Valée
avait de la modestie, qualité portant généralement préjudice dans la vie
militaire ou politique. Il avait accepté de commander l’artillerie de
l’expédition de Constantine sous les ordres de Damrémont, qui était capitaine
en Espagne alors qu’il était déjà divisionnaire. Nommé
gouverneur général par intérim des possessions françaises dans le Nord de
l’Afrique le 25 octobre 1837, il demanda instamment au comte Molé à rentrer
en France, en invoquant son état de santé. Son élévation le 12 novembre à la
dignité de maréchal de France lui permit difficilement de persister dans son
refus[1]. Il
consentit alors à rester quelque temps, mais avec l’espoir d’être bientôt
remplacé : « En Afrique, écrivit-il le 22 novembre au général Bernard,
ministre de la Guerre, moins que partout ailleurs, une autorité provisoire ne
peut faire le bien... Il faut, pour réussir dans la mission difficile
d’asseoir l’influence de la France dans cette partie de ses possessions, un
chef habile, ferme, dévoué, et qui surtout ait devant lui un long avenir[2]. » Il fut nommé Gouverneur
général le 1er décembre. Ainsi,
par une exception à la règle habituelle, se modestie avait à deux reprises
successives contribué à lui valoir de plus hauts honneurs. Valée était-il le
chef qui convenait pour pacifier la nouvelle région conquise, organiser les
troupes, et leur tracer leur tâche future dans les Possessions françaises du
Nord de l’Afrique ? Ses
subordonnés l’ont apprécié de manière très différente. Saint-Arnaud
écrivait à son frère : « Le Maréchal est entier. Il veut le bien, croit y
travailler, et, si on lui refuse les moyens de parvenir à son but, il s’en
ira. Pauvre Afrique, pauvre France ! Les Députés marchandent la gloire comme
un paquet de chandelles[3]. » Changarnier,
un de ceux qui l’ont approché de plus près, l’analyse en ces termes : « A
l’âge où l’on ne se réforme guère, le nouveau Maréchal, secouant les préjugés
et les petitesses d’un homme vieilli dans une spécialité, ne tarda pas à
prendre l’ampleur de vues d’un véritable chef d’armée. Doué d’un esprit très
fin, très cultivé, il préférait les lettres à la société des hommes. Intègre,
dévoué à ses devoirs et à la France, peu disposé à vanter ses propres
services, il était détesté des intrigants et des hâbleurs, qu’il méprisait.
C’est un des caractères les plus purs que j’aie connus[4]. » Du
Barail exprime une autre opinion : « Le maréchal Valée, officier du premier
Empire, général d’artillerie de premier ordre, n’avait jamais exercé le
commandement des troupes. Au moment où le coup de canon qui tua le général
Damrémont le mit à la tête de l’armée d’Afrique, il était arrivé à un âge où
l’on reste figé dans son passé et où l’on n’a plus assez de plasticité pour
se transformer, pour apprendre ce que l’on n’a jamais su[5]. » L’intégrité
du caractère de Valée et la pureté de ses intentions ne faisaient pas de
doute. Sa valeur comme chef et comme organisateur ne pouvait être appréciée
que dans l’exercice de son nouveau commandement. L’expédition
de Constantine n’avait abouti à l’assaut de la ville que par suite de
l’impossibilité, malgré les efforts déployés et les concessions proposées, de
traiter avec le bey Ahmed. Le Gouvernement français avait l’intention de
laisser l’administration des Indigènes de l’intérieur à des chefs indigènes,
en principe à ceux déjà en place. Le refus d’Ahmed de s’entendre avec
Damrémont forçait la France à se charger de l’administration du beylik de
Constantine. Ainsi se trouvait modifié, par la force des circonstances, le
système que le Gouvernement se proposait d’appliquer. Le chef
d’escadrons Yusuf, qui se trouvait à Paris et suivait les événements,
demandait au Ministre de la Guerre d’employer une nouvelle méthode
d’occupation. Il lui recommandait « le concours d’instruments indigènes »,
car, assurait-il, « un œil européen ne saurait saisir les mille nuances qui
distinguent les hommes et les choses en Afrique. » Il ne dissimulait pas son
désir d’être l’agent de la France, afin de rayonner au loin sur les
populations : « Je propose, concluait-il, une occupation qui rendra Constantine
le grand marché de toutes les tribus, le centre d’une vaste influence,
l’avant-poste de notre civilisation, liée au littoral non par des camps, mais
bien par la sécurité elle-même qui enveloppera toute la province[6]. » Il
fallait d’abord assurer l’occupation de Constantine. Le colonel Bernelle,
arrivé après la prise de la ville avec un renfort, fut désigné comme
commandant supérieur. La garnison constituée sous ses ordres compta 115
officiers et 2.839 hommes, qui se décomposaient ainsi : 1er et 2e bataillons
du 61e régiment de ligne (colonel Mompez), 3e bataillon d’Afrique (chef de
bataillon Montréal),
bataillon des tirailleurs d’Afrique (chef de bataillon Paté), compagnie franche du 2e
bataillon d’Afrique (capitaine de Jourdan), deux batteries d’artillerie,
trois compagnies du génie, un escadron de cavalerie, et une cinquantaine de
spahis réguliers[7]. Le
corps expéditionnaire quitta Constantine le 29 octobre et rejoignit Bône le 3
novembre sans tirer un coup de fusil, après avoir laissé des garnisons dans
les camps intermédiaires ; il fut approvisionné en cours de route par les
populations indigènes. Valée organisa néanmoins un convoi pour la ville ; il
décida qu’Horace Vernet, annoncé par le Roi comme venant peindre un tableau
représentant la prise de Constantine, partirait avec ce convoi[8]. Le fameux artiste arriva à
Bône le 8 novembre[9]. Le
Ministre de la Guerre, jugeant trop faible l’effectif laissé à Constantine,
décida de le porter à 4.500 ou 5.000 hommes, afin de bien assurer la garde de
la ville et de ses communications avec Medjez-Amar[10]. Il pensa aussi que le colonel
Bernelle, qui s’était montré médiocre administrateur à la tête de la légion
étrangère en Espagne, était peu qualifié pour rester commandant supérieur de
Constantine, et serait plus à sa place dans la troupe[11]. Valée
considérait la garnison de 2.900 hommes à Constantine comme suffisante ; il
prescrivit néanmoins à certaines troupes d’escorte du convoi, le 26e de ligne
et des cavaliers, de rester dans la ville, de manière à porter l’effectif à
4.500 hommes, sans compter 400 hommes recrutés parmi les habitants. Pour le
commandement de Constantine, il déclara au Ministre n’avoir pu désigner ni le
général Rullière, très fatigué par la campagne, ni le général Trézel, « peu
propre à remplir cette mission difficile » ; si, entre le colonel Bernelle et
le colonel Duvivier, il avait choisi Bernelle, c’est parce que Duvivier avait
sur les affaires d’Afrique des opinions différant complètement des siennes,
en particulier au point de vue du gouvernement des Indigènes. Il désigna donc
le général de Négrier, alors à Alger, et il laissa Bernelle sous ses ordres.
Il jugea par contre impossible d’établir, comme le désirait le Ministre, un
poste intermédiaire entre Medjez-Amar et Constantine[12]. L’état
sanitaire des troupes du corps expéditionnaire laissait beaucoup à désirer. A
Constantine, trois hôpitaux avaient été établis dès les premiers jours de
l’occupation, avec le matériel des ambulances. Le 20 octobre, ils contenaient
795 malades, soit 491 fiévreux et 304 blessés ; ce jour-là, 100 malades
avaient été évacués sur Bône, puis 485 l’avaient été le 26. Les pertes dans
les hôpitaux pendant le séjour à Constantine du 13 au 28 octobre avaient été
de 304 morts, comprenant 228 fiévreux et 76 blessés. Le 29 octobre, jour du
départ du corps expéditionnaire, les hôpitaux contenaient encore 435 malades,
dont 170 avaient été emmenés et 265 laissés sur place[13]. Ces chiffres montrent
l’importance du déchet subi. Bône
était encombrée de troupes et de malades. Des évacuations de malades furent
faites directement sur Marseille[14] ; mais l’utilisation à cet
effet de navires du commerce donna des résultats déplorables ; c’est ainsi
que, sur 545 malades partis de Bône sur divers navires, 99 moururent pendant
la traversée, et 24 autres entre le jour de leur débarquement et le 6
novembre[15]. Aussi le Ministre décida-t-il
de n’employer que des bâtiments de l’Etat. Les
malades n’étaient d’ailleurs pas mieux soignés dans les camps. Le colonel
Corbin, du 17e léger, commandant le camp de Medjez-Amar, écrivait dans son
rapport du 15 novembre : « Les militaires placés à l’ambulance sont mal,
attendu que la plus grande partie est sous la tente et que pendant les pluies
ils couchent dans la boue[16]. » Aussi le maréchal Valée
recommandait-il instamment à l’intendant d’Arnaud de veiller à
l’approvisionnement des camps avant la mauvaise saison et de mettre à couvert
les hommes et les chevaux[17]. Désireux
de faire cesser l’encombrement de Bône, le Ministre de la Guerre approuva la
proposition de Valée de faire rentrer de Bône à Alger le bataillon de
zouaves, celui de la légion étrangère, les bataillons du 11e de ligne et du
2e léger, et les deux escadrons des chasseurs d’Afrique[18]. D’autre
part, le général Bernelle fit partir, sans ordre de ses supérieurs, la
compagnie franche du 2e bataillon d’Afrique de Constantine pour Medjez-Amar ;
cette compagnie n’avait plus que 67 hommes présents, dont 55 disponibles ;
complètement dépourvue de linge et chaussures, elle avait un habillement dans
un état déplorable ; enfin, ajoutait Négrier, « les officiers ayant été tous
blessés ou tués, les hommes s’abandonnaient à des excès qui, dans une ville
nouvellement conquise, auraient pu faire concevoir aux Arabes des idées
fâcheuses sur les Français[19]. » Il
était indispensable de mettre quelque ordre dans les corps de l’armée
d’Afrique. Grâce à
la prise de Constantine, qui avait mis momentanément hors de cause le bey
Ahmed à l’Est, et au traité de la Tafna, qui avait réalisé une trêve avec Abd
el Kader à l’Ouest, l’armée d’Afrique jouissait d'un répit dont elle allait
profiter pour améliorer son organisation. La
légion étrangère avait continué à recevoir de nombreux engagements à Alger
pendant que le bataillon de marche du commandant Bedeau se couvrait de gloire
à Constantine et que quatre compagnies formaient détachement à Bougie. Le
colonel de Hulsen se préoccupait du bien-être matériel de ses soldats, ce qui
contribue toujours largement à la bonne réputation d’un corps. Il écrivait
par exemple le 11 novembre 1837 au colonel Girot, chef d’état-major à Alger,
de lui attribuer quatre femmes par bataillon, pour y remplir les emplois de
blanchisseuses-vivandières, prévus par le tableau d’effectif des régiments de
ligne auxquels la légion était assimilée. Il préférait ces vivandières au
cantinier civil qui était au camp de Kouba ; une femme de la légion était
morte trois jours auparavant, de fièvres contractées à Boufarik : « il est
donc juste, concluait-il, que les femmes qui exposent leur vie dans les camps
malsains, puissent gagner quelque chose à Kouba, qui sert d’Alger à la légion
étrangère[20]. » Comme
au début de décembre la légion comptait plus de 2.000 hommes, le Ministre de
la Guerre écrivit à Valée de donner à ce corps le complément de son
organisation réglementaire d’après l’ordonnance du 18 juillet 1837, et de
former par suite son 3e bataillon[21]. Le
bataillon de tirailleurs d’Afrique[22] éprouvait certaines
difficultés. D’après l’ordonnance du 28 octobre 1836, il se recrutait comme
les régiments d’infanterie de ligne stationnés en Afrique. Parti de Toulon à
l’effectif de 478 hommes parfaitement choisis, il devait être porté à son
complet de 810 hommes par des volontaires tirés des régiments de ligne ; or,
il avait reçu en décembre 1836, à son arrivée à Alger, 360 hommes tirés des
trois bataillons d’infanterie légère d’Afrique ; beaucoup de ces soldats ne
présentaient pas les conditions de moralité désirables, si bien qu’en
quelques mois, 60 d’entre eux avaient dû être traduits en conseil de guerre
pour vol ou insubordination. Après cette épuration, la discipline avait été
parfaite[23]. Le
maréchal Valée ayant décidé en décembre 1837 d’incorporer dans ce bataillon
la compagnie franche du 2e bataillon d’infanterie légère de Bougie, le
commandant Paté présenta à ce sujet des observations au général de Négrier.
Il lui signala les inconvénients qu’avait eus pour la discipline de son unité
la précédente incorporation d’hommes des bataillons d’Afrique ; l’arrivée des
140 hommes dont se composait alors la compagnie franche de Bougie, risquait
d’occasionner de difficultés analogues[24]. Le général de Négrier transmit
à Valée la réclamation du commandant Paté en l’appuyant[25]. Les
troupes indigènes présentaient, suivant les provinces dans lesquelles elles
se recrutaient et les chefs qui les dirigeaient, une composition et des
habitudes assez différentes. Les
zouaves avaient accru leur prestige à l’assaut de Constantine sous les ordres
de La Moricière. Un
troisième bataillon de zouaves avait été créé par l’ordonnance du 20 mars
1837[26], avec les anciens volontaires
de la garnison de Tlemcen, et était aux ordres du chef de bataillon
Cavaignac, dans la province d’Oran. Il se recrutait mal en Indigènes : « Cela
tient, écrivait Bugeaud au Ministre, à ce que les naturels du pays ont horreur
de porter le sac, et parce qu’il est gênant, et parce qu’en arabe il porte le
même nom que le bât d’un âne. En revanche, nous recruterions aisément les
spahis, si vous ne l’aviez interdit[27]. » Louis-Philippe
décida le 11 novembre que le bataillon d’Oran serait réuni aux deux premiers
et que les trois bataillons formeraient un seul corps, dont le commandement
serait confié à un colonel[28]. Ce
colonel fut La Moricière, promu le jour même à ce grade. Il fut autorisé en
décembre par le maréchal Valée « à incorporer dans le corps des zouaves les
Turcs et les Arabes de Constantine qui se présenteraient pour servir sous ses
ordres[29] », mais sans dépasser le
chiffre de 200 ; le général de Négrier, arrivé à Bône le 4 décembre, et parti
de là pour Constantine où il avait pris le commandement de la subdivision[30], fut invité à faciliter cette
opération. La Moricière écrivit au commandant du bataillon zouave, qui était
encore à Bône, de laisser un petit dépôt avec des cadres dans cette place
pour y recevoir les enrôlés attendus de Constantine[31]. En bon recruteur, La Moricière
ne manquait aucune occasion de grossir ses rangs. Les
spahis paraissaient destinés à devenir, dans la province d’Oran, un
instrument de colonisation, grâce à l’initiative de Bugeaud. Cet officier
général les avait établis en effet, au début de novembre 1837, à Misserghin,
près d’Oran ; il espérait que, étant mariés, ils pourraient « jeter là les
bases d’un gros village », avec l’aide du génie. Il comptait proposer au
Ministre un arrêté qui y établirait un poste militaire, et fixerait « les
conditions sous lesquelles les officiers, sous-officiers et soldats
pourraient devenir propriétaires d’une maison qu’ils auraient bâtie et d’une
certaine étendue de terrain y attenant[32]. » C’était déjà l’idée qui
devait être développée plus tard. Un
corps auxiliaire se constituait à Constantine, par suite de l’enrôlement au
service de la France d’anciens soldats du bey Ahmed. Dès les
premiers jours de l’occupation de Constantine, en octobre 1837, le général
Trézel avait engagé dans cette ville 51 Turcs, avec l’approbation du
commandant en chef[33]. Le colonel Bernelle avait
continué à recevoir les enrôlements ; il faisait incorporer les fantassins
dans le bataillon turc de Bône et les cavaliers dans le corps de spahis de
Bône, mais les conservait tous à Constantine, où ils étaient considérés comme
détachés de leurs corps respectifs[34]. Le
maréchal Valée ne voyait que des avantages au recrutement de ces hommes, et
écrivait le 14 novembre 1837 au colonel Bernelle : « J’approuve tout à fait
leur incorporation et la formation d’escadrons de spahis et d’un bataillon de
tirailleurs ; il me semblerait même avantageux de porter à mille hommes le
nombre des auxiliaires et j’y verrais le double avantage de les utiliser pour
nous et de priver l’ennemi de leur secours[35]. » En raison de la répugnance
de la plupart des Indigènes à s’éloigner de leur tribu, il prescrivit de
diviser les hommes en trois catégories : ceux disposés à servir dans toute
l’étendue des possessions françaises du Nord de l’Afrique ; ceux consentant à
servir dans la province de l’Est seulement ; ceux désirant rester dans les
environs de Constantine. L’effectif
maximum du corps auxiliaire de Constantine fut fixé à 200 cavaliers, appelés « spahis
de Constantine » et à 800 hommes à pied, appelés « tirailleurs de Constantine
», formant six compagnies d’infanterie et une demi-batterie d’artillerie.
L’encadrement de cette troupe devait être assuré par des officiers et
sous-officiers français. A la
fin de 1837, le corps auxiliaire de Constantine comptait 671 hommes, dont 95
cavaliers et 80 artilleurs. Il occupait des postes en dehors de la ville ;
les soldats déposaient leurs armes en entrant dans la place, et étaient
l’objet d’une surveillance de manière à ce que la tranquillité ne fût pas
troublée. Il n’y avait encore eu aucune désertion. Les Turcs et les Indigènes
passés à la solde de la France paraissaient disposés à la servir fidèlement[36]. Valée
écrivait au Ministre à ce sujet : « L’organisation des troupes indigènes est
une des questions les plus importantes de l’armée d’Afrique. L’expérience a
prouvé que la formation de corps entièrement composés de Musulmans présentait
de graves inconvénients. Les Arabes incorporés dans les régiments français y
ont souvent bien servi ; mais presque toujours, lorsqu’ils n’étaient pas
appuyés par la présence de soldats français, ils ont manqué d’aplomb et de
résolution. » Cette remarque était justifiée ; mais où Valée tombait dans
l’erreur, c’est lorsqu’il ajoutait : « Il est important surtout de ne mettre
à leur tête que des officiers européens qui les plient à nos habitudes
militaires et leur inspirent le goût de la civilisation[37]. » Les «
habitudes militaires », sauf la discipline, ne peuvent pas être exactement
les mêmes pour des hommes ayant une formation très différente, et le goût de
la civilisation se ramène souvent au goût de la boisson et du vice. En
réalité, il faut, à la tête des troupes indigènes, des chefs européens, mais
connaissant le pays, la langue, les mœurs et les coutumes de ceux qu’ils ont
à commander. Ce principe essentiel a été trop souvent oublié. Valée
avait exprimé, dès le 4 novembre 1837, le désir de rentrer en France, en
raison de son état de santé. Mais sur l’insistance du comte Molé, président
du Conseil, qui l’avait fait nommer maréchal de France le 12 novembre, il
n’avait pas pu refuser de prolonger son séjour, et avait écrit le 22 novembre
dans ce sens au Roi et au général Bernard, ministre de la Guerre[38]. Le
premier souci de Valée, lorsqu’il eut décidé de rester, fut de choisir ses
collaborateurs. Le
général Perrégaux, chef d’état-major général de l’armée d’Afrique, était mort
pendant la traversée de Bône à Toulon de la blessure reçue devant
Constantine. Le Ministre de la Guerre avait décidé le 14 novembre de le
remplacer par le lieutenant général Trézel ; en outre, comme il ne savait pas
à ce moment si Valée consentirait à rester en Afrique, il avait prévu le 15
novembre que Trézel prendrait les fonctions de gouverneur général par
intérim, en cas de départ du maréchal ; il avait même écrit officiellement à
Trézel à ce sujet[39]. Les
rapports entre Trézel et Valée n’étaient pas cordiaux. La Moricière les
décrivait ainsi dans une lettre personnelle du 15 novembre à Duvivier : « Le
général Trézel est plus qu’en froid avec le général en chef. Ce dernier me
semble très militaire, il n’aime pas qu’on prenne trop sur soi, surtout quand
on peut le consulter. Il paraît vouloir traiter lui-même les affaires arabes,
il voit que c’est là le nœud des difficultés, il l’aborde franchement, et
parfois il voit juste. Néanmoins, je crois que le général Trézel est moins
mal avec lui depuis quelques jours ; mais ils ont été un moment au point
d’arriver à un esclandre[40]. » La désignation faite par le
Ministre allait donc peu plaire à Valée. A
l’occasion de ce remplacement, le Ministre avait fait prononcer par le Roi
d’autres affectations de généraux : Rullière était nommé commandant des
provinces de Bône et de Constantine, et devait avoir sous ses ordres le
général Bernelle comme commandant de la ville de Bône et des postes jusqu’à
Medjez-Amar ; Auvray prenait la division d’Oran des mains du général Bugeaud,
autorisé à rentrer en France ; enfin le général de Négrier était placé à la
tête de la division d’Alger[41]. Lorsque
Valée reçut à Alger, par le lieutenant-colonel de la Ruë envoyé en mission,
la lettre l’informant de ces décisions et les lettres de service destinées
aux officiers généraux, il demanda aussitôt au Ministre de suspendre
provisoirement l’exécution de ces mesures. Il ne
voulait pas de Trézel, dont il reconnaissait les qualités, mais dont il
n’approuvait pas les idées sur « la direction à donner aux affaires de
l’Algérie », et dont il demandait le retour en France ; il l’envoyait à Bône
pour continuer à commander la province jusqu’à nouvel ordre, mais il
réservait ce commandement au général de Négrier. Il estimait que Rullière
avait encore « besoin de se former aux affaires », en particulier aux
relations avec les Indigènes, et préférait le voir à Alger qu’à Bône. En ce
qui concerne le général Auvray, il le jugeait plus apte à être chef
d’état-major général que commandant de la division d’Oran, et il demandait
pour Oran un maréchal de camp « habitué au maniement des troupes ».
Quant à Bernelle, il avait l’intention de lui donner une brigade dans la
province d’Alger[42]. Le
Ministre approuva le 6 décembre toutes les dispositions proposées par Valée,
en insistant seulement pour que le général Rullière prît le commandement des
provinces de Bône et de Constantine[43]. Bugeaud
s’embarqua le 7 décembre à Oran, laissant le commandement de la province au
général Auvray, comme il y avait été autorisé par le Ministre. Il écrivait de
Port-Vendres au Ministre qu’il avait fait de son mieux pour seconder les vues
du Gouvernement en établissant la paix et concluait : « Je sais, je savais
d’avance que tout cela ne vaudrait pas aux yeux du public, et du Gouvernement
peut-être, un combat heureux de quelques heures. Je m’y suis résigné
d’avance, je ne dois pas me plaindre. Je retrouverai bien l’occasion de faire
du brillant[44]. » Pour en
finir avec la question si délicate des commandements, le Ministre de la
Guerre mit à la disposition de Valée deux lieutenants généraux et un maréchal
de camp, de manière à lui laisser, après le retour en France des généraux
Trézel et Bro, trois lieutenants généraux et quatre maréchaux de camp : «
Vous répartirez entre eux, lui écrivait-il, les commandements comme vous le
jugerez convenable[45]. » Valée affecta le lieutenant
général de Castellane, réputé en France pour la manière dont il instruisait
et entraînait ses troupes, au commandement de la province de Constantine. La
désignation pour un commandement important du lieutenant général de
Castellane, peu versé dans les questions africaines, était une faute. Dès son
débarquement, le nouveau venu jugea hommes et choses d’après les règlements
appliqués dans les troupes métropolitaines et les habitudes étriquées des
garnisons de France. Ses appréciations, dans son Journal, révèlent bien
l’état d’esprit des novices de ce genre. Le
Gouverneur lui parut donner l’exemple de l’isolement et de l’indiscipline : «
M. le maréchal Valée ne voit à peu près personne à Alger ; il n’a même pas
encore reçu les visites de corps. Il ne fait aucun cas du Ministre de la
Guerre ; il en parle légèrement devant ses subordonnés, ce qui produit un
mauvais effet et me déplaît beaucoup, car avec l’indiscipline existant dans
cette armée, ce n’est pas une bonne chose de regarder comme rien le Ministre
du Roi[46]. » Voilà Valée jugé d’après des
éléments d’appréciation inattendus ! Si le
Gouverneur ne se comportait pas d’une manière suffisamment réglementaire, que
dire des officiers et soldats sous ses ordres : « La
tenue des troupes est effroyable. Le maréchal Valée ne connaît rien du tout
au détail des troupes, et parle toujours mal des règlements qu’il ne connaît
pas... Les officiers généraux et supérieurs commandant même passablement sont
rares. Les ignorants qui ne veulent pas se donner la peine de les apprendre,
se plaisent à dire néanmoins que cela n’est rien[47]. » Castellane,
ne se rendant pas compte des adaptations nécessaires au climat et au milieu,
ajoutait : « Les différents corps, les armes spéciales particulièrement,
ressemblent ici à une troupe d’arlequins. Les ordonnances du Roi sont
regardées comme non avenues. Le laisser-aller existant en France est encore
plus grand ici. On dirait vraiment qu’on a inventé la guerre en Afrique ; on
l’a cependant faite avant. Les règlements sont foulés aux pieds. Vous voulez
les faire observer et réformer les abus ? On vous oppose une autorisation, au
moins verbale, d’un des nombreux gouverneurs qui se sont succédé, et qui ont
toléré ou approuvé la fantaisie de chacun[48]. » Les
corps spéciaux, si différents des régiments de France, soulevèrent
naturellement sa réprobation ; il se permettait lui-même de critiquer le
Ministre, tout comme l’indiscipliné Gouverneur : « On est fort, au Ministère
de la Guerre, pour former les corps spéciaux, afin d’avancer les favoris. Ces
corps seront au-dessous des régiments de ligne et surchargeront le budget[49]. » Il s’en
prenait d’abord aux troupes indigènes : « Sous prétexte d’avoir des Arabes,
on costume en Turcs des Français, qui sont payés plus cher que le reste de
l’armée. Les zouaves avaient quelques Arabes au début ; ils n’en ont plus
maintenant, et leur effectif en ce moment est de six cents hommes présents,
avec un cadre en officiers et sous-officiers qui serait suffisant pour trois
bataillons. » Quant
aux bataillons d’infanterie légère d’Afrique, « rien n’est plus profondément
immoral que la création de ces trois bataillons, de 1.600 hommes chacun, et
composés de voleurs. Il faut trois mois de condamnation au moins, pour y être
incorporé, et on expose ces corps à acquérir de la gloire ! De pareils
bandits ne devraient pas être placés dans un pays qu’on veut coloniser[50]. » Les
officiers qui avaient gagné leurs grades en « favoris » dans ces corps
spéciaux, n’étaient pas ménagés : « Duvivier, doué d’une ambition démesurée,
n’a, comme le colonel La Moricière, qui vaut mieux que lui, aucune idée de la
subordination et de la discipline[51]. » D’après
les premières observations de Castellane, « tout était à organiser dans les
troupes », mais il serait difficile de vaincre la force d’inertie générale. A
son avis, les ordres nécessaires étaient généralement donnés, mais ils
n’étaient pas exécutés, parce que « personne n’avait la force de punir[52]. » Cette
indignation permanente, un peu comique, d’un lieutenant général débutant à
l’armée d’Afrique, enlève du poids à certaines de ses critiques, plus
justifiées. Castellane
jugeait par exemple en ces termes l’administration : « Notre administration
en Afrique est déplorable ; il faudra peut-être revenir, comme sous
l’Empereur, à avoir des inspecteurs aux revues pour la comptabilité des
corps, ou des commissaires des guerres pour les subsistances. Ces deux corps
se contrôleraient alors l’un l’autre ; à présent, le sous-intendant contrôle
la comptabilité des fournitures qu’il fait. Maîtres en quelque sorte des
bureaux de la guerre, ils sont inattaquables. Des intérêts particuliers s’en
trouvent bien ; le soldat s’en trouve mal[53]. » D’après
ses premières observations, l’officier n’était guère mieux traité que le
troupier : « Nos officiers, quoiqu’on leur donne des rations, font la guerre
à leurs dépens, ou plutôt, comme ils sont pauvres, ils vivent de privations.
Dans cette province, les officiers qui sont dans les camps sont
continuellement sous la tente et ont une existence misérable... Tant qu’on
paiera si mal l’armée d’Afrique, il régnera un mécontentement sourd, d’autant
plus fâcheux qu’il est fondé[54]. » La vie
dans les camps permanents, dont il ne s’était pas fait une idée exacte
d’après les correspondances, lui paraissait vraiment pénible : « Officiers et
soldats sont mal établis dans de doubles tentes ; on ne sait pas en France ce
qu'officiers et soldats souffrent, surtout de l’ennui de ces tristes demeures
où ils passent des mois et des années, si on oublie de les relever, ce qui
arrive fréquemment[55]. » Les
impressions recueillies en quelques semaines firent comprendre à Castellane
qu’il n’était pas fait pour la vie d’Afrique. Désespérant de parvenir à
modifier des habitudes enracinées, et de pouvoir transformer les zouaves en
fantassins de ligne et les chasseurs des bataillons d’Afrique en hommes
vertueux, il décida de rentrer en France. Castellane
était un officier général de haut mérite : il avait acquis dans toute l’armée
une réputation justifiée pour ses qualités d’instructeur et de chef ; il
avait formé et forma dans ses unités de France un grand nombre des jeunes
officiers venus ensuite à l’armée d’Afrique. Mais ce n’est pas au terme d’une
carrière qu’on peut prendre, sans préparation, un commandement très différent
de ceux de la Métropole. Une désignation de ce genre est toujours une erreur. Ces
changements et remaniements dans le cadre des généraux déconcertaient les
officiers de l’armée d’Afrique. Le chef d’escadron de Zaragoza, chef
d’état-major de la division de Bône, écrivait au colonel Duvivier, le 7
janvier 1838 : « Ne sachant rien créer ici, nous changeons tous les six mois
les sommités de la colonie, comme si des hommes qui arrivent ici sans
connaître l’Afrique, ses besoins et ceux de l’armée, et avec la tête farcie
d’idées complètement fausses, pouvaient être plus utiles ici, que ceux qui
ont fait dans le pays un long et pénible apprentissage. D’un coup de filet on
nous a envoyé en Afrique : nouveau gouverneur, nouveau chef de l’état-major
général, nouveaux commandants des brigades à Alger, et nouveaux commandants
des provinces de Bône et d’Oran. Le Ministre avait envoyé le général Rapatel
pour commander la division à Alger, le général de Castellane à Oran et le
général Rullière à Bône et Constantine. Le Gouverneur, qui veut toujours
faire f opposé de ce que lui ordonne le Ministre, a gardé à Alger le général
Rullière, a envoyé à Oran le général Rapatel, et nous a envoyé à Bône M. le
comte de Castellane. Vous devez connaître, au moins de réputation, ce dernier
officier général : son caractère et sa manière de faire sont diamétralement opposés
à ceux du général Trézel[56]. » Quelques
jours plus tard, le chef d’escadrons de Mirbeck écrivait de Bône, où il était
chargé des affaires arabes, au colonel Duvivier à Guelma : « Comment
menez-vous les affaires arabes ? J’ai été un peu dérouté par le changement de
général, qui a sa manière de voir ; mais il faudra bien, tôt ou tard, qu’il
se rende à l’évidence. Quand il connaîtra ces Messieurs, il verra que ce ne
sont ni des Champenois, ni même seulement des Normands. Il croit pouvoir agir
avec eux comme on fait avec des Européens[57]. » Des
réflexions de ce genre ont été formulées par des milliers de plumes depuis
des années, non seulement en Afrique du Nord, mais dans toutes les colonies
françaises ; et cependant certains des hommes chargés, dans la Métropole, de
conduire la politique coloniale française, ne parviennent pas à comprendre la
mentalité des Indigènes, les procédés d’administration à leur appliquer, la
nécessité d’une ligne de conduite mûrement choisie et constamment suivie. Les
critiques d’un officier formé à la dure école de la vie coloniale eussent été
souvent plus utiles que les raisonnements des théoriciens et des
conférenciers parisiens. Les hommes politiques de 1838 eussent été mieux
éclairés par la lettre « confidentielle » que Zaragoza écrivait à Duvivier
sur un pauvre papier que par les rapports calligraphiés des bureaucrates
habitués à manier les formules officielles. « C’est
un mal inhérent au caractère français, écrivait le chef d’escadron de
Zaragoza, et malheureusement incurable, que l’instabilité ; le besoin de
changer, la légèreté et la rage de s’embarquer toujours dans les affaires les
plus graves, les plus épineuses sans plan arrêté d’avance, et sans avoir
préalablement envisagé la question sous toutes ses faces. « Si
les faits manquaient pour prouver cette assertion, l’Afrique serait là sous
nos yeux, comme un monument élevé exprès pour attester au monde entier notre
légèreté, et l’inconcevable fragilité, l’incohérence de nos projets. « Il
y a sept ans que nous occupons ce pays ; nous avons essayé une vingtaine de
systèmes plus absurdes les uns que les autres ; nous avons usé un grand
nombre de hautes et vénérables réputations ; plus de 20.000 hommes ont péri
ou par le feu et le fer des Arabes, ou par les maladies, et nous sommes
encore à nous demander... Que ferons-nous de Constantine ?... Que ferons-nous
de l’Afrique ?... Et ceux qui sont persuadés que nous garderons ces
possessions conquises au prix de tant de sang versé, de tant de millions si
mal dépensés, sont encore à faire des projets sur le meilleur système de
colonisation possible !... Pauvre pays ![58] » Les
tâtonnements relatifs au choix des chefs continuaient. Valée accusait
réception le 27 janvier au Ministre du congé accordé au général de Castellane
pour rentrer en France ; il confiait la province de Constantine au général de
Négrier, déjà commandant de la subdivision de Constantine, ce qui
sauvegardait aux yeux des Indigènes la permanence du commandement : « Les
Arabes ne peuvent s’expliquer, écrivait-il avec raison, ces mutations dont
les causes leur demeurent inconnues et ils éprouvent une défiance naturelle
lorsqu’ils ne retrouvent plus le chef avec lequel ils ont traité quelques
jours auparavant[59]. » Ces
changements incessants dans le commandement n’étaient pas seulement nuisibles
à la bonne administration des populations indigènes, mais aussi au bien-être,
à la discipline et à l’instruction des troupes de l’armée d’Afrique. L’installation
des soldats était médiocre, même aux environs immédiats d’Alger. A la
maison de Hussein Dey, les hommes étaient dans des baraques en planches
clouées, sans aucun crépissage en terre ou à la chaux, mal défendus contre la
pluie ; ils possédaient des fournitures de couchage, mais en nombre
insuffisant, puisqu’ils étaient obligés de réunir deux lits pour trois
hommes. Aux
camps de Kouba, Birkadem et Tixeraïn, les baraques étaient couvertes, les
unes en tuiles, les autres en chaume ; les toitures de chaume, pourries par
la pluie et faites de paille trop courte, laissaient pénétrer l’eau en bien
des endroits ; le sol n’était ni pavé ni bien battu. Les hommes couchaient
dans des hamacs suspendus par des crochets à des traverses horizontales
portées par les piliers ; les hamacs, placés sur deux rangs entre lesquels on
circulait, se composaient d’une simple toile et n’étaient pas munis du petit
matelas usité dans la marine, en sorte que les hommes se plaignaient de
sentir le froid par-dessous le hamac. Les baraques manquaient de râteliers
d’armes, de planches à pain, de bancs et de tables, ce qui rendait
l’existence des hommes inconfortable et nuisait à la conservation des armes
et des vivres[60]. L’hygiène
des troupes n’attirait pas l’attention du commandement comme elle aurait dû
le faire. La manière déplorable dont les évacuations avaient eu lieu à Bône
avait ému les bureaux du Ministère. Le général Bernard fit remarquer à Valée
le 13 décembre 1837 « la négligence qui paraissait avoir présidé à
l’embarquement des militaires malades et blessés évacués des hôpitaux de Bône[61]. » Pour en éviter le
renouvellement, il fit lithographier une Instruction sur les évacuations à
effectuer des divers établissements hospitaliers des possessions françaises
dans le Nord de l’Afrique[62], et lui en envoya 25
exemplaires à répartir au mieux dans le corps d’occupation d’Afrique. La
discipline était généralement bonne, mais elle consistait trop, aux yeux de
certains commandants d’armes, à observer strictement les règles relatives à
la tenue. Le
commandant supérieur de Bougie, le lieutenant-colonel Chambouleron, à la
suite de punitions infligées à des sous-officiers pour n’avoir pas salué des
officiers d’autres corps, estima que les punis avaient pu ne pas reconnaître
leurs supérieurs en l’absence des marques distinctives de grades ; il fit
paraître le 1er décembre 1837 un ordre du jour dans lequel il disait : «
Ainsi que le règlement l’ordonne, MM. les officiers, après onze heures,
devront être dans la tenue du jour, avoir leurs épaulettes, leur sabre et la
casquette d’uniforme. M. le sous-intendant militaire est beaucoup trop
souvent en capote bourgeoise, et en chapeau rond ; il a même été rendu compte
au commandant supérieur qu’il visite l’hôpital militaire et les divers
établissements de son administration dans cette tenue bourgeoise. Le
commandant supérieur croit devoir l’inviter à donner un meilleur exemple à
ses subordonnés. Ce qui peut n’avoir que peu d’inconvénients dans les
départements de l’intérieur en a beaucoup en Afrique. D’ailleurs, c’est
principalement aux chefs de corps et aux chefs de service à se conformer les
premiers aux règlements et l’on a toujours bonne grâce à exiger des autres
les obligations que l’on commence par s’imposer à soi-même. Le commandant
supérieur se plaît, à cet égard, à rendre pleine justice à MM. les
commandants du 2e bataillon d’Afrique et de la légion étrangère. Sans doute
il ne leur sera pas difficile de faire observer dans leurs corps la règle
dont ils savent si bien donner l’exemple[63]. » Le
lieutenant-colonel Chambouleron, doué de certaines qualités militaires, avait
mauvais caractère : il eut des démêlés fâcheux non seulement avec le
sous-intendant militaire de Laffitte, mais avec nombre de ses subordonnés et
avec le Commissaire du Roi pour les services civils ; Valée demanda au
Ministre de le faire rentrer en France[64]. Les officiers de Bougie purent
sans doute être moins strictement astreints à porter épaulettes, sabre et
casquette après onze heures ! Dans
bien des garnisons, il eût été préférable de montrer plus d’indulgence aux
officiers en ce qui concernait les détails de leur tenue, et de leur imposer
plus de dignité dans leur vie privée. Un certain nombre d’entre eux étaient
amenés à nouer des relations durables avec des femmes de respectabilité
douteuse. Le
capitaine de Montagnac, en garnison à Oran, avec le 1er de ligne, faisait à
son oncle une description humoristique de ces liaisons : « Je
vois très rarement le père X***. L’austérité de ses mœurs n’a pu résister à
l’influence, au charme d’une espèce de femelle, que le veuvage avait laissée
libre de ses mouvements, ainsi que de la distribution de ses faveurs, et dont
le cœur, déjà légèrement fané par le temps et les orages, s’est accroché à
lui comme à une planche de salut. Vieille schabraque, noire comme une taupe,
Corse d’origine, ce qui n’annonçait pas une bête très facile à brider, elle
s’est cramponnée au bonhomme à qui elle persuade que les citrouilles sont des
petits pois... Du reste il s’est mis à l’unisson, car presque tous nos
officiers supérieurs et autres se sont encoquinés avec un tas de gouines qui
les grugent le plus gentiment du monde. « Maître
Z***, que vous connaissez, vit avec une servante dont il a fait sa femme, sa
moitié, tout ce que vous voudrez, tandis qu’il a en France femme et
enfants... « Notre
compatriote Y***, qui est chef d’escadrons, vit aussi avec la femme d’un
perruquier de Marseille, grande cavale de quarante à quarante- cinq ans, qui
a dû être fort belle dans son jeune temps. « Telles
sont les mœurs de la colonie. Chacun trouve cela tout simple, tout naturel ;
il semble que cela ne puisse plus même être autrement[65]. » Ce
genre d’égarements est un des écueils bien connus de la vie hors de France,
pour des officiers éloignés de leur famille, de leurs amis, et n’ayant pas
assez de caractère pour se garantir contre les embûches féminines. Le
maréchal Valée avait pris à cœur de protéger les indigènes et les soldats
contre les spéculateurs et les mercantis. Il
avait maintenu avec vigueur l’arrêté interdisant l’acquisition d’immeubles
dans la province de Constantine : d’abord parce que le domaine public n’avait
pas encore reconnu les biens appartenant au Beylik et qui devaient être
utiles plus tard pour l’installation de colons ; ensuite parce que des abus
avaient été commis sur d’autres points de la Régence, où des actes de cession
de propriétés à vil prix avaient été arrachés aux Indigènes terrorisés et où
des ventes frauduleuses avaient même succédé aux ventes réelles. Il ne voyait
d’ailleurs aucun avantage à tenter dans l’intérieur une colonisation
prématurée, et voulait qu’auparavant « la plaine de la Seybouse fût couverte
de villages européens ». Il ajoutait : « De l'habileté avec les Arabes, une
volonté ferme, une justice éclairée, prépareront les voies à une colonisation
plus étendue, en créant de nouveaux besoins pour les Arabes, en les amenant à
s’ouvrir de nouvelles sources de richesses et à adopter les procédés de
l’industrie européenne[66]. » Le
Gouverneur général avait également maintenu la défense faite aux Européens de
se rendre à Constantine sans autorisation. Il
était certainement guidé, en prenant cette mesure, par le souci de prévenir
des accidents de route, fréquents pour les isolés civils ou militaires. C’est
ainsi que, le 25 novembre 1837, le lieutenant Peyrussan et un soldat, tous
deux du 17e léger, restés en arrière du convoi pour pêcher dans un ruisseau,
avaient été massacrés par les Indigènes[67]. Il
avait aussi d’autres raisons : « Sur tous les points que nous occupons en
Afrique, écrivait-il au Ministre, une nuée de marchands de vins viennent offrir
à nos soldats des liqueurs pernicieuses. L’appât du gain les engage à pousser
les soldats à commettre des vols, ils achètent à vil prix les objets ainsi
enlevés, souvent même ils deviennent propriétaires des effets d’habillement
des hommes qui fréquentent leurs cabarets et il en résulte partout un
désordre déplorable dans une colonie naissante où les soldats doivent donner
l’exemple de la régularité[68]. » Il n’autorisait la
délivrance de permissions pour Constantine qu’aux ouvriers ayant un état et
justifiant de la possibilité de vivre par leur travail, à l’exclusion
formelle de tous les cantiniers n’appartenant pas à l’armée. Le
général de Négrier se félicitait des résultats obtenus par ces prescriptions,
et écrivait à Valée : « La mesure que vous avez prise d’empêcher cette nuée
d’Européens avides et la plupart sans aveu de venir fondre sur Constantine,
porte ses fruits. Ce sont ces hommes qui, partout en Afrique, ont fait fuir
les populations des villages, en leur suscitant mille tracasseries dans le
but de s’emparer des propriétés au plus vil prix et bien plus souvent par des
moyens illicites. Dans la nouvelle position que vous avez si sagement créée
dans cette contrée, les Indigènes ne s’aperçoivent de notre présence que pour
se ressentir de la bienveillance et de la puissance protectrice du
Gouvernement français. Puissent les choses durer ainsi longtemps[69]. » La
garnison de Constantine se procurait avec une grande difficulté de la paille,
parce que le bey Ahmed avait fait brûler toute celle qui existait aux
environs, et du bois, parce que le pays en était dépourvu. Le seul moyen de
remédier au manque de paille était de constituer une réserve en ville lors de
la récolte suivante ; quant au bois, la nécessité de l’amener de Stora
constituait un nouvel argument pour la construction rapide de la route de
Constantine à Stora[70]. Négrier
veillait à réprimer les abus de toute sorte. Il fit paraître le 27 janvier
1838 un ordre dans lequel il disait : « Un grand nombre de bourgeois qui sont
à Constantine, des employés de l’administration et même des officiers se sont
fait faire des cabans ou capotes avec des couvertures provenant des magasins
de campement. Un semblable désordre doit être réprimé sur-le-champ[71]. » Il ordonna de saisir tous
les effets de cette sorte, et de rechercher leur provenance. Il interdit
aussi le trafic qui consistait, pour certains gradés, à payer le prêt de
leurs hommes ou les fournisseurs en monnaies du pays au lieu de les payer en
pièces de 5 francs, afin de s’attribuer le bénéfice du change : « C’est un
trafic honteux, écrivit-il dans son ordre du 31 janvier, préjudiciable à ceux
qui sont ainsi payés, et qui tend à faire passer toute la monnaie française
entre les mains des Juifs[72]. » Les
spéculateurs et les marchands de tout genre se trouvaient gênés par les
ordres de chefs énergiques ; c’est dans leur mécontentement qu’il faut
chercher l’origine des campagnes entreprises et développées plus tard contre
le régime militaire et contre les officiers de bureaux arabes. Le
véritable intérêt de la France est cependant, tout en encourageant la saine
colonisation et l’honnête commerce, de défendre les populations indigènes
contre une dépossession injuste et les troupes contre une exploitation
immorale. C’est dans l’équilibre entre ces devoirs divers que réside une
bonne administration coloniale ; cet équilibre a été généralement réalisé par
les chefs militaires, soustraits aux influences politiques et commerciales.
Les Indigènes, qui sentaient leur autorité et constataient leur impartialité,
les respectaient et les aimaient. Les
divers corps dans lesquels servaient les Turcs ou les Indigènes algériens au
début de 1838 commençaient à être nombreux. Le
Ministre de la Guerre ne parvenait pas à suivre comme il le désirait la
composition et le développement de certains d’entre eux. Aussi demanda-t-il à
Valée d’envoyer à la Direction des Affaires d’Afrique des états mensuels
relatifs à ces corps, particulièrement aux suivants : corps des interprètes ;
gendarmes maures ; spahis auxiliaires ; Turcs auxiliaires de la ville d’Oran
; bataillon d’infanterie turque de Bône ; détachement de ce bataillon formé à
Constantine ; cavaliers Douairs et Smela soldés[73]. Le
corps auxiliaire de Constantine, appelé communément « bataillon turc de
Constantine », comprenait en réalité un bataillon d’infanterie, formé de
Turcs, de Coulouglis et d’habitants de Constantine, un escadron de cavalerie,
et une section d’artillerie. Le
Ministre de la Guerre demandait, au début de janvier 1838, à Valée de le
fixer sur l’importance qu’il comptait donner à cette troupe. D’après ses
renseignements, le chiffre des soldats s’élevait au 10 novembre 1837 à 691
hommes, dont 1 maréchal des logis, enrôlés au titre du bataillon turc de
Bône, et à 45 cavaliers, dont 2 maréchaux des logis, enrôlés au titre des
spahis. Comme la solde de ces hommes était de 1 franc par fantassin et 1 fr.
80 par cavalier, elle devait entraîner une dépense annuelle de 285.000
francs, qui n’était pas prévue[74]. Il fallait aviser aux moyens
de la limiter et de la couvrir. Valée
s’occupait, à ce moment même, de l’encadrement, de l’armement, de
l’habillement et de la solde du bataillon de tirailleurs turcs. Il proposait
au Ministre d’accorder, aux lieutenants et sous-lieutenants qui avaient
accepté d’y commander une compagnie, le grade supérieur au leur lorsqu’ils
rempliraient les conditions légales et qu’ils seraient proposés pour
l’avancement ; une telle mesure aiderait, pensait-il, à trouver de bons
officiers pour l’encadrement des corps indigènes, si on voulait ultérieurement
les développer. Il comptait donner le commandement du bataillon à « un
capitaine connaissant bien le caractère des Turcs et des Arabes » et lui
assurer le grade de chef de bataillon après un certain laps de temps ; « le
choix d’un officier dont le mérite ne serait pas constaté en Afrique
produirait un effet fâcheux et nuirait à la bonne direction que le nouveau
corps doit recevoir ». Le général de Négrier lui avait indiqué le capitaine
Mollière, des zouaves, comme apte à cet emploi. Pour
armer les tirailleurs turcs, Valée avait prescrit d’envoyer quelques fusils
de Bône à Constantine ; mais il avait en même temps recommandé au général de
Négrier de surveiller les hommes à qui ils étaient confiés, afin de ne pas
compromettre la sûreté de la ville. L’habillement
devait, à son avis, comporter un uniforme distinguant les Turcs des Indigènes
algériens, mais ayant la forme de leur costume habituel. Les officiers
devaient conserver l’uniforme français : « l’adoption du costume arabe par
les officiers de spahis, écrivait-il, n’a produit aucun effet avantageux et
ce déguisement a souvent diminué, aux yeux des Arabes, la considération dont
doivent jouir les hommes appelés à les commander[75]. » Le conseil
d’administration du corps fit son possible pour uniformiser l’habillement des
hommes. La
solde des tirailleurs de Constantine avait été fixée provisoirement. Valée
estimait que, si le corps était organisé d’une manière définitive, cette
solde pourrait être celle des gendarmes maures[76] ; en attendant une solution,
elle devait être prélevée sur l’impôt perçu à Constantine[77]. Valée
était d’accord avec Négrier pour ne pas instituer un corps de spahis
irréguliers, puisque le nombre de cavaliers dont Négrier pouvait disposer
était considérable ; le meilleur procédé à employer, d’après lui, consistait
à régler avec le caïd l’emploi des cavaliers des tribus, à tenir un état des
forces dont pouvait disposer chaque cheikh, et à leur allouer une solde
convenue par jour de service effectif ; une marque distinctive permettrait de
reconnaître les cavaliers marchant avec les troupes françaises[78]. En
attendant la décision du Ministre, le général de Négrier employait les «
spahis de Constantine » dans les opérations ; c’est ainsi que 100 d’entre eux
prirent part à une « colonne mobile » envoyée en reconnaissance le 29 janvier[79]. Les
propositions faites par Valée au Ministre relativement au bataillon turc de
Constantine ne furent pas acceptées. Le
général Bernard fit remarquer au Gouverneur général qu’aucune ordonnance
n’ayant prescrit la création de nouveaux corps réguliers en Afrique, ce
bataillon turc ne pouvait être qu'un corps auxiliaire, comme le bataillon
turc de Bône. Par suite, les lieutenants et sous-lieutenants qui y étaient
employés, ne pouvaient, d’après la loi, qu’y être détachés de leur corps,
sans y être titularisés. Au cas
où la formation à Constantine d’un bataillon régulier analogue au corps des
zouaves ou aux escadrons de spahis paraîtrait indispensable, les Indigènes
devraient y contracter l’engagement volontaire prescrit par l’ordonnance
créant les zouaves ; mais alors ils entreraient dans la composition du corps
des zouaves, qui pouvait recevoir, sans augmentation de cadres, un nombre
d’Indigènes supérieur à l’effectif total du bataillon de Constantine[80]. La
constitution de corps indigènes ne pouvait évidemment se faire que dans le
cadre des ordonnances relatives à l’Armée. Il était du moins logique de ne
pas contrarier le jeu de ces ordonnances. Le Ministre de la Guerre s’en
rendit compte, et décida le 30 janvier 1838 de reprendre le recrutement dans
les corps de spahis réguliers d’Alger, d’Oran et de Bône, qui avait été
suspendu par son ordre du 21 mai 1837 ; il voulait compléter leurs effectifs,
afin de les employer à assurer les communications, à protéger les tribus
alliées et à tenir dans l’ordre les partisans d’Ahmed bey et d’Abd el Kader[81]. Une
occasion se présenta dans la province d’Alger d’utiliser d’excellents
éléments du pays au profit de la France, lorsque les Coulouglis de l’oued
Zeïtoun furent châtiés et pourchassés par Abd el Kader, sous prétexte d’avoir
voulu échapper à ses lois[82]. Valée
donna ordre au capitaine Pellissier, directeur des affaires arabes, d’aider
ces malheureux en leur faisant construire un village en gourbis, et
d’accueillir au fort de l’Eau et au fort Matifou ceux qui voudraient s’y
réfugier. Il décida de constituer, avec les volontaires, « un corps dont la
dénomination et l’organisation seraient réglés plus tard », et alloua à
chaque Coulougli une solde de 0 fr. 60 par jour et une ration de pain ; il
leur fit confier la garde de la redoute de Boudouaou[83], couvrant l’Est de la Mitidja,
et les autorisa à construire un village à côté de cette redoute[84]. Dans la
province de Constantine, une organisation spéciale régla la collaboration des
cavaliers des tribus. Les cheikhs investis par la France fournissaient un
certain nombre d’hommes susceptibles d’être convoqués en cas de besoin par le
commandant supérieur de la province. Le service de ces hommes était gratuit
lorsque sa durée n’excédait pas deux jours ; il était rétribué lorsqu’il
dépassait ce terme, suivant un tarif déterminé par Valée, comprenant la solde
avec vivres ou sans vivres, et différent pour les cavaliers et les fantassins[85]. Le
corps auxiliaire de Constantine donna toute satisfaction. Valée écrivait le
16 mars 1838 au Ministre de la Guerre : « Les troupes indigènes, le bataillon
de tirailleurs surtout, servent avec zèle et dévouement. L’organisation de ce
corps auxiliaire a parfaitement réussi, et je pense que le moment est venu de
l’admettre définitivement à la solde de la France. » Il demandait au Ministre
de fixer les prestations en nature et en argent à accorder aux hommes de
troupe et le rang à attribuer aux officiers. Il ajoutait : « Je crois utile
de conserver ce corps ; il sert bien, et les rapports qui s’établissent par
ce moyen entre les Indigènes et les officiers qui les commandent peuvent
avoir une haute importance par la connaissance que ces derniers acquièrent du
caractère des Arabes et des procédés qui peuvent donner de l’influence sur
eux[86]. » « Le
bataillon turc des tirailleurs de Constantine » s’était si bien comporté dans
les diverses expéditions du général de Négrier, qu’il inspirait encore le 17
mars au maréchal Valée les réflexions suivantes : « L’emploi
des forces indigènes présente de grands avantages pour soumettre les tribus
nomades ; les cavaliers irréguliers qui doivent marcher avec les cheikhs
auxquels nous avons donné l’investiture ont besoin d’être appuyés par un
corps régulier d’infanterie. « Les Turcs ont moins de répugnance pour ce
service que les Arabes ; ils se soumettent plus volontiers aux règles de la
discipline ; l’habitude qu’ils ont dès longtemps contractée de se faire
craindre des Indigènes et de les mépriser, les rend éminemment utiles pour
punir les tentatives que pourraient faire quelques tribus pour se soustraire
au paiement de l’impôt. Je regrette que nous n’ayons pas sur tous les points
de l’Algérie des bataillons turcs pour ce service[87]. » Le
Ministre de la Guerre précisa de nouveau, dans sa lettre du 25 avril 1838 à
Valée, que le corps d’infanterie de Constantine ne pouvait pas être reconnu
comme corps régulier. C’était seulement un « corps auxiliaire », analogue aux
corps turcs d’Oran et de Bône ; les hommes devaient recevoir une solde égale
à celle des Turcs de la compagnie d’Oran, c’est-à-dire inférieure à celle des
gendarmes maures, et ils avaient à assurer eux-mêmes leur habillement[88]. Les
contingents indigènes irréguliers de la province d’Oran, en dehors de la
compagnie turque, étaient fournis par les Douairs et les Smela, qui, sous le
commandement de l’agha Mustapha ben Ismaël, remplissaient le rôle
traditionnel des tribus « maghzen ». Valée écrivait au Ministre à leur sujet,
le 30 juin 1838 : « Comme l’expérience l’a prouvé à Oran, les cavaliers des
tribus forment la force indigène sur laquelle nous pouvons le plus sûrement
et le plus avantageusement compter dans le système de paix que nous cherchons
à maintenir, système pour lequel l’organisation de corps arabes réguliers ne
semble pas faite et où elle rencontre de graves difficultés[89]. » Le Ministre fixa au chiffre
de 950 le nombre des cavaliers Douairs et Smela à inscrire dans le Maghzen[90]. L’organisation
des troupes indigènes et turques au service de la France était ainsi soumise
à des fluctuations. Le
maréchal Valée appréciait le service de ces troupes ; mais il formulait, au
sujet de leur organisation, des projets confus. On parvient difficilement à
dégager de sa correspondance des idées générales. Les
Indigènes algériens étaient surtout utilisables, d’après lui, comme
contingents irréguliers de cavalerie. Les avantages de ce procédé étaient de
laisser les Indigènes à leur vie de famille, sans les astreindre à la
discipline de la caserne ; de pouvoir leur donner des instructeurs français,
sans les mélanger à des soldats français ; de ne jamais attribuer d’autorité
à des indigènes sur des Français. De tels arguments avaient une réelle
valeur. Les
spahis réguliers avaient une « utilité contestée et contestable[91] » aux yeux de Valée, qui leur
préférait les chasseurs d’Afrique. Le général Bernard les considérait par
contre comme destinés à amener les cavaliers des tribus dans les rangs
français et comme souffrant seulement d’avoir été constitués prématurément en
escadrons[92]. Les
Turcs devaient, d’après Valée, fournir des unités d’infanterie plus
cohérentes que celles composées d’Indigènes algériens, en raison des
habitudes de discipline acquises dans la milice des beys. Mais ces unités,
faisait observer le Ministre, ne pouvaient être que des « corps auxiliaires
», d’après les ordonnances existantes. Le corps des zouaves, comptant dans
ses rangs des Indigènes et des Français, était, lui, régulier ; mais il
n’avait pas la faveur de Valée, hostile à ce mélange, et partisan de l’uniformité
des corps réguliers. Il était défendu par le Ministre. Le
lieutenant général baron Bernard ne portait pas uniquement son attention sur
les corps indigènes ; il se préoccupait du bon fonctionnement de tous les
corps et services. La
légion étrangère lui parut avoir besoin d'un dépôt en Afrique, distinct des
bataillons de guerre. Ce dépôt compterait à son effectif le major, le
trésorier, l’officier d’habillement et la 2e section de la compagnie
hors-rang ; il aurait une section de convalescents, ainsi qu’une section de
disciplinaires comprenant les sujets incorrigibles, non armée[93]. Le
train des équipages éprouvant de grandes difficultés à effectuer les
transports nécessaires aux troupes, le Ministre ordonna en janvier 1838
l’achat de 1.000 mulets également propres au trait et au bât, pour constituer
quatre détachements temporaires. L’effectif total des six compagnies du train
des équipages militaires en Afrique se trouva porté, par ce renfort, à 44
officiers, 2.461 sous-officiers et soldats, et 2.793 chevaux et mulets[94]. Une
carte détaillée de l’Algérie, était indispensable pour les déplacements des
troupes et leurs expéditions. Aussi le général Bernard exprima- t-il à Valée
son désir d’ « imprimer au service topographique la direction et l’impulsion
devant assurer de bons et prompts résultats[95] ». Pour hâter l’exécution du
travail, il comptait organiser ce service comme celui établi en Grèce, où
cinq officiers d’état-major français continuaient la carte du royaume. Il
donna des instructions à Valée, et lui proposa de constituer la « section topographique
» de la façon suivante : le commandant Saint- Hypolite, chef de la section ;
le capitaine Puillon de Boblaye, chargé des opérations géodésiques ; le
capitaine Desaint, employé au service topographique d’Alger ; le capitaine de
Martimprey, employé au service topographique d’Oran ; le capitaine Guérin de
Tourville, employé au service topographique de Bône. En raison de la
faiblesse de cet effectif, quelques officiers d’état-major pourraient, à
certains moments, renforcer la section topographique ; en outre, des
officiers pourraient être détachés temporairement des régiments pour
participer aux travaux. Des indemnités spéciales étaient allouées à tous ces
officiers[96]. Dans de telles conditions,
l’établissement de la carte devait progresser rapidement. Une
nouvelle organisation de l’armée d’Afrique se précisait peu à peu, grâce à la
période de calme consécutive au traité de la Tafna et à la prise de
Constantine ; mais elle était laborieuse, en raison des discussions de Valée
avec le Ministre de la Guerre. Valée
désirait une armée d’Afrique formée de régiments réguliers, parce qu’il
voulait observer, dans la guerre d’Afrique, les règles qui avaient assuré le
succès des armées impériales en Europe[97] ! Il ne cessait d’exprimer
cette idée, et écrivait par exemple le 17 janvier 1838 au général de
Castellane, désigné pour le commandement de la province de Constantine : « Je
pense que les principes suivis pour la constitution des armées en Europe
peuvent s’appliquer, en les combinant aux exigences du terrain, à la guerre
que nous faisons en Afrique. Je repousse tout système de corps irréguliers
soumis à une organisation variable et qui, comme vous le faites observer,
n’ont d’autres résultats que de permettre de donner, à quelques hommes que
pousse la faveur, les moyens d’obtenir un avancement rapide. De bons
régiments constamment maintenus à un effectif suffisant me paraissent suffire
à tous les besoins du service[98]. » En
application de ces principes, il demanda au Ministre le licenciement du
bataillon de tirailleurs d’Afrique[99]. Il obtint satisfaction : par
décision du 2 mars, le Roi prescrivit la dissolution de ce bataillon composé
de Français[100] ; les cadres et les hommes
furent versés dans divers régiments, en particulier dans les zouaves. Valée
eût voulu faire supprimer aussi le corps des zouaves ; mais il ne cessa de se
heurter à la résistance du Ministre, due en partie aux appuis dont La
Moricière disposait à Paris. Le Ministre appréciait d’ailleurs beaucoup ce
corps, composé de Français volontaires et acclimatés et d’Indigènes vaillants
et dévoués ; il rappelait à Valée sa belle conduite à l’assaut de Constantine
; il admit seulement sa réduction à deux bataillons[101]. Valée riposta par de nouvelles
remarques : tous les régiments avaient formé des détachements pour l’assaut
de Constantine, et l’armée voyait « avec peine » la prédilection accordée à
des corps spéciaux ; à son avis, les zouaves ne devaient pas subsister comme
corps régulier, et leur réduction à deux bataillons devait nécessairement
conduire à leur suppression ou à leur transformation[102]. Le général Bernard estima que
le licenciement d’un corps ayant « toujours servi avec distinction » ne
s’imposait pas[103] ; la décision royale du 21
décembre 1838 se borna donc à supprimer un bataillon[104]. L’organisation
de l’armée d’Afrique souffrait ainsi du manque d’entente entre le Ministre de
la Guerre et le Gouverneur général. La distance entre Paris et Alger,
aggravée par la lenteur des communications, rendait les explications et les
décisions difficiles. La
question des effectifs avait été une des plus délicates à régler. Valée
faisait remarquer au Ministre avec raison que l’effectif disponible pour les
opérations devait être décompté aux deux tiers de l’effectif total ; il était
seulement de 28.000 ou 29.000 hommes sur le total fixé à 38.000, si l’on
défalquait « les non valeurs et les hommes appartenant à des corps qui ne
combattent pas[105]. » Le chiffre de 38.000 hommes
ne lui paraissait donc pas suffisant pour occuper les territoires d’Alger,
d’Oran et de Constantine : « Réduire l’armée à cet effectif, écrivait-il au
Ministre, c’est la placer dans un état de défensive complète, c’est lui
enlever les moyens de soutenir avec avantage une lutte nouvelle[106]. » Le
Gouvernement autorisa l’envoi de renforts portant l’effectif total à un
effectif dépassant 48.000 hommes[107]. Mais Valée avait établi un programme
d’opérations dans les provinces d’Alger et d’Oran qui exigeaient ce chiffre
de 48.000 comme présents sous les armes, c’est-à-dire un effectif total
d’environ 60.000 hommes. Le lieutenant général Bernard l’invita donc à
maintenir la paix le plus longtemps possible, et, si elle était rompue, à se
borner à l’occupation de Médéa, Miliana et Cherchell[108]. Valée
ne souhaitait nullement avoir à lutter avec les Indigènes ; il était partisan
d’une pénétration progressive et pacifique dans l’intérieur du pays, et
voulait seulement des forces suffisantes pour ne pas subir d’échec. Dans la
province d’Alger, il mit la main sur Koléa le 26 mars 1838, installa des
camps au Fondouk et à Kara-Mustapha, puis occupa Blida le 3 mai. Il fit
interdire aux troupes l’entrée de Koléa et Blida jusqu’à ce que des relations
confiantes fussent établies avec les habitants, et il fit verser des
indemnités aux Indigènes pour les dégâts causés à leurs moissons par
l’établissement des camps[109]. Dans la
province de Constantine, il donna le 20 mai au général de Négrier des
instructions caractéristiques : « Les longues courses, les expéditions à
grande distance ne peuvent amener de résultats durables. Comme le vaisseau
qui sillonne la mer et derrière lequel le flot se referme immédiatement, nos
colonnes ont souvent parcouru de vastes territoires sans laisser de traces
sur leur passage. C’est ce système que je veux abandonner pour revenir aux
établissements solides, à une marche progressive[110]. » Il lui
décrivait à nouveau le 29 mai la manière dont il comprenait le rôle de
l’armée : « L’habileté consiste à profiter des événements plutôt qu’à les
faire naître ; la gloire, à pacifier et à administrer le pays plutôt qu’à
combattre et à obtenir par les armes des succès éphémères, toujours contestés
et qui ne font faire aucun pas à notre colonie[111]. » C’étaient
là des principes de sage politique coloniale, trop méconnus à son époque. La
qualité de ses troupes importait à Valée au moins autant que leur quantité.
Il se plaignait amèrement de la manière dont étaient choisis dans la
Métropole les hommes de renfort : « Au lieu d’envoyer à l’armée d’Afrique des
soldats d’élite, écrivait-il le 20 juillet 1838 au Ministre, pour y
entretenir ou fortifier les bonnes traditions, les chefs de corps y jettent
tout ce qu’ils considèrent le moins, tout ce qui a usé infructueusement leur
patience et leurs moyens de répression[112]. » Il lui demandait de sévir
avec rigueur contre les chefs qui, par étroitesse d’esprit, manquaient ainsi
à leur devoir envers l’armée. Sa
préoccupation d’empêcher l’envoi d’hommes destinés à la prison ou à l’hôpital
devint d’autant plus légitime que les nécessités budgétaires firent ramener
pour 1839 l’effectif de l’armée d'Afrique à 38.000 hommes. Il fut invité par
le Ministre à renvoyer 10.000 hommes en France afin de réaliser la réduction
pour le 1er janvier 1839[113]. Le
Gouverneur général se plia à cette mesure représentée comme indispensable : «
Les gouvernements, écrivait-il le 30 novembre 1838 au duc d’Orléans, sont
quelquefois dominés par une force que, de loin, on ne peut pas apprécier...
On me dit si souvent que la direction des affaires d’Afrique est à Paris, on
cherche tellement à gêner mon action, à me refuser l’honneur de l’initiative
en contestant ma responsabilité, que je dois céder toutes les fois que la
position parlementaire du Gouvernement peut être compromise[114]. » Si
Valée est difficile à comprendre et à juger, c’est parce qu’il a été
constamment contrarié dans l’exécution de sa politique par les hommes et les
circonstances. Louis-Philippe
et le comte Molé, président du Conseil, le sentirent si bien qu’ils lui
proposèrent tous deux, le 6 décembre 1838, de prendre les fonctions de
ministre de la Guerre[115]. Le ministère Molé ayant
démissionné le 22 janvier 1839, Valée demanda à Louis-Philippe de rentrer en
France, invoquant son « dissentiment profond avec le Ministère de la Guerre
sur le système à suivre en Afrique » ; il incriminait la « direction des affaires
d’Afrique », créée à Paris et ne connaissant pas l’Afrique[116]. Louis-Philippe l’engagea à
rester à son poste. Cette
opposition entre un Gouverneur aux prises avec les réalités, conscient des
mesures à prendre, et un organe directeur nourri de théories et ignorant le
pays d’outre-mer, s’est renouvelée fréquemment dans l’histoire coloniale
française, sans que la Métropole ait compris la nécessité de faire confiance
à ses représentants qualifiés aux colonies. Le
général Bernard avait, lui aussi, reçu les doléances de Valée ; il lui
répondit que l’administration avait peut-être commis quelques erreurs, mais
il ajouta ces lignes, si vraies dans tous les temps : « Permettez-moi de vous
le dire, monsieur le Maréchal, vous ne vous êtes pas formé une idée
suffisamment exacte de la position d’un Ministre placé entre les
investigations de la presse et les débats de la tribune[117]. » Cette «
position » du Ministre donne le secret de la plupart des erreurs coloniales
de la France. Une
politique indigène bien dirigée pouvait, dans une certaine mesure, remédier à
la réduction des effectifs ; mais elle n’était pas entre les mains d’un
organe stable. La
direction des affaires arabes fonctionnant à Alger subit une importante
transformation au début de 1839, par suite du départ du commandant
Pellissier. Cet officier ayant refusé de rendre à un secrétaire d'Abd el
Kader deux de ses esclaves, un nègre et une négresse réfugiés à Alger, Valée
passa outre à son avis. Pellissier, quoique de caractère très entier, obéit ;
mais il remit au Gouverneur général la démission de ses fonctions[118]. Valée le fit embarquer pour la
France et écrivit au Ministre que cet officier « inspirait peu de confiance
et d’attachement à l’armée et à la population européenne[119]. » Ni le
Ministre ni Valée n’étaient disposés à laisser prendre à la direction des
affaires arabes une trop grande importance. Le capitaine d'Allonville,
désigné pour succéder à Pellissier, n’eut plus que des attributions limitées
; il fut chargé : de surveiller particulièrement la police, la discipline et
la comptabilité des gendarmes maures et des détachements de troupes indigènes
irrégulières établies dans la province d’Alger, en subordonnant les gendarmes
maures aux officiers et sous-officiers de gendarmerie française et les
détachements de troupes irrégulières aux commandants militaires
d’arrondissement ; de recevoir et transmettre les rapports des chefs de
tribus, en réservant au cabinet du Gouverneur la correspondance générale et
politique ; de traiter convenablement et de surveiller les émissaires et
courriers indigènes pendant leur séjour à Alger[120]. Son rôle devenait ainsi
secondaire. L’arrivée
du maréchal Soult, duc de Dalmatie, comme président du Conseil dans le
Ministère constitué le 12 mai 1839, dissipa la méfiance réciproque entre
Paris et Alger. Soult et Valée échangèrent des lettres cordiales[121], d’où ressortait la commune
volonté du Gouvernement métropolitain et du Gouverneur général à Alger
d’avoir « la paix, et non la guerre[122]. » L’organisation
de l’armée d’Afrique restait à établir sur des bases fermes. Valée,
qui n’avait pu obtenir en 1838 le licenciement des zouaves, essaya de
réaliser leur suppression par de nouveaux moyens. Il proposa au Ministre de
la Guerre de verser les Indigènes qui en faisaient partie à la légion
étrangère et de constituer avec les Français un régiment d’infanterie ; mais
il essuya un refus. Il suggéra alors de rattacher une ou deux compagnies de
zouaves à chacun des régiments d’infanterie légère, comme les spahis avaient
été rattachés aux chasseurs d’Afrique ; cette suggestion ne fut pas suivie.
Une ordonnance du 4 août 1839 trancha la question en décidant que le corps
des zouaves pourrait être reconstitué à trois bataillons, au lieu de deux,
lorsque son recrutement en soldats indigènes l’exigerait[123]. L'opinion publique, très
favorable aux zouaves, accueillit avec satisfaction la décision qui leur
donnait définitivement gain de cause. La
cavalerie régulière fut organisée par l’ordonnance du 31 août 1839. Elle
compta quatre régiments de chasseurs d’Afrique, au lieu de trois, par suite
de la création d’un quatrième régiment à Bône. Les 1er et 2e chasseurs
d’Afrique comprirent six escadrons de chasseurs français, plus deux escadrons
de spahis composés d’Indigènes et de Français ; les 3e et 4e chasseurs
d’Afrique eurent cinq escadrons français et un de spahis. Les corps de spahis
réguliers d’Oran et de Bône furent conservés ; celui d’Alger, licencié[124]. Les
officiers français de spahis avaient adopté le costume turc. Du Barail, qui
s’engagea en 1839 dans ce corps, décrit ainsi ce costume : veste turque
rouge, soutachée de noir ; gilet bleu de roi ; large culotte bleue, arrêtée
aux genoux ; botte molle avec éperon vissé ; turban de fantaisie ; burnous
rouge. « C'était très joli, ajoute-t-il, quand on avait de la ligne, de la
désinvolture ; mais, quand on prenait du ventre, cela vous donnait tout de
suite l’air d’un marchand de pastilles de la rue de Rivoli[125]. » Ce costume pittoresque
devait d’ailleurs être échangé en 1842 contre la tenue française. L’habitude
de boire des liqueurs fortes s’était malheureusement répandue beaucoup dans
l’armée d'Afrique : « C’était l’usage dans la cavalerie, écrit du Barail,
d’aller dès le réveil boire la goutte à la cantine, et cette première
consommation était la tête d’un chapelet de verres de rhum, d’absinthe, etc.,
qui s’égrenait jusqu’à l’extinction des feux[126]. » Le
territoire d’Alger, dont l’armée d’Afrique avait à assurer la sécurité
devait, d’après les conceptions de Valée, comprendre trois zones : la
première, limitée aux régions colonisées sur la côte, serait confiée à
l’administration civile et soumise à la loi française ; la seconde, divisée
en cercles commandés par des officiers, serait occupée par les .troupes et «
soumise à un système mixte » ; la troisième, située en dehors des régions
occupées d’une façon permanente par l’armée, serait gouvernée par des chefs
indigènes sous l’autorité des commandants supérieurs des provinces, et «
régie par la loi arabe pure[127]. » Un tel
projet renfermait l’embryon de l’organisation qui fut réalisée plus tard,
avec les communes de plein exercice, les communes mixtes et les territoires
militaires ; mais il avait le tort, pour la zone côtière, de reposer sur le
refoulement des indigènes, et, pour la zone indigène, de ne pas faire de
différence entre les « Arabes » et les Kabyles. La
division du territoire en trois zones administrées différemment ne paraissait
pas en désaccord avec l’idée de l’unité des possessions françaises en Afrique
du Nord, qui se faisait jour. Le mot Algérie
avait apparu dès la fin de 1837 dans des correspondances officielles[128], puis il avait été employé dans
des discussions parlementaires, et avait figuré dans l’ordonnance sur
l’administration civile de l’Algérie du 31 octobre 1838[129]. Il fut adopté officiellement
le 14 octobre 1839 par le Ministre de la Guerre[130], dont la décision fut transmise
par Valée aux troupes de l’armée d’Afrique en ces termes : « Le pays occupé
par les Français dans le Nord de l’Afrique sera, à l’avenir, désigné sous le
nom d’Algérie. En conséquence, les dénominations d’ancienne Régence d'Alger
et de Possessions françaises dans le Nord de l’Afrique cesseront d’être
employées dans les actes et les correspondances officielles[131]. » L’unité
de l’Algérie avait grand besoin d’être matérialisée sur le terrain car il
n’existait pas de communications par terre entre la province d’Alger et la
province de Constantine. Valée prépara dans le plus grand secret une
expédition destinée à établir solennellement les droits de la France sur une
région contestée par Abd el Kader, et à relier la province de Constantine à
celle d’Alger en passant par le fameux défilé des Portes de Fer. C’était au
duc d’Orléans qu’était réservée la gloire de mener cette expédition. Le duc
d’Orléans vint en Algérie à la fin de septembre 1839. Il débarqua à Oran le
23, mais il n’y trouva pas Valée, qui n’avait pu y arriver d’Alger par mer,
en raison des vents contraires[132] ; il ne put pas non plus être
accompagné par le commandant de la province, le général Guéhéneuc malade. Il
commença néanmoins son inspection, et la poursuivit ensuite dans toute
l’Algérie, avant de diriger l’expédition des Portes de Fer. Aucun
récit ne peut mieux donner idée de l’armée d’Afrique à ce moment que le
journal du Prince, relatant avec simplicité et sincérité, mais en termes
colorés et vibrants, ses impressions et ses jugements[133]. A Oran,
l'hôpital était bien tenu, et le nombre des malades pas considérable ; mais
les officiers de santé étaient peu zélés. « Dans tous les services
militaires, écrivait le duc d’Orléans, on vole d’une manière indigne, surtout
sur le pain, qui a été très mauvais jusque deux jours avant mon arrivée, et
sur lequel on fait des bénéfices honteux. Tout ce qui appartient à l’armée
militante est honorable, mais l’armée administrative est empestée de fripons
et de drôles qui salissent un uniforme qu’on aurait bien dû ne pas leur
laisser porter[134]. » Le
régiment de spahis de Yusuf, qu’il examina en détail, lui parut « un beau
corps de cavalerie, instruit et faisant très bien la guerre. » Yusuf le
commandait parfaitement : « malgré ses défauts, écrivait le Prince, cet
aventurier, par son extrême intelligence et sa grande bravoure, nous sera
bien utile : il faut s’en servir[135]. » Les officiers, ayant tous de
la valeur, se nuisaient mutuellement pour l’avancement. Le 2e
régiment de chasseurs d’Afrique était le plus beau et le plus instruit des
régiments de cavalerie qu’il eût rencontrés depuis longtemps. « Le colonel
Randon a métamorphosé ce régiment ; mes officiers et moi, nous étions tous
dans l’admiration ; chevaux lestes — il n’y a plus qu’une trentaine de
chevaux français —, beaux hommes bien à cheval, tenue simple et sévère ;
équipement léger et bien entendu, bon corps d’officiers ne s’occupant plus de
coterie, excellent colonel[136]. » Malgré
les prévarications des administrateurs, les soldats vivaient bien, parce que,
grâce aux organisations développées par Bugeaud, chaque corps avait son
troupeau et son jardin[137]. Le 2e chasseurs d’Afrique
était particulièrement bien installé aux abords immédiats d’Oran, à Karguenta
; il y possédait des « cultures suffisantes pour nourrir les chevaux durant
six mois et fournir des légumes et de la viande aux hommes pendant toute
l’année », et y avait « pavillon des officiers, écoles, salles à manger,
bibliothèque régimentaire et magasins[138] », le tout fort bien compris. Le
Prince Royal passa en revue les troupes de toutes armes d’Oran, y compris la
milice, ainsi que les Douairs et les Smela commandés par le général Mustapha
ben Ismaël. Il fut très satisfait. « Quelle belle division on pourrait avoir
avec de tels éléments ! » écrivait-il ; mais elle « aurait besoin de
l’impulsion d’un général jeune et actif[139] ». Ce serait là une « division
modèle, la réserve de l’armée d’Afrique, le point d’acclimatation et le camp
d’instruction des troupes venant de France[140]. » Attentif
à tout, il notait pour la Reine que les catholiques étaient au nombre de
9.500 dans la garnison d’Oran, sans les postes extérieurs, et que l’unique
chapelle ne contenait pas 100 personnes. Il se proposait de parler de cette
question au maréchal Valée[141]. A
Alger, où il arriva le 27 septembre[142], le duc d’Orléans prit contact
avec Valée : « Quel caractère que ce bon maréchal ! écrivait-il, quel trabajo
que de causer et de convenir de quelque chose avec lui !... Il est quinteux,
susceptible, se plaint de tout le monde, même de ce que le Roi et la Reine
traitent l’évêque mieux que lui[143]. » Le
Prince Royal commença son inspection par la visite des hôpitaux ; il trouva
les hôpitaux du Dey et de la Salpêtrière réunis en un établissement
magnifique, sain, bien tenu, pourvu de lits en fer, contenant 900 malades
bien traités, et un pavillon où se trouvaient une trentaine d’officiers.
Tandis qu’à Oran sévissait la dysenterie, occasionnée par les eaux
magnésiennes des environs, et à Bône la fièvre typhoïde et les gastrites, à
Alger régnait la fièvre, produite par les travaux dans des terres humides. Il
y avait un va-et-vient constant de fiévreux entre les camps de la banlieue et
l’hôpital[144]. Les
troupes d’Alger furent passées en revue par le duc d’Orléans sur la plage de
Mustapha. La milice était assez mal tenue et peu militaire. Le 41e de ligne,
qui venait d’arriver, était « fort mou », mais allait s’améliorer puisque le
colonel et neuf capitaines demandaient leur retraite ! Le 2e léger était par
contre bien composé : « ce régiment a plus qu’un numéro, il a un nom ; il est
fâcheux qu’il quitte l’Afrique au moment où il est le plus en état de bien
servir[145]. » Quant
au soldat de l’armée d’Afrique dans son ensemble, voici la description
pittoresque donnée de lui par le duc d’Orléans : « Au travers du tohu-bohu
des chameaux qui reviennent du marché, des omnibus, des fiacres et des
caravanes d’ânes, on voit le véritable roi d’Alger, le tourlourou français,
se promener gaiement, le képi sur l’oreille, le briquet battant entre les
jambes et regardant fièrement du haut de sa petite taille toutes les races
diverses de l’Europe et de l’Afrique qui se pressent autour de lui[146]. » Valée
faisait assez peu de cas des chefs, puisqu’il disait au dîner du 28 septembre
: « Eh ben ! eh ben ! Monseigneur croit avoir du monde à dîner ; il a sa
salle pleine, et il n’a personne ; il n’y a pas un homme dans tout ça, ça ne
sait que parler et manger, ça ne sait ni commander, ni obéir, ni comprendre[147]. » Par des réflexions de ce
genre, faites avec une « sauvage brusquerie », le Gouverneur général
manifestait son caractère difficile. Aussi, malgré les services qu’il rendait
à la colonie, était-il peu aimé[148]. Faisant, même chez lui, peu
d’efforts pour vaincre sa mauvaise humeur, il rappelait beaucoup, « dans une
grande robe de chambre brune avec une casquette molle, le successeur de
Charles VII ![149] » Le duc
d’Orléans visita le Jardin d’Essai, puis les camps des environs et les
principales fermes de colonisation[150]. A
Koléa, il remarqua que les zouaves avaient toujours « fort bonne mine[151] » ; au camp supérieur de Blida,
il passa en revue le 24e, très beau régiment de Méridionaux[152]. Dans les camps de l’Est,
cependant sains, il y avait beaucoup de malades ; l’effectif du 48e par
exemple comptait presque deux tiers d’indisponibles. « Les fièvres légères
dont tout le monde est atteint, écrivait le Prince, tiennent surtout à
l’insolation et à l’ennui qui, lorsque les chefs ne soutiennent pas, comme La
Moricière et Duvivier à Koléa et à Blida, le moral du soldat, l’abattent très
promptement. Il n’y a dans ces camps ni ombre ni végétation ; il est défendu
d’aller se promener dans les vallées boisées, ou de s’écarter assez du camp
pour aller voir les tentes des Arabes qui s’éloignent peu à peu des postes
militaires ; la chaleur pendant un temps, la pluie pendant un autre,
empêchent les occupations militaires. Renfermés dans une enceinte étroite et
brûlée, n’ayant sous les yeux que des bâtiments qui ressemblent à des
prisons, les soldats deviennent tristes ; c’est certainement une épreuve pour
leur moral que le séjour dans des lieux où l’on n’a même pas de livres ni de
papier pour s’occuper, et où il n’y a d’autre distraction que la vue qu’on a
du haut des remparts lorsqu’il ne fait pas trop chaud pour y rester[153]. » Si
l’oisiveté dans ces camps était déprimante, les travaux de terrassement
auxquels les troupes étaient obligées de se livrer étaient, eux, mortels : «
Le soldat africain, a écrit le duc d’Orléans, ouvre lui-même le tombeau où il
risque d’être enterré le lendemain ! Chaque coup de pioche qu’il donne d’une
main ferme et assurée est un pas vers la mort... Ainsi fut détruit le 11e de
ligne, empoisonné par les dessèchements de Boufarik ; ainsi périrent les
garnisons des camps de l’Harrach et de l’Arba, qui, sans en excepter un seul
homme, passèrent tout entières par l’hôpital et n’en sortirent guère que pour
le cimetière[154]. » Le duc
d’Orléans put voir dans les camps, outre le 48e dont les officiers n’avaient
« pas tout le ressort désirable », deux compagnies belges de la légion
étrangère, qui avaient bien résisté aux maladies ; il passa en revue les
Coulouglis de l’oued Zeïtoun et les cavaliers de l’Est de la plaine, dont le
contraste souligna à ses yeux « la différence des races turque et arabe ». Il
dépeignait les Coulouglis « coiffés d’énormes turbans, vêtus d’une veste
courte, d’une énorme ceinture, d’une culotte large, ne montant jamais à
cheval », et les considérait comme beaucoup plus fidèles que les Indigènes
algériens. Aussi regrettait-il l’expulsion des Turcs par Bourmont[155]. La vue
des fermes de colonisation renforça son sentiment que l’avenir du pays
dépendait par-dessus tout de l’établissement de colons européens. Il
constatait les progrès accomplis en dépit de toutes les fautes commises, et
écrivait : « Le pays marche ; il marche presque malgré le pouvoir ; s’il
avait la bride sur le cou, combien marcherait-il encore plus vite ![156] » Dans la
province de Constantine, où le duc d’Orléans se rendit accompagné de Valée,
il visita successivement Bougie, Djidjelli, Stora, Philippeville. A
Bougie, il rencontra le lieutenant-colonel Bedeau, qui y commandait le
détachement de la légion. Très intéressé par cette troupe, il la décrivait en
ces termes : « Il y a des gens de tous les pays, qui ont fait tous les
métiers et vu les quatre parties du monde, beaucoup de Français sous de faux
noms, beaucoup d’hommes des classes élevées qui ont commis des fautes et qui
se cachent : la biographie des soldats serait une mine inépuisable pour les
romanciers. Mais, avec de bons officiers, cette bande se bat admirablement,
elle est très accessible au point d’honneur. Presque tous les cadres ont fait
partie de cette malheureuse légion dont l’héroïque conduite en Espagne et les
souffrances énormes sont un sujet de gloire et de tristesse pour la France.
Ils sont, en général, bien[157]. » Le Prince vit d’ailleurs le
reste de la légion à Djidjelli[158]. Au
débarquement à Stora, le Prince Royal fut reçu par le général Galbois et les
grands chefs de la province de Constantine. Il remarqua que la politique à
l’égard des tribus jouait un rôle plus important que dans l’Ouest : « Je vais
m’occuper, écrivait-il, d’agir le plus possible sur la population indigène[159]. » Il admira l’éclosion de la
ville européenne de Philippeville, comptant 1.700 âmes, non compris la
garnison et les employés, un an après l’occupation du poste. Par
contre, le spectacle des hôpitaux était douloureusement impressionnant : «
C’est hideux ; j’admire la résignation et la patience des malheureux soldats
qui sont entassés sous des baraques étroites, sans lit, sans eau, sans vin,
sans médicaments, sans baignoires et presque sans médecins. Pas un murmure ne
s’échappe de leurs bouches, pas une parole amère : « Que voulez-vous, mon
Prince, me disent-ils, ne sommes-nous pas à l’armée ? » ou bien : « Peut-être
serons-nous plus mal un jour ![160] » Les chefs étaient les vrais
responsables de cet état de choses. Valée ne visitait jamais les hôpitaux ;
et certains officiers, comme ceux du 61e de ligne, se souciaient peu du
bien-être de leurs soldats. Le duc
d’Orléans fit évacuer immédiatement 400 malades sur Alger[161], et obtint du maréchal Valée
bien d’autres mesures utiles : envoi d’urgence de médicaments, de baignoires,
de médecins, et d’un intendant pour inspecter le service ; délogement des
bureaucrates qui avaient pris les belles constructions pour laisser les mauvaises
aux malades ; cessation des marchés sur le vin et le bois, qui étaient «
monstrueux » ; diminution des postes inutiles et des corvées ; assainissement
des abattoirs[162]. Toutes ces initiatives
auraient dû être prises par le commandant supérieur ! A
Constantine, les hôpitaux n’étaient pas mieux tenus, les casernements
n’étaient pas plus sains, la ville n’était pas plus propre. Le
colonel de la Ruë écrivait au Ministre de la Guerre au sujet des hôpitaux : « Les
termes de comparaison manquent pour vous rendre compte de cette misère[163]. » Le duc d’Orléans notait
le 14 octobre : « Rien n’a été fait, depuis deux ans, pour améliorer la
situation des hommes. Les malades sont dans une situation horrible : les deux
tiers n’ont pas de lit ; les trois quarts n’ont pas de matelas ; quelques-uns
sont en plein air dans les galeries mauresques ; beaucoup sous la tente. Une
partie des bâtiments affectés aux hôpitaux tombent en ruine et s’écrouleront
sur la tête des malheureux qu’ils abritent. Une seule cuisine centrale, pour
tous les hôpitaux disséminés en ville, distribue partout des aliments froids[164]. » L’état
du casernement de la troupe contribuait certainement à augmenter le nombre
des malades : « Les soldats sont logés çà et là, en ville, dans des maisons
occupées le lendemain de l’assaut, qui manquent toutes d’air, d’écoulement
pour les eaux, de latrines ; plusieurs d’entre elles sont déjà tombées par
terre. Pas un seul homme n’a de lit, de matelas ni même de paillasse. La
garnison entière couche, depuis deux ans, sur la terre avec la couverture de
campement[165]. » Comment
les chefs de l’armée d’Afrique ne s’occupaient-ils pas davantage de la santé
de leurs hommes ? La faute venait d’en haut : « Il est inouï, écrivait le duc
d’Orléans, que le Maréchal ne se soit pas encore occupé de cet état, et
encore ai-je eu beaucoup de peine à lui faire voir un hôpital, et ne suis-je
pas parvenu à le mener dans les autres. » Devant cette indifférence, le
Prince prit « un grand parti » : il fit transporter dans le palais
qu’il occupait les malades les plus mal installés : « Je rougissais de nous
voir logés comme des rois, nous bien portants, tandis que des pauvres soldats
étaient si mal et souffraient si patiemment[166]. » La
saleté des rues de la ville contribuait aussi à répandre les maladies : « Ce
ne sont, à chaque pas, que charognes, ordures, eaux croupies sans écoulement.
Des bandes de chiens, parmi lesquels le barbet tondu en lion représente,
depuis peu, la civilisation européenne, ne suffisent pas, avec les quantités
innombrables de vautours et d’aigles qui entourent la ville, à nettoyer ces
charniers infects dont un peu de soin purgerait la ville[167]. » Des
mesures furent prises, grâce au duc d’Orléans, pour la construction
d’hôpitaux et de casernes. Mais le grand tort du génie, dans les plans qu’il
traça fut, à Constantine comme ailleurs, de peu ménager les restes des
civilisations passées : « Je pose la première pierre, écrit le duc d’Orléans,
sur l’emplacement de ce grand temple romain dont les colonnes de soixante-
douze pieds de haut, encore éparses sur le sol, devaient faire un effet si
grandiose vues de la campagne, sur l’extrémité d’une falaise de neuf cents
pieds[168]. » Ces souvenirs ont souvent
disparu sans profit. Malgré
tous les exposés de Valée sur la nécessité d’entreprendre une expédition
contre Hamza, le duc d’Orléans écartait ce projet avec « persistance et
fermeté » ; il ne voulait pas se laisser entraîner à une opération
susceptible, à son avis, de faire renaître la guerre avec Abd el Kader. «
Cette affaire d’Hamza, écrivait-il, est son dada, et il eût voulu, en la faisant,
m’en mettre toute la responsabilité sur le corps. » Le Prince royal ne
voulait pas risquer de rompre la paix, « seule base actuelle du développement
de notre colonie[169] », et résistait à toutes les
raisons données[170]. Voulant
montrer cependant son désir de participer effectivement aux actes de l’armée,
il prit le commandement d’une division dans une colonne constituée par Valée
pour ouvrir des routes vers l’intérieur : « Rien de belliqueux dans cette
organisation, il n’y est question que de marches et de travaux ; c’est la
réhabilitation de la pioche à l’égard des fusils que j’entreprends[171]. » Il eut soin néanmoins
d’emmener sous ses ordres les meilleures troupes de la division, parmi
lesquelles le 2e léger et le 23e de ligne. Le 2e léger comptait, comme à ce
moment la plupart des corps d’Afrique, une grande majorité de Méridionaux :
des Gascons et des Languedociens[172] ; il était considéré comme le
meilleur régiment de l’armée d’Afrique. Son seul défaut était, suivant
l’expression imagée du duc d’Orléans, de « porter un peu trop le képi sur
l’oreille » ; il n’avait pas voulu prendre de couvertures, disant : « Le 2e
léger ne craint rien, pas plus les éléments que les Arabes. » Le colonel du
régiment, Changarnier, qui tombait dans ce travers, avait laissé faire ; le
duc d’Orléans avait envoyé l’ordre de faire parvenir les couvertures[173] ; mais il était trop tard ; «
le colonel avait commis la coupable, folle et irréparable désobéissance
d’emmener ses hommes avec une capote et un sac de toile, sans vestes ni
couvertures ![174] » Les
soldats de la colonne étaient, de l’avis du duc d’Orléans, « au-dessus de
tout éloge » ; ils avaient « les vertus des anciens grognards sans leurs
défauts et surtout ne méritaient pas leur nom[175]. » A
Djemila, où passa la colonne, il y avait comme garnison du poste deux
bataillons du 23e et du 17e léger, bien réduits par les fièvres. Les hommes,
« entassés sous des tentes malsaines, trop froides et trop chaudes,
exécutant, dans les chaleurs les plus fortes comme pendant les pluies,
d’immenses travaux de terrassement, avaient été décimés par la maladie. » Les
malheureux malades y étaient « sous des tentes, sans matelas, avec un seul
sous-aide pour tout personnel de santé et cinq bidons pour tous ustensiles[176]. » Le duc
d’Orléans fit procéder à des évacuations, apporter des ustensiles, des
tentes, des planches, et prescrivit le remplacement de la garnison par des
zéphyrs. Il avait vu, quelques jours auparavant, des chasseurs d’un bataillon
d’infanterie légère d’Afrique au camp de Toumiet et les avait appréciés : «
Le camp est occupé par les zéphyrs, troupe que, malgré sa composition, j’aime
beaucoup, et qui a bien l’esprit français. Ils vont seuls dans les tribus, à
quinze lieues à la ronde ; les Indigènes les appellent des Kabyles français
et les traitent comme des frères[177]. » Il analysait d’ailleurs en
ces termes la conduite de ceux qui avaient, l’année précédente, été attaqués
à Djemila par les Kabyles : « L’ennemi s’était retiré ; mais il restait la
famine, le froid, l’incertitude de l’avenir. Cette situation fut supportée
par les zéphyrs avec cette ferme et courageuse insouciance qui est le fond de
leur caractère[178]. » Sétif,
où la colonne arriva le 21 octobre 1839, était gardée par le bataillon turc,
« excellent et d’un dévouement à toute épreuve. » Il était, de l’avis du duc
d’Orléans, « indignement traité », et n’avait ni vêtements, ni nourriture, ni
logement. « On leur donne, écrivait le Prince, seize sous par jour et un
petit morceau de biscuit ; avec cela, il faut qu’ils s’habillent et
s’entretiennent : c’est impossible ! En outre, on les envoie dans les postes
où ils ne peuvent même pas trouver de la viande ou de la farine, et on les
laisse au bivouac en plein air, sans une couverture ni un manteau. Ils
souffrent, meurent et ne se plaignent pas. Les officiers qui les commandent
ne sont guère mieux traités ; il y a là quelque chose à faire[179]. » Ce corps pouvait rendre, à
son avis, d’immenses services ; il admira particulièrement la compagnie de
canonniers et la compagnie de réserve des Turco fino[180]. Valée
tenait toujours à se diriger sur les Portes de Fer, pour ouvrir la route
terrestre d’Alger à Constantine, au lieu de revenir sur Bougie. Le duc
d’Orléans n’entendait pas « s’associer à un acte qui pourrait avoir le
caractère d’une provocation », et voulait l’assurance absolue que la guerre
avec Abd el Kader n’en résulterait pas[181]. De longues discussions eurent
encore lieu entre eux. Ce fut seulement après avoir reçu du Maréchal la
garantie formelle du maintien de la paix que le Prince se décida le 24
octobre à exécuter l’opération[182] ; encore fit-il le lendemain
une dernière tentative pour l’empêcher[183]. L’habitude
de Valée était de ne jamais rien laisser connaître de ses projets militaires.
Ses subordonnés se plaignaient de ce procédé : « Notre Maréchal, écrivait le
capitaine de Saint-Arnaud en avril 1838, est discret comme la tombe... Aussi,
troupe, administration, tout est-il toujours sur le qui-vive. On vit dans une
atmosphère d’incertitude vraiment pénible[184]. » C’était cependant le seul
moyen d’assurer le secret des opérations. Lors de l’expédition des Portes de
Fer, le secret fut remarquablement gardé, et, jusqu’au dernier moment, nul ne
connut le véritable but de l’expédition. Lorsque
les troupes s’aperçurent le 26 octobre qu’elles prenaient la direction du
sud-ouest, et non du nord-ouest, elles furent transportées d’enthousiasme[185]. Elles traversèrent le défilé
le 28 octobre sans coup férir. Le duc d’Orléans fit graver par les sapeurs
sur le roc : Armée française, 1839, sans vouloir que son nom figurât dans
l’inscription. Le 17e
léger rivalisait de courage et d’endurance avec le 2e léger ; mais il était
réputé pour ses effets usés, et recevait au passage les quolibets des autres
régiments, qui, en voyant des trous aux pantalons et aux capotes, demandaient
aux soldats ce qu’ils payaient pour l’impôt des portes et fenêtres[186]. « Il est râpé, écrivait le duc
d’Orléans, au point que capotes, collets, coiffes, épaulettes, tout est de
différentes nuances du gris : la troupe, depuis trois ans, n’a couché que
trois semaines sur des matelas. Toutes les figures et toutes les barbes sont
d’une teinte brun roux uniforme, qui atteste de longues épreuves supportées
avec résolution. Le corps d’officiers est excellent[187]. » Au 2e
léger régnait un esprit de corps remarquable, qui avait donné aux soldats
pleine confiance en eux-mêmes. Ainsi, le 31 octobre, le duc d'Orléans ayant
voulu, au cours d’un engagement d’arrière-garde, faire sonner la marche du
régiment, les hommes lui crièrent : « Non, non ! les ennemis sauraient que
c’est le 2e léger qui charge, et ils ne nous attendraient pas. Qu’on nous
sonne simplement la charge ![188] » Cette « fanfaronnade gasconne
», comme la qualifiait le Prince Royal, symbolisait bien la haute opinion que
les soldats avaient de leur régiment. Changarnier
participa à cet engagement, et y vit au feu le duc d’Orléans ; il donne sur
lui cette appréciation caustique : « Le duc d’Orléans me rejoignit et paya de
sa personne avec un courage d’autant plus méritoire que le sifflement des
balles lui était visiblement désagréable. Ce prince spirituel et charmant,
plein du noble désir de se distinguer, était mal doué pour la guerre, qu’il
avait beaucoup étudiée sur les cartes et dans les livres. Sa santé ne
résistait pas à la fatigue et, en présence de l’ennemi, il n’avait ni coup
d’œil ni idées justes[189]. » L’arrivée
de la colonne à Alger le 2 novembre fut impressionnante. A une halte près de
Maison Carrée, le duc d’Orléans fit ses adieux à la division qu’il avait
commandée ; puis il tint à défiler devant le maréchal Valée, à la tête du 2e
léger. Il décrivait la scène en ces termes : « Sur une hauteur d’où l’on
découvre à la fois Alger et la Mitidja, défilait le long d’une route
construite par leurs bras une poignée de soldats dont les habits usés, les
souliers troués attestaient les grands travaux. C’étaient les conquérants de
l’Algérie. Comme fond du tableau nous avions la Maison Carrée, emblème de la
domination turque que nous avions renversée ; la mer et trois bateaux à
vapeur, notre lien avec la Mère Patrie ; enfin, à la queue de la colonne, les
spahis de Constantine, symbole de l’alliance des vaincus et des vainqueurs.
Tout cela, éclairé par un beau soleil, formait un coup d’œil remarquable[190]. » Les
troupes furent accueillies par les acclamations des habitants et les
manifestations les plus cordiales : « Les bourgeois, écrivait le duc
d’Orléans, donnent aux-soldats du vin et des cigares ; on leur offre de
porter leurs sacs ; les toits des maisons — dont déjà un grand nombre se sont
bâties depuis un mois — se couvrent de monde ; l’impériale des omnibus est
chargée de spectateurs ; dans les cabarets on porte la santé en passant[191]. » La population indigène
participa à l’enthousiasme général. Le
banquet offert par le duc d’Orléans sur la place Bab-el-Oued à toute la
division qu’il avait commandée est resté célèbre. Dans son toast, le Prince
s’appliqua à définir les mérites de l’armée d’Afrique et à retracer son œuvre
: « A
cette armée, s’écria-t-il, qui a conquis à la France un vaste et bel empire,
ouvert un champ illimité à la civilisation, dont elle est l’avant-garde ! A
la colonisation, dont elle est la première garantie ! « A
cette armée qui, maniant tour à tour la pioche et le fusil, combattant
alternativement les Arabes et la fièvre, a su affronter avec une résignation
stoïque la mort sans gloire de l’hôpital, et dont la brillante valeur
conserve dans notre jeune armée les traditions de nos légions les plus
célèbres ![192] » Le
Prince fit ensuite le tour des tables et eut un mot aimable pour chacun. Son
attitude familière, dans cette circonstance comme dans les autres,
impressionna officiers et troupiers, et marqua le début d’une transformation
des usages militaires en Afrique. La
cordialité entre chefs et subordonnés, les efforts des officiers pour
améliorer l’existence de leurs hommes, qui devinrent par la suite des
habitudes de l’armée d’Afrique, n’étaient pas dans le caractère de Valée. Le
sous-lieutenant Ducrot écrivait à son grand-père : « L’insouciance du
maréchal Valée pour tout ce qui touche au bien-être de la troupe est vraiment
surprenante[193]. » La
discipline était du moins parfaitement observée partout où se trouvait le
Maréchal. Les soldats avaient un respect absolu des propriétés, et passaient
à côté des jardins sans toucher un fruit. « Pas un vol, pas une violence,
écrivait le duc d’Orléans, ne souille ces troupes qui souffrent sans essayer
d’appliquer à leurs besoins les ressources dont elles pourraient s’emparer et
faire usage. La viande, les bonnes tentes de poil de chameau, la laine pour
les matelas sont là dans ces douars traversés journellement par le soldat qui
a faim et froid ; mais le vainqueur protège l’abondance des vaincus, sans
songer à son propre bien-être[194]. » L’existence
très dure de ces troupes eût cependant mérité quelques compensations : « Le
soldat, d’après le duc d’Orléans, exposé aux alternatives d’un soleil
tropical et d’une neige alpestre, ne s’est couché sur un matelas, ni même
déshabillé, pendant près de trois années ! Tantôt suivant la cavalerie à la
course dans les razzias, tantôt pliant sous le poids de son bagage, jour et
nuit en route et au travail, tour à tour employé ou comme bête de somme ou
comme terrassier, le fantassin, mal nourri, avec des vêtements usés, passe
dans toutes les saisons des rivières à gué, monte toutes ses gardes au
bivouac, et, vu la multiplicité des postes, est de garde toutes les nuits ![195] » Pour
résumer cette existence, le duc d’Orléans disait : « On travaille comme des
chevaux, et on ne se bat pas. L’armée se rappelle un temps où on se battait
souvent, où on pillait quelquefois et où on ne travaillait jamais[196]. » Un tel
ensemble de conditions avait rendu le maréchal Valée assez impopulaire. Mais
le duc d’Orléans rectifiait ce jugement en ces termes, à la suite de
l’expédition des Portes de Fer : « L’élan en faveur du Maréchal et de l’Armée
a été grand à Alger : on rend justice au Maréchal, qui ne sait pas se faire
aimer, mais qui sait faire le bien et qui en a accompli un immense ici. Son
départ serait, à mes yeux, le plus grand malheur qui puisse frapper la
colonie[197]. » Cette
appréciation relevait davantage du sentiment que du raisonnement ; du moins
allait-elle pouvoir être vérifiée à la lueur des événements. Une nouvelle période allait s’ouvrir, où la lutte par les armes devait jouer le principal rôle, et marquer l’armée d’Afrique d’une empreinte spéciale. |
[1]
Voir pour plus de détails : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de
l'Algérie, pages 193-194.
[2]
Le maréchal comte Valée au lieutenant général Bernard, ministre de la Guerre,
d'Alger, 22 novembre 1837 (copie).
[3]
Le capitaine de Saint-Arnaud à son frère, de Kouba, 24 février 1838, Lettres,
tome I, page 157.
[4]
Mémoires du général Changarnier, publiés par Henry d'Estre, page 47.
[5]
Général du Barail, Mes Souvenirs, tome I, pages 106-107.
[6]
Le chef d’escadrons Yusuf, « commandant les spahis de Bône », au Ministre de la
Guerre, de Paris, 10 novembre 1837 (original).
[7]
État des corps formant la garnison de Constantine, par le lieutenant général
comte Valée, Constantine, (26) octobre 1837 (original).
[8]
Le lieutenant général comte Valée au lieutenant général baron Bernard, ministre
de la Guerre, de Bône, 4 novembre 1837 (original).
[9]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, de Bône, 11 novembre 1837 (dépêche
télégraphique).
[10]
Le général Bernard, ministre secrétaire d’État de la Guerre, au lieutenant
général comte Valée, de Paris, 3 novembre 1837 (copie).
[11]
Le général Bernard, ministre secrétaire d’État de la Guerre, au lieutenant
général comte Valée, de Paris, 4 novembre 1837 (copie).
[12]
Le lieutenant général comte Valée au lieutenant général baron Bernard, ministre
de la Guerre, de Bône, 11 novembre 1837 (original).
[13]
Rapport au Ministre du sous-intendant militaire (cité), de Bône, 7 novembre
1837 (original).
[14]
Le maréchal de camp de Beurmann, commandant p. i. la 8e division militaire, au
Ministre de la Guerre, de Marseille, 24 novembre 1837 (original).
[15]
Le ministre secrétaire d'État de la guerre Bernard au général de Négrier,
commandant les troupes à Alger, de Paris, 15 novembre 1837 (original). — Le
même au maréchal Valée, de Paris, 15 novembre 1837 (original).
[16]
Rapport sur le camp de Medjez-Amar, par le colonel Corbin, commandant le camp,
le 15 novembre 1837 (original).
[17]
Le maréchal Valée à M. l’intendant d’Arnaud, de Bône, 18 novembre 1837 (copie).
[18]
Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, à Bône, de Paris, 27 novembre 1837
(dépêche télégraphique).
[19]
Le général de Négrier au maréchal comte Valée, gouverneur général, de Bône, le
30 novembre 1837 (original).
[20]
Le colonel de Hulsen, commandant la légion étrangère, au chef d’état-major
Girot, 11 novembre 1837 (original).
[21]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 10
décembre 1837 (original).
[22]
Un certain nombre d’auteurs, trompés par une similitude de noms, ont confondu
le bataillon de « tirailleurs d’Afrique » avec les « tirailleurs algériens ».
Les tirailleurs d’Afrique étaient tous Français de la Métropole, sans aucun
indigène parmi eux. Ce bataillon n’eut rien de commun non plus avec le
bataillon de « tirailleurs de Vincennes », futurs chasseurs à pied, qui vint de
France à Alger en janvier 1840.
[23]
Le chef de bataillon de tirailleurs d’Afrique, Paté, au général de Négrier, de
Constantine, 22 décembre 1837 (original).
[24]
Le commandant Paté au général de Négrier, de Constantine, 22 décembre 1837
(original).
[25]
Le maréchal de camp de Négrier, commandant la province de Constantine, au
maréchal Valée, de Constantine, 21 décembre 1837 (original).
[26]
Journal militaire officiel, année 1837, n° 9, 1er semestre, page 139.
Ordonnance du Roi qui prescrit l’organisation, en Afrique, d’un troisième
bataillon de zouaves. Paris, 20 mars 1837.
[27]
Le lieutenant général Bugeaud, commandant la division d’Oran, au Ministre de la
Guerre, 12 novembre 1837 (extrait classé au 14 décembre 1837).
[28]
Journal militaire officiel, année 1837, n° 44, 2e semestre, page 390.
Décision royale qui prescrit la réunion en un seul corps des trois bataillons
de zouaves, 11 novembre 1837. — Le lieutenant général Cubières, directeur
général du personnel et des opérations, au lieutenant général Bugeaud,
commandant la division active d’Oran, de Paris, 16 novembre 1837 (original). —
Le maréchal Valée au général Auvray, commandant supérieur à Oran, d’Alger, 25
novembre 1837 (original).
[29]
Le maréchal Valée au général de Négrier, 19 décembre 1837, 2e lettre (copie).
[30]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 16 décembre 1837 (copie).
[31]
Le général Trézel au maréchal comte Valée, de Bône, 24 décembre 1837 (original)
[32]
Le lieutenant général Bugeaud, commandant la division d’Oran, au Ministre de la
Guerre, 12 novembre 1837 (extrait classé au 14 décembre 1837).
[33]
Le général Trézel au maréchal de camp de Négrier, à Alger, de Constantine, 24
octobre 1837 (original).
[34]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 10
janvier 1838 (original).
[35]
Le maréchal Valée au colonel Bernelle, de Bône, 14 novembre 1837 (copie).
[36]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 29 décembre 1837 (extrait fait, à
Paris).
[37]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 29 décembre 1837 (extrait fait, à
Paris).
[38]
Le maréchal comte Valée au Roi et au général Bernard, d’Alger, 22 novembre 1837
(copies).
[39]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au lieutenant général Trézel, chef
d’état-major général de l’armée d’Afrique, à Bône, de Paris, 15 novembre 1837
(copie).
[40]
La Moricière à Duvivier, de Bône, 15 novembre 1837 (original).
[41]
Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, à Bône, de Paris, 14 novembre 1837
(minute).
[42]
Le maréchal Valée au général baron Bernard, ministre de la Guerre, d’Alger, 23
novembre 1837 (original).
[43]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, à Alger, de
Paris. 6 décembre 1837 (minute).
[44]
Le lieutenant général Bugeaud au Ministre, de Port-Vendres, décembre 1837, à
bord du Castor (original).
[45]
Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, de Paris, 10 janvier 1838 (minute).
[46]
Journal du maréchal de Castellane, 29 décembre 1837, tome III, page 138.
[47]
Journal du maréchal de Castellane, 30 décembre 1837, tome III, pages 138
et 139.
[48]
Journal du maréchal de Castellane, Bône, 2 janvier 1838, tome III, page
141.
[49]
Journal du maréchal de Castellane, Bône, 1er janvier 1838, tome III,
page 140.
[50]
Journal du maréchal de Castellane, Bône, 1er janvier 1838, tome III,
page 140.
[51]
Journal du maréchal de Castellane, 8 février 1838, tome III, page 158.
[52]
Journal du maréchal de Castellane, 5 et 6 janvier 1838, tome III, pages
142-143.
[53]
Journal du maréchal de Castellane, 8 février 1838, tome III, page 159.
[54]
Journal du maréchal de Castellane, Bône, 10 janvier 1838, tome III, page
146.
[55]
Journal du maréchal de Castellane, 20 janvier 1838, tome III, page 148.
[56]
Le chef d’escadron de Zaragoza au colonel Duvivier, 7 janvier 1838 (original).
[57]
Le chef d’escadrons de Mirbeck au colonel Duvivier, commandant supérieur du
camp de Guelma, à Guelma, de Bône, 19 janvier 1838 (original).
[58]
Le chef d’escadron de Zaragoza au colonel Duvivier, 7 janvier 1838 (original).
[59]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d'Alger, 27 janvier 1838,
confidentielle, (original).
[60]
Le lieutenant général Rullière, commandant les troupes de la division d’Alger,
au maréchal Valée, d’Alger, 8 décembre 1837 (original).
[61]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, gouverneur
général, de Paris, 13 décembre 1837 (original).
[62]
Document lithographié, 11 décembre 1837.
[63]
Ordre du jour du 1er décembre 1837, copie signée par le commandant supérieur de
Bougie, le lieutenant-colonel Chambouleron (classé au 21 décembre).
[64]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 décembre 1837 (copie).
[65]
Le capitaine de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, d’Oran, 24 juillet
1838. Lettres d'un soldat, pages 49-51.
[66]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 28 janvier 1838 (copie.)
[67]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 16 décembre 1837 (copie).
— Archives administratives du Ministère de la Guerre, dossier Peyrussan
(Jean-Barthélemy).
[68]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 28 janvier 1838 (copie).
[69]
Négrier à Valée, 17 janvier 1838, citée par Valée dans sa lettre du 28 janvier.
[70]
Valée au Ministre, 28 janvier 1838 (citée).
[71]
Ordres du jour de Constantine ; ordre n° 54, Constantine, 27 janvier 1838.
[72]
Ordre n° 58, Constantine, 31 janvier 1838.
[73]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 17
janvier 1838 (original).
[74]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris,
10 janvier 1838 (original).
[75]
Le maréchal Valée du Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 janvier 1838 (copie).
[76]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 janvier 1838 (copie).
[77]
Le maréchal Valée au général de Négrier, d’Alger, 31 janvier 1838 (copie).
[78]
Le maréchal Valée au général de Négrier, d’Alger, 31 janvier 1838 (copie).
[79]
Ordres du jour de Constantine : ordre n° 56 du 28 janvier 1838, prescrivant
pour le lendemain une reconnaissance par une colonne mobile composée de 100
chasseurs à cheval, 100 spahis de Constantine et 2 pièces de montagne.
[80]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 26
janvier 1838 (original).
[81]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris,
30 janvier 1838 (original). Dans cette lettre, la décision suspendant le
recrutement dans les spahis est mentionnée comme étant du 17 mai 1837.
[82]
Voir : Colonel Paul Azan, L’émir Abd el Kader, 1925, pages 108 à 111.
[83]
Le maréchal Valée au capitaine Pellissier, d’Alger, 22 janvier 1838 (copie).
[84]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 février 1838 (copie).
[85]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 mars 1838 (copie).
[86]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 16 mars 1838 (copie).
[87]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 17 mars 1838 (copie).
[88]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, gouverneur
général, de Paris, 25 avril 1838 (original).
[89]
Le maréchal comte Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 30 juin 1838
(original).
[90]
Le maréchal comte Valée au général Guéhéneuc, à Oran, de Constantine, 28
septembre 1838 (copie).
[91]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 20 décembre 1837
(original).
[92]
Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, de Paris, 10 janvier 1838 (minute).
[93]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 8
janvier 1838 (original).
[94]
Le même au même, de Paris, 31 janvier 1838 (original).
[95]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 8
janvier 1838 (original).
[96]
Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 8
janvier 1838 (original).
[97]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 décembre 1837
(original).
[98]
Le maréchal Valée au général de Castellane, à Bône, d’Alger, 17 janvier 1838
(copie),
[99]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 9 février 1838 (original).
[100]
Journal militaire officiel, année 1838, n° 7, page 91.
[101]
Le Ministre de la Guerre au maréchal comte Valée, de Paris, 26 septembre 1838
(2e et dernière minute).
[102]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 22 octobre 1838 (original).
[103]
Rapport au Roi du 21 décembre 1838 (copie).
[104]
Aucune « ordonnance » ne se trouve au Journal militaire officiel à ce jour ; la
suppression a été l’objet d’une « décision du 21 décembre 1838 », citée dans
l’ordonnance royale du 4 août 1839 (Journal militaire officiel, 1839, n°
35, page 85).
[105]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 décembre 1837
(original).
[106]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 décembre 1837
(original).
[107]
Le lieutenant général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée,
de Paris, 21 février 1838, très confidentielle (minute).
[108]
Le lieutenant général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée,
de Paris, 21 février 1838 (original).
[109]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 5 mai 1838 (extrait).
[110]
Le maréchal Valée au général de Négrier, commandant la province de Constantine,
20 mai 1838 (extrait).
[111]
Le maréchal Valée au général de Négrier, d’Alger, 29 mai 1838 (copie).
[112]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 31 août 1838 (original).
[113]
Le Ministre de la Guerre au maréchal comte Valée, de Paris, 5 septembre 1838
(3e et dernière minute).
[114]
Le maréchal comte Valée au duc d’Orléans, d’Alger, 30 novembre 1838 (copie).
[115]
Le comte Molé au maréchal comte Valée, 6 décembre 1838. — Le Roi Louis-Philippe
au maréchal comte Valée, 6 décembre 1838. Imprimées dans Le maréchal Valée, par
le commandant Maurice Girod de l’Ain, Paris, Berger-Levrault, 1911, pages 201
et 202.
[116]
Le maréchal comte Valée au Roi Louis-Philippe, d’Alger, 10 février 1839
(original).
[117]
Le général Bernard au maréchal comte Valée, de Paris, 18 mars 1839 (copie).
[118]
Le commandant Pellissier au maréchal Gouverneur général à Alger, d’Alger, 25
février 1839 (original). Dossier spécial : avril 1839.
[119]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre (minute sans date). Dossier spécial
: avril 1839.
[120]
Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 6 avril 1839 (copie).
[121]
Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie,
chapitre VIII, page 221.
[122]
Le maréchal Soult, président du Conseil, au maréchal comte Valée, de Paris, 17
juillet 1839 (copie).
[123]
Journal militaire officiel, année 1839, n° 35, page 85. Ordonnance du
Roi relative à l’organisation du corps des zouaves, Paris, le 4 août 1839.
[124]
Journal militaire officiel, année 1839, n° 42, pages 219 à 227.
Ordonnance du Roi sur l’organisation de la cavalerie française et indigène en
Afrique, Paris, 31 août 1839.
[125]
Général du Barail, Mes Souvenirs, tome I, page 67.
[126]
Général du Barail, Mes Souvenirs, tome I, page 69.
[127]
Le maréchal Valée au maréchal Soult, duc de Dalmatie, président du Conseil,
d’Alger, 24 août 1839 (copie).
[128]
Le maréchal comte Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 29 décembre 1837
(copie au 24 janvier 1838). — Le Ministre de la Guerre au maréchal comte Valée,
de Paris, 10 janvier 1838 (minute).
[129]
Ordonnance du Roi sur l’administration civile de l’Algérie, à Paris, 31 octobre
1838. Bulletin des Lois, 2e semestre 1838, page 553.
[130]
Le général Schneider, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, gouverneur de
l’Algérie, de Paris, 14 octobre 1839 (original).
[131]
Ordre de la division d’Oran n° 524, du 28 novembre 1839 (copie).
[132]
Le maréchal comte Valée au lieutenant général Guéhéneuc, commandant la province
d'Oran, d’Alger, 27 septembre 1839 (copie).
[133]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 1833-1841.
[134]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 septembre 1839, page 95.
[135]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 septembre 1839, page 97.
[136]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 100.
[137]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 101.
[138]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 104.
[139]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 101.
[140]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 104.
[141]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 106.
[142]
Le colonel d’état-major de la Ruë au général Schneider, ministre de la Guerre
(original).
[143]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 27 septembre 1839, page 111.
[144]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 113 à 115.
[145]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 115-116.
[146]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 117-118.
[147]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 116-117.
[148]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 1er octobre 1839, page 131.
[149]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 5 octobre 1839, page 143.
[150]
Le maréchal comte Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 5 octobre 1839
(original).
[151]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 30 septembre 1839, page 123.
[152]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 30 septembre 1839, page 126.
[153]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 3 octobre 1839, page 136-137.
[154]
Duc d’Orléans, Campagnes de l'armée d'Afrique, 1835-1839, page 381.
[155]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 3 octobre 1839, page 139-140.
[156]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 5 octobre 1839, page 147.
[157]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 7 octobre 1839, page 153.
[158]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, page 155.
[159]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 8 octobre 1839, page 157.
[160]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 8 octobre 1839, page 158.
[161]
Le colonel d’état-major de la Ruë au général Schneider, ministre de la Guerre,
de Philippeville, 9 octobre 1839 (original).
[162]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 9 octobre 1839, page 165.
[163]
Le colonel d’état-major de la Ruë au général Schneider, ministre de la Guerre,
de Constantine, 15 octobre 1839 (original).
[164]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, page 186.
[165]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, pages 186-187.
[166]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, page 187.
[167]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, pages 187-188.
[168]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, pages 188.
[169]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 8 octobre 1839, page 161.
[170]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 15 octobre 1839, page 191.
[171]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 15 octobre 1839, page 192.
[172]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 18 octobre 1839, pages 206-207.
[173]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 15 octobre 1839, page 193.
[174]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 octobre 1839, page 244.
[175]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 octobre 1839, page 247.
[176]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 20 octobre 1839, page 215.
[177]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 11 octobre 1839, page 171.
[178]
Duc d’Orléans, Campagnes de l'Armée d'Afrique, 1835-1839, pages 396-397.
[179]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 21 octobre 1839, pages 223-224.
[180]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 23 octobre 1839, page 234. Ce mot de Turco,
trouvé en 1839 sous la plume du duc d’Orléans, prouve que l’appellation de Turco
ne vient pas, comme on l’a prétendu souvent, de l’envoi des tirailleurs
indigènes en Crimée en 1855 comme alliés des Turcs.
[181]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 23 octobre 1839, page 234.
[182]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 octobre 1839, pages 236-241.
[183]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 26 octobre 1839, pages 249-250.
[184]
Le capitaine de Saint-Arnaud à son frère, avocat, de Kouba, 23 avril 1838. Lettres
du maréchal de Saint-Arnaud, tome I, page 159.
[185]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 26 octobre 1839, page 252.
[186]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 30 octobre 1839, page 283.
[187]
Duc d'Orléans, Récits de campagne, 29 octobre 1839, page 273.
[188]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, pages 289-290.
[189]
Mémoires du général Changarnier, pages 53-54.
[190]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, page 304.
[191]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, pages 305-306.
[192]
Voir le texte complet et les détails sur l’expédition dans : Général Paul Azan,
Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 228-230.
[193]
Le sous-lieutenant Ducrot à son grand-père M. Dupleix, 30 janvier 1840. La
vie militaire du général Ducrot, d'après sa correspondance (1839-1871),
Paris, 1895, tome I, page 18.
[194]
Duc d’Orléans, Campagnes de l'Armée d'Afrique, pages 404-405.
[195]
Duc d’Orléans, Campagnes de l'Armée d'Afrique, pages 404-405.
[196]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 17 octobre 1839, page 202.
[197]
Duc d’Orléans, Récits de campagne, 17 octobre 1839, page 202. Lettre du
Duc d’Orléans au comte Duchâtel, 5 novembre 1839, pages 433-434.