L'ARMÉE D’AFRIQUE

DE 1830 À 1852

 

CHAPITRE VI. — LES PREMIÈRES EXPÉDITIONS (1835-1836).

 

 

Depuis la prise d’Alger en 1830, l’armée d’Afrique n’avait pas fait d’expédition importante ; elle s’était bornée à occuper successivement Oran, Bône, Bougie, Arzew, Mostaganem, et à s’y défendre contre les agressions des tribus. Autour des postes occupés, elle n’avait guère cherché à s’étendre ni à rayonner ; les pointes de Clauzel, puis de Berthezène à Médéa s’étaient l’une et l’autre terminées de façon malheureuse ; celle de Trézel à la Macta avait tourné au désastre et avait profondément ému l’opinion publique en France.

La désignation même du maréchal Clauzel montrait que le Gouvernement voulait un chef décidé à venger l’affront infligé par Abd el Kader à l’armée d’Afrique. Cependant, les instructions écrites données à Clauzel par le Ministre de la Guerre le 17 juillet 1835 ne renfermaient aucune allusion à l’expédition de Mascara qui était projetée. Elles recommandaient au contraire au nouveau gouverneur de « s’abstenir de toute expédition entreprise sans nécessité évidente et sans résultat clairement utile », d’installer solidement ses troupes dans des positions suffisamment fortes pour pouvoir réduire ses effectifs, et de « consolider la souveraineté de la France sur une contrée qui lui devrait peut-être un jour les bienfaits de la civilisation[1]. »

Le maréchal Clauzel, malgré ses 62 ans, était d’une activité remarquable ; instruit par son commandement à Alger en 1830-31, il avait depuis lors constamment suivi les affaires d’Afrique, et était animé du désir de développer dans la Régence la colonisation et le commerce. Il avait des idées personnelles, originales, hardies, en partie inspirées par ce qu’il avait vu aux Etats-Unis pendant son exil, et était prêt à les mettre à exécution. Ayant une formation toute différente de celle des bureaucrates parisiens, la plupart ignorants et timorés, il allait forcément se trouver en opposition avec eux.

Dès ses premières proclamations, adressées aux habitants de la Régence d’Alger et aux Indigènes, il reçut des observations du maréchal Maison, ministre de la Guerre, parce qu’il avait manifesté trop de sympathie pour les entreprises agricoles et commerciales, et parce qu’il avait montré trop de défiance et de sévérité à l’égard des Indigènes. Or les termes qu’il avait employés étaient ceux d’un esprit ouvert et d’un chef connaissant bien les populations[2].

Il répondit d’ailleurs au Ministre avec une belle franchise : « Je conçois très bien que ces idées de douceur, de patience, soient accueillies avec faveur par des personnes qui ne connaissent pas le pays. Il n’est guère possible qu’il en soit autrement. Mais quand on a fait une étude sérieuse des hommes et des choses, on a bientôt été amené à reconnaître que, sans se départir des règles de justice et d’humanité, il fallait adopter ici un système de sévérité prompte et de fermeté qui seul peut avoir quelque bon résultat[3]. » Voilà, en termes sages et mesurés, une réponse qui a dû être faite bien des fois, depuis Clauzel, aux hommes de la Métropole n’ayant jamais étudié les pays d’outre-mer.

L’armée d’Afrique vit surtout en Clauzel un soldat. « Son arrivée seule, a pu écrire le duc d’Orléans, avait déjà valu des renforts ; il était craint des Arabes qui savent bien juger les hommes de guerre, et aimé des troupes, qui avaient en lui une juste confiance, et qui saluèrent avec joie le retour d’un chef plein de vigueur venant en Afrique pour les faire marcher en avant[4]. »

Tous ses subordonnés ont constaté qu’il était populaire, malgré sa négligence pour le bien-être du troupier. Il avait, a raconté Changarnier, « l’ardeur d’un sous-lieutenant », mais aussi son imprévoyance ; il était « habile dans le maniement de la troupe et ferme en face des difficultés parfois imprudemment provoquées[5] » ; « incomplet, inégal, mais doué de rares facultés », il était, parmi tous les hommes de guerre, « celui qui l’avait le plus instruit par ses défauts comme par ses grandes qualités[6]. »

Clauzel retrouva avec joie l’armée d’Afrique, et donna son impression sur elle au Ministre : elle avait bon esprit, mais était découragée parce qu’elle ne se voyait pas attribuer un avancement en rapport avec l’existence qu’elle menait. Le fait de remplacer la dénomination « armée d’Afrique » par « corps d’occupation » n’empêchait pas, remarquait-il, les marches de nuit, les bivouacs et les combats ! L’incomplet des cadres, dû aux prolongations de congés ou aux retards à rejoindre, était aussi très regrettable[7]. Cette lettre provoqua une vive émotion au Ministère ; elle attira au Maréchal une réponse lui disant qu’incriminer les bureaux, c’était incriminer le Ministre lui-même ! Clauzel avait dès lors, dans ces bureaux, des ennemis irréconciliables.

 

Pour agir, Clauzel avait besoin de bonnes troupes. Or, au moment même où il débarqua, la légion étrangère venait de quitter tout entière le service de la France, ayant été « cédée » à l’Espagne.

Par la convention du 28 juin 1835[8], la France, l’Angleterre et le Portugal s’engageaient à fournir des troupes à l’Espagne pour soutenir les principes constitutionnels contre l’absolutisme, c’est-à-dire le trône d’Isabelle II contre Don Carlos[9]. La France lui envoyait la légion étrangère, dont les bataillons étaient alors répartis entre les possessions françaises dans le Nord de l’Afrique. Par l’ordonnance du 29 juin 1835, la légion étrangère cessa de faire partie de l’armée française[10].

D’après la convention, les officiers, sous-officiers et soldats étaient autorisés à passer au service d’Espagne, et devaient y recevoir les mêmes avantages qu’au service de France ; ils devaient partir avec armes et effets d’équipement, dont un Commissaire espagnol estimerait contradictoirement la valeur, et être transportés par les soins du Roi des Français sur tel point du territoire espagnol que la Reine Régente désignerait. Lorsque cette nouvelle parvint à la connaissance de la légion, le 8 juillet 1835, « le premier sentiment qu’elle produisit sur les militaires de tous les grades, tant Français qu’Etrangers, fut profondément douloureux », a écrit le colonel Bernelle[11]. Tous refusèrent d’abord de consentir à une opération qui semblait les traiter avec tant de désinvolture, et chargèrent leur colonel d’en rendre compte au Gouverneur général, qui était encore Drouët d'Erlon.

Un officier écrivait d’Alger le 17 juillet au lieutenant-colonel Duvivier, alors à Paris : « Tant que la légion étrangère aurait fait partie de l’armée française, elle aurait bien consenti à aller en Espagne ; mais depuis l’ordonnance qui la raye de l’armée, elle ne voudrait plus entendre parler d’Espagne ; tous les officiers, et en général tous les soldats, sont en fureur ; les officiers étrangers disent qu’ils sont venus pour servir la France et pas d’autres pays[12]. »

Le maréchal Maison avait, entre temps, envoyé le 2 juillet ses instructions au Gouverneur général. Ce fut le lieutenant général Rapatel, commandant des troupes à Alger, qui les transmit au colonel Bernelle. Il y était dit : « La légion étrangère est cédée au Gouvernement espagnol. » Ces instructions étaient d’une rigueur incroyable. Le colonel devait engager les cadres à suivre la nouvelle destination qui leur était offerte, mais il était prévenu que c’était « une nécessité pour les militaires étrangers » ; les sous-officiers et caporaux étrangers, tenus au service par un engagement, ne pourraient quitter la légion qu’à l’expiration de cet engagement, et se trouvaient donc liés à son sort. Les Français qui, avant leur entrée dans la légion, n’étaient pourvus d’aucun grade en France, seraient renvoyés en France ou autorisés à rester en Afrique « comme particuliers ». Les officiers et sous-officiers français pourvus régulièrement d’un grade seraient considérés comme en mission et conserveraient leurs droits aux récompenses ; mais les officiers qui ne suivraient pas la légion ne pourraient être mis qu’en non activité avec demi-solde. Le lieutenant général Rapatel exerçait d’ailleurs une certaine pression sur les cadres, car le colonel Bernelle devait faire venir les officiers chez lui, par grades et par catégories, et les engager « à prendre un parti conforme aux désirs du Gouvernement[13]. »

Le chef d’escadron d’état-major de la Ruë, aide-de-camp du Ministre, désigné comme commissaire français, vint à Alger et remit à Drouët d'Erlon toutes les instructions relatives à cette opération[14]. Il s’aboucha avec le lieutenant-colonel Delvalle, désigné comme commissaire espagnol, afin de procéder avec lui aux opérations du passage de la légion au service d’Espagne. Les deux commissaires donnèrent aux militaires des explications destinées à les émouvoir : s’ils ne passaient pas de bon gré au service d’Espagne, la France seule manquerait à ses engagements ; d’ailleurs, défendre les institutions constitutionnelles, c’était encore servir la France ; enfin, les Français ne pouvaient, en cette occasion, abandonner leurs camarades étrangers obligés d’accepter. Le colonel Bernelle et presque tous ses subordonnés donnèrent leur consentement[15].

Les deux commissaires français et espagnol purent signer le 27 juillet 1835 le « procès-verbal constatant la remise de la légion étrangère à l’Espagne[16]. » Quatre bataillons s’embarquèrent le 1er août et deux autres le 8 août. Ils furent rejoints plus tard en Espagne par un 7e bataillon formé à Pau, et participèrent à la pénible et difficile campagne des troupes constitutionnelles contre les Carlistes.

Le colonel Bernelle profita d’un arrêt de huit jours aux Baléares, à Palma, pour réorganiser les six bataillons qu’il emmenait. Comme la répartition en nationalités créait des rivalités, et que des ferments de discorde s’étaient manifestés, à la suite de l’affaire de la Macta, entre Italiens et Polonais, il décida de mêler les nationalités dans les divers bataillons. La nouvelle organisation était réalisée lorsque la légion débarqua le 19 août à Tarragone[17].

L’obligation imposée aux légionnaires d’enlever la cocarde du pays qu’ils étaient venus volontairement servir, est un épisode aussi étrange qu’émouvant dans les annales de l’armée d’Afrique. Du moins le nouveau corps espagnol prit-il le nom de « légion auxiliaire française », restant ainsi fidèle à la fois à la légion et à la France, et ajouta-t-il, de 1835 à 1839, une page glorieuse à l’histoire de la légion[18].

 

Le départ des six bataillons de légion créait un vide important dans les rangs de l’armée d’Afrique, au moment même où il fallait des effectifs suffisants pour mener à bien l’expédition de Mascara.

Le Gouvernement décida l’envoi de quatre régiments d’infanterie et de renforts du train d’artillerie et de cavalerie. Mais Clauzel, débarqué le 10 août à Alger, écrivit dès le 15 août au Ministre qu’en raison de l’épidémie de choléra, l’arrivée de ces renforts pouvait être retardée. Il profita de ce répit pour signaler au Ministre toutes les défectuosités ou lacunes de l’organisation matérielle des troupes ; il voulait des mulets de bât, des ambulances, des munitions d’artillerie. Le 47e d’infanterie de ligne arriva à Oran dès le début de septembre, puis le 11e de ligne, le 2e léger et le 17e léger au début de novembre.

Comme le fait s’est renouvelé souvent depuis 1835, quand les envois de troupes ont été organisés dans la Métropole par des hommes ignorant les conditions d’Outre-Mer, des unités se trouvèrent, à leur débarquement à Oran, démunies du matériel indispensable et encombrées d’un équipement inutile.

« Le 47e arrive sans effets de campement, écrivait le général d’Arlanges au général de Castellane le 2 septembre 1835 ; non seulement il ne peut marcher ainsi, mais il ne peut même pas tenir garnison à Oran ; les couvertures sont indispensables la nuit, dans les locaux qu’on appelle ici des casernes. Dès aujourd’hui je ne sais comment ce régiment va faire la soupe ; en achetant tout ce qu’il existe de poteries chez les marchands d’Oran, je doute qu’on puisse y suffire[19]. »

Pour élever le moral des troupes, Louis-Philippe voulut leur donner un témoignage spécial de la sollicitude du Gouvernement : il décida d’envoyer son fils aîné, le duc d’Orléans, héritier de la couronne, prendre part à la campagne.

Le duc d’Orléans amena avec lui ses deux aides-de-camp, le lieutenant général Baudrand et le maréchal de camp baron Marbot, avec cinq officiers d’ordonnance, dont le capitaine duc d'Elchingen. En outre, un grand nombre d’officiers obtinrent à des titres divers de suivre l’expédition, tels le colonel Létang, l’ancien colonel du 2e chasseurs d’Afrique ; le lieutenant- colonel vicomte Maison, fils du Ministre ; le commandant de Bourgon ; les capitaines de Caraman et de la Tour du Pin ; le lieutenant Clauzel ; le sous-lieutenant de Morny ; le sous-lieutenant de la Grange, des guides belges[20]. Ils furent surnommés « les volontaires de Mascara », et accoururent en Afrique comme à une fête.

Dès son arrivée à Alger, le Prince Royal alla visiter dans les hôpitaux les malades et les blessés ; il admit à sa table les principaux officiers de la garnison et les autorités civiles, reçut les notables indigènes[21] ; il passa une revue des troupes, et assista à une fantasia des spahis réguliers et irréguliers organisée par l’agha Marey[22]. Lorsque l’Intendant civil lui présenta la garde nationale, il déclara : « Je suis heureux d’être témoin des efforts faits par le Gouvernement du Roi, sur cette terre à jamais française[23]. » De telles paroles étaient colportées et contribuaient à sa popularité.

Clauzel faisait de son mieux pour intéresser le duc d’Orléans. Son empressement était ainsi décrit par le capitaine Carbuccia à Duvivier : « Le Maréchal a mené une drôle de vie pendant ces derniers jours. En grande tenue depuis la pointe du jour jusqu’à 11 heures du soir, dans les rues ou à cheval par une pluie battante, lui qui aime tant sa casquette et sa capote verte, et surtout à ne pas bouger de chez lui et à y recevoir la foule des courtisans ! Quel contraste ! Cependant il a fait bonne figure contre mauvais cœur[24]. »

La vue des troupes d’Afrique, surtout des corps spéciaux et des chefs qui les commandaient, firent grande impression sur les officiers venant de France. Le colonel Marey avait « captivé entièrement le Prince », selon Carbuccia ; il avait en tous cas conquis les suffrages de son entourage ; le duc d’Elchingen écrivait à sa femme : « Il faut distinguer en première ligne le colonel Marey, capitaine d’artillerie en 1830, très riche ; il s’est voué à ce pays-ci, il est devenu Arabe, parle la langue à merveille, a pris la barbe, la figure, les gestes, tout le costume. C’est lui qui a organisé les spahis, régiment de quatre escadrons, composé en très grande majorité, les ⁴⁄₅ au moins, d’Indigènes. Je ne te raconterai pas toute son histoire à lui, la réputation de bravoure, de puissance, qu’il a sur ces gens-là ; nommé agha des Arabes, c’est lui qui rend la justice, c’est-à-dire fait distribuer les coups de bâton hors de nos lignes : belle tête turque, superbe à dessiner[25]. »

Les zouaves attiraient l’attention autant que les spahis. Clauzel entendait bien les faire participer à l’expédition. Il décida de laisser à Alger le 10e léger, et le remplaça par un bataillon formé de trois compagnies d’élite des 13e, 63e de ligne et 10e léger et de 200 zouaves, dont il donna le commandement au chef de bataillon de la Moricière. Sur la demande du duc d’Orléans, 200 autres zouaves furent encore embarqués pour se joindre au premier détachement[26]. Lors de la répartition en brigades, on ne laissa que les quatre compagnies de zouaves à la Moricière, les compagnies d’élite passant à une autre brigade[27]. Le maréchal Clauzel fit paraître le 21 novembre à Oran un ordre général où il exprimait sa confiance aux régiments venus de France se joindre à la division d’Oran, et où il disait : « Les troupes du corps expéditionnaire apprendront avec plaisir que le Prince Royal qui les a devancées en Afrique va les suivre dans la campagne qui va s’ouvrir, partager leurs fatigues et leurs dangers. Chaque soldat doit être fier de marcher avec le fils du Roi des Français ; chaque soldat doit être certain de trouver en lui un protecteur juste, empressé et éclairé[28]. »

Les 11.000 hommes qui se rassemblèrent le 26 novembre au camp du Figuier comprenaient quatre brigades, aux ordres des généraux Oudinot, Perrégaux, d'Arlanges et du colonel Combe. La colonne se mit en marche le 28 sur le Tlélat. La présence du duc d’Orléans et de ses officiers, enthousiasmés par l’idée de marcher sur la capitale de l’émir Abd el Kader, donnait un peu à la colonne l’apparence d’une partie de plaisir.

Le duc d’Orléans était aimable avec tous. « Il passait son temps, raconte Canrobert, à parcourir le camp, causant familièrement avec les soldats, trouvant pour chacun un mot d’encouragement et une parole gracieuse. En peu de temps, il avait su conquérir tous les cœurs, grâce surtout à une ample provision d’excellents cigares offerts largement dans les bivouacs. La distribution eut un plein succès. Les soldats ne parlaient que des londrès du Prince Royal[29]. »

L’habillement et l’équipement réglementaires à cette époque étaient ainsi décrits par le capitaine Blanc : « L’énorme giberne contenant les cartouches et soutenue par une buffleterie se croisant sur la poitrine avec le baudrier du sabre ; la capote bien boutonnée jusqu’au col ; le sac contenant une paire de souliers, deux chemises, un caleçon, une paire de guêtres en toile et une autre en cuir ; la trousse, 60 cartouches et un sachet renfermant pour neuf jours de vivres, indépendamment de quatre autres jours en riz, sel et biscuit, en tout treize jours de vivres ; sur le havresac, l’habit ou la veste, roulé dans son étui et un sac de campement. Voilà comment étaient outillées des troupes qui ne pouvaient agir efficacement que par une extrême mobilité[30]. »

Ce chargement fut cependant allégé pour l’expédition de Mascara, par l’ordre général du 24 novembre 1835, ainsi libellé : « Les troupes du corps d’expédition porteront avec elles : 100 cartouches, partie dans le sac, partie dans la giberne ; une veste ; une capote, un bon pantalon ; un sac de campement. Le sac du soldat contiendra, outre les cartouches : une chemise ; une paire de souliers ; une paire de guêtres en toile ; un petit sac de biscuit et de riz. Les autres effets seront laissés en magasin[31]. » Le soldat avait encore à porter un lourd fardeau !

Clauzel avait décidé, au début de novembre, d’exécuter la convention conclue le 16 juin 1835 entre le général Trézel et les Douairs et Smela, et d’emmener avec lui des contingents de ces deux tribus[32]. Ces contingents devaient suppléer à l’insuffisance de la cavalerie, que La Moricière déplorait le 22 novembre en ces termes : « Ce manque de cavalerie nous empêchera toujours d’avoir, avec les Arabes, des succès complets. Ils n’ont pas comme nous la religion du champ de bataille et ils nous échapperont en grande partie sans que nous puissions les joindre[33]. »

Le bey Ibrahim vint prendre la tête des contingents indigènes, avec le titre de khalifa ; il avait sous ses ordres l’agha des Douairs, l’agha des Smela et le « caïd des fusils[34]. » Le chef d’escadrons Abdallah Dasbonne fut adjoint au bey Ibrahim ; il devait fort bien se conduire[35] et rester avec lui comme conseiller, même après l’expédition[36]. Comme les chasseurs ne mettaient pas 350 hommes à cheval et avaient des montures en mauvais état, les auxiliaires constituèrent un appoint précieux[37] ; ils comprirent environ 600 cavaliers arabes et 400 fantassins turcs[38], et furent affectés à la brigade Oudinot.

 

Le corps expéditionnaire présentait au départ un aspect joyeux et pittoresque. Lorsque, le 29 novembre, après la traversée de la forêt de Moulay-Ismaël, il déboucha dans la plaine du Sig, il était décrit par le maréchal Clauzel en ces termes : « Le soleil était radieux, la plaine praticable partout se couvrait de troupes déployées et marchant comme dans une revue. C’était un beau spectacle que cette armée française traînant avec elle 800 chameaux et précédée par les Turcs et les Arabes du bey Ibrahim dont les nombreux étendards bariolés étaient déployés et qui marchaient au bruit aigre et si original de leur musique militaire[39]. »

Les jeunes officiers autorisés à suivre l’expédition étaient pleins d’ardeur et d’enthousiasme ; mais ils prirent parfois des initiatives intempestives, montrant à la fois leur courage et leur inexpérience de la guerre d’Afrique. Le sous-lieutenant Darnaud, qui accompagnait le maréchal Clauzel comme officier d’ordonnance, se fit tuer en persistant à porter en avant un peloton de chasseurs pendant un mouvement de retraite qui avait été ordonné[40].

En une autre occasion, les officiers d’état-major et d’ordonnance qui suivaient le Prince Royal et le maréchal Clauzel aperçurent tout à coup des cavaliers à peu de distance ; ils mirent le sabre à la main, enlevèrent les chasseurs d’escorte par le cri de « En avant, en avant » et chargèrent l’ennemi. Bientôt les chasseurs durent laisser le sabre pour la carabine. Ils furent tirés de leur dangereuse situation par une compagnie d’infanterie et deux obusiers que le Maréchal fit rapidement avancer à leur secours[41].

Clauzel lui-même se laissa entraîner, en approchant de Mascara. Couvert seulement par un escadron du 2e chasseurs d’Afrique et les spahis réguliers, il prit le trot avec le duc d’Orléans, leur escorte et 25 zouaves suivant les chevaux, et arriva ainsi aux portes de la ville à la tombée de la nuit.

La pluie commença à modifier, aux abords de Mascara, l’allure joyeuse de l’expédition. Puis, lorsque les troupes arrivèrent à la nuit close, elles trouvèrent la ville pillée et incendiée, abandonnée par ses habitants, et ne renfermant plus que les Juifs échappés au massacre de leurs familles ; elles ne purent ni allumer du feu, ni manger. Cet état de choses contribua à calmer l’enthousiasme, surtout chez les brillants volontaires venus de France, mal équipés et mal entraînés pour pareille aventure. Le duc d’Orléans tomba malade, ce qui ne fut pas étranger à la décision de Clauzel d’abandonner Mascara et de rejoindre Mostaganem.

Le souvenir de l’entrée à Mascara est resté gravé dans l’esprit des militaires de la colonne : « Quelle désolation, a écrit le capitaine Blanc, que notre entrée triomphale dans cette ville, en pleine nuit, sous des torrents de pluie, pataugeant dans la boue et le fumier, sans direction, sans guides, rompus en vingt tronçons, égarés, étourdis par vingt clairons sonnant vingt ralliements divers à la fois[42]. »

Les troupiers cherchèrent du moins, lorsque le jour parut, à tirer parti de ce qui pouvait améliorer leur ordinaire : « Dans toutes les maisons, raconte le capitaine Blanc, il y avait des chats ; des centaines de pigeons voltigeaient tout effarés d’une case à l’autre ; les jardins étaient pleins de légumes, notamment de navets. Avec les chats nous fîmes des civets, des fricassés avec les pigeons et des ragoûts avec les navets. C’était une véritable bombance. Cependant on dut mettre bon ordre à tout cela ; car si on nous avait laissé faire, il ne serait bientôt plus resté ni portes ni couvertures aux maisons, et il serait arrivé de graves accidents, attendu que de partout on tirait sur les pigeons sans la moindre précaution. C’était un feu de deux rangs à faire croire à une attaque de l’ennemi[43]. »

Les zouaves intéressaient vivement les officiers et les soldats de la colonne.

Leur chef, La Moricière, était déjà très populaire : « Nous admirions surtout, a écrit le capitaine Blanc, le jeune commandant La Moricière, aux allures si simples et si militaires ; ses soldats, ses sous-officiers surtout, n’en parlaient qu’avec enthousiasme ; et lorsque nous le voyions passer, à cheval en selle arabe, portant ses cheveux longs comme un Palikare, sa chéchia négligemment jetée sur la tête, nous nous arrêtions pour le saluer et surtout pour mieux le regarder[44]. »

Les compagnies de zouaves attiraient l’attention générale : « C’était un corps composite, a écrit à leur sujet Canrobert ; on y trouvait des Turcs, des Maures, quelques nègres même, et des anciens « héros de Juillet », vrais voyous de Paris s’il en fût. La compagnie d’élite seule portait le turban vert ; les autres n’avaient que la chéchia[45]. »

Ils avaient conquis l’estime du duc d’Orléans, qui les appréciait en ces termes : « Ceux qui vont à ravir, ce sont les zouaves : ils ont fait plus de mal à l’ennemi que tous les autres tirailleurs ensemble et n’ont pas brûlé la moitié autant de poudre. Ils savent se disposer à merveille, ne se pressent jamais pour tirer, profitent des moindres accidents de terrain, et ont une intelligence parfaite de cette guerre qu’ils font depuis cinq ans[46]. » Les zouaves connaissaient la valeur des munitions dans une guerre où le ravitaillement était difficile et pratiquaient des procédés de combat bien différents de ceux des régiments arrivant de France !

Ils usaient de stratagèmes tels que celui rapporté par le capitaine Forey, du 2e léger. Un chameau étant tombé et ne pouvant se relever, un zouave resta auprès de l’animal comme pour piller sa charge ; les Indigènes qui suivaient la colonne accoururent en voyant un homme seul ; à ce moment, le zouave se sauva du côté d’une compagnie de ses camarades, embusquée, qui ouvrit le feu à bonne portée et mit hors de combat la plupart des agresseurs[47].

Forey raconte aussi que les zouaves, ayant tué quelques adversaires, « leur coupèrent la tête et présentèrent ce trophée sanglant au Prince, qui, tout en donnant des éloges au courage des vainqueurs, parut peu flatté du cadeau[48]. » Ils ne parvenaient pas, au service de la France, à oublier de suite toutes leurs habitudes !

Le retour de la colonne, le 9 et le 10 décembre, vers le camp installé par d’Arlanges, en suivant des chemins affreux, sous la pluie et la grêle, fut des plus pénibles.

Les Juifs survivants, hommes, femmes, vieillards, enfants, qui s’étaient joints à la colonne, souffrirent beaucoup ; ils avaient chargé leurs biens sur leurs trop rares animaux et faisaient la route à pied, dans la fange et la boue : « Impossible de les mettre sur des chameaux qui tombaient à chaque pas, écrivait Clauzel ; cet animal si utile par les temps secs et dans les terrains sablonneux, ne peut marcher qu’avec la plus grande difficulté dans les terres mouillées et défoncées. Heureusement nos soldats sont aussi généreux qu’ils sont braves ; ils adoucirent autant que possible de si grandes misères ; non seulement les cavaliers mirent des femmes et des enfants sur leurs chevaux, mais les fantassins et surtout les zouaves qui formaient l’arrière-garde n’hésitèrent pas, malgré leur fatigue et la difficulté qu’ils avaient eux-mêmes à marcher, à prendre aussi des enfants sur leurs épaules et sur leurs sacs alourdis cependant par 150 cartouches, car il avait fallu soulager les chameaux qui portaient les munitions de guerre[49]. »

Le duc d’Orléans fut très frappé de l’humanité dont firent preuve les troupes de la colonne : « Chaque soldat, a-t-il écrit à ce sujet, se fait sœur de charité ; les enfants sont chargés sur les havresacs des fantassins, déjà pliant sous le poids de cent cinquante cartouches : les vieillards sont recueillis par les chasseurs à cheval qui les placent sur leurs chevaux. Les soldats malades cèdent leur place aux femmes[50]. »

Quelques centaines de cavaliers ennemis suivaient les troupes, prêts à dépouiller ou à massacrer les retardataires. « Ces pauvres gens, écrit Blanc en parlant des familles juives, se mirent en route avec nous, les uns sur des mulets, les autres sur des ânes, le plus grand nombre à pied. Beaucoup perdirent leur distance. Les Arabes se ruèrent sur ces malheureux Juifs, les dépouillèrent, les mirent tout nus et les chassèrent devant eux comme un vil troupeau[51]. » Si les traînards étaient des militaires français, ils étaient impitoyablement mis à mort : « Des malheureux fatigués de lutter contre la souffrance se jetaient dans les touffes de lentisques et s’y blottissaient, si bien que nous passions sans les voir. Deux minutes après, un cri suprême d’angoisse et de désespoir nous apprenait que les Arabes venaient de couper une tête de plus[52]. » C’était, depuis les premières opérations de 1830, le sort de tous les isolés.

Les cavaliers indigènes employés à la colonne rendirent de grands services. Aussi dès le retour à Mostaganem, le colonel de Gouy, commandant le 2e chasseurs d’Afrique, demanda-t-il au général baron Marbot, commandant la 1re brigade, que l’escadron d’Indigènes de son régiment fût organisé le plus rapidement possible : « Vous avez été à même, lui écrivait-il, de juger de leur utilité et de la nécessité de l’employer souvent[53]. » Le commandant Yusuf, venu de Bône pour l’expédition, avait rejoint la colonne près de Mascara avec une audace extraordinaire. Clauzel écrivait au maréchal Maison : « Youssouf est un homme des plus intrépides et des plus intelligents que je connaisse. Il est venu me joindre près de Mascara, après avoir traversé 35 lieues de pays, au milieu des Arabes qui nous suivaient pour nous combattre[54]. »

Le capitaine Blanc le dépeignait ainsi : « Il portait le costume turc ; un cachemire couvrait sa tête expressive ; et sous les plis élégants de cette coiffure, brillait un regard plein de feu. Une barbe noire et soyeuse encadrait le bas de son visage fin et énergique ; il montait des chevaux admirables dont il faisait ressortir la vigueur et l’élégance par la grâce qu’il mettait à les manier. A mesure qu’il s’élevait dans la hiérarchie, il comprenait que l’étude seule pouvait le mettre au niveau de ses collègues, et bientôt son aptitude remarquable avait comblé cette lacune. Manœuvres, administration, littérature, tout lui devenait familier[55]. »

Clauzel l’employa aussitôt pour ses négociations avec les Indigènes, en particulier avec El Mézari, agha des Douairs, qui abandonna le parti d’Abd el Kader.

Ainsi se formaient des officiers qui allaient jouer un rôle important dans les relations politiques et militaires avec les indigènes.

 

L’expédition de Mascara marque un tournant dans l’histoire de l’armée d’Afrique. C’est le moment où cette armée sort de la période de tâtonnements, d’essais, d’organisation, et commence à agir.

Les troupes d’Afrique prennent une allure particulière ; de jeunes chefs émergent de ses rangs, avec une personnalité propre. La vie au bivouac, les souffrances et les dangers en commun, ont élargi les règles de la discipline et surtout celles de la tenue.

Les officiers habitués aux garnisons de France, où la stricte application des règlements et la rigidité de la tenue tiennent une place importante dans les préoccupations quotidiennes, marquaient leur étonnement : « C’était un laisser-aller extraordinaire, a écrit Canrobert, tant au point de vue de la discipline que de la tenue. Aucun règlement n’était appliqué. On eût pris les soldats de la ligne pour des brigands ; ils ne faisaient point leur barbe ; leurs capotes étaient souvent déchirées ; ils les laissaient déboutonnées par le haut, le cou nu, sans cravate ; enfin leurs gigantesques képis de drap, défoncés par la pluie et le soleil, ayant perdu toute forme, mettaient le comble à leur attitude débraillée[56]. »

Une des raisons de ce « laisser-aller » était que l’uniforme et l’équipement des soldats, utilisables dans les garnisons de la Métropole, ne l’étaient pas au cours des colonnes en Afrique du Nord, sous le soleil ou dans la boue.

Canrobert, rappelant les souvenirs du camp d’Aïn-Kebira, au retour de Mascara, écrit : « Il n’y avait pas encore de tentes pour la troupe ; on couchait dans la crotte, et nous en étions tellement couverts que plusieurs d’entre nous ressemblaient à des statues de terre glaise animées plutôt qu’à des soldats en uniforme[57]. »

Les soldats faisaient leur possible pour remédier, par des moyens de fortune, aux défectuosités de leur équipement. Les officiers, comprenant l’absurdité d’un uniforme fait pour la parade, les laissaient faire ; eux- mêmes prenaient des libertés diverses vis-à-vis du règlement et se livraient un peu à leur fantaisie. Cet état de choses n’échappa pas au duc d’Orléans, qui l’a décrit en ces termes : « Les soldats travaillent à se faire en drap, en cuir, ou en toile, de petites cartouchières qu’ils portent par devant. La plupart des officiers de cavalerie et d’infanterie ont le fusil de chasse à deux coups. Beaucoup d’officiers de cavalerie ont des ceintures à pistolets ; tous les officiers d’état-major de même. En général, les tenues sont singulières. Des barbes, des redingotes, des ceintures, des burnous, tout cela selon le goût des personnages[58]. »

La tenue des chasseurs d’Afrique n’était pas plus régulière que celle des fantassins, d’après Canrobert : « Ces chasseurs d’Afrique, même sous les armes, avaient plutôt l’air d’une bande de masques de carnaval que d’une troupe de soldats. Les uns avaient des képis, les autres des schapskas polonais, de hautes calottes rouges sans visières et sans forme déterminée, ou bien encore des chéchias. Les uns portaient des tuniques bleu de ciel à larges plis, les autres des vestes, d’autres des spencers... Les trompettes, avec leurs tuniques rouges et leurs schapskas avec des cadenettes et une queue poudrée, ressemblaient à des Polonais du quadrille de l’Opéra[59]. »

Une telle description fait comprendre comment les dessins de l’époque représentent parfois des militaires du même régiment, à la même date, avec des uniformes tout différents par leur coupe et par leurs couleurs. Les magasins ne renfermaient pas toujours des effets en nombre suffisant pour en doter tous les militaires ; comme les reliquats provenant des essais successifs tentés pour une amélioration de l’habillement et de l’équipement ne pouvaient pas être détruits, ils étaient utilisés simultanément suivant les besoins.

L’expérience allait peu à peu modifier les parties les moins pratiques de l’uniforme et les adapter aux besoins des troupes en colonne.

 

Après avoir atteint et partiellement détruit Mascara, Clauzel voulut aller jusqu’à l’autre capitale d’Abd el Kader, Tlemcen, afin de bien affirmer la force française.

Le corps expéditionnaire de Tlemcen comprit trois brigades : la première, commandée par le général Perrégaux, se composait du 2e régiment de chasseurs d’Afrique, des compagnies de zouaves, du bataillon d’élite du 17e léger et des troupes indigènes ; la deuxième, sous les ordres du général d'Arlanges, du 1er bataillon d’Afrique et du 66e de ligne ; la troisième, du 11e de ligne aux ordres de son colonel, de Vilmorin. Il y avait en outre huit obusiers de montagne, quatre pièces montées, une batterie de fusées à la Congrève, un équipage de pont et quatre compagnies du génie[60]. Le total de la colonne s’élevait à environ 7.000 hommes.

Pendant la marche sur Tlemcen, le génie exécuta des travaux considérables sans ménager sa peine. C’est ainsi que le 9 janvier, lors de l’arrivée de la colonne au Rio Salado, les sapeurs, malgré la longue étape et les travaux de la journée, établirent pendant la nuit une rampe permettant le passage à l’artillerie et aux prolonges ; « ils ne prirent de repos et de nourriture, écrivit Clauzel au Ministre, qu’après avoir entièrement terminé cette opération. » Le lendemain 10, la promptitude avec laquelle un ravin profond fut rendu accessible aux voitures frappa d’étonnement les Arabes auxiliaires, si bien que l’un d’eux s’écria : « Quel dommage qu’ils soient Chrétiens ! » C’était là un haut témoignage d’admiration de la part d’un Musulman.

Lorsque le corps expéditionnaire approcha de Tlemcen, Mustapha ben Ismaël vint à la rencontre de Clauzel, accompagné des principaux Coulouglis et des cheikhs des Angad. « Notre première entrevue, écrivit Clauzel, eut lieu auprès du Safsaf, au milieu de nos bataillons qui se déroulaient autour de cette troupe de Turcs et d’Arabes sur la physionomie desquels la joie, la reconnaissance et l’étonnement se peignaient tour à tour. C’est au milieu de ces braves gens mêlés à mon état-major que j’entrai une heure après dans Tlemcen, au bruit des salves du Méchouar et des cris de joie de la population des Coulouglis et des Juifs[61]. »

Pendant cette marche sur Tlemcen, l’armée n’avait pas eu un seul tué, ni un seul blessé ; pas un coup de fusil n’avait été tiré. Clauzel avait fait, avant l’entrée de ses troupes dans Tlemcen, diviser la ville en arrondissements, et il eut soin d’éviter tout contact fâcheux avec les populations turque et juive qui y étaient restées. Il fit vivre ses soldats avec les ressources alimentaires de toute nature trouvées dans des silos et dans des maisons abandonnées ; il économisa ainsi des crédits, de manière à prolonger son séjour et à retirer de son expédition un résultat plus complet.

Abd el Kader avait emmené les habitants de Tlemcen (Hadar) hostiles aux Turcs, sur le plateau avoisinant la ville, espérant un prompt départ des Français, comme à Mascara. L’opération qu’exécuta le 15 janvier contre lui le général Perrégaux fut très pittoresque. A l’approche des cavaliers indigènes ralliés, les cavaliers de l’Emir exécutèrent une fusillade à grande portée, puis se retirèrent. Les fantassins réguliers, se voyant abandonnés, s’enfuirent en se débarrassant de leurs vêtements amples pour courir plus vite. Les troupes françaises entamèrent la poursuite : seuls les cavaliers les mieux montés et les plus habitués aux chemins de montagne purent prendre part « à l’espèce de chasse qui eut alors lieu ».

Le maréchal Clauzel a décrit cette opération en ces termes : « Une cinquantaine de Douairs ou Smela, à la tête desquels étaient constamment les commandants Youssouf et de Richepanse[62], le lieutenant d’état-major Thomas et le sous-lieutenant de spahis de Villiers, composaient la petite troupe qui pendant cinq lieues poursuivit avec acharnement Abd el Kader et ses soldats en déroute. En vain l’Emir remarquant le commandant Youssouf qui le serrait de près criait-il à ses gens : Lâches, retournez-vous et voyez ; il n’y a qu’un homme qui vous poursuive ! La frayeur l’emportait sur la voix du chef et la fuite n’était pas interrompue. Plusieurs fois le commandant Youssouf se trouva à une très petite distance d’Abd el Kader ; et, sans les difficultés de terrain qui l’obligeaient à ralentir sa course, il l’aurait infailliblement atteint. Après cinq heures de galop, les chevaux épuisés de fatigue furent hors d’état d’aller plus loin et il fallut avec regret abandonner l’espoir de s’emparer de la personne de l’Emir[63]. » Un brave cavalier Douair rapporta à Clauzel le drapeau de l’Emir, pris au porte- étendard qu’il avait tué. Abd el Kader avait laissé 70 fantassins réguliers sur le terrain, et avait perdu ses chevaux, ses tentes, ses effets !

La recherche des Hadar, qui étaient allés pendant la nuit se réfugier dans les montagnes au sud de Tlemcen, fut confiée à l’agha Mustapha ben Ismaël avec les Coulouglis et la cavalerie arabe, et au chef de bataillon de la Moricière, avec quatre compagnies de zouaves et quatre compagnies d’élite du 2e et du 17e léger.

L’humanité des soldats français eut encore l’occasion de se manifester au cours de cette opération :

« Les Arabes auxiliaires, a écrit Clauzel, commençaient à dépouiller les femmes avec une avidité telle que plusieurs de ces malheureuses étaient obligées de se cacher dans des buissons pour ne pas rester presque nues exposées aux regards des hommes. Les soldats français, loin d’imiter cet exemple, s’empressèrent de protéger les victimes contre les excès de leurs coreligionnaires. Cette honorable conduite, lorsqu’elle fut connue des Maures qui n’avaient pas encore fait leur soumission, décida la plupart à rentrer dans la ville[64]. »

La brigade Perrégaux revint le 17 janvier à Tlemcen, précédée par 3.000 habitants qu’elle y ramenait et suivie par près de 4.000 moutons, bœufs et chèvres pris sur l’ennemi.

Lorsque Clauzel voulut établir la liaison entre Tlemcen et l’île de Rachgoun, qu’il considérait comme le port de ravitaillement de la cité, il se heurta aux contingents d’Abd el Kader et ne parvint pas à passer. Ses troupes se conduisirent du moins avec une belle vaillance.

Le Maréchal, tout en les félicitant, estimait qu’elles gaspillaient inutilement leurs munitions ; « c’est aux officiers, écrivait-il le 29 janvier 1836, d’empêcher des tiraillements qui n’ont d’autre résultat que celui de consommer des munitions d’autant plus précieuses que l’armée est loin de ses arsenaux. Une infanterie dont le moral est élevé et la constitution forte doit conserver assez de calme et de fermeté pour laisser ses adversaires s’avancer à une très petite portée. Elle exécute ensuite un feu meurtrier à bout portant, et fond sur eux à la baïonnette. Ce n’est qu’en agissant ainsi, qu’elle parviendra à établir une supériorité durable[65]. »

Les abus généralement commis par les troupes dans les agglomérations en partie abandonnées se produisirent à Tlemcen. La gendarmerie rendit compte au chef d’état-major que « des corvées du bataillon de Tlemcen commandées par des sous-officiers, enlevaient des bois de construction et des portes dans les maisons non habitées » ; l’administration brûlait à ses fours des bois de construction. Des militaires isolés qui arrachaient des poutres et des poutrelles, et coupaient des treilles, furent emprisonnés[66]. Le colonel (Leroy) Duverger, chef d’état-major des troupes d’Afrique, dut faire organiser des corvées régulières pour aller au bois avec des prolonges, en recommandant d’éviter de couper des arbres fruitiers[67].

Le projet imaginé par Clauzel de faire vivre ses troupes complètement sur le pays, afin de pouvoir se passer des crédits non accordés par le Gouvernement, l’amena à imposer une taxe aux Turcs et Coulouglis qui avaient été ses dévoués alliés. Ce fut une mesure déplorable. Des Turcs furent jetés en prison jusqu’à paiement delà somme imposée, et n’en sortirent qu’avec le consentement de Mustapha ben Ismaël[68]. Deux gendarmes furent mis en permanence à la disposition du commandant Yusuf[69], chargé de faire rentrer la contribution et de sévir contre les récalcitrants.

Le capitaine de la Tour du Pin décrivait l’opération en ces termes : « Il s’agissait de faire payer les habitants. Or, parmi les Arabes, l’idée de faire payer implique nécessairement trois termes : celui qui donne, celui qui reçoit, et en outre celui qui prend. Les Coulouglis devaient faire la première partie ; le Maréchal ou le Gouvernement, la seconde. Youssouf et le Juif du Maréchal[70] — car le Maréchal a toujours son Juif comme une vieille femme a son petit chien — se jetèrent sur la troisième[71]. »

Cependant le 1er février 1836, Clauzel, « prenant en considération la bravoure déployée par les Turcs et les Coulouglis dans les combats des 26 et 27 janvier », leur fit don au nom du Roi des Français de 500 fusils déjà remis et qu’ils devaient payer[72]. Il dut d’ailleurs, en raison du mouvement d’opinion en France, renoncer à percevoir la contribution[73]. Les braves alliés dont la résistance depuis plusieurs années avait sauvé la citadelle de Tlemcen méritaient bien quelques égards !

Lorsque Clauzel quitta Tlemcen, il confia « la garde et la conservation du Méchouar » au capitaine Cavaignac, qui disposa à cet effet d’un détachement de 470 hommes d’infanterie, 23 d’artillerie et 15 du génie, formé en quatre compagnies, et composé de volontaires pris dans tous les corps. La mission de Cavaignac, sans lui être définie en termes précis, était ainsi résumée dans l’instruction laissée par Clauzel : « Le drapeau français ayant été arboré sur les murs du Méchouar, doit être un signe de ralliement et de protection pour nos alliés, de force et de crainte pour nos ennemis. Dans ses différentes relations avec les Indigènes, le commandant français s’attachera avant tout à faire respecter le drapeau et le nom français[74]. »

Les volontaires du détachement, enfermés dans le Méchouar, menèrent une existence faite de privations matérielles et de résistance morale : « Isolés du monde entier, a écrit le duc d’Orléans ; étrangers même aux phases de la guerre dont leur sort dépendait ; guettés sans être combattus par les Arabes, qui leur faisaient la chasse et non la guerre, et qui venaient en pèlerinage du Maroc pour tirer un Chrétien à l’affût ; condamnés à se méfier de tout, même de leur courage ; journellement provoqués ou par des fanfaronnades qui masquaient une embuscade, ou par le supplice de Tantale, lorsque les Arabes faisaient paître des troupeaux sous les yeux des soldats privés de viande ; ces hommes résignés supportèrent, sans un murmure, toutes les épreuves[75]. »

Appelés « les zéphyrs de Cavaignac », ils impressionnèrent par leur allure tous ceux qui les virent : « Les hommes portaient de longues barbes, a écrit Canrobert ; leurs habits étaient de toile légère, ou de soie de toutes couleurs, avec de magnifiques épaulettes en paille, des passepoils et des revers en papier découpé. Et cependant l’allure martiale de cette troupe frappait à la première inspection ; on la sentait tout entière dans la main de son chef[76]. »

 

L’utilité de troupes indigènes était de plus en plus reconnue par les chefs de l’armée d’Afrique, et leur développement envisagé. Le général d’Arlanges avait estimé qu’une compagnie indigène à Oran pouvait rendre de grands services ; il avait demandé dès le mois d’octobre à l’organiser et avait été appuyé auprès du Ministre par le lieutenant général Rapatel. Mais à ce moment les seules prévisions faites pour l’organisation de troupes indigènes portaient sur des corps de spahis[77].

Les zouaves avaient cependant gagné les suffrages de tous, en particulier du duc d’Orléans. Aussi une ordonnance royale du 25 décembre 1835 créa un second bataillon de zouaves[78]. Les deux bataillons formeraient un même corps, aux ordres d’un lieutenant-colonel. Chaque bataillon aurait six compagnies, dont deux françaises et quatre « arabes » ; mais le nombre des compagnies pouvait être porté successivement à dix par bataillon, « si les ressources du recrutement en indigènes le permettaient. »

Le lieutenant-colonel destiné à commander ce corps s’imposait : La Moricière. Quoi qu’il ne fût chef de bataillon que du 2 novembre 1833, il fut promu lieutenant-colonel le 21 décembre 1835, et désigné comme chef de corps. S’il était apprécié par la troupe et par nombre d’officiers, il avait aussi ses détracteurs. Le capitaine de la Tour du Pin, de l’état- major du maréchal Clauzel, écrivait au lieutenant-colonel Duvivier : « Vous avez entendu la fortune inouïe de La Moricière ; il est heureux, il est prospère, il est dans la force que donne le mouvement ascensionnel. Cependant, je le trouve moins poussé que jamais par son propre mérite ; il s’enivre du commandement d’une malheureuse ligne de tirailleurs plus que ne ferait un sous-lieutenant ; dès qu’il a la moindre responsabilité, il tremble de se compromettre et devient pusillanime ; il sent que sur la pente de bonheur le long de laquelle il glisse, il n’a qu’à se laisser aller immobile, tandis qu’un seul faux mouvement le perdrait[79]. »

Le recrutement des indigènes pour le corps de zouaves était facilité par une prime de 3 fr. 72 accordée aux « recruteurs arabes » ; contrairement à la proposition de l’Intendant militaire tendant à la supprimer, le Conseil supérieur d’administration avait exprimé l’avis, en octobre 1835, de l’élever pour 1836 à 10 francs par soldat incorporé. Cette augmentation fut décidée le 16 février 1836 par le Ministre de la Guerre[80].

Les spahis réguliers d’Oran se constituaient assez aisément. D’Arlanges put rendre compte au général Rapatel le 19 mars 1836 que le 1er escadron était au complet, à trois hommes près. Il demanda à lui donner comme chef le lieutenant Mesmer, qui « depuis quatre ans commandait l’escadron indigène », et d’y nommer lieutenant indigène Ismaël ould Cadi, « chef de tribu » au sujet duquel il écrivait : « Ismaël est connu de M. le Maréchal, qui a demandé la croix pour lui. C’est un homme influent et dévoué, d’une excessive bravoure et couvert de blessures[81]. »

Les chasseurs d’Afrique prenaient de plus en plus l’esprit de corps, et se montraient soucieux de leur réputation. Le colonel de Gouy, commandant « le 2e de chasseurs à cheval d’Afrique », se plaignait de ce que ses hommes fussent confondus avec ceux des bataillons d’infanterie légère d’Afrique, appelés eux aussi « chasseurs d’Afrique ». Afin d’éviter « cette assimilation entre les soldats de bataillons recrutés parmi les ateliers de travaux et les corps de punitions, et les cavaliers entrant volontairement dans les régiments de chasseurs à cheval d’Afrique », il demandait à ce que ces derniers fussent appelés « chevau-légers[82]. »

Le maréchal Maison refusa de faire droit à cette demande, parce que le terme de chasseurs ne figurait dans aucune disposition organique ni dans aucune pièce officielle pour désigner les militaires des bataillons d’infanterie légère d’Afrique. « J’ai considéré en outre, ajoutait-il, que c’est sous la dénomination de chasseurs d’Afrique que ces corps ont fait leurs premières armes, qu’ils se sont fait respecter de leurs ennemis, qu’ils ont acquis leur esprit militaire, leur réputation et leur illustration relative, et qu’un régiment doit tenir d’autant plus à son nom ou à son numéro qu’il l’a porté dès sa création et qu’il l’a honoré sur les champs de bataille[83]. »

Les bataillons d’infanterie légère d’Afrique par contre entendaient jouir de la même considération que les autres corps de l’armée. Le commandant du 3e bataillon à Douèra, Montréal, ayant reçu avis par un ordre du jour que 44 de ses soldats obtenaient « la faveur de rentrer dans les rangs des régiments de ligne », écrivit le 10 janvier 1836 une longue lettre au lieutenant général Rapatel, commandant les troupes, pour lui démontrer que les bataillons d’Afrique n’étaient pas des « corps de punitions ». Il s’appuyait sur l’ordonnance du 3 juin 1832, qui y autorisait les engagements volontaires ; il citait une lettre de Voirol du 29 août 1833, disant que ces corps « faisaient partie de l’armée et n’avaient pas de régime particulier », qu’ils pouvaient être « ramenés à un état d’honorable comparaison avec les autres corps de l’armée », et concluait qu’il ne fallait pas leur enlever leurs meilleurs sujets pour les affecter ailleurs[84].

Les Turcs d’Ibrahim, qui se trouvaient à Mostaganem, étaient, aux dires du chef de bataillon Menonville, du 47e de ligne, une piètre troupe : « C’est un corps qui a besoin d’une forte épuration, écrivait-il, et d’une organisation quelconque[85] » ; ils ne faisaient à peu près rien, touchaient cependant régulièrement leur solde, en présence du bey Ibrahim et du commandant Abdallah Dasbonne, et prétendaient que, engagés seulement pour faire la campagne de Mascara, ils étaient retenus arbitrairement ! Un certain nombre désertaient, en emportant leurs armes qui passaient ainsi aux mains des dissidents. « Ce corps a été composé d’hommes ramassés sur le pavé d’Alger, échappés de Tunis et de Constantine, écrivait Menonville ; on a pris tout ce qui se présentait sans aucune condition : borgnes, boiteux, infirmes, vieillards caducs en partie, gens incapables de rendre aucun service[86]. » L’état de cette troupe turque n’encourageait pas à créer une compagnie d’infanterie indigène !

Des contacts nombreux s’étaient cependant établis peu à peu entre les troupes françaises et les Indigènes. Les soldats qui tombaient aux mains des dissidents n’étaient plus tous impitoyablement massacrés comme aux premiers jours de la conquête. C’est ainsi qu’Abd el Kader avait envoyé comme présent au Sultan du Maroc sept hommes, pris pour la plupart à la Macta, et une vivandière, Justine Pellat, née Boutillon, âgée de 32 ans, femme de Napoléon Pellat, soldat au 66e[87]. Le consul général Méchain, chargé d’affaires de France au Maroc, s’efforça dans les premiers mois de 1836 de faire libérer ces prisonniers. Les sept hommes avaient, d’après le Sultan, embrassé la religion musulmane et avaient demandé à vivre dans ses états, ce qui, d’après certains témoignages, paraissait exact. La vivandière au contraire avait refusé d’abjurer. Méchain écrivit de Tanger au général commandant à Oran : « Honneur à Justine Pellat, du brave 66e ; renfermée dans le harem du Sultan, elle a résisté à toutes les obsessions des femmes ; elle a persisté dans sa religion et à vouloir rentrer dans sa patrie. A l’époque du Ramadan, elle a refusé de jeûner et de se soumettre aux pratiques de la religion musulmane. C’est le Sultan qui me l’écrit. Aussi, en confiant Justine Pellat au soldat qui devait la conduire à Mogador, ce souverain lui a dit qu’il lui trancherait lui-même la tête si quelqu’un manquait à cette femme. Il est au contraire bien constaté que les sept hommes, ses compagnons d’infortune, ont tenu une conduite moins honorable[88]. »

Quelques-uns de ces prisonniers, dirigés sur Mogador, furent embarqués pour Marseille[89]. Certains d’entre eux apparurent comme de fort mauvais sujets, probablement déserteurs[90], et peu désireux de laisser scruter leur passé.

 

Le Gouvernement français tenait avant tout à réduire le corps d’occupation d’Afrique à l’effectif budgétaire. Le maréchal Maison, ministre de la Guerre, avait écrit dans ce sens à Clauzel les 2 et 5 janvier et le 2 février 1836. Il avait ajouté en post-scriptum de sa main le 2 février : « Vous sentirez que votre responsabilité serait engagée si vous n’exécutiez pas mes ordres réitérés pour l’évacuation des troupes qui sont encore à Alger au-delà de l’effectif fixé par le budget[91]. »

Il décida le 23 février d’envoyer le lieutenant-colonel d’état-major de la Ruë à Alger, pour presser Clauzel d’embarquer les troupes visées par ses ordres, c’est-à-dire les deux bataillons du 66e, le reste du 10e léger, le 13e et le 59e de ligne, un bataillon d’infanterie légère d’Afrique, deux compagnies de vétérans et quatre compagnies de discipline. La Ruë devait envoyer au Ministre un compte-rendu quotidien, et ne revenir en France qu’après l’embarquement du dernier détachement[92] !

A ce moment même, Clauzel écrivit au Ministre pour lui demander de conserver 23.000 hommes au lieu de 21.000, jusqu’au 1er janvier 1837[93]. Lorsqu’il reçut le 6 mars les ordres impératifs dont le lieutenant-colonel de La Ruë était porteur, il « s’exécuta de bonne grâce[94] » ; mais il demanda néanmoins que les troupes indigènes, c’est-à-dire zouaves et spahis, fussent considérées comme en dehors des 21.000 hommes. Ces troupes, y compris les spahis auxiliaires, s’élevaient à 3.112 hommes[95].

Le maréchal Maison fit remarquer à Clauzel que l’expédition de Tlemcen avait été faite contrairement à ses instructions : « Je crains, ajoutait-il dans sa lettre du 5 mars 1836, que les pouvoirs législatifs ne voient dans vos opérations une grave déviation des principes qui avaient été posés, et je conserve peu d’espoir de lutter avec succès contre les préventions que les résultats de votre dernière campagne ont soulevées dans la Chambre des Députés[96]. »

Par une curieuse coïncidence, Clauzel expliquait le 9 mars au Ministre comment le maintien de 2.500 hommes à Oran pendant quelque temps eût produit le meilleur effet, et il ajoutait : « Je ne puis qu’être satisfait de la situation actuelle de la colonie : le mouvement commercial prend toujours de l’extension et les capitaux sont plus abondants sur la place ; les demandes en concessions de terrains sont nombreuses et la culture prend un développement marqué. Dans un tel état de choses, il serait bien à désirer que nos efforts ne fussent pas entravés par les discours prononcés à la Chambre et que les Arabes, qui ne peuvent pas apprécier les intentions de nos orateurs, n’en conçussent pas des espérances que leur ont fait perdre nos derniers événements militaires[97]. »

Ainsi s’opposaient, comme il est arrivé si souvent depuis, l’intérêt bien compris de la France d’outre-mer et les discours au Parlement de politiciens incompétents.

Quelques semaines plus tard, en avril 1836, le général Rapatel fit envoyer d’Alger au Ministre, de la part du maréchal Clauzel, 700 exemplaires d’une brochure écrite sur les possessions françaises dans le nord de l’Afrique par le directeur des Finances, Blondel[98], en le priant de les distribuer aux Chambres. On pouvait lire sur la couverture la légende suivante : « Les difficultés de la colonisation ne sont ni dans le climat, ni dans le sol, ni dans le caractère des indigènes... Elles sont dans nous[99]. » Le résumé final, consacré à rechercher quel était l’intérêt politique et commercial de la France, contenait parmi bien des préceptes à retenir, les suivants : « Une force militaire imposante nous est nécessaire ; c’est la sanction donnée aux mesures politiques ; c’est le moyen de jeter les bases d’un pouvoir solide et durable ; c’est le secret pour pouvoir rester juste et modéré sans danger... Faire porter les économies sur le nombre des troupes, ou sur les fonds destinés à la solde ou aux présents à donner aux Indigènes, c’est un suicide[100]. »

Avant de faire embarquer pour la France les régiments qu’il devait y renvoyer, Clauzel fit encore deux expéditions destinées à compléter l’effet produit sur les populations par la prise de Mascara et de Tlemcen : en mars, l’expédition du Chélif, sous la direction du général Perrégaux, avec les nombreux contingents indigènes de Mustapha ben Ismaël, El Mézari et du bey Ibrahim ; au début d’avril, celle de Médéa, sous sa direction personnelle. Il s’embarqua ensuite le 14 avril pour aller défendre à Paris ses projets africains, en laissant la direction des affaires au général Rapatel[101].

 

Le général d’Arlanges, commandant la province d’Oran, avait été chargé directement par Clauzel d’établir la liaison de la côte avec Tlemcen, en partant de l’île de Rachgoun, déjà occupée, à l’embouchure de la Tafna.

Cet officier général, ancien émigré à qui la Restauration avait accordé le grade de lieutenant-colonel d’infanterie, était, suivant le futur général du Barail, « un homme qui ne payait pas de mine et qui ne jouissait pas du moindre prestige aux yeux des soldats... C’était un bon soldat, suffisamment instruit, d’une incontestable bravoure personnelle, mais un peu au- dessous de sa situation. Quand il pleuvait, il arborait son képi d’ordonnance par-dessus le bonnet de soie noire qui lui servait pour dormir, et le troupier, caustique, riait[102]. »

D’Arlanges se rendit d’Oran à la Tafna par terre avec une colonne de 3.000 hommes et 200 Indigènes auxiliaires commandés par Mustapha ben Ismaël. Un tel effectif n’était pas suffisant pour remplir une mission que Clauzel n’avait pas pu mener à bonne fin en partant de Tlemcen avec des forces supérieures. D’Arlanges, bloqué dans son camp de la Tafna par Abd el Kader, essaya en vain de rompre le cercle qui l’entourait : au cours d’une sortie, il éprouva des pertes sensibles et fut blessé ; l’énergique colonel Combe ramena la colonne au camp, où il retrouva le colonel du génie Lemercier, qui avait heureusement résisté avec une faible garnison.

Rapatel demanda 3.000 hommes de renfort pour sortir d'Arlanges de cette situation. Le Gouvernement accorda trois régiments, mais Louis- Philippe désigna le général Bugeaud pour prendre le commandement à la Tafna : « Le général Bugeaud, disait la dépêche télégraphique du Ministre à Rapatel, commandera ces troupes formant 4.500 hommes, ainsi que celles du général d’Arlanges, qui sera sous ses ordres pendant l’opération dont il est chargé[103]. »

La mission confiée à Bugeaud ménageait peu l’amour-propre du général d’Arlanges. Le commandant de la division d’Oran, qui avait fait de son mieux, dans des circonstances vraiment difficiles, décida de rentrer à Oran.

Bugeaud, fort gêné vis-à-vis du camarade du même grade auquel il venait se superposer, lui écrivait le 11 juin du camp de la Tafna des lignes qui, sous sa plume généralement assez rude, avaient leur valeur : « Je ne crois pas le moins du monde, lui disait-il, qu’on ait eu l’intention de vous humilier ; cela n’est pas possible d’après la manière dont j’ai entendu parler de vous par le Ministre de la Guerre et par le maréchal Clauzel... Je conçois, mon cher Général, que vous ayez pu être blessé de certains procédés que je crois être l’effet du hasard et non de l’intention ; mais, dans le cas présent, il était naturel et conforme au règlement militaire que, vous amenant un renfort de 4.500 hommes et me trouvant le plus ancien, je prisse le commandement... J’ai vivement regretté que vous m’ayez quitté ; votre expérience et votre savoir m’auraient été très nécessaires. » Il ajoutait : « Vous êtes libre de rester à Oran, et nécessairement vous devez y commander » ; il prenait soin de signer : « Le général commandant la division de la Tafna[104]. »

Ces égards ne parvinrent pas à adoucir l’amertume du général d'Arlanges. Il écrivit le 18 juin au Ministre une lettre où il lui exposait ses déboires et ses humiliations. Il attribuait le traitement dont il était l’objet à des accusations d’incapacité qui auraient été portées contre lui par Yusuf, à la suite d’un engagement aux environs d’Oran en décembre 1835. Il se considérait comme l’objet d’un « mépris poussé jusqu’à ne pas même lui faire donner avis de sa destitution ». Il ajoutait : « Mon état moral ne me permet pas de suivre l’expédition ; le ridicule qui m’y suivrait nuirait aux affaires. Ma mission est remplie, puisque le poste de la Tafna est occupé. Une reconnaissance faite à propos, quoi qu’on en dise, m’a prouvé l’impossibilité de communiquer avec Tlemcen. Si je l’avais entrepris, je persiste à croire que je n’aurais pu réussir. Il y a des antécédents qui le prouvent. Il ne me reste donc plus qu’à m’en aller m’ensevelir dans mes foyers. C’est ma seule ambition désormais[105]. »

Cette douleur de vieux soldat est d’autant plus émouvante qu’elle ne l’amenait pas à critiquer son successeur : « Je n’ai qu’à me louer, disait-il en terminant, des procédés du général Bugeaud à mon égard. Il apprécie lui-même les dégoûts dont je suis abreuvé, et a tout fait pour les adoucir s’ils pouvaient l’être. »

 

Bugeaud fit sentir à ses subordonnés, dès son arrivée au camp de la Tafna, avec les renforts débarqués du 4 au 6 juin, qu’il y avait quelque chose de changé dans la manière de commander et dans les procédés employés.

Il réunit les colonels et chefs de corps, leur dit que la guerre d’Afrique, pleine d’analogies avec celle d’Espagne, devait être faite avec des soldats allégés, des mulets portant vivres et munitions, sans artillerie ni bagages encombrants ; il termina en se disant prêt à recevoir les observations et les conseils de ses auditeurs.

Les colonels et chefs de corps ayant vivement critiqué entre eux les idées de Bugeaud, le colonel Combe, un des plus excités, se chargea d'aller le lendemain exposer leurs impressions à leur nouveau chef, et lui dire que les soldats perdraient courage s’ils n’avaient pas d’artillerie avec eux. Comme il insistait en élevant la voix, Bugeaud lui répondit : « Monsieur, j’ai en effet engagé chacun de vous à venir me communiquer ses observations et ses avis. Mais libre à moi, vous le permettez, d’en tenir compte à ma guise. Sur ce, Colonel, je vous remercie et je vous prie de vous retirer[106]. » Il n’y avait rien à répliquer !

Bugeaud constitua une garnison spéciale pour le camp de la Tafna. Il forma en même temps une colonne, la conduisit d’abord du camp à Oran, ramena d’Oran à Tlemcen un convoi de vivres, et revint au camp de la Tafna après avoir échangé à Tlemcen 300 éclopés contre 200 soldats de Cavaignac et 300 Coulouglis. Pendant ces étapes, il s’en prenait avec raison aux officiers quand la troupe ne montrait pas un bon moral, et n’hésitait pas à les réunir pour les blâmer, comme ceux du 24e de ligne. Il quitta de nouveau le camp de la Tafna le 4 juillet, pour aller à Tlemcen avec un convoi ; le 6, il battit complètement à la Sikkak les contingents d’Abd el Kader, qui, sous la conduite de l’Emir en personne, avaient voulu lui barrer la route[107].

Au cours de cette rapide campagne, Bugeaud avait donné un bel élan aux troupes de la province d’Oran, et formulé bien des principes dans ses instructions à ses officiers ou dans ses lettres au Ministre. Il voulait des troupes épurées par l’entraînement, des officiers jeunes, ardents et énergiques, des soldats allégés de leur écrasant fardeau. Il jugeait indispensable de faire porter les vivres de la troupe par des convois réguliers de mulets accompagnant les colonnes.

Il se déclarait partisan des auxiliaires indigènes, et écrivait au sujet des Douairs : « Ce sont d’intrépides et habiles cavaliers. Ils sont évidemment supérieurs à nos cavaliers pour éclairer, tirailler et combattre dans les terrains difficiles. Mustapha, leur chef, est un homme respectable et de très bon conseil. Il y a d’autres chefs qui sont aussi fort recommandables par leur bravoure et leur intelligence. Il serait juste et politique, Monsieur le Maréchal, de faire un bon traitement à ces hommes qui servent bien notre cause... Ce sera plus fructueux que les fortifications, que, quelquefois, on multiplie d’une manière peu judicieuse[108]. »

L’humanité des Français avait eu l’occasion de se manifester une fois de plus au combat de la Sikkak. Le général Bugeaud avait lui-même arraché à la mort des fantassins réguliers de l’Emir et des piétons kabyles acculés par les Douairs, les chasseurs d’Afrique et les voltigeurs à des rochers tombant à pic sur la rivière l’Isser. Il avait fait ainsi 130 prisonniers, qu’il envoya en France, où le Ministre ordonna de les bien traiter pour en faire ultérieurement des agents de bonne entente entre Français et Indigènes.

 

L’occupation de Tlemcen par Clauzel et la défaite d’Abd el Kader par Bugeaud à la Sikkak apaisaient les inquiétudes relatives à l’Ouest et devaient faciliter dans l’Est l’expédition de Constantine que Clauzel n’avait pas cessé d’envisager et de préparer.

La base maritime de cette expédition était Bône.

Le général d’Uzer, commandant supérieur dans cette ville, ne s’était pas entendu avec Yusuf, au sujet de qui il écrivait en novembre 1835 à Rapatel : « Le commandant Joseph part par le bâtiment. Bon voyage ! Dans l’intérêt de la province de Bône, il serait à désirer qu’il ne revînt plus. Je le souhaite vivement sans l’espérer[109]. »

Il ne s’était pas entendu non plus avec le lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis de Bône. Comme Duvivier avait éprouvé des difficultés à recruter ses spahis réguliers, Clauzel l’avait engagé à porter son effort sur l’organisation des spahis irréguliers, ne recevant pas de solde mensuelle, mais inscrits sur les contrôles, « tenus et habitués à se présenter à tout appel aux armes », et rétribués seulement pendant les périodes de service effectif[110].

Cette organisation des spahis irréguliers avait naturellement amené des contacts fréquents entre Duvivier et les tribus. Le général d’Uzer avait considéré ces relations comme une sorte d’empiètement sur ses attributions. Il avait écrit à son subordonné le 18 novembre 1835 : « Bornez-vous, Monsieur le colonel, à commander militairement les spahis réguliers, et les auxiliaires les jours de réunion ; si quelque délit était commis par ces derniers dans l’exercice du service commandé, le coupable serait soumis à votre juridiction ; hors de là, le spahi auxiliaire est soumis à la juridiction commune aux indigènes. Veuillez, Monsieur le colonel, vous conformer à l’avenir à ces dispositions qui vous laissent tout ce qui est militaire, me réservant toutes les autres directions[111]. »

A la suite de cette lettre, Duvivier avait quitté le logement que le général d’Uzer lui avait offert chez lui, et qu’il avait occupé pendant six semaines. D’Uzer écrivait à Rapatel le 25 novembre : « Il a pris, il y a six jours, congé de moi en me remerciant des bontés que j’avais eues pour lui ; je ne l’ai plus revu. Il s’est laissé conduire par Joseph et a adopté toutes ses idées. Cela est fâcheux ; avec autant de moyens, ils auraient pu être mieux employés[112]. »

Après cette rupture, Duvivier, déjà en correspondance directe avec Clauzel, avait écrit aussi au Ministre de la Guerre. Il lui avait envoyé le 1er décembre 1835 des observations sur la situation de son corps, et lui avait signalé en particulier que des maréchaux des logis, brigadiers et cavaliers, restaient constamment détachés à la disposition du général d’Uzer[113].

Il demanda le 15 décembre par la voie hiérarchique son rappel immédiat à Alger, en raison des « désagréments bien pénibles éprouvés à Bône[114]. » D’Uzer fit modifier les termes de la demande ; il la transmit à Rapatel, mais il lui écrivit en même temps : « Vous le connaissez, mon général ; il avait la prétention de prendre la direction des tribus et je n’ai pas été d’avis de lui céder le seul commandement qui puisse rendre ma présence utile à Bône... Tant qu’il sera sous mes ordres, je le tiendrai à sa place ; il a la même latitude que les autres chefs de corps de la garnison, rien de plus, rien de moins ; je garde toute sa correspondance, qui est plutôt celle d’un avoué ou procureur que d’un militaire... Depuis que je sers, je n’ai pas trouvé un officier supérieur plus difficile et dont les rapports de service soient plus désagréables[115]. »

Duvivier continuait à réclamer contre le général d’Uzer dans des lettres personnelles adressées au maréchal Clauzel ; il lui envoyait le 31 janvier 1836 un dossier de lettres « relatives à la manière dont le général d’Uzer entend le service et les choses relativement aux spahis[116]. »

Des querelles de ce genre nuisent généralement au supérieur comme au subordonné.

Le Ministre communiqua le 4 février 1836 à Clauzel les observations que Duvivier lui avait envoyées au début de décembre sur son corps des spahis, et lui signala leur bien-fondé ; mais il le pria en même temps d’infliger huit jours d’arrêts à Duvivier pour avoir correspondu avec le Ministre sans passer par la voie hiérarchique[117].

D’Uzer, calomnié auprès du duc d’Orléans, du Gouverneur général et du Ministre, était aigri par ces discussions et las de ces luttes. Lorsqu’il apprit que sa nomination, annoncée par tous les journaux, avait été différée, il décida de rentrer en France : « Je vous demande, écrivit-il le 1er février 1836 à Rapatel, de ne pas perdre un instant pour m’envoyer l’autorisation de me démettre de mon commandement ; je veux partir, et rien ne pourrait me retenir, pas même quand on m’offrirait de me faire maréchal de France ; on m’a blessé au cœur. C’est au maréchal et au prince que je le dois, je ne me le dissimule pas[118]. »

Tandis que d’Uzer prenait cette détermination, le Ministre décidait de lui retirer son commandement, et l’en informait par lettre du 29 février. Cette lettre n’eut pas le temps de lui parvenir, car il partit dans les premiers jours de mars, et elle fut annulée par le Ministre[119]. D’Uzer fut remplacé à Bône par le colonel (Leroy) Duverger.

Le général d’Uzer ne se trompait pas : il avait été desservi auprès du maréchal Clauzel et du duc d’Orléans par Yusuf, lors de l’expédition de Mascara. Le capitaine de la Tour du Pin écrivait à Duvivier : « Yusuf raconta que vous (Duvivier) aviez eu des démêlés violents avec le général d’Uzer, pour avoir refusé de signer des états de solde sur lesquels figuraient, avec l’autorisation du général et au profit de M. Delcambre, beaucoup plus de noms qu’il y avait d’hommes présents sous les armes[120]. » On voit quelle impression pouvaient laisser des conversations de ce genre !

Yusuf avait été nommé par Clauzel, dès le 21 janvier 1836, bey de Constantine ; il reçut l’ordre, en mars, d’aller reprendre à Bône le commandement des spahis réguliers, en remplacement du lieutenant-colonel Duvivier qui rentrerait à Alger, et d’y joindre le commandement des spahis auxiliaires. Il eut comme mission de gagner à la cause française, de proche en proche, les tribus entre Bône et Constantine. Tandis que d’Uzer n’avait guère employé, à l’égard des tribus, que des moyens de douceur, Yusuf usait de la force au premier signe de résistance.

Comme le lieutenant-colonel Marey, qui était à Alger à la fois commandant du corps des spahis réguliers et agha des Arabes, partit en congé pour la France, le lieutenant-colonel Duvivier fut chargé en mai de ces deux fonctions ; il les conserva jusqu’au retour de Marey en septembre[121], et sut mériter les félicitations du lieutenant général baron Rapatel, commandant les troupes en Afrique[122].

Le colonel (Leroy) Duverger et le commandant Yusuf établirent à Dréan un camp d’où ils pouvaient rayonner.

Yusuf se mit en devoir de remplir les fonctions qui lui incombaient. Un officier écrivait de Bône le 31 mai au lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis réguliers à Alger : « On dit que Yusuf fait le bey tout aussi bien qu’Ahmed. Il porte comme lui un chapelet à la main ; il a de plus beaux habits que lui, il lève des contributions, comme lui, fait comme lui distribuer des coups de bâton, et comme lui couper des têtes sans demander la permission à qui que ce soit ; si les Arabes ne l’aiment déjà guère — ce que je ne dis pas —, ils le craignent et ils obéissent. On dit qu’il en est qui se permettent de regretter le régime du général d’Uzer, qui était si paternel pour eux. On va même jusqu’à dire qu’il en est qui vous regrettent, vous qui aviez si peu l’air et les allures d’un bey[123]. »

Le nouveau bey possédait « ses drapeaux, sa musique, ses bourreaux, en un mot tout ce qu’il faut pour être monarque », a écrit du Barail. Il avait des espions auprès du bey Ahmed, mais le bey Ahmed en avait auprès de lui. Un jour, Yusuf découvrit une lettre de son propre secrétaire indigène, son khodja, ne laissant aucun doute sur sa trahison ; il entama avec lui une conversation très cordiale, au cours de laquelle, en réponse aux protestations de fidélité du secrétaire, il lui passa la lettre révélatrice. « Aucun mot, d’après du Barail, ne fut échangé entre eux. Le secrétaire se leva, salua, sortit de la tente, s’agenouilla, impassible, devant le chaouch (bourreau), qui, moins d’une minute après cette petite scène muette, lui faisait tomber la tête entre les genoux, sur le sol. Tout cela s’était passé avec une tranquillité, une correction parfaites[124]. » Yusuf avait l’immense avantage de connaître les populations indigènes, et d’employer les moyens propres à s’assurer leur respect et leur dévouement.

Le colonel (Leroy) Duverger utilisait pour le mieux les troupes du camp de Dréan. Il fit en juin, avec une colonne composée en majeure partie de spahis réguliers, de spahis à pied et de spahis auxiliaires, une reconnaissance à Guelma. Il demanda la formation de deux nouveaux escadrons de spahis réguliers, où les notables des tribus souhaitaient être admis. Enfin il fit, en juillet, occuper La Galle par un détachement de 50 spahis aux ordres du capitaine Berthier.

 

Pendant ce temps, Clauzel essayait en France d’obtenir les effectifs nécessaires pour l’expédition de Constantine. Il écrivit à Rapatel le 2 août 1836 qu’il comptait disposer de 30.000 hommes de troupes françaises, y compris les zouaves et les spahis réguliers, de 5.000 hommes de troupes indigènes irrégulières, et de 4.000 auxiliaires soldés ; il lui exposa tout un « plan d’occupation » des trois provinces, et lui indiqua même la répartition des troupes.

Un changement de ministère vint modifier ses projets. Le maréchal Maison, avant de quitter le Ministère de la Guerre, reprocha le 30 août à Clauzel d’avoir donné à Rapatel des instructions prématurées et préjugé des décisions du Gouvernement. Clauzel, forcé de renoncer à l’exécution de son programme d’ensemble dans les trois provinces, tint cependant à exécuter la partie principale, l’expédition de Constantine[125].

Le nouveau Ministère autorisa l’expédition en raison des préparatifs déjà faits, mais à la condition de n’envisager aucun renfort. Le lieutenant général Bernard, ministre de la Guerre, écrivit d’ailleurs à Clauzel le 18 octobre qu’il lui laissait l’entière responsabilité de l’opération, dans le cas où elle se ferait. Le Gouvernement espérait si fermement la démission de Clauzel qu’il avait fait choix du lieutenant général de Damrémont pour lui succéder. Mais Clauzel n’était pas homme à reculer, et décida malgré tout l’expédition.

La concentration et la mise en route se firent dans des conditions défavorables. Les transports par mer furent retardés par le mauvais temps ; les troupes, fatiguées par le voyage, se trouvèrent entassées à Bône, dans des casernements malsains et insuffisants, au lieu d’être échelonnées sur la route de Constantine, comme il était prévu.

Les cinq brigades du corps expéditionnaire formaient un total de 8.700 hommes. Elles manquaient de moyens de transport, Yusuf n’ayant pu réunir que 350 mulets au lieu de 1.500 nécessaires. Chaque homme portait dans son sac 7 jours de vivres et 60 cartouches.

C’est seulement le 16 novembre que le corps expéditionnaire se mit en marche de Guelma sur Constantine. Le génie fit de son mieux pour aménager la route ; mais le 19 novembre, à partir de Sidi-Tamtam, la neige, la grêle, la pluie transformèrent les chemins en fondrières ; le 20, les hommes ne purent faire de feu, ne trouvant aucun combustible dans la région traversée ; le 21, les fantassins passèrent le Rummel avec de l’eau jusqu’à la ceinture, et furent au cours de cette opération protégés et secourus par les cavaliers. Le 22, neuf voitures de l’administration chargées de vivres et deux prolonges d’artillerie enlisées dans les boues durent être abandonnées ; on essaya de distribuer les vivres aux soldats du 62e chargés de l’escorte ; mais des désordres se produisirent, des tonneaux de vin et d’eau-de-vie furent défoncés, et des hommes ivres restèrent sur place, où ils furent massacrés par les dissidents.

Au cours des tentatives infructueuses faites pour s’emparer de la ville, le génie fit particulièrement preuve de courage et de dévouement. Après avoir aidé à la marche des voitures, et avoir passé 36 heures dans la boue, sans feu ni repos, il arriva le 22 au plateau de Mansoura à dix heures du soir, exténué. Dès le soir, il fut cependant chargé d’aller voir dans quel état se trouvait la porte d’El Kantara, qui avait été bombardée par l’artillerie ; le brave capitaine Hackett fit cette reconnaissance avec quelques sapeurs.

Les hommes du bataillon d’Afrique furent aussi à l’honneur. Dans la nuit du 23 au 24, le colonel Lemercier, du génie, qui dirigea l’attaque d’El Kantara, employa avec ses sapeurs la « compagnie franche » du 2e bataillon d’Afrique, organisée à Bougie. Du côté du Coudiat-Ati, où Duvivier attaqua avec le 3e bataillon d’Afrique, le chef d’escadrons de Richepance et le capitaine du génie Grand furent tués.

Ces efforts ayant été inutiles, le retour à Bône s’imposa, car les blessés étaient nombreux, les vivres diminuaient et les munitions risquaient de manquer.

 

La retraite qui commença le 24 novembre passe à juste titre pour un des épisodes les plus dramatiques qu’ait eus à vivre l’armée d’Afrique.

La cavalerie indigène couvrit la colonne en avant. La brigade de Rigny, avant-garde pendant la marche sur Constantine, joua le rôle d’arrière-garde. Comme elle occupait le Coudiat-Ati, elle dut repasser le Rummel, et arriva au plateau de Mansoura alors que le mouvement était commencé. En raison du transport des blessés et des malades, le nombre des voitures fut insuffisant : le génie dut abandonner son matériel ; en outre, une voiture chargée de blessés ne put être attelée, faute de chevaux, et ses malheureux occupants furent massacrés.

Le bataillon du 2e léger, aux ordres du commandant Changarnier, fermait la marche. C’est à lui que revint la tâche difficile d’arrêter les hordes qui, en pareil cas, harcèlent la colonne. Sa conduite fut héroïque : serré de près, il se forma en carré sur l’ordre de son chef, laissa arriver les assaillants à 25 pas, et ouvrit alors sur eux un feu meurtrier. De ce moment, Changarnier devint légendaire dans l’armée d’Afrique.

La brigade de Rigny n’avait pas seulement à lutter sans répit, mais aussi à recueillir traînards et éclopés semés par les diverses unités le long de la route. Le 25 novembre, elle se trouva séparée de la colonne par des distances parfois considérables ; obligée de s’arrêter pour combattre, elle risqua d’être entourée par les Indigènes. Le général de Rigny ayant envoyé au maréchal Clauzel des officiers qui ne purent le joindre, se porta lui-même en avant ; il arriva irrité et échauffé vers son chef, et eut avec lui une altercation publique qui occasionna par la suite les plus fâcheux démêlés.

Changarnier et Duvivier restèrent les héros de cette malheureuse expédition, par suite de leur attitude pendant la retraite : « Dans un moment si grave et si difficile, écrivit Clauzel au Ministre, M. le commandant Changarnier s’est couvert de gloire et s’est attiré les regards et l’estime de toute l’armée... Pendant toute la journée et celles qui suivirent, le bataillon du 2e léger servit à l’arrière-garde avec la même distinction et fut vaillamment imité, notamment au passage de la Seybouse, à Medjez- Amar, par le lieutenant-colonel Duvivier, commandant le bataillon d’Afrique et la compagnie franche de Bougie[126]. »

Les pertes subies par les troupes étaient, comme à la Macta, sensibles, mais avaient moins d’importance que l’effet moral produit par l’échec sur les Indigènes algériens, l’armée d’Afrique et l’opinion publique française.

L’expédition n’était cependant pas sans résultats pratiques. Elle avait permis de reconnaître en détail la route et les abords de Constantine, et d’établir une excellente base pour l’avenir à Guelma. Elle avait aussi permis aux troupes d’éprouver leur force de résistance et leur courage, d’expérimenter la vie en colonne par le mauvais temps.

Dans son rapport au Ministre du 1er décembre, Clauzel écrivait : « C’est une grande satisfaction pour moi d’avoir à vous signaler le courage, la patience et parfois la résignation de nos jeunes soldats. Au milieu de tant de souffrances, de tant de fatigues et de dangers, ils n’ont pas proféré une plainte, ils n’ont montré aucun découragement... Dans une situation comme celle où s’est trouvée l’armée, il a fallu de la part de tous les officiers une énergie et un courage à toute épreuve. Tous ont compris et rempli leurs devoirs ; tous ont maintes fois payé de leur personne à la tête des troupes[127]. »

 

La période d’opérations actives marquée par les expéditions de Mascara et de Tlemcen, par la défaite d’Abd el Kader à la Sikkak, et par la retraite de Constantine, avait démontré la nécessité de constituer les colonnes de soldats acclimatés et entraînés.

La légion étrangère, cédée à l’Espagne, avait été regrettée dès l'expédition de Mascara. Aussi le Ministre avait-il jugé bon de faire décider, par l’ordonnance du 16 décembre 1835, qu’une nouvelle légion composée d’étrangers serait formée sous la même dénomination que l’ancienne. Le 1er bataillon de ce corps devait seul être organisé de suite ; les autres ne devaient être créés que successivement et si les besoins du service l’exigeaient. Toutes les dispositions de l’ordonnance du 10 mars 1831 avaient été remises en vigueur, afin d’organiser le bataillon sur le modèle des anciens[128].

Le Ministre avait décidé que le bataillon se formerait à Pau[129]. Le choix de cette ville pouvait permettre de constituer pour l’ex-légion, qui combattait vaillamment en Espagne, une sorte de dépôt permettant de combler ses vides. Le bataillon s’était recruté rapidement, si bien qu’au début de juin 1836 il était à peu près formé. Le Ministre prit alors le 7 juin la décision suivante : « Pour que rien ne puisse gêner la faculté, que doit toujours avoir le Gouvernement, d’envoyer les hommes de la nouvelle légion étrangère partout où il le jugera convenable, dorénavant les engagements souscrits par des étrangers pour ladite légion contiendront une disposition additionnelle ainsi conçue : Le contractant a promis également de suivre la légion, ou toute fraction de la légion, partout où il contiendrait au Gouvernement de l’envoyer[130]. »

Cette prescription ne pouvait avoir d’effet rétroactif. Le Gouvernement, désireux d’envoyer des renforts à l’ex-légion en Espagne, usa alors d’un moyen plus habile que loyal : par ordonnance du 1er août 1836, il licencia six compagnies, mais il décida de les réorganiser au fur et à mesure que le nombre d’étrangers se présentant dans la légion le rendrait nécessaire[131] ! Les légionnaires qui acceptèrent d’aller servir en Espagne formèrent un bataillon et furent ainsi envoyés à l’ex-légion, en prenant son statut, hors de l’armée française[132].

Comme le nombre des candidats à l’engagement accourus à Pau était considérable, les six compagnies licenciées purent être reconstituées dès octobre 1836 ; puis, deux autres ayant été recrutées, l’effectif du bataillon se trouva au complet en novembre. Le bataillon, aux ordres du commandant Bedeau, était composé en grande majorité de Hollandais, ayant bon esprit, mais trop enclins à deux fautes qui se sont perpétuées depuis à la légion : la désertion et la vente d’effets[133]. Il alla en décembre à Toulon s’embarquer pour Alger, et reprendre au sein de l’armée d’Afrique les traditions d’un corps qui devait y devenir glorieux entre tous.

Les militaires qui avaient été réunis à Pau en prévision d’un renforcement de l’aide apportée au régime constitutionnel en Espagne donnèrent en outre naissance à un nouveau corps : le bataillon de tirailleurs d’Afrique. Ce bataillon fut créé par ordonnance du 28 octobre 1836, pour être employé dans les possessions du nord de l’Afrique ; il comptait huit compagnies, une de grenadiers, une de voltigeurs et six de fusiliers, soit en tout, avec l’état-major et la section hors rang, 810 sous-officiers, caporaux et soldats, et 8 enfants de troupe. Son uniforme et son armement étaient ceux des régiments d’infanterie de ligne, « sauf que le schako était remplacé par la casquette en usage dans tous les corps d’infanterie employés en Afrique, et que le bouton à numéro était remplacé par un bouton de même forme, à étoile, avec la légende : « Tirailleurs d’Afrique[134]. »

Ce bataillon a été, par suite de sa dénomination, confondu bien souvent avec d’autres unités : soit avec les tirailleurs indigènes, quoiqu’il fût composé d’Européens, soit avec les bataillons d’infanterie légère d’Afrique, dont il était complètement différent. Il ne devait d’ailleurs pas avoir une longue existence.

La « légion étrangère » et les « tirailleurs d’Afrique » allaient constituer des corps spéciaux dont les expéditions de Clauzel et de Bugeaud avaient montré le besoin.

Ces expéditions avaient puissamment aidé à former et à aguerrir les troupes qui y avaient pris part. Elles avaient permis aux chefs et aux soldats de mieux connaître le pays, le climat, les adversaires, et d’acquérir une expérience pratique que nul enseignement théorique ne peut remplacer.

Au cours des marches et combats sous la pluie, la neige ou le soleil, au hasard des bivouacs établis dans la boue ou sur le sol rocailleux, dans les camps où régiments français et contingents indigènes séjournaient côte à côte, s’étaient instruites et amalgamées des troupes qui commençaient, par leur adaptation aux conditions locales, à mériter leur nom d’« armée d’Afrique ».

 

 

 



[1] Le maréchal Ministre de la Guerre au maréchal comte Clauzel, gouverneur général des possessions françaises du Nord de l’Afrique, de Paris, 17 juillet 1835 (minute).

[2] Voir les détails de son entrée en fonctions dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 121-125.

[3] Le maréchal Clauzel au Ministre de la Guerre, d’Alger, 27 septembre 1835.

[4] Duc d’Orléans, Campagnes de l’armée d’Afrique, 1835-1839, pages 38-39.

[5] Mémoires du général Changarnier, publiés par Henry d’Estre, Paris, 1930, page 19.

[6] Mémoires du général Changarnier, publiés par Henry d’Estre, Paris, 1930, page 39.

[7] Le maréchal Clauzel, gouverneur général des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique, au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, d’Alger, 22 août 1835 (original).

[8] Promulguée au Moniteur Universel du 5 juillet 1835.

[9] Voir : Capitaine Paul Azan, La Légion étrangère en Espagne, 1835-1839, Paris, 1907.

[10] Journal militaire, 1835, n° 19, page 252.

[11] Général J. Bernelle et Auguste de Colleville, Histoire de l'ancienne légion étrangère, Paris, 1850, page 87.

[12] Le capitaine de zouaves Demoyen au lieutenant-colonel Duvivier, 55, rue Saint- Dominique Saint-Germain, à Paris, d’Alger, 17 juillet 1835 (original).

[13] Le lieutenant-général baron Rapatel, commandant les troupes à Alger, au colonel Bernelle, commandant la légion, d’Alger, 17 juillet 1835.

[14] Le Gouverneur général au Ministre de la Guerre, d’Alger, 18 juillet 1835.

[15] Bernelle et Colleville, Histoire de l'ancienne légion étrangère, Paris, 1850, pages 88-89.

[16] Bernelle et Colleville, Histoire de l'ancienne légion étrangère, Paris, 1850, pages 180 à 184.

[17] Bernelle et Colleville, Histoire de l'ancienne légion étrangère, Paris, 1850, pages 91-92.

[18] Voir : Capitaine Paul Azan, La légion étrangère en Espagne, (1835-1839), Paris, 1907.

[19] Le maréchal de camp d’Arlanges au général de Castellane, d’Oran, 2 septembre 1835. Campagnes d’Afrique, 1835-1848, pages 5 et 6.

[20] Ordre général n° 6, d’Oran, 23 novembre 1835 (original).

[21] Le maréchal Clauzel au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, d’Alger, 12 novembre 1835 (original).

[22] Le maréchal Clauzel au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, d’Alger, 13 novembre 1835 (original).

[23] Le lieutenant-colonel vicomte Maison au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, d’Alger, 13 novembre 1835 (original).

[24] Le capitaine Carbuccia au lieutenant-colonel Duvivier, d’Alger, 19 novembre 1835, (original).

[25] Le capitaine d’Elchingen à la duchesse d’Elchingen, d’Alger, 12 novembre 1835 (original). Archives La Moskowa.

[26] Le lieutenant-colonel vicomte Maison au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, d’Alger, 13 novembre 1835 (original).

[27] Le chef de bataillon de la Moricière à un général, d’Oran, 22 novembre 1835 (original).

[28] Ordre général, Oran, 21 novembre 1835 (original).

[29] Maréchal Canrobert, Souvenirs d'un siècle, Paris, Plon, tome I, 1898, page 222.

[30] Blanc, Souvenirs d'un vieux zouave, 2e édition, 1880, tome I, page 39.

[31] Ordre général, n° 10, Oran, 24 novembre 1835 (original).

[32] Note du conseiller d’État Martineau en date du 18 novembre 1835, au directeur du personnel et des opérations militaires (original).

[33] Le chef de bataillon de la Moricière au lieutenant-général Rapatel, d’Oran, 22 novembre 1835 (original).

[34] Le maréchal de camp marquis Oudinot, commandant la 1re brigade, au maréchal Clauzel, d’Oran, 23 novembre 1835 (original).

[35] Le général marquis Oudinot au maréchal Clauzel, du camp du Sig, 1er décembre 1835, 11 h. ½ du soir (original).

[36] Le colonel (Leroy) Duverger, chef de l’état-major de l’armée d’Afrique, au général d'Arlanges, commandant à Oran, d’Oran, 31 décembre 1835 (original).

[37] Le chef de bataillon de la Moricière au lieutenant-général Rapatel, d’Oran, 26 novembre 1835 (original).

[38] Le maréchal Clauzel au Ministre de la Guerre, 28 novembre 1835 (dépêche télégraphique de Toulon).

[39] Le maréchal Clauzel au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, de Mostaganem, 14 décembre 1835 (original), page 6.

[40] Le maréchal Clauzel au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, de Mostaganem, 14 décembre 1835 (original), page 12.

[41] Le maréchal Clauzel au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, de Mostaganem, 14 décembre 1835 (original), page 19.

[42] Capitaine Blanc, Récits d'un officier de l'armée d’Afrique, Paris, 1893, pages 18-19.

[43] Capitaine Blanc, Souvenirs d'un vieux zouave, 2e édition, 1880, pages 57-58.

[44] Capitaine Blanc, Récits d'un officier de l'armée d'Afrique, 1893, page 11.

[45] Maréchal Canrobert, Souvenirs d'un siècle, édités par Germain Bapst, Paris, 1913, tome I, page 219.

[46] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 2e édition, Paris, 1890, page 29.

[47] Le capitaine Forey, du 2e léger, au général de Castellane, 9 décembre 1835. Cam- pages d'Afrique, 1835-1848. Lettres adressées au maréchal de Castellane, Paris, 1898, page 31.

[48] Le capitaine Forey, du 2e léger, au général de Castellane, 9 décembre 1835. Cam- pages d'Afrique, 1835-1848. Lettres adressées au maréchal de Castellane, Paris, 1898, pages 24-25.

[49] Le maréchal Clauzel au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, de Mostaganem, 14 décembre 1835 (original), page 33.

[50] Duc d’Orléans, Campagnes de l'armée d'Afrique, 1835-1839, Paris, Michel Lévy, 1870, page 69.

[51] Blanc, Souvenirs d'un vieux zouave, 2e édition, 1880, tome I, pages 60-62.

[52] Blanc, Souvenirs d'un vieux zouave, 2e édition, 1880, tome I, pages 60-62.

[53] Le colonel de Gouy, commandant le 2e chasseurs d’Afrique, au général baron Marbot, commandant la 1re brigade, de Mostaganem, 13 décembre 1835 (original).

[54] Le maréchal Clauzel au maréchal marquis Maison, d’Alger, 27 décembre 1835. Fac-similé dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, page 131.

[55] Blanc, Souvenirs d’un vieux zouave, 2e édition, 1880, tome I, pages 35 à 38.

[56] Maréchal Canrobert, Souvenirs d'un siècle, Paris, Plon, tome I, 1898, page 215.

[57] Maréchal Canrobert, Souvenirs d'un siècle, Paris, Plon, tome I, 1898, page 231.

[58] Duc d’Orléans, Récits de campagne, 1833-1841, 2e édition, Paris, 1890, page 9.

[59] Maréchal Canrobert, Souvenirs d'un siècle, Paris, tome I, 1898, page 216.

[60] Le maréchal Clauzel au maréchal Ministre de la Guerre, de Tlemcen, 23 janvier 1836 (original).

[61] Le maréchal Clauzel au maréchal Ministre de la Guerre, de Tlemcen, 23 janvier 1836 (original).

[62] Cet officier a eu comme signatures successives : baron E. de Richepance, et E. Richepance. Son dossier aux Archives du Ministère de la Guerre porte bien : baron de Richepance.

[63] Le maréchal Clauzel au maréchal Ministre de la Guerre, de Tlemcen, 23 janvier 1836 (original).

[64] Le maréchal Clauzel au maréchal Ministre de la Guerre, de Tlemcen, 23 janvier 1836 (original).

[65] Ordre général n° 64 du maréchal Clauzel, de Tlemcen, 29 janvier 1836 (original).

[66] Le Prévôt de gendarmerie au colonel (Leroy) Duverger, chef d’état-major de l’armée, à Tlemcen. Rapport du 29 au 30 janvier 1836 (original).

[67] Ordre général n° 66, de Tlemcen, 30 janvier 1836 (original).

[68] Le Prévôt de gendarmerie au colonel (Leroy) Duverger, chef d’état-major de l’armée, à Tlemcen. Rapport du 29 au 30 janvier 1836 (original).

[69] Le Prévôt de gendarmerie au colonel (Leroy) Duverger. Rapport du 31 janvier au 1er février 1836 (original).

[70] Le « Juif du Maréchal » était son interprète, le Juif Lasry, d’Oran.

[71] Le capitaine A. de la Tour du Pin au lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis à Bône, d’Alger, 25 février 1836 (original).

[72] Ordre général n° 68, du 1er février 1836, Tlemcen (copie).

[73] Capitaine de Mont Rond, Histoire de la conquête de l‘Algérie de 1830 à 1847, Paris, 1847, tome I, page 272.

[74] Instruction pour M. le capitaine Cavaignac, par le maréchal Clauzel, Tlemcen, février 1836 (copie).

[75] Duc d’Orléans, Campagnes de l'armée d’Afrique, 1835-1839, page 289.

[76] Maréchal Canrobert, Souvenirs d’un siècle, tome I, page 261.

[77] Le maréchal Maison, ministre de la Guerre, au maréchal Clauzel, de Paris, 30 novembre 1835 (original).

[78] Journal militaire officiel, année 1835, n° 41, 2e semestre, page 413. Ordonnance du Roi portant organisation du corps de zouaves à deux bataillons, 25 décembre 1835.

[79] Le capitaine A. de la Tour du Pin au lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis à Bône, d’Alger, 25 février 1836 (original).

[80] Le maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, au Gouverneur général des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique, de Paris, 16 février 1836 (original).

[81] Le maréchal de camp d’Arlanges, commandant à Oran, au lieutenant général Rapatel, d’Oran, 19 mars 1836 (original), et état joint.

[82] Le général Perrégaux au maréchal Clauzel, d’Oran, 31 décembre 1835 (original). — Le colonel de Gouy au général Perrégaux, sans date (original, joint à la lettre précédente).

[83] Le maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, au maréchal Clauzel, gouverneur général, de Paris, 24 mars 1836 (original).

[84] Observations sur les bataillons d’Afrique adressées au lieutenant général baron Rapatel, par le chef de bataillon Montréal, Douèra, 10 janvier 1836 (original).

[85] Le chef de bataillon Menonville au colonel Barthélemy, de Mostaganem, 16 juin 1836 (original).

[86] Le chef de bataillon, Menonville à un général, de Mostaganem, 17 juin 1836 (original).

[87] Justine Pellat est appelée par erreur Justine Pilu dans certains documents, par exemple dans la correspondance du consul général Méchain. Son mari, Claude-Napoléon Pellat, né à Grenoble le 5 mai 1806, était fusilier au 66e de ligne en 1835.

[88] Le consul général Méchain au lieutenant général commandant la province et la place d’Oran, de Tanger, 25 janvier 1836 (original).

[89] Le consul général Méchain au maréchal de camp d'Arlanges, commandant la division d’Oran, de Tanger, 20 avril 1836 (original).

[90] Thiers, ministre des Affaires Étrangères, au Ministre de la Guerre, de Paris, 2 mai et 9 mai 1836 (originaux).

[91] Le maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, au maréchal comte Clauzel, gouverneur général, de Paris, 2 février 1836 (original).

[92] Le Ministre de la Guerre au lieutenant-colonel d’état-major de la Ruë, de Paris, 23 février 1836 (minute).

[93] Le maréchal Clauzel au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 29 février 1836 (original).

[94] Le maréchal Clauzel au Ministre de la Guerre, d’Alger, 6 mars 1836. Dépêche télégraphique et lettre originale comme duplicata.

[95] Le maréchal Clauzel au Ministre de la Guerre, d’Alger, 7 mars 1836 (original).

[96] Le maréchal marquis Maison au maréchal Clauzel, de Paris, 5 mars 1836 (copie).

[97] Le maréchal Clauzel, gouverneur général, au maréchal Ministre de la Guerre, d’Alger, 9 mars 1836 (original).

[98] Le lieutenant général baron Rapatel, commandant les troupes en Afrique, au maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, d’Alger, 22 avril 1836 (original).

[99] Aperçu de la situation politique, commerciale et industrielle des possessions françaises dans le nord de l'Afrique, au commencement de 1836, par L. B., Alger, avril 1836.

[100] Aperçu de la situation politique..., par L. B., Alger, pages 62-63.

[101] Voir : Général Paul Azan, Conquête et pacification de l'Algérie, pages 137-140.

[102] Général du Barail, Mes Souvenirs, tome I, page 15.

[103] Le Ministre de la Guerre au général Rapatel, commandant les troupes à Alger, de Paris, 23 mai 1836 (minute).

[104] Le général Bugeaud au général d’Arlanges, du camp de la Tafna, 11 juin 1836 (original).

[105] Le maréchal de camp d’Arlanges au Ministre de la Guerre, d’Oran, 18 juin 1836 (original).

[106] Comte H. d’Ideville, Le maréchal Bugeaud, tome II, Paris, 1882, pages 17-18.

[107] L’intervention de Bugeaud en ces circonstances est exposée en détail dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 145 à 153.

[108] Le général Bugeaud au maréchal Ministre de la Guerre, lettre-journal de Tlemcen, 24 juin 1846, et Rachgoun, 29 juin (original), pages 9-10.

[109] Le maréchal de camp d’Uzer au lieutenant général Rapatel, commandant les troupes de la Régence, de Bône, 25 novembre 1835 (original).

[110] Le maréchal Clauzel au lieutenant-colonel Duvivier, d’Alger, 12 novembre 1835 (original).

[111] Le maréchal de camp d’Uzer, commandant supérieur, au lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis réguliers et auxiliaires à Bône, de Bône, 18 novembre 1835 (original).

[112] Le maréchal de camp d’Uzer au lieutenant général baron Rapatel, de Bône, 25 novembre 1835 (original).

[113] Le lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis, Bône, 1er décembre 1835 (copie jointe à la lettre du Ministre à Clauzel du 4 février 1836).

[114] Le lieutenant-colonel Duvivier au maréchal comte Clauzel, de Bône, 15 décembre 1835 (original). D’Uzer lui retourna cette lettre en le priant de la rédiger à l’adresse du lieutenant général Rapatel, à qui il la transmettrait.

[115] Le maréchal de camp d’Uzer au lieutenant général baron Rapatel, de Bône, 15 décembre 1835 (original).

[116] Le lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis, au maréchal comte Clauzel, de Bône, 31 janvier 1836 (original).

[117] Le maréchal marquis Maison, ministre de la Guerre, au maréchal comte Clauzel, gouverneur général des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique, de Paris, 4 février 1836 (original).

[118] Le général d’Uzer au baron Rapatel, de Bône, 1er février 1836 (original).

[119] Le Ministre de la Guerre au maréchal Clauzel, de Paris, 15 mars 1836 (original).

[120] Le capitaine A. de la Tour du Pin au lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis à Bône, d’Alger, 25 février 1836 (original).

[121] Séance du conseil d’administration du corps de spahis réguliers, Alger, 1er septembre 1836, reddition de comptes (original).

[122] Ordre général n° 223, Alger, 1er septembre 1836 (ampliation).

[123] Un officier au lieutenant-colonel Duvivier, commandant les spahis réguliers à Alger, de Bône, 31 mai 1836 (original).

[124] Général du Barail, Mes Souvenirs, tome Ier, page 55.

[125] Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, pages 153-158.

[126] Le maréchal Clauzel, gouverneur général, au Ministre de la Guerre, de Bône, 1er décembre 1836 (original).

[127] Le maréchal Clauzel, gouverneur général, au Ministre de la Guerre, de Bône, 1er décembre 1836 (original).

[128] Journal militaire officiel, 1835, n° 39, 2e semestre, page 367. Ordonnance du Roi qui prescrit la formation d’une nouvelle Légion composée d’étrangers, sous la dénomination de Légion étrangère, Paris, 16 décembre 1835.

[129] Journal militaire officiel, 1836, n° 1, page 8. Exécution de l’ordonnance qui prescrit la formation d’une nouvelle Légion composée d’étrangers. Paris, 2 janvier 1836. (Circulaire de la Direction du Personnel et des Opérations militaires).

[130] Journal militaire officiel, 1836, n° 16, 1er semestre, page 417. Décision ministérielle relative aux engagements volontaires pour la Légion étrangère, Paris, 7 juin 1836. (Circulaire de la Direction du Personnel).

[131] Journal militaire officiel, 1836, n° 24, 2e semestre, page 113. Ordonnance du Roi qui licencie six compagnies du bataillon de la Légion étrangère, formées en vertu de l’ordonnance du 16 décembre 1835. Paris, 1er août 1836.

[132] Capitaine Paul Azan, La légion étrangère en Espagne (1835-1839), pages 203-214.

[133] Remarques du général Harispe, inspecteur général. Grisot et Coulombon, La légion étrangère, Paris, 1888, page 49.

[134] Journal militaire officiel, année 1836, n° 31, 2e semestre, pages 351 et suivantes. Ordonnance du Roi qui prescrit l’organisation d’un nouveau corps, sous la dénomination de bataillon de Tirailleurs d’Afrique.