansville, 10 octobre 1843 ; suite de Ténès, 14 octobre 1843 ; P. S. d’Alger, 15 octobre 1843 (original). — Le même au même, d’Alger, 4 janvier 1844 (original).

[123] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 janvier 1844 (original).

[124] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 227.

[125] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 février 1844 (original).

[126] Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).

[127] Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 29 janvier 1844 (original).

[128] Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult, d’Alger, 15 juillet 1844 (original).

[129] Arrêté du 1er février 1844 portant création d’une direction des affaires arabes dans chaque division militaire de l’Algérie, et de bureaux désignés sous le nom de bureaux arabes dans chaque subdivision. Journal militaire officiel, année 1844, 1er semestre, pages 52-54.

[130] Le lieutenant général Henri d’Orléans, commandant supérieur de la province de Constantine, au maréchal Bugeaud, gouverneur général de l’Algérie, de Batna, 22 mars 1844, rapport (original de 12 pages).

[131] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, à un général, d’Alger, 31 janvier 1844 (copie).

[132] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Alger, 29 janvier 1844 (original).

[133] Le colonel Cavaignac, commandant la subdivision d’Orléansville, au lieutenant général de Bar, commandant la division d’Alger, d’Orléansville, 14 juin 1844 (original).

[134] Le maréchal Bugeaud au Ministre de la Guerre, d’Alger, 30 janvier 1844 (original). — Le même au même, 11 mai 1844, 13 mai 1844, 18 mai 1844 (originaux). — Le même au même, de Dellys, 26 mai 1844 au matin (original).

[135] Le maréchal Bugeaud au lieutenant général de la Moricière, commandant la province d’Oran, d’Alger, 8 janvier 1844 (copie). — Le lieutenant général de la Moricière au maréchal Bugeaud, d’Oran, 5 avril 1844 (original).

[136] Le lieutenant général de la Moricière au maréchal Bugeaud, du camp sous Lalla-Maghrnia, 30 mai 1844, 10 heures du soir (copie). — Le même au même, 2 juin 1844 (copie) et 9 juin 1844 (original).

[137] Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, de Lalla-Maghrnia, 16 Juin 1844 (original).

[138] Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, d’Oudjda, 19 juin 1844, confidentielle (original).

[139] Instructions du Ministre de la Marine au prince de Joinville, citées dans la lettre de Bugeaud à Soult, de Lalla-Maghrnia, 1er août 1844 (original).

[140] Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, du bivouac près de Lalla-Maghrnia, 11 août 1844 (original).

[141] Le maréchal Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, Président du Conseil, du bivouac près de Lalla-Maghrnia, 11 août 1844 (original).

[142] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 399.

[143] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 400.

[144] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 244-245.

[145] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 401.

[146] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, pages 246-247.

[147] Général du Barail, Mes souvenirs, tome I, page 248.

[148] Léon Roches, Trente-deux ans à travers l'Islam, tome II, page 402.

[149] Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 322 à 324.

[150] Le maréchal Bugeaud, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 22 septembre 1844 (original).