L'ARMÉE D’AFRIQUE

DE 1830 À 1852

 

CHAPITRE VIII. — ORGANISATION ET EXPECTATIVE (1838-1839).

 

 

Valée avait de la modestie, qualité portant généralement préjudice dans la vie militaire ou politique. Il avait accepté de commander l’artillerie de l’expédition de Constantine sous les ordres de Damrémont, qui était capitaine en Espagne alors qu’il était déjà divisionnaire.

Nommé gouverneur général par intérim des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique le 25 octobre 1837, il demanda instamment au comte Molé à rentrer en France, en invoquant son état de santé. Son élévation le 12 novembre à la dignité de maréchal de France lui permit difficilement de persister dans son refus[1].

Il consentit alors à rester quelque temps, mais avec l’espoir d’être bientôt remplacé : « En Afrique, écrivit-il le 22 novembre au général Bernard, ministre de la Guerre, moins que partout ailleurs, une autorité provisoire ne peut faire le bien... Il faut, pour réussir dans la mission difficile d’asseoir l’influence de la France dans cette partie de ses possessions, un chef habile, ferme, dévoué, et qui surtout ait devant lui un long avenir[2]. » Il fut nommé Gouverneur général le 1er décembre.

Ainsi, par une exception à la règle habituelle, se modestie avait à deux reprises successives contribué à lui valoir de plus hauts honneurs. Valée était-il le chef qui convenait pour pacifier la nouvelle région conquise, organiser les troupes, et leur tracer leur tâche future dans les Possessions françaises du Nord de l’Afrique ?

Ses subordonnés l’ont apprécié de manière très différente.

Saint-Arnaud écrivait à son frère : « Le Maréchal est entier. Il veut le bien, croit y travailler, et, si on lui refuse les moyens de parvenir à son but, il s’en ira. Pauvre Afrique, pauvre France ! Les Députés marchandent la gloire comme un paquet de chandelles[3]. »

Changarnier, un de ceux qui l’ont approché de plus près, l’analyse en ces termes : « A l’âge où l’on ne se réforme guère, le nouveau Maréchal, secouant les préjugés et les petitesses d’un homme vieilli dans une spécialité, ne tarda pas à prendre l’ampleur de vues d’un véritable chef d’armée. Doué d’un esprit très fin, très cultivé, il préférait les lettres à la société des hommes. Intègre, dévoué à ses devoirs et à la France, peu disposé à vanter ses propres services, il était détesté des intrigants et des hâbleurs, qu’il méprisait. C’est un des caractères les plus purs que j’aie connus[4]. »

Du Barail exprime une autre opinion : « Le maréchal Valée, officier du premier Empire, général d’artillerie de premier ordre, n’avait jamais exercé le commandement des troupes. Au moment où le coup de canon qui tua le général Damrémont le mit à la tête de l’armée d’Afrique, il était arrivé à un âge où l’on reste figé dans son passé et où l’on n’a plus assez de plasticité pour se transformer, pour apprendre ce que l’on n’a jamais su[5]. »

L’intégrité du caractère de Valée et la pureté de ses intentions ne faisaient pas de doute. Sa valeur comme chef et comme organisateur ne pouvait être appréciée que dans l’exercice de son nouveau commandement.

 

L’expédition de Constantine n’avait abouti à l’assaut de la ville que par suite de l’impossibilité, malgré les efforts déployés et les concessions proposées, de traiter avec le bey Ahmed. Le Gouvernement français avait l’intention de laisser l’administration des Indigènes de l’intérieur à des chefs indigènes, en principe à ceux déjà en place. Le refus d’Ahmed de s’entendre avec Damrémont forçait la France à se charger de l’administration du beylik de Constantine. Ainsi se trouvait modifié, par la force des circonstances, le système que le Gouvernement se proposait d’appliquer.

Le chef d’escadrons Yusuf, qui se trouvait à Paris et suivait les événements, demandait au Ministre de la Guerre d’employer une nouvelle méthode d’occupation. Il lui recommandait « le concours d’instruments indigènes », car, assurait-il, « un œil européen ne saurait saisir les mille nuances qui distinguent les hommes et les choses en Afrique. » Il ne dissimulait pas son désir d’être l’agent de la France, afin de rayonner au loin sur les populations : « Je propose, concluait-il, une occupation qui rendra Constantine le grand marché de toutes les tribus, le centre d’une vaste influence, l’avant-poste de notre civilisation, liée au littoral non par des camps, mais bien par la sécurité elle-même qui enveloppera toute la province[6]. »

Il fallait d’abord assurer l’occupation de Constantine. Le colonel Bernelle, arrivé après la prise de la ville avec un renfort, fut désigné comme commandant supérieur. La garnison constituée sous ses ordres compta 115 officiers et 2.839 hommes, qui se décomposaient ainsi : 1er et 2e bataillons du 61e régiment de ligne (colonel Mompez), 3e bataillon d’Afrique (chef de bataillon Montréal), bataillon des tirailleurs d’Afrique (chef de bataillon Paté), compagnie franche du 2e bataillon d’Afrique (capitaine de Jourdan), deux batteries d’artillerie, trois compagnies du génie, un escadron de cavalerie, et une cinquantaine de spahis réguliers[7].

Le corps expéditionnaire quitta Constantine le 29 octobre et rejoignit Bône le 3 novembre sans tirer un coup de fusil, après avoir laissé des garnisons dans les camps intermédiaires ; il fut approvisionné en cours de route par les populations indigènes. Valée organisa néanmoins un convoi pour la ville ; il décida qu’Horace Vernet, annoncé par le Roi comme venant peindre un tableau représentant la prise de Constantine, partirait avec ce convoi[8]. Le fameux artiste arriva à Bône le 8 novembre[9].

Le Ministre de la Guerre, jugeant trop faible l’effectif laissé à Constantine, décida de le porter à 4.500 ou 5.000 hommes, afin de bien assurer la garde de la ville et de ses communications avec Medjez-Amar[10]. Il pensa aussi que le colonel Bernelle, qui s’était montré médiocre administrateur à la tête de la légion étrangère en Espagne, était peu qualifié pour rester commandant supérieur de Constantine, et serait plus à sa place dans la troupe[11].

Valée considérait la garnison de 2.900 hommes à Constantine comme suffisante ; il prescrivit néanmoins à certaines troupes d’escorte du convoi, le 26e de ligne et des cavaliers, de rester dans la ville, de manière à porter l’effectif à 4.500 hommes, sans compter 400 hommes recrutés parmi les habitants. Pour le commandement de Constantine, il déclara au Ministre n’avoir pu désigner ni le général Rullière, très fatigué par la campagne, ni le général Trézel, « peu propre à remplir cette mission difficile » ; si, entre le colonel Bernelle et le colonel Duvivier, il avait choisi Bernelle, c’est parce que Duvivier avait sur les affaires d’Afrique des opinions différant complètement des siennes, en particulier au point de vue du gouvernement des Indigènes. Il désigna donc le général de Négrier, alors à Alger, et il laissa Bernelle sous ses ordres. Il jugea par contre impossible d’établir, comme le désirait le Ministre, un poste intermédiaire entre Medjez-Amar et Constantine[12].

L’état sanitaire des troupes du corps expéditionnaire laissait beaucoup à désirer.

A Constantine, trois hôpitaux avaient été établis dès les premiers jours de l’occupation, avec le matériel des ambulances. Le 20 octobre, ils contenaient 795 malades, soit 491 fiévreux et 304 blessés ; ce jour-là, 100 malades avaient été évacués sur Bône, puis 485 l’avaient été le 26. Les pertes dans les hôpitaux pendant le séjour à Constantine du 13 au 28 octobre avaient été de 304 morts, comprenant 228 fiévreux et 76 blessés. Le 29 octobre, jour du départ du corps expéditionnaire, les hôpitaux contenaient encore 435 malades, dont 170 avaient été emmenés et 265 laissés sur place[13]. Ces chiffres montrent l’importance du déchet subi.

Bône était encombrée de troupes et de malades. Des évacuations de malades furent faites directement sur Marseille[14] ; mais l’utilisation à cet effet de navires du commerce donna des résultats déplorables ; c’est ainsi que, sur 545 malades partis de Bône sur divers navires, 99 moururent pendant la traversée, et 24 autres entre le jour de leur débarquement et le 6 novembre[15]. Aussi le Ministre décida-t-il de n’employer que des bâtiments de l’Etat.

Les malades n’étaient d’ailleurs pas mieux soignés dans les camps. Le colonel Corbin, du 17e léger, commandant le camp de Medjez-Amar, écrivait dans son rapport du 15 novembre : « Les militaires placés à l’ambulance sont mal, attendu que la plus grande partie est sous la tente et que pendant les pluies ils couchent dans la boue[16]. » Aussi le maréchal Valée recommandait-il instamment à l’intendant d’Arnaud de veiller à l’approvisionnement des camps avant la mauvaise saison et de mettre à couvert les hommes et les chevaux[17].

Désireux de faire cesser l’encombrement de Bône, le Ministre de la Guerre approuva la proposition de Valée de faire rentrer de Bône à Alger le bataillon de zouaves, celui de la légion étrangère, les bataillons du 11e de ligne et du 2e léger, et les deux escadrons des chasseurs d’Afrique[18].

D’autre part, le général Bernelle fit partir, sans ordre de ses supérieurs, la compagnie franche du 2e bataillon d’Afrique de Constantine pour Medjez-Amar ; cette compagnie n’avait plus que 67 hommes présents, dont 55 disponibles ; complètement dépourvue de linge et chaussures, elle avait un habillement dans un état déplorable ; enfin, ajoutait Négrier, « les officiers ayant été tous blessés ou tués, les hommes s’abandonnaient à des excès qui, dans une ville nouvellement conquise, auraient pu faire concevoir aux Arabes des idées fâcheuses sur les Français[19]. »

Il était indispensable de mettre quelque ordre dans les corps de l’armée d’Afrique.

 

Grâce à la prise de Constantine, qui avait mis momentanément hors de cause le bey Ahmed à l’Est, et au traité de la Tafna, qui avait réalisé une trêve avec Abd el Kader à l’Ouest, l’armée d’Afrique jouissait d'un répit dont elle allait profiter pour améliorer son organisation.

La légion étrangère avait continué à recevoir de nombreux engagements à Alger pendant que le bataillon de marche du commandant Bedeau se couvrait de gloire à Constantine et que quatre compagnies formaient détachement à Bougie. Le colonel de Hulsen se préoccupait du bien-être matériel de ses soldats, ce qui contribue toujours largement à la bonne réputation d’un corps. Il écrivait par exemple le 11 novembre 1837 au colonel Girot, chef d’état-major à Alger, de lui attribuer quatre femmes par bataillon, pour y remplir les emplois de blanchisseuses-vivandières, prévus par le tableau d’effectif des régiments de ligne auxquels la légion était assimilée. Il préférait ces vivandières au cantinier civil qui était au camp de Kouba ; une femme de la légion était morte trois jours auparavant, de fièvres contractées à Boufarik : « il est donc juste, concluait-il, que les femmes qui exposent leur vie dans les camps malsains, puissent gagner quelque chose à Kouba, qui sert d’Alger à la légion étrangère[20]. »

Comme au début de décembre la légion comptait plus de 2.000 hommes, le Ministre de la Guerre écrivit à Valée de donner à ce corps le complément de son organisation réglementaire d’après l’ordonnance du 18 juillet 1837, et de former par suite son 3e bataillon[21].

Le bataillon de tirailleurs d’Afrique[22] éprouvait certaines difficultés. D’après l’ordonnance du 28 octobre 1836, il se recrutait comme les régiments d’infanterie de ligne stationnés en Afrique. Parti de Toulon à l’effectif de 478 hommes parfaitement choisis, il devait être porté à son complet de 810 hommes par des volontaires tirés des régiments de ligne ; or, il avait reçu en décembre 1836, à son arrivée à Alger, 360 hommes tirés des trois bataillons d’infanterie légère d’Afrique ; beaucoup de ces soldats ne présentaient pas les conditions de moralité désirables, si bien qu’en quelques mois, 60 d’entre eux avaient dû être traduits en conseil de guerre pour vol ou insubordination. Après cette épuration, la discipline avait été parfaite[23].

Le maréchal Valée ayant décidé en décembre 1837 d’incorporer dans ce bataillon la compagnie franche du 2e bataillon d’infanterie légère de Bougie, le commandant Paté présenta à ce sujet des observations au général de Négrier. Il lui signala les inconvénients qu’avait eus pour la discipline de son unité la précédente incorporation d’hommes des bataillons d’Afrique ; l’arrivée des 140 hommes dont se composait alors la compagnie franche de Bougie, risquait d’occasionner de difficultés analogues[24]. Le général de Négrier transmit à Valée la réclamation du commandant Paté en l’appuyant[25].

Les troupes indigènes présentaient, suivant les provinces dans lesquelles elles se recrutaient et les chefs qui les dirigeaient, une composition et des habitudes assez différentes.

Les zouaves avaient accru leur prestige à l’assaut de Constantine sous les ordres de La Moricière.

Un troisième bataillon de zouaves avait été créé par l’ordonnance du 20 mars 1837[26], avec les anciens volontaires de la garnison de Tlemcen, et était aux ordres du chef de bataillon Cavaignac, dans la province d’Oran. Il se recrutait mal en Indigènes : « Cela tient, écrivait Bugeaud au Ministre, à ce que les naturels du pays ont horreur de porter le sac, et parce qu’il est gênant, et parce qu’en arabe il porte le même nom que le bât d’un âne. En revanche, nous recruterions aisément les spahis, si vous ne l’aviez interdit[27]. »

Louis-Philippe décida le 11 novembre que le bataillon d’Oran serait réuni aux deux premiers et que les trois bataillons formeraient un seul corps, dont le commandement serait confié à un colonel[28].

Ce colonel fut La Moricière, promu le jour même à ce grade. Il fut autorisé en décembre par le maréchal Valée « à incorporer dans le corps des zouaves les Turcs et les Arabes de Constantine qui se présenteraient pour servir sous ses ordres[29] », mais sans dépasser le chiffre de 200 ; le général de Négrier, arrivé à Bône le 4 décembre, et parti de là pour Constantine où il avait pris le commandement de la subdivision[30], fut invité à faciliter cette opération. La Moricière écrivit au commandant du bataillon zouave, qui était encore à Bône, de laisser un petit dépôt avec des cadres dans cette place pour y recevoir les enrôlés attendus de Constantine[31]. En bon recruteur, La Moricière ne manquait aucune occasion de grossir ses rangs.

Les spahis paraissaient destinés à devenir, dans la province d’Oran, un instrument de colonisation, grâce à l’initiative de Bugeaud. Cet officier général les avait établis en effet, au début de novembre 1837, à Misserghin, près d’Oran ; il espérait que, étant mariés, ils pourraient « jeter là les bases d’un gros village », avec l’aide du génie. Il comptait proposer au Ministre un arrêté qui y établirait un poste militaire, et fixerait « les conditions sous lesquelles les officiers, sous-officiers et soldats pourraient devenir propriétaires d’une maison qu’ils auraient bâtie et d’une certaine étendue de terrain y attenant[32]. » C’était déjà l’idée qui devait être développée plus tard.

Un corps auxiliaire se constituait à Constantine, par suite de l’enrôlement au service de la France d’anciens soldats du bey Ahmed.

Dès les premiers jours de l’occupation de Constantine, en octobre 1837, le général Trézel avait engagé dans cette ville 51 Turcs, avec l’approbation du commandant en chef[33]. Le colonel Bernelle avait continué à recevoir les enrôlements ; il faisait incorporer les fantassins dans le bataillon turc de Bône et les cavaliers dans le corps de spahis de Bône, mais les conservait tous à Constantine, où ils étaient considérés comme détachés de leurs corps respectifs[34].

Le maréchal Valée ne voyait que des avantages au recrutement de ces hommes, et écrivait le 14 novembre 1837 au colonel Bernelle : « J’approuve tout à fait leur incorporation et la formation d’escadrons de spahis et d’un bataillon de tirailleurs ; il me semblerait même avantageux de porter à mille hommes le nombre des auxiliaires et j’y verrais le double avantage de les utiliser pour nous et de priver l’ennemi de leur secours[35]. » En raison de la répugnance de la plupart des Indigènes à s’éloigner de leur tribu, il prescrivit de diviser les hommes en trois catégories : ceux disposés à servir dans toute l’étendue des possessions françaises du Nord de l’Afrique ; ceux consentant à servir dans la province de l’Est seulement ; ceux désirant rester dans les environs de Constantine.

L’effectif maximum du corps auxiliaire de Constantine fut fixé à 200 cavaliers, appelés « spahis de Constantine » et à 800 hommes à pied, appelés « tirailleurs de Constantine », formant six compagnies d’infanterie et une demi-batterie d’artillerie. L’encadrement de cette troupe devait être assuré par des officiers et sous-officiers français.

A la fin de 1837, le corps auxiliaire de Constantine comptait 671 hommes, dont 95 cavaliers et 80 artilleurs. Il occupait des postes en dehors de la ville ; les soldats déposaient leurs armes en entrant dans la place, et étaient l’objet d’une surveillance de manière à ce que la tranquillité ne fût pas troublée. Il n’y avait encore eu aucune désertion. Les Turcs et les Indigènes passés à la solde de la France paraissaient disposés à la servir fidèlement[36].

Valée écrivait au Ministre à ce sujet : « L’organisation des troupes indigènes est une des questions les plus importantes de l’armée d’Afrique. L’expérience a prouvé que la formation de corps entièrement composés de Musulmans présentait de graves inconvénients. Les Arabes incorporés dans les régiments français y ont souvent bien servi ; mais presque toujours, lorsqu’ils n’étaient pas appuyés par la présence de soldats français, ils ont manqué d’aplomb et de résolution. » Cette remarque était justifiée ; mais où Valée tombait dans l’erreur, c’est lorsqu’il ajoutait : « Il est important surtout de ne mettre à leur tête que des officiers européens qui les plient à nos habitudes militaires et leur inspirent le goût de la civilisation[37]. »

Les « habitudes militaires », sauf la discipline, ne peuvent pas être exactement les mêmes pour des hommes ayant une formation très différente, et le goût de la civilisation se ramène souvent au goût de la boisson et du vice. En réalité, il faut, à la tête des troupes indigènes, des chefs européens, mais connaissant le pays, la langue, les mœurs et les coutumes de ceux qu’ils ont à commander. Ce principe essentiel a été trop souvent oublié.

 

Valée avait exprimé, dès le 4 novembre 1837, le désir de rentrer en France, en raison de son état de santé. Mais sur l’insistance du comte Molé, président du Conseil, qui l’avait fait nommer maréchal de France le 12 novembre, il n’avait pas pu refuser de prolonger son séjour, et avait écrit le 22 novembre dans ce sens au Roi et au général Bernard, ministre de la Guerre[38].

Le premier souci de Valée, lorsqu’il eut décidé de rester, fut de choisir ses collaborateurs.

Le général Perrégaux, chef d’état-major général de l’armée d’Afrique, était mort pendant la traversée de Bône à Toulon de la blessure reçue devant Constantine. Le Ministre de la Guerre avait décidé le 14 novembre de le remplacer par le lieutenant général Trézel ; en outre, comme il ne savait pas à ce moment si Valée consentirait à rester en Afrique, il avait prévu le 15 novembre que Trézel prendrait les fonctions de gouverneur général par intérim, en cas de départ du maréchal ; il avait même écrit officiellement à Trézel à ce sujet[39].

Les rapports entre Trézel et Valée n’étaient pas cordiaux. La Moricière les décrivait ainsi dans une lettre personnelle du 15 novembre à Duvivier : « Le général Trézel est plus qu’en froid avec le général en chef. Ce dernier me semble très militaire, il n’aime pas qu’on prenne trop sur soi, surtout quand on peut le consulter. Il paraît vouloir traiter lui-même les affaires arabes, il voit que c’est là le nœud des difficultés, il l’aborde franchement, et parfois il voit juste. Néanmoins, je crois que le général Trézel est moins mal avec lui depuis quelques jours ; mais ils ont été un moment au point d’arriver à un esclandre[40]. » La désignation faite par le Ministre allait donc peu plaire à Valée.

A l’occasion de ce remplacement, le Ministre avait fait prononcer par le Roi d’autres affectations de généraux : Rullière était nommé commandant des provinces de Bône et de Constantine, et devait avoir sous ses ordres le général Bernelle comme commandant de la ville de Bône et des postes jusqu’à Medjez-Amar ; Auvray prenait la division d’Oran des mains du général Bugeaud, autorisé à rentrer en France ; enfin le général de Négrier était placé à la tête de la division d’Alger[41].

Lorsque Valée reçut à Alger, par le lieutenant-colonel de la Ruë envoyé en mission, la lettre l’informant de ces décisions et les lettres de service destinées aux officiers généraux, il demanda aussitôt au Ministre de suspendre provisoirement l’exécution de ces mesures.

Il ne voulait pas de Trézel, dont il reconnaissait les qualités, mais dont il n’approuvait pas les idées sur « la direction à donner aux affaires de l’Algérie », et dont il demandait le retour en France ; il l’envoyait à Bône pour continuer à commander la province jusqu’à nouvel ordre, mais il réservait ce commandement au général de Négrier. Il estimait que Rullière avait encore « besoin de se former aux affaires », en particulier aux relations avec les Indigènes, et préférait le voir à Alger qu’à Bône. En ce qui concerne le général Auvray, il le jugeait plus apte à être chef d’état-major général que commandant de la division d’Oran, et il demandait pour Oran un maréchal de camp « habitué au maniement des troupes ». Quant à Bernelle, il avait l’intention de lui donner une brigade dans la province d’Alger[42].

Le Ministre approuva le 6 décembre toutes les dispositions proposées par Valée, en insistant seulement pour que le général Rullière prît le commandement des provinces de Bône et de Constantine[43].

Bugeaud s’embarqua le 7 décembre à Oran, laissant le commandement de la province au général Auvray, comme il y avait été autorisé par le Ministre. Il écrivait de Port-Vendres au Ministre qu’il avait fait de son mieux pour seconder les vues du Gouvernement en établissant la paix et concluait : « Je sais, je savais d’avance que tout cela ne vaudrait pas aux yeux du public, et du Gouvernement peut-être, un combat heureux de quelques heures. Je m’y suis résigné d’avance, je ne dois pas me plaindre. Je retrouverai bien l’occasion de faire du brillant[44]. »

Pour en finir avec la question si délicate des commandements, le Ministre de la Guerre mit à la disposition de Valée deux lieutenants généraux et un maréchal de camp, de manière à lui laisser, après le retour en France des généraux Trézel et Bro, trois lieutenants généraux et quatre maréchaux de camp : « Vous répartirez entre eux, lui écrivait-il, les commandements comme vous le jugerez convenable[45]. » Valée affecta le lieutenant général de Castellane, réputé en France pour la manière dont il instruisait et entraînait ses troupes, au commandement de la province de Constantine.

 

La désignation pour un commandement important du lieutenant général de Castellane, peu versé dans les questions africaines, était une faute.

Dès son débarquement, le nouveau venu jugea hommes et choses d’après les règlements appliqués dans les troupes métropolitaines et les habitudes étriquées des garnisons de France. Ses appréciations, dans son Journal, révèlent bien l’état d’esprit des novices de ce genre.

Le Gouverneur lui parut donner l’exemple de l’isolement et de l’indiscipline : « M. le maréchal Valée ne voit à peu près personne à Alger ; il n’a même pas encore reçu les visites de corps. Il ne fait aucun cas du Ministre de la Guerre ; il en parle légèrement devant ses subordonnés, ce qui produit un mauvais effet et me déplaît beaucoup, car avec l’indiscipline existant dans cette armée, ce n’est pas une bonne chose de regarder comme rien le Ministre du Roi[46]. » Voilà Valée jugé d’après des éléments d’appréciation inattendus !

Si le Gouverneur ne se comportait pas d’une manière suffisamment réglementaire, que dire des officiers et soldats sous ses ordres :

« La tenue des troupes est effroyable. Le maréchal Valée ne connaît rien du tout au détail des troupes, et parle toujours mal des règlements qu’il ne connaît pas... Les officiers généraux et supérieurs commandant même passablement sont rares. Les ignorants qui ne veulent pas se donner la peine de les apprendre, se plaisent à dire néanmoins que cela n’est rien[47]. »

Castellane, ne se rendant pas compte des adaptations nécessaires au climat et au milieu, ajoutait : « Les différents corps, les armes spéciales particulièrement, ressemblent ici à une troupe d’arlequins. Les ordonnances du Roi sont regardées comme non avenues. Le laisser-aller existant en France est encore plus grand ici. On dirait vraiment qu’on a inventé la guerre en Afrique ; on l’a cependant faite avant. Les règlements sont foulés aux pieds. Vous voulez les faire observer et réformer les abus ? On vous oppose une autorisation, au moins verbale, d’un des nombreux gouverneurs qui se sont succédé, et qui ont toléré ou approuvé la fantaisie de chacun[48]. »

Les corps spéciaux, si différents des régiments de France, soulevèrent naturellement sa réprobation ; il se permettait lui-même de critiquer le Ministre, tout comme l’indiscipliné Gouverneur : « On est fort, au Ministère de la Guerre, pour former les corps spéciaux, afin d’avancer les favoris. Ces corps seront au-dessous des régiments de ligne et surchargeront le budget[49]. »

Il s’en prenait d’abord aux troupes indigènes : « Sous prétexte d’avoir des Arabes, on costume en Turcs des Français, qui sont payés plus cher que le reste de l’armée. Les zouaves avaient quelques Arabes au début ; ils n’en ont plus maintenant, et leur effectif en ce moment est de six cents hommes présents, avec un cadre en officiers et sous-officiers qui serait suffisant pour trois bataillons. »

Quant aux bataillons d’infanterie légère d’Afrique, « rien n’est plus profondément immoral que la création de ces trois bataillons, de 1.600 hommes chacun, et composés de voleurs. Il faut trois mois de condamnation au moins, pour y être incorporé, et on expose ces corps à acquérir de la gloire ! De pareils bandits ne devraient pas être placés dans un pays qu’on veut coloniser[50]. »

Les officiers qui avaient gagné leurs grades en « favoris » dans ces corps spéciaux, n’étaient pas ménagés : « Duvivier, doué d’une ambition démesurée, n’a, comme le colonel La Moricière, qui vaut mieux que lui, aucune idée de la subordination et de la discipline[51]. »

D’après les premières observations de Castellane, « tout était à organiser dans les troupes », mais il serait difficile de vaincre la force d’inertie générale. A son avis, les ordres nécessaires étaient généralement donnés, mais ils n’étaient pas exécutés, parce que « personne n’avait la force de punir[52]. »

Cette indignation permanente, un peu comique, d’un lieutenant général débutant à l’armée d’Afrique, enlève du poids à certaines de ses critiques, plus justifiées.

Castellane jugeait par exemple en ces termes l’administration : « Notre administration en Afrique est déplorable ; il faudra peut-être revenir, comme sous l’Empereur, à avoir des inspecteurs aux revues pour la comptabilité des corps, ou des commissaires des guerres pour les subsistances. Ces deux corps se contrôleraient alors l’un l’autre ; à présent, le sous-intendant contrôle la comptabilité des fournitures qu’il fait. Maîtres en quelque sorte des bureaux de la guerre, ils sont inattaquables. Des intérêts particuliers s’en trouvent bien ; le soldat s’en trouve mal[53]. »

D’après ses premières observations, l’officier n’était guère mieux traité que le troupier : « Nos officiers, quoiqu’on leur donne des rations, font la guerre à leurs dépens, ou plutôt, comme ils sont pauvres, ils vivent de privations. Dans cette province, les officiers qui sont dans les camps sont continuellement sous la tente et ont une existence misérable... Tant qu’on paiera si mal l’armée d’Afrique, il régnera un mécontentement sourd, d’autant plus fâcheux qu’il est fondé[54]. »

La vie dans les camps permanents, dont il ne s’était pas fait une idée exacte d’après les correspondances, lui paraissait vraiment pénible : « Officiers et soldats sont mal établis dans de doubles tentes ; on ne sait pas en France ce qu'officiers et soldats souffrent, surtout de l’ennui de ces tristes demeures où ils passent des mois et des années, si on oublie de les relever, ce qui arrive fréquemment[55]. »

Les impressions recueillies en quelques semaines firent comprendre à Castellane qu’il n’était pas fait pour la vie d’Afrique. Désespérant de parvenir à modifier des habitudes enracinées, et de pouvoir transformer les zouaves en fantassins de ligne et les chasseurs des bataillons d’Afrique en hommes vertueux, il décida de rentrer en France.

Castellane était un officier général de haut mérite : il avait acquis dans toute l’armée une réputation justifiée pour ses qualités d’instructeur et de chef ; il avait formé et forma dans ses unités de France un grand nombre des jeunes officiers venus ensuite à l’armée d’Afrique. Mais ce n’est pas au terme d’une carrière qu’on peut prendre, sans préparation, un commandement très différent de ceux de la Métropole. Une désignation de ce genre est toujours une erreur.

 

Ces changements et remaniements dans le cadre des généraux déconcertaient les officiers de l’armée d’Afrique. Le chef d’escadron de Zaragoza, chef d’état-major de la division de Bône, écrivait au colonel Duvivier, le 7 janvier 1838 : « Ne sachant rien créer ici, nous changeons tous les six mois les sommités de la colonie, comme si des hommes qui arrivent ici sans connaître l’Afrique, ses besoins et ceux de l’armée, et avec la tête farcie d’idées complètement fausses, pouvaient être plus utiles ici, que ceux qui ont fait dans le pays un long et pénible apprentissage. D’un coup de filet on nous a envoyé en Afrique : nouveau gouverneur, nouveau chef de l’état-major général, nouveaux commandants des brigades à Alger, et nouveaux commandants des provinces de Bône et d’Oran. Le Ministre avait envoyé le général Rapatel pour commander la division à Alger, le général de Castellane à Oran et le général Rullière à Bône et Constantine. Le Gouverneur, qui veut toujours faire f opposé de ce que lui ordonne le Ministre, a gardé à Alger le général Rullière, a envoyé à Oran le général Rapatel, et nous a envoyé à Bône M. le comte de Castellane. Vous devez connaître, au moins de réputation, ce dernier officier général : son caractère et sa manière de faire sont diamétralement opposés à ceux du général Trézel[56]. »

Quelques jours plus tard, le chef d’escadrons de Mirbeck écrivait de Bône, où il était chargé des affaires arabes, au colonel Duvivier à Guelma : « Comment menez-vous les affaires arabes ? J’ai été un peu dérouté par le changement de général, qui a sa manière de voir ; mais il faudra bien, tôt ou tard, qu’il se rende à l’évidence. Quand il connaîtra ces Messieurs, il verra que ce ne sont ni des Champenois, ni même seulement des Normands. Il croit pouvoir agir avec eux comme on fait avec des Européens[57]. »

Des réflexions de ce genre ont été formulées par des milliers de plumes depuis des années, non seulement en Afrique du Nord, mais dans toutes les colonies françaises ; et cependant certains des hommes chargés, dans la Métropole, de conduire la politique coloniale française, ne parviennent pas à comprendre la mentalité des Indigènes, les procédés d’administration à leur appliquer, la nécessité d’une ligne de conduite mûrement choisie et constamment suivie.

Les critiques d’un officier formé à la dure école de la vie coloniale eussent été souvent plus utiles que les raisonnements des théoriciens et des conférenciers parisiens. Les hommes politiques de 1838 eussent été mieux éclairés par la lettre « confidentielle » que Zaragoza écrivait à Duvivier sur un pauvre papier que par les rapports calligraphiés des bureaucrates habitués à manier les formules officielles.

« C’est un mal inhérent au caractère français, écrivait le chef d’escadron de Zaragoza, et malheureusement incurable, que l’instabilité ; le besoin de changer, la légèreté et la rage de s’embarquer toujours dans les affaires les plus graves, les plus épineuses sans plan arrêté d’avance, et sans avoir préalablement envisagé la question sous toutes ses faces.

« Si les faits manquaient pour prouver cette assertion, l’Afrique serait là sous nos yeux, comme un monument élevé exprès pour attester au monde entier notre légèreté, et l’inconcevable fragilité, l’incohérence de nos projets.

« Il y a sept ans que nous occupons ce pays ; nous avons essayé une vingtaine de systèmes plus absurdes les uns que les autres ; nous avons usé un grand nombre de hautes et vénérables réputations ; plus de 20.000 hommes ont péri ou par le feu et le fer des Arabes, ou par les maladies, et nous sommes encore à nous demander... Que ferons-nous de Constantine ?... Que ferons-nous de l’Afrique ?... Et ceux qui sont persuadés que nous garderons ces possessions conquises au prix de tant de sang versé, de tant de millions si mal dépensés, sont encore à faire des projets sur le meilleur système de colonisation possible !... Pauvre pays ![58] »

Les tâtonnements relatifs au choix des chefs continuaient. Valée accusait réception le 27 janvier au Ministre du congé accordé au général de Castellane pour rentrer en France ; il confiait la province de Constantine au général de Négrier, déjà commandant de la subdivision de Constantine, ce qui sauvegardait aux yeux des Indigènes la permanence du commandement : « Les Arabes ne peuvent s’expliquer, écrivait-il avec raison, ces mutations dont les causes leur demeurent inconnues et ils éprouvent une défiance naturelle lorsqu’ils ne retrouvent plus le chef avec lequel ils ont traité quelques jours auparavant[59]. »

Ces changements incessants dans le commandement n’étaient pas seulement nuisibles à la bonne administration des populations indigènes, mais aussi au bien-être, à la discipline et à l’instruction des troupes de l’armée d’Afrique.

 

L’installation des soldats était médiocre, même aux environs immédiats d’Alger.

A la maison de Hussein Dey, les hommes étaient dans des baraques en planches clouées, sans aucun crépissage en terre ou à la chaux, mal défendus contre la pluie ; ils possédaient des fournitures de couchage, mais en nombre insuffisant, puisqu’ils étaient obligés de réunir deux lits pour trois hommes.

Aux camps de Kouba, Birkadem et Tixeraïn, les baraques étaient couvertes, les unes en tuiles, les autres en chaume ; les toitures de chaume, pourries par la pluie et faites de paille trop courte, laissaient pénétrer l’eau en bien des endroits ; le sol n’était ni pavé ni bien battu. Les hommes couchaient dans des hamacs suspendus par des crochets à des traverses horizontales portées par les piliers ; les hamacs, placés sur deux rangs entre lesquels on circulait, se composaient d’une simple toile et n’étaient pas munis du petit matelas usité dans la marine, en sorte que les hommes se plaignaient de sentir le froid par-dessous le hamac. Les baraques manquaient de râteliers d’armes, de planches à pain, de bancs et de tables, ce qui rendait l’existence des hommes inconfortable et nuisait à la conservation des armes et des vivres[60].

L’hygiène des troupes n’attirait pas l’attention du commandement comme elle aurait dû le faire. La manière déplorable dont les évacuations avaient eu lieu à Bône avait ému les bureaux du Ministère. Le général Bernard fit remarquer à Valée le 13 décembre 1837 « la négligence qui paraissait avoir présidé à l’embarquement des militaires malades et blessés évacués des hôpitaux de Bône[61]. » Pour en éviter le renouvellement, il fit lithographier une Instruction sur les évacuations à effectuer des divers établissements hospitaliers des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique[62], et lui en envoya 25 exemplaires à répartir au mieux dans le corps d’occupation d’Afrique.

La discipline était généralement bonne, mais elle consistait trop, aux yeux de certains commandants d’armes, à observer strictement les règles relatives à la tenue.

Le commandant supérieur de Bougie, le lieutenant-colonel Chambouleron, à la suite de punitions infligées à des sous-officiers pour n’avoir pas salué des officiers d’autres corps, estima que les punis avaient pu ne pas reconnaître leurs supérieurs en l’absence des marques distinctives de grades ; il fit paraître le 1er décembre 1837 un ordre du jour dans lequel il disait : « Ainsi que le règlement l’ordonne, MM. les officiers, après onze heures, devront être dans la tenue du jour, avoir leurs épaulettes, leur sabre et la casquette d’uniforme. M. le sous-intendant militaire est beaucoup trop souvent en capote bourgeoise, et en chapeau rond ; il a même été rendu compte au commandant supérieur qu’il visite l’hôpital militaire et les divers établissements de son administration dans cette tenue bourgeoise. Le commandant supérieur croit devoir l’inviter à donner un meilleur exemple à ses subordonnés. Ce qui peut n’avoir que peu d’inconvénients dans les départements de l’intérieur en a beaucoup en Afrique. D’ailleurs, c’est principalement aux chefs de corps et aux chefs de service à se conformer les premiers aux règlements et l’on a toujours bonne grâce à exiger des autres les obligations que l’on commence par s’imposer à soi-même. Le commandant supérieur se plaît, à cet égard, à rendre pleine justice à MM. les commandants du 2e bataillon d’Afrique et de la légion étrangère. Sans doute il ne leur sera pas difficile de faire observer dans leurs corps la règle dont ils savent si bien donner l’exemple[63]. »

Le lieutenant-colonel Chambouleron, doué de certaines qualités militaires, avait mauvais caractère : il eut des démêlés fâcheux non seulement avec le sous-intendant militaire de Laffitte, mais avec nombre de ses subordonnés et avec le Commissaire du Roi pour les services civils ; Valée demanda au Ministre de le faire rentrer en France[64]. Les officiers de Bougie purent sans doute être moins strictement astreints à porter épaulettes, sabre et casquette après onze heures !

Dans bien des garnisons, il eût été préférable de montrer plus d’indulgence aux officiers en ce qui concernait les détails de leur tenue, et de leur imposer plus de dignité dans leur vie privée. Un certain nombre d’entre eux étaient amenés à nouer des relations durables avec des femmes de respectabilité douteuse.

Le capitaine de Montagnac, en garnison à Oran, avec le 1er de ligne, faisait à son oncle une description humoristique de ces liaisons :

« Je vois très rarement le père X***. L’austérité de ses mœurs n’a pu résister à l’influence, au charme d’une espèce de femelle, que le veuvage avait laissée libre de ses mouvements, ainsi que de la distribution de ses faveurs, et dont le cœur, déjà légèrement fané par le temps et les orages, s’est accroché à lui comme à une planche de salut. Vieille schabraque, noire comme une taupe, Corse d’origine, ce qui n’annonçait pas une bête très facile à brider, elle s’est cramponnée au bonhomme à qui elle persuade que les citrouilles sont des petits pois... Du reste il s’est mis à l’unisson, car presque tous nos officiers supérieurs et autres se sont encoquinés avec un tas de gouines qui les grugent le plus gentiment du monde.

« Maître Z***, que vous connaissez, vit avec une servante dont il a fait sa femme, sa moitié, tout ce que vous voudrez, tandis qu’il a en France femme et enfants...

« Notre compatriote Y***, qui est chef d’escadrons, vit aussi avec la femme d’un perruquier de Marseille, grande cavale de quarante à quarante- cinq ans, qui a dû être fort belle dans son jeune temps.

« Telles sont les mœurs de la colonie. Chacun trouve cela tout simple, tout naturel ; il semble que cela ne puisse plus même être autrement[65]. »

Ce genre d’égarements est un des écueils bien connus de la vie hors de France, pour des officiers éloignés de leur famille, de leurs amis, et n’ayant pas assez de caractère pour se garantir contre les embûches féminines.

 

Le maréchal Valée avait pris à cœur de protéger les indigènes et les soldats contre les spéculateurs et les mercantis.

Il avait maintenu avec vigueur l’arrêté interdisant l’acquisition d’immeubles dans la province de Constantine : d’abord parce que le domaine public n’avait pas encore reconnu les biens appartenant au Beylik et qui devaient être utiles plus tard pour l’installation de colons ; ensuite parce que des abus avaient été commis sur d’autres points de la Régence, où des actes de cession de propriétés à vil prix avaient été arrachés aux Indigènes terrorisés et où des ventes frauduleuses avaient même succédé aux ventes réelles. Il ne voyait d’ailleurs aucun avantage à tenter dans l’intérieur une colonisation prématurée, et voulait qu’auparavant « la plaine de la Seybouse fût couverte de villages européens ». Il ajoutait : « De l'habileté avec les Arabes, une volonté ferme, une justice éclairée, prépareront les voies à une colonisation plus étendue, en créant de nouveaux besoins pour les Arabes, en les amenant à s’ouvrir de nouvelles sources de richesses et à adopter les procédés de l’industrie européenne[66]. »

Le Gouverneur général avait également maintenu la défense faite aux Européens de se rendre à Constantine sans autorisation.

Il était certainement guidé, en prenant cette mesure, par le souci de prévenir des accidents de route, fréquents pour les isolés civils ou militaires. C’est ainsi que, le 25 novembre 1837, le lieutenant Peyrussan et un soldat, tous deux du 17e léger, restés en arrière du convoi pour pêcher dans un ruisseau, avaient été massacrés par les Indigènes[67].

Il avait aussi d’autres raisons : « Sur tous les points que nous occupons en Afrique, écrivait-il au Ministre, une nuée de marchands de vins viennent offrir à nos soldats des liqueurs pernicieuses. L’appât du gain les engage à pousser les soldats à commettre des vols, ils achètent à vil prix les objets ainsi enlevés, souvent même ils deviennent propriétaires des effets d’habillement des hommes qui fréquentent leurs cabarets et il en résulte partout un désordre déplorable dans une colonie naissante où les soldats doivent donner l’exemple de la régularité[68]. » Il n’autorisait la délivrance de permissions pour Constantine qu’aux ouvriers ayant un état et justifiant de la possibilité de vivre par leur travail, à l’exclusion formelle de tous les cantiniers n’appartenant pas à l’armée.

Le général de Négrier se félicitait des résultats obtenus par ces prescriptions, et écrivait à Valée : « La mesure que vous avez prise d’empêcher cette nuée d’Européens avides et la plupart sans aveu de venir fondre sur Constantine, porte ses fruits. Ce sont ces hommes qui, partout en Afrique, ont fait fuir les populations des villages, en leur suscitant mille tracasseries dans le but de s’emparer des propriétés au plus vil prix et bien plus souvent par des moyens illicites. Dans la nouvelle position que vous avez si sagement créée dans cette contrée, les Indigènes ne s’aperçoivent de notre présence que pour se ressentir de la bienveillance et de la puissance protectrice du Gouvernement français. Puissent les choses durer ainsi longtemps[69]. »

La garnison de Constantine se procurait avec une grande difficulté de la paille, parce que le bey Ahmed avait fait brûler toute celle qui existait aux environs, et du bois, parce que le pays en était dépourvu. Le seul moyen de remédier au manque de paille était de constituer une réserve en ville lors de la récolte suivante ; quant au bois, la nécessité de l’amener de Stora constituait un nouvel argument pour la construction rapide de la route de Constantine à Stora[70].

Négrier veillait à réprimer les abus de toute sorte. Il fit paraître le 27 janvier 1838 un ordre dans lequel il disait : « Un grand nombre de bourgeois qui sont à Constantine, des employés de l’administration et même des officiers se sont fait faire des cabans ou capotes avec des couvertures provenant des magasins de campement. Un semblable désordre doit être réprimé sur-le-champ[71]. » Il ordonna de saisir tous les effets de cette sorte, et de rechercher leur provenance. Il interdit aussi le trafic qui consistait, pour certains gradés, à payer le prêt de leurs hommes ou les fournisseurs en monnaies du pays au lieu de les payer en pièces de 5 francs, afin de s’attribuer le bénéfice du change : « C’est un trafic honteux, écrivit-il dans son ordre du 31 janvier, préjudiciable à ceux qui sont ainsi payés, et qui tend à faire passer toute la monnaie française entre les mains des Juifs[72]. »

Les spéculateurs et les marchands de tout genre se trouvaient gênés par les ordres de chefs énergiques ; c’est dans leur mécontentement qu’il faut chercher l’origine des campagnes entreprises et développées plus tard contre le régime militaire et contre les officiers de bureaux arabes.

Le véritable intérêt de la France est cependant, tout en encourageant la saine colonisation et l’honnête commerce, de défendre les populations indigènes contre une dépossession injuste et les troupes contre une exploitation immorale. C’est dans l’équilibre entre ces devoirs divers que réside une bonne administration coloniale ; cet équilibre a été généralement réalisé par les chefs militaires, soustraits aux influences politiques et commerciales. Les Indigènes, qui sentaient leur autorité et constataient leur impartialité, les respectaient et les aimaient.

 

Les divers corps dans lesquels servaient les Turcs ou les Indigènes algériens au début de 1838 commençaient à être nombreux.

Le Ministre de la Guerre ne parvenait pas à suivre comme il le désirait la composition et le développement de certains d’entre eux. Aussi demanda-t-il à Valée d’envoyer à la Direction des Affaires d’Afrique des états mensuels relatifs à ces corps, particulièrement aux suivants : corps des interprètes ; gendarmes maures ; spahis auxiliaires ; Turcs auxiliaires de la ville d’Oran ; bataillon d’infanterie turque de Bône ; détachement de ce bataillon formé à Constantine ; cavaliers Douairs et Smela soldés[73].

Le corps auxiliaire de Constantine, appelé communément « bataillon turc de Constantine », comprenait en réalité un bataillon d’infanterie, formé de Turcs, de Coulouglis et d’habitants de Constantine, un escadron de cavalerie, et une section d’artillerie.

Le Ministre de la Guerre demandait, au début de janvier 1838, à Valée de le fixer sur l’importance qu’il comptait donner à cette troupe. D’après ses renseignements, le chiffre des soldats s’élevait au 10 novembre 1837 à 691 hommes, dont 1 maréchal des logis, enrôlés au titre du bataillon turc de Bône, et à 45 cavaliers, dont 2 maréchaux des logis, enrôlés au titre des spahis. Comme la solde de ces hommes était de 1 franc par fantassin et 1 fr. 80 par cavalier, elle devait entraîner une dépense annuelle de 285.000 francs, qui n’était pas prévue[74]. Il fallait aviser aux moyens de la limiter et de la couvrir.

Valée s’occupait, à ce moment même, de l’encadrement, de l’armement, de l’habillement et de la solde du bataillon de tirailleurs turcs. Il proposait au Ministre d’accorder, aux lieutenants et sous-lieutenants qui avaient accepté d’y commander une compagnie, le grade supérieur au leur lorsqu’ils rempliraient les conditions légales et qu’ils seraient proposés pour l’avancement ; une telle mesure aiderait, pensait-il, à trouver de bons officiers pour l’encadrement des corps indigènes, si on voulait ultérieurement les développer. Il comptait donner le commandement du bataillon à « un capitaine connaissant bien le caractère des Turcs et des Arabes » et lui assurer le grade de chef de bataillon après un certain laps de temps ; « le choix d’un officier dont le mérite ne serait pas constaté en Afrique produirait un effet fâcheux et nuirait à la bonne direction que le nouveau corps doit recevoir ». Le général de Négrier lui avait indiqué le capitaine Mollière, des zouaves, comme apte à cet emploi.

Pour armer les tirailleurs turcs, Valée avait prescrit d’envoyer quelques fusils de Bône à Constantine ; mais il avait en même temps recommandé au général de Négrier de surveiller les hommes à qui ils étaient confiés, afin de ne pas compromettre la sûreté de la ville.

L’habillement devait, à son avis, comporter un uniforme distinguant les Turcs des Indigènes algériens, mais ayant la forme de leur costume habituel. Les officiers devaient conserver l’uniforme français : « l’adoption du costume arabe par les officiers de spahis, écrivait-il, n’a produit aucun effet avantageux et ce déguisement a souvent diminué, aux yeux des Arabes, la considération dont doivent jouir les hommes appelés à les commander[75]. » Le conseil d’administration du corps fit son possible pour uniformiser l’habillement des hommes.

La solde des tirailleurs de Constantine avait été fixée provisoirement. Valée estimait que, si le corps était organisé d’une manière définitive, cette solde pourrait être celle des gendarmes maures[76] ; en attendant une solution, elle devait être prélevée sur l’impôt perçu à Constantine[77].

Valée était d’accord avec Négrier pour ne pas instituer un corps de spahis irréguliers, puisque le nombre de cavaliers dont Négrier pouvait disposer était considérable ; le meilleur procédé à employer, d’après lui, consistait à régler avec le caïd l’emploi des cavaliers des tribus, à tenir un état des forces dont pouvait disposer chaque cheikh, et à leur allouer une solde convenue par jour de service effectif ; une marque distinctive permettrait de reconnaître les cavaliers marchant avec les troupes françaises[78].

En attendant la décision du Ministre, le général de Négrier employait les « spahis de Constantine » dans les opérations ; c’est ainsi que 100 d’entre eux prirent part à une « colonne mobile » envoyée en reconnaissance le 29 janvier[79].

Les propositions faites par Valée au Ministre relativement au bataillon turc de Constantine ne furent pas acceptées.

Le général Bernard fit remarquer au Gouverneur général qu’aucune ordonnance n’ayant prescrit la création de nouveaux corps réguliers en Afrique, ce bataillon turc ne pouvait être qu'un corps auxiliaire, comme le bataillon turc de Bône. Par suite, les lieutenants et sous-lieutenants qui y étaient employés, ne pouvaient, d’après la loi, qu’y être détachés de leur corps, sans y être titularisés.

Au cas où la formation à Constantine d’un bataillon régulier analogue au corps des zouaves ou aux escadrons de spahis paraîtrait indispensable, les Indigènes devraient y contracter l’engagement volontaire prescrit par l’ordonnance créant les zouaves ; mais alors ils entreraient dans la composition du corps des zouaves, qui pouvait recevoir, sans augmentation de cadres, un nombre d’Indigènes supérieur à l’effectif total du bataillon de Constantine[80].

La constitution de corps indigènes ne pouvait évidemment se faire que dans le cadre des ordonnances relatives à l’Armée. Il était du moins logique de ne pas contrarier le jeu de ces ordonnances. Le Ministre de la Guerre s’en rendit compte, et décida le 30 janvier 1838 de reprendre le recrutement dans les corps de spahis réguliers d’Alger, d’Oran et de Bône, qui avait été suspendu par son ordre du 21 mai 1837 ; il voulait compléter leurs effectifs, afin de les employer à assurer les communications, à protéger les tribus alliées et à tenir dans l’ordre les partisans d’Ahmed bey et d’Abd el Kader[81].

Une occasion se présenta dans la province d’Alger d’utiliser d’excellents éléments du pays au profit de la France, lorsque les Coulouglis de l’oued Zeïtoun furent châtiés et pourchassés par Abd el Kader, sous prétexte d’avoir voulu échapper à ses lois[82].

Valée donna ordre au capitaine Pellissier, directeur des affaires arabes, d’aider ces malheureux en leur faisant construire un village en gourbis, et d’accueillir au fort de l’Eau et au fort Matifou ceux qui voudraient s’y réfugier. Il décida de constituer, avec les volontaires, « un corps dont la dénomination et l’organisation seraient réglés plus tard », et alloua à chaque Coulougli une solde de 0 fr. 60 par jour et une ration de pain ; il leur fit confier la garde de la redoute de Boudouaou[83], couvrant l’Est de la Mitidja, et les autorisa à construire un village à côté de cette redoute[84].

Dans la province de Constantine, une organisation spéciale régla la collaboration des cavaliers des tribus. Les cheikhs investis par la France fournissaient un certain nombre d’hommes susceptibles d’être convoqués en cas de besoin par le commandant supérieur de la province. Le service de ces hommes était gratuit lorsque sa durée n’excédait pas deux jours ; il était rétribué lorsqu’il dépassait ce terme, suivant un tarif déterminé par Valée, comprenant la solde avec vivres ou sans vivres, et différent pour les cavaliers et les fantassins[85].

Le corps auxiliaire de Constantine donna toute satisfaction. Valée écrivait le 16 mars 1838 au Ministre de la Guerre : « Les troupes indigènes, le bataillon de tirailleurs surtout, servent avec zèle et dévouement. L’organisation de ce corps auxiliaire a parfaitement réussi, et je pense que le moment est venu de l’admettre définitivement à la solde de la France. » Il demandait au Ministre de fixer les prestations en nature et en argent à accorder aux hommes de troupe et le rang à attribuer aux officiers. Il ajoutait : « Je crois utile de conserver ce corps ; il sert bien, et les rapports qui s’établissent par ce moyen entre les Indigènes et les officiers qui les commandent peuvent avoir une haute importance par la connaissance que ces derniers acquièrent du caractère des Arabes et des procédés qui peuvent donner de l’influence sur eux[86]. »

« Le bataillon turc des tirailleurs de Constantine » s’était si bien comporté dans les diverses expéditions du général de Négrier, qu’il inspirait encore le 17 mars au maréchal Valée les réflexions suivantes :

« L’emploi des forces indigènes présente de grands avantages pour soumettre les tribus nomades ; les cavaliers irréguliers qui doivent marcher avec les cheikhs auxquels nous avons donné l’investiture ont besoin d’être appuyés par un corps régulier d’infanterie. « Les Turcs ont moins de répugnance pour ce service que les Arabes ; ils se soumettent plus volontiers aux règles de la discipline ; l’habitude qu’ils ont dès longtemps contractée de se faire craindre des Indigènes et de les mépriser, les rend éminemment utiles pour punir les tentatives que pourraient faire quelques tribus pour se soustraire au paiement de l’impôt. Je regrette que nous n’ayons pas sur tous les points de l’Algérie des bataillons turcs pour ce service[87]. »

Le Ministre de la Guerre précisa de nouveau, dans sa lettre du 25 avril 1838 à Valée, que le corps d’infanterie de Constantine ne pouvait pas être reconnu comme corps régulier. C’était seulement un « corps auxiliaire », analogue aux corps turcs d’Oran et de Bône ; les hommes devaient recevoir une solde égale à celle des Turcs de la compagnie d’Oran, c’est-à-dire inférieure à celle des gendarmes maures, et ils avaient à assurer eux-mêmes leur habillement[88].

Les contingents indigènes irréguliers de la province d’Oran, en dehors de la compagnie turque, étaient fournis par les Douairs et les Smela, qui, sous le commandement de l’agha Mustapha ben Ismaël, remplissaient le rôle traditionnel des tribus « maghzen ». Valée écrivait au Ministre à leur sujet, le 30 juin 1838 : « Comme l’expérience l’a prouvé à Oran, les cavaliers des tribus forment la force indigène sur laquelle nous pouvons le plus sûrement et le plus avantageusement compter dans le système de paix que nous cherchons à maintenir, système pour lequel l’organisation de corps arabes réguliers ne semble pas faite et où elle rencontre de graves difficultés[89]. » Le Ministre fixa au chiffre de 950 le nombre des cavaliers Douairs et Smela à inscrire dans le Maghzen[90].

L’organisation des troupes indigènes et turques au service de la France était ainsi soumise à des fluctuations.

Le maréchal Valée appréciait le service de ces troupes ; mais il formulait, au sujet de leur organisation, des projets confus. On parvient difficilement à dégager de sa correspondance des idées générales.

Les Indigènes algériens étaient surtout utilisables, d’après lui, comme contingents irréguliers de cavalerie. Les avantages de ce procédé étaient de laisser les Indigènes à leur vie de famille, sans les astreindre à la discipline de la caserne ; de pouvoir leur donner des instructeurs français, sans les mélanger à des soldats français ; de ne jamais attribuer d’autorité à des indigènes sur des Français. De tels arguments avaient une réelle valeur.

Les spahis réguliers avaient une « utilité contestée et contestable[91] » aux yeux de Valée, qui leur préférait les chasseurs d’Afrique. Le général Bernard les considérait par contre comme destinés à amener les cavaliers des tribus dans les rangs français et comme souffrant seulement d’avoir été constitués prématurément en escadrons[92].

Les Turcs devaient, d’après Valée, fournir des unités d’infanterie plus cohérentes que celles composées d’Indigènes algériens, en raison des habitudes de discipline acquises dans la milice des beys. Mais ces unités, faisait observer le Ministre, ne pouvaient être que des « corps auxiliaires », d’après les ordonnances existantes. Le corps des zouaves, comptant dans ses rangs des Indigènes et des Français, était, lui, régulier ; mais il n’avait pas la faveur de Valée, hostile à ce mélange, et partisan de l’uniformité des corps réguliers. Il était défendu par le Ministre.

 

Le lieutenant général baron Bernard ne portait pas uniquement son attention sur les corps indigènes ; il se préoccupait du bon fonctionnement de tous les corps et services.

La légion étrangère lui parut avoir besoin d'un dépôt en Afrique, distinct des bataillons de guerre. Ce dépôt compterait à son effectif le major, le trésorier, l’officier d’habillement et la 2e section de la compagnie hors-rang ; il aurait une section de convalescents, ainsi qu’une section de disciplinaires comprenant les sujets incorrigibles, non armée[93].

Le train des équipages éprouvant de grandes difficultés à effectuer les transports nécessaires aux troupes, le Ministre ordonna en janvier 1838 l’achat de 1.000 mulets également propres au trait et au bât, pour constituer quatre détachements temporaires. L’effectif total des six compagnies du train des équipages militaires en Afrique se trouva porté, par ce renfort, à 44 officiers, 2.461 sous-officiers et soldats, et 2.793 chevaux et mulets[94].

Une carte détaillée de l’Algérie, était indispensable pour les déplacements des troupes et leurs expéditions. Aussi le général Bernard exprima- t-il à Valée son désir d’ « imprimer au service topographique la direction et l’impulsion devant assurer de bons et prompts résultats[95] ». Pour hâter l’exécution du travail, il comptait organiser ce service comme celui établi en Grèce, où cinq officiers d’état-major français continuaient la carte du royaume. Il donna des instructions à Valée, et lui proposa de constituer la « section topographique » de la façon suivante : le commandant Saint- Hypolite, chef de la section ; le capitaine Puillon de Boblaye, chargé des opérations géodésiques ; le capitaine Desaint, employé au service topographique d’Alger ; le capitaine de Martimprey, employé au service topographique d’Oran ; le capitaine Guérin de Tourville, employé au service topographique de Bône. En raison de la faiblesse de cet effectif, quelques officiers d’état-major pourraient, à certains moments, renforcer la section topographique ; en outre, des officiers pourraient être détachés temporairement des régiments pour participer aux travaux. Des indemnités spéciales étaient allouées à tous ces officiers[96]. Dans de telles conditions, l’établissement de la carte devait progresser rapidement.

 

Une nouvelle organisation de l’armée d’Afrique se précisait peu à peu, grâce à la période de calme consécutive au traité de la Tafna et à la prise de Constantine ; mais elle était laborieuse, en raison des discussions de Valée avec le Ministre de la Guerre.

Valée désirait une armée d’Afrique formée de régiments réguliers, parce qu’il voulait observer, dans la guerre d’Afrique, les règles qui avaient assuré le succès des armées impériales en Europe[97] ! Il ne cessait d’exprimer cette idée, et écrivait par exemple le 17 janvier 1838 au général de Castellane, désigné pour le commandement de la province de Constantine : « Je pense que les principes suivis pour la constitution des armées en Europe peuvent s’appliquer, en les combinant aux exigences du terrain, à la guerre que nous faisons en Afrique. Je repousse tout système de corps irréguliers soumis à une organisation variable et qui, comme vous le faites observer, n’ont d’autres résultats que de permettre de donner, à quelques hommes que pousse la faveur, les moyens d’obtenir un avancement rapide. De bons régiments constamment maintenus à un effectif suffisant me paraissent suffire à tous les besoins du service[98]. »

En application de ces principes, il demanda au Ministre le licenciement du bataillon de tirailleurs d’Afrique[99]. Il obtint satisfaction : par décision du 2 mars, le Roi prescrivit la dissolution de ce bataillon composé de Français[100] ; les cadres et les hommes furent versés dans divers régiments, en particulier dans les zouaves.

Valée eût voulu faire supprimer aussi le corps des zouaves ; mais il ne cessa de se heurter à la résistance du Ministre, due en partie aux appuis dont La Moricière disposait à Paris. Le Ministre appréciait d’ailleurs beaucoup ce corps, composé de Français volontaires et acclimatés et d’Indigènes vaillants et dévoués ; il rappelait à Valée sa belle conduite à l’assaut de Constantine ; il admit seulement sa réduction à deux bataillons[101]. Valée riposta par de nouvelles remarques : tous les régiments avaient formé des détachements pour l’assaut de Constantine, et l’armée voyait « avec peine » la prédilection accordée à des corps spéciaux ; à son avis, les zouaves ne devaient pas subsister comme corps régulier, et leur réduction à deux bataillons devait nécessairement conduire à leur suppression ou à leur transformation[102]. Le général Bernard estima que le licenciement d’un corps ayant « toujours servi avec distinction » ne s’imposait pas[103] ; la décision royale du 21 décembre 1838 se borna donc à supprimer un bataillon[104].

L’organisation de l’armée d’Afrique souffrait ainsi du manque d’entente entre le Ministre de la Guerre et le Gouverneur général. La distance entre Paris et Alger, aggravée par la lenteur des communications, rendait les explications et les décisions difficiles.

La question des effectifs avait été une des plus délicates à régler. Valée faisait remarquer au Ministre avec raison que l’effectif disponible pour les opérations devait être décompté aux deux tiers de l’effectif total ; il était seulement de 28.000 ou 29.000 hommes sur le total fixé à 38.000, si l’on défalquait « les non valeurs et les hommes appartenant à des corps qui ne combattent pas[105]. » Le chiffre de 38.000 hommes ne lui paraissait donc pas suffisant pour occuper les territoires d’Alger, d’Oran et de Constantine : « Réduire l’armée à cet effectif, écrivait-il au Ministre, c’est la placer dans un état de défensive complète, c’est lui enlever les moyens de soutenir avec avantage une lutte nouvelle[106]. »

Le Gouvernement autorisa l’envoi de renforts portant l’effectif total à un effectif dépassant 48.000 hommes[107]. Mais Valée avait établi un programme d’opérations dans les provinces d’Alger et d’Oran qui exigeaient ce chiffre de 48.000 comme présents sous les armes, c’est-à-dire un effectif total d’environ 60.000 hommes. Le lieutenant général Bernard l’invita donc à maintenir la paix le plus longtemps possible, et, si elle était rompue, à se borner à l’occupation de Médéa, Miliana et Cherchell[108].

Valée ne souhaitait nullement avoir à lutter avec les Indigènes ; il était partisan d’une pénétration progressive et pacifique dans l’intérieur du pays, et voulait seulement des forces suffisantes pour ne pas subir d’échec. Dans la province d’Alger, il mit la main sur Koléa le 26 mars 1838, installa des camps au Fondouk et à Kara-Mustapha, puis occupa Blida le 3 mai. Il fit interdire aux troupes l’entrée de Koléa et Blida jusqu’à ce que des relations confiantes fussent établies avec les habitants, et il fit verser des indemnités aux Indigènes pour les dégâts causés à leurs moissons par l’établissement des camps[109].

Dans la province de Constantine, il donna le 20 mai au général de Négrier des instructions caractéristiques : « Les longues courses, les expéditions à grande distance ne peuvent amener de résultats durables. Comme le vaisseau qui sillonne la mer et derrière lequel le flot se referme immédiatement, nos colonnes ont souvent parcouru de vastes territoires sans laisser de traces sur leur passage. C’est ce système que je veux abandonner pour revenir aux établissements solides, à une marche progressive[110]. »

Il lui décrivait à nouveau le 29 mai la manière dont il comprenait le rôle de l’armée : « L’habileté consiste à profiter des événements plutôt qu’à les faire naître ; la gloire, à pacifier et à administrer le pays plutôt qu’à combattre et à obtenir par les armes des succès éphémères, toujours contestés et qui ne font faire aucun pas à notre colonie[111]. »

C’étaient là des principes de sage politique coloniale, trop méconnus à son époque.

 

La qualité de ses troupes importait à Valée au moins autant que leur quantité. Il se plaignait amèrement de la manière dont étaient choisis dans la Métropole les hommes de renfort : « Au lieu d’envoyer à l’armée d’Afrique des soldats d’élite, écrivait-il le 20 juillet 1838 au Ministre, pour y entretenir ou fortifier les bonnes traditions, les chefs de corps y jettent tout ce qu’ils considèrent le moins, tout ce qui a usé infructueusement leur patience et leurs moyens de répression[112]. » Il lui demandait de sévir avec rigueur contre les chefs qui, par étroitesse d’esprit, manquaient ainsi à leur devoir envers l’armée.

Sa préoccupation d’empêcher l’envoi d’hommes destinés à la prison ou à l’hôpital devint d’autant plus légitime que les nécessités budgétaires firent ramener pour 1839 l’effectif de l’armée d'Afrique à 38.000 hommes. Il fut invité par le Ministre à renvoyer 10.000 hommes en France afin de réaliser la réduction pour le 1er janvier 1839[113].

Le Gouverneur général se plia à cette mesure représentée comme indispensable : « Les gouvernements, écrivait-il le 30 novembre 1838 au duc d’Orléans, sont quelquefois dominés par une force que, de loin, on ne peut pas apprécier... On me dit si souvent que la direction des affaires d’Afrique est à Paris, on cherche tellement à gêner mon action, à me refuser l’honneur de l’initiative en contestant ma responsabilité, que je dois céder toutes les fois que la position parlementaire du Gouvernement peut être compromise[114]. »

Si Valée est difficile à comprendre et à juger, c’est parce qu’il a été constamment contrarié dans l’exécution de sa politique par les hommes et les circonstances.

Louis-Philippe et le comte Molé, président du Conseil, le sentirent si bien qu’ils lui proposèrent tous deux, le 6 décembre 1838, de prendre les fonctions de ministre de la Guerre[115]. Le ministère Molé ayant démissionné le 22 janvier 1839, Valée demanda à Louis-Philippe de rentrer en France, invoquant son « dissentiment profond avec le Ministère de la Guerre sur le système à suivre en Afrique » ; il incriminait la « direction des affaires d’Afrique », créée à Paris et ne connaissant pas l’Afrique[116]. Louis-Philippe l’engagea à rester à son poste.

Cette opposition entre un Gouverneur aux prises avec les réalités, conscient des mesures à prendre, et un organe directeur nourri de théories et ignorant le pays d’outre-mer, s’est renouvelée fréquemment dans l’histoire coloniale française, sans que la Métropole ait compris la nécessité de faire confiance à ses représentants qualifiés aux colonies.

Le général Bernard avait, lui aussi, reçu les doléances de Valée ; il lui répondit que l’administration avait peut-être commis quelques erreurs, mais il ajouta ces lignes, si vraies dans tous les temps : « Permettez-moi de vous le dire, monsieur le Maréchal, vous ne vous êtes pas formé une idée suffisamment exacte de la position d’un Ministre placé entre les investigations de la presse et les débats de la tribune[117]. »

Cette « position » du Ministre donne le secret de la plupart des erreurs coloniales de la France.

Une politique indigène bien dirigée pouvait, dans une certaine mesure, remédier à la réduction des effectifs ; mais elle n’était pas entre les mains d’un organe stable.

La direction des affaires arabes fonctionnant à Alger subit une importante transformation au début de 1839, par suite du départ du commandant Pellissier. Cet officier ayant refusé de rendre à un secrétaire d'Abd el Kader deux de ses esclaves, un nègre et une négresse réfugiés à Alger, Valée passa outre à son avis. Pellissier, quoique de caractère très entier, obéit ; mais il remit au Gouverneur général la démission de ses fonctions[118]. Valée le fit embarquer pour la France et écrivit au Ministre que cet officier « inspirait peu de confiance et d’attachement à l’armée et à la population européenne[119]. »

Ni le Ministre ni Valée n’étaient disposés à laisser prendre à la direction des affaires arabes une trop grande importance. Le capitaine d'Allonville, désigné pour succéder à Pellissier, n’eut plus que des attributions limitées ; il fut chargé : de surveiller particulièrement la police, la discipline et la comptabilité des gendarmes maures et des détachements de troupes indigènes irrégulières établies dans la province d’Alger, en subordonnant les gendarmes maures aux officiers et sous-officiers de gendarmerie française et les détachements de troupes irrégulières aux commandants militaires d’arrondissement ; de recevoir et transmettre les rapports des chefs de tribus, en réservant au cabinet du Gouverneur la correspondance générale et politique ; de traiter convenablement et de surveiller les émissaires et courriers indigènes pendant leur séjour à Alger[120]. Son rôle devenait ainsi secondaire.

 

L’arrivée du maréchal Soult, duc de Dalmatie, comme président du Conseil dans le Ministère constitué le 12 mai 1839, dissipa la méfiance réciproque entre Paris et Alger. Soult et Valée échangèrent des lettres cordiales[121], d’où ressortait la commune volonté du Gouvernement métropolitain et du Gouverneur général à Alger d’avoir « la paix, et non la guerre[122]. »

L’organisation de l’armée d’Afrique restait à établir sur des bases fermes.

Valée, qui n’avait pu obtenir en 1838 le licenciement des zouaves, essaya de réaliser leur suppression par de nouveaux moyens. Il proposa au Ministre de la Guerre de verser les Indigènes qui en faisaient partie à la légion étrangère et de constituer avec les Français un régiment d’infanterie ; mais il essuya un refus. Il suggéra alors de rattacher une ou deux compagnies de zouaves à chacun des régiments d’infanterie légère, comme les spahis avaient été rattachés aux chasseurs d’Afrique ; cette suggestion ne fut pas suivie. Une ordonnance du 4 août 1839 trancha la question en décidant que le corps des zouaves pourrait être reconstitué à trois bataillons, au lieu de deux, lorsque son recrutement en soldats indigènes l’exigerait[123]. L'opinion publique, très favorable aux zouaves, accueillit avec satisfaction la décision qui leur donnait définitivement gain de cause.

La cavalerie régulière fut organisée par l’ordonnance du 31 août 1839. Elle compta quatre régiments de chasseurs d’Afrique, au lieu de trois, par suite de la création d’un quatrième régiment à Bône. Les 1er et 2e chasseurs d’Afrique comprirent six escadrons de chasseurs français, plus deux escadrons de spahis composés d’Indigènes et de Français ; les 3e et 4e chasseurs d’Afrique eurent cinq escadrons français et un de spahis. Les corps de spahis réguliers d’Oran et de Bône furent conservés ; celui d’Alger, licencié[124].

Les officiers français de spahis avaient adopté le costume turc. Du Barail, qui s’engagea en 1839 dans ce corps, décrit ainsi ce costume : veste turque rouge, soutachée de noir ; gilet bleu de roi ; large culotte bleue, arrêtée aux genoux ; botte molle avec éperon vissé ; turban de fantaisie ; burnous rouge. « C'était très joli, ajoute-t-il, quand on avait de la ligne, de la désinvolture ; mais, quand on prenait du ventre, cela vous donnait tout de suite l’air d’un marchand de pastilles de la rue de Rivoli[125]. » Ce costume pittoresque devait d’ailleurs être échangé en 1842 contre la tenue française.

L’habitude de boire des liqueurs fortes s’était malheureusement répandue beaucoup dans l’armée d'Afrique : « C’était l’usage dans la cavalerie, écrit du Barail, d’aller dès le réveil boire la goutte à la cantine, et cette première consommation était la tête d’un chapelet de verres de rhum, d’absinthe, etc., qui s’égrenait jusqu’à l’extinction des feux[126]. »

Le territoire d’Alger, dont l’armée d’Afrique avait à assurer la sécurité devait, d’après les conceptions de Valée, comprendre trois zones : la première, limitée aux régions colonisées sur la côte, serait confiée à l’administration civile et soumise à la loi française ; la seconde, divisée en cercles commandés par des officiers, serait occupée par les .troupes et « soumise à un système mixte » ; la troisième, située en dehors des régions occupées d’une façon permanente par l’armée, serait gouvernée par des chefs indigènes sous l’autorité des commandants supérieurs des provinces, et « régie par la loi arabe pure[127]. »

Un tel projet renfermait l’embryon de l’organisation qui fut réalisée plus tard, avec les communes de plein exercice, les communes mixtes et les territoires militaires ; mais il avait le tort, pour la zone côtière, de reposer sur le refoulement des indigènes, et, pour la zone indigène, de ne pas faire de différence entre les « Arabes » et les Kabyles.

La division du territoire en trois zones administrées différemment ne paraissait pas en désaccord avec l’idée de l’unité des possessions françaises en Afrique du Nord, qui se faisait jour.

Le mot Algérie avait apparu dès la fin de 1837 dans des correspondances officielles[128], puis il avait été employé dans des discussions parlementaires, et avait figuré dans l’ordonnance sur l’administration civile de l’Algérie du 31 octobre 1838[129]. Il fut adopté officiellement le 14 octobre 1839 par le Ministre de la Guerre[130], dont la décision fut transmise par Valée aux troupes de l’armée d’Afrique en ces termes : « Le pays occupé par les Français dans le Nord de l’Afrique sera, à l’avenir, désigné sous le nom d’Algérie. En conséquence, les dénominations d’ancienne Régence d'Alger et de Possessions françaises dans le Nord de l’Afrique cesseront d’être employées dans les actes et les correspondances officielles[131]. »

 

L’unité de l’Algérie avait grand besoin d’être matérialisée sur le terrain car il n’existait pas de communications par terre entre la province d’Alger et la province de Constantine. Valée prépara dans le plus grand secret une expédition destinée à établir solennellement les droits de la France sur une région contestée par Abd el Kader, et à relier la province de Constantine à celle d’Alger en passant par le fameux défilé des Portes de Fer. C’était au duc d’Orléans qu’était réservée la gloire de mener cette expédition.

Le duc d’Orléans vint en Algérie à la fin de septembre 1839. Il débarqua à Oran le 23, mais il n’y trouva pas Valée, qui n’avait pu y arriver d’Alger par mer, en raison des vents contraires[132] ; il ne put pas non plus être accompagné par le commandant de la province, le général Guéhéneuc malade. Il commença néanmoins son inspection, et la poursuivit ensuite dans toute l’Algérie, avant de diriger l’expédition des Portes de Fer.

Aucun récit ne peut mieux donner idée de l’armée d’Afrique à ce moment que le journal du Prince, relatant avec simplicité et sincérité, mais en termes colorés et vibrants, ses impressions et ses jugements[133].

 

A Oran, l'hôpital était bien tenu, et le nombre des malades pas considérable ; mais les officiers de santé étaient peu zélés. « Dans tous les services militaires, écrivait le duc d’Orléans, on vole d’une manière indigne, surtout sur le pain, qui a été très mauvais jusque deux jours avant mon arrivée, et sur lequel on fait des bénéfices honteux. Tout ce qui appartient à l’armée militante est honorable, mais l’armée administrative est empestée de fripons et de drôles qui salissent un uniforme qu’on aurait bien dû ne pas leur laisser porter[134]. »

Le régiment de spahis de Yusuf, qu’il examina en détail, lui parut « un beau corps de cavalerie, instruit et faisant très bien la guerre. » Yusuf le commandait parfaitement : « malgré ses défauts, écrivait le Prince, cet aventurier, par son extrême intelligence et sa grande bravoure, nous sera bien utile : il faut s’en servir[135]. » Les officiers, ayant tous de la valeur, se nuisaient mutuellement pour l’avancement.

Le 2e régiment de chasseurs d’Afrique était le plus beau et le plus instruit des régiments de cavalerie qu’il eût rencontrés depuis longtemps. « Le colonel Randon a métamorphosé ce régiment ; mes officiers et moi, nous étions tous dans l’admiration ; chevaux lestes — il n’y a plus qu’une trentaine de chevaux français —, beaux hommes bien à cheval, tenue simple et sévère ; équipement léger et bien entendu, bon corps d’officiers ne s’occupant plus de coterie, excellent colonel[136]. »

Malgré les prévarications des administrateurs, les soldats vivaient bien, parce que, grâce aux organisations développées par Bugeaud, chaque corps avait son troupeau et son jardin[137]. Le 2e chasseurs d’Afrique était particulièrement bien installé aux abords immédiats d’Oran, à Karguenta ; il y possédait des « cultures suffisantes pour nourrir les chevaux durant six mois et fournir des légumes et de la viande aux hommes pendant toute l’année », et y avait « pavillon des officiers, écoles, salles à manger, bibliothèque régimentaire et magasins[138] », le tout fort bien compris.

Le Prince Royal passa en revue les troupes de toutes armes d’Oran, y compris la milice, ainsi que les Douairs et les Smela commandés par le général Mustapha ben Ismaël. Il fut très satisfait. « Quelle belle division on pourrait avoir avec de tels éléments ! » écrivait-il ; mais elle « aurait besoin de l’impulsion d’un général jeune et actif[139] ». Ce serait là une « division modèle, la réserve de l’armée d’Afrique, le point d’acclimatation et le camp d’instruction des troupes venant de France[140]. »

Attentif à tout, il notait pour la Reine que les catholiques étaient au nombre de 9.500 dans la garnison d’Oran, sans les postes extérieurs, et que l’unique chapelle ne contenait pas 100 personnes. Il se proposait de parler de cette question au maréchal Valée[141].

 

A Alger, où il arriva le 27 septembre[142], le duc d’Orléans prit contact avec Valée : « Quel caractère que ce bon maréchal ! écrivait-il, quel trabajo que de causer et de convenir de quelque chose avec lui !... Il est quinteux, susceptible, se plaint de tout le monde, même de ce que le Roi et la Reine traitent l’évêque mieux que lui[143]. »

Le Prince Royal commença son inspection par la visite des hôpitaux ; il trouva les hôpitaux du Dey et de la Salpêtrière réunis en un établissement magnifique, sain, bien tenu, pourvu de lits en fer, contenant 900 malades bien traités, et un pavillon où se trouvaient une trentaine d’officiers. Tandis qu’à Oran sévissait la dysenterie, occasionnée par les eaux magnésiennes des environs, et à Bône la fièvre typhoïde et les gastrites, à Alger régnait la fièvre, produite par les travaux dans des terres humides. Il y avait un va-et-vient constant de fiévreux entre les camps de la banlieue et l’hôpital[144].

Les troupes d’Alger furent passées en revue par le duc d’Orléans sur la plage de Mustapha. La milice était assez mal tenue et peu militaire. Le 41e de ligne, qui venait d’arriver, était « fort mou », mais allait s’améliorer puisque le colonel et neuf capitaines demandaient leur retraite ! Le 2e léger était par contre bien composé : « ce régiment a plus qu’un numéro, il a un nom ; il est fâcheux qu’il quitte l’Afrique au moment où il est le plus en état de bien servir[145]. »

Quant au soldat de l’armée d’Afrique dans son ensemble, voici la description pittoresque donnée de lui par le duc d’Orléans : « Au travers du tohu-bohu des chameaux qui reviennent du marché, des omnibus, des fiacres et des caravanes d’ânes, on voit le véritable roi d’Alger, le tourlourou français, se promener gaiement, le képi sur l’oreille, le briquet battant entre les jambes et regardant fièrement du haut de sa petite taille toutes les races diverses de l’Europe et de l’Afrique qui se pressent autour de lui[146]. »

Valée faisait assez peu de cas des chefs, puisqu’il disait au dîner du 28 septembre : « Eh ben ! eh ben ! Monseigneur croit avoir du monde à dîner ; il a sa salle pleine, et il n’a personne ; il n’y a pas un homme dans tout ça, ça ne sait que parler et manger, ça ne sait ni commander, ni obéir, ni comprendre[147]. » Par des réflexions de ce genre, faites avec une « sauvage brusquerie », le Gouverneur général manifestait son caractère difficile. Aussi, malgré les services qu’il rendait à la colonie, était-il peu aimé[148]. Faisant, même chez lui, peu d’efforts pour vaincre sa mauvaise humeur, il rappelait beaucoup, « dans une grande robe de chambre brune avec une casquette molle, le successeur de Charles VII ![149] »

Le duc d’Orléans visita le Jardin d’Essai, puis les camps des environs et les principales fermes de colonisation[150].

A Koléa, il remarqua que les zouaves avaient toujours « fort bonne mine[151] » ; au camp supérieur de Blida, il passa en revue le 24e, très beau régiment de Méridionaux[152]. Dans les camps de l’Est, cependant sains, il y avait beaucoup de malades ; l’effectif du 48e par exemple comptait presque deux tiers d’indisponibles. « Les fièvres légères dont tout le monde est atteint, écrivait le Prince, tiennent surtout à l’insolation et à l’ennui qui, lorsque les chefs ne soutiennent pas, comme La Moricière et Duvivier à Koléa et à Blida, le moral du soldat, l’abattent très promptement. Il n’y a dans ces camps ni ombre ni végétation ; il est défendu d’aller se promener dans les vallées boisées, ou de s’écarter assez du camp pour aller voir les tentes des Arabes qui s’éloignent peu à peu des postes militaires ; la chaleur pendant un temps, la pluie pendant un autre, empêchent les occupations militaires. Renfermés dans une enceinte étroite et brûlée, n’ayant sous les yeux que des bâtiments qui ressemblent à des prisons, les soldats deviennent tristes ; c’est certainement une épreuve pour leur moral que le séjour dans des lieux où l’on n’a même pas de livres ni de papier pour s’occuper, et où il n’y a d’autre distraction que la vue qu’on a du haut des remparts lorsqu’il ne fait pas trop chaud pour y rester[153]. »

Si l’oisiveté dans ces camps était déprimante, les travaux de terrassement auxquels les troupes étaient obligées de se livrer étaient, eux, mortels : « Le soldat africain, a écrit le duc d’Orléans, ouvre lui-même le tombeau où il risque d’être enterré le lendemain ! Chaque coup de pioche qu’il donne d’une main ferme et assurée est un pas vers la mort... Ainsi fut détruit le 11e de ligne, empoisonné par les dessèchements de Boufarik ; ainsi périrent les garnisons des camps de l’Harrach et de l’Arba, qui, sans en excepter un seul homme, passèrent tout entières par l’hôpital et n’en sortirent guère que pour le cimetière[154]. »

Le duc d’Orléans put voir dans les camps, outre le 48e dont les officiers n’avaient « pas tout le ressort désirable », deux compagnies belges de la légion étrangère, qui avaient bien résisté aux maladies ; il passa en revue les Coulouglis de l’oued Zeïtoun et les cavaliers de l’Est de la plaine, dont le contraste souligna à ses yeux « la différence des races turque et arabe ». Il dépeignait les Coulouglis « coiffés d’énormes turbans, vêtus d’une veste courte, d’une énorme ceinture, d’une culotte large, ne montant jamais à cheval », et les considérait comme beaucoup plus fidèles que les Indigènes algériens. Aussi regrettait-il l’expulsion des Turcs par Bourmont[155].

La vue des fermes de colonisation renforça son sentiment que l’avenir du pays dépendait par-dessus tout de l’établissement de colons européens. Il constatait les progrès accomplis en dépit de toutes les fautes commises, et écrivait : « Le pays marche ; il marche presque malgré le pouvoir ; s’il avait la bride sur le cou, combien marcherait-il encore plus vite ![156] »

 

Dans la province de Constantine, où le duc d’Orléans se rendit accompagné de Valée, il visita successivement Bougie, Djidjelli, Stora, Philippeville.

A Bougie, il rencontra le lieutenant-colonel Bedeau, qui y commandait le détachement de la légion. Très intéressé par cette troupe, il la décrivait en ces termes : « Il y a des gens de tous les pays, qui ont fait tous les métiers et vu les quatre parties du monde, beaucoup de Français sous de faux noms, beaucoup d’hommes des classes élevées qui ont commis des fautes et qui se cachent : la biographie des soldats serait une mine inépuisable pour les romanciers. Mais, avec de bons officiers, cette bande se bat admirablement, elle est très accessible au point d’honneur. Presque tous les cadres ont fait partie de cette malheureuse légion dont l’héroïque conduite en Espagne et les souffrances énormes sont un sujet de gloire et de tristesse pour la France. Ils sont, en général, bien[157]. » Le Prince vit d’ailleurs le reste de la légion à Djidjelli[158].

Au débarquement à Stora, le Prince Royal fut reçu par le général Galbois et les grands chefs de la province de Constantine. Il remarqua que la politique à l’égard des tribus jouait un rôle plus important que dans l’Ouest : « Je vais m’occuper, écrivait-il, d’agir le plus possible sur la population indigène[159]. » Il admira l’éclosion de la ville européenne de Philippeville, comptant 1.700 âmes, non compris la garnison et les employés, un an après l’occupation du poste.

Par contre, le spectacle des hôpitaux était douloureusement impressionnant : « C’est hideux ; j’admire la résignation et la patience des malheureux soldats qui sont entassés sous des baraques étroites, sans lit, sans eau, sans vin, sans médicaments, sans baignoires et presque sans médecins. Pas un murmure ne s’échappe de leurs bouches, pas une parole amère : « Que voulez-vous, mon Prince, me disent-ils, ne sommes-nous pas à l’armée ? » ou bien : « Peut-être serons-nous plus mal un jour ![160] » Les chefs étaient les vrais responsables de cet état de choses. Valée ne visitait jamais les hôpitaux ; et certains officiers, comme ceux du 61e de ligne, se souciaient peu du bien-être de leurs soldats.

Le duc d’Orléans fit évacuer immédiatement 400 malades sur Alger[161], et obtint du maréchal Valée bien d’autres mesures utiles : envoi d’urgence de médicaments, de baignoires, de médecins, et d’un intendant pour inspecter le service ; délogement des bureaucrates qui avaient pris les belles constructions pour laisser les mauvaises aux malades ; cessation des marchés sur le vin et le bois, qui étaient « monstrueux » ; diminution des postes inutiles et des corvées ; assainissement des abattoirs[162]. Toutes ces initiatives auraient dû être prises par le commandant supérieur !

A Constantine, les hôpitaux n’étaient pas mieux tenus, les casernements n’étaient pas plus sains, la ville n’était pas plus propre.

Le colonel de la Ruë écrivait au Ministre de la Guerre au sujet des hôpitaux : « Les termes de comparaison manquent pour vous rendre compte de cette misère[163]. » Le duc d’Orléans notait le 14 octobre : « Rien n’a été fait, depuis deux ans, pour améliorer la situation des hommes. Les malades sont dans une situation horrible : les deux tiers n’ont pas de lit ; les trois quarts n’ont pas de matelas ; quelques-uns sont en plein air dans les galeries mauresques ; beaucoup sous la tente. Une partie des bâtiments affectés aux hôpitaux tombent en ruine et s’écrouleront sur la tête des malheureux qu’ils abritent. Une seule cuisine centrale, pour tous les hôpitaux disséminés en ville, distribue partout des aliments froids[164]. »

L’état du casernement de la troupe contribuait certainement à augmenter le nombre des malades : « Les soldats sont logés çà et là, en ville, dans des maisons occupées le lendemain de l’assaut, qui manquent toutes d’air, d’écoulement pour les eaux, de latrines ; plusieurs d’entre elles sont déjà tombées par terre. Pas un seul homme n’a de lit, de matelas ni même de paillasse. La garnison entière couche, depuis deux ans, sur la terre avec la couverture de campement[165]. »

Comment les chefs de l’armée d’Afrique ne s’occupaient-ils pas davantage de la santé de leurs hommes ? La faute venait d’en haut : « Il est inouï, écrivait le duc d’Orléans, que le Maréchal ne se soit pas encore occupé de cet état, et encore ai-je eu beaucoup de peine à lui faire voir un hôpital, et ne suis-je pas parvenu à le mener dans les autres. » Devant cette indifférence, le Prince prit « un grand parti » : il fit transporter dans le palais qu’il occupait les malades les plus mal installés : « Je rougissais de nous voir logés comme des rois, nous bien portants, tandis que des pauvres soldats étaient si mal et souffraient si patiemment[166]. »

La saleté des rues de la ville contribuait aussi à répandre les maladies : « Ce ne sont, à chaque pas, que charognes, ordures, eaux croupies sans écoulement. Des bandes de chiens, parmi lesquels le barbet tondu en lion représente, depuis peu, la civilisation européenne, ne suffisent pas, avec les quantités innombrables de vautours et d’aigles qui entourent la ville, à nettoyer ces charniers infects dont un peu de soin purgerait la ville[167]. »

Des mesures furent prises, grâce au duc d’Orléans, pour la construction d’hôpitaux et de casernes. Mais le grand tort du génie, dans les plans qu’il traça fut, à Constantine comme ailleurs, de peu ménager les restes des civilisations passées : « Je pose la première pierre, écrit le duc d’Orléans, sur l’emplacement de ce grand temple romain dont les colonnes de soixante- douze pieds de haut, encore éparses sur le sol, devaient faire un effet si grandiose vues de la campagne, sur l’extrémité d’une falaise de neuf cents pieds[168]. » Ces souvenirs ont souvent disparu sans profit.

 

Malgré tous les exposés de Valée sur la nécessité d’entreprendre une expédition contre Hamza, le duc d’Orléans écartait ce projet avec « persistance et fermeté » ; il ne voulait pas se laisser entraîner à une opération susceptible, à son avis, de faire renaître la guerre avec Abd el Kader. « Cette affaire d’Hamza, écrivait-il, est son dada, et il eût voulu, en la faisant, m’en mettre toute la responsabilité sur le corps. » Le Prince royal ne voulait pas risquer de rompre la paix, « seule base actuelle du développement de notre colonie[169] », et résistait à toutes les raisons données[170].

Voulant montrer cependant son désir de participer effectivement aux actes de l’armée, il prit le commandement d’une division dans une colonne constituée par Valée pour ouvrir des routes vers l’intérieur : « Rien de belliqueux dans cette organisation, il n’y est question que de marches et de travaux ; c’est la réhabilitation de la pioche à l’égard des fusils que j’entreprends[171]. » Il eut soin néanmoins d’emmener sous ses ordres les meilleures troupes de la division, parmi lesquelles le 2e léger et le 23e de ligne. Le 2e léger comptait, comme à ce moment la plupart des corps d’Afrique, une grande majorité de Méridionaux : des Gascons et des Languedociens[172] ; il était considéré comme le meilleur régiment de l’armée d’Afrique. Son seul défaut était, suivant l’expression imagée du duc d’Orléans, de « porter un peu trop le képi sur l’oreille » ; il n’avait pas voulu prendre de couvertures, disant : « Le 2e léger ne craint rien, pas plus les éléments que les Arabes. » Le colonel du régiment, Changarnier, qui tombait dans ce travers, avait laissé faire ; le duc d’Orléans avait envoyé l’ordre de faire parvenir les couvertures[173] ; mais il était trop tard ; « le colonel avait commis la coupable, folle et irréparable désobéissance d’emmener ses hommes avec une capote et un sac de toile, sans vestes ni couvertures ![174] »

Les soldats de la colonne étaient, de l’avis du duc d’Orléans, « au-dessus de tout éloge » ; ils avaient « les vertus des anciens grognards sans leurs défauts et surtout ne méritaient pas leur nom[175]. »

A Djemila, où passa la colonne, il y avait comme garnison du poste deux bataillons du 23e et du 17e léger, bien réduits par les fièvres. Les hommes, « entassés sous des tentes malsaines, trop froides et trop chaudes, exécutant, dans les chaleurs les plus fortes comme pendant les pluies, d’immenses travaux de terrassement, avaient été décimés par la maladie. » Les malheureux malades y étaient « sous des tentes, sans matelas, avec un seul sous-aide pour tout personnel de santé et cinq bidons pour tous ustensiles[176]. »

Le duc d’Orléans fit procéder à des évacuations, apporter des ustensiles, des tentes, des planches, et prescrivit le remplacement de la garnison par des zéphyrs. Il avait vu, quelques jours auparavant, des chasseurs d’un bataillon d’infanterie légère d’Afrique au camp de Toumiet et les avait appréciés : « Le camp est occupé par les zéphyrs, troupe que, malgré sa composition, j’aime beaucoup, et qui a bien l’esprit français. Ils vont seuls dans les tribus, à quinze lieues à la ronde ; les Indigènes les appellent des Kabyles français et les traitent comme des frères[177]. » Il analysait d’ailleurs en ces termes la conduite de ceux qui avaient, l’année précédente, été attaqués à Djemila par les Kabyles : « L’ennemi s’était retiré ; mais il restait la famine, le froid, l’incertitude de l’avenir. Cette situation fut supportée par les zéphyrs avec cette ferme et courageuse insouciance qui est le fond de leur caractère[178]. »

Sétif, où la colonne arriva le 21 octobre 1839, était gardée par le bataillon turc, « excellent et d’un dévouement à toute épreuve. » Il était, de l’avis du duc d’Orléans, « indignement traité », et n’avait ni vêtements, ni nourriture, ni logement. « On leur donne, écrivait le Prince, seize sous par jour et un petit morceau de biscuit ; avec cela, il faut qu’ils s’habillent et s’entretiennent : c’est impossible ! En outre, on les envoie dans les postes où ils ne peuvent même pas trouver de la viande ou de la farine, et on les laisse au bivouac en plein air, sans une couverture ni un manteau. Ils souffrent, meurent et ne se plaignent pas. Les officiers qui les commandent ne sont guère mieux traités ; il y a là quelque chose à faire[179]. » Ce corps pouvait rendre, à son avis, d’immenses services ; il admira particulièrement la compagnie de canonniers et la compagnie de réserve des Turco fino[180].

Valée tenait toujours à se diriger sur les Portes de Fer, pour ouvrir la route terrestre d’Alger à Constantine, au lieu de revenir sur Bougie. Le duc d’Orléans n’entendait pas « s’associer à un acte qui pourrait avoir le caractère d’une provocation », et voulait l’assurance absolue que la guerre avec Abd el Kader n’en résulterait pas[181]. De longues discussions eurent encore lieu entre eux. Ce fut seulement après avoir reçu du Maréchal la garantie formelle du maintien de la paix que le Prince se décida le 24 octobre à exécuter l’opération[182] ; encore fit-il le lendemain une dernière tentative pour l’empêcher[183].

L’habitude de Valée était de ne jamais rien laisser connaître de ses projets militaires. Ses subordonnés se plaignaient de ce procédé : « Notre Maréchal, écrivait le capitaine de Saint-Arnaud en avril 1838, est discret comme la tombe... Aussi, troupe, administration, tout est-il toujours sur le qui-vive. On vit dans une atmosphère d’incertitude vraiment pénible[184]. » C’était cependant le seul moyen d’assurer le secret des opérations. Lors de l’expédition des Portes de Fer, le secret fut remarquablement gardé, et, jusqu’au dernier moment, nul ne connut le véritable but de l’expédition.

Lorsque les troupes s’aperçurent le 26 octobre qu’elles prenaient la direction du sud-ouest, et non du nord-ouest, elles furent transportées d’enthousiasme[185]. Elles traversèrent le défilé le 28 octobre sans coup férir. Le duc d’Orléans fit graver par les sapeurs sur le roc : Armée française, 1839, sans vouloir que son nom figurât dans l’inscription.

Le 17e léger rivalisait de courage et d’endurance avec le 2e léger ; mais il était réputé pour ses effets usés, et recevait au passage les quolibets des autres régiments, qui, en voyant des trous aux pantalons et aux capotes, demandaient aux soldats ce qu’ils payaient pour l’impôt des portes et fenêtres[186]. « Il est râpé, écrivait le duc d’Orléans, au point que capotes, collets, coiffes, épaulettes, tout est de différentes nuances du gris : la troupe, depuis trois ans, n’a couché que trois semaines sur des matelas. Toutes les figures et toutes les barbes sont d’une teinte brun roux uniforme, qui atteste de longues épreuves supportées avec résolution. Le corps d’officiers est excellent[187]. »

Au 2e léger régnait un esprit de corps remarquable, qui avait donné aux soldats pleine confiance en eux-mêmes. Ainsi, le 31 octobre, le duc d'Orléans ayant voulu, au cours d’un engagement d’arrière-garde, faire sonner la marche du régiment, les hommes lui crièrent : « Non, non ! les ennemis sauraient que c’est le 2e léger qui charge, et ils ne nous attendraient pas. Qu’on nous sonne simplement la charge ![188] » Cette « fanfaronnade gasconne », comme la qualifiait le Prince Royal, symbolisait bien la haute opinion que les soldats avaient de leur régiment.

Changarnier participa à cet engagement, et y vit au feu le duc d’Orléans ; il donne sur lui cette appréciation caustique : « Le duc d’Orléans me rejoignit et paya de sa personne avec un courage d’autant plus méritoire que le sifflement des balles lui était visiblement désagréable. Ce prince spirituel et charmant, plein du noble désir de se distinguer, était mal doué pour la guerre, qu’il avait beaucoup étudiée sur les cartes et dans les livres. Sa santé ne résistait pas à la fatigue et, en présence de l’ennemi, il n’avait ni coup d’œil ni idées justes[189]. »

L’arrivée de la colonne à Alger le 2 novembre fut impressionnante. A une halte près de Maison Carrée, le duc d’Orléans fit ses adieux à la division qu’il avait commandée ; puis il tint à défiler devant le maréchal Valée, à la tête du 2e léger. Il décrivait la scène en ces termes : « Sur une hauteur d’où l’on découvre à la fois Alger et la Mitidja, défilait le long d’une route construite par leurs bras une poignée de soldats dont les habits usés, les souliers troués attestaient les grands travaux. C’étaient les conquérants de l’Algérie. Comme fond du tableau nous avions la Maison Carrée, emblème de la domination turque que nous avions renversée ; la mer et trois bateaux à vapeur, notre lien avec la Mère Patrie ; enfin, à la queue de la colonne, les spahis de Constantine, symbole de l’alliance des vaincus et des vainqueurs. Tout cela, éclairé par un beau soleil, formait un coup d’œil remarquable[190]. »

Les troupes furent accueillies par les acclamations des habitants et les manifestations les plus cordiales : « Les bourgeois, écrivait le duc d’Orléans, donnent aux-soldats du vin et des cigares ; on leur offre de porter leurs sacs ; les toits des maisons — dont déjà un grand nombre se sont bâties depuis un mois — se couvrent de monde ; l’impériale des omnibus est chargée de spectateurs ; dans les cabarets on porte la santé en passant[191]. » La population indigène participa à l’enthousiasme général.

Le banquet offert par le duc d’Orléans sur la place Bab-el-Oued à toute la division qu’il avait commandée est resté célèbre. Dans son toast, le Prince s’appliqua à définir les mérites de l’armée d’Afrique et à retracer son œuvre :

« A cette armée, s’écria-t-il, qui a conquis à la France un vaste et bel empire, ouvert un champ illimité à la civilisation, dont elle est l’avant-garde ! A la colonisation, dont elle est la première garantie !

« A cette armée qui, maniant tour à tour la pioche et le fusil, combattant alternativement les Arabes et la fièvre, a su affronter avec une résignation stoïque la mort sans gloire de l’hôpital, et dont la brillante valeur conserve dans notre jeune armée les traditions de nos légions les plus célèbres ![192] »

Le Prince fit ensuite le tour des tables et eut un mot aimable pour chacun. Son attitude familière, dans cette circonstance comme dans les autres, impressionna officiers et troupiers, et marqua le début d’une transformation des usages militaires en Afrique.

 

La cordialité entre chefs et subordonnés, les efforts des officiers pour améliorer l’existence de leurs hommes, qui devinrent par la suite des habitudes de l’armée d’Afrique, n’étaient pas dans le caractère de Valée. Le sous-lieutenant Ducrot écrivait à son grand-père : « L’insouciance du maréchal Valée pour tout ce qui touche au bien-être de la troupe est vraiment surprenante[193]. »

La discipline était du moins parfaitement observée partout où se trouvait le Maréchal. Les soldats avaient un respect absolu des propriétés, et passaient à côté des jardins sans toucher un fruit. « Pas un vol, pas une violence, écrivait le duc d’Orléans, ne souille ces troupes qui souffrent sans essayer d’appliquer à leurs besoins les ressources dont elles pourraient s’emparer et faire usage. La viande, les bonnes tentes de poil de chameau, la laine pour les matelas sont là dans ces douars traversés journellement par le soldat qui a faim et froid ; mais le vainqueur protège l’abondance des vaincus, sans songer à son propre bien-être[194]. »

L’existence très dure de ces troupes eût cependant mérité quelques compensations : « Le soldat, d’après le duc d’Orléans, exposé aux alternatives d’un soleil tropical et d’une neige alpestre, ne s’est couché sur un matelas, ni même déshabillé, pendant près de trois années ! Tantôt suivant la cavalerie à la course dans les razzias, tantôt pliant sous le poids de son bagage, jour et nuit en route et au travail, tour à tour employé ou comme bête de somme ou comme terrassier, le fantassin, mal nourri, avec des vêtements usés, passe dans toutes les saisons des rivières à gué, monte toutes ses gardes au bivouac, et, vu la multiplicité des postes, est de garde toutes les nuits ![195] »

Pour résumer cette existence, le duc d’Orléans disait : « On travaille comme des chevaux, et on ne se bat pas. L’armée se rappelle un temps où on se battait souvent, où on pillait quelquefois et où on ne travaillait jamais[196]. »

Un tel ensemble de conditions avait rendu le maréchal Valée assez impopulaire. Mais le duc d’Orléans rectifiait ce jugement en ces termes, à la suite de l’expédition des Portes de Fer : « L’élan en faveur du Maréchal et de l’Armée a été grand à Alger : on rend justice au Maréchal, qui ne sait pas se faire aimer, mais qui sait faire le bien et qui en a accompli un immense ici. Son départ serait, à mes yeux, le plus grand malheur qui puisse frapper la colonie[197]. »

Cette appréciation relevait davantage du sentiment que du raisonnement ; du moins allait-elle pouvoir être vérifiée à la lueur des événements.

Une nouvelle période allait s’ouvrir, où la lutte par les armes devait jouer le principal rôle, et marquer l’armée d’Afrique d’une empreinte spéciale.

 

 

 



[1] Voir pour plus de détails : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 193-194.

[2] Le maréchal comte Valée au lieutenant général Bernard, ministre de la Guerre, d'Alger, 22 novembre 1837 (copie).

[3] Le capitaine de Saint-Arnaud à son frère, de Kouba, 24 février 1838, Lettres, tome I, page 157.

[4] Mémoires du général Changarnier, publiés par Henry d'Estre, page 47.

[5] Général du Barail, Mes Souvenirs, tome I, pages 106-107.

[6] Le chef d’escadrons Yusuf, « commandant les spahis de Bône », au Ministre de la Guerre, de Paris, 10 novembre 1837 (original).

[7] État des corps formant la garnison de Constantine, par le lieutenant général comte Valée, Constantine, (26) octobre 1837 (original).

[8] Le lieutenant général comte Valée au lieutenant général baron Bernard, ministre de la Guerre, de Bône, 4 novembre 1837 (original).

[9] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, de Bône, 11 novembre 1837 (dépêche télégraphique).

[10] Le général Bernard, ministre secrétaire d’État de la Guerre, au lieutenant général comte Valée, de Paris, 3 novembre 1837 (copie).

[11] Le général Bernard, ministre secrétaire d’État de la Guerre, au lieutenant général comte Valée, de Paris, 4 novembre 1837 (copie).

[12] Le lieutenant général comte Valée au lieutenant général baron Bernard, ministre de la Guerre, de Bône, 11 novembre 1837 (original).

[13] Rapport au Ministre du sous-intendant militaire (cité), de Bône, 7 novembre 1837 (original).

[14] Le maréchal de camp de Beurmann, commandant p. i. la 8e division militaire, au Ministre de la Guerre, de Marseille, 24 novembre 1837 (original).

[15] Le ministre secrétaire d'État de la guerre Bernard au général de Négrier, commandant les troupes à Alger, de Paris, 15 novembre 1837 (original). — Le même au maréchal Valée, de Paris, 15 novembre 1837 (original).

[16] Rapport sur le camp de Medjez-Amar, par le colonel Corbin, commandant le camp, le 15 novembre 1837 (original).

[17] Le maréchal Valée à M. l’intendant d’Arnaud, de Bône, 18 novembre 1837 (copie).

[18] Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, à Bône, de Paris, 27 novembre 1837 (dépêche télégraphique).

[19] Le général de Négrier au maréchal comte Valée, gouverneur général, de Bône, le 30 novembre 1837 (original).

[20] Le colonel de Hulsen, commandant la légion étrangère, au chef d’état-major Girot, 11 novembre 1837 (original).

[21] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 10 décembre 1837 (original).

[22] Un certain nombre d’auteurs, trompés par une similitude de noms, ont confondu le bataillon de « tirailleurs d’Afrique » avec les « tirailleurs algériens ». Les tirailleurs d’Afrique étaient tous Français de la Métropole, sans aucun indigène parmi eux. Ce bataillon n’eut rien de commun non plus avec le bataillon de « tirailleurs de Vincennes », futurs chasseurs à pied, qui vint de France à Alger en janvier 1840.

[23] Le chef de bataillon de tirailleurs d’Afrique, Paté, au général de Négrier, de Constantine, 22 décembre 1837 (original).

[24] Le commandant Paté au général de Négrier, de Constantine, 22 décembre 1837 (original).

[25] Le maréchal de camp de Négrier, commandant la province de Constantine, au maréchal Valée, de Constantine, 21 décembre 1837 (original).

[26] Journal militaire officiel, année 1837, n° 9, 1er semestre, page 139. Ordonnance du Roi qui prescrit l’organisation, en Afrique, d’un troisième bataillon de zouaves. Paris, 20 mars 1837.

[27] Le lieutenant général Bugeaud, commandant la division d’Oran, au Ministre de la Guerre, 12 novembre 1837 (extrait classé au 14 décembre 1837).

[28] Journal militaire officiel, année 1837, n° 44, 2e semestre, page 390. Décision royale qui prescrit la réunion en un seul corps des trois bataillons de zouaves, 11 novembre 1837. — Le lieutenant général Cubières, directeur général du personnel et des opérations, au lieutenant général Bugeaud, commandant la division active d’Oran, de Paris, 16 novembre 1837 (original). — Le maréchal Valée au général Auvray, commandant supérieur à Oran, d’Alger, 25 novembre 1837 (original).

[29] Le maréchal Valée au général de Négrier, 19 décembre 1837, 2e lettre (copie).

[30] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 16 décembre 1837 (copie).

[31] Le général Trézel au maréchal comte Valée, de Bône, 24 décembre 1837 (original)

[32] Le lieutenant général Bugeaud, commandant la division d’Oran, au Ministre de la Guerre, 12 novembre 1837 (extrait classé au 14 décembre 1837).

[33] Le général Trézel au maréchal de camp de Négrier, à Alger, de Constantine, 24 octobre 1837 (original).

[34] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 10 janvier 1838 (original).

[35] Le maréchal Valée au colonel Bernelle, de Bône, 14 novembre 1837 (copie).

[36] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 29 décembre 1837 (extrait fait, à Paris).

[37] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 29 décembre 1837 (extrait fait, à Paris).

[38] Le maréchal comte Valée au Roi et au général Bernard, d’Alger, 22 novembre 1837 (copies).

[39] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au lieutenant général Trézel, chef d’état-major général de l’armée d’Afrique, à Bône, de Paris, 15 novembre 1837 (copie).

[40] La Moricière à Duvivier, de Bône, 15 novembre 1837 (original).

[41] Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, à Bône, de Paris, 14 novembre 1837 (minute).

[42] Le maréchal Valée au général baron Bernard, ministre de la Guerre, d’Alger, 23 novembre 1837 (original).

[43] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, à Alger, de Paris. 6 décembre 1837 (minute).

[44] Le lieutenant général Bugeaud au Ministre, de Port-Vendres, décembre 1837, à bord du Castor (original).

[45] Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, de Paris, 10 janvier 1838 (minute).

[46] Journal du maréchal de Castellane, 29 décembre 1837, tome III, page 138.

[47] Journal du maréchal de Castellane, 30 décembre 1837, tome III, pages 138 et 139.

[48] Journal du maréchal de Castellane, Bône, 2 janvier 1838, tome III, page 141.

[49] Journal du maréchal de Castellane, Bône, 1er janvier 1838, tome III, page 140.

[50] Journal du maréchal de Castellane, Bône, 1er janvier 1838, tome III, page 140.

[51] Journal du maréchal de Castellane, 8 février 1838, tome III, page 158.

[52] Journal du maréchal de Castellane, 5 et 6 janvier 1838, tome III, pages 142-143.

[53] Journal du maréchal de Castellane, 8 février 1838, tome III, page 159.

[54] Journal du maréchal de Castellane, Bône, 10 janvier 1838, tome III, page 146.

[55] Journal du maréchal de Castellane, 20 janvier 1838, tome III, page 148.

[56] Le chef d’escadron de Zaragoza au colonel Duvivier, 7 janvier 1838 (original).

[57] Le chef d’escadrons de Mirbeck au colonel Duvivier, commandant supérieur du camp de Guelma, à Guelma, de Bône, 19 janvier 1838 (original).

[58] Le chef d’escadron de Zaragoza au colonel Duvivier, 7 janvier 1838 (original).

[59] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d'Alger, 27 janvier 1838, confidentielle, (original).

[60] Le lieutenant général Rullière, commandant les troupes de la division d’Alger, au maréchal Valée, d’Alger, 8 décembre 1837 (original).

[61] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, gouverneur général, de Paris, 13 décembre 1837 (original).

[62] Document lithographié, 11 décembre 1837.

[63] Ordre du jour du 1er décembre 1837, copie signée par le commandant supérieur de Bougie, le lieutenant-colonel Chambouleron (classé au 21 décembre).

[64] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 décembre 1837 (copie).

[65] Le capitaine de Montagnac à son oncle Bernard de Montagnac, d’Oran, 24 juillet 1838. Lettres d'un soldat, pages 49-51.

[66] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 28 janvier 1838 (copie.)

[67] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 16 décembre 1837 (copie). — Archives administratives du Ministère de la Guerre, dossier Peyrussan (Jean-Barthélemy).

[68] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 28 janvier 1838 (copie).

[69] Négrier à Valée, 17 janvier 1838, citée par Valée dans sa lettre du 28 janvier.

[70] Valée au Ministre, 28 janvier 1838 (citée).

[71] Ordres du jour de Constantine ; ordre n° 54, Constantine, 27 janvier 1838.

[72] Ordre n° 58, Constantine, 31 janvier 1838.

[73] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 17 janvier 1838 (original).

[74] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 10 janvier 1838 (original).

[75] Le maréchal Valée du Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 janvier 1838 (copie).

[76] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 janvier 1838 (copie).

[77] Le maréchal Valée au général de Négrier, d’Alger, 31 janvier 1838 (copie).

[78] Le maréchal Valée au général de Négrier, d’Alger, 31 janvier 1838 (copie).

[79] Ordres du jour de Constantine : ordre n° 56 du 28 janvier 1838, prescrivant pour le lendemain une reconnaissance par une colonne mobile composée de 100 chasseurs à cheval, 100 spahis de Constantine et 2 pièces de montagne.

[80] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, de Paris, 26 janvier 1838 (original).

[81] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 30 janvier 1838 (original). Dans cette lettre, la décision suspendant le recrutement dans les spahis est mentionnée comme étant du 17 mai 1837.

[82] Voir : Colonel Paul Azan, L’émir Abd el Kader, 1925, pages 108 à 111.

[83] Le maréchal Valée au capitaine Pellissier, d’Alger, 22 janvier 1838 (copie).

[84] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 février 1838 (copie).

[85] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 mars 1838 (copie).

[86] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 16 mars 1838 (copie).

[87] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 17 mars 1838 (copie).

[88] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, gouverneur général, de Paris, 25 avril 1838 (original).

[89] Le maréchal comte Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 30 juin 1838 (original).

[90] Le maréchal comte Valée au général Guéhéneuc, à Oran, de Constantine, 28 septembre 1838 (copie).

[91] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 20 décembre 1837 (original).

[92] Le Ministre de la Guerre au maréchal Valée, de Paris, 10 janvier 1838 (minute).

[93] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 8 janvier 1838 (original).

[94] Le même au même, de Paris, 31 janvier 1838 (original).

[95] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 8 janvier 1838 (original).

[96] Le général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 8 janvier 1838 (original).

[97] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 décembre 1837 (original).

[98] Le maréchal Valée au général de Castellane, à Bône, d’Alger, 17 janvier 1838 (copie),

[99] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 9 février 1838 (original).

[100] Journal militaire officiel, année 1838, n° 7, page 91.

[101] Le Ministre de la Guerre au maréchal comte Valée, de Paris, 26 septembre 1838 (2e et dernière minute).

[102] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 22 octobre 1838 (original).

[103] Rapport au Roi du 21 décembre 1838 (copie).

[104] Aucune « ordonnance » ne se trouve au Journal militaire officiel à ce jour ; la suppression a été l’objet d’une « décision du 21 décembre 1838 », citée dans l’ordonnance royale du 4 août 1839 (Journal militaire officiel, 1839, n° 35, page 85).

[105] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 décembre 1837 (original).

[106] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 décembre 1837 (original).

[107] Le lieutenant général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 21 février 1838, très confidentielle (minute).

[108] Le lieutenant général Bernard, ministre de la Guerre, au maréchal comte Valée, de Paris, 21 février 1838 (original).

[109] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, 5 mai 1838 (extrait).

[110] Le maréchal Valée au général de Négrier, commandant la province de Constantine, 20 mai 1838 (extrait).

[111] Le maréchal Valée au général de Négrier, d’Alger, 29 mai 1838 (copie).

[112] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 31 août 1838 (original).

[113] Le Ministre de la Guerre au maréchal comte Valée, de Paris, 5 septembre 1838 (3e et dernière minute).

[114] Le maréchal comte Valée au duc d’Orléans, d’Alger, 30 novembre 1838 (copie).

[115] Le comte Molé au maréchal comte Valée, 6 décembre 1838. — Le Roi Louis-Philippe au maréchal comte Valée, 6 décembre 1838. Imprimées dans Le maréchal Valée, par le commandant Maurice Girod de l’Ain, Paris, Berger-Levrault, 1911, pages 201 et 202.

[116] Le maréchal comte Valée au Roi Louis-Philippe, d’Alger, 10 février 1839 (original).

[117] Le général Bernard au maréchal comte Valée, de Paris, 18 mars 1839 (copie).

[118] Le commandant Pellissier au maréchal Gouverneur général à Alger, d’Alger, 25 février 1839 (original). Dossier spécial : avril 1839.

[119] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre (minute sans date). Dossier spécial : avril 1839.

[120] Le maréchal Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 6 avril 1839 (copie).

[121] Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, chapitre VIII, page 221.

[122] Le maréchal Soult, président du Conseil, au maréchal comte Valée, de Paris, 17 juillet 1839 (copie).

[123] Journal militaire officiel, année 1839, n° 35, page 85. Ordonnance du Roi relative à l’organisation du corps des zouaves, Paris, le 4 août 1839.

[124] Journal militaire officiel, année 1839, n° 42, pages 219 à 227. Ordonnance du Roi sur l’organisation de la cavalerie française et indigène en Afrique, Paris, 31 août 1839.

[125] Général du Barail, Mes Souvenirs, tome I, page 67.

[126] Général du Barail, Mes Souvenirs, tome I, page 69.

[127] Le maréchal Valée au maréchal Soult, duc de Dalmatie, président du Conseil, d’Alger, 24 août 1839 (copie).

[128] Le maréchal comte Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 29 décembre 1837 (copie au 24 janvier 1838). — Le Ministre de la Guerre au maréchal comte Valée, de Paris, 10 janvier 1838 (minute).

[129] Ordonnance du Roi sur l’administration civile de l’Algérie, à Paris, 31 octobre 1838. Bulletin des Lois, 2e semestre 1838, page 553.

[130] Le général Schneider, ministre de la Guerre, au maréchal Valée, gouverneur de l’Algérie, de Paris, 14 octobre 1839 (original).

[131] Ordre de la division d’Oran n° 524, du 28 novembre 1839 (copie).

[132] Le maréchal comte Valée au lieutenant général Guéhéneuc, commandant la province d'Oran, d’Alger, 27 septembre 1839 (copie).

[133] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 1833-1841.

[134] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 septembre 1839, page 95.

[135] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 septembre 1839, page 97.

[136] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 100.

[137] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 101.

[138] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 104.

[139] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 101.

[140] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 104.

[141] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 25 septembre 1839, page 106.

[142] Le colonel d’état-major de la Ruë au général Schneider, ministre de la Guerre (original).

[143] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 27 septembre 1839, page 111.

[144] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 113 à 115.

[145] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 115-116.

[146] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 117-118.

[147] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 28 septembre 1839, pages 116-117.

[148] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 1er octobre 1839, page 131.

[149] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 5 octobre 1839, page 143.

[150] Le maréchal comte Valée au Ministre de la Guerre, d’Alger, 5 octobre 1839 (original).

[151] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 30 septembre 1839, page 123.

[152] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 30 septembre 1839, page 126.

[153] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 3 octobre 1839, page 136-137.

[154] Duc d’Orléans, Campagnes de l'armée d'Afrique, 1835-1839, page 381.

[155] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 3 octobre 1839, page 139-140.

[156] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 5 octobre 1839, page 147.

[157] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 7 octobre 1839, page 153.

[158] Duc d'Orléans, Récits de campagne, page 155.

[159] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 8 octobre 1839, page 157.

[160] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 8 octobre 1839, page 158.

[161] Le colonel d’état-major de la Ruë au général Schneider, ministre de la Guerre, de Philippeville, 9 octobre 1839 (original).

[162] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 9 octobre 1839, page 165.

[163] Le colonel d’état-major de la Ruë au général Schneider, ministre de la Guerre, de Constantine, 15 octobre 1839 (original).

[164] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, page 186.

[165] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, pages 186-187.

[166] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, page 187.

[167] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, pages 187-188.

[168] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 14 octobre 1839, pages 188.

[169] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 8 octobre 1839, page 161.

[170] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 15 octobre 1839, page 191.

[171] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 15 octobre 1839, page 192.

[172] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 18 octobre 1839, pages 206-207.

[173] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 15 octobre 1839, page 193.

[174] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 octobre 1839, page 244.

[175] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 octobre 1839, page 247.

[176] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 20 octobre 1839, page 215.

[177] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 11 octobre 1839, page 171.

[178] Duc d’Orléans, Campagnes de l'Armée d'Afrique, 1835-1839, pages 396-397.

[179] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 21 octobre 1839, pages 223-224.

[180] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 23 octobre 1839, page 234. Ce mot de Turco, trouvé en 1839 sous la plume du duc d’Orléans, prouve que l’appellation de Turco ne vient pas, comme on l’a prétendu souvent, de l’envoi des tirailleurs indigènes en Crimée en 1855 comme alliés des Turcs.

[181] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 23 octobre 1839, page 234.

[182] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 24 octobre 1839, pages 236-241.

[183] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 26 octobre 1839, pages 249-250.

[184] Le capitaine de Saint-Arnaud à son frère, avocat, de Kouba, 23 avril 1838. Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, tome I, page 159.

[185] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 26 octobre 1839, page 252.

[186] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 30 octobre 1839, page 283.

[187] Duc d'Orléans, Récits de campagne, 29 octobre 1839, page 273.

[188] Duc d’Orléans, Récits de campagne, pages 289-290.

[189] Mémoires du général Changarnier, pages 53-54.

[190] Duc d’Orléans, Récits de campagne, page 304.

[191] Duc d’Orléans, Récits de campagne, pages 305-306.

[192] Voir le texte complet et les détails sur l’expédition dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 228-230.

[193] Le sous-lieutenant Ducrot à son grand-père M. Dupleix, 30 janvier 1840. La vie militaire du général Ducrot, d'après sa correspondance (1839-1871), Paris, 1895, tome I, page 18.

[194] Duc d’Orléans, Campagnes de l'Armée d'Afrique, pages 404-405.

[195] Duc d’Orléans, Campagnes de l'Armée d'Afrique, pages 404-405.

[196] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 17 octobre 1839, page 202.

[197] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 17 octobre 1839, page 202. Lettre du Duc d’Orléans au comte Duchâtel, 5 novembre 1839, pages 433-434.