RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

TOME TROISIÈME. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE (SUITE).

CULTES. — LE CLERGÉ CATHOLIQUE.

CHAPITRE II. — ÉVÊQUES, CHAPITRES ET ADMINISTRATION RELIGIEUSE.

 

 

Division ecclésiastique de la France. — Diocèses, trop grands ou trop petits, trop rares ou trop nombreux. — Hiérarchie des évêchés selon leur revenu, leur proximité de Paris. — Titres et situation sociale des évêques, des cardinaux. — Ils résident et administrent peu. — Personnel du haut clergé sous Louis XIII ; se recrute parmi les familles en faveur. Autorité insuffisante de l'Ordinaire. — Les chanoines, les Ordres religieux s'y soustraient. — Constitution et vie indépendante des chapitres. — Leur revenu, comment il est réparti. — Relâchement de l'observance. — Réforme de la liturgie ; adoption presque universelle du bréviaire romain.

 

L'Église de France, dit un mémoire de 1626, se compose de 15 archevêchés, 100 évêchés garnis de cures, 50.000 paroisses, compris celles des villes et bourgs[1], 1.400 abbayes, 13.000 prieurés, 256 commanderies de Malte, 152.000 chapelles ou chapellenies, 667 abbayes de religieuses, 700 couvents de Cordeliers ou Frères Minimes, 14.075 couvents de Carmes, Célestins, Augustins, Jacobins, Chartreux, Jésuites et autres... La carte de ces 115 archevêchés ou évêchés, dont beaucoup ne subsistent plus, offrait d'inconcevables bizarreries ; créés un par un aux époques d'évangélisation, comme les vicariats apostoliques de la Chine et du Japon, remaniés au moyen âge selon les nécessités féodales, ils se trouvaient fort inégalement répartis sur la surface unifiée de la France du dix-septième siècle[2]. Il y en avait 13 en Provence et 6 seulement en Dauphiné, 28 en Languedoc et Gascogne, et 2 seulement en Bourgogne. Certains diocèses étaient beaucoup trop grands ou infiniment petits ; les uns avaient treize cents paroisses, comme Rouen, Bourges ou Autun, ou même dix-sept cents paroisses, comme Chartres ; d'autres n'en avaient que 75, comme Mirepoix et Agde, ou même 30, comme Saint-Paul-Trois-Châteaux. Des quatre systèmes géographiques, établis à diverses époques et en vue de divers intérêts, militaires, financiers, judiciaires ou religieux, aucun ne cadrait avec les autres, sauf dans les provinces où le diocèse lui-même servait d'unité administrative, comme la Bretagne ou le Languedoc[3]. Mal définis, de là beaucoup d'empiétements mutuels et de perpétuelles discussions. L'assemblée du clergé dut faire un règlement en 1636 contre les archevêques et évêques qui entreprenaient sur les diocèses des autres. Elle défendit de donner un visa refusé par un prélat voisin, d'absoudre de ses censures, à moins que l'on ne fût hiérarchiquement son supérieur. Ce règlement demeura malheureusement sans force, puisque, trente ans plus tard, une lettre circulaire du clergé de France revenait encore sur les mêmes abus[4].

Entre les évêchés, ceux qui avoisinaient Paris étaient fort recherchés, comme le sont aujourd'hui les places administratives. Ils se mesuraient aussi au revenu ; on voit des prélats transférés d'un diocèse qui nous parait fort important, en un autre qui nous semble infime ; c'est pourtant un avancement, parce que le second rapporte plus que le premier. Par suite de ces inégalités, tel officie avec des chapes de superbe drap d'or et des gants violets couverts de pierreries étincelantes ; tel autre n'a pas de quoi se payer une dalmatique ; tel doit recourir au Parlement pour se faire octroyer, par les consuls de sa ville épiscopale, un logement commode[5]. Bien que les évêques eussent droit, en principe, aux mêmes honneurs que les gouverneurs de province, un pauvre prélat crotté, comme s'intitulait Richelieu à Luçon, ne peut marcher du même pas que les archevêques ducs et les évêques comtes pairs du royaume ; il ne peut non plus se comparer aux archevêques comtes de Lyon, aux évêques princes de Grenoble, aux évêques comtes d'Uzès, comtes de Valence et Die, vicomtes de Paris. Leur position humaine et mondaine est si belle, que plusieurs en Perdent de vue la mission religieuse qui devrait demeurer l'occupation principale du titulaire, comme elle fut la base de la richesse de ses prédécesseurs. Ce M. de Marcillac que ses chanoines de Mende supplient de coucher en son seing la qualité d'évêque, et non pas seulement celle de comte de Gévaudan, comme il fait n'est pas un mauvais ecclésiastique[6] ; mais le soin de ses fiefs innombrables et de ses possessions territoriales situées dans ses paroisses, — les huit barons du Gévaudan, ceux d'Alais, les comtes de Rodez et même les rois d'Aragon sont ses vassaux, — l'absorbe complètement, et obscurcit à sa vue son titre clérical. Cette paire d'éperons que tel chapelain lui doit à son entrée solennelle, ce sceptre de vermeil qu'on porte devant lui dans les cérémonies, et qu'on dépose sur l'autel pendant les offices, sont des vanités éminemment profanes pour un successeur des apôtres, surtout quand au lieu d'arriver au siège épiscopal par l'acclamation des fidèles, ou par le vote raisonné de ses confrères, comme au moyen âge, il doit souvent son élévation à l'entregent de sa famille, ou aux compensations de la politique.

S'il se soucie peu de maintenir la coutume vieillie, par laquelle les quatre barons de l'évêché, — les quatre pairs, — doivent le porter sur une chaire, depuis la porte de la ville jusqu'à la cathédrale, soit en personne, soit par suppléants ; s'il se contente, dès le seizième siècle, d'un simulacre, se bornant, au moment où les barons s'apprêtent à le soulever sur leurs épaules, à en prendre acte, et déclarant qu'il veut aller à pied ; en revanche, il part pour les Etats de la province avec son aumônier, ses deux valets de chambre, son maître d'hôtel, ses chefs de cuisine et d'office, leurs garçons, ses quatre laquais, son suisse et ses deux porteurs[7]. Ces sieurs évêques ne surmontent pas leurs armes d'une couronne comme de nos jours ; on ne les appelle pas monseigneur comme ceux d'aujourd'hui ; mais s'ils ne jouissent point de ces prérogatives qui nous plaisent, parce qu'elles contrastent avec la rude et modeste vie de nos prélats contemporains[8], ils méritent ces reproches que le bon Camus, évêque de Belley, leur adresse en chaire sur leur extérieur et leur costume. Avons-nous pudeur de paraître, par notre tonsure, cette couronne cléricale que l'on porte bien peu, et qui rappelle la couronne d'épines, les sacrés esclaves du Rédempteur ? Quoi ! nous sommes si rigoureux là-dessus en nos petits clercs, choristes ou novices, et si relâchés en notre regard[9] ! Pour les habits, c'est de même... je parle à vous, messieurs les prélats, que dis-je ? mais à moi-même qui prêche. Que faisons-nous avec ces habits laïques, où sont nos soutanes, nos camails violets... ? Le port de la croix d'or, combien est-il, je n'ose dire négligé, mais délaissé par plusieurs, de peur d'être, ce semble, reconnus parmi les gens de dévotion[10].

De semblables pasteurs peuvent avoir de grandes qualités et beaucoup de vertus, mais ils n'ont guère celles de leur fonction. On demande au pouvoir civil de les contraindre à exécuter régulièrement et gratuitement les visites diocésaines, tous les ans, en personne, de sorte qu'ils aient vu toutes leurs paroisses dans un délai déterminé. La cour des Grands-Jours de 1634 les exhorte platoniquement à faire ces tournées, et, donner ordre que la parole de Dieu soit annoncée au peuple, par gens capables et de bonne vie, que les sacrements soient dignement administrés, les églises réparées et garnies de toutes choses nécessaires... L'évêque devait donner, ou faire donner, — car il ne parait pas qu'il y fût lui-même astreint, — la confirmation, tous les sept ans, au maximum, dans la totalité de son diocèse. L'évêque de Saint-Malo confirme, en 1642, deux mille personnes en une seule paroisse, ce qui fait supposer qu'il n'y était pas venu depuis longtemps[11]. Nous ne prétendons pas que cette indolence fût générale. — L'évêque d'Angers, par exemple, a visité ou fait venir au chef-lieu le clergé de 240 communes en l'espace de douze ans, — mais le peu de goût de grand nombre de prélats pour la résidence, et par suite pour l'administration, sont choses de notoriété historique ; être exilé dans son diocèse, est une punition tout à fait sévère, que l'on inflige seulement à ceux qui ont notoirement démérité de la cour. Si l'on jette les yeux sur la liste des hauts dignitaires du clergé, sous le règne de Louis XIII, on est frappé du don presque exclusif des évêchés aux membres des familles en faveur. L'évêque d'Orléans est l'Aubespine, frère du garde des sceaux ; celui de Nîmes est Thoiras, frère du maréchal ; celui de Tours est Bouthillier, frère du surintendant ; celui de Mende est Sublet, frère du secrétaire d'État de la guerre ; ceux de Chartres, de Nantes, de Bordeaux, de Toulouse, sont MM. d'Estampes, de Beauvau, de Sourdis, de la Valette[12], tous confidents du cardinal de Richelieu, employés par lui dans les armées ou les ambassades ; l'archevêque de Lyon est son frère, le cardinal Alphonse ; et du plus grand au plus petit, chacun case ainsi sa parenté. A Marseille est un Loménie, à Beauvais un Potier, à Vienne un Villars, à Grenoble un Scarron, à Maillezais un Béthune, à Auxerre un Séguier, à Senlis un Sanguin, fils du premier maître d'hôtel du Roi, à Saint-Malo et à Rouen deux Harlay, à Noyon un d'Estrées, à Luçon un Bragelogne, frère du trésorier de l'Épargne, à Saint-Flour un Noailles, à Gap un Lionne, à Agen un Haillon du Lude, à Coutances un Matignon, à Rennes un la Mothe-Houdancourt, à Sens un Bellegarde ; à Paris, les Gondi se succèdent d'oncles en neveux pendant un siècle. Il n'y a de notre part dans cette énumération, que nous pourrions faire beaucoup plus longue[13], aucune intention de satire ; aussi bien les faits dont nous indiquons le détail, sont connus dans leur ensemble. Ce que nous tenons à mettre en lumière, c'est qu'avec l'usage fait par l'État de son droit de nomination, la dignité épiscopale, le revenu qu'elle procurait, ne semblaient obliger l'ecclésiastique à aucun devoir spécial envers la portion de territoire qu'on lui confiait. L'intègre et savant du Vair, premier président du parlement de Provence, résidant à Aix, est en même temps évêque de Lisieux, en Normandie, où il ne va jamais ; tout le monde trouve la chose très-naturelle, lui tout le premier, sans doute, puisqu'il conserve ces deux postes.

A côté de cet abus, introduit par l'État et dont il est responsable, en existe un autre, qui tire son origine d'ailleurs, que le concile de Trente a combattu, et pour lequel cependant le gouvernement français est plein d'indulgence, parce qu'il ne le gène pas : la mousse des exemptions, qui, dit saint François de Sales, a fait tant de mal à l'arbre de l'Église, et enlevé à l'évêque presque tout pouvoir. Quand même le prélat réside, il lui est difficile d'administrer ; chacun cherche à se soustraire à son autorité ; le temporel des paroisses ne le regarde pas, les fabriques sont indépendantes ; il n'a que peu de curés à nommer, et les religieux dont souvent les cures dépendent, échappent à sa juridiction, pour ne relever que du Saint-Siège. L'archevêque de Rouen se plaint que Jumièges lui rompt en visière, que Saint-Wandrille (autre abbaye) est une seconde Rochelle où sans loi, sans ordre, et contre les concordats, on secoue le joug de l'Église. Il finit par obtenir gain de cause, et lui séant en sa chaire sous le dais de la croix, contraint tous les moines de son diocèse de venir, ordre après ordre, lui demander pardon à genoux, et témoigner leur repentir de s'être assemblés sans permission[14]. Mais de pareilles exécutions, précédées de pénibles procédures au Parlement, laissaient au cœur des deux partis une rancune belliqueuse, qui ne cherchait qu'une occasion de s'assouvir.

Le prélat peut être populaire, comme Montchal, accueilli à Toulouse au retour d'un voyage, par plus de vingt carrosses et de cent cavaliers qui se portent au-devant de lui ; il peut être absolu comme Sourdis, qui appuyé sur sa crosse et verge pastorale, chasse lui-même de sa cathédrale de Bordeaux les gardes du duc d'Épernon qu'il a excommuniés ; il n'en sera pas moins en butte aux résistances d'un abbé qui revendique la juridiction spirituelle sur un faubourg de sa ville métropolitaine, aux réclamations de son propre chapitre, qui lui interdit de publier un mandement, sans l'avoir précédemment consulté comme son sénat et conseil[15]. Terribles adversaires que les chanoines ; les fastes judiciaires sont remplies de leurs démêlés avec les premiers pasteurs. Le chapitre a généralement l'administration de la cathédrale, il nomme des concurés ou vicaires perpétuels, dans les églises du chef-lieu, les choristes, le précepteur des enfants de chœur ; confère les prébendes, hebdomadiés, chapelles ; il entend enfin n'être tenu qu'à porter respect et honneur à l'évêque. Encore est-ce à la condition que l'évêque ne le trouble pas dans la possession de ses droits. Les chanoines d'Angers ôtent le Saint Sacrement, posé publiquement par l'évêque sur le grand autel, parce qu'ils voient là un empiétement dangereux sur leurs prérogatives. Quant aux excommunications lancées contre eux par le chef du diocèse, elles demeurent vaines ; ils ne relèvent pas de lui ; et pour maintenir ces exemptions, ils s'opposent, de concert avec la magistrature, à la réception en France du concile de Trente qui les abolit[16].

Les chapitres étaient plus ou moins riches, nombreux ou puissants, soit qu'ils fussent d'église royale, ou collégiale, soit que les donateurs primitifs eussent été plus ou moins généreux, et que les dimes eussent grossi ou diminué dans la suite des âges. Au synode tenu par le chapitre du Mans, comparaissent les 40 curés qui en dépendent, 92 chapelains de la ville et de la campagne (car dans une église, toute chapelle a son titulaire, un simple autel a son desservant ; petits bénéfices enfermés dans le grand, et qui toutefois ont leur autonomie), les officiers et les huit vicaires du chapitre, 63 choristes, 14 clercs, 8 enfants de la psallette. Saint-Martin de Tours a 84 chanoines, — dont 28 honoraires sur lesquels moitié sont laïques, — 11 dignitaires : abbé, doyen, trésorier, chantre, écolâtre, sous-doyen, cellerier, chambrier, aumônier, 15 prévôts et 56 vicaires, en tout 263 bénéficiers ; plus que le personnel de certains diocèses[17]. La préséance entre les principales fonctions du chapitre n'a rien de fixe ; elle dépend des usages locaux, des chartes anciennes, de mille subtilités. Un arrêt du grand conseil nous apprend que le chantre — ce chantre immortel dont la lutte épique avec le trésorier fait le sujet du Lutrin — peut être ou personat, et dans ce cas il ne jouit que d'une prééminence sans juridiction, ou dignité, et alors il passe immédiatement après à doyen, est maitre du chœur, a comme tel la direction du service divin, et, le bâton cantoral en main, ordonne du chant, et corrige les contrevenants. Le chiffre d'une centaine de membres par chapitre est une moyenne qui n'a rien d'excessif[18]. Mais entre les prébendés et serai-prébendés, — ces derniers équivalaient à la moitié d'un chanoine, — qui forment le haut personnel de la cathédrale, et la masse de ces officiers du bas chœur : heuriers, matutiniers, clercs, etc., auxquels on permet le port d'une aumusse en peau d'écureuil, et non autre, entièrement différente de celle des chanoines, il y a une incommensurable distance. L'association était tellement de droit commun, au moyen âge, que ces petits s'étaient créé une vie propre ; les enfants de chœur avaient fait de même ; ce sont trois congrégations en une seule, dont chacune a ses comptes séparés, ses revenus, ses receveurs, ses procès[19].

Les biens d'un chapitre, qui varient de 10.000 livres à 200.000 et plus, consistent en dimes, en propriétés foncières : à Agen 600 sacs de blé, 50 barriques de vin ; à Tours, près de 80 domaines et 24 closeries. Les rentes servent, pour un quart ou un tiers, au payement des dépenses : frais du culte et de la musique, sonnerie des cloches, gages de l'avocat, du chirurgien ; dons et aumônes aux paroisses où l'on perçoit la dîme[20]. Le reste est divisé entre les bénéficiaires à proportion de leur grade, mais avec une extrême inégalité, les uns touchant des parts opulentes, les autres à peine de quoi vivre. Les hebdomadiers, qui n'ont que 157 livres de Pension annuelle, doivent plaider pour obtenir la portion congrue de 200 livres, le summum de leurs ambitions.

Où était le temps, en effet, où les canonicats et les prébendes n'étaient donnés qu'à ceux qui avaient été enfants de chœur, chantres, machecots et clercs de matines, élevés et nourris en l'église, qui en avaient parcouru les dignités ? Ce sont eux cependant qui sauvent les apparences, en accomplissant les devoirs capitulaires, auxquels les hauts personnages, qui bien souvent ne résident pas, se soustraient, lors même qu'ils résident. Moi, dit le cheffecier, je suis maître du chœur ; qui me forcera d'aller à matines ? Mon prédécesseur n'y allait point ; suis-je de pire condition ? Ce n'est point, dit l'écolâtre, mon intérêt qui me mène, mais celui de la prébende ; il serait bien dur qu'un grand chanoine fût sujet an chœur pendant que le trésorier, l'archidiacre, le pénitencier et le grand vicaire s'eu croient exempts. Je suis bien fondé, dit le prévôt, à demander la rétribution sans me trouver à l'office ; il y a vingt années entières que je suis en possession de dormir les nuits, je veux finir comme j'ai commencé, et l'on ne me verra point déroger à mon titre ; mon exemple ne tire point à conséquence. Enfin, c'est entre eux tous, à qui ne louera point Dieu, à qui fera voir par un long usage qu'il n'est point obligé de le faire ; l'émulation de ne point se rendre aux offices divins ne saurait être plus vive ni plus ardente. Les cloches sonnent dans une nuit tranquille, et leur mélodie, qui réveille les chantres et les enfants de chœur, endort les chanoines, les plonge dans un sommeil doux et facile, et qui ne leur procure que de beaux songes. Ils se lèvent tard et vont à l'église se faire payer d'avoir dormi[21].

Leur attitude, lorsqu'ils sont présents, n'est guère respectable : le doyen de Saint-Germain l'Auxerrois requiert que défenses soient faites aux chanoines de se laisser suivre dans le chœur par leurs chiens, de dormir, changer de place, deviser, ni lire aucun livre durant le service divin, ou commettre aucun acte d'irrévérence, à peine d'être rayés du nombre des assistants. On leur interdit également d'aller aux tavernes et cabarets[22]. Quelques chapitres tentent, il est vrai, des réformes sérieuses ; au Mans, les nouveaux venus ne jouissent de leur canonicat a qu'après avoir achevé leur Rigoureuse e, c'est-à-dire un an de résidence ininterrompue. Un pointeur, nommé à cet effet, constate leur présence chaque jour par une piqûre au tableau, fait son rapport sur les absents et les malades[23]. Louables essais, mais qui sont rares et durent peu. Ces règles, que la ferveur seule de ceux qui les ont faites peut maintenir, séduisent médiocrement des hommes qu'un arrangement de famille, en leur prescrivant leur vocation, n'a pu obliger à la sainteté.

La seule réforme dans le clergé séculier qui signale cette époque, est celle des livres liturgiques. Il est plus aisé de changer les choses que les gens. Pie V, selon les décrets du concile de Trente, avait prescrit la récitation du bréviaire romain réformé, à toutes les églises qui ne possédaient pas de bréviaire particulier, ayant au moins 200 ans de date. L'unité de langue avait disparu depuis la fin du seizième siècle ; chaque pays catholique employait la sienne dans les églises, sauf pour la célébration du culte, où le latin est de rigueur. En Vénétie et Dalmatie, on disait même l'épître et l'évangile en langue esclavonne, ainsi que d'autres parties de la messe[24]. Il était important, au moment où la langue mort e de Cicéron allait mourir en quelque sorte une seconde fois, de fixer le texte uniforme des livres saints dont l'Église universelle se servait chaque jour. Il y eut à cet égard un mouvement très-franc et très-volontaire ; tous les diocèses y obéirent ; le cardinal de Richelieu rendit un arrêt en 1631 désignant les imprimeurs des bréviaires, diurnaux et missels réformés. Mais déjà à Troyes en 1616, à Vannes en 1617, à Mende et Amiens en 1618, à Angers et au Mans en 1623, presque partout en un mot, on avait réduit à l'usage romain, les anciens rituels locaux[25].

 

 

 



[1] Il y a dans ce chiffre une exagération évidente. Voyez notre tome II, Appendice.

[2] Des 15 archevêchés de ce temps, 4 ont été supprimés, Arles, Narbonne, Embrun et Vienne. — En 1642, deux évêchés nouveaux furent érigés à Pignerol et à la Rochelle. — Le doyenné de Beaurevoir (arr. actuel de Saint-Quentin) bien que situé en France, dépendait de l'archevêque de Cambrai qui le faisait administrer par un grand vicaire. — Arrêt du conseil privé 12 juin 1635. — Aff. Étrang., t. 783, fol. 134. — Lettres et papiers d'État, VII, 897.

[3] DAVITY, États de l'Europe, p. 128. — Arch. Haute-Garonne C. (Introd.) — Règlement du 11 janvier 1636. — Certains diocèses sont divisés en archidiaconés ou archiprêtrés qui comprennent une cinquantaine de paroisses, soit la valeur de 4 ou 5 cantons : dans d'autres, les archiprêtrés ne comptent que 8 à 12 paroisses, c'est-à-dire une cure décanale d'aujourd'hui. — Arch. dép. Landes.

[4] (Le 29 mars 1666.) Monsieur d'Arles faisait remarquer (en 1636) qu'en plusieurs diocèses, les évêques ne signaient même pas l'expédition des lettres des ordres, et les laissaient signer à leurs secrétaires. — Les évêques se plaignaient aussi que le chancelier de Notre-Dame ou de l'Université délivrât des collations de bénéfices, sur des signatures de cour de Rome, par ordre du Parlement de Paris.

[5] A Montauban. Arch. dép. Haute-Garonne B, 553. — Voyage de Th. CORYATE à Paris, en 1608, p. 17. — Lettres et papiers d'État, I, 24.

[6] Arch. dép. Lozère, G. 1076. (En 1632.) — RICHELIEU, Mémoires, II, 571. — L'usage n'existe pas encore de signer du nom de baptême avec le mot évêque de... On voit dans les Mémoires de MONTCHAL (II, 749) des signatures avec le nom de famille : L. Duchesne, év. de Senez ; ou d'autres simplement libellées : l'évêque de Riez.

[7] Arch. dép. Lozère G, 41, 669, et introduction. En 1790, les revenus de l'évêché de Mende étaient de 86.000 livres. Les barons qui lui devaient l'hommage, le rendaient non-seulement pour eux, mais pour bien d'autres ; le Sr de Canillac pour 12 fiefs, et le Sr de Tournel pour plus de 20.

[8] On ne donnait même pas toujours le titre de Monseigneur aux cardinaux ; Richelieu l'exigea. Il n'y eut que deux hommes en France qui aient cru pouvoir se dispenser de l'appeler Monseigneur : les ducs d'Épernon et de Sully. Encore le dernier y vint-il sur la fin de ses jours, en lui écrivant pour lui demander un service. (Aff. Étrang., t. 804, fol. 308.)

Quant à Éminence, nous n'avons pas vu, jusqu'en 1629, une seule lettre qui porte cette qualification. Quelques correspondants écrivent Votre Grandeur, mais en petit nombre, et ce sont des gens de petite condition. En 1631, des ecclésiastiques commencent à appeler le cardinal Éminence. L'arch. de Toulouse, DE MONTCHAL (Mémoires, I, 242) raille ceux qui baptisent Richelieu du titre de Monseigneur, en parlant de lui. En 1637, la reine de Suède donne au cardinal de l'Éminence, mais c'est pour lui faire honneur. (RICHELIEU, Mémoires, III, 236.) A cette époque, tout le monde le nommait déjà ainsi. Le Roi, comme on sait, appelait les membres du Sacré Collège Monsieur le cardinal (de vive voix) et mon cousin (par écrit). En Espagne le Roi leur écrit : Muy Reverendo in Christo Padre.

[9] Thomas COMTE, dans son Voyage à Paris en 1608 (p. 17), raille en sa qualité de protestant, les enfants de chœur qui, dit-il, ne pouvaient manquer d'exciter la compassion d'un spectateur sensible ; on ne leur avait pas laissé sur la tête le quart des cheveux qu'ils avaient en sortant des entrailles de leur mère ; et leur crâne était rasé si nettement, qu'il n'y restait plus que la racine même des cheveux. Triste spectacle à mon avis, quoique les papistes le considèrent comme pieux...

[10] CAMUS, Désordre des Trois Ordres, 24. — DE MONTCHAL, arch. de Toulouse, Mémoires, II, 391. — Camus blâme la moustache que portait Je clergé, contrairement aux canons, parce qu'il y a toujours dans le poil de la lèvre supérieure quelque amusoir d'impertinence. — A la même époque, il y a sur le siège de Séez, Jacques Camus de Pontcarré, promu en 1614, mort en 1650, qui ne doit pas être confondu avec le célèbre évêque de Belley, ami de saint François de Sales.

[11] Arch. Morbihan E, préface 80. — Arrêt du Parlement du 18 juin 1633. — Arrêt de la cour des Grands Jours de Poitiers du 20 septembre 1634. — PICOT, États Généraux, III, 473. — Arch. dép. Maine-et-Loire, G, 21.

[12] Celui-ci avait été nommé archevêque de Toulouse à trente et un ans. On exigeait seulement trois ans de prêtrise pour être promu évêque ou archevêque (Déclaration d'avril 1643). Aussi n'est-il pas rare de voir un évêque nommé, soutenir des actes pour l'obtention du bonnet de docteur. Richelieu, lorsqu'il subit les siens, était même évêque sacré, et revêtu des marques de sa dignité.

[13] Du Perron, évêque d'Angoulême ; Hacqueville, de Soissons ; Hurault, de Chartres ; Habert, de Cahors ; Malien du Houssaye, de Troyes ; Fremyot, de Bourges ; de Broc, d'Auxerre ; de Guron, de Tulle ; La Roche-Posay, de Poitiers ; Balt. de Budos, d'Agde ; de Rieux, de Léon ; de La Rochefoucault, d'Angoulême ; de Brichanteau, de Laon ; tous doivent leurs sièges à la faveur et à des influences de famille.

[14] FLOQUET, Hist. du Parlement de Normandie, IV, 435. L'archevêque en fit imprimer le récit, et le répandit par tout le diocèse. — Richelieu écrit à Harlay : Les religieux ne peuvent sans scandale dire et publier qu'on n'est point obligé d'assister aux messes de paroisse ; mais il est de votre prudence de ne pas décerner excommunication contre ceux qui n'y assisteront pas. Lettres et papiers d'État, IV, 511. — Arrêts du Parlement de Rouen, octobre 1632 ; du Parlement de Paris, 11 mai 1630.

[15] Arch. dép., Aube, G. 1297. — L'archevêque de Paris casse (le 13 septembre 1636) une ordonnance du Prieur de Saint-Germain des Prés, qui se prétendait exempt, et avait rendu une ordonnance pour la célébration du Jubilé sur la rive gauche de la Seine. — DE MONTCHAL, Mémoires, II, 630. — Aff. Étrang., t. 811, fol. 28. — Œuvres de saint François de Sales (éd. Vivès), VIII, 319.

[16] Arch. Maine-et-Loire, G. 276, 650. — Si l'hérésie pullule en quelques parties du diocèse, dit le chapitre de Troyes, c'est la faute de l'évêque qui ne réside pas. — Arch. dép. Aube, G. 1297.

[17] Arch. dép., Sarthe, G. 21. — Arch. dép., Indre-et-Loire (Introduction). — Arrêt du Parlement 18 juin 1633 ; du Conseil privé, 7 juin 1641.

[18] Arrêt du Grand Conseil, 26 août 1639. — Arch. dép. Lozère (Introd. 6). Le chapitre de Mende a 96 membres, sans parler des fonctions auxquelles il nomme. A Paris, quantité des plus beaux bénéfices de la ville et des environs, dépendent de Saint-Germain-l'Auxerrois. De plus, en cas de vacance du siégé épiscopal, le chapitre avait la nomination aux cures qui dépendaient de l'évêque. (Arrêt du Parlement, 6 septembre 1642.) — Arch. dép. Lozère, G, 1056.

[19] Arch. dép. Aube, G, 1615. — Les enfants de chœur étaient instruits aux frais du chapitre, on leur apprenait i. toucher de l'épinette ; on paye pour l'un d'eux, au collège, une pension de 75 livres. — Arch. dép, Lozère, G, 704. — Arrêt du Parlement du 11 décembre 1642. — Voir à l'Appendice la Préséance du clergé.

[20] Arch. dép. Lozère, G, 1139. — Arch. dép. Lot-et-Garonne. — Arch. dép. Indre-et-Loire (Introduction).

[21] LA BRUYÈRE, De quelques usages (édit. Louandre), p. 351. — Arrêt du Conseil privé du 27 juillet 1638.

[22] Règlement du 23 juillet 1639. — Des recommandations analogues sont faites aux chanoines d'Angers (Arch. dép. Maine-et-Loire, G. 918,922) : .... ordre de porter leurs barbes et cheveux honnêtement, aux chanoines non prêtres de se faire ordonner, et à ceux qui ne savent pas le plain-chant de l'apprendre.

[23] Arch. dép. de la Sarthe, G. 21. — De la Lozère, G, 1074. De Maine-et-Loire, G, 650.

[24] QUICLET, Voyage à Constantinople en 1657, p. 14. — BAGUENAULT DE PUCHESSE, le Concile de Trente, p. 313.

[25] Arrêt du 9 décembre 1631. — Arch. dép. de l'Aube, G, 1294 ; de la Somme, B, 17 ; de la Lozère, G, 1074 ; du Morbihan, E, 709 ; de la Sarthe, G, 21 ; de Maine-et-Loire, G, 914, 1106, 1107, 1572, 2305. — Au seizième siècle, le chapitre de Montsoreau avait adopté l'usage romain des robes rouges pour les enfants de chœur.